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À propos de L'Île-cicatrice

"Cette conjugaison, cette noce, de la rigueur dans l’expression avec une sensibilité si subtile, c’est rare."

Guy CHAMBELLAND (1986): cité dans Les Hommes sans épaules, n° 21, 2006, p. 40.

"Ce poète sait être dense d’emblée. Peu à peu les poèmes irremplaçables viendront. Déjà de L’ÎLE CICATRICE deux poèmes se dégagent. L’un sur l’hiver :
L’hiver foncier, sachant construire un ciel (page 78).
L’autre sur la nuit :
mais la nuit,/ chargée d’âge et de lenteur
mais le silence au poil ras qu’elle rassemble,
la nuit s’est faite au dernier étage,
dans l’intime des confins (page 82)."

Henri HEURTEBISE, in Multiples, n° 47 (1992), p. 63.

 

 




Critiques

"La joie comme la peine se mesurent en centigramme." (Benjamin Péret). Joie ? parce qu'un nouveau numéro de Supérieur Inconnu, le trentième, est paru. Peine ? parce que c'est le dernier et qu'il est consacré à son fondateur Sarane Alexandrian, disparu en 2009 emporté par une leucémie. La couverture est de Madeleine Novarina, épouse de l'écrivain, et vient clore une série commencée en octobre 1995. Le comité de rédaction de la revue a dans son ensemble participé à l'hommage rendu à Alexandrian. Nous trouvons des textes et des entretiens d'anciens compagnons: Alain Jouffroy, des lettres d'André Breton et de Malcolm de Chazal, des illustrations de Victor Brauner, Ljuba, Denis Bellon. Sous la plume de Christophe Dauphin, auteur chez l'Âge d'Homme d'un essai Sarane Alexandrian, le grand défi de l'imaginaire, on peut lire un très intéressant et émouvant portrait de ce dernier. Les documents publiés sont nombreux et la période d'après-guerre est riche en témoignages: exposition surréaliste en 1947 à la galerie Maeght, création de la revue Néon et de Cause... Le sommaire est parsemé de textes inédits de Sarane Alexandrian, écrivain, critique d'art et fondateur d'une des revues les plus fascinantes de ces dernières années: Supérieur Inconnu, qui a paru en trois séries, trente numéros au total de 1995 à 2011. Adieu Grand Cri-chant nous en sommes pas prêts de vous oublier, d'ailleurs: "c'est les jeunes qui se souviennent. Les vieux oublient tout." (Boris Vian).

Michel Jacubowski (in Cahiers Benjamin Péret n°1, septembre 2012)

 

« Supérieur Inconnu.., est le titre qu'André Breton avait choisi, en novembre 1947, pour nommer la publication qu'il envisageait de fonder... » Aujourd'hui, c'est le dernier numéro d'une revue « ouverte à la prose autant qu'à la poésie» et qui a mis « à l'honneur, dans chaque numéro, un écrivain qui est souvent injustement méconnu du public et de la critique »... Dernier numéro consacré à Sarane Alexandrian, mort le 11 septembre 2009. Sarane Alexandrian et Madeleine Novarina, poète et son épouse, « le couple héroïque faisant face à tout » selon Christophe Dauphin. Un dossier complet avec des textes de l'auteur, bien sûr, des analyses de sa création romanesque, des fac-similés des lettres, des photos, des reproductions de tableaux et de dessins, des hommages de ses proches, des souvenirs... Et tout cela donne une image vivante de ce familier des surréalistes. Un exemplaire à conserver !   

Alain Lacouchie,   (revue Friches, n° 109, janvier 2012).    

 

"Sarane Alexandrian nous a quittés le 11 septembre 2009 pour le Grand Réel. Spécialiste des avant-gardes et de la littérature érotique, biographe de Victor Brauner, cet homme exceptionnel, érudit incarnant l’élégance intellectuelle et spirituelle, fut aussi, c’est moins connu, un hermétiste de talent, ce qui apparût clairement à travers la revue Supérieur Inconnu qu’il dirigea brillamment. Deux ans après sa disparition, Supérieur Inconnu, désormais sous la direction de Christophe Dauphin, rassemble ses amis pour un numéro spécial, n°30, consacré à l’homme de l’art et à son œuvre multiple, inattendue, et absolument non-conformiste comme il savait si bien le revendiquer. Christophe Dauphin avertit le lecteur d’une ambiguïté toute française : « La France raffole des surréalistes quand ils sont morts ; mais quand ils étaient dans l’éclat de la jeunesse ou dans la force de l’âge, elle a tout fait pour les acculer à la misère. C’est d’ailleurs le lot de tout grand artiste révolté, de tout prophète de l’anticonformisme, de connaître une gloire tardive ; les conformistes lui préfèrent toujours le pantin remodelable après chaque rebut. Sarane Alexandrian n’a pas échappé, malheureusement, à ce principe ; du moins en France, car à l’étranger, au Liban, en Roumanie, en Angleterre, en Espagne, en Grèce, en Italie, au Portugal, en Turquie, aux Etats-Unis, en Chine (où son Histoire de la littérature érotique a été traduite en 2003), ou à l’Île Maurice, notre ami jouit d’un prestige qui ne s’est jamais démenti. » Ce numéro spécial débute par une présentation des trois périodes de la revue, les 21 numéros de la première série, 1995-2001, les 4 numéros de la deuxième série, 2005-2006 et la troisième série, 2007-2011 qui propose 5 numéros. D’une grande exigence, Sarane Alexandrian a veillé à la haute tenue de sa revue qui demeure la plus belle publication d’avant-garde des vingt dernières années. Supérieur Inconnu a inscrit le message du surréalisme éternel dans la période si dangereuse et si passionnante du changement de millénaire, message que l’art du XXIème siècle devra s’approprier pour demeurer art. Ce numéro, qui mêle articles, poèmes, illustrations, témoignages, écrits de Sarane, illustre la puissance, la densité et la richesse de ce message non-conformiste, au plus près de la liberté de l’être. Et il y a ce couple, Madeleine Novarina et Sarane Alexandrian, un amour fou qui n’a cessé de nourrir la création de l’un comme de l’autre. Parmi les textes de Sarane Alexandrian rassemblés dans ce numéro, citons : Madeleine Novarina poète – La création romanesque – Autour de « Socrate m’a dit » – Considérations sur le monde occulte – Ontologie de la mort, ces deux derniers inédits. Sarane Alexandrian contribua grandement au renouvellement de l’alliance salutaire entre avant-garde et initiation, par ses écrits bien sûr, plus encore par sa médiation entre des mondes qui s’ignorent encore à tort. Parmi les très nombreux contributeurs à ce numéro qui, davantage qu’un hommage, constitue une démonstration de la permanence de Sarane Alexandrian, citons : Madeleine Novarina, Virgile Novarina, André Breton (Trois lettres à Sarane Alexandrian), Malcom de Chazal (Lettre à Sarane Alexandrian), Jean-Dominique Rey, Odile Cohen-Abbas, Paul Sanda, Marc Kober, Fabrice Pascaud, Jehan Van Langhenhoven, etc. Ce numéro exceptionnel est diffusé par Les Hommes sans Epaules, 8 rue Charles Moiroud, 95440 Ecouen, France.  

Remi Boyer   (Incohérism.owni.fr, 21 septembre 2011) 

 

    "Un numéro hommage de Supérieur Inconnu à son fondateur, Sarane Alexandrian (1927-2009). Un lien étroit avec les HSE : le directeur de publication en est aussi Christophe Dauphin, et les HSE en gèrent la publication. Les contributeurs sont nombreux, poètes, artistes, amis, qui apportent leur voix pour cet hommage quasi unanime (seule voix dissonante, celle d’Alain Jouffroy) qui tente d’aborder toutes les facettes de cet homme à l’élégance légendaire  qui sut ne pas faire de concession aux modes. On croisera ainsi entre autres Françoise Py, Lou Dubois, Olivier Salon, Virgile Novarina, César Birène, Marc Kober, Odile Cohen-Abbas, mais aussi, évoqués largement, par le document, lettre ou dessin, Madeleine Novarina, sa femme, les peintres Jean Hélion et Victor Brauner (dont une œuvre fait la couverture, comme pour le n°1), le poète mauricien (et toujours trop méconnu) Malcolm de Chazal, etc. Un numéro qui marque aussi la fin d’une aventure de 15 ans, puisque ce dernier numéro est aussi l’ultime d’une série de trente."   

Jacques FOURNIER   (levure littéraire.com, 2011).   

 

"C’est la première fois que je parle de cette revue et ce sera l’ultime puisqu’il s’agit d’un numéro spécial consacré à son fondateur : Sarane Alexandrian, décédé en 2009.  Ce dernier a longtemps été considéré comme le successeur désigné d’André Breton, c’est dire dans quelle mouvance, surréaliste, il s’est positionné toute sa vie. Le titre de la revue d’ailleurs, Supérieur inconnu, a été trouvé par André Breton lui-même en 1947, pour une revue qui n’a pas vu le jour alors. La publication a connu trois séries : la première de 1995 à 2001, avec 21 numéros, et un nombre impressionnant de poètes reconnus aujourd’hui ; la deuxième de 2005 à 2006 (4 n°), avec au comité de lecture des membres plus jeunes comme Marc Kober ou Christophe Dauphin qui rejoignent Alexandrian et les plus anciens, prenant comme axes principaux quatre vertus cardinales que sont le rêve, l’amour, la connaissance et la révolution. Cette série sera interrompue, faute de subvention du CNL, mais suivie par la troisième et finale (2005-2011) avec un comité de rédaction élargi : 5 numéros dont ce dernier. Sarane Alexandrian exerçait une véritable fascination sur tous ceux qui l’ont approché et qui témoignent dans cet ouvrage. Né en 1927 à Bagdad, son père était médecin du roi Fayçal 1er, il vient en France en 1934. Il rencontre le dadasophe Raoul Hausmann, ce qui va être déterminant dans son apprentissage intellectuel, puis André Breton, Victor Brauner et Madeleine Novarina, qui va devenir sa femme et à laquelle sont consacrés deux articles forts de la livraison. Théoricien  n° 2 du surréalisme, il rompt rapidement avec André Breton, dès 1948. Christophe Dauphin montre comment il écrit sous autohypnose, à la Robert Desnos, autour de l’onirisme, la magie sexuelle et la gnose moderne. Une idée intéressante, c’est qu’il a souhaité être un anti-père pour les jeunes qui l’admiraient, afin qu’ils le dépassent à leur tour. Ses conceptions romanesques sont très éclairantes, puisqu’il a voulu certainement être davantage reconnu comme écrivain de romans plutôt que poète. Beaucoup de contributions suivent à la gloire de ce grand personnage, dont le charisme et l’ouverture intellectuelle impressionnaient grandement ses interlocuteurs, à noter la fausse note signée Alain Jouffroy qui donne en contrepoint un éclairage inverse au concert de louanges ; également avant de renvoyer à la revue qui propose une quarantaine de témoignages (dont Jehan Van Langenhoven ou Michel Perdrial entre autres), le Sarane Alexandrian, critique d’art, lequel lui confère pour conclure sa véritable dimension. Un homme hors du commun, sans contestation possible. Un grand écrivain de la fin du surréalisme."  

Jacques MORIN   (Site internet de la revue Décharge, novembre 2011).  

 

Avec ce trentième numéro de Supérieur Inconnu s'achève l'aventure de cette revue fondée par Sarane Alexandrian en octobre 1995, aventure qui dura donc 16 ans et connut trois séries différentes. Ce dernier numéro consiste en un hommage à la figure tutélaire de Sarane Alexandrian, disparu le 11 septembre 2009. Nous y trouvons les signatures des acteurs majeurs ayant fait l'histoire de cette revue qui se revendiquait du non-conformisme intégral.  

C'est à César Birène que revient la tâche d'ouvrir ce numéro mémorial par un texte retraçant clairement les grandes étapes de Supérieur Inconnu. A l'origine imaginée par André Breton, la revue aurait dû voir le jour en 1947 chez Gallimard sur les conseils de Jean Paulhan. Une revue ayant l'ambition d'unir les conservateurs fidèles à l'esprit du Second manifeste, et les novateurs. Le nom même de la revue vient directement de Breton qui voyait dans le "Supérieur Inconnu" l'objectif idéal de la recherche poétique de l'avenir. Elever l'esprit vers les hauteurs et explorer l'inconnu. Un désaccord empêcha ce projet que Sarane Alexandrian, en héritier légitime du Surréalisme – il avait été le secrétaire général du mouvement – reprend et mène à son point d'épanouissement au moment charnière du passage au troisième millénaire. Une revue issue du Surréalisme mais désireuse d'accueillir dans ses pages les voix d'un avenir poétique émancipé du passé, et fervente admiratrice de figures peut-être injustement mal connues telles celles de Claude Tarnaud, Charles Duits, Stanislas Rodanski, Gilbert Lely, Jeanne Bucher par exemple.  César Birène retrace avec fidélité ces quelques quinze années d'engagement littéraire autour de Sarane Alexandrian. Il en synthétise l'esprit, les contenus, évoque les grands acteurs tels Alain Jouffroy et Jean-Dominique Rey, à la fondation de l'aventure avec Sarane. Puis rejoints par la jeune génération des Christophe Dauphin, Marc Kober, Alina Reyes. Je me permets d'ajouter Pablo Duran, Renaud Ego, Jong N'Woo, Malek Abbou, etc. Les transitions des séries 1 à 2 et 2 à 3 sont bien explicitées, ainsi que les raisons qui présidèrent chaque fois au changement de visage par ces nouvelles moutures de la revue. On notera avec étonnement au moins deux grands absents sous la plume de César Birène, deux absents de taille qui contribuèrent pourtant à l'envergure de la revue par le rôle qu'ils y tinrent au sein du comité de rédaction de la première série, en les personnes d'Alain Vuillot et de Matthieu Baumier…

La revue poursuit ensuite son hommage à Sarane avec les textes de Christophe Dauphin, les photos de Sarane et de sa femme Madeleine Novarina, les poèmes de Madeleine Novarina, les photos du bureau de Sarane où nous eûmes tous l'honneur, à un moment, d'être reçu pour une conversation d'une politesse exquise  sous le charme silencieux et magiques des œuvres de Victor Brauner. Des textes inédits de Sarane, comme illustrés par des reproductions de toiles de Ljuba, sont ici publiés, comme La création romanesque issue de ses Idées pour un Art de vivre, Art de vivre qui était la passion de sa vie tant il considérait que cet Art induit tous les plans de l'émancipation de l'humain. Nous y trouvons également trois lettres inédites adressées à Sarane, deux par André Breton, la troisième par Malcolm de Chazal, lettres qui témoignent de l'engagement intellectuel intégral qui était celui d'Alexandrian.  

Suit un entretien d'Alain Jouffroy par Jean-Dominique Rey autour de la figure de Sarane, entretien surprenant au sein d'un hommage tant Jouffroy n'use d'aucune langue de bois pour évoquer le souvenir de son ami Sarane. A juste titre d'ailleurs car Alexandrian, non-conformiste revendiqué, aurait eu en horreur les passages de pommade de circonstance. Jouffroy évoque un Alexandrian supportant mal la contradiction qu'on pouvait lui opposer et nombreux sont, parmi ceux qui le fréquentèrent, à avoir essuyé ses colères et sa susceptibilité... (..) Un homme généreux. Une figure tutélaire à qui l'on devait une manière d'allégeance à partir du moment où il nous avait accueilli dans son clan. Un écrivain ayant sa propre conception de la fidélité, souffrant avec difficulté qu'on lui oppose des vues différentes de ce en quoi il croyait. Mais généreux, je le répète, comme peu en sont capables. Aussi la version de Sarane par Alain Jouffroy a-t-elle lieu d'être tant elle rend fidèlement le caractère haut en couleur qui était le sien. D'ailleurs, s'ensuit la reproduction d'une réponse de Sarane à un message de Jouffroy laissé sur son répondeur téléphonique. Illustration significative des rapports qui furent ceux des surréalistes, faits de franchise, d'orgueil, de rodomontades, d'hystérie surjouée, de joutes oratoires, de ruptures, de réconciliations. Parmi les textes, passionnants, de ce numéro hommage, (nous ne les citerons pas tous), mentionnons celui de Paul Sanda consacré à l'ouvrage majeur d'Alexandrian, Histoire de la philosophie occulte, et aux prolongements de ce livre, d'abord dans le rapport qu'entretint Sanda avec Sarane, ensuite dans la vie de Sanda.

Remercions Christophe Dauphin, maître d'œuvre de cette ultime livraison, pour ses contributions à la réussite de ce beau numéro, tant lorsqu'il se consacre au couple Madeleine Novarina-Sarane Alexandrian que lorsqu'il dresse un portrait biographique de Sarane, situant son importance dans la deuxième génération surréaliste mais aussi dans le monde littéraire et intellectuel, lui dont l'œuvre fut traduite partout dans le monde sans que jamais l'intelligentsia officielle et médiatique ne lui rende le moindre hommage. Hommage encore à l'érudition époustouflante d'un homme hors-norme, qui n'avait cure de savoir pour savoir mais entendait savoir pour vivre plus et transmettre ses connaissances pour aider à vivre plus. Jean Binder, lui, choisit dans les multiples visages d'Alexandrian, l'écrivain d'art. Il rappelle que le premier livre de Sarane fut consacré au peintre Victor Brauner, Brauner l'illuminateur, dont on ne peut ici que conseiller la lecture tant ce livre est, à mes yeux, fondamental. Et poursuit en dressant l'itinéraire des écrits sur l'art de Sarane. Palpitant.   Gérald Messadié quant à lui tire son chapeau à l'impertinence, pour employer un euphémisme, de Sarane, lui qui, en 2000, publia un livre étrange intitulé Soixante sujets de romans au goût du jour et de la nuit, livre dans lequel Sarane propose aux romanciers en mal d'inspiration 60 sujets mirifiques pour surseoir à leur manque de talent et d'imagination. Un livre volontairement passé inaperçu tant le bras d'honneur d'Alexandrian aux plumitifs desséchés en tous genres relève, comme le souligne Messadié, du terrorisme.  

Il y  a aussi le très beau texte de Marc Kober, d'une justesse et d'une mesure admirables, brossant l'image de surface qu'offrit à beaucoup Sarane Alexandrian pour nous montrer un peu le vrai cœur de cet homme : "Pourtant, la vérité de Sarane est ailleurs, écrit Kober : moins dans l'homme de lettres qu'il voulut être que dans une volonté d'élargir le périmètre humain".  

Il y a enfin, et je m'arrêterai là, le beau poème que Matthieu Baumier offre ici à Sarane, intitulé "A l'étoile vive", assorti de cette émouvante dédicace Pour Sarane, par-delà. Ce trentième numéro rend ainsi un hommage mérité à un écrivain méconnu, dont l'œuvre théorique continuera d'irriguer les temps à venir tant elle se situe à la croisée de la Tradition dont notre société se targue de ne vouloir rien savoir, et de l'avenir qui l'aimante par un besoin vital de prendre sa respiration.  

Supérieur Inconnu, ce furent 30 volumes en quinze ans, mais aussi des lectures publiques dont chacun des membres garde en mémoire les éclats et les reliefs. (Conciergerie de Paris, Mairie du XIIème arrondissement de Paris, Bateau-lavoir). A titre personnel, sans Supérieur Inconnu, sans Sarane Alexandrian, je n'aurais sans doute pas rencontré la danseuse Muriel Jaër, petite-fille de la galeriste Jeanne Bucher avec qui, au sortir d'une lecture de poèmes, je devais me lier d'amitié.  

Je n'aurais pas non plus eu la grande chance de rencontrer Matthieu Baumier, dont l'amitié dans le Poème m'est absolument vitale. Pour ceci, Sarane, merci.   

Gwen Garnier-Duguy (in Recoursaupoeme.fr, août 2012).

*

"Dernier numéro de la revue consacré à Sarane Alexandrian, écrivain surréaliste. Son oeuvre est une aventure humaine et intellectuelle. Le non-conformisme caractérise le mieux l'oeuvre et la vie de Sarane Alexandrian."

Electre, Livres Hebdo, 2012.

 




Lectures critiques

« Les mots viennent sans cesse tressaillir du côté du vivant », écrit Alain Brissiaud dans Jusqu’au cœur (Collection Les HSE /éd. Librairie-galerie Racine,162 pages, 15 €). Oh que cela résonne ! D’autant qu’il évoque tout aussitôt cette « terre des mots, limon d’où surgissent nos fragilités, ici comme autrefois ». Avec ce poète né à Paris en 1949, qui n’a publié son premier recueil qu’en 2015, nous voici en pays d’humanité. Il cherche « l’étroit chemin menant de l’un à l’autre » dans des regards, des caresses, des amours… Il guette les présences visibles ou non d’autres humains. « Il y aura toujours un mot pour dire ce lien », affirme-t-il. »

Philippe SIMON (in Ouest France, 18/19 novembre 2017).

*

" Au-delà des obédiences, des écoles et des mouvements, des mesures et des règles édictées, des discours et des gloses, existe la poésie. Elle échappe à toute tentative d’exégèse, car miraculeusement elle distend le signe et amplifie l’écho du langage. Alors les tableaux de vie ressassés par le poète  acquièrent l’épaisseur d’une expérience humaine. Cet absolu, comme un cri ancestral, étoffe les poèmes d’Alain Brissiaud. Le lyrisme, si difficilement recevable lorsqu’il n’ouvre pas la voie à une transcendance, trouve dans Jusqu’au cœur l’occasion d’un renouveau. L’appareil tutélaire  des chapitres est pourtant évocateur des thématiques romantiques, qui, pour l’une des plus récurrentes, est le paysage comme métaphore de l’état d’âme de l’énonciateur. Ainsi « terre d’octobre journal », « balises de brume », introduisent le recueil et annoncent les trois chapitres suivants, « la presqu’île », « les yeux fermés », et « communion solennelle ». L’automne, saison romantique, fut la saison de prédilection de ceux qui ont vécu en un dix-neuvième siècle hachuré par des séismes tant politiques que sociologiques. Saison de la maturité et signal d’une mélancolie existentielle, elle se veut représentative d’un moment propice aux bilans et aux retours en arrière. Et Alain Brissiaud, outre le fait de convoquer octobre et ses brumes,  fait un usage fréquent des temps du passé et des pronoms personnels des premières et deuxièmes personnes du singulier. Le ton est donc aux épanchements personnels et à l’évocation des sentiments.

 

« L’ange de la mort l’ange de personne
chantait les mots de la chanson
tu savais qu’ils venaient

peu importe que cachaient ces paroles
des éclats des cris
coups ou rires
il n’y avait pas de nom
pour le dire

la chanson du matin
la chanson du soir
la chanson du sang à la nuit
revenait et enfilait
lavant ton esprit de sa lumière

maintenant
depuis le bord du pré
tu écoutes le bruit des pierres fracassées
sous un ciel de mots

ton espoir
est la pire des choses »

 

Cette sensibilité propre aux romantiques, qui a été le moteur d’innovations formelles si importantes au dix-neuvième siècle, est une des tonalités du recueil d’Alain Brissiaud. Mais là s’arrête tout rapprochement autorisé. Si l’auteur de Jusqu’au cœur nous livre ses sentiments et ses états d’âme, il n’en s’agit pas moins d’un lyrisme dont le sujet est le  référent d’un pronom personnel de la deuxième personne du singulier. Ce dispositif permet une mise à distance qui soutient la gravité des propos, et confère aux épanchements personnels une tonalité particulière. Le poète porte un regard réflexif sur lui-même, il se livre à une introspection, s’examine, de l’extérieur, et restitue ses états d’âme de manière austère et détachée. Il apparaît alors comme une manière de fatalité. Loin des effusions lyriques romantiques, il n’y a plus d’égo cherchant la vérité dans une transcendance. Aucune quête métaphysique n’est envisagée comme une finalité salvatrice qui permettrait au sujet de trouver un sens à ses errances terrestres. Il n’y a plus non plus à accorder crédit au discours psychanalytique, car quand bien même les paroles de l’être sur lui-même seraient un moyen de s’approprier son histoire, il n’y a rien à y trouver d’autre que l’absurdité de toute chose. Agi, l’individu n’a plus d’autre destin que celui qui mène à un constat d’impuissance. Modernisant le sujet d’une énonciation personnelle, le poète ne cesse d’énumérer, à travers cette vacuité identitaire, l’avènement de sa disparition. Alors, l’écriture apparaît comme possible moyen de rédemption.

 

« Ta voix se creuse à mesure du message
jusqu’à couler
dans le papier
et ta paupière tremble
dans l’œil autour du visage
puis s’efface

tu me parles dans le cercle d’écume
en silence
gardant les mots en toi
avant la voix
dans les poumons noirs de tes désirs

et ta paupière
boit l’écrit qui se forme sur ton visage

incendié »

 

« Endormi à la nuit consumée
tu n’écris pas
tu marches dans le sommeil

vers quelle frontière fraternelle

et dérives cherchant ta place dans le monde
tu n’es plus visible
enclos
derrière les murs de la parole

j’entends
que rien ne s’ouvre
comme si
un poing de solitude s’abattait »

 

L’écriture s’oppose ici à la parole, dont l’inefficience  à assurer toute communication est une thématique omniprésente dans les poèmes d’Alain Brissiaud. La poésie offre au signe l’occasion d’une portée sémantique supplémentaire. C’est alors qu’une possibilité apparaît, celle de transcender le réel et d’énoncer l’indicible solitude de la condition humaine. C’est également grâce à la poésie qu’il est possible d’approcher cette perfection insoutenable donnée à voir dans la beauté de la nature.

 

« Vers toi tendus jusqu’au cœur
à l’échéance
suceront le lait de ta pensée
pour s’en vêtir

enclos dans l’ultime moment
tu ne sauras retenir
cet effroi de lumière

viendront les spasmes
les paroles traduites

ces paroles
jaillies de ta voix
cabossée »

 

« Quand je te lis je t’écoute
j’emprunte alors
un autre chemin que le mien
guidé par la voix
couchée derrière tes paupières

et je nage contre tes cils
à l’avant de ton ombre naissante

aussi
la voix
du souvenir
entêtant »

 

Ainsi, il s’agit de dire l’impossibilité même de se tenir en une posture lyrique, de transmettre au pronom personnel toute substance sans que celle-ci ne soit regardée dans toute l’étendue de sa vacuité, de son impossibilité à être au monde. Dans un va et vient entre l’emploi des pronoms des première et deuxième personnes du singulier, Alain Brissiaud nous offre la réflexivité d’un regard qui ne peut intégrer la réalité et entonne son incessante renonciation à exister. Le poète brouille les pistes référentielles. Il apparaît comme une entité morcelée, vagabondant entre sa mémoire et ses perceptions, et l’incompréhension de l’être aimé, voué à disparaître, avec lequel un lien fugace et imparfait est source de souffrance. Toute communication est vécue comme impossible, ou pour le moins imparfaite. Ici encore, les mots ne sont qu’enfermement dans une solitude qui n’est surmontée que grâce à l’écriture.

 

« Tu me montres parfois ton visage
cousu de fruits sauvages
absolument
et sa détresse
et son exil comme un mot
écrit à la machine

sérieuse tu caches la couleur de tes yeux
ce chalet d’angoisse
leur beauté enlaidie
et ta psychose noient mon regard
comme un privilège
c’est ainsi
tout ce que j’ai voulu
se brise

c’est long d’aimer »

 

Dans ce contexte, le chant amoureux, dont la thématique vient encore suggérer le Romantisme, ne peut être qu’un chant de désespoir. Le lien à l’objet désiré est donné à voir comme impossible, éphémère. Mais que l’on ne s’y trompe pas, Alain Brissiaud ne pleure pas l’absence de l’être cher. Il s’agit plutôt de constater, en une impuissance salvatrice, parce que porteuse de renonciation, l’impossibilité des êtres à communiquer, se rencontrer, s’entendre, et surtout s’aimer, au-delà de la parole.

 

« Est-ce le rêve où
ma main
saisissant l’ombre de ton épaule
se changea en pierre

ou bien
le souvenir
de nos visages enlacés
glissant sur la rivière

non

seulement
cet exil
circulant dans nos
veines
comme un crachat »

 

Il s’agit bien de lyrisme, mais d’un chant qui interroge le questionnement même, jusqu’au point ultime de ce constat de toute absurdité. Doit-on pour autant rapprocher les propos d’Alain Brissiaud d’une pensée existentialiste ? Si la libération vient de cet aveu d’impuissance et de l’acceptation de cette absurdité qu’est l’existence, pour ces derniers seul l’acte posé en conscience est le moyen d’affirmer sa liberté. Pour le poète Alain Brissiaud il semble que la rédemption soit dans la contemplation de la nature, de sa beauté insoutenable parce qu’il lui est impossible de s’y fondre, de l’intégrer et de toucher cette magnificence qui fait tant défaut à ce que vivent les hommes.

 

« Maintenant
je n’ai pas de mot

la première chaleur

flacon d’innocence déversé
dans le langage neuf
soif entaillée

le vacarme s’éloigne
libérant nos craintes

vient un flot de lumière
pareil à l’eau du souffle

terre vaine
sortie des crevasses de l’aube

se recompose »

 

C’est donc une poésie non pas du désespoir, mais de la quête de cette inimaginable perfection incarnée par la nature. Elle seule peut tenter d’en approcher l’immanence, de tracer les contours de cette beauté insoutenable parce qu’absente, inaccessible. Elle offre dans le travail abouti de la langue un moyen de dépasser les enfermements, les claustrations charnelles et verbales, les incompréhensions, le vide laissé par les souvenirs, l’absence, et le temps qui passe. Alors sourde le bruissement d’un silence porteur de cette ultime transcendance de l’union de l’être avec l’univers.

 

« Quand s’étirent les branches du tremble
jusqu’à toucher la braise
où tout souffle se perd
quand vient ce moment d’innocence
loin de l’écorce
tendre
dans le lit du cri de l’oiseau

je voudrais m’arrêter de vivre »

 

« Couple
corps et toi ensemble
couvrant
le bégaiement de la parole
et l’anarchie des mots
dans une vague de lumière

quand planent gestes et souffle affranchis
du choix des lèvres

viennent et se posent
dans le silence
pour me vêtir »

Carole MESROBIAN ( in recoursaupoeme.fr, octobre 2017).

*

« Alain Brissiaud est éditeur, libraire et poète. Editeur, il a notamment édité des auteurs de la Beat Generation ou de la Pataphysique comme Alfred Jarry.

Après un très beau premier recueil intitulé Au pas des gouffres, Alain Brissiaud nous propose un deuxième opus en cinq parties. Toujours, la poésie constitue un approfondissement de la langue qui révèle alors des étendues insoupçonnées. La langue est à la fois un véhicule pour naviguer sur l’océan de la conscience et un outil magique pour traverser les apparences et libérer toujours plus d’Être.

Si les mots révèlent ici l’extrême fragilité de ce qui se présente, la multiplication des impossibilités, l’écho d’un « ce qui demeure » s’impose avec une élégance rassurante. Peut-être juste la beauté, mais n’est-ce pas déjà l’infini ?

En cinq parties, Terre d’octobre, Balise de brume, La presqu’île, Les Yeux fermés, Communion solennelle, Alain Brissiaud invite et incite à l’intime, non l’intime personnel, mais l’intime indicible qui ne peut qu’être suggéré, pressenti.

Au bord de l’abîme, la langue se montre la seule solution ailée pour ne pas sombrer. »

Rémy BOYER (in incoherisme.wordpress.com, août 2017).

*

"C'est le second recueil d'Alain Brissiaud chez le même éditeur, aprèsAu pas du gouffre, en 2016. Cinq parties jalonnent ce nouvel opus, où l'on passe petit à petit de la réalité extérieure à l'intériorité profonde: successivement: "Terre d'octobre, journal", "Balises de brume", "La presqu'île", "Les yeux fermés", "Communion solennelle".

Dès les premières pages, il est question de paroes - d'alluvions et de promesses - dissoutes, mais c'est le mois, la saison ou le lieu qui garde le coeur du poème : Se noie dans le martèlement - de la rosée. Mais rapidement la houle osseuse laisse la place à celles à qui s'adresse le poème, la mère, la fille, la femme. Et les sentiments, et les émotions se mêlent pour évoquer l'amour aussi bien que la mort: je mettrai sur mon corps une bâche - un poème impraticable. Et un certain lyrisme teinte toutes ces pages où Alain Brissiaud tente de démêler les noeuds psychologiques dans leurs contradictions: Tu me tends d'impeccables nausées, ou plus simplement dans l'analyse lucide du déroulement mental: de vains soulèvements - cisaillent notre pensée.

Une emprise de la foi se fait sentir comme en atteste la partie finale, même si la révolte lui fait écrire: ô mon âme - devenue sciure... On a parfois l'impression d'être un peu à côté du dialogue instauré dans le poème, mais la conviction de l'auteur rétablit l'écoute."

Jacques MORIN (in revue Décharge n°176, décembre 2017).






Lectures :

" Réunit le journal tenu par le poète en 1946, l'année de son suicide dont il permet d'éclairer certaines zones d'ombre, quelques témoignages et études (Tristan Tzara, Stéphane Lupasco, Jean Cassou, Jean Follain, Guy Chambelland...), ainsi que l'intégralité de ses poèmes écrits entre 1940 et 1946."

Electre, Livres Hebdo, 2018.

*

" Le tapuscrit de ce journal fut retrouvé très récemment, en 2016, dans les archives de Sașa Pană, directeur de la revue Unu, proche d’Ilarie Voronca (1903 – 1946) et figure centrale de l’avant-garde roumaine. En 1946, Ilarie Voronca s’est donné la mort. Le journal permet de mieux comprendre ce qui l’aura conduit à ce geste puisqu’il rend compte de l’année 1946. Il faut noter que Voronca est l’un des rares roumains exilés à Paris qui reviendra régulièrement en Roumanie, amplifiant sans doute, par ses retours, de terribles déchirures. Nous découvrons dans ces pages la puissance de ses angoisses et de ses tendances suicidaires. L’errance de Voronca, territoriale et spirituelle, malgré le recours permanent à la poésie comme seule axialité, n’a pas été contenue par les amitiés de Brauner, Tzara et autres. Le talent et l’amour ne suffisent pas toujours à compenser l’arrachement.

« C’était la femme d’avant la séparation que je cherchais. La femme de maintenant m’offrait les rides de son visage comme celles de son âme mais moi, je m’obstinais à ne pas les voir. J’aurais voulu l’emporter hors de la pièce, telle qu’elle était et m’enfuir avec elle vers le rivage de la mer d’où un bateau devait me reconduire vers le pays où j’avais organisé ma vie. J’avais décidé d’emprunter la voie maritime parce que les routes terrestres étaient exposées à trop de fatigues et de périls. Mais la femme et les amis et les parents qui l’entouraient ne l’entendaient pas ainsi. Il fallait emporter une partie de ce qui avait constitué sa vie pendant les années de la séparation. Remplir des coffres et des valises avec les choses matérielles de sa vie. (…) Embarqués à Constantza, nous n’avons quitté le bord qu’après trois jours de mouillage. J’étais encore dans l’extase de l’incroyable réunion et la femme réelle avait encore tous les aspects de la femme de ma mémoire ! Ce n’est que le sixième jour, pendant une longue escale dans le port bulgare de Varna que les premiers symptômes d’une vie qui m’était inconnue, se manifestèrent. »

La lecture de ce journal démontrera une fois de plus que la poésie demeure bien supérieure à la psychologie dans la connaissance des méandres de la psyché.

La deuxième partie du livre rassemble divers témoignages de Tristan Tzara, Stéphane Lupasco, Georges Ribemont-Dessaignes, Jean Cassou, Jean Follain, Claude Sernet, Eugène Ionesco, Yves Martin, Alain Simon, Guy Chambelland.

Ecoutons Yves Martin :

« Relire Ilarie Voronca, non pas dans le douillet, le silence d’un appartement, mais dans les lieux où il a dû être tellement perdu, les lieux qui l’ont usé, broyé après bien d’autres, Voronca, tu marches, c’est toi dans ce coin de métro, c’est toi qui regardes les draps de la Mort que chaque matin étend derrière l’hôpital Lariboisière. Tu te demandes si parfois il y a des survivants. Tu es de toutes les rues de la capitale, celle qu’un peu de soleil fait bouger comme une ville du Midi, celles qui glissent insidieusement comme Jack L’Eventreur. C’est toi qui es sa victime. Toujours toi. Tu ne vis pas le danger. A force de rêver d’indivisibilité pour être mieux présent dans chaque homme, dans chaque objet, tu te crois réellement invisible… »

La troisième partie rassemble l’intégralité de l’oeuvre poétique d’Ilarie Voronca sous le titre Beauté de ce monde.

 

          Extrait de L’âme et le corps :

 

« Comme un débardeur qui d’un coup d’épaule

Est prêt à se décharger de son fardeau

Ainsi mon âme tu te tiens prête

A rejeter le corps sous lequel tu te courbes.

Est-ce pour quelqu’un d’autres

Pour un fossoyeur ou pour un prince

Que tu portes cette chair un instant vivante

Dont tu es étrangère et qui te fait souffrir ?

 

Ah ! Peut-être que celui qui t’a confié mon corps

A oublié de te montrer les routes ensoleillées

Et pour me conduire du néant de ma naissance à celui de ma mort

Tu t’égares entre les marais et les ronces.

 

Réjouissons-nous, mon âme, il y a par ici une ville

Où les femmes sont comme des fenêtres.

On reconnaît leurs sourires dans les vitraux des cathédrales

Leurs voix sont les parcs, les fils de la Vierge.

… »

 

Lisons et relisons Ilarie Voronca plutôt que le prix Apollinaire 2018, accordé lamentablement au médiocre Ronces de Cécile Coulon."

Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, novembre 2018).

*

Et enfin un volume qui convoque un poète rare : Ilarie Volonca, présenté dans une édition établie par Pierre Raileanu et Christophe Dauphin. Un Journal inédit et une anthologie de ses textes, Beauté de ce monde, qui offre un panel de poèmes classés par ordre chronologique, de 1940 à 1946. Là encore un paratexte riche et qui propose des éléments pour situer l’homme et l’œuvre. Poète français et roumain, cette figure-phare de la littérature de l’Est participe dans son pays de naissance à l’édification d’une avant-garde qui favorise l’émergence d’une modernité littéraire roumaine. Il fonde avec Victor Brauner la célèbre revue 75 HP qui perdure de nos jours.

Les anthologies publiées par Les Hommes sans Epaules, sont donc des volumes précieux, qui plongent le lecteur dans l’univers d’un auteur, pas uniquement grâce à ses productions artistiques. Elles entrouvrent la porte d’une intimité qui n’est qu’esquissée par les liens effectués entre les éléments biographiques purement factuels et une mise en situation historique. Le plus souvent engagés dans une démarche critique, les poètes dont il est question offrent matière à ce que le lecteur prenne connaissance de leur apport dans l’avancée d’une littérature qui peine à s’engager sur de nouvelles voies en ce début de siècle. Et que leur nom soit peu ou pas connu, il n’en demeure pas moins que Christophe Dauphin et Henri Rode savent où s’écrit la Poésie, de celle qui ne se taira pas.

Carole MESROBIAN (cf. "Les anthologies à entête des Hommes sans Épaules" in recoursaupoeme.fr, 4 janvier 2019).

*

Comment échapper à la fascination qu’exerce une œuvre poétique lorsque l’on sait par avance que l’on en sera la victime consentante ? Poète de deux langues, le roumain et le français, Voronca en est le parfait exemple lui qui se suicida en 1946 à l’âge de 42 ans. Sur la corde raide de la recherche d’identité, la fragilité et le doute le tenaillaient en permanence et ravageaient sa conscience.

Son « Journal inédit » enfin édité se lit comme un complément à cette œuvre poétique traversée par des éclairs d’espoir et de désespoir. On ne remerciera jamais assez Christophe Dauphin d’avoir regroupé en cet épais ouvrage ces deux volets complémentaires. Les poèmes sont regroupés sous le titre de l’un des poèmes emblématiques de Voronca : La beauté de ce monde. Certains de ces textes semblent prophétiques dans une dimension lyrique et visionnaire qui n’avait pas été entrevue lors de leur parution malgré l’attention et le dévouement des poètes résistants dans les années sombres de la deuxième guerre mondiale : les Ruthénois Jean Digot et Denys-Paul Bouloc ou, par la suite, les éditeurs posthumes que furent Guy Chambelland et Jean Le Mauve.

On lira aussi avec une attention particulière les contributions d’une quinzaine d’auteurs choisis pour évoquer les multiples facettes d’IlarieVoronca. Exégètes dévoués et compétents, Petre Raileanu et Christophe Dauphin ont réuni leur parfaite connaissance de cette œuvre majeure pour proposer un livre qui fera date.  

Georges CATHALO (cf. Lecture flash 2019 in revue-texture.fr, janvier 2019).

*



Lectures :

" Réunit le journal tenu par le poète en 1946, l'année de son suicide dont il permet d'éclairer certaines zones d'ombre, quelques témoignages et études (Tristan Tzara, Stéphane Lupasco, Jean Cassou, Jean Follain, Guy Chambelland...), ainsi que l'intégralité de ses poèmes écrits entre 1940 et 1946."

Electre, Livres Hebdo, 2018.

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" Le tapuscrit de ce journal fut retrouvé très récemment, en 2016, dans les archives de Sașa Pană, directeur de la revue Unu, proche d’Ilarie Voronca (1903 – 1946) et figure centrale de l’avant-garde roumaine. En 1946, Ilarie Voronca s’est donné la mort. Le journal permet de mieux comprendre ce qui l’aura conduit à ce geste puisqu’il rend compte de l’année 1946. Il faut noter que Voronca est l’un des rares roumains exilés à Paris qui reviendra régulièrement en Roumanie, amplifiant sans doute, par ses retours, de terribles déchirures. Nous découvrons dans ces pages la puissance de ses angoisses et de ses tendances suicidaires. L’errance de Voronca, territoriale et spirituelle, malgré le recours permanent à la poésie comme seule axialité, n’a pas été contenue par les amitiés de Brauner, Tzara et autres. Le talent et l’amour ne suffisent pas toujours à compenser l’arrachement.

« C’était la femme d’avant la séparation que je cherchais. La femme de maintenant m’offrait les rides de son visage comme celles de son âme mais moi, je m’obstinais à ne pas les voir. J’aurais voulu l’emporter hors de la pièce, telle qu’elle était et m’enfuir avec elle vers le rivage de la mer d’où un bateau devait me reconduire vers le pays où j’avais organisé ma vie. J’avais décidé d’emprunter la voie maritime parce que les routes terrestres étaient exposées à trop de fatigues et de périls. Mais la femme et les amis et les parents qui l’entouraient ne l’entendaient pas ainsi. Il fallait emporter une partie de ce qui avait constitué sa vie pendant les années de la séparation. Remplir des coffres et des valises avec les choses matérielles de sa vie. (…) Embarqués à Constantza, nous n’avons quitté le bord qu’après trois jours de mouillage. J’étais encore dans l’extase de l’incroyable réunion et la femme réelle avait encore tous les aspects de la femme de ma mémoire ! Ce n’est que le sixième jour, pendant une longue escale dans le port bulgare de Varna que les premiers symptômes d’une vie qui m’était inconnue, se manifestèrent. »

La lecture de ce journal démontrera une fois de plus que la poésie demeure bien supérieure à la psychologie dans la connaissance des méandres de la psyché.

La deuxième partie du livre rassemble divers témoignages de Tristan Tzara, Stéphane Lupasco, Georges Ribemont-Dessaignes, Jean Cassou, Jean Follain, Claude Sernet, Eugène Ionesco, Yves Martin, Alain Simon, Guy Chambelland.

Ecoutons Yves Martin :

« Relire Ilarie Voronca, non pas dans le douillet, le silence d’un appartement, mais dans les lieux où il a dû être tellement perdu, les lieux qui l’ont usé, broyé après bien d’autres, Voronca, tu marches, c’est toi dans ce coin de métro, c’est toi qui regardes les draps de la Mort que chaque matin étend derrière l’hôpital Lariboisière. Tu te demandes si parfois il y a des survivants. Tu es de toutes les rues de la capitale, celle qu’un peu de soleil fait bouger comme une ville du Midi, celles qui glissent insidieusement comme Jack L’Eventreur. C’est toi qui es sa victime. Toujours toi. Tu ne vis pas le danger. A force de rêver d’indivisibilité pour être mieux présent dans chaque homme, dans chaque objet, tu te crois réellement invisible… »

La troisième partie rassemble l’intégralité de l’oeuvre poétique d’Ilarie Voronca sous le titre Beauté de ce monde.

 

          Extrait de L’âme et le corps :

 

« Comme un débardeur qui d’un coup d’épaule

Est prêt à se décharger de son fardeau

Ainsi mon âme tu te tiens prête

A rejeter le corps sous lequel tu te courbes.

Est-ce pour quelqu’un d’autres

Pour un fossoyeur ou pour un prince

Que tu portes cette chair un instant vivante

Dont tu es étrangère et qui te fait souffrir ?

 

Ah ! Peut-être que celui qui t’a confié mon corps

A oublié de te montrer les routes ensoleillées

Et pour me conduire du néant de ma naissance à celui de ma mort

Tu t’égares entre les marais et les ronces.

 

Réjouissons-nous, mon âme, il y a par ici une ville

Où les femmes sont comme des fenêtres.

On reconnaît leurs sourires dans les vitraux des cathédrales

Leurs voix sont les parcs, les fils de la Vierge.

… »

 

Lisons et relisons Ilarie Voronca plutôt que le prix Apollinaire 2018, accordé lamentablement au médiocre Ronces de Cécile Coulon."

Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, novembre 2018).

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Et enfin un volume qui convoque un poète rare : Ilarie Volonca, présenté dans une édition établie par Pierre Raileanu et Christophe Dauphin. Un Journal inédit et une anthologie de ses textes, Beauté de ce monde, qui offre un panel de poèmes classés par ordre chronologique, de 1940 à 1946. Là encore un paratexte riche et qui propose des éléments pour situer l’homme et l’œuvre. Poète français et roumain, cette figure-phare de la littérature de l’Est participe dans son pays de naissance à l’édification d’une avant-garde qui favorise l’émergence d’une modernité littéraire roumaine. Il fonde avec Victor Brauner la célèbre revue 75 HP qui perdure de nos jours.

Les anthologies publiées par Les Hommes sans Epaules, sont donc des volumes précieux, qui plongent le lecteur dans l’univers d’un auteur, pas uniquement grâce à ses productions artistiques. Elles entrouvrent la porte d’une intimité qui n’est qu’esquissée par les liens effectués entre les éléments biographiques purement factuels et une mise en situation historique. Le plus souvent engagés dans une démarche critique, les poètes dont il est question offrent matière à ce que le lecteur prenne connaissance de leur apport dans l’avancée d’une littérature qui peine à s’engager sur de nouvelles voies en ce début de siècle. Et que leur nom soit peu ou pas connu, il n’en demeure pas moins que Christophe Dauphin et Henri Rode savent où s’écrit la Poésie, de celle qui ne se taira pas.

Carole MESROBIAN (cf. "Les anthologies à entête des Hommes sans Épaules" in recoursaupoeme.fr, 4 janvier 2019).

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Comment échapper à la fascination qu’exerce une œuvre poétique lorsque l’on sait par avance que l’on en sera la victime consentante ? Poète de deux langues, le roumain et le français, Voronca en est le parfait exemple lui qui se suicida en 1946 à l’âge de 42 ans. Sur la corde raide de la recherche d’identité, la fragilité et le doute le tenaillaient en permanence et ravageaient sa conscience.

Son « Journal inédit » enfin édité se lit comme un complément à cette œuvre poétique traversée par des éclairs d’espoir et de désespoir. On ne remerciera jamais assez Christophe Dauphin d’avoir regroupé en cet épais ouvrage ces deux volets complémentaires. Les poèmes sont regroupés sous le titre de l’un des poèmes emblématiques de Voronca : La beauté de ce monde. Certains de ces textes semblent prophétiques dans une dimension lyrique et visionnaire qui n’avait pas été entrevue lors de leur parution malgré l’attention et le dévouement des poètes résistants dans les années sombres de la deuxième guerre mondiale : les Ruthénois Jean Digot et Denys-Paul Bouloc ou, par la suite, les éditeurs posthumes que furent Guy Chambelland et Jean Le Mauve.

On lira aussi avec une attention particulière les contributions d’une quinzaine d’auteurs choisis pour évoquer les multiples facettes d’IlarieVoronca. Exégètes dévoués et compétents, Petre Raileanu et Christophe Dauphin ont réuni leur parfaite connaissance de cette œuvre majeure pour proposer un livre qui fera date.  

Georges CATHALO (cf. Lecture flash 2019 in revue-texture.fr, janvier 2019).

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Critiques

  

" Lisez ce beau recueil qui convie le lecteur à une recherche patiente, là où jour et nuit se mélangent en de curieuses et bouleversantes alchimies, alors que l’instant, par sa fragilité même, ouvre les chemins de la durée: (...) il te faudra te ressaisir, / recommencer contre l’obscurité, / l’amenuiser de son triomphe même, / tenir des promesses précaires. Car il s’agit bien d’un perpétuel recommencement, non sans douleur, mais sans amertume, puisque cette vie quotidienne et menacée doit conduire à sa propre naissance. "

Catherine FUCHS, in La Revue de Belles-Lettres, n° 2, 1995, p. 137.


" Dans les trois parties de cet ouvrage […], Paul FARELLIER se met à l’épreuve, avec une rigueur impitoyable et douce. Être est d’abord descendre en soi, avec certitude et quelque effroi mais c’est aussi en venir à ce point d’acuité qui épouse les choses défaites, jusqu’à délivrer « le flux rapide de l’éternel ». […] Toujours, Paul FARELLIER a un sens aigu des pouvoirs de perception : la moindre vibration libère un sens multiple, une lumière dont l’excès serait mortel. La fin provisoire du chemin, dans la complexité indiscernable, s’émerveille des cris les plus élancés malgré la lancinante prison intérieure. Un secret, terrible, rassurant, veille. "

Gilles LADES, in Friches, n° 45, hiver 1994.




Critiques

"Je voudrais pointer deux poètes qui incarnent un mouvement nouveau de la poésie française actuelle : l’un, Matthieu Baumier, avec Le silence des pierres (Le Nouvel Athanor), porteur d’une révolte blanche, froide et implacable ; l’autre, Christophe Dauphin, avec L'ombre que les loups emportent, poèmes 1985-2000 (Les Hommes sans Epaules éditions), porteur d’une révolte noire, fraternelle et conquérante. Les deux arpentent les terres de la poésie d’un pas ferme et avec une écoute chasseur expérimenté. Que leur prend-il alors de se dresser soudain ? Pourquoi veulent-ils en découdre, alors que leur culture devrait les attirer vers une poésie sagement communautaire ? Il y a chez l’un et l’autre la conviction que le « Recours au poème » agirait  comme une arme salvifique sur le monde d’aujourd’hui ou que le poète est aujourd’hui le dernier « porteur de feu » nécessaire pour produire un lendemain. Fini donc le temps des recherches formelles, des plaintes délicates et lointaines ! Aujourd’hui – soudain – une gravité (Baumier) une urgence (les deux), une ivresse (Dauphin) mobilisent le poète au-delà de lui-même, le forcent (Baumier) ou l’exaltent (Dauphin) à sortir la poésie de sa dimension littéraire (synonyme d’échangeable, discutable, comparable…), pour revenir à sa dimension première qui est le débordement, l’impatience, l’inévitable, l’obligation d’une lutte à bras-le-corps contre le destin, qu’on pourrait définir en mots actuels comme une aspiration incontrôlable et séculaire à se défaire de l’idée de l’homme. Comme rappelée à sa vocation, leur poésie se condense, se fait muscle, arme et entraîne vers les horizons de « l’après fin du monde » (où nous sommes)… Il est aussi significatif de noter que l’un et l’autre animent collectivement des communautés de poètes à travers le site poétique de « Recours au poème » pour Matthieu Baumier et la revue « Les Hommes sans Epaules » pour Christophe Dauphin…

La poésie de Christophe Dauphin, comme l’introduit Jean Breton dans sa préface à L’ombre que les loups emportent, est un « feu » et « un coup de poing ». L’autre élément immédiatement pointé dans la préface et que je rejoins plutôt deux fois qu’une, c’est celui de guide lyrique qu’incarne Christophe Dauphin. Un guide sûr, généreux, solaire, riche d’une confiance jamais entamée. Un guide pour un combat toujours à mener : « Battons-nous jusqu’au jaillissement de l’homme », un soleil qui se fait noir par son besoin de justice et sa volonté de tenir l’homme libre. Plonger dans cette anthologie de près de cinq cents pages, c’est prendre l’océan d’assaut, retrouver l’appétit du large, des grands espaces et des rencontres. Essayons d’ordonner les impressions et sentiments que la lecture de ces poèmes souleva au long de cette traversée. 

La première est la joie de retrouver si vivante la grande veine du surréalisme ; ainsi donc sa vitalité, son immédiateté ne sont pas mortes. Des poètes la portent fièrement et usent de  ses moyens splendides. Exemples : « il est minuit / vos doigts ne servent à rien », ou « ton nom est la lame de mon couteau », ou « après la lune au regard d’ange, l’ouragan marche sur des planches ».

La deuxième est le plaisir, si rare, de trouver un grand poète français, c’est-à-dire, qui connaît le pulpe de notre langue et retrouver ces accents classiques qui donnent envie d’apprendre par cœur ses vers pour les réciter. Exemple : « Je suis l’enfant du grenier / où rien ne bouge » ou « Paris le bleu des vagues et l’ombre des réverbères ».

La troisième est la satisfaction d’un poète qui ose tout : le journalisme, le manifeste, le pamphlet, l’aphorisme, la prose, la vitesse, le collage, le parti-pris, le croc-en jambe. Le poète est un animal dangereux quand il traverse la rue. Exemple : « Je parle droit je parle net / je ne ravale pas mon crachat », ou « Mon adolescence fut banlieusarde /Une nuit noire à pied de biche / cigarette en main ».

La quatrième est la gravité d’approcher des confidences d’un cœur doué pour la rencontre, attentif, à l’écoute, qui accepte de se perdre dans l’échange. Exemple qui me touche particulièrement : « Le jour commençant / me dit Elodia Turki / ne dicte rien et nous devance », ou encore son attachement à une fraternité, sa reconnaissance et sa fidélité à une communauté  de poètes et d’amis : « Dans la nuit mes amis / je retrouve vos visages ».

La cinquième est la complicité secrète à son anarchie qui mélange un communisme social et une protestation lapidaire proche de la Beat Generation (pensez au « Blind poet » de Ferlinghetti) ; « « le consommateur est un citoyen raté ». Ou « Choisissez vos armes : la Colère, la révolte ou l’Amour » (je suppose que Dauphin n’a pas choisi et a pris les trois). Ou « Un poète est un coup de poing dans la gueule du réel ». A lire intégralement, son poème « cela ne se discute même pas », dont je ne résiste pas au plaisir de vous donner quelques vers : « plutôt Maïakovski que le parti (..) / plutôt ma femme que la tienne ( ..) / plutôt mon enfance que mon adolescence ( ?..) / plutôt le nœud que le papillon (..) / plutôt le cri que le silence / plutôt la boucle que l’oreille (..) / plutôt oui que non (..) » La sixième est une adhésion profonde à l’ambition humaniste de sa poésie, fût-elle empreinte d’une volonté d’effacer Dieu de tout horizon (« Plutôt l’homme que Dieu »), car on ne peut trouver Dieu qu’en cherchant l’homme. Et c’est pourquoi, bien souvent, la poésie des poètes communistes, dont Dauphin est le fils spirituel, par leur simplicité et leur élan me semble porteuse d’une foi plus vivante (et plus riche) que bien des poètes chrétiens. Exemple : « Je est un pluriel de paupières / le poème est une rencontre humaine », ou « Mon usine / c’est l’amour que le poète construit / pour les autres – presque tous les autres ».  

On ne peut que regretter le manque d’intérêt des grands critiques pour ce qui se passe en poésie. Pourquoi condamner au silence la vie et le dynamisme  qu’on y trouve ? Pourquoi retirer cette pièce maîtresse de la création ? J’avoue ne pas comprendre. "

Pierrick de CHERMONT (in revue Nunc n°31, octobre 2013).

 

"J’ai eu la chance, enfin, de lire Christophe Dauphin il y a quelques années seulement. Que de temps perdu jusque là ! Et depuis sa parole, si proche, si justement essentielle, ne m’a pas quitté. Comme une voix d’ami dans les joies et dans les peines. Puis, lors d’un Printemps des Poètes, j’ai eu cette fois l’heur de passer deux jours avec lui, dans l’Eure justement, son département aimé. Nous étions un peu comme Laurel (moi) et Hardy (lui). Mais j’ai compris que cet homme intègre, vrai, serait effectivement un ami désormais quoi qu’il advienne : sa voix et lui ne faisaient qu’un. Et si j’ose parler d’amitié, de cette valeur suprême qui nous est commune, c’est que nous habitons tous deux sur une même île ouverte à tous les vents, tenus par la même conviction inébranlable quant à l’urgence du rêve et de la poésie. Comme moi, entre l’amour et la révolte, il choisit l’amour et la révolte ! Et je reçois aujourd’hui L’ombre que les loups emportent comme la confirmation de ce qui nous unit.

À voir l’ouvrage, on pense tenir là un pavé romanesque. Ou alors une de ces anthologies dont l’auteur a le secret : 461 pages ! Un ouvrage à la taille de ce colosse qui impose par sa stature avant d’en imposer par sa parole. Quelle audace ! Aucun poète n’ose aujourd’hui publier de tels volumes. On trouve dans L’ombre que les loups emportent les poèmes publiés par Christophe Dauphin de 1985 à 2000. À 32 ans, il avait déjà une œuvre derrière lui. Et quelle œuvre !

Dès ses premiers textes en 1985 (comme un Rimbaud, il n’a alors, et peut-être à jamais, que 17 ans) ce chantre de l’émotivisme écrit que « l’amour est à réinventer » et cet aphorisme augure, et ce de façon magistrale, de l’œuvre qui suivra. Dès ce moment, la poésie de Christophe claque, cogne et caresse comme une évidence et avec une sûreté extraordinaire qui n’est agie par nulle certitude mais par la vraie rébellion, par le plus brûlant amour. Christophe Dauphin nous fait croire plus que jamais à cette aventure fabuleuse des mots de sang qui est l’honneur des hommes.

Avec lui, la poésie est belle et rebelle. Belle parce que rebelle quand « La révolte et l’amour logent dans l’étoile de nos pas ». Belle aussi contre tous ceux qui voudraient enterrer le mot « beauté ». Nous avons là une écriture quasi incendiaire (le feu y est aussi présent que le cri), une poésie du sens multiplié bien au delà de cette polysémie absconse des petits maîtres qui trop souvent confine à l’insignifiance.

Il a trouvé le juste accord, la tonalité exacte de l’image surréaliste à hauteur d’homme. Une image d’une extraordinaire sensualité : « tes jambes prennent leur source dans mes mains » ; « ce sont les femmes qui m’inventent » ; « c’est une femme / Enroulée comme une bague autour de moi »… L’envie me prend de tout citer.

Dauphin, un grand poète ? Au diable ces qualificatifs éculés ; la poésie n’a pas à être grande mais à être vraie. J’ose dire ici simplement que Christophe Dauphin est peut-être le plus vrai poète français de ce temps."

Guy ALLIX (in Mediapart, le 1er décembre 2012).

 

"Les textes. L’acte créateur et vivificateur de donner, de se donner. De compromettre l’instance de repli, de retrait, pour l’amour d’une attente, d’une exigence, d’un simple relais dans le geste salvateur, instrumental du livre, dans le geste de penser, de dire, de transcrire : l’ensemble des recueils de Christophe Dauphin, s’étendant sur plusieurs années, pourrait s’entendre comme vingt-quatre heures de la vie d’un corps. D’un corps assurément né en poésie, à vocation précoce, fertilisant jusqu’à l’extrême de par ses forces et ses intentions, de par ses rigueurs oblatives, le mouvement même de la vie, et en lequel les fastes de tous les désirs sans faille ni dichotomie, à parts égales, dans une vigueur unitive, au plus profond s’inscrivent. Un corps d’un réservoir infini, une grille, une arche poétique, perpétuellement en alerte, un de ces « qui-vive », captant toutes les espèces d’étincelles, des plus fondamentales, des plus matérielles aux plus oniriques, et qui n’en aurait jamais fini de se tendre, d’éprouver, de se confronter. Vingt-quatre heures de la vie d’un corps qui naît sans discontinuer de sa quête, ses prismes intrinsèques, aussi de sa présence aux événements du monde, y apportant son « commentaire », au plus vrai, son commentaire concret et substantiel, au sens de se rendre au mystère, au sens de vivre et d’aimer, agissant pragmatiquement par le biais des écrits, érigeant sa beauté inté-rieure en vindicte, versant l’action des lettres dans l’indigence et l’immobilisme. Il y a, dans cet homme qui consigne, un chirurgien averti qui traite, avec les instruments de la parole et des signes, les plaies et les ulcères de son temps. Il y a un homme qui opère avec justesse et précision, les yeux ouverts sur l’infection, et s’achemine de guerre en guerre, de passion en passion, vers l’ouvert et la transparence. Car jamais les mains du poète ne se déprennent du matériau vivant, jamais elles ne battent pour leur propre compte ; je le répète, il y a dans sa cure d’écriture, une morsure guérissant tous les maux du dégoût de l’injustice et de la solitude. Christophe Dauphin est un meneur de rêves, de rêves solides, coriaces, de rêves d’élite qu’il lance dans le feu de toutes les batailles. Dressé, toujours nouveau dans son armement sensuel de mots - chez lui le verbe a un sexe -, dans une poétique efficiente du partage et de l’engagement. Car le comble de Christophe Dauphin est cette générosité de l’intelligence. Pour preuve, je cite l’ensemble de l’oeuvre et l’ensemble du corps, d’un seul tenant, prêt à défier, au seuil d’un poème d’avenir, tous les carcans de la désespérance."

Odile COHEN-ABBAS (in Les Hommes sans Epaules n°35, 2013).

 

"Christophe Dauphin est un poète majeur du monde contemporain, un poète qui assume pleinement la fonction d’éveilleur, fonction traditionnelle du poète. C’est dans le choix de l’alternative nomade que Christophe Dauphin transmet, avec une grande originalité, non une connaissance, mais un art de se relier librement au réel.   Il maintient en alerte, une double alerte, l’une pour la personne afin qu’elle ne se laisse pas engluer par la bêtise envahissante, l’autre à la l’individu, la part indivisible, afin qu’elle préserve les chemins sinueux qui conduisent à l’être. Poèmes de queste, profondément initiatiques, voyages au centre de soi-même, ses textes sont sans concession au monde des apparences. C’est le réel qu’il veut, et rien d’autre, ce réel qui pointe dans le temps du rêve où les mots se défont pour s’assembler dans une langue inconnue qui résonne comme la cloche du monastère qui annonce l’heure du silence, tout prêt du sommet de la montagne. Réenchantement des mondes, les poèmes de Christophe Dauphin libèrent les espaces des carcans de préjugés des mondes normés afin que l’esprit se déploie. Après Totems aux yeux de rasoir, poèmes 2001-2008, ce nouveau recueil rassemble les poèmes de la période 1985-2000 dans un volume de près de 500 pages. Essayiste et critique littéraire, Christophe Dauphin, inscrit consciemment dans le poème continu de la vie, laisse une trace subtile avec l’encre des émotions."

Rémi BOYER (in incoherism.owni.fr, le 1er décembre 2012).

 

"Imprégné par les avancées du Surréalisme, Christophe Dauphin s’en est dégagé autant par son inspiration que par son écriture. Son livre est par excellence la  somme qui le prouve. Elle permet aussi de voir un pan du chemin de celui qui caresse l’utopie comme il ouvre parfois à des chants moins sereins. Adepte des voyages sous toutes ses formes, « par la rivière Kwai » comme sur « les pas de Baudelaire dans les voiles », de la nuit mexicaine aux  touffeurs de Samarkand,  à travers un tableau de Monet, de Madeleine Novarina ou de Frida Khalo le poète est  toujours au plus près de la vie : le monde est là. L’idéalisme du poète ne l’expurge pas de ses miasmes. De même sa propension à l’absolu ne prive pas le lecteur de toute une sensualité. Dauphin crée une œuvre qui se dérobe à l’ombre même s’il se dit « un crépuscule aux mains coupées ». Et si la poésie ne sauve pas elle cicatrise un peu. Certes la peau est souvent prête à éclater à nouveau, le sang pulse mais il n’empêche que l’écriture métamorphose tout – jusqu'au « collier de Buick et de Lada » sur l’île de Cuba.      

Il existe dans une telle œuvre des sortes de narrations plastiques poétiques qui forcent l'espoir en luttant contre la réalité lorsque nécessaire. L’écriture est donc la source de la résistance à la vérité instrumentalisée comme à l’amour déçu. La femme y est d’ailleurs présente de manière paradoxale, hors champ. Et le poème devient parfois par-delà la douleur  le lieu sourd de rêves provoqués par les attentes que la femme comme les lieux provoquent. Dans ces derniers réside toujours quelque chose d’intime qui joue de l’entre deux : l’ici et le là-bas, l’avant et l’après.      

Le visible et l’énoncé  suggèrent de l’invisible et du tu, du nous, du liant et du lien – c’est d’ailleurs une idée mère chez Dauphin. Un tel livre permet de traverser les couches sédimentaires  d’une œuvre et d’une existence. Certes son contenu ne se confond pas avec le signifié. Dauphin élabore des énoncés qui n’ont rien de « médico-légaux». Ils expriment un état particulier  de la visibilité du monde et de la profondeur des émotions et leur charge d'ineffable que l’artiste engendre et  nourrit.  Chaque texte révèle le cri de vie, d'amour, d'exigence intérieure. C’est pourquoi il se conçoit comme un espace à relire et relire pour découvrir ce qu’il en est - par-delà le poète - de l’être  et de ce qui le met en question et l’affecte dans sa relation au monde. "

Jean-Paul GAVARD-PERRET (in incertainregard.hautetfort.com, 7 octobre 2012).

 

"Ce n'est pas la première fois que Christophe Dauphin rassemble dans un gros livre ses poèmes de longues périodes de son passé, soit une production incroyablement imposante. Ce fut d'abord Totems aux yeux de rasoir, poèmes 2011-2008 (lire Inédit Nouveau n°248) et maintenant L'ombre que les loups emportent, qui rassemble les poèmes publiés et/ou inédits, de la période allant de 1985 et 2000. Par conséquent cette fois, des poèmes de jeunesse. On y retrouve d'ailleurs les préfaces, très instructives, de Jean Breton, Henri Rode et Alain Breton. Le temps écoulé indique que le poète a changé, et cela aussi aide à mieux comprendre les différences. car Dauphin  ne cesse de modifier son approche de la poésie. Il a même lancé le terme d'"émotivisme". Pas pour se séparer de son surréalisme d'origine, auquel il reste absolument fidèle, mais pour marquer sa place dans l'histoire littéraire... Dauphin n'hésite pas à présenter ses successives admirations, sinon ses révoltes, comme cela est le cas, à travers l'assassinat de Malik Oussekine en 1986, mais aussi ses réflexions, qui le construisent aux yeux du lecteur. Quelques exemples: "L'amitié, je la porte comme une écharpe qui réchauffe", ou: "Un ami est quelqu'un avec qui on peut se taire sans s'ennuyer." Un peu plus loin, c'est la poésie qui prend le relais: "Il n'y a que la poésie qui soit vie, tout le reste n'est que boniments." Plus loin encore, Rode le signale: "Christophe Dauphin sait exalter les grands humiliés du temporel par le sentiment", et lui-même refuse "le mètre classique." D'un voyage au Mexique, il a rapporté Frida Kahlo et toute la civilisation aztèque. Décidément, Dauphin est un poète du monde entier ! "

Paul VAN MELLE (in Inédit Nouveau n°260, janvier 2013, La Hulpe, Belgique).

 

"Avec L'ombre que les loups emportent, Christophe Dauphin rassemble ses poèmes de 1985 à 2000. A ceux qui croient que le surréalisme est mort comme à ceux qui espèrent qu'il est (vraiment) toujours vivant, je conseille cet ouvrage constellé de comètes verbales et d'aphorismes pyrotechniques: "Le printemps est un révolver d'herbes claires". "Il est minuit - Vos doigts ne servent à rien". "La nuit est une gare aux pas invisibles". Oui, le surréalisme - mais humaniste et pas dictatorial à la Breton - est bien vivant. Christophe Dauphin l'actualise sous le nom d'émotivisme."

Roland NADAUS (in Le Petit Quentin n°283, mars 2013).

 

CE POETE SE NOURRIT DE LA VIE. 

" Seule la poésie est vie, tout le reste n'est que boniment ou subsistance", entend démontrer le poète Christophe Dauphin, dans L’ombre que les loups emportent. Christophe Dauphin signe un recueil de poèmes en prise directe avec le monde. Reconnu par le milieu littéarire, l'artiste est originaire de Nonancourt (Eure) où il naît en 1968, dans une demeure de famille acquise depuis plusieurs générations. Il y vit avec ses grands-parents jusqu’à l’âge de 3 ans avant de rejoindre ses parents à Colombes (Hauts-de-Seine). Leur logement surplombe un bidonville où survivent des immigrés de tous bords politiques. L’enfant n’a pas pleinement conscience de cette situation potentiellement explosive mais il observe et s’imprègne de ces images. Pendant les vacances, il retourne dans l’Eure. Son grand-père lui transmet son esprit d’« ouverture culturelle, sa fibre littéraire et sa passion de l’Histoire ». A 9 ans, Christophe découvre Napoléon, Flaubert et Maupassant. Il lit, dessine, s’interroge à propos de la Société et écrit des poèmes. Cette enfance, suivie d’une adolescence tourmentée, constitueront la « matière vivante » de son art poétique. « On naît et on est poète », dit-il. Christophe rencontre des hommes illustres (Léopold Senghor), des écrivains, des poètes (Jean et Alain Breton, Henri Rode). Il se reconnaît dans le surréalisme (une influence qui correspond à l’intrusion du rêve dans la réalité) et dans un courant de la poésie contemporaine dénommé La Poésie pour vivre qui se veut non-élitiste, « émotiviste »* et en lien avec le monde. Jean Breton le définit comme « le poète-phare de sa génération ». A 45 ans, l'Eurois a derrière lui une œuvre constituée d’une trentaine de recueils, essais, anthologies, critiques littéraires. Il est aussi Directeur de l’une des plus prestigieuses et ancienne revue Les Hommes sans Epaules.

* La poésie émotiviste par l’exemple : « Le cœur en papillote - Je tremble d’amour - Dans le calme d’une rue peinte par Giorgio de Chirico » : devant une œuvre plastique du peintre italien Chirico, « chef de file de la peinture métaphysique », le poète ressent une émotion intense proche du sentiment d’amour. « Si le mot oiseau ne vole pas - l’idée me donne des ailes » : l’auteur fait appel à un souvenir. Son ami poète Jean Rousselot lui avait dit que « le mot oiseau comportait toutes les voyelles et que c’était ce qui lui donnait des ailes ». Ici, le poète utilise le pouvoir des mots pour signifier que le mot oiseau vole. « Ne lâche jamais la vie - elle te lâchera elle-même - toujours assez tôt » : en faisant sienne la pensée « Je cherche l’or du temps » d’André Breton, fondateur du surréalisme, l’auteur signifie qu’il faut savoir saisir les doux moments de la vie.

Marie-France Escofier (in Paris Normandie, 25 mars 2013).

 

"Si vous vous interrogez sur ce qu'est devenu le dadaïsme, le surréalisme, le communisme, la beat generation, ces courants que la flamme poétique embrasa, lui donnant son excès, sa révolte, sa vitesse, son immédiate simplicité, et que vous regardez notre siècle comme une plage à marée basse où le sable, à peine mouillé, si peu scintille et la mer, si loin, trop se confond avec un ciel irréel, ouvrez, ouvrez cette anthologie des poèmes de Christophe Dauphin. Tout est là, généreux, ouvert, fraternel. Aucune nostalgie, mais "la même innocence essentielle" comme l'écrivit Henri Rode. La discussion à peine interrompue, reprend. La parole retrouve ses habits du grand libre. Tout redevient force, envie, combat, rêve, camaraderie. La poésie, à nouveau prolixe, arrose tout ce qu'elle touche, ravive, rafraîchit, reprend le combat au nom de la conscience universelle, se laisse pénétrer par le monde; mourra - nous le savons - sera "l'ombre que les loups emportent", mais les chants qu'elle nous offre, nous feront frères et soeurs des étoiles, des fleuves, des rêves des hauts fonds qui nous rendent plus grands que nos larmes. Dites avec lui, au moins une fois: Je parle de l'homme libre - L'homme aux paupières de fleurs électriques - Que j'étais - Je suis - Je serai."

Pierrick de Chermont (in revue Nunc n°30, juin 2013).

"Selon moi, Christophe Dauphin écrit à main armée. Puisqu’ici c’est le poète qui est évoqué, il est inimaginable - comme pour Michel Voiturier - de concevoir son travail de création annexe ou parallèle à celui du critique, du biographe, de l’animateur des Hommes sans Épaules, agitateur de mémoires sans nostalgie et sentinelle insomniaque sur la ligne de front de la création contemporaine. Il propose dans ses poèmes une lecture boulimique de l’existence, de l’être pris au piège des désirs les plus inutiles de l’humain, ce qui revient à dire : vivre. Christophe Dauphin propose de vivre. Contre la pédanterie, parfois contre soi. Même. N’aurait pas manqué d’ajouter Rrose Sélavy. Christophe Dauphin n’est pas un poète de Poësie, mais de l’intelligence au service d’un quotidien. Il évoque Malik Oussekine. Son poème ne prend pas de coups : il saigne. Christophe Dauphin est l’instant même. Il est toujours possible de dévier avec les fausses toiles « sur le motif » des Impressionnistes d’aujourd’hui. Toute modernité qui se prévaut d’elle est mondaine. Christophe Dauphin comme Michel Voiturier sont aujourd’hui et n’ont pas besoin de se prétendre poètes pour donner ce qu’aucune autre forme de langage n’aborde. Rentrer ici dans les diverses conceptions de la poésie - chacune jamais partagée que par celui-là même qui a développé la sienne - est futile. Lorsque je lis ou entends des poèmes de ces deux-là, unis par l’amitié qui me lie à chacun d’eux, j’espère fermement que c’est bien de cela qu’il s’agit : s’entretenir.

Éric SÉNÉCAL (in Les Hommes sans Epaules n°37, 2014).

*

"Poésie de l'émotion qui s'insurge contre les maux du siècle."

Electre, Livres Hebdo, 2013.

*

Je n’imaginais pas écrire une lettre ouverte aujourd’hui. Mais Jean-Pierre Thuillat me rappelle amicalement que je n’en ai pas écrit depuis longtemps pour la revue. Et comme je viens de consacrer une émission RCF (« Dieu écoute les poètes ») à Christophe Dauphin, j’ai pensé que je pourrais la prolonger ici, dans ce numéro 118 de Friches.

Justement, commençons : Christophe Dauphin s’auto-proclames athée, parfois à grand renfort d’imageries surréaliste : il a écrit, par exemple, une charge violente contre et pour (« Thérèse, Cantate de l’Ange vagin », éditions Rafael de Surtis, 2006) celle que j’appelle « ma copine » : Thérèse Martin, plus connue sous le nom de sainte Thérèse de Lisieux et à laquelle j’ai, alors maire de Guyancourt, consacré une voie publique… parce qu’elle était aussi poète… Il est vrai que cette grande petite sainte est, comme Dauphin, Normande et que ce dernier porte en lui profondément ce que Léopold Sédar Senghor, dont il fut l’ami et par certains côtés le disciple, appela sa « normandité ». L’œuvre poétique de Christophe Dauphin y fait très souvent référence avec bonheur et il a même consacré une belle anthologie aux poètes en Normandie du XIe siècle à nos jours : « Riverains des falaises » (éditions clarisse, 2012).

A propos de l’anthologie, Dauphin, qui est un boulimique de la lecture et de l’écriture, a également publié « Les riverains du feu » (Le Nouvel Athanor, 2009), un ouvrage anthologique dédié aux poètes qu’il rassemble sous le vocable émotivisme ». Ce concept, qu’il développe et qu’il illustre de cinq cents pages et qui reprend des extraits de recueils de plus de deux cents poètes (!), est au cœur de sa pensée et son écriture.

Car si Christophe Dauphin s’insère dans une filiation surréaliste, ce n’est pas pour singer un mouvement disparu, mais au contraire pour en poursuivre l’esprit – dont il juge qu’il est toujours extrêmement vivant. Et il est vrai que ses poèmes brillent souvent d’un éclat surprenant grâce aux images dont il a le secret et qui laissent le lecteur pantois et admiratif devant leur inventivité et leur puissance. Dans son recueil, « Le gant perdu de l’imaginaire » (Le Nouvel Athanor, 2006), qui est un choix de poèmes écrits entre 1985 et 2006, on en trouve à toutes les pages, ainsi à la première :

 

« La lune a mis ses bretelles sur l’idée de beauté

Un train déraille dans la bouteille de la nuit

Il est temps de décapiter la pluie

D’égorger l’orage… »

 

Mais si j’ouvre ce beau recueil  à n’importe quelle autre page, je reconnais le poète prince de l’image, roi de la métaphore :

« Le sourire d’une femme est la lame de fond du regard

Debout entre trois océans »

Il faudrait aussi parler de son livre « Totems aux yeux de rasoirs » (éditions Librairie-Galerie Racine, 2010), préfacé par son ami Sarane Alexandrian, qui fut le très proche collaborateur d’André Breton et le directeur de la revue « Supérieur Inconnu », à laquelle Dauphin collabora. Ou bien encore parler de ce gros ouvrage recueillant des poèmes, des notes, des aphorismes : « L’ombre que les loups emportent (Les Hommes sans Epaules éditions, 2012). Henri Rode surnomme Christophe Dauphin « l’ultime enfant du siècle et la fête promise ». C’est que, très tôt, dauphin a senti bouillonné en lui la poésie, indissociable de la révolte et de l’amour.

L’amour n’est d’ailleurs pour Dauphin pas loin de l’amitié à laquelle il sacrifie fidèlement notamment à travers la revue qu’il dirige : « Les Hommes sans Epaules », qui a d’ailleurs consacré une anthologie à ses collaborateurs de 1953 à 2013 sous le titre « Appel aux riverains » (Les Hommes sans Epaules éditions, 2013). A ce propos, il faudrait aussi évoquer son œuvre considérable de critique littéraire et de critique d’art. Dauphin a décidément une capacité de travail et de création qui, au sens propre, m’époustouflent !

Et comme il est encore jeune, bien que dans l’âge mûr, je lui souhaite de continuer ainsi avec la même vigueur et la même ferveur. Maintenant qu’il est devenu secrétaire général  de l’Académie Mallarmé, il n’en aura que plus de force pour défendre et illustrer la poésie contemporaine, et pour soutenir ses créateurs.

Fraternellement en notre diversité,

Roland NADAUS (cf. « Lettre ouverte à Christophe Dauphin », in revue Friches n°118, mai 2015).

 




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