L'Homme est une île ancrée dans ses émotions

Collection Les HSE


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L'Homme est une île ancrée dans ses émotions

Christophe DAUPHIN
Anastassia POLITI

Poésie et théâtre

ISBN : 97822043044775
74 pages - 13 x 20.5 cm
15 €


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PRÉSENTATION : « L'Homme est une île  ancrée dans ses émotions » est le deuxième volet du diptyque « Surréalisme, encore et toujours ! », crée en 2010, par la Compagnie Erinna, à la Maison de la Poésie de Saint Quentin-en-Yvelines. Le récit a pour but de rendre le poète familier à ceux qui écoutent ses vers et de supprimer la distance entre l’être (la vie) et le faire (la poésie). Il est ponctué d’un ensemble de poèmes qui reflètent l’itinéraire de leur auteur et traitent des grands thèmes qui jalonnent sa poésie, tels que la révolte, l’amour, le rêve, l’histoire, le voyage et la rencontre avec d’autres poètes et créateurs. Car, c'est aussi en parlant de l’Autre que le poète se dévoile, nous invitant à un voyage passionnant à travers notre temps. Il traverse les années toutes récentes et d'autres, plus éloignées, avec la fougue et la force du chant qui lui sont propres.

L'Homme est une île ancrée dans ses émotions (extrait de la pièce par la compagnie Erinna)

L'Homme est un île ancrée dans ses émotions (reportage de TVFIL 78 et répétition par la compagnie Erinna)


L’HOMME EST UNE ÎLE ANCREE DANS SES EMOTIONS

(Extraits)

 

L'homme (assis sur la petite chaise, s'adressant à la femme, puis, au public) :

Je suis venu au monde  

comme on joue aux dés

Parmi les étoiles aux cheveux bien peignés 

 

Le 7 août 1968  

demeure cette goutte de sang

dans la plus perdue de mes veines

Une goutte de sang  

qui fait barrage au silence

Cri jeté dans l'abîme

 

J'ai été baptisé à la demande du Pape

Mais je n'en ai rien demandé

Sachant bien que Dieu est une impasse

pour traduire l'amour en douleur

et la vie en mensonge

 

Mon enfance fut normande

comme la mer qui tourne en rond

dans le fond de ma poche

Le bocage onirique

avec lequel on voudrait partir

Un village que je transporte depuis

Dans une cage

 

Un rêve rien qu'un rêve

pour beaucoup trop de sang

 

(Il se lève et se dirige vers l'avant scène.)

 

Plus tard

Plus tard

Mon adolescence fut banlieusarde

Une nuit noire à pied de biche

Cigarette en main

 

Une nuit noire aux yeux de gyrophare

Des amitiés à boire et insomniaques

Des cages d'escaliers partout à la ronde

 

L'amour qui dégonde le paysage

Le naufrage à bord d'un paquebot en béton

Et le dernier train qui part à minuit

avec la poésie et la révolte

pour dire oui à la vie

contre tout ce qui la mutile

 

Cela m'est resté

 

Et si la solitude me va

comme le gant perdu de l'imaginaire

C'est pour mieux rejoindre l'autre

Que j'écris des poèmes.

 

La femme (comme si elle marchait en acrobate sur un fil de fer) :

 Je suis intimement persuadé que l’on ne devient pas poète. On naît poète. On est poète. C’est une éruption volcanique de l’être. Malheureusement, il ne faut absolument pas croire que le poète est meilleur que les autres ; certes il y a des hommes phares, mais le poète n’est surtout pas meilleur qu’autrui ; il est différent. Si j’ai une prétention, c’est bien celle de dire, que je suis un poète, avec pour matériel, l’humble outil des mots.

 

L'homme (à la femme) :

 Que sont les mots ?

 

La femme :  

 

Les fruits pendus sur l’arbre du langage. Les mots parlent à ma place. Les mots sont mes vêtements. Ils me collent à la peau.

 

L'homme (à la femme) :

 Qu’est ce que le langage ?

 

La femme :  

 Un regard qui voit avec les mots.

 

L'homme (à la femme) :

 Qu’est-ce qu’un poème ?

 

La femme :  

 Un circuit d’énergie, à la fois récepteur et émetteur. Une matière organique, une matière vivante, constituée par le langage, le rythme, les pulsations et les émotions. Le poème est le reflet d’une explosion de l’être.

 

L'homme (à la femme) :

 Quelle réalité possède la parole ?

 

La femme :  

 Celle de parler face à l’abîme

que nous sommes

et ne cesserons jamais d’être.

L'homme (à la femme) :

 

Qu’est-ce qui fait un poète ?

 

La femme :  

 Une écriture qui ne triche pas avec la vie,

Un être qui ne triche pas avec l’être.

 

L'homme (s’adressant avec étonnement au public) :

               Qui ne triche pas avec l’être ?

Les poètes

ne doivent pas être nombreux !...

 

La femme :  

 Un jour, Joyce Mansour s’est rendue au cimetière pour un enterrement musulman et a rapporté la scène suivante : « Soudain, une femme s’est mise à crier. Le cri est né, très grave, dans le ventre et il est peu à peu devenu aigu, fracassant ; il semblait surgir du haut du crâne, à cet endroit précis, les fontanelles, d’où les religions disent parfois que l’âme s’échappe au moment de la mort. C’était terrifiant. » Voilà la poésie. Moi j’écris comme cette femme s’est mise à crier.

 

 (Elle feint de tomber du plateau, l'homme 

la rattrape et se met à danser avec elle). 

 

L'homme (à la femme) :

 Qu’est-ce que l’amour ?

 

La femme :

 Ton oeil qui roule dans mon regard

 

L'homme :

 Qu’est-ce que le rêve ?

 

La femme :

Un pot de fleur

posé sur le balcon de la nuit.

 

L'homme (en regardant en direction du poète):

 

Qu’est-ce que Christophe Dauphin ?

 

La femme (en regardant en direction du poète) :

 

Le couteau plongé dans la syllabe du sang.

 

L'homme :

 Qu’est-ce que la poésie ?

 

La femme :

 La pierre jetée dans la vie.

 

 

Christophe DAUPHIN

(Extraits de L’Homme est une île ancrée dans ses émotions, Librairie-Galerie Racine, Les Hommes sans Epaules, 2010).