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Critiques

"La joie comme la peine se mesurent en centigramme." (Benjamin Péret). Joie ? parce qu'un nouveau numéro de Supérieur Inconnu, le trentième, est paru. Peine ? parce que c'est le dernier et qu'il est consacré à son fondateur Sarane Alexandrian, disparu en 2009 emporté par une leucémie. La couverture est de Madeleine Novarina, épouse de l'écrivain, et vient clore une série commencée en octobre 1995. Le comité de rédaction de la revue a dans son ensemble participé à l'hommage rendu à Alexandrian. Nous trouvons des textes et des entretiens d'anciens compagnons: Alain Jouffroy, des lettres d'André Breton et de Malcolm de Chazal, des illustrations de Victor Brauner, Ljuba, Denis Bellon. Sous la plume de Christophe Dauphin, auteur chez l'Âge d'Homme d'un essai Sarane Alexandrian, le grand défi de l'imaginaire, on peut lire un très intéressant et émouvant portrait de ce dernier. Les documents publiés sont nombreux et la période d'après-guerre est riche en témoignages: exposition surréaliste en 1947 à la galerie Maeght, création de la revue Néon et de Cause... Le sommaire est parsemé de textes inédits de Sarane Alexandrian, écrivain, critique d'art et fondateur d'une des revues les plus fascinantes de ces dernières années: Supérieur Inconnu, qui a paru en trois séries, trente numéros au total de 1995 à 2011. Adieu Grand Cri-chant nous en sommes pas prêts de vous oublier, d'ailleurs: "c'est les jeunes qui se souviennent. Les vieux oublient tout." (Boris Vian).

Michel Jacubowski (in Cahiers Benjamin Péret n°1, septembre 2012)

 

« Supérieur Inconnu.., est le titre qu'André Breton avait choisi, en novembre 1947, pour nommer la publication qu'il envisageait de fonder... » Aujourd'hui, c'est le dernier numéro d'une revue « ouverte à la prose autant qu'à la poésie» et qui a mis « à l'honneur, dans chaque numéro, un écrivain qui est souvent injustement méconnu du public et de la critique »... Dernier numéro consacré à Sarane Alexandrian, mort le 11 septembre 2009. Sarane Alexandrian et Madeleine Novarina, poète et son épouse, « le couple héroïque faisant face à tout » selon Christophe Dauphin. Un dossier complet avec des textes de l'auteur, bien sûr, des analyses de sa création romanesque, des fac-similés des lettres, des photos, des reproductions de tableaux et de dessins, des hommages de ses proches, des souvenirs... Et tout cela donne une image vivante de ce familier des surréalistes. Un exemplaire à conserver !   

Alain Lacouchie,   (revue Friches, n° 109, janvier 2012).    

 

"Sarane Alexandrian nous a quittés le 11 septembre 2009 pour le Grand Réel. Spécialiste des avant-gardes et de la littérature érotique, biographe de Victor Brauner, cet homme exceptionnel, érudit incarnant l’élégance intellectuelle et spirituelle, fut aussi, c’est moins connu, un hermétiste de talent, ce qui apparût clairement à travers la revue Supérieur Inconnu qu’il dirigea brillamment. Deux ans après sa disparition, Supérieur Inconnu, désormais sous la direction de Christophe Dauphin, rassemble ses amis pour un numéro spécial, n°30, consacré à l’homme de l’art et à son œuvre multiple, inattendue, et absolument non-conformiste comme il savait si bien le revendiquer. Christophe Dauphin avertit le lecteur d’une ambiguïté toute française : « La France raffole des surréalistes quand ils sont morts ; mais quand ils étaient dans l’éclat de la jeunesse ou dans la force de l’âge, elle a tout fait pour les acculer à la misère. C’est d’ailleurs le lot de tout grand artiste révolté, de tout prophète de l’anticonformisme, de connaître une gloire tardive ; les conformistes lui préfèrent toujours le pantin remodelable après chaque rebut. Sarane Alexandrian n’a pas échappé, malheureusement, à ce principe ; du moins en France, car à l’étranger, au Liban, en Roumanie, en Angleterre, en Espagne, en Grèce, en Italie, au Portugal, en Turquie, aux Etats-Unis, en Chine (où son Histoire de la littérature érotique a été traduite en 2003), ou à l’Île Maurice, notre ami jouit d’un prestige qui ne s’est jamais démenti. » Ce numéro spécial débute par une présentation des trois périodes de la revue, les 21 numéros de la première série, 1995-2001, les 4 numéros de la deuxième série, 2005-2006 et la troisième série, 2007-2011 qui propose 5 numéros. D’une grande exigence, Sarane Alexandrian a veillé à la haute tenue de sa revue qui demeure la plus belle publication d’avant-garde des vingt dernières années. Supérieur Inconnu a inscrit le message du surréalisme éternel dans la période si dangereuse et si passionnante du changement de millénaire, message que l’art du XXIème siècle devra s’approprier pour demeurer art. Ce numéro, qui mêle articles, poèmes, illustrations, témoignages, écrits de Sarane, illustre la puissance, la densité et la richesse de ce message non-conformiste, au plus près de la liberté de l’être. Et il y a ce couple, Madeleine Novarina et Sarane Alexandrian, un amour fou qui n’a cessé de nourrir la création de l’un comme de l’autre. Parmi les textes de Sarane Alexandrian rassemblés dans ce numéro, citons : Madeleine Novarina poète – La création romanesque – Autour de « Socrate m’a dit » – Considérations sur le monde occulte – Ontologie de la mort, ces deux derniers inédits. Sarane Alexandrian contribua grandement au renouvellement de l’alliance salutaire entre avant-garde et initiation, par ses écrits bien sûr, plus encore par sa médiation entre des mondes qui s’ignorent encore à tort. Parmi les très nombreux contributeurs à ce numéro qui, davantage qu’un hommage, constitue une démonstration de la permanence de Sarane Alexandrian, citons : Madeleine Novarina, Virgile Novarina, André Breton (Trois lettres à Sarane Alexandrian), Malcom de Chazal (Lettre à Sarane Alexandrian), Jean-Dominique Rey, Odile Cohen-Abbas, Paul Sanda, Marc Kober, Fabrice Pascaud, Jehan Van Langhenhoven, etc. Ce numéro exceptionnel est diffusé par Les Hommes sans Epaules, 8 rue Charles Moiroud, 95440 Ecouen, France.  

Remi Boyer   (Incohérism.owni.fr, 21 septembre 2011) 

 

    "Un numéro hommage de Supérieur Inconnu à son fondateur, Sarane Alexandrian (1927-2009). Un lien étroit avec les HSE : le directeur de publication en est aussi Christophe Dauphin, et les HSE en gèrent la publication. Les contributeurs sont nombreux, poètes, artistes, amis, qui apportent leur voix pour cet hommage quasi unanime (seule voix dissonante, celle d’Alain Jouffroy) qui tente d’aborder toutes les facettes de cet homme à l’élégance légendaire  qui sut ne pas faire de concession aux modes. On croisera ainsi entre autres Françoise Py, Lou Dubois, Olivier Salon, Virgile Novarina, César Birène, Marc Kober, Odile Cohen-Abbas, mais aussi, évoqués largement, par le document, lettre ou dessin, Madeleine Novarina, sa femme, les peintres Jean Hélion et Victor Brauner (dont une œuvre fait la couverture, comme pour le n°1), le poète mauricien (et toujours trop méconnu) Malcolm de Chazal, etc. Un numéro qui marque aussi la fin d’une aventure de 15 ans, puisque ce dernier numéro est aussi l’ultime d’une série de trente."   

Jacques FOURNIER   (levure littéraire.com, 2011).   

 

"C’est la première fois que je parle de cette revue et ce sera l’ultime puisqu’il s’agit d’un numéro spécial consacré à son fondateur : Sarane Alexandrian, décédé en 2009.  Ce dernier a longtemps été considéré comme le successeur désigné d’André Breton, c’est dire dans quelle mouvance, surréaliste, il s’est positionné toute sa vie. Le titre de la revue d’ailleurs, Supérieur inconnu, a été trouvé par André Breton lui-même en 1947, pour une revue qui n’a pas vu le jour alors. La publication a connu trois séries : la première de 1995 à 2001, avec 21 numéros, et un nombre impressionnant de poètes reconnus aujourd’hui ; la deuxième de 2005 à 2006 (4 n°), avec au comité de lecture des membres plus jeunes comme Marc Kober ou Christophe Dauphin qui rejoignent Alexandrian et les plus anciens, prenant comme axes principaux quatre vertus cardinales que sont le rêve, l’amour, la connaissance et la révolution. Cette série sera interrompue, faute de subvention du CNL, mais suivie par la troisième et finale (2005-2011) avec un comité de rédaction élargi : 5 numéros dont ce dernier. Sarane Alexandrian exerçait une véritable fascination sur tous ceux qui l’ont approché et qui témoignent dans cet ouvrage. Né en 1927 à Bagdad, son père était médecin du roi Fayçal 1er, il vient en France en 1934. Il rencontre le dadasophe Raoul Hausmann, ce qui va être déterminant dans son apprentissage intellectuel, puis André Breton, Victor Brauner et Madeleine Novarina, qui va devenir sa femme et à laquelle sont consacrés deux articles forts de la livraison. Théoricien  n° 2 du surréalisme, il rompt rapidement avec André Breton, dès 1948. Christophe Dauphin montre comment il écrit sous autohypnose, à la Robert Desnos, autour de l’onirisme, la magie sexuelle et la gnose moderne. Une idée intéressante, c’est qu’il a souhaité être un anti-père pour les jeunes qui l’admiraient, afin qu’ils le dépassent à leur tour. Ses conceptions romanesques sont très éclairantes, puisqu’il a voulu certainement être davantage reconnu comme écrivain de romans plutôt que poète. Beaucoup de contributions suivent à la gloire de ce grand personnage, dont le charisme et l’ouverture intellectuelle impressionnaient grandement ses interlocuteurs, à noter la fausse note signée Alain Jouffroy qui donne en contrepoint un éclairage inverse au concert de louanges ; également avant de renvoyer à la revue qui propose une quarantaine de témoignages (dont Jehan Van Langenhoven ou Michel Perdrial entre autres), le Sarane Alexandrian, critique d’art, lequel lui confère pour conclure sa véritable dimension. Un homme hors du commun, sans contestation possible. Un grand écrivain de la fin du surréalisme."  

Jacques MORIN   (Site internet de la revue Décharge, novembre 2011).  

 

Avec ce trentième numéro de Supérieur Inconnu s'achève l'aventure de cette revue fondée par Sarane Alexandrian en octobre 1995, aventure qui dura donc 16 ans et connut trois séries différentes. Ce dernier numéro consiste en un hommage à la figure tutélaire de Sarane Alexandrian, disparu le 11 septembre 2009. Nous y trouvons les signatures des acteurs majeurs ayant fait l'histoire de cette revue qui se revendiquait du non-conformisme intégral.  

C'est à César Birène que revient la tâche d'ouvrir ce numéro mémorial par un texte retraçant clairement les grandes étapes de Supérieur Inconnu. A l'origine imaginée par André Breton, la revue aurait dû voir le jour en 1947 chez Gallimard sur les conseils de Jean Paulhan. Une revue ayant l'ambition d'unir les conservateurs fidèles à l'esprit du Second manifeste, et les novateurs. Le nom même de la revue vient directement de Breton qui voyait dans le "Supérieur Inconnu" l'objectif idéal de la recherche poétique de l'avenir. Elever l'esprit vers les hauteurs et explorer l'inconnu. Un désaccord empêcha ce projet que Sarane Alexandrian, en héritier légitime du Surréalisme – il avait été le secrétaire général du mouvement – reprend et mène à son point d'épanouissement au moment charnière du passage au troisième millénaire. Une revue issue du Surréalisme mais désireuse d'accueillir dans ses pages les voix d'un avenir poétique émancipé du passé, et fervente admiratrice de figures peut-être injustement mal connues telles celles de Claude Tarnaud, Charles Duits, Stanislas Rodanski, Gilbert Lely, Jeanne Bucher par exemple.  César Birène retrace avec fidélité ces quelques quinze années d'engagement littéraire autour de Sarane Alexandrian. Il en synthétise l'esprit, les contenus, évoque les grands acteurs tels Alain Jouffroy et Jean-Dominique Rey, à la fondation de l'aventure avec Sarane. Puis rejoints par la jeune génération des Christophe Dauphin, Marc Kober, Alina Reyes. Je me permets d'ajouter Pablo Duran, Renaud Ego, Jong N'Woo, Malek Abbou, etc. Les transitions des séries 1 à 2 et 2 à 3 sont bien explicitées, ainsi que les raisons qui présidèrent chaque fois au changement de visage par ces nouvelles moutures de la revue. On notera avec étonnement au moins deux grands absents sous la plume de César Birène, deux absents de taille qui contribuèrent pourtant à l'envergure de la revue par le rôle qu'ils y tinrent au sein du comité de rédaction de la première série, en les personnes d'Alain Vuillot et de Matthieu Baumier…

La revue poursuit ensuite son hommage à Sarane avec les textes de Christophe Dauphin, les photos de Sarane et de sa femme Madeleine Novarina, les poèmes de Madeleine Novarina, les photos du bureau de Sarane où nous eûmes tous l'honneur, à un moment, d'être reçu pour une conversation d'une politesse exquise  sous le charme silencieux et magiques des œuvres de Victor Brauner. Des textes inédits de Sarane, comme illustrés par des reproductions de toiles de Ljuba, sont ici publiés, comme La création romanesque issue de ses Idées pour un Art de vivre, Art de vivre qui était la passion de sa vie tant il considérait que cet Art induit tous les plans de l'émancipation de l'humain. Nous y trouvons également trois lettres inédites adressées à Sarane, deux par André Breton, la troisième par Malcolm de Chazal, lettres qui témoignent de l'engagement intellectuel intégral qui était celui d'Alexandrian.  

Suit un entretien d'Alain Jouffroy par Jean-Dominique Rey autour de la figure de Sarane, entretien surprenant au sein d'un hommage tant Jouffroy n'use d'aucune langue de bois pour évoquer le souvenir de son ami Sarane. A juste titre d'ailleurs car Alexandrian, non-conformiste revendiqué, aurait eu en horreur les passages de pommade de circonstance. Jouffroy évoque un Alexandrian supportant mal la contradiction qu'on pouvait lui opposer et nombreux sont, parmi ceux qui le fréquentèrent, à avoir essuyé ses colères et sa susceptibilité... (..) Un homme généreux. Une figure tutélaire à qui l'on devait une manière d'allégeance à partir du moment où il nous avait accueilli dans son clan. Un écrivain ayant sa propre conception de la fidélité, souffrant avec difficulté qu'on lui oppose des vues différentes de ce en quoi il croyait. Mais généreux, je le répète, comme peu en sont capables. Aussi la version de Sarane par Alain Jouffroy a-t-elle lieu d'être tant elle rend fidèlement le caractère haut en couleur qui était le sien. D'ailleurs, s'ensuit la reproduction d'une réponse de Sarane à un message de Jouffroy laissé sur son répondeur téléphonique. Illustration significative des rapports qui furent ceux des surréalistes, faits de franchise, d'orgueil, de rodomontades, d'hystérie surjouée, de joutes oratoires, de ruptures, de réconciliations. Parmi les textes, passionnants, de ce numéro hommage, (nous ne les citerons pas tous), mentionnons celui de Paul Sanda consacré à l'ouvrage majeur d'Alexandrian, Histoire de la philosophie occulte, et aux prolongements de ce livre, d'abord dans le rapport qu'entretint Sanda avec Sarane, ensuite dans la vie de Sanda.

Remercions Christophe Dauphin, maître d'œuvre de cette ultime livraison, pour ses contributions à la réussite de ce beau numéro, tant lorsqu'il se consacre au couple Madeleine Novarina-Sarane Alexandrian que lorsqu'il dresse un portrait biographique de Sarane, situant son importance dans la deuxième génération surréaliste mais aussi dans le monde littéraire et intellectuel, lui dont l'œuvre fut traduite partout dans le monde sans que jamais l'intelligentsia officielle et médiatique ne lui rende le moindre hommage. Hommage encore à l'érudition époustouflante d'un homme hors-norme, qui n'avait cure de savoir pour savoir mais entendait savoir pour vivre plus et transmettre ses connaissances pour aider à vivre plus. Jean Binder, lui, choisit dans les multiples visages d'Alexandrian, l'écrivain d'art. Il rappelle que le premier livre de Sarane fut consacré au peintre Victor Brauner, Brauner l'illuminateur, dont on ne peut ici que conseiller la lecture tant ce livre est, à mes yeux, fondamental. Et poursuit en dressant l'itinéraire des écrits sur l'art de Sarane. Palpitant.   Gérald Messadié quant à lui tire son chapeau à l'impertinence, pour employer un euphémisme, de Sarane, lui qui, en 2000, publia un livre étrange intitulé Soixante sujets de romans au goût du jour et de la nuit, livre dans lequel Sarane propose aux romanciers en mal d'inspiration 60 sujets mirifiques pour surseoir à leur manque de talent et d'imagination. Un livre volontairement passé inaperçu tant le bras d'honneur d'Alexandrian aux plumitifs desséchés en tous genres relève, comme le souligne Messadié, du terrorisme.  

Il y  a aussi le très beau texte de Marc Kober, d'une justesse et d'une mesure admirables, brossant l'image de surface qu'offrit à beaucoup Sarane Alexandrian pour nous montrer un peu le vrai cœur de cet homme : "Pourtant, la vérité de Sarane est ailleurs, écrit Kober : moins dans l'homme de lettres qu'il voulut être que dans une volonté d'élargir le périmètre humain".  

Il y a enfin, et je m'arrêterai là, le beau poème que Matthieu Baumier offre ici à Sarane, intitulé "A l'étoile vive", assorti de cette émouvante dédicace Pour Sarane, par-delà. Ce trentième numéro rend ainsi un hommage mérité à un écrivain méconnu, dont l'œuvre théorique continuera d'irriguer les temps à venir tant elle se situe à la croisée de la Tradition dont notre société se targue de ne vouloir rien savoir, et de l'avenir qui l'aimante par un besoin vital de prendre sa respiration.  

Supérieur Inconnu, ce furent 30 volumes en quinze ans, mais aussi des lectures publiques dont chacun des membres garde en mémoire les éclats et les reliefs. (Conciergerie de Paris, Mairie du XIIème arrondissement de Paris, Bateau-lavoir). A titre personnel, sans Supérieur Inconnu, sans Sarane Alexandrian, je n'aurais sans doute pas rencontré la danseuse Muriel Jaër, petite-fille de la galeriste Jeanne Bucher avec qui, au sortir d'une lecture de poèmes, je devais me lier d'amitié.  

Je n'aurais pas non plus eu la grande chance de rencontrer Matthieu Baumier, dont l'amitié dans le Poème m'est absolument vitale. Pour ceci, Sarane, merci.   

Gwen Garnier-Duguy (in Recoursaupoeme.fr, août 2012).

*

"Dernier numéro de la revue consacré à Sarane Alexandrian, écrivain surréaliste. Son oeuvre est une aventure humaine et intellectuelle. Le non-conformisme caractérise le mieux l'oeuvre et la vie de Sarane Alexandrian."

Electre, Livres Hebdo, 2012.

 




Lectures

« Je m'assiérai sur le pas de vos portes»

 "Excellence et simplicité... Gérard Cléry s'est détourné des arts poétiques aussi pertinents soient-ils. Il s'est aussi  dépouillé du superflu (rhétorique absente, circonlocutions proscrites)... Roi nu(l) n'est pas un titre mais un état des lieux intimes, la mesure abyssale de l'homme rendu à l'essentiel. Et ce n'est pas rien.

 Le voyage immobile est fascinant et douloureux à la fois : « permettez cependant/que ma vie vous effleure  prêtez/rien qu'un moment l'odeur de votre lit... » Au fil des pages se profile un homme détaché – oh si peu ! - de sa posture poétique pour marcher au pas de l'homme. Le roi nu(l) est une sorte d'albatros baudelairien privé de majesté, d'empire (sur soi, sur les autres), mais perclus de vérités contradictoires, faufilé de tendresse, s'excusant d'être là, comme le Plume de Michaux.

 Un livre de chevet  qui brûle pendant les nuits blanches et qu'on consulte, qu'on touche et qu'on respire : « voyez j'habite si mal/les pierres que je pose »... Mais la présence sensorielle de cet opus absolument remarquable est obsédante et s'étale comme l'huile sur la toile. On retrouve pourtant la mise en relation de l'homme avec son environnement immédiat : « fenêtre mouillées par les baisers/fenêtre enjouée  fenêtres/affûtée/laisse mes mains te reconnaître »... Et le lecteur s'inquiète de cette présence-absence qui ne se repère que dans le chuchotement, dans l'écrit, dans le souffle. Le parcours d'un aveugle ébloui cependant par le monde qu'il traverse blessé par les aspérités de l'univers ambiant, mais aussi touché par : « cette grâce de ceux qui savent s' effacer pour laisser tout son pouls à cette parole qui les dépasse », comme l'écrit Guy Allix dans sa postface.

 « Dormir m'est interdit », nous dit le veilleur, sans oublier que la vie ne vaut peut-être que par les « restes », ces insignifiants qui chargent le havresac d'une silhouette de poète : « la peau de ses mains nues/quelques poils de barbe/une écharpe parfumée/la mèche de cheveux/héritée d'une femme/l'aile d'un oiseau/le rire de deux enfants/grimpés près de son cou/une gousse d'ail/une paire de souliers mal tenus... » un inventaire à la Prévert pour « l'idiot d'amour/le fou l'aveugle » qui se cherche des parenthèses sensorielles pour affirmer que le jour existe. Palpitant encore et encore ce coeur « bêlant ce coeur brûlé ce coeur boiteux », qu'il faut bien se dissimuler à soi-même pour ne pas être débusqué et demeurer a fortiori le passager clandestin de ses émotions... Cette mise à nu ou mise à nu(l), c'est selon, apparaît comme l'outil décisif du parcours poétique et humain de Gérard Cléry. Il est bluffant d'authenticité partagée et sa proximité nous renvoie aux veilleuses qui balaient la nuit nos chemins d'existence."

 Michel JOIRET (in Revue Le Non-Dit, Art et Littérature N°111, avril 2016, Bruxelles).

 

*

" Suivi d'une excellente post-face de Guy Allix, voici « Roi nu(l) » nouveau recueil de Gérard Cléry, publié dans la collection « Les Hommes sans épaules» de la Librairie Galerie Racine, Paris.

Tous les poèmes de Gérard Cléry sont pour rejoindre, et, ici, se rejoindre. Rejoindre soi-même. Rejoindre son corps. Sa vie qui fout le camp. Rejoindre les autres.

Surtout rejoindre la femme. Joindre. Et rejoindre, avec des mots, la poésie des mots.

C'est dire qu'ici le « je » n'est pas un autre, mais le pluriel d'un moi qui, d'abord, s'attendra au futur comme pour s'excuser d'avoir fait attendre, puis se dégager pour disparaître en laissant, comme Villon son frêre, les témoignages de son chemin.

Ce testament devient vite un présent de mémoire, avec l'évocation, dans les écarts, comme dans les marges, des bouffées du désir ou de l'espoir :

                                    « Tu prends à présent la barre

                                   jusqu'à la déraison

                                   et tu gouvernes entre les bras du vent

 

                                   accroupi pour mieux voir

                                   les mains posées sur les genoux

 

                                   et disant oui

                                   et disant non »

 Et le rêve, à petits coups de bec, fait tinter la vitre du vécu duralex.

 Ce cri une fois dit il faut, comme l'oiseau qui, d'un coup d'aile, aile sans parenthèse, remonte le vent de mer, le vent d'amer, il faut remonter le texte. « Retour amont » aurait dit René Char. Et, remontant le vent, nous passons du réel, qui un rêve, à la réalité, qui est une illusion. L'hymne à l'amoureuse, avec son feu patient, est une rosée qui irise « jardin-fenêtre-bouche-luisance d'eau ». C'est une caresse que les mots attendrissent encore pour délivrer le corps. Mais surtout c'est une musique que les mots scandent en rythme syncopé :

 

                                    Le dit du bûcheron

 

                                   est-ce bien moi qui parle de tes cuisses

                                   pour le couteau

                                                                       trouvant ta chair aux versants

                                   d'actinies      dans l'horizon de quoi je dors

                                                                                              est-ce encore moi

                                   régnant désemparé qui continue

                                   qui épaule ton corps

                                   femme univers de ma manducation.... »

 

c'est là que la « Royauté » prend sa source, elle qui vient du chaos, comme le torrent d'amont décoche ses eaux sur le vide. Ce torrent qui n'économise pas la matière, mais la bouscule, pour jeter le délire dans la raison lumineuse.

 Claude ALABAREDE (in revue Diérèse, 2016).

*

" Ces poèmes au rythme haletant, qui semblent écrits dans l'urgence nous parlent autant de nous que de son auteur. C'est ce lien qui nous touche profondément, cette empathie. Gérard Cléry est à l'écoute du monde et des hommes.  Son écriture est sans fioriture, sans réthorique,  elle est comme un silex, mais elle cache ou recèle, une tendresse, un amour, celui d'un homme à hauteur d'homme. Sa poésie questionne, parfois avec angoisse, parfois avec brutalité, elle frappe, touche profondément, elle est essentielle. « Gérard Cléry écrit superbement », dit Guy Allix dans sa post-face. Oui, et chaque mot, chaque courte phrase frappent juste, évoquent, appellent, oui, Gérard Cléry est un poète majeur."

Maurice Cury (in revue Les Cahiers du Sens, 2016).

*

" Belle plaquette dont le titre « Roi nu(l) » rappelle un conte d’Andersen « Les habits neufs de l’empereur ». L’expression « le roi est nu » est passée dans le langage courant pour désigner des apparences trompeuses. Gérard Cléry, avec « Roi nu(l) », réunit deux ensembles poétiques affirmant que l’amour laisse celui qui le vit ou l’éprouve nu et nul, le poète ne cherchant pas à tromper qui que ce soit, il aime et c’est tout.

Le premier ensemble, qui donne son titre à la plaquette, commence par ce vers « Ici roi nu » qui sonne comme le début d’une conversation téléphonique. D’ailleurs, un peu plus loin, un autre poème commence par ces mots : « Quand le téléphone n’est plus le téléphone »… Sans doute Gérard Cléry utilise-t-il, quand il en a envie, la parabole du téléphone pour dire ce qu’il ne peut directement à l’aimée. La succession des deux ensembles ne laisse pas d’étonner. Si le second est un chant d’amour, le premier est plutôt un constat sombre de ce que peut devenir l’amour, le temps passant. Si l’on remarque, d’une suite à l’autre, le même vers (en gros, de l’hexasyllabe à l’alexandrin, les deux vers qui se suivent étant toujours séparés par un blanc, contrairement aux proses), la première suite donne aussi à lire une écriture plus torturée, plus écorchée : prose trouée de blancs (p 20) [signe que « les mots renâclent à passer la gorge » (p 13)] ou brisée quant au sens (p 24) comme si le constat aboutissait à l’impossibilité ; même si les choses sont énoncées clairement : les morts qui se sont accumulées, les ruptures et les rencontres avortées, ce moment où « le manteau de la tendresse / glisse des épaules se déchire ». Alors que la seconde suite semble plus épanouie, plus charnelle ; il est vrai que ces vers « et l’amoureuse / feu rêvant / enlumine l’amant » (p 42) poussent à une telle lecture.

Il faut enfin signaler que ce livre se termine par une postface de Guy Allix dans laquelle je relève ces mots : « Parole de roi nu. De roi humble. Parole oxymore en quelque sorte. » Et Allix d’ajouter que ce que laisse le roi après son passage, c’est « presque rien, mais l’essentiel ». Pour mieux montrer ensuite le « double geste de monstration subliminale » et en arriver ensuite à ce constat que « Roi nu(l) » est un « poème d’amour au fond »… Et pour terminer, relever enfin ces mots : « Qui ne sait aimer ainsi, n’a jamais aimé, n’aimera jamais ». 

Lucien WASSELIN ("Chemins de lecture" in revue-texture.fr, mars 2016).

*

"La judicieuse citation signée Louis Aragon de la première page (« Ce que je n’ai plus donnez-leur/ je reste roi de mes douleurs ») donne le ton à cet ouvrage de Gérard Cléry qui, dans une mise en pages aérée présente son Roi nu(l) accompagné d’une postface de Guy Allix qui souligne avec émotion et une légitime tendresse les vagues hautes de cette poésie mûre depuis déjà longtemps dans l’esprit et le coeur du poète et qui explose ici, en des vers élégants dont le poids est à la fois cruel et tendre.

En une douzaine de recueils, Gérard Cléry a réussi à se faire un nom qui importe dans notre petit domaine de la poésie. Il est vrai qu’il n’est pas uniquement poète. Depuis longtemps déjà il participe et anime des réunions poétiques en compagnie de jeunes comédiens et d’animateurs (entre autres : Marie-Josée Christien).

Avec Roi nu(l) Gérard Cléry démontre combien le poète, « roi des rois » n’est en définitive qu’un pauvre homme comme vous et moi, un être vivant et donc faillible. Il est nul car il est nu et nu parce qu’il est seul. C’est une question de vocabulaire.

Cependant l’ami Gérard Cléry s’avère ici et comme toujours trop modeste car sa poésie n’a rien de gratuit, rien de superficiel. Elle pèse lourd dans le jardin de la qualité. Elle prend en compte les divers aspects de notre vie ordinaire et en dénonce les abus, les carences, les folies. Il faut...

« laisser brûler l’ampoule de l’incertitude »

... prophétise-t-il avec ce sens aigu de l’à-propos qui caractérise son oeuvre et ses actes.

Dense et charnu, cet ouvrage me semble être l’oeuvre majeure d’un poète aux qualités multiples qui se donne avec fougue et volupté aux complicités et aux caprices de l’instant.

Un livre flamboyant. Un poète vrai."

Jean CHATARD (Revue Les Hommes sans Epaules n°41, mars 2016).

*

« Un titre d’un laconisme flamboyant et qui permet de nombreuses lectures, interprétations et rêveries. Comment ne pas penser, tout d’abord, au jeu d’échecs quand la pièce maîtresse est privée de ses défenses : le roi nu. Quand, en dépit de toute logique, il obtient le pat : le roi nul.

L’exergue, égaré dans une pagination ignorant manifestement les règles les plus élémentaires de la typographie, nous fournit une première indication

précieuse avec ces deux vers d’Aragon : « ce que je n’ai plus donnez-­leur / je reste roi de mes douleurs ».

Qui est ce roi des douleurs, sinon le poète régnant sur son désert de mots : « Ici roi nul / roi nul appelle / … / la pitié est horrible / et le bonheur béance ».

Règne ici une tristesse diffuse (celle du poète face à l’incompréhension de ses frères humains) : « je m’assiérai sur le pas de vos portes / sur vos bancs sur vos marches / … / j’essaierai quelque temps vos outils / au seuil de l’œuvre inhabitable / voyez j’habite si mal / les pierres que je pose / permettez cependant / que ma vie vous effleure »…

Une tristesse aux limites du désespoir : « allumer chaque soir le flambeau de l’absence faire le lit du vide vous nommer ne pas vous nommer laisser brûler l’ampoule de l’incertitude (…) regarder votre visage et se crever les yeux / et puis sourire comme font les aveugles ».

Suivent L’ivre lit/Livre lit qui est en somme une lecture du corps de l’autre et une postface de Guy Allix, Breton d’adoption comme Cléry : Oui, Gérard Cléry est un poète. Un vrai poète, en même temps qu’un homme vrai (comment pourrait-il en être autrement ?) et qui ne prend jamais la pose, mais dépose les mots au plus juste de l’émotion. »

Francis CHENOT (in revue Traversées, Virton, Belgique, mai 2016).

*

" C'est un peu l'image du poète. A la fois rayonnant et vain. Superbe au sein de son écriture et désarmé, désolé en même temps. Avec la parenthèse du titre qui redouble et réactualise l'adjectif. C'est aussi plus simplement celle de l'homme, en général, vainqueur et faillible, voyez j'habite si mal - les pierres que je pose; Gérard Cléry semble tirer sa révérence au monde et quitter la société avec pas mal de tendresse enfuie et beaucoup de dignité. Je laisserai si peu de traces. Recueil du désenchantement, de la déconvenue, de la déréliction. Vous ne trouverez rien derrière - mon regard disparu. L'écriture draine dans son lit d'encre, amour, émotion et silence. Le poète ne regrette rien, il n'a pas oublié tous les bonheurs cueillis sur le chemin des jours. Il les voit s'évanouir dans le rétroviseur, maquillés d'ombres charbonneuses. La mémoire relit les pages écornées et relie les chapitres inachevés. Guy Allix donne une belle postface pour relancer la lecture de son ami Gérard Cléry. Le recueil a emporté à juste raison le premier prix Angèle-Vannier."

Jacques MORIN (in revue Décharge n°172, décembre 2016).




Lectures :

Pendant combien de temps peut-on tomber - avec élégance. Cette question, Marie Murski se l'est certainement posée longtemps et plus d'une fois dans sa vie qui ne fut pas simple... et c'est, à vrai dire, un euphémisme ! Fallait-il pour autant ouvrir cet Ailleurs jusqu'à l'aube, en connaissant certains faits et souffrances advenus à l'autrice, en en supposant peut-être d'autres, plus enfuis jusqu'à l'enfance ? Si pour l'exégète d'une oeuvre tout cela semble utile voire nécessaire, le lecteur de poésie doit peut-être faire fi de ces blessures et entrer dans un poème tel qu'il est, sans cadre, sans arrière-fond, sans autre but que celui d'être touché par la grâce d'un texte.

C'est la voie que j'ai suivie en lisant Ailleurs jusqu'à l'aube, un volume important qui reprend quatre recueils publiés dans les années 1980, à l'enseigne de Chambelland ou Saint-Germain-des-Prés, et une suite inédite intitulée Le Grand Imperméable. Dans ces premiers ouvrages, publiés sous le nom de Marie-Josée Hamy, on y découvre, outre l'affrontement avec le réel, l'onirisme un peu rageur écrit Jean Breton qui ajoute qu'elle a su, de façon personnelle, déployer les ailes du surréalisme.

Le surréalisme ? Oui, Marie murski - qui a désormais repris son nom de jeune fille - s'y frotte beaucoup... sans en avoir l'air, tout en convoquant simultanément ce réel auquel elle tient malgré tout ! Les poèmes se composent et se décomposent en de multiples miroirs qui nous renvoient peut-être à l'inconscient de l'autrice et au nôtre également.

Ainsi : Au regard sans fin qui m'observe - à deux doigts du manège - croupe légère et cheval de bois - j'aime à répondre - entre mes cils longuement peignés - qu'il y a encore - dans le creux de mes journées - quelques noix à casser.

Marie Murski doit se lire dans la lenteur, en s'accordant quelques temps pour respirer ou retrouver ses esprits, tant ses poèmes ont ce pouvoir de nous étouffer, de nous mettre en demeure d'affronter l'insupportable. C'est d'ailleurs là l'une des forces de cette poésie : l'affrontement.

Mais une question reste posée par la poète elle-même : Mais comment voir le fond - d'un précipice - que l'on porte à son cou ? - Parfois tu pleures - parfois tu détournes les yeux - à cause de l'écho - et du vide.

Yves NAMUR (inLe Journal des poètes n°3, 2019, Belgique).

*

Marie Murski connût une première vie d’auteur sous le nom de Marie-José Hamy. Elle publie un premier recueil de poèmes en 1977 sous le titre Pour changer de Clarté. Deux autres recueils suivirent qui permirent à Marie-José Hamy d’être reconnue comme une poétesse capable de voyager entre réel et surréel. Elle se dit déjà survivante, ce réel ne l’ayant pas épargné. Au début des années 90, elle publiera quatre nouvelles avant de tomber dans le cycle infernal des violences faites aux femmes. Totalement isolée par un conjoint pervers narcissique, elle disparaît du monde de l’écriture. Elle s’extraira in extremis de quatorze années de violence, grâce à des rencontres salutaires et à l’écriture qui lui donne une nouvelle vie. C’est sous son nom de jeune fille, Marie Murski qu’elle écrit désormais. 

Ce recueil rassemble l’ensemble de son œuvre à ce jour, de son premier recueil de 1977 à ses derniers poèmes écrit l’an passé. Sa poésie puissante, blessée, n’en est pas moins cathartique. C’est un hymne, non à la survie mais bien à la vie.

 

 Extrait de Si tu rencontres un précipice :

 Le matin jupe claire

dans la rondeur des chances

un raccourci pour prendre l’heure

la relève des guetteurs.

 

M’aime-t-on dans les sous-bois

dans les rivières

au creux des bras perdus

dérivant vers le lieu du berceau

accroché à l’étoile morte ?

 

Obstacle

roulis des murs sans joie

le soir passe

un couteau sur la hanche.

 

Qui donc s’envole ainsi

Emporte le bleu et le blanc

Et désole mon désert ?

 

Extrait de La baigneuse :

 

Dans le décolleté des vagues

le bleu poussé au large.

 

Le dernier appel

sans doute.

 

A sauver toujours la même baigneuse

qui ne se lasse ?

 

Et encore Attentat :

 

Une menace est tombée sur tes yeux

une menace et soudain

tu laisses là tes outils de jardin

l’ombre à racines nues

l’écaille des lys à la nuit des rongeurs

l’idée dans le cercle, inconsolable.

 

Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, 16 février 2019).

*

Après quatre volumes de prose, Marie Murski revient à ses premières amours. Ses quatre recueils de poèmes et des inédits viennent de paraître en un seul volume.

Si Marie Murski a souvent occupé les pages des journaux ces dernières années, c’est pour les romans et nouvelles qu’elle a fait paraître depuis cinq ans. Plusieurs évoquaient – à mots couverts ou explicitement, comme Cris dans un jardin, récemment adapté au théâtre – les années passées sous l’emprise d’un mari violent et pervers narcissique.

Mais avant de signer ses ouvrages de son vrai nom, et avant cela de ne plus toucher à un stylo pendant quatorze ans, Marie Murski s’était fait connaître, sous le nom de plume de Marie-José Hamy, pour son œuvre poétique, qui l’avait menée, notamment, sur le plateau d’Apostrophes, l’émission de Bernard Pivot, en mars 1986.

De 1977 à 1989, l’auteure de Saint-Victor-de-Chrétienville (ancienne sage-femme à Pont-Audemer) avait publié quatre recueils de poèmes : Pour changer de clarté (1977), Le Bleu des rois (1980), Si tu rencontres un précipice (1988) et La Baigneuse (1989). Les voilà tous réunis en un seul volume, Ailleurs jusqu’à l’aube, qui rassemble également les poèmes inédits de Le Grand imperméable, écrits l’été dernier.

Car après quatre volumes de prose, Marie Murski a repris et son vrai patronyme et la plume pour « renaître » à la poésie. « Vive la poésie ! Vive ce bien précieux que j’avais cru perdu lorsque j’étais décervelée, minuscule chose écrasée au fond de mon jardin ! », livre-t-elle.

« Marie-José Hamy était l’une des meilleures d’entre nous, dans les années 80. Il en va de même aujourd’hui avec Marie Murski, une poète comme on n’en rencontre pas tous les jours ; une poésie qui dit la mort et les mots qui l’entourent, la solitude et ses couteaux d’étoiles », salue le poète eurois Christophe Dauphin, de l’Académie Mallarmé, qui signe la préface de l’ouvrage.

Florent LEMAIRE (in L'Éveil Normand, 15 mars 2019).

*

"Ailleurs jusqu'à l'aube" rassemble l'intégralité de l'œuvre poétique de Marie Murski ; du tout début jusqu'aux derniers poèmes écrits l'été dernier.

Les Hommes sans Épaules, artistes-guerriers comme il se doit, lui ont fait un bel ouvrage avec une préface de Christophe Dauphin, de l'Académie Mallarmé.

Bulletin de la Société des poètes normands, 10 février 2019.

*

Une oeuvre poétique …

Une berceuse fleurie sur des mots écorchés …
Un Ailleurs tourmenté, torturé …
un Ailleurs qui nous inonde …
un Ailleurs évocateur … onirique ou cauchemardesque …

La poésie des sensations
L’émoi des mots qui se conte à voix haute, pour en saisir toute l’intensité
Les mots qui se cognent, s’inventent, se chevauchent, se caressent, se libèrent, s’emprisonnent … se fracassent …

Une oeuvre qui, la dernière page tournée se garde encore à portée de main … 
Marie Murski, une poétesse, qui avec merveille sublime les mots …
« elle y trouvait des mots légers suspendus à l’encre, ... » p 166

Quel délice !!

in lespatchoulivresdeverone.com, mars 2019.

*

Marie Murski a publié quatre livres de poésie remarqués sous le pseudonyme de Marie-José Hamy entre 1977 et 1989. Je me souviens de ce nom, sans doute croisé dans des revues de l’époque, ou saisi lors de son passage dans l’émission Apostrophes de Bernard Pivot en 1986. Elle est alors une des voix émergeantes de la poésie. Après avoir publié quelques nouvelles en revues, elle disparaît brusquement du paysage éditorial au début des années 90.

Christophe Dauphin, reprenant de larges extraits de Cris dans un jardin, le récit de sa renaissance réédité plusieurs fois depuis sa parution en 2014,  expose les raisons de cette éclipse involontaire dans sa préface : en proie à un pervers narcissique, isolée et coupée de ses amis et de toute vie sociale, Marie-José Hamy a subi durant quatorze années de violences conjugales un inexorable processus de décervelage et de destruction, ne trouvant de réconfort que dans le jardin qu’elle parvint à créer, en guise de substitut à l’écriture.

Ce volume, publié sous son patronyme de naissance, reprend son œuvre poétique, ses quatre premiers recueils et Le grand imperméable, écrit récemment. Un livre pour effacer la douloureuse parenthèse, reprendre le cours de sa vie et renaître à l’écriture et à la poésie.

Marie-Josée CHRISTIEN (cf. "Nuits d'encre" in Spered Gouez / l'esprit sauvage n°25, 2019).




A propos de René Iché

René Iché (1897-1954) fait partie de cette génération marquée à jamais par la Première Guerre mondiale. Engagé volontaire devançant l'appel en 1915, il est plusieurs fois blessé et termine la guerre avec la Légion d'honneur, la Médaille militaire et de solides convictions antimilitaristes. Ses premières oeuvres sont censurées pour pacifisme ou indécence, à cause de leurs évocations parfois explicites de l'homosexualité. Proche du groupe surréaliste, il commence à percer au milieu des années 20. Ce n'est qu'après la Seconde Guerre mondiale - où il perd plusieurs proches, dont son gendre, le poète surréaliste Robert Rius (qui édita le poème Liberté d'Eluard), assassiné par la Gestapo - qu'il connaît la notoriété et devient la figure même de l'artiste engagé. En 1954, le gouvernement polonais lui commande ainsi un monument aux déportés d'Auschwitz. Il ne verra jamais le jour, l'artiste décédant d'une leucémie le 23 décembre de la même année.
 
CHEVASSUS-AU-LOUIS NICOLAS (in Libération, 18/09/2007).




Critiques

"Je voudrais pointer deux poètes qui incarnent un mouvement nouveau de la poésie française actuelle : l’un, Matthieu Baumier, avec Le silence des pierres (Le Nouvel Athanor), porteur d’une révolte blanche, froide et implacable ; l’autre, Christophe Dauphin, avec L'ombre que les loups emportent, poèmes 1985-2000 (Les Hommes sans Epaules éditions), porteur d’une révolte noire, fraternelle et conquérante. Les deux arpentent les terres de la poésie d’un pas ferme et avec une écoute chasseur expérimenté. Que leur prend-il alors de se dresser soudain ? Pourquoi veulent-ils en découdre, alors que leur culture devrait les attirer vers une poésie sagement communautaire ? Il y a chez l’un et l’autre la conviction que le « Recours au poème » agirait  comme une arme salvifique sur le monde d’aujourd’hui ou que le poète est aujourd’hui le dernier « porteur de feu » nécessaire pour produire un lendemain. Fini donc le temps des recherches formelles, des plaintes délicates et lointaines ! Aujourd’hui – soudain – une gravité (Baumier) une urgence (les deux), une ivresse (Dauphin) mobilisent le poète au-delà de lui-même, le forcent (Baumier) ou l’exaltent (Dauphin) à sortir la poésie de sa dimension littéraire (synonyme d’échangeable, discutable, comparable…), pour revenir à sa dimension première qui est le débordement, l’impatience, l’inévitable, l’obligation d’une lutte à bras-le-corps contre le destin, qu’on pourrait définir en mots actuels comme une aspiration incontrôlable et séculaire à se défaire de l’idée de l’homme. Comme rappelée à sa vocation, leur poésie se condense, se fait muscle, arme et entraîne vers les horizons de « l’après fin du monde » (où nous sommes)… Il est aussi significatif de noter que l’un et l’autre animent collectivement des communautés de poètes à travers le site poétique de « Recours au poème » pour Matthieu Baumier et la revue « Les Hommes sans Epaules » pour Christophe Dauphin…

La poésie de Christophe Dauphin, comme l’introduit Jean Breton dans sa préface à L’ombre que les loups emportent, est un « feu » et « un coup de poing ». L’autre élément immédiatement pointé dans la préface et que je rejoins plutôt deux fois qu’une, c’est celui de guide lyrique qu’incarne Christophe Dauphin. Un guide sûr, généreux, solaire, riche d’une confiance jamais entamée. Un guide pour un combat toujours à mener : « Battons-nous jusqu’au jaillissement de l’homme », un soleil qui se fait noir par son besoin de justice et sa volonté de tenir l’homme libre. Plonger dans cette anthologie de près de cinq cents pages, c’est prendre l’océan d’assaut, retrouver l’appétit du large, des grands espaces et des rencontres. Essayons d’ordonner les impressions et sentiments que la lecture de ces poèmes souleva au long de cette traversée. 

La première est la joie de retrouver si vivante la grande veine du surréalisme ; ainsi donc sa vitalité, son immédiateté ne sont pas mortes. Des poètes la portent fièrement et usent de  ses moyens splendides. Exemples : « il est minuit / vos doigts ne servent à rien », ou « ton nom est la lame de mon couteau », ou « après la lune au regard d’ange, l’ouragan marche sur des planches ».

La deuxième est le plaisir, si rare, de trouver un grand poète français, c’est-à-dire, qui connaît le pulpe de notre langue et retrouver ces accents classiques qui donnent envie d’apprendre par cœur ses vers pour les réciter. Exemple : « Je suis l’enfant du grenier / où rien ne bouge » ou « Paris le bleu des vagues et l’ombre des réverbères ».

La troisième est la satisfaction d’un poète qui ose tout : le journalisme, le manifeste, le pamphlet, l’aphorisme, la prose, la vitesse, le collage, le parti-pris, le croc-en jambe. Le poète est un animal dangereux quand il traverse la rue. Exemple : « Je parle droit je parle net / je ne ravale pas mon crachat », ou « Mon adolescence fut banlieusarde /Une nuit noire à pied de biche / cigarette en main ».

La quatrième est la gravité d’approcher des confidences d’un cœur doué pour la rencontre, attentif, à l’écoute, qui accepte de se perdre dans l’échange. Exemple qui me touche particulièrement : « Le jour commençant / me dit Elodia Turki / ne dicte rien et nous devance », ou encore son attachement à une fraternité, sa reconnaissance et sa fidélité à une communauté  de poètes et d’amis : « Dans la nuit mes amis / je retrouve vos visages ».

La cinquième est la complicité secrète à son anarchie qui mélange un communisme social et une protestation lapidaire proche de la Beat Generation (pensez au « Blind poet » de Ferlinghetti) ; « « le consommateur est un citoyen raté ». Ou « Choisissez vos armes : la Colère, la révolte ou l’Amour » (je suppose que Dauphin n’a pas choisi et a pris les trois). Ou « Un poète est un coup de poing dans la gueule du réel ». A lire intégralement, son poème « cela ne se discute même pas », dont je ne résiste pas au plaisir de vous donner quelques vers : « plutôt Maïakovski que le parti (..) / plutôt ma femme que la tienne ( ..) / plutôt mon enfance que mon adolescence ( ?..) / plutôt le nœud que le papillon (..) / plutôt le cri que le silence / plutôt la boucle que l’oreille (..) / plutôt oui que non (..) » La sixième est une adhésion profonde à l’ambition humaniste de sa poésie, fût-elle empreinte d’une volonté d’effacer Dieu de tout horizon (« Plutôt l’homme que Dieu »), car on ne peut trouver Dieu qu’en cherchant l’homme. Et c’est pourquoi, bien souvent, la poésie des poètes communistes, dont Dauphin est le fils spirituel, par leur simplicité et leur élan me semble porteuse d’une foi plus vivante (et plus riche) que bien des poètes chrétiens. Exemple : « Je est un pluriel de paupières / le poème est une rencontre humaine », ou « Mon usine / c’est l’amour que le poète construit / pour les autres – presque tous les autres ».  

On ne peut que regretter le manque d’intérêt des grands critiques pour ce qui se passe en poésie. Pourquoi condamner au silence la vie et le dynamisme  qu’on y trouve ? Pourquoi retirer cette pièce maîtresse de la création ? J’avoue ne pas comprendre. "

Pierrick de CHERMONT (in revue Nunc n°31, octobre 2013).

 

"J’ai eu la chance, enfin, de lire Christophe Dauphin il y a quelques années seulement. Que de temps perdu jusque là ! Et depuis sa parole, si proche, si justement essentielle, ne m’a pas quitté. Comme une voix d’ami dans les joies et dans les peines. Puis, lors d’un Printemps des Poètes, j’ai eu cette fois l’heur de passer deux jours avec lui, dans l’Eure justement, son département aimé. Nous étions un peu comme Laurel (moi) et Hardy (lui). Mais j’ai compris que cet homme intègre, vrai, serait effectivement un ami désormais quoi qu’il advienne : sa voix et lui ne faisaient qu’un. Et si j’ose parler d’amitié, de cette valeur suprême qui nous est commune, c’est que nous habitons tous deux sur une même île ouverte à tous les vents, tenus par la même conviction inébranlable quant à l’urgence du rêve et de la poésie. Comme moi, entre l’amour et la révolte, il choisit l’amour et la révolte ! Et je reçois aujourd’hui L’ombre que les loups emportent comme la confirmation de ce qui nous unit.

À voir l’ouvrage, on pense tenir là un pavé romanesque. Ou alors une de ces anthologies dont l’auteur a le secret : 461 pages ! Un ouvrage à la taille de ce colosse qui impose par sa stature avant d’en imposer par sa parole. Quelle audace ! Aucun poète n’ose aujourd’hui publier de tels volumes. On trouve dans L’ombre que les loups emportent les poèmes publiés par Christophe Dauphin de 1985 à 2000. À 32 ans, il avait déjà une œuvre derrière lui. Et quelle œuvre !

Dès ses premiers textes en 1985 (comme un Rimbaud, il n’a alors, et peut-être à jamais, que 17 ans) ce chantre de l’émotivisme écrit que « l’amour est à réinventer » et cet aphorisme augure, et ce de façon magistrale, de l’œuvre qui suivra. Dès ce moment, la poésie de Christophe claque, cogne et caresse comme une évidence et avec une sûreté extraordinaire qui n’est agie par nulle certitude mais par la vraie rébellion, par le plus brûlant amour. Christophe Dauphin nous fait croire plus que jamais à cette aventure fabuleuse des mots de sang qui est l’honneur des hommes.

Avec lui, la poésie est belle et rebelle. Belle parce que rebelle quand « La révolte et l’amour logent dans l’étoile de nos pas ». Belle aussi contre tous ceux qui voudraient enterrer le mot « beauté ». Nous avons là une écriture quasi incendiaire (le feu y est aussi présent que le cri), une poésie du sens multiplié bien au delà de cette polysémie absconse des petits maîtres qui trop souvent confine à l’insignifiance.

Il a trouvé le juste accord, la tonalité exacte de l’image surréaliste à hauteur d’homme. Une image d’une extraordinaire sensualité : « tes jambes prennent leur source dans mes mains » ; « ce sont les femmes qui m’inventent » ; « c’est une femme / Enroulée comme une bague autour de moi »… L’envie me prend de tout citer.

Dauphin, un grand poète ? Au diable ces qualificatifs éculés ; la poésie n’a pas à être grande mais à être vraie. J’ose dire ici simplement que Christophe Dauphin est peut-être le plus vrai poète français de ce temps."

Guy ALLIX (in Mediapart, le 1er décembre 2012).

 

"Les textes. L’acte créateur et vivificateur de donner, de se donner. De compromettre l’instance de repli, de retrait, pour l’amour d’une attente, d’une exigence, d’un simple relais dans le geste salvateur, instrumental du livre, dans le geste de penser, de dire, de transcrire : l’ensemble des recueils de Christophe Dauphin, s’étendant sur plusieurs années, pourrait s’entendre comme vingt-quatre heures de la vie d’un corps. D’un corps assurément né en poésie, à vocation précoce, fertilisant jusqu’à l’extrême de par ses forces et ses intentions, de par ses rigueurs oblatives, le mouvement même de la vie, et en lequel les fastes de tous les désirs sans faille ni dichotomie, à parts égales, dans une vigueur unitive, au plus profond s’inscrivent. Un corps d’un réservoir infini, une grille, une arche poétique, perpétuellement en alerte, un de ces « qui-vive », captant toutes les espèces d’étincelles, des plus fondamentales, des plus matérielles aux plus oniriques, et qui n’en aurait jamais fini de se tendre, d’éprouver, de se confronter. Vingt-quatre heures de la vie d’un corps qui naît sans discontinuer de sa quête, ses prismes intrinsèques, aussi de sa présence aux événements du monde, y apportant son « commentaire », au plus vrai, son commentaire concret et substantiel, au sens de se rendre au mystère, au sens de vivre et d’aimer, agissant pragmatiquement par le biais des écrits, érigeant sa beauté inté-rieure en vindicte, versant l’action des lettres dans l’indigence et l’immobilisme. Il y a, dans cet homme qui consigne, un chirurgien averti qui traite, avec les instruments de la parole et des signes, les plaies et les ulcères de son temps. Il y a un homme qui opère avec justesse et précision, les yeux ouverts sur l’infection, et s’achemine de guerre en guerre, de passion en passion, vers l’ouvert et la transparence. Car jamais les mains du poète ne se déprennent du matériau vivant, jamais elles ne battent pour leur propre compte ; je le répète, il y a dans sa cure d’écriture, une morsure guérissant tous les maux du dégoût de l’injustice et de la solitude. Christophe Dauphin est un meneur de rêves, de rêves solides, coriaces, de rêves d’élite qu’il lance dans le feu de toutes les batailles. Dressé, toujours nouveau dans son armement sensuel de mots - chez lui le verbe a un sexe -, dans une poétique efficiente du partage et de l’engagement. Car le comble de Christophe Dauphin est cette générosité de l’intelligence. Pour preuve, je cite l’ensemble de l’oeuvre et l’ensemble du corps, d’un seul tenant, prêt à défier, au seuil d’un poème d’avenir, tous les carcans de la désespérance."

Odile COHEN-ABBAS (in Les Hommes sans Epaules n°35, 2013).

 

"Christophe Dauphin est un poète majeur du monde contemporain, un poète qui assume pleinement la fonction d’éveilleur, fonction traditionnelle du poète. C’est dans le choix de l’alternative nomade que Christophe Dauphin transmet, avec une grande originalité, non une connaissance, mais un art de se relier librement au réel.   Il maintient en alerte, une double alerte, l’une pour la personne afin qu’elle ne se laisse pas engluer par la bêtise envahissante, l’autre à la l’individu, la part indivisible, afin qu’elle préserve les chemins sinueux qui conduisent à l’être. Poèmes de queste, profondément initiatiques, voyages au centre de soi-même, ses textes sont sans concession au monde des apparences. C’est le réel qu’il veut, et rien d’autre, ce réel qui pointe dans le temps du rêve où les mots se défont pour s’assembler dans une langue inconnue qui résonne comme la cloche du monastère qui annonce l’heure du silence, tout prêt du sommet de la montagne. Réenchantement des mondes, les poèmes de Christophe Dauphin libèrent les espaces des carcans de préjugés des mondes normés afin que l’esprit se déploie. Après Totems aux yeux de rasoir, poèmes 2001-2008, ce nouveau recueil rassemble les poèmes de la période 1985-2000 dans un volume de près de 500 pages. Essayiste et critique littéraire, Christophe Dauphin, inscrit consciemment dans le poème continu de la vie, laisse une trace subtile avec l’encre des émotions."

Rémi BOYER (in incoherism.owni.fr, le 1er décembre 2012).

 

"Imprégné par les avancées du Surréalisme, Christophe Dauphin s’en est dégagé autant par son inspiration que par son écriture. Son livre est par excellence la  somme qui le prouve. Elle permet aussi de voir un pan du chemin de celui qui caresse l’utopie comme il ouvre parfois à des chants moins sereins. Adepte des voyages sous toutes ses formes, « par la rivière Kwai » comme sur « les pas de Baudelaire dans les voiles », de la nuit mexicaine aux  touffeurs de Samarkand,  à travers un tableau de Monet, de Madeleine Novarina ou de Frida Khalo le poète est  toujours au plus près de la vie : le monde est là. L’idéalisme du poète ne l’expurge pas de ses miasmes. De même sa propension à l’absolu ne prive pas le lecteur de toute une sensualité. Dauphin crée une œuvre qui se dérobe à l’ombre même s’il se dit « un crépuscule aux mains coupées ». Et si la poésie ne sauve pas elle cicatrise un peu. Certes la peau est souvent prête à éclater à nouveau, le sang pulse mais il n’empêche que l’écriture métamorphose tout – jusqu'au « collier de Buick et de Lada » sur l’île de Cuba.      

Il existe dans une telle œuvre des sortes de narrations plastiques poétiques qui forcent l'espoir en luttant contre la réalité lorsque nécessaire. L’écriture est donc la source de la résistance à la vérité instrumentalisée comme à l’amour déçu. La femme y est d’ailleurs présente de manière paradoxale, hors champ. Et le poème devient parfois par-delà la douleur  le lieu sourd de rêves provoqués par les attentes que la femme comme les lieux provoquent. Dans ces derniers réside toujours quelque chose d’intime qui joue de l’entre deux : l’ici et le là-bas, l’avant et l’après.      

Le visible et l’énoncé  suggèrent de l’invisible et du tu, du nous, du liant et du lien – c’est d’ailleurs une idée mère chez Dauphin. Un tel livre permet de traverser les couches sédimentaires  d’une œuvre et d’une existence. Certes son contenu ne se confond pas avec le signifié. Dauphin élabore des énoncés qui n’ont rien de « médico-légaux». Ils expriment un état particulier  de la visibilité du monde et de la profondeur des émotions et leur charge d'ineffable que l’artiste engendre et  nourrit.  Chaque texte révèle le cri de vie, d'amour, d'exigence intérieure. C’est pourquoi il se conçoit comme un espace à relire et relire pour découvrir ce qu’il en est - par-delà le poète - de l’être  et de ce qui le met en question et l’affecte dans sa relation au monde. "

Jean-Paul GAVARD-PERRET (in incertainregard.hautetfort.com, 7 octobre 2012).

 

"Ce n'est pas la première fois que Christophe Dauphin rassemble dans un gros livre ses poèmes de longues périodes de son passé, soit une production incroyablement imposante. Ce fut d'abord Totems aux yeux de rasoir, poèmes 2011-2008 (lire Inédit Nouveau n°248) et maintenant L'ombre que les loups emportent, qui rassemble les poèmes publiés et/ou inédits, de la période allant de 1985 et 2000. Par conséquent cette fois, des poèmes de jeunesse. On y retrouve d'ailleurs les préfaces, très instructives, de Jean Breton, Henri Rode et Alain Breton. Le temps écoulé indique que le poète a changé, et cela aussi aide à mieux comprendre les différences. car Dauphin  ne cesse de modifier son approche de la poésie. Il a même lancé le terme d'"émotivisme". Pas pour se séparer de son surréalisme d'origine, auquel il reste absolument fidèle, mais pour marquer sa place dans l'histoire littéraire... Dauphin n'hésite pas à présenter ses successives admirations, sinon ses révoltes, comme cela est le cas, à travers l'assassinat de Malik Oussekine en 1986, mais aussi ses réflexions, qui le construisent aux yeux du lecteur. Quelques exemples: "L'amitié, je la porte comme une écharpe qui réchauffe", ou: "Un ami est quelqu'un avec qui on peut se taire sans s'ennuyer." Un peu plus loin, c'est la poésie qui prend le relais: "Il n'y a que la poésie qui soit vie, tout le reste n'est que boniments." Plus loin encore, Rode le signale: "Christophe Dauphin sait exalter les grands humiliés du temporel par le sentiment", et lui-même refuse "le mètre classique." D'un voyage au Mexique, il a rapporté Frida Kahlo et toute la civilisation aztèque. Décidément, Dauphin est un poète du monde entier ! "

Paul VAN MELLE (in Inédit Nouveau n°260, janvier 2013, La Hulpe, Belgique).

 

"Avec L'ombre que les loups emportent, Christophe Dauphin rassemble ses poèmes de 1985 à 2000. A ceux qui croient que le surréalisme est mort comme à ceux qui espèrent qu'il est (vraiment) toujours vivant, je conseille cet ouvrage constellé de comètes verbales et d'aphorismes pyrotechniques: "Le printemps est un révolver d'herbes claires". "Il est minuit - Vos doigts ne servent à rien". "La nuit est une gare aux pas invisibles". Oui, le surréalisme - mais humaniste et pas dictatorial à la Breton - est bien vivant. Christophe Dauphin l'actualise sous le nom d'émotivisme."

Roland NADAUS (in Le Petit Quentin n°283, mars 2013).

 

CE POETE SE NOURRIT DE LA VIE. 

" Seule la poésie est vie, tout le reste n'est que boniment ou subsistance", entend démontrer le poète Christophe Dauphin, dans L’ombre que les loups emportent. Christophe Dauphin signe un recueil de poèmes en prise directe avec le monde. Reconnu par le milieu littéarire, l'artiste est originaire de Nonancourt (Eure) où il naît en 1968, dans une demeure de famille acquise depuis plusieurs générations. Il y vit avec ses grands-parents jusqu’à l’âge de 3 ans avant de rejoindre ses parents à Colombes (Hauts-de-Seine). Leur logement surplombe un bidonville où survivent des immigrés de tous bords politiques. L’enfant n’a pas pleinement conscience de cette situation potentiellement explosive mais il observe et s’imprègne de ces images. Pendant les vacances, il retourne dans l’Eure. Son grand-père lui transmet son esprit d’« ouverture culturelle, sa fibre littéraire et sa passion de l’Histoire ». A 9 ans, Christophe découvre Napoléon, Flaubert et Maupassant. Il lit, dessine, s’interroge à propos de la Société et écrit des poèmes. Cette enfance, suivie d’une adolescence tourmentée, constitueront la « matière vivante » de son art poétique. « On naît et on est poète », dit-il. Christophe rencontre des hommes illustres (Léopold Senghor), des écrivains, des poètes (Jean et Alain Breton, Henri Rode). Il se reconnaît dans le surréalisme (une influence qui correspond à l’intrusion du rêve dans la réalité) et dans un courant de la poésie contemporaine dénommé La Poésie pour vivre qui se veut non-élitiste, « émotiviste »* et en lien avec le monde. Jean Breton le définit comme « le poète-phare de sa génération ». A 45 ans, l'Eurois a derrière lui une œuvre constituée d’une trentaine de recueils, essais, anthologies, critiques littéraires. Il est aussi Directeur de l’une des plus prestigieuses et ancienne revue Les Hommes sans Epaules.

* La poésie émotiviste par l’exemple : « Le cœur en papillote - Je tremble d’amour - Dans le calme d’une rue peinte par Giorgio de Chirico » : devant une œuvre plastique du peintre italien Chirico, « chef de file de la peinture métaphysique », le poète ressent une émotion intense proche du sentiment d’amour. « Si le mot oiseau ne vole pas - l’idée me donne des ailes » : l’auteur fait appel à un souvenir. Son ami poète Jean Rousselot lui avait dit que « le mot oiseau comportait toutes les voyelles et que c’était ce qui lui donnait des ailes ». Ici, le poète utilise le pouvoir des mots pour signifier que le mot oiseau vole. « Ne lâche jamais la vie - elle te lâchera elle-même - toujours assez tôt » : en faisant sienne la pensée « Je cherche l’or du temps » d’André Breton, fondateur du surréalisme, l’auteur signifie qu’il faut savoir saisir les doux moments de la vie.

Marie-France Escofier (in Paris Normandie, 25 mars 2013).

 

"Si vous vous interrogez sur ce qu'est devenu le dadaïsme, le surréalisme, le communisme, la beat generation, ces courants que la flamme poétique embrasa, lui donnant son excès, sa révolte, sa vitesse, son immédiate simplicité, et que vous regardez notre siècle comme une plage à marée basse où le sable, à peine mouillé, si peu scintille et la mer, si loin, trop se confond avec un ciel irréel, ouvrez, ouvrez cette anthologie des poèmes de Christophe Dauphin. Tout est là, généreux, ouvert, fraternel. Aucune nostalgie, mais "la même innocence essentielle" comme l'écrivit Henri Rode. La discussion à peine interrompue, reprend. La parole retrouve ses habits du grand libre. Tout redevient force, envie, combat, rêve, camaraderie. La poésie, à nouveau prolixe, arrose tout ce qu'elle touche, ravive, rafraîchit, reprend le combat au nom de la conscience universelle, se laisse pénétrer par le monde; mourra - nous le savons - sera "l'ombre que les loups emportent", mais les chants qu'elle nous offre, nous feront frères et soeurs des étoiles, des fleuves, des rêves des hauts fonds qui nous rendent plus grands que nos larmes. Dites avec lui, au moins une fois: Je parle de l'homme libre - L'homme aux paupières de fleurs électriques - Que j'étais - Je suis - Je serai."

Pierrick de Chermont (in revue Nunc n°30, juin 2013).

"Selon moi, Christophe Dauphin écrit à main armée. Puisqu’ici c’est le poète qui est évoqué, il est inimaginable - comme pour Michel Voiturier - de concevoir son travail de création annexe ou parallèle à celui du critique, du biographe, de l’animateur des Hommes sans Épaules, agitateur de mémoires sans nostalgie et sentinelle insomniaque sur la ligne de front de la création contemporaine. Il propose dans ses poèmes une lecture boulimique de l’existence, de l’être pris au piège des désirs les plus inutiles de l’humain, ce qui revient à dire : vivre. Christophe Dauphin propose de vivre. Contre la pédanterie, parfois contre soi. Même. N’aurait pas manqué d’ajouter Rrose Sélavy. Christophe Dauphin n’est pas un poète de Poësie, mais de l’intelligence au service d’un quotidien. Il évoque Malik Oussekine. Son poème ne prend pas de coups : il saigne. Christophe Dauphin est l’instant même. Il est toujours possible de dévier avec les fausses toiles « sur le motif » des Impressionnistes d’aujourd’hui. Toute modernité qui se prévaut d’elle est mondaine. Christophe Dauphin comme Michel Voiturier sont aujourd’hui et n’ont pas besoin de se prétendre poètes pour donner ce qu’aucune autre forme de langage n’aborde. Rentrer ici dans les diverses conceptions de la poésie - chacune jamais partagée que par celui-là même qui a développé la sienne - est futile. Lorsque je lis ou entends des poèmes de ces deux-là, unis par l’amitié qui me lie à chacun d’eux, j’espère fermement que c’est bien de cela qu’il s’agit : s’entretenir.

Éric SÉNÉCAL (in Les Hommes sans Epaules n°37, 2014).

*

"Poésie de l'émotion qui s'insurge contre les maux du siècle."

Electre, Livres Hebdo, 2013.

*

Je n’imaginais pas écrire une lettre ouverte aujourd’hui. Mais Jean-Pierre Thuillat me rappelle amicalement que je n’en ai pas écrit depuis longtemps pour la revue. Et comme je viens de consacrer une émission RCF (« Dieu écoute les poètes ») à Christophe Dauphin, j’ai pensé que je pourrais la prolonger ici, dans ce numéro 118 de Friches.

Justement, commençons : Christophe Dauphin s’auto-proclames athée, parfois à grand renfort d’imageries surréaliste : il a écrit, par exemple, une charge violente contre et pour (« Thérèse, Cantate de l’Ange vagin », éditions Rafael de Surtis, 2006) celle que j’appelle « ma copine » : Thérèse Martin, plus connue sous le nom de sainte Thérèse de Lisieux et à laquelle j’ai, alors maire de Guyancourt, consacré une voie publique… parce qu’elle était aussi poète… Il est vrai que cette grande petite sainte est, comme Dauphin, Normande et que ce dernier porte en lui profondément ce que Léopold Sédar Senghor, dont il fut l’ami et par certains côtés le disciple, appela sa « normandité ». L’œuvre poétique de Christophe Dauphin y fait très souvent référence avec bonheur et il a même consacré une belle anthologie aux poètes en Normandie du XIe siècle à nos jours : « Riverains des falaises » (éditions clarisse, 2012).

A propos de l’anthologie, Dauphin, qui est un boulimique de la lecture et de l’écriture, a également publié « Les riverains du feu » (Le Nouvel Athanor, 2009), un ouvrage anthologique dédié aux poètes qu’il rassemble sous le vocable émotivisme ». Ce concept, qu’il développe et qu’il illustre de cinq cents pages et qui reprend des extraits de recueils de plus de deux cents poètes (!), est au cœur de sa pensée et son écriture.

Car si Christophe Dauphin s’insère dans une filiation surréaliste, ce n’est pas pour singer un mouvement disparu, mais au contraire pour en poursuivre l’esprit – dont il juge qu’il est toujours extrêmement vivant. Et il est vrai que ses poèmes brillent souvent d’un éclat surprenant grâce aux images dont il a le secret et qui laissent le lecteur pantois et admiratif devant leur inventivité et leur puissance. Dans son recueil, « Le gant perdu de l’imaginaire » (Le Nouvel Athanor, 2006), qui est un choix de poèmes écrits entre 1985 et 2006, on en trouve à toutes les pages, ainsi à la première :

 

« La lune a mis ses bretelles sur l’idée de beauté

Un train déraille dans la bouteille de la nuit

Il est temps de décapiter la pluie

D’égorger l’orage… »

 

Mais si j’ouvre ce beau recueil  à n’importe quelle autre page, je reconnais le poète prince de l’image, roi de la métaphore :

« Le sourire d’une femme est la lame de fond du regard

Debout entre trois océans »

Il faudrait aussi parler de son livre « Totems aux yeux de rasoirs » (éditions Librairie-Galerie Racine, 2010), préfacé par son ami Sarane Alexandrian, qui fut le très proche collaborateur d’André Breton et le directeur de la revue « Supérieur Inconnu », à laquelle Dauphin collabora. Ou bien encore parler de ce gros ouvrage recueillant des poèmes, des notes, des aphorismes : « L’ombre que les loups emportent (Les Hommes sans Epaules éditions, 2012). Henri Rode surnomme Christophe Dauphin « l’ultime enfant du siècle et la fête promise ». C’est que, très tôt, dauphin a senti bouillonné en lui la poésie, indissociable de la révolte et de l’amour.

L’amour n’est d’ailleurs pour Dauphin pas loin de l’amitié à laquelle il sacrifie fidèlement notamment à travers la revue qu’il dirige : « Les Hommes sans Epaules », qui a d’ailleurs consacré une anthologie à ses collaborateurs de 1953 à 2013 sous le titre « Appel aux riverains » (Les Hommes sans Epaules éditions, 2013). A ce propos, il faudrait aussi évoquer son œuvre considérable de critique littéraire et de critique d’art. Dauphin a décidément une capacité de travail et de création qui, au sens propre, m’époustouflent !

Et comme il est encore jeune, bien que dans l’âge mûr, je lui souhaite de continuer ainsi avec la même vigueur et la même ferveur. Maintenant qu’il est devenu secrétaire général  de l’Académie Mallarmé, il n’en aura que plus de force pour défendre et illustrer la poésie contemporaine, et pour soutenir ses créateurs.

Fraternellement en notre diversité,

Roland NADAUS (cf. « Lettre ouverte à Christophe Dauphin », in revue Friches n°118, mai 2015).

 




Lectures

" Faire connaître la poésie hongroise en France, voici l’objet des Orphées du Danube. Christophe Dauphin et Anna Tüskés y ont réuni des textes de divers poètes ainsi qu’un choix de lettres de Jean Rousselot à Gyula Illyés. D’aspect imposant, ce lourd volume de 458 pages propose en couverture de découvrir les visages de ceux qui ont porté la poésie hongroise, Jean Rousselot, Gyula Yllyés et Ladislas Gara, qui apparaissent au dessus d’une photo panoramique de Budapest.

Il s’agit d’identité, de donner visage et épaisseur topographique aux voix qui émaillent les pages de cette anthologie poétique. Ainsi l’horizon d’attente est-il clairement dessiné, et le lecteur ne s’y trompera pas, car il s’agit bien de pénétrer au cœur de la littérature hongroise du vingtième siècle, à travers la découverte de poètes qui ont contribué à façonner son histoire littéraire.

Précédant les textes de quelque douze poètes hongrois traduis par Ladislas Gara et adaptés par Jean Rousselot, une importante préface de Christophe Dauphin retrace le parcours historique, social et politique du pays, qui a mené à la constitution de l’univers poétique présenté dans ce recueil à travers les œuvres des auteurs qui y sont convoqués.

Enfin, les derniers chapitres sont consacrés à la correspondance de Jean Rousselot et Gyula Illyés, dans un choix de lettres annotées par Anna Tüskés.

La mise en perspective de l’œuvre des poètes présentés, replacés dans le contexte de   production des textes, ainsi que les considérations sur la traduction, offrent de véritables grilles de lecture, mais sont également prétexte à une interrogation sur la production de l’écrit littéraire. Faut-il le considérer comme un univers clos, conçu hors de toute motivation extérieure préexistant à sa production, ou bien faut-il le lire ainsi que l’émanation d’un contexte historique, social et politique coexistant.

Loin de prétendre répondre à cette problématique qui a animé bien des débats sur l’essence même de tout acte de création, le dialogisme qui s’instaure entre les différentes parties du recueil ouvre à de multiples questionnements.

Plus encore, l’extrême richesse des éléments agencés selon un dispositif qui enrichi la lecture de chacune des parties permet non seulement de découvrir ou de relire des poètes dont la langue porte haut l’essence de la poésie, mais, grâce à la coexistence du discours critique exégétique, d’en percevoir toute la dimension."

Carole MESROBIAN (cf. "Fil de lectures" in reocursaupoeme.fr, novembre 2016).

*

"C’est le traducteur hongrois Ladislas Gara qui, par sa rencontre avec Jean Rousselot en 1954, va initier une amitié franco-hongroise poétique au fort rayonnement. Grâce à lui, Jean Rousselot découvre la Hongrie, sa culture, sa poésie, ses poètes dont le premier d’entre les poètes hongrois de l’époque, Gyula Illyés.

Jean Rousselot et Ladislas Gara vont considérablement s’investir dans ce projet de partage auquel participeront, côté français, une cinquantaine de poètes et écrivains. Ladislas Gara traduira en français de nombreux poètes hongrois avec Jean Rousselot comme adaptateurs. Christophe Dauphin estime que ce travail de passeurs dans les deux sens est sans équivalent et reste tout à fait exceptionnel.

L’ouvrage est un livre de poésie mais une poésie que Christophe Dauphin et Anna Tüskés veulent inscrire dans les temps sombres et tumultueux qu’elle a traversés. Là encore, la poésie apparaît à la fois comme résistance et comme voie de liberté.

« Pendant de longs siècles, nous dit Christophe Dauphin, la Hongrie déchirée entre l’esclavage et la liberté, l’indépendance et l’assimilation, l’Est et l’Ouest, ne survécut que par sa langue qui reçut la mission redoutable de rester elle-même dépositaire de l’identité d’un peuple, tout en devenant lieu d’accueil et instrument d’acclimatation pour toute la culture occidentale, en dépit des aléas d’une histoire mouvementée. »

Les poètes hongrois de la seconde partie du XXe siècle n’ont pas seulement été confrontés au rideau de fer et à la dictature mais aussi à l’ignorance de l’Ouest, entre bêtise et préjugés, qui déconsidère ce petit pays qui a généré tant de grands poètes, et donc de penseurs ! Jean Rousselot et Ladislas Gara firent donc œuvre de réparation, réparation qui se poursuit aujourd’hui avec cet ouvrage qui rend compte de foisonnements multiples, celui des artistes hongrois à Paris, celui des traducteurs, créateurs de passerelles, parfois éphémères, parfois éternelles, celui des poètes d’une langue étonnante, source inépuisable du renouvellement de l’être. Aujourd’hui, la littérature et la poésie hongroise, non inféodées, apparaissent bien plus vivantes et rayonnantes que dans une France étriquée entre le littérairement correct et le carcan de la finance.

Dans la première partie de l’ouvrage, Christophe Dauphin fait revivre cette créativité exemplaire des artistes hongrois entre Seine et Danube, une créativité combattante qui, à Paris comme à Budapest, doit faire face à l’obscurantisme stalinien.

La deuxième partie de l’ouvrage est consacrée à douze poètes hongrois traduits par Ladislas Gara et adaptés par Jean Rousselot : Mihály Vörösmarty, János Arany, Sándor Petőfi, Imre Madách, Endre Ady, Mihály Babits, Dezső Kosztolányi, Lajos Kassák, Lőrinc Szabó, Attila József, Miklós Radnóti et Sándor Weöres. C’est souvent une poésie de sang, un cri qui se sait inaudible, sans concession envers le tragique, sans concession non plus envers la poésie elle-même.

Les troisième et quatrième parties du livre présentent les Poèmes hongrois de Jean Rousselot (1913 – 2004) et Sept poèmes de Gyula Illyés (1902 – 1983) après un bref portrait des deux hommes et une introduction à leurs œuvres respectives.

Voici un extrait de ce long poème d’Illyés, Une phrase sur la tyrannie, véritable manifeste, dont l’enregistrement par le poète lui-même fut diffusé sur les ondes en 1989 pour annoncer la fin de la république populaire de Hongrie :

La tyrannie, chez les tyrans,

ne se trouve pas seulement

dans le fusil des policiers,

dans le cachot des prisonniers ;

pas seulement dans l’in-pace

où les aveux sont arrachés,

ou dans la voix des porte-clefs

qui, la nuit, vient vous appeler ;

pas seulement dans le feu noir

du nuageux réquisitoire

et dans les « oui » du prévenu

ou le morse des détenus ;

pas seulement dans le glacial

verdict du mort du tribunal :

« vous êtes reconnus coupable ! »

Pas seulement dans l’implacable

« peloton, garde à vous ! » suivi

d’un roulement de tambour, puis

de la salve, et puis de la chute

d’un corps qu’aux voiries l’on culbute ;

(…)

elle est dans les plats, les assiettes,

dans ton nez, ta bouche, ta tête ;

c’est comme quand, par la fenêtre,

la puanteur des morts pénètre,

(ou bien, va voir ce qui se passe,

Peut-être une fuite de gaz ?) ;

Tu crois te parler, mais c’est elle

La tyrannie, qui t’interpelle !

Tu crois imaginer ? Lors même

elle est encor ta souveraine ;

ainsi de tout : la voie lactée

n’est plus qu’une plaine minée,

une frontière balayée

par le projecteur des douaniers ;

L’étoile ? un judas de cachot !

et les bivouacs d’astres, là-haut,

un immense camp de travail ;

la tyrannie où que tu ailles !

(…)

elle, en tout but que tu atteins !

elle, dans tous les lendemains !

elle encor qui te dévisage

dans ta pensée et dans ta glace ;

à quoi bon fuir ? Elle te tient !

et tu es ton propre gardien…

 Ce poème n’est pas seulement bouleversant par son rapport aux événements terribles que l’auteur et le peuple hongrois traversent alors, il l’est surtout parce qu’il énonce ce que nous ne voulons pas voir. Cela, la tyrannie, n’existe dehors que parce qu’elle est en nous au quotidien, dans nos identifications aliénantes et banales. Il ne peut y avoir de libération populaire si nous ne nous libérons pas d’abord de nous-mêmes. La poésie de Gyula Illyés présente une dimension à la fois intime et universelle dans un nouveau paradigme de dissidence.

La cinquième partie est une longue étude d’Anna Tüskés, Jean Rousselot et la poésie hongroise, qui évoque les liens de Jean Rousselot avec les poètes hongrois et son travail d’adaptateur d’après les traductions de Ladislas Gara. Il précède un ensemble important de lettres de Jean Rousselot à Gyula Illyés qui témoignent de la construction d’une amitié profonde et de l’influence de cette amitié sur plusieurs décennies de littérature et de poésie.

Il s’agit d’un livre important, qui s’adresse à tous, à ceux qui souhaitent mieux comprendre les relations culturelles franco-hongroises, l’histoire de la Hongrie, à ceux qui désirent découvrir la poésie hongroise, ses singularités, ses saveurs, à ceux enfin qui veulent rester debout.

Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, novembre 2015).

*

" C'est une formidable somme qui est réunie dans ce volume fort de 450 pages. La problématique serait: quel rapport existe-t-il entre la France et la poésie hongroise ? Et les trois noms qui suivent le titre de l'ouvrage donnent les clés du livre: Jean Rousselot, Gyula Illyés et Ladislas Gara. Le premier, écrivain de haute voltige, sera central dans ce jumelage poétique, le troisième essentiel pour transmettre et traduire en particulier le deuxième, grande figure de la poésie hongroise. Tout d'abord Christophe Dauphin dans un long essai, comme il a l'habitude, va rappeler l'histoire de la Hongrie, sur laquelle va se greffer sa poésie. Premier auteur tutélaire: Sandor Petofi au XIXe siècle, puis surtout Attila Jozsef qui séjourna plusieurs mois en France et Gyula Illyés qui passa quatre années de sa jeunesse sur l'ïle Saint-Louis. "C'est Paris qui a fait de moi un Hongrois", écrit-il. Christophe Dauphin rappelle en passant tout ce qu'on doit, au point de vue artistique à ce pays d'une dizaine de millions d'habitants: Brassaï et Robert Capa pour la photographie, pour la musique Béla Bartok et Joseph Kosma, par exemple...

Dans les années 1950-60, la poésie est très populaire, se vend bien, et même le compte d'auteur n'existe pas. 1956, la Révolution est écrasée à Budapest, suite à l'invasion soviétique (ce qui tend à diviser les poètes français), évènement qui fut occulté par la crise de Suez, concomittante. 1989, fin de la république populaire de Hongrie. Jean Rousselot va adapter des textes hongrois, traduits de manière brute par Ladislas Gara en français, en leur restituant grâce et qualité. Et en particulier les poèmes de Gyula Illyés, jusqu'à sa disparition en 1983. Ladislas Gara, né en 1904, va, de par son métier de journaliste, devenir une sorte de correspondant à Paris où il s'installe dès 1924. Il va se lier d'amitiés avec Gyula Illyés. Il sera résistant en 1942. En butte à diverses tracasseries, il se suicide en 1966. Sa page sur la traduction de la poésie hongroise en français est très éclairante dans le rapport complexe de ces deux langues. Elle précède dans une mini-anthologie onze poètes hongrois comme Petofi, Ady ou Jozsef. Jean Rousselot de son côté possède une oeuvre impressionnante, puisque dès 1946, il décide de vivre de sa plume; et sa poésie n'est qu'une partie de son oeuvre complète: "Je pourrais être le paveur des rues - Qui dans son sommeil examine encore - Les dents cariées de la ville..." Gyula Illyés est né en 1902  et va devenir le poète le plus important de sa génération. "Paysan du Danube", comme le surnomme Eluard, il va défendre les ouvriers agricoles. son poème le plus célèbre: "Une phrase sur la tyrannie", résonnera après l'écrasement de Budapest en 1956: "Maintenant je connais tout ce qui pique, mord, frappe en mon corps - la douleur allume en moi le chapelet de ses lampes. J'ai mal donc je suis."

Toute la seconde partie du livre, préparée par Anna Tüskés, montre à travers les nombreuses lettres que Jean Rousselot adresse à Gyula Illyés, l'amitié qui les lie, ainsi que leur famille respective, femmes et filles. Cette partie, que j'appréhendais comme plus ennuyeuse, s'est révélée au contraire très facile à lire, puisqu'on découvre une réelle intimité liant ces deux auteurs majuscules. Jean Rousselot disant en substance: "La Hongrie est ma deuxième patrie." On tire de la lecture de ce livre l'impression vivace qu'il y a eu un réel pont entre ces deux poésies apparemment éloignées, et qui, grâce à la conjugaison de ces trois poètes hors norme, semblent se jouer des frontières et des langues pour s'allier vers un échange fraternel et humain."

Jacques MORIN (in revue Décharge n°168, décembre 2015).

*

"La littérature française, depuis le Siècle des Lumières, a toujours influencé la culture hongroise. L’une des plus belles preuves de ces liens, dans la deuxième moitié du 20e siècle, fut l’amitié sincère liant trois hommes, l’écrivain et traducteur Ladislas Gara et les deux grands poètes Gyula Illyés et Jean Rousselot. Christophe Dauphin, poète lui-même, directeur de la revue Les Hommes sans Épaules, secrétaire général de l’Académie Mallarmé et qui fut l’ami de Rousselot y a trouvé un très beau sujet, essais et poèmes à l’appui. Ainsi naquit sous sa plume et celle de l’historienne d’art Anna Tüskés, Les Orphées du Danube."

Institut Hongrois de Paris, janvier 2016).

*

" Christophe Dauphin (et c'est son droit) est violemment anticommuniste. Mais, dans les études de lui que j'ai lues, sa lecture de l'activité du parti communiste français est datée ou circonscrite historiquement. Et n'écrit-il pas vers 1995, dans un poème intitulé Lettre au camarade Dimitrov (repris dans Inventaire de l'ombre) : "Et ce con d'Aragon / Qui chante Staline et sa moustache d'urine", confondant, semble-t-il, Éluard qui aurait écrit une Ode à Staline et Aragon 1. Christophe Dauphin est né en 1968, c'est dire qu'il a baigné dès ses premières années dans l'après-mai 68 où il était de bon ton d'être anticommuniste… On voit aujourd'hui ce que sont devenus les enragés de Nanterre ! Christophe Dauphin fait d'Aragon un stalinien convaincu alors que dans Le Roman inachevé (publié en 1956), Aragon écrit : "On sourira de nous pour le meilleur de l'âme / On sourira de nous d'avoir aimé la flamme / Au point d'en devenir nous-mêmes l'aliment" 2. Contrairement à Étiemble qui écrit dans sa préface à ce recueil 3 : "En fait, mes réserves n'étaient pas que de rhétorique : procès de Moscou, réalisme-socialisme, Staline, Jdanov, m'avaient imposé de faire sécession. Mais au lieu de garder le jugement froid, je contaminais de griefs politiques le plaisir presque sans mélange que, ma poétique étant ce qu'elle est, j'aurais dû prendre  au Crève-Cœur…", Christophe Dauphin n'a pas dû lire avec attention Le Roman inachevé. Étiemble, en effet, voit combien Aragon se remet en question dans La Nuit de Moscou : "On sourira de nous… [etc]" ; Étiemble reprend les deux derniers vers du groupe de trois cité plus haut… Mais il faut lire attentivement cette préface dans laquelle Étiemble note : "J'ai cru longtemps qu'Aragon exerçait sans souffrir son magistère, qu'il mentait sans remords, qu'il jouait cyniquement le jeu de la puissance" 4  avant de citer à nouveau Aragon, comme indiqué ci-avant… Ce n'est donc pas sans circonspection que j'ai ouvert l'essai de Christophe Dauphin et Anna Tüskés, "Les Orphées du Danube".

             L'ouvrage est composé de six parties si l'on ne compte pas l'index :

- Christophe Dauphin présente tout d'abord le livre ;

- Douze poètes hongrois par Ladislas Gara, en fait un choix de poèmes opéré par Christophe Dauphin et introduit par lui-même ;

- Les Poèmes hongrois de Jean Rousselot, présentés par le même Christophe Dauphin ;

- Sept poèmes de  Gyula Illyès, que choisit et présente Christophe Dauphin ;

- Jean Rousselot et la poésie hongroise par Anna Tüskés ;

- Les Lettres à Gyula Illyès de Jean Rousselot (et à quelques autres), édition établie et annotée par Anna Tüskés.

             La première partie, intitulée "La Poésie hongroise entre Seine et Danube", écrite par Christophe Dauphin est très intéressante par la connaissance de cette poésie et les aléas des relations entre poètes hongrois et français. Mais elle pêche diversement. Tout d'abord par son aspect trop détaillée qui submerge le lecteur de bonne volonté… Ensuite et surtout, par le portrait tracé d'Aragon. Si Louis Aragon (avec Éluard et Tzara) est présenté comme un vieil ami de Gyula Illyés, l'image qui se dégage globalement du portrait qu'en fait Christophe Dauphin est celui d'un stalinien pur et dur qui, "à l'instar de Guillevic [a] approuvé l'invasion soviétique et l'écrasement de la révolution de 56". C'est que Dauphin privilégie Jean Rousselot, "ancien trotskiste et toujours socialiste", un Rousselot qui sert de repoussoir à Aragon. Une citation, une seule : "Louis Aragon, qui a approuvé tous les actes de l'URSS depuis le pacte germano-soviétique, […], soutient l'intervention russe à Budapest" 5. Dauphin qui ne peut s'empêcher d'égratigner Aragon, Benjamin Péret à l'appui par une citation du Déshonneur des poètes… Dauphin qui oublie que le pamphlet de Benjamin Péret (publié en 1945) parle d'une "petite plaquette parue récemment à Rio de Janeiro" alors que L'Honneur des poètes paraissait clandestinement en 1943… et que Benjamin Péret présentait déjà à l'époque (1945) Aragon comme "habitué aux amens et à l'encensoir stalinien", expression que Dauphin emprunte à Benjamin Péret sans citer ses sources (p 68).  C'est oublier beaucoup de faits. Olivier Barbarant écrit en 2007, à l'année 1956 de la chronologie du tome II des Œuvres Poétiques complètes d'Aragon, que Les Lettres françaises publièrent un communiqué adressé au président Kadar lui demandant de protéger les écrivains hongrois menacés par la répression, que le même hebdomadaire publia fin novembre l'article d'Elsa Triolet rendant compte des choix faits par elle et Aragon et condamnant ceux qui veulent "tirer leur épingle du jeu quand amis et camarades subissent l'opprobre… Ne songeant à rien d'autre qu'à se disculper personnellement, qu'à se faire pardonner d'avoir cru". Le verbe croire fait écho à ces vers de La Nuit de Moscou : "Quoi je me suis trompé cent mille fois de route / Vous chantez les vertus négatives du doute / Vous vantez les chemins que la prudence suit…" Oui, relisons Olivier Barbarant qui note qu'Aragon durant l'année 1956 "se tient à l'écart des protestations, défend dans les discussions la ligne du parti et confie à sa poésie la recherche d'une expression pertinente de sa pensée" 6. Il faut (re)lire Le Roman inachevé, les choses sont beaucoup plus complexes …

             Les Douze poètes hongrois (traduits par Ladislas Gara et adaptés par Jean Rousselot) sont précédés d'un Portait de Ladislas Gara en porteur de feu dû à Christophe Dauphin, Ladislas Gara étant le maître d'œuvre de l'Anthologie de la Poésie hongroise du XIIème siècle à nos jours (publiée en 1962). Ce portrait est plutôt hagiographique : Christophe Dauphin cite André Farkas qui écrit "Le 6 mars 2013 […] notre nouvelle Hongrie démocratique rachète la faute des trois régimes précédents"… Passons sur le terme faute qui sent l'eau bénite. S'il n'est pas question de nier ou de soutenir les erreurs de ces régimes ni ce qui s'est passé en 1956, on s'étonnera quand même de cette "nouvelle Hongrie démocratique" ! En 2013, c'est Viktor Orbán qui est premier ministre et la Hongrie est devenue un pays très conservateur, pour ne pas dire plus. Il faut attendre une note (en bas de la page 103) pour qu'il dise clairement que l'anthologie fut financée par une institution étasunienne  qui recevait des subsides de la CIA ! C'est ainsi que Rousselot, Éluard et Guillevic virent, à leur insu, leurs traductions éditées grâce à l'anticommunisme de la CIA ! Au travers de cette étude, c'est une conception de la traduction qui transparaît. Christophe Dauphin n'épargne pas au lecteur les rivalités et les jalousies des écrivains hongrois, l'exemple des relations entre Ladislas Gara, d'une part, et Tibor Déry ou Géza Ottlik, d'autre part, est exemplaire même si Dauphin avoue son ignorance quant à savoir s'il s'agissait là d'une instrumentalisation ou non…

            Le choix de textes de ces douze poètes est d'un intérêt historique certain mais ne rend pas compte de la richesse de la poésie hongroise puisqu'il ne donne à lire que des auteurs, pour la plupart, de la première moitié du XXèmesiècle. La lecture de l'anthologie de Gara demeure donc nécessaire (encore faut-il la trouver). Mais, l'écart entre la langue hongroise et la française étant ce qu'il est, on peut facilement imaginer la difficulté qui fut celle de Rousselot lors de son adaptation : les poèmes (de la p 117 à la p 156) sont souvent écrits en vers comptés, rimés ou assonancés : on  aurait aimé avoir sous les yeux la totalité de la postface de Gara à l'anthologie, "La traduction de la poésie hongroise et ses problèmes"

             Les troisième et quatrième parties sont consacrées à deux écrivains qui ont beaucoup donné à la littérature et à la poésie hongroise : l'un, en France, pour mieux faire connaître les poètes de ce petit pays, Jean Rousselot, et l'autre, en Hongrie, Gyula  Illyés… Dans les deux cas, Christophe Dauphin écrit une biographie des deux poètes (dans la droite ligne de ses précédents textes, jugements expéditifs contre Aragon en moins) avant de donner à lire un choix de leurs poèmes respectifs, les poèmes hongrois pour Rousselot et sept poèmes pour Illyés dont le célèbre Une phrase sur la tyrannie qu'on peut lire aujourd'hui en ayant présent à l'esprit la tyrannie du marché qui justifie toutes les entorses à la morale. L'Histoire s'invite dans ces poèmes, leur faisant courir le risque d'être parfois didactiques...

            La cinquième partie est un essai d'Anna Tüskés, "Jean Rousselot et la poésie hongroise", qui est en fait un mémoire écrit en 2004 à la fin de ses études universitaires. Le titre indique bien l'objet de ce mémoire. Anna Tüskés passe en revue tous les travaux de Jean Rousselot qui témoignent de son attachement à la culture hongroise en général et de la connaissance qu'il s'est donnée de la littérature de ce pays. La date charnière dans le travail de popularisation de la poésie hongroise en France de Rousselot semble bien être le décès de Ladislas Gara en 1966 : l'activité de Rousselot est intense avant 1966, mais après la disparition de Gara, "Rousselot n'a plus eu d'aide pour la traduction. Ses adaptations d'œuvres hongroises en français se sont raréfiées". Anna Tüskés met aussi en évidence le travail de Jean Rousselot pour rendre compte de l'intensité de la vie culturelle hongroise au milieu des années 60 et il n'est pas interdit de se demander s'il en toujours de même aujourd'hui. Autre point qui mérite d'être relevé dans l'étude d'Anna Tüskés, ce sont les réflexions de Rousselot sur les problèmes de la traduction de la poésie hongroise : Anna Tüskés n'hésite pas à donner un exemple de deux traductions différentes de la même strophe d'un poème de Vörösmary (pp 249 & 250). Ce qu'il faut surtout retenir, c'est le principe d'une traduction "pour le sens" par un traducteur maîtrisant les deux langues suivie d'une "adaptation" par un poète français. C'est ainsi que Guillevic fut particulièrement remarqué pour sa mise en français de poèmes hongrois, alors qu'il ignorait cette langue…. De même, Jean Rousselot s'étonne du tirage d'un recueil de poèmes en Hongrie (1200 exemplaires pour un débutant, 10000 pour un poète reconnu) alors qu'en France ce même tirage est ridiculement faible : qui s'est aligné sur qui en 2015 ? Cette étude est suivie des lettres de Rousselot à Gyula Illyés suivies de quelques missives adressées par le poète français à cinq autres hommes de lettres hongrois, l'étude s'appuyant aussi sur une analyse de certaines des lettres de Rousselot à Illyés… C'est la sixième partie de l'ouvrage. Les lettres et les cartes postales de Jean Rousselot à Gyula Illyés sont intéressantes car elles permettent de suivre le cheminement des travaux "hongrois" du poète français chez Gallimard, Seghers et autres éditeurs français au-delà de l'amitié, de l'affection entre les deux familles. Elles donnent aussi d'utiles renseignements sur le fonctionnement du système éditorial français : c'est ainsi qu'un éditeur veut bien réaliser un ouvrage à ses frais mais demande que l'auteur l'aide à le vendre !  Le texte de plus de cent lettres et cartes est ainsi donné à lire et offre d'utiles renseignements sur le travail de Jean Rousselot et sur l'édition de poésie en France…

             Pour conclure, il faut lire ce livre pour ce qu'il nous apprend sur les relations franco-hongroises au milieu du siècle dernier (jusqu'en 1966, date de la disparition de Gyula Illyés), sur les problèmes de traduction du hongrois… tout en se méfiant de l'image d'Aragon qui y est donnée. Si le stalinisme fut criminel, ce n'est pas une raison pour condamner tous ceux qui l'ont combattu après avoir découvert sa véritable nature, sans rien renier de leur engagement ni de leurs idées. Ce qu'oublie Dauphin, c'est ce qu'Aragon écrivait dans Le Roman inachevé ; c'est oublier encore qu'Aragon disait qu'il déchirait sa carte du parti le soir et la reprenait le lendemain matin ! Les choses pourraient être claires et cesseraient d'empoisonner la discussion et des textes dignes d'intérêt comme ceux qui sont contenus dans ce livre. Et puis, je ne peux m'empêcher de penser à ce que Pierre Garnier m'écrivait en 2004 : "… je ne veux pas me trouver classé avec les critiques venimeux d'Aragon (encore aujourd'hui, ce qui est extraordinaire, alors que l'URSS a disparu, que le communisme est à réinventer…) " 7. Mais je m'éloigne sans doute des Orphées du Danube… "

Lucien WASSELIN (cf. "Questionnements politiques et poétiques 2 "Les Orphées du Danube""  in www.recoursaupoem.fr, mars 2016).

Notes :

 1. In L'ombre que les loups emportent (Poèmes 1985-2000). Anthologie, Les Hommes sans Épaules éditions, 476 pages, 2012. (p 280).

Si la mort de Staline provoque chez Aragon la rédaction d'un article paru dans Les Lettres françaises du 12 mars 1953, l'affaire du portrait de Staline par Picasso explique beaucoup de choses… Le lecteur intéressé pourra lire, dans le tome XII (1953-1956) de L'Œuvre poétique (Livre Club Diderot, 1980 pour ce tome) un dossier aussi complet que possible sur cette affaire du portrait (pp 472-500). Mais il y a plus et mieux (si l'on peut dire) : Éluard n'a jamais écrit une Ode à Staline. On peut trouver dans les Œuvres complètes d'Éluard (Bibliothèque de la Pléiade, tome II, 1968, pp 351-352) un poème intitulé Joseph Staline. C'est ainsi qu'est née la "légende". L'Ode à Staline se réduit sur internet à 12 vers de ce poème, bien réel, repris dans Hommages, une plaquette parue en 1950. Ces 12 vers correspondent aux vers 25 à 32 suivis des vers 15 à 18 du poème (sur le site de Ph Sollers - consulté le 12 décembre 2015 - qui présente, par ailleurs, le site Médiapart comme hitléro-trotskiste [ ! ] ). Mais sur d'autres sites, les vers 25 à 32 sont répétés avec une légère variante. Quant au second vers de Dauphin cité avant l'appel de note, il fait penser à celui d'Ossip Mendelstam : "Quand sa moustache rit, on dirait des cafards" (traduction française) dans un poème évoquant la vie en URSS sous Staline… Il faut rendre à César ce qui est à César… Même si le poème de Paul Éluard apparaît bien naïf aujourd'hui et inadmissible : rappelons que "ce poème est le commentaire que Paul Éluard interpréta lui-même pour le film L'Homme que nous aimons le plus, réalisé pour le 70ème anniversaire de Staline". Rappelons également que "le fragment qui va du 3ème vers de cette troisième strophe jusqu'au dernier vers de la quatrième (or dans l'édition de la Pléiade, le poème compte 5 sizains et 1 distique, d'où cette question : y a-t-il une erreur dans la note ?) strophe a été publié dans L'Humanité-Dimanche, en novembre 1949". (notes de la page 1125 de ce tome II des Œuvres complètes d'Éluard). D'où peut-être les copies fautives qu'on trouve sur internet, les animateurs de ces sites n'ayant pas pris la peine de lire Hommages, semble-t-il… En tout cas, la prétendue Ode à Staline ne correspond pas à cette dernière note ni au poème d'Hommages, il suffit de comparer les deux textes de Paul Éluard.

2. Aragon, Le Roman inachevé. In Œuvres Poétiques complètes, Bibliothèque de la Pléiade, 2007, tome II, p 252.

3. Étiemble, préface à Aragon, Le Roman inachevé, Poésie/Gallimard, 1966, p 9.

4. Idem, p 12

5. Il faut (re)lire l'étude de François Eychart, "L'Affaire des avions soviétiques en 1940" et ses annexes dans Les Annales de la Salaet n° 5 (2003), pp 134-155…

Dauphin ne paraît s'intéresser qu'au segment de la vie d'Aragon qui va de son adhésion au PCF jusqu'à l'écrasement de la Révolution de Budapest en 1956 par les forces armées soviétiques. C'est "oublier" le "Moscou la gâteuse" d'Aragon d'octobre 1924 (dans le pamphlet contre Anatole France, Un Cadavre, formule sur laquelle reviendra Aragon en janvier 1925 : "La Révolution russe ? Vous ne m'empêcherez pas de hausser les épaules. À l'échelle des idées, c'est tout au plus une vague crise ministérielle") et son évolution qui commence (semble-t-il) avec la rédaction de La Nuit de Moscou… Toute la complexité des relations entre le surréalisme et le communisme est là, mais aussi toute la complexité d'Aragon. Du côté surréaliste, l'évolution ira jusqu'au trotskisme, du côté d'Aragon l'évolution conduira au communisme. Mais la deuxième guerre mondiale et le développement du stalinisme vont rebattre les cartes.

6. In Œuvres Poétiques complètes, tome II, p XIII.

7. Poésie Nationale : La querelle Pierre Garnier-Louis Aragon, in Faites Entrer L'Infini n° 39 (juin 2005), p 18.




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