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Lecture des Eperons d'Eden

Au « rituel des lisières », le fils poète d’un poète cède comme on concède la beauté à la fleur qui penche et va faiblir.

En distiques justes, l’auteur s’avance vers le père qui le quitte et le « tombeau » serre l’absence et les beautés de « tous les souvenirs », rameutés par une voix qui ne sentimentalise jamais mais ramène à la surface de la parole des pans entiers de mémoire vive et le service d’hommage commence : « dans la nuit de l’encre » oui, car  « j’ai accumulé ton visage/ Pour annoter tes poèmes/ de salves de toi ».

La splendeur des images recrée le défunt : « si tu rampes/ dans le sommeil du buffle ». La ferveur et l’amour filial décochent des vers de pure beauté :


« Aujourd’hui, si tu parles
dans ma nuit de chaque jour
mon sourire dans tes yeux
dépose-t-il une larme et un éloge ? »


La mort se décline dans une laisse de poèmes brefs : « Pour toi, père/ j’ai tenté/ ce mince larcin/ des saintes dactylographies/ - ton sanctuaire  »

Faut-il vraiment aimer pour « oublier la mort » ? La poésie de Breton (1956/ dix recueils depuis 1979) consigne l’éloge en vers vrais, recueillant « l’hospitalité » des livres du père, offrant le sien, défiant la mort, appelant à « renaître » « dans l’érection/ des bruits » du monde.

Philippe Leuckx (in recoursaupoème.fr, juillet 2014)

*

" Il est dur de porter un tel patronyme quand on écrit de la poésie : les comparaisons sont obligées mais je ne m’y livrerai pas. Alain Breton a perdu son père, Jean Breton, en 2006 ; Jean Breton, qui était aussi poète. La préface, sobrement intitulée « Mon père », dit tout ou presque : la transmission de l’amour pour la poésie, l’éducation et les dernières années marquées par les maladies et la mort dans toute son horreur ; on aurait pu en rester là et le lecteur s’attend au pire dès que débute « Mastique la mort », la première des trois suites de poèmes du tombeau qu’Alain Breton élève à la mémoire de son père.
 Mais Alain Breton évite l’épanchement lyrique incontrôlé. Il corsète son inspiration par une forme elliptique à souhait : le distique qui court, à trois exceptions près (pages 76, 99 et 109), du début à la fin du recueil. Le vers est souvent réduit à sa plus simple expression, un ou deux mots. Dans de telles conditions, Alain Breton va à l’essentiel qui est ainsi mis en valeur. On pourrait multiplier les citations à l’aspect lapidaire : « Le sceau / des eaux dormantes », « La nuit traçant / le pleur et la merveille » ou encore « L’écho songeur / dans les lambeaux du cri ». Tout est dit dans ces poèmes maîtrisés : l’amour filial, la dette, la mort…
Je sais qu’on rattache Alain Breton à l’émotivisme. Émotivisme : mot affreux qu’une encyclopédie sur internet définit ainsi : perception méta-éthique affirmant que les attitudes émotionnelles sont exprimées à travers l’éthique de la parole… Ça jargonne comme dans une certaine poésie que veut combattre l’émotivisme ! Si la recherche sur l’expression, sur les formes, le langage... est légitime, les abus et les prétentions de l’émotivisme sont inadmissibles. Heureusement, ici Alain Breton échappe à ces travers et l’amateur peut découvrir de petites pépites verbales : « L’araignée diamantaire / livrant sa cargaison de brume » ou « Désormais, tu es l’hypne des sous-bois, / le sommeil des tisons »… C’est un vrai bonheur de lecture.
 Il faut lire ce recueil pour la splendeur des images et sa langue chatoyante, pour la sincérité du ton et pour l’expérience qui nous est donnée à partager. "

Lucien Wasselin (In revue-texture.fr, 2014).

*

"Puisque Monsieur Breton ne supporte pas que l’on dise du bien de ses écrits, je tâcherai, eu égard à l’amitié que je lui porte, d’en dire le moins possible. Pour ce faire, j’ai choisi trois de ses livres : Pour rassurer le fakir, Infimes prodiges et Alain Breton Anthologie.
On y côtoie des textes farfadets, des poèmes lutins avec le coeur qui danse, des nerfs et des muscles, des organes sensitifs et des intestins, avec le désir de vivre, de se communiquer. Et de fait ils rencontrent leur corps en chemin et valident leur manière d’exister. Ces poèmes, assurément, ont des pieds et des lignes de la main et surtout une mémoire curative qui soupèse et estime ses blessures, nous fait sourire d’elles, de leurs dérives et de leurs parjures.

Le voici. Il tourne à l’angle de la rue, il se glisse entre deux rayons du soir. Fier, il est de ceux qui bissent leurs exploits : il nous a aperçus, son torse se gonfle, il se lance, il est déjà loin.

Peut-être aurons-nous un jour le courage, au moment où il file, de rester immobiles et de lâcher derrière lui : « Bon débarras ! »

Si je considère l’ensemble de ces ouvrages, la première chose qui me vient à l’esprit, c’est qu’il reste tant de marge pour écrire l’inédit, pour énoncer les choses autrement - primeurs de chair et d’imaginaire ! -, qu’il y a encore la place pour une multitude d’Alice au pays des merveilles pourvu que l’on choisisse, ainsi que le fait Alain Breton, ses interstices entre les lieux, que l’on se décale entre les sas, les courants, entre les portraits-robots des heures et des saisons.

Je reste suspendu à la corde de rappel ; sans doute ai-je bougé trop tôt. Le vent s’est retiré mais j’espère son retour et les cailloux les plus acérés sous ma corde pour éviter de compromettre ma chute tout à fait.

J’ai donc abordé les mythes et légendes de cet auteur, et mes yeux ont fait le voyage hors de moi pour tomber dans son aire, son no man’s land du périple et du merveilleux. Car l’une des caractéristiques de ces lignes serait d’être comme autant de poèmes en route, à valeur locomotrice, laissant trace de leurs pèlerinages, de leurs élucubrations, de leurs doutes et de leurs hésitations.

L’ouvreur de portes ne se fait guère d’illusions : lorsqu’il détourne la tête, même pour peu de temps, la porte qui, une seconde auparavant, lui résistait, s’ouvre en livrant passage à des étrangers en capes, turbans, bottines, toques, sabres, gibecières, en si grand nombre que la porte ne pourra jamais plus être fermée.

On y trouve maint mouvement de lecture dont les sens, comme pris entre des vagues, s’entremêlent, se complètent, se séparent.

Que chaque totem nous prenne en pitié.
Que des spiritueux s’ajustent à nos muscles,
Infatigables lévriers de l’esprit.
Que le Joaillier rince nos os de solitude,
Qu’enfin les oiseaux s’emmurent vivants,
Pour nous, les anges.

Et de fait, l’être du poème est nombreux, peuplé à foison d’autres masques ou d’autres lui-même, ouvrant toujours sur des possibles et délivrant ce mode d’emploi à tiroirs d’une toujours plus lointaine et profonde féerie.

Chien fou, lève, coeur cogné comme rose sure. Ce que tu voulais s’estompe viscère de sang. Neuf, tu n’as plus peur. Sous le poil, tu es un loup. Tu comprends. Ta formidable queue traîne, tu balances la patte dans un tonnerre de drogue, tout éclate quand tu gueules, tu es libre.

Les rêves mis en scène sont si nets, si visibles, d’un principe actif si probant, qu’on pourrait les baptiser, chacun, d’un nom d’homme ou d’ami, de différentes langues, en différents pays.
Cela fait longtemps, dès leur naissance sans doute, que le « Fakir » les a affranchis et on les voit s’avancer toujours si loin vers l’horizon, de leur allure à la fois conquérante et badine, qu’on se demande s’ils n’auront jamais la force - ou le désir ! - de revenir. En eux, même les affects d’échec, de doute, d’amertume, maquillés sans excès, conquis au devoir d’exister, se voient recevoir des rôles qu’ils n’avaient pas prévus. Car ce recours à l’onirisme a des vertus prolifiques, des accents d’allégorie et de facéties ; il dévisse sans vergogne les glaces, débite et fractionne son efficace, semble une mutine et mutante machinerie. Témoin, cette « sentinelle », cet « allumeur de réverbères » surpris au seuil des rêves : je viens d’arriver et déjà tout est changé dans ce monde.
Mais on peut voir aussi dans ces pages une chronique malicieuse et complice de l’être, qu’il soit abordé par ses signes intérieurs ou s’appréhende lui-même de l’extérieur. Cette mise en regard fréquente de l’auteur et du texte fait apparaître le poème comme un hologramme, petit robot animé de charmes aux dimensions de l’humour et de la tendresse. De tels objets recèlent des surprises. Car le jeu des reliefs soudain bascule, balance, dangereusement se déhanche, comme un éclat de rire ou de néant, une émotion qui chercherait sa voie, sa proie, sa déviance. Chercherait ? Le laboratoire est loyal et actif, le don d’énigmes passant par l’organique, l’anatomie duelle et pathétique du miroir.

Je vais voir ma blessure de temps à autre. Je ne suis pas le seul, aussi j’attends mon tour, dans la file d’attente. Lorsqu’il arrive, je n’ose pas regarder, mais comme je me sais jugé par ceux qui attendent derrière moi, je m’y risque. Il n’y a pourtant rien à voir, tout de cette blessure s’est écoulé, je devrais rentrer apaisé dans ma nouvelle vie. Cependant la voix de mes suivants me cingle : « Regarde mieux ! »

Il y a les poèmes du fakir, il y a les poèmes de l’amour, les poèmes rustiques, animaliers, et ceux des crédos du passé, du futur, des jeux libres, dont certains relatent, convoitent une histoire et d’autres agréent « leur » histoire.
Il y a là une surabondance des rites, des joies, des enfances, et le corps de l’homme devenu adulte qui surveille, balise et attise les emportements et dérèglements de sa loi.
Il y a là cette mélancolie paradoxale qui prise à la fois le bonheur d’avenir et sa perte définitive.
Il y a cette nostalgie traitée comme une parente, aussi défunte que vive, admise au coeur de la famille.
Il y a « lentement, Mademoiselle », ce titre d’un recueil, qui à lui seul vous fait vous coucher sous les lettres.
Et les dessins du même auteur dans « Pour rassurer le fakir » qui semblent les moules, les matrices de son écriture, encore trempées de ses émotions et de ses pensées, un reste d’épreuves desquelles la chair des textes vient de s’arracher.
Il y a enfin tous les poèmes à venir, patients, profonds, attentifs, dont on sent déjà la morsure d’amour dans le coeur.

Odile COHEN-ABBAS (in revue Les Hommes sans Epaules n°40, mars 2015)

*

"Avec Les Éperons d’Éden, Alain Breton offre un tombeau à son père, le poète de “Poésie pour vivre”, Jean Breton [1930 - 2006]. Force est de relever quelques reproches inévitables : « Tes rares baisers, mon père / tout le magot des brumes […] Tu m’abandonnes, prince sans rire » et, en miroir, ce bel éloge à l’adresse de la mère : « Chaque matin, les portes s’étiraient / Sur le sourire de la fée à tout faire. » Georges Mounin aurait trouvé géniale cette image de “la fée à tout faire”. Cela tisse bien le cocon de la mémoire. La cause de ces reproches est que le poète Jean Breton plaçait haut cet appel du « baiser / comme une sommation d'être // Et de jouir sans fin / pour oublier la mort. » Mais, en vérité, pour les vivants dans leur rapport aux morts vraiment aimés, il n’existe guère de parade. Alain Breton avoue le besoin d’écumer le temps, les années. Et il consigne de magnifiques pensées : « Que tu ne parles plus / n’est que diversion du silence. […] Aujourd'hui, si tu parles / dans ma nuit de chaque jour, // Mon sourire dans tes yeux / dépose-t-il une larme et un éloge ? […] Je bêche le silence, / je demande hospitalité à tes livres. » — Merci pour ce bel in memoriam."

Pierre PERRIN (revue Possibles, octobre 2015).

*

"Alain Breton, éditeur et poète, a su rester fidèle à son milieu "socio-culturel" (le microcosme de l'édition de poésie) tout en imposant sûrement son beau talent, foncièrement original. Sans doute héritée de sa famille, il garde une liberté d'expression et de pensée sans réplique, avec une pointe d'humour désabusée. Il travaille les mots tel un orfèvre, les fait chanter et se prolonger jusqu'à la magie, exprimant ainsi une sorte de mystique post-moderne, et sans Dieu."

Jean-Luc MAXENCE (in L'Athanor des poètes, anthologie, Le Nouvel Athanor, 2011).

*

"Le poème d’Alain Breton, émotiviste par essence, est concis, fluide, limpide, sensuel et ciselé. » Le poète est un œil, un voyeur qui se délecte des faits les plus anodins du quotidien pour bien souvent finir néanmoins par s'approcher du merveilleux. Alain Breton ne projette pas sa lanterne », a écrit Henri Rode (in Poésie 1), le poète de Mortsexe, il épie au fond de lui, de sa mémoire, de son rhésus, ce qui peut motiver cet instant, à sa table, devant le papier qu’il griffonne. C’est la sublimation de l’incident qui l’a fait tiquer, l’a séduit, lui a donné le coup de lancette. Imagiste au sourire triste, épieur d’absurdie dans le quotidien déconcertant, tout de discrétion ; félin qui se garde d’être ébloui dans le jeu de miroirs érotique, Alain Breton est tout entier dans sa recherche, là où le monde signifie, ou crie, et il crie avec le monde."

Christophe DAUPHIN (in revue Les Hommes sans Epaules).




Lectures critiques :

Deux poètes qu’on a dit maudits. Deux poètes aux destinées tragiques : Jean-Pierre Duprey, suicidé à 29 ans, Jacques Prével, mort de la tuberculose à 36 ans. Tous les deux venaient de Normandie et fréquentaient à Paris les mêmes cafés, les cafés de la bohème à Montparnasse et à Saint-Germain-des-Près. Ils ne se sont sans doute jamais rencontrés. Christophe Dauphin les rassemble dans un essai magnifique, Derrière mes doubles.

Le titre fait allusion au premier livre de Jean-Pierre Duprey aux éditions du Soleil Noir, Derrière son double. Duprey était un grand silencieux, un ange muet, un « taiseux » comme seuls savent l’être les Normands. C’était un jeune homme écorché et révolté, qui avait grandi à Rouen, dans une ville ravagée par les bombardements en 1944. Traumatisme durable. Seule compte pour lui la poésie.

« Duprey était un garçon de seize ans, d’excellente famille bourgeoise, raconte Jacques Brenner qui a publié ses premiers poèmes en revue. Il était très médiocre élève au lycée, ne parvenant pas à s’intéresser à ce qu’on lui enseignait et poursuivait des rêveries qui inquiétaient ses parents. »

Il quitte Rouen et sa famille et s’installe à Paris dans une chambre d’hôtel avec Jacqueline, la femme de sa vie. Il fait parvenir son manuscrit à la librairie de la Dragonne que fréquentent les surréalistes. André Breton demande à le voir et lui écrit avec enthousiasme : « Vous êtes certainement un grand poète doublé de quelqu’un d’autre qui m’intrigue. Votre éclairage est extraordinaire. »

Duprey a 20 ans lorsque paraît son premier livre et il entre aussitôt dans la légende du surréalisme. La même année, 1950, Breton l’intègre dans son Anthologie de l’humour noir. 

Duprey, souligne très justement Christophe Dauphin, est posté « au bord de ce précipice  où coule l’eau noire de la nuit ». La couleur noire occupe une place centrale dans sa poésie.

 

« Je nage en mon ombre

 

Trop de noir dedans.

 

Mon ombre est la tombe

 

Pénétrable au vent. »

 

Deux ans plus tard, Jean-Pierre Duprey  quitte le groupe surréaliste. Il délaisse l’écriture, apprend le travail du fer et de la soudure chez un maître ferronnier et se consacre à la sculpture en fer forgé, une exploration indissociable de sa poésie. Il revient d’ailleurs à l’écriture en 1959. Le 2 octobre, il met le manuscrit de son dernier recueil dans une enveloppe à l’adresse d’André Breton. Il demande à sa femme d’aller le poster. « A son retour Jacqueline trouve Jean-Pierre pendu à la poutre de son atelier. Quelques jours auparavant, il avait répondu au téléphone à un ami : « Je suis allergique à la planète. » Jean-Pierre ne laisse ni mot ni explication. »

Poète maudit, a-t-on dit et répété : Christophe Dauphin ne le croit pas : « Il ne faut pas confondre le « poète malheureux » et le « poète maudit ». En revanche Jacques Prével, lui, fut bien un poète maudit. « Duprey était un ange, Prével un spectre », résume quant à lui Gérard Mordillat dans sa préface.

Jacques Prével fut l’ami et le disciple d’Antonin Artaud. C’est un Normand du Pays de Caux. Un homme habité par la douleur, instable, torturé, irascible, plongé très jeune dans l’horreur de la destruction, au Havre, dans une ville dévastée par les bombes.

« Je lutte contre une mélancolie terrible, un sentiment de l’inutilité de tout et de mes efforts en particulier et que je vomis pourtant de toutes mes forces », écrit-il dans son journal.

Lui aussi monte à Paris, passe ses journées à écrire dans les cafés de Montparnasse, dans une grande solitude. « J’ai souffert autant qu’on peut souffrir au monde. »

Ses compagnons d’infortune ne reconnaissent pas sa voix de poète et le tiennent à distance. Seul Roger Gilbert-Lecomte, le poète du Grand Jeu, l’entend et, lui semble-t-il, comprend ses poèmes. « Devenir un voyant, écrit Prével dans son journal. Etre un grand artiste dans la vie, dans l’amour, dans la mort. » Mais cette amitié sera brève : Roger Gilbert-Lecomte, celui qui, selon la belle formule de Zéno Bianu, s’était promis « de n’écrire que l’essentiel », meurt à 36 ans d’une crise de tétanos.

Aucun éditeur ne publiera les poèmes de Prével. Il est obligé de sortir à compte d’auteur son premier livre Poèmes mortels en 1945 à Paris. Mais bientôt il va faire la rencontre de son mentor, Antonin Artaud, à la maison de santé d’Ivry-sur-Seine. Alors il ne quitte plus le Momo, à qui il voue une admiration totale, mais cette amitié ne se situe pas sur un pied d’égalité. « C’est bien une relation de maître à disciple », montre Christophe Dauphin. « Deux hommes, deux poètes gravement malades et incompris, tels sont Artaud et  Prével. Le premier souffre d’un mal mental, mais aussi physique dont on ne connaîtra la nature qu’un mois seulement avant sa mort : un cancer du rectum. Le deuxième est atteint d’une tuberculose pulmonaire. Il l’ignora encore, malgré ses quintes de toux et ses douleurs à la poitrine. »

Toujours à compte d’auteur, Prével publie Les Poèmes pour toute mesure en 1947. Artaud mourra l’année suivante. « Antonin Artaud était mon seul ami. C’était le seul homme que j’aimais. Maintenant je n’ai plus personne. »

Jacques Prével s’éteint en mai 1951 dans un sanatorium de la Creuse. Dans une solitude absolue.

On attendait un récit qui soit à la hauteur de ces deux existences tragiques et déchirées. C’est chose faite avec le livre de Christophe Dauphin, dont on aime aussi la touchante obstination à souligner la « normandité » de ces deux poètes. L’un orienté vers le surréalisme, l’autre vers le Grand Jeu.

Bruno SOURDIN (in brunosourdin.blogspot.com, février 2022).

 

*

Dans la préface à cet essai important pour saisir à travers la poésie l’esprit de ce changement de millénaire, Gérard Mordillat dresse un sombre état des lieux de la poésie, « une écriture sans retour ».

« La poésie n’est pas rentable ni glamour ; sa voix est inaudible dans notre société dominée par le slogan et l’injure. Le poète est mal vu, il doit raser les murs, se satisfaire de l’ombre, s’excuser d’être. » « La poésie se diffuse dans des plaquettes, dans des revues, sous le manteau. C’est de la contrebande littéraire, de la clandestinité textuelle. »

Christophe Dauphin jette ainsi « les bases d’une future anthologie des poètes maudits du XXIème siècle » en provoquant la rencontre entre Jean-Pierre Duprey et Jacques Prevel, qui, probablement ne se sont jamais croisés. Cette rencontre à trois et non à deux puisque Christophe Dauphin, en provoquant l’événement, s’en fait pleinement acteur, s’inscrit dans la normandité poétique, tous les trois étant normands (voir le n° 52 de la revue Les Hommes sans Epaules consacrée aux poètes normands), normandité qui se caractérise par un métissage culturel.

Ce ternaire poète nous permet d’approcher l’essence de la poésie car à travers ces trois regards, ce sont les voies douloureuses vers toujours plus de liberté qui sont sillonnées. Christophe Dauphin met en évidence les parcours différents et complexes de ces deux poètes libres. Il évoque les rencontres déterminantes, le rayonnement d’Artaud et plus largement tous ceux qui les ont éclairés, parfois indirectement, par leurs œuvres. Il raconte les abîmes qu’ils ont explorés depuis l’enfance, les solitudes noires, les combats contre les « terribles simplifications » des différents milieux dans lesquels ils ont évolué, souvent contraints. Le prix de la lucidité peut être exorbitant et terrifiant.

Jean-Pierre Duprey a connu une réelle reconnaissance, particulièrement auprès d’André Breton et du groupe surréaliste, au contraire de Jacques Prevel qui fut « maudit » au-delà du possible, peut-être, partiellement, en raison de sa proximité avec Antonin Artaud. Il n’est pas éloigné du Grand Jeu de René Daumal et ses amis, ce qui ouvre bien des perspectives sur la profondeur de ses écrits. Tous les deux ont écrit avec leur sang, et l’amour de leurs compagnes respectives ne suffira pas à éteindre les souffrances car si Jean-Pierre Duprey fut moins malmené par la vie que Jacques Prevel, il n’en fut pas moins « un poète malheureux ».

Le face à face entre les deux poètes, jeu de miroirs tantôt ensanglantés tantôt lumineux, révèle la puissance à la fois créatrice et destructrice de la révolte quand celle-ci est la dernière citadelle où l’être peut se réfugier.

Ce livre est le premier tome d’une Chronique des poètes de l’émotion, expression plus ajustée et moins tordue par l’usage que « poètes maudits ». L’émotion est, dans la poésie intransigeante de ces deux poètes, à la fois matière première d’un processus alchimique et chemin.

Rémy BOYER (in incoherism.wordpress.com, 20 novembre 2021).

*

Poète et essayiste, Christophe Dauphin s’attache à sortir de l’oubli des poètes méconnus de la mouvance surréaliste. « Creusant sa falaise », il s’intéresse particulièrement aux météores qui ont eu un destin tragique. Le premier tome de sa « chronique des poètes de l’émotion », préfacé par Gérard Mordillat, met en lumière deux poètes normands qui ne se sont jamais rencontrés, bien qu’ayant fréquenté les mêmes lieux.

Ils ont pour points communs d’avoir consacré leur vie à la poésie et d’avoir eu une existence brève sans avoir obtenu la reconnaissance méritée : Jean-Pierre Duprey né en 1930 et suicidé à 29 ans, Jacques Prével né en 1915 et mort de la tuberculose à 36 ans. « Leur révolte était absolue, leurs œuvres uniques » résume César Birène dans sa postface. Christophe Dauphin éclaire leur vie et leur œuvre. Il nous apprend au passage le rôle joué en 1950 par notre discrète amie Colette Wittorski, alors étudiante, auprès de Jacques Prével dont elle a tapé les manuscrits qui furent ensuite édités à compte d’auteur.

Marie-Josée Christien, chronique "Nuits d'encre" du n°28 de la revue "Spered Gouez / l'esprit sauvage"



Lectures critiques :

Deux poètes qu’on a dit maudits. Deux poètes aux destinées tragiques : Jean-Pierre Duprey, suicidé à 29 ans, Jacques Prével, mort de la tuberculose à 36 ans. Tous les deux venaient de Normandie et fréquentaient à Paris les mêmes cafés, les cafés de la bohème à Montparnasse et à Saint-Germain-des-Près. Ils ne se sont sans doute jamais rencontrés. Christophe Dauphin les rassemble dans un essai magnifique, Derrière mes doubles.

Le titre fait allusion au premier livre de Jean-Pierre Duprey aux éditions du Soleil Noir, Derrière son double. Duprey était un grand silencieux, un ange muet, un « taiseux » comme seuls savent l’être les Normands. C’était un jeune homme écorché et révolté, qui avait grandi à Rouen, dans une ville ravagée par les bombardements en 1944. Traumatisme durable. Seule compte pour lui la poésie.

« Duprey était un garçon de seize ans, d’excellente famille bourgeoise, raconte Jacques Brenner qui a publié ses premiers poèmes en revue. Il était très médiocre élève au lycée, ne parvenant pas à s’intéresser à ce qu’on lui enseignait et poursuivait des rêveries qui inquiétaient ses parents. »

Il quitte Rouen et sa famille et s’installe à Paris dans une chambre d’hôtel avec Jacqueline, la femme de sa vie. Il fait parvenir son manuscrit à la librairie de la Dragonne que fréquentent les surréalistes. André Breton demande à le voir et lui écrit avec enthousiasme : « Vous êtes certainement un grand poète doublé de quelqu’un d’autre qui m’intrigue. Votre éclairage est extraordinaire. »

Duprey a 20 ans lorsque paraît son premier livre et il entre aussitôt dans la légende du surréalisme. La même année, 1950, Breton l’intègre dans son Anthologie de l’humour noir. 

Duprey, souligne très justement Christophe Dauphin, est posté « au bord de ce précipice  où coule l’eau noire de la nuit ». La couleur noire occupe une place centrale dans sa poésie.

 

« Je nage en mon ombre

 

Trop de noir dedans.

 

Mon ombre est la tombe

 

Pénétrable au vent. »

 

Deux ans plus tard, Jean-Pierre Duprey  quitte le groupe surréaliste. Il délaisse l’écriture, apprend le travail du fer et de la soudure chez un maître ferronnier et se consacre à la sculpture en fer forgé, une exploration indissociable de sa poésie. Il revient d’ailleurs à l’écriture en 1959. Le 2 octobre, il met le manuscrit de son dernier recueil dans une enveloppe à l’adresse d’André Breton. Il demande à sa femme d’aller le poster. « A son retour Jacqueline trouve Jean-Pierre pendu à la poutre de son atelier. Quelques jours auparavant, il avait répondu au téléphone à un ami : « Je suis allergique à la planète. » Jean-Pierre ne laisse ni mot ni explication. »

Poète maudit, a-t-on dit et répété : Christophe Dauphin ne le croit pas : « Il ne faut pas confondre le « poète malheureux » et le « poète maudit ». En revanche Jacques Prével, lui, fut bien un poète maudit. « Duprey était un ange, Prével un spectre », résume quant à lui Gérard Mordillat dans sa préface.

Jacques Prével fut l’ami et le disciple d’Antonin Artaud. C’est un Normand du Pays de Caux. Un homme habité par la douleur, instable, torturé, irascible, plongé très jeune dans l’horreur de la destruction, au Havre, dans une ville dévastée par les bombes.

« Je lutte contre une mélancolie terrible, un sentiment de l’inutilité de tout et de mes efforts en particulier et que je vomis pourtant de toutes mes forces », écrit-il dans son journal.

Lui aussi monte à Paris, passe ses journées à écrire dans les cafés de Montparnasse, dans une grande solitude. « J’ai souffert autant qu’on peut souffrir au monde. »

Ses compagnons d’infortune ne reconnaissent pas sa voix de poète et le tiennent à distance. Seul Roger Gilbert-Lecomte, le poète du Grand Jeu, l’entend et, lui semble-t-il, comprend ses poèmes. « Devenir un voyant, écrit Prével dans son journal. Etre un grand artiste dans la vie, dans l’amour, dans la mort. » Mais cette amitié sera brève : Roger Gilbert-Lecomte, celui qui, selon la belle formule de Zéno Bianu, s’était promis « de n’écrire que l’essentiel », meurt à 36 ans d’une crise de tétanos.

Aucun éditeur ne publiera les poèmes de Prével. Il est obligé de sortir à compte d’auteur son premier livre Poèmes mortels en 1945 à Paris. Mais bientôt il va faire la rencontre de son mentor, Antonin Artaud, à la maison de santé d’Ivry-sur-Seine. Alors il ne quitte plus le Momo, à qui il voue une admiration totale, mais cette amitié ne se situe pas sur un pied d’égalité. « C’est bien une relation de maître à disciple », montre Christophe Dauphin. « Deux hommes, deux poètes gravement malades et incompris, tels sont Artaud et  Prével. Le premier souffre d’un mal mental, mais aussi physique dont on ne connaîtra la nature qu’un mois seulement avant sa mort : un cancer du rectum. Le deuxième est atteint d’une tuberculose pulmonaire. Il l’ignora encore, malgré ses quintes de toux et ses douleurs à la poitrine. »

Toujours à compte d’auteur, Prével publie Les Poèmes pour toute mesure en 1947. Artaud mourra l’année suivante. « Antonin Artaud était mon seul ami. C’était le seul homme que j’aimais. Maintenant je n’ai plus personne. »

Jacques Prével s’éteint en mai 1951 dans un sanatorium de la Creuse. Dans une solitude absolue.

On attendait un récit qui soit à la hauteur de ces deux existences tragiques et déchirées. C’est chose faite avec le livre de Christophe Dauphin, dont on aime aussi la touchante obstination à souligner la « normandité » de ces deux poètes. L’un orienté vers le surréalisme, l’autre vers le Grand Jeu.

Bruno SOURDIN (in brunosourdin.blogspot.com, février 2022).

 

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Dans la préface à cet essai important pour saisir à travers la poésie l’esprit de ce changement de millénaire, Gérard Mordillat dresse un sombre état des lieux de la poésie, « une écriture sans retour ».

« La poésie n’est pas rentable ni glamour ; sa voix est inaudible dans notre société dominée par le slogan et l’injure. Le poète est mal vu, il doit raser les murs, se satisfaire de l’ombre, s’excuser d’être. » « La poésie se diffuse dans des plaquettes, dans des revues, sous le manteau. C’est de la contrebande littéraire, de la clandestinité textuelle. »

Christophe Dauphin jette ainsi « les bases d’une future anthologie des poètes maudits du XXIème siècle » en provoquant la rencontre entre Jean-Pierre Duprey et Jacques Prevel, qui, probablement ne se sont jamais croisés. Cette rencontre à trois et non à deux puisque Christophe Dauphin, en provoquant l’événement, s’en fait pleinement acteur, s’inscrit dans la normandité poétique, tous les trois étant normands (voir le n° 52 de la revue Les Hommes sans Epaules consacrée aux poètes normands), normandité qui se caractérise par un métissage culturel.

Ce ternaire poète nous permet d’approcher l’essence de la poésie car à travers ces trois regards, ce sont les voies douloureuses vers toujours plus de liberté qui sont sillonnées. Christophe Dauphin met en évidence les parcours différents et complexes de ces deux poètes libres. Il évoque les rencontres déterminantes, le rayonnement d’Artaud et plus largement tous ceux qui les ont éclairés, parfois indirectement, par leurs œuvres. Il raconte les abîmes qu’ils ont explorés depuis l’enfance, les solitudes noires, les combats contre les « terribles simplifications » des différents milieux dans lesquels ils ont évolué, souvent contraints. Le prix de la lucidité peut être exorbitant et terrifiant.

Jean-Pierre Duprey a connu une réelle reconnaissance, particulièrement auprès d’André Breton et du groupe surréaliste, au contraire de Jacques Prevel qui fut « maudit » au-delà du possible, peut-être, partiellement, en raison de sa proximité avec Antonin Artaud. Il n’est pas éloigné du Grand Jeu de René Daumal et ses amis, ce qui ouvre bien des perspectives sur la profondeur de ses écrits. Tous les deux ont écrit avec leur sang, et l’amour de leurs compagnes respectives ne suffira pas à éteindre les souffrances car si Jean-Pierre Duprey fut moins malmené par la vie que Jacques Prevel, il n’en fut pas moins « un poète malheureux ».

Le face à face entre les deux poètes, jeu de miroirs tantôt ensanglantés tantôt lumineux, révèle la puissance à la fois créatrice et destructrice de la révolte quand celle-ci est la dernière citadelle où l’être peut se réfugier.

Ce livre est le premier tome d’une Chronique des poètes de l’émotion, expression plus ajustée et moins tordue par l’usage que « poètes maudits ». L’émotion est, dans la poésie intransigeante de ces deux poètes, à la fois matière première d’un processus alchimique et chemin.

Rémy BOYER (in incoherism.wordpress.com, 20 novembre 2021).

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Poète et essayiste, Christophe Dauphin s’attache à sortir de l’oubli des poètes méconnus de la mouvance surréaliste. « Creusant sa falaise », il s’intéresse particulièrement aux météores qui ont eu un destin tragique. Le premier tome de sa « chronique des poètes de l’émotion », préfacé par Gérard Mordillat, met en lumière deux poètes normands qui ne se sont jamais rencontrés, bien qu’ayant fréquenté les mêmes lieux.

Ils ont pour points communs d’avoir consacré leur vie à la poésie et d’avoir eu une existence brève sans avoir obtenu la reconnaissance méritée : Jean-Pierre Duprey né en 1930 et suicidé à 29 ans, Jacques Prével né en 1915 et mort de la tuberculose à 36 ans. « Leur révolte était absolue, leurs œuvres uniques » résume César Birène dans sa postface. Christophe Dauphin éclaire leur vie et leur œuvre. Il nous apprend au passage le rôle joué en 1950 par notre discrète amie Colette Wittorski, alors étudiante, auprès de Jacques Prével dont elle a tapé les manuscrits qui furent ensuite édités à compte d’auteur.

Marie-Josée Christien, chronique "Nuits d'encre" du n°28 de la revue "Spered Gouez / l'esprit sauvage"




Critiques

"Si les articles sur Lucie Delarue-Mardrus commencent à se multiplier et permettent de redécouvrir son œuvre, les biographies concernant ce personnage littéraire sont suffisamment rares pour que l'on salue la parution de cet essai de Christophe Dauphin. Ce critique et essayiste s'est appliqué à retracer l'existence de cette femme de lettres en choisissant de l'aborder sous l'angle de la féminité. Les thèmes abordés dans son œuvre sont replacés dans le contexte esthétique de l'époque et mis en relations avec les écrits de ses contemporaines, révélant ainsi que l'esprit novateur qui anime ses premiers écrits.

Un des intérêts majeurs de cette biographie est le portrait assez étoffé que Christophe Dauphin brosse du Dr J.-C. Mardrus qui, jusque-là, n'était qu'à peine esquissé. On comprend mieux dés lors avec quel homme charismatique Lucie Delarue-Mardrus vécut jusqu'à la veille de la Première guerre Mondiale. On y trouvera également une réflexion sur sa démarche spirituelle et sur son homosexualité.

Nous saluons donc ici une belle tentative de concilier les différentes facettes de cette personnalité dont tous les critiques saluèrent l'énergie, la créativité."

Nelly Sanchez (in Cahiers Lucie Delarue-Mardrus, septembre 2015).

*

"Qui est Lucie Delarue-Mardrus ? Le mérite de Christophe Dauphin, outre répondre à cette question, est de nous rendre cette femme d’exception familière et attachante. Ce livre succède au récit de souvenirs de Myriam Harry paru  en 1946, et à celui d’Hélène Prat paru chez Grasset en 1994. Il n’est pas possible de résumer cette biographie tant la vie de Lucie fut mouvementée, intense et littérairement extraordinaire. Elle a écrit plus de quatre-vingt romans (de 1901 à 1946), treize recueils de poésie, des pièces de théâtre, elle fut traductrice, critique littéraire et musicale ; conférencière, peintre, auteur de contes, de récits de voyages et de chansons. Colette dira d’elle : elle avait le bonheur d’aller à tous les travaux avec une fougue conquérante. C’est cette même fougue qui anime l’écriture de Dauphin et propulse le lecteur dans les méandres les plus subtiles de la force vitale et créatrice de cette femme hors du commun. L’accent est mis sur sa qualité de poète c’est assurément par le biais de la poésie que l’auteur des Sept douleurs d’Octobre, appréhende le monde avec le plus de force écrit Dauphin. Elle-même affirme : Je l’ai déjà dit, le vers fait partie de ma respiration// Je ne suis et ne fus qu’un poète. Née en Normandie, et ayant habité de nombreuses années à Honfleur dans Le Pavillon de la Reine, ce vers peut emblématiser le fait qu’elle ait été souvent considérée comme une auteure régionaliste : L’odeur de mon pays était dans une pomme. Or sa poésie ne saurait être réduite. Lucie Delarue-Mardrus, dans la lignée d’Anna de Noailles, Renée Vivien, Marie de Hérédia, est une femme de Lettres. De même que sa poésie illustre sa maîtrise de toutes les formes, du rondeau à l’élégie, Lucie multiplie les expériences tant amoureuses que créatrices (sans oublier ses crises mystiques) dans le Paris-Lesbos de la Belle Epoque : Tes yeux ne brûlent plus mon âme de garçon// et mes yeux noirs qui ont des regards de garçon//. Elle fut même comparée à Katherine Mansfield : comme Lucie, Katherine Mansfield a connu cette glorieuse chance d’avoir à dire avant de savoir dire.

La composition du livre de Dauphin : une riche et longue présentation de Lucie Delarue-Mardrus, une biographie passionnante et de larges extraits de son œuvre poétique, fait de la princesse amande une figure proche et émouvante. Son mariage avec Joseph Charles Mardrus son Homme de Feu orientaliste et traducteur des Mille et une nuits (liaison qui durera jusqu’en 1913) l’entraînera  pendant plus de deux ans sur un sable d’ailleurs où ses découvertes renforceront sa soif d’engagement et son indépendance, comme l’illustre son rejet farouche de toute maternité : dans mes flancs malgré moi, l’horreur d’une âme humaine. Lucide à la fin de sa vie quant à sa solitude et à sa pauvreté : la triste fée aux doigts perclus/ Que je deviens dans ma ruine// Quoi ! Cette fente dérisoire/ Entre ces deux maisons/ Serait-ce la fin d’une histoire/ Riche de tous les horizons ?//, cela ne l’empêchait cependant pas d’accomplir de façon pérenne ce rêve si justement révélé par Dauphin tout le long de ce livre : Elle rapportera sur ses frêles épaules/ Le monde et tous les ciels aux pointes des ses mâts. Oui, elle a voulu le destin des figures de proue. Sa vie et sa poésie incarnent ce vœu."

Marie-Christine Masset (in revue Phoenix, 2015).



Critiques

"Si les articles sur Lucie Delarue-Mardrus commencent à se multiplier et permettent de redécouvrir son œuvre, les biographies concernant ce personnage littéraire sont suffisamment rares pour que l'on salue la parution de cet essai de Christophe Dauphin. Ce critique et essayiste s'est appliqué à retracer l'existence de cette femme de lettres en choisissant de l'aborder sous l'angle de la féminité. Les thèmes abordés dans son œuvre sont replacés dans le contexte esthétique de l'époque et mis en relations avec les écrits de ses contemporaines, révélant ainsi que l'esprit novateur qui anime ses premiers écrits.

Un des intérêts majeurs de cette biographie est le portrait assez étoffé que Christophe Dauphin brosse du Dr J.-C. Mardrus qui, jusque-là, n'était qu'à peine esquissé. On comprend mieux dés lors avec quel homme charismatique Lucie Delarue-Mardrus vécut jusqu'à la veille de la Première guerre Mondiale. On y trouvera également une réflexion sur sa démarche spirituelle et sur son homosexualité.

Nous saluons donc ici une belle tentative de concilier les différentes facettes de cette personnalité dont tous les critiques saluèrent l'énergie, la créativité."

Nelly Sanchez (in Cahiers Lucie Delarue-Mardrus, septembre 2015).

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"Qui est Lucie Delarue-Mardrus ? Le mérite de Christophe Dauphin, outre répondre à cette question, est de nous rendre cette femme d’exception familière et attachante. Ce livre succède au récit de souvenirs de Myriam Harry paru  en 1946, et à celui d’Hélène Prat paru chez Grasset en 1994. Il n’est pas possible de résumer cette biographie tant la vie de Lucie fut mouvementée, intense et littérairement extraordinaire. Elle a écrit plus de quatre-vingt romans (de 1901 à 1946), treize recueils de poésie, des pièces de théâtre, elle fut traductrice, critique littéraire et musicale ; conférencière, peintre, auteur de contes, de récits de voyages et de chansons. Colette dira d’elle : elle avait le bonheur d’aller à tous les travaux avec une fougue conquérante. C’est cette même fougue qui anime l’écriture de Dauphin et propulse le lecteur dans les méandres les plus subtiles de la force vitale et créatrice de cette femme hors du commun. L’accent est mis sur sa qualité de poète c’est assurément par le biais de la poésie que l’auteur des Sept douleurs d’Octobre, appréhende le monde avec le plus de force écrit Dauphin. Elle-même affirme : Je l’ai déjà dit, le vers fait partie de ma respiration// Je ne suis et ne fus qu’un poète. Née en Normandie, et ayant habité de nombreuses années à Honfleur dans Le Pavillon de la Reine, ce vers peut emblématiser le fait qu’elle ait été souvent considérée comme une auteure régionaliste : L’odeur de mon pays était dans une pomme. Or sa poésie ne saurait être réduite. Lucie Delarue-Mardrus, dans la lignée d’Anna de Noailles, Renée Vivien, Marie de Hérédia, est une femme de Lettres. De même que sa poésie illustre sa maîtrise de toutes les formes, du rondeau à l’élégie, Lucie multiplie les expériences tant amoureuses que créatrices (sans oublier ses crises mystiques) dans le Paris-Lesbos de la Belle Epoque : Tes yeux ne brûlent plus mon âme de garçon// et mes yeux noirs qui ont des regards de garçon//. Elle fut même comparée à Katherine Mansfield : comme Lucie, Katherine Mansfield a connu cette glorieuse chance d’avoir à dire avant de savoir dire.

La composition du livre de Dauphin : une riche et longue présentation de Lucie Delarue-Mardrus, une biographie passionnante et de larges extraits de son œuvre poétique, fait de la princesse amande une figure proche et émouvante. Son mariage avec Joseph Charles Mardrus son Homme de Feu orientaliste et traducteur des Mille et une nuits (liaison qui durera jusqu’en 1913) l’entraînera  pendant plus de deux ans sur un sable d’ailleurs où ses découvertes renforceront sa soif d’engagement et son indépendance, comme l’illustre son rejet farouche de toute maternité : dans mes flancs malgré moi, l’horreur d’une âme humaine. Lucide à la fin de sa vie quant à sa solitude et à sa pauvreté : la triste fée aux doigts perclus/ Que je deviens dans ma ruine// Quoi ! Cette fente dérisoire/ Entre ces deux maisons/ Serait-ce la fin d’une histoire/ Riche de tous les horizons ?//, cela ne l’empêchait cependant pas d’accomplir de façon pérenne ce rêve si justement révélé par Dauphin tout le long de ce livre : Elle rapportera sur ses frêles épaules/ Le monde et tous les ciels aux pointes des ses mâts. Oui, elle a voulu le destin des figures de proue. Sa vie et sa poésie incarnent ce vœu."

Marie-Christine Masset (in revue Phoenix, 2015).




Critique

Jean BRETON, in Les Hommes sans Épaules, 3ème série, n° 10, 1er trimestre 2001, p. 111 :

"Qui sommes nous, sans cesse « en perte de visage » ? Un labyrinthe que le va et vient onirique éclaire d’une lampe de poche. Il y a chez Paul Farellier une pudeur, un refus aussi de toute surenchère verbale. On est lié à un mot à mot presque janséniste. Le poète se défie de la parole qui « tombe en limaille », il veut l’humilité, la clarté, la sécurité du silence ; il aspire au besoin peu répandu de « loger au point aveugle » des choses. D’où son goût pour la nuit – qui va plutôt à l’essentiel. Nous voici alors à fond dans notre « attente », notre perception accrue. Égalisons les vibrations, les contradictions. Scrupule, modestie, lucidité reine, c’est le tremblé de ce trio qui écrit notre identité, même si elle bouge à peine. […] L’homme est guetté par l’effacement du lieu et de l’être qui l’habite. Mais il sera souvent coopté par le regard des « étoiles » et « le cri de beauté » qu’elles nous lancent. Rôde une certitude que le poète, avare de confidences, ne nous livre que de biais : « une voix » saura un jour nous atteindre. On rejoint ici un mysticisme tout de prudence : J’ai rêvé :/ il restait ce carrefour d’éternités »..."




Lectures critiques

La poésie grecque, enracinée dans l’Antiquité, a toujours su faire éclater les règles, se dépasser elle-même pour explorer ailleurs et autrement. Nanos Valaoritis, né en 1921, est l’un des grands poètes grecs actuels, dans un pays où la poésie a conservé les fonctions philosophique et politique.

 « J ’ai été blessé par le Nouveau monde et l’ancien », confie Nanos Valaoritis, l ’un des plus grands poètes grecs. Il est né en 1921, en Suisse. Il a subi les dictatures. Et, aujourd’hui, la crise qui n’en finit pas. Cet homme manie un verbe franc, au « miel acide » comme le dit Christophe Dauphin, l’éditeur de son recueil Amer carnaval (Les Hommes sans épaules, 136 pages, 12€). Il dit son amour à la femme tout autant qu’il déclare sa flamme à sa patrie. Celle des hommes qui veulent profiter de la vie le plus charnellement et le plus longtemps possible.

Philippe SIMON (in Ouest France, 22 avril 2017).

 

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La poésie grecque, enracinée dans l’Antiquité, a toujours su faire éclater les règles, se dépasser elle-même pour explorer ailleurs et autrement. Nanos Valaoritis, né en 1921, est l’un des grands poètes grecs actuels, dans un pays où la poésie a conservé les fonctions philosophique et politique.

Amer carnaval est un superbe recueil que nous présente Christophe Dauphin : « Nous y retrouvons ce miel acide, cette flamme fuligineuse, cette source sulfureuse, qui a donné tout son éclat à cette œuvre poétique singulière. Des poèmes insolites et souvent insolents, suscités par un élan lyrique exacerbé mais toujours maîtrisé : une alchimie où l’étincelle des mots et le feu des images donnent naissance à des éclats où affleure à tout moment la révolte, mais aussi l’envers burlesque ou merveilleux du monde quotidien. »

Rémy BOYER (in incoherism.wordpress.com, 8 mai 2017).

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Nanos Valaoritis est un poète et romancier grec avec qui il faut compter : en 2014, le 43 ème Festival du livre grec lui a été consacré et son œuvre a été distinguée par plusieurs prix littéraires dans son pays ainsi qu'à l'étranger (aux USA en particulier où il reçut en 1996 le prix National Poetry Association). Le présent recueil, intitulé "Amer Carnaval" semble être un choix de poèmes tiré de son avant-dernier recueil qui porte le même titre : c'est du moins ce qu'affirme sa traductrice, Photini Papariga (p 9). Ce qui n'empêche pas Christophe Dauphin de signaler dans sa préface  qu'il est sans doute l'un des poètes surréalistes les plus importants de la Grèce… Et de souligner les rapports de Valaoritis avec Elisa et André Breton, et quelques peintres de la même école… Mais Valaoritis  conserva de son passage par le surréalisme, "l'usage d'images insolites et insolentes"… De fait, ce poète grec apparaît dans ce choix de poèmes comme le lointain cousin d'un Jacques Prévert. : "Une phrase échappée / de ses rails mous / a échoué dans une   prairie / vert foncé  avec des orangers…". Il faut signaler que le préfacier évite son travers habituel, à savoir l'attaque systématique contre les staliniens auxquels sont réduits de nombreux poètes sans tenir compte de l'Histoire et de leur évolution personnelle : ainsi Dauphin met-il l'accent sur la lutte contre l'occupant nazi, les différentes dictatures qui se sont succédées en Grèce et contre le diktat européen actuel qui lui font rendre hommage à Ritsos et Valaoritis qui se retrouvent sur le même plan…

Le poème est convenu, la disposition strophique sans surprise mais l'humour est là : "Et maintenant j'ai oublié / ce que je voulais écrire / quelque chose bien sûr / de très banal à première vue". Humour certes grinçant, mais humour cependant, quand tout poète cherche l'originalité. L'image reste insolite : "Les traces des crises d'épilepsie / laissent leurs queues de cheval s'agiter", mais il y a quelque chose de subversif qui s'exprime. La coupe du mot en fin de vers isole des syllabes qui renforcent le côté comique et révolutionnaire du poème : ainsi avec con/sommation ou con/vives. Dans une forme relevant de la raison ou de la lucidité court souvent une image plus ou moins surréaliste où se mêlent l'érotisme (À tout prix), l'actualité technologique (Au lieu de), les références aux poètes du passé (N'en plaise à Dieu ou Au balcon de  Paul Valéry)… C'est la marque de fabrique de Nanos Valaoritis. Jamais il n'oublie le politique (la dette ou l'Histoire) qui vient colorer des aperçus plus traditionnels ou plus prosaïques. Christophe Dauphin a raison de noter dans sa préface que Valaoritis "n'a jamais été fermé à d'autres influences et courants [autres que surréalistes] de la modernité poétique". Et il ajoute : "Disons que, inclassable, Valaoritis est valaoriste ! ". L'édition française d'Amer carnaval se termine par des références bibliographiques de ses parutions en France, l'amateur de poésie  n'aura plus d'excuses, même s'il devra aller en bibliothèque de prêt ou consulter le catalogue des libraires d'occasion pour découvrir ce poète singulier (car certaines de ces références renvoient à un passé lointain dans le milieu du commerce ! )

Lucien WASSELIN (cf. "Fil de lecture" in recoursaupoeme.fr, juin 2017).

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"Nanos VALAORITIS écrit aussi bien en grec qu’en français ; il est même, actuellement, l’un des rares poètes grecs a écrire en français ; il fut l’un des proches d’André Breton.

Amer carnaval inspiré par la crise que vit son pays depuis quelques années, a été traduit par Photini Papariga, Professeur de français, membre de la Délégation de La Renaissance Française en Grèce. Il est publié aux éditions Les Hommes sans Epaules.

En 2013, parût en grec, le recueil poétique, Amer carnaval, de Nanos Valaoritis, poète, romancier, dramaturge et dessinateur, âgé aujourd’hui de 86 ans mais d’une clarté mentale exemplaire.

Né à Lausanne, cet héritier du grand poète et homme politique de l’île ionienne, Lefkas, Aristotelis Valaoritis (1824- 1879), vécut à Londres, participant au cercle moderniste autour de T.S.Eliot, il a traduit des poèmes de Seféris et d’Elytis en anglais et en 1954, il a décidé de se rendre à Paris en s’intégrant à l’équipe surréaliste de la troisième génération, d’André Breton.

En 1960, il est rentré en Grèce avec son épouse, l’Américaine Maria Wilson, décédée récemment et l’année suivante, en 1961, il édita la revue Pali (=Reprise). Pendant la dictature des Colonels (1967-74) il a émigré aux Etats-Unis, où il a enseigné « l’Ecriture créative » et la « Littérature Comparée » à l’Université de San Francisco, jusqu’à sa retraite (1992). Là, il a eu des contacts avec le modernisme anglo-américain, la Génération Beat et les Néo-surréalistes de Californie tandis qu’en 1991, il a organisé une exposition sur les surréalistes grecs, au Centre Georges Pompidou à Paris.

Depuis, son activité littéraire comprend des œuvres en prose ou des poèmes, des essais théoriques ou critiques, des monographies, des introductions de livres ou des expositions ainsi que des traductions.

Valaoritis, qui écrit aussi en anglais, a donc publié ce recueil poétique, avec des poèmes, composés en grec, entre 2008 et 2013, soit en pleine période de la crise financière grecque, due à la dette publique, crise débutée en 2008, crise pénalisant la pays à cause de sa classe et de son système politiques et bien sûr des choix économiques. Cette situation imposa aux Grecs des mesures d’une austérité très sévère, exigeant d’eux, d’appliquer en cinq ans, des réformes que les pays d’Europe de l’Ouest avaient mises en œuvre depuis 1980. Ce changement injuste a d’un coup doublé le taux de suicides, permis une hausse des homicides, une augmentation de différentes infections et l’appauvrissement de la population qui a dû affronter entre autres problèmes, le chômage, la malnutrition et la modification de son statut social.

Dans ce climat inattendu et étrange, Valaoritis, caractérisant d’« Amer carnaval » les manœuvres politiques, les diverses décisions, livre au public grec ses pensées sur ce brusque et brutal glissement vers la misère, pense que les gens ont oublié Bakhtine, François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance, analyse et justifie la réaction pendant la période du carnaval des populations, qui vivaient sous un régime austère comme celui de l’esclavage pendant l’antiquité, de l’église et de l’aristocratie au Moyen-Age, indépendamment si les réactions étaient ou non permises par les divers pouvoirs.

Baktine loin de considérer le carnaval comme une manifestation folklorique, il la caractérise comme une des expressions les plus fortes de la culture populaire, en particulier dans sa dimension subversive. C’était l’occasion pour le peuple de renverser, de façon symbolique et pendant une période limitée, toutes les hiérarchies instituées entre le pouvoir et les dominés, entre le noble et le trivial, entre le haut et le bas, entre le raffiné et le grossier, entre le sacré et le profane.

Valaoritis, parodiant le pouvoir, en particulier la mégalomanie européenne, compare la situation chaotique imposée à son pays au carnaval, caractérisant la situation et les mesures comico-tragiques. Indirectement, Valaoritis, constate qu’à une époque où l’Europe vit une crise économique, des événements pareils (hausse des impôts, baisse des salaires et des retraites, impossibilité d’acheter ou de vendre les produits) tout cela provient du pouvoir qui paralyse la vie sociale. Il s’agit d’un cirque qui vient de remplacer la politique, un cirque amer, un carnaval étrange, où Valaoritis dénonce, ridiculisant la politique qui a conduit le pays au chaos, s’oppose au retour aux sources que l’extrême droite évangélise, se moque des vieilles recettes gauchistes qui n’aboutissent à rien, considère qu’il a l’impression de vivre un amer carnaval où les citoyens, devenus des marionettes ou des clowns de différents partis politiques, meurent sans avoir bien vécu ou mènent une vie exploitée par le pouvoir. Le patron de ce cirque, non nommé mais sous-entendu, étant la potlitique d’austérité imposée par l’Allemagne, laisse travailler pour quelques sous les gens, et une fois leurs larmes taries, tous ces clowns, ayant le regard pétrifié devant leur impuissance de réagir, meurent dans l’oubli complet.

Utilisant l’ironie, le sarcasme et la nostalgie pour un passé que nous transformons sans cesse nous dit le poète, nous ne cessons de perdre les occasions de changer notre monde éphémère.
La présente collection contient trente-neuf (39) poèmes écrits de 2010 à 2013. Le poète avec sa traductrice, Photini Papariga, ont fait ce choix pour la traduction française, poèmes traduits par une enseignante de la langue française en collaboration avec le poète, et publiés chez « Les Hommes sans épaules », une maison d’édition française, renomée pour son attachement au modernisme en littérature.

La traductrice, Photini Papariga, Docteur ès Lettres du Département de Langue et de Littérature Françaises de l’Université Aristote de Thessalonique, a travaillé longtemps sur l’œuvre de Valaoritis, soutenant même une thèse de doctorat, en langue française, en 2011, sous le titre : Nanos Valaoritis : un médiateur d’impacts, et elle a absolument respecté le style du poète, soit cette émotion du connu et de l’inconnu simultanés. Car si les poèmes de Nanos Valaoritis sont assez difficiles à comprendre, ils sont très faciles à lire, parce que la langue est simple et elle n’est pas alourdie de nombreuses images ; elle est facilement reconnaissable. En même temps, il y a un côté étrange : c’est que le poème dicte à l’auteur ce qu’il faut qu’il dise. Ce n’est pas le poète qui dicte le poème, mais c’est le poème qui le lui dicte.

C’est tout à fait le contraire de l’écriture automatique, tant vantée par les surréalistes, dont Nanos Valaoritis fut un d’eux. Le poème commence par une phrase banale peut être et il finit toujours quand il n’a rien de plus à dire. Le poème, pour Valaoritis, est avant tout une entité ontologique qui lui dicte, ce qu’il doit dire. Et cela arrive d’une façon complètement informelle mais aussi avec des pensées convaincantes.

Photini Papariga est également la responsable de la présentation et de l’établissement du texte bilingue français/grec, pratique assez courante à nos jours qui permet au lecteur qui connaît les deux langues, non seulement de constater llq qualité de la traduction mais aussi si la version en regard est fidèle, près de la forme et du style de l’auteur, problème qui en l’occurence ne se pose pas, puisque la traductrice a œuvré avec l’auteur qui manie parfaitement la langue française. En plus elle a respecté la version conceptuelle du texte original la rendant à une traduction équivalente francophone, ainsi que le niveau stylistique ou sémantique et les données historiques entre le temps de la création du texte original et du texte traduit. D’ailleurs elle affirme que son souci était d’affranchir « les mots de leur sens métaphorique stéréotypé et [devenir] disponibles pour de nouvelles possibilités », parce que ainsi elle a pu conserver l’humour subtil du poète et rendre le goût amer carnavalesque de la quotidienneté grecque que Nanos Valaoritis élève en poétique, renversant le déterminisme du sérieux.

La longue préface, intitulée « Nanos Valaoritis : l’Odyssée d’un poète » que signe l’écrivain français, Christophe Dauphin, informe le lecteur francophone sur le rôle et l’impact de la poésie de N. Valaoritis au devenir littéraire néo-grec, concluant que son œuvre « joue un rôle irremplaçable de passeur entre trois cultures [grecque, anglo-saxonne et francophone] et de défenseur de diverses ‘avant-gardes’ de l’écriture ».

Georges Fréris (in larenaissancefrançaise.org, janvier 2018).

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« Chroniqueur, obsédé par la passion de sa patrie, Nanos Valaoritis trace dans Amer Carnaval, un journal de ses pensées et de ses émotions au quotidien. Son humour subtil et en même temps doté de force, car il est capable de renverser le déterminisme du sérieux de la quotidienneté, rapproche ses poèmes de ce que leur titre annonce.

Cette édition bilingue est réalisée par un admirateur de la vraie Grèce (et aps seulement de la Grèce antique…), Christophe Dauphin, un homme qui connaît bien et respecte la culture grecque, et qui tient à faire connaître auprès du public français les poètes surréalistes grecs (Nikos Engonopoulos, Andréas Embirikos…), à travers des hommages réguliers dans sa revue Les Hommes sans Epaules.

Retournant à Amer Carnaval, Dauphin nous présente : « Nous y retrouvons ce miel acide, cette flamme fuligineuse, cette source sulfureuse, qui a donné tout son éclat à cette œuvre poétique singulière. Des poèmes insolites et souvent insolents, suscités par un élan lyrique exacerbé mais toujours maîtrisé : une alchimie où l’étincelle des mots et le feu des donnent naissance à des éclats où affleure à tout moment la révolte, mais aussi l’envers burlesque ou merveilleux du monde quotidien. »    

(Revue Contact + n°80, Athènes, janvier/février 2018).

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"Recueil de poèmes où l'auteur joue avec de libres associations de mots pour traduire ses pensées et ses émotions."

Electre, Livres hebdo, 2018.



Lectures critiques

La poésie grecque, enracinée dans l’Antiquité, a toujours su faire éclater les règles, se dépasser elle-même pour explorer ailleurs et autrement. Nanos Valaoritis, né en 1921, est l’un des grands poètes grecs actuels, dans un pays où la poésie a conservé les fonctions philosophique et politique.

 « J ’ai été blessé par le Nouveau monde et l’ancien », confie Nanos Valaoritis, l ’un des plus grands poètes grecs. Il est né en 1921, en Suisse. Il a subi les dictatures. Et, aujourd’hui, la crise qui n’en finit pas. Cet homme manie un verbe franc, au « miel acide » comme le dit Christophe Dauphin, l’éditeur de son recueil Amer carnaval (Les Hommes sans épaules, 136 pages, 12€). Il dit son amour à la femme tout autant qu’il déclare sa flamme à sa patrie. Celle des hommes qui veulent profiter de la vie le plus charnellement et le plus longtemps possible.

Philippe SIMON (in Ouest France, 22 avril 2017).

 

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La poésie grecque, enracinée dans l’Antiquité, a toujours su faire éclater les règles, se dépasser elle-même pour explorer ailleurs et autrement. Nanos Valaoritis, né en 1921, est l’un des grands poètes grecs actuels, dans un pays où la poésie a conservé les fonctions philosophique et politique.

Amer carnaval est un superbe recueil que nous présente Christophe Dauphin : « Nous y retrouvons ce miel acide, cette flamme fuligineuse, cette source sulfureuse, qui a donné tout son éclat à cette œuvre poétique singulière. Des poèmes insolites et souvent insolents, suscités par un élan lyrique exacerbé mais toujours maîtrisé : une alchimie où l’étincelle des mots et le feu des images donnent naissance à des éclats où affleure à tout moment la révolte, mais aussi l’envers burlesque ou merveilleux du monde quotidien. »

Rémy BOYER (in incoherism.wordpress.com, 8 mai 2017).

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Nanos Valaoritis est un poète et romancier grec avec qui il faut compter : en 2014, le 43 ème Festival du livre grec lui a été consacré et son œuvre a été distinguée par plusieurs prix littéraires dans son pays ainsi qu'à l'étranger (aux USA en particulier où il reçut en 1996 le prix National Poetry Association). Le présent recueil, intitulé "Amer Carnaval" semble être un choix de poèmes tiré de son avant-dernier recueil qui porte le même titre : c'est du moins ce qu'affirme sa traductrice, Photini Papariga (p 9). Ce qui n'empêche pas Christophe Dauphin de signaler dans sa préface  qu'il est sans doute l'un des poètes surréalistes les plus importants de la Grèce… Et de souligner les rapports de Valaoritis avec Elisa et André Breton, et quelques peintres de la même école… Mais Valaoritis  conserva de son passage par le surréalisme, "l'usage d'images insolites et insolentes"… De fait, ce poète grec apparaît dans ce choix de poèmes comme le lointain cousin d'un Jacques Prévert. : "Une phrase échappée / de ses rails mous / a échoué dans une   prairie / vert foncé  avec des orangers…". Il faut signaler que le préfacier évite son travers habituel, à savoir l'attaque systématique contre les staliniens auxquels sont réduits de nombreux poètes sans tenir compte de l'Histoire et de leur évolution personnelle : ainsi Dauphin met-il l'accent sur la lutte contre l'occupant nazi, les différentes dictatures qui se sont succédées en Grèce et contre le diktat européen actuel qui lui font rendre hommage à Ritsos et Valaoritis qui se retrouvent sur le même plan…

Le poème est convenu, la disposition strophique sans surprise mais l'humour est là : "Et maintenant j'ai oublié / ce que je voulais écrire / quelque chose bien sûr / de très banal à première vue". Humour certes grinçant, mais humour cependant, quand tout poète cherche l'originalité. L'image reste insolite : "Les traces des crises d'épilepsie / laissent leurs queues de cheval s'agiter", mais il y a quelque chose de subversif qui s'exprime. La coupe du mot en fin de vers isole des syllabes qui renforcent le côté comique et révolutionnaire du poème : ainsi avec con/sommation ou con/vives. Dans une forme relevant de la raison ou de la lucidité court souvent une image plus ou moins surréaliste où se mêlent l'érotisme (À tout prix), l'actualité technologique (Au lieu de), les références aux poètes du passé (N'en plaise à Dieu ou Au balcon de  Paul Valéry)… C'est la marque de fabrique de Nanos Valaoritis. Jamais il n'oublie le politique (la dette ou l'Histoire) qui vient colorer des aperçus plus traditionnels ou plus prosaïques. Christophe Dauphin a raison de noter dans sa préface que Valaoritis "n'a jamais été fermé à d'autres influences et courants [autres que surréalistes] de la modernité poétique". Et il ajoute : "Disons que, inclassable, Valaoritis est valaoriste ! ". L'édition française d'Amer carnaval se termine par des références bibliographiques de ses parutions en France, l'amateur de poésie  n'aura plus d'excuses, même s'il devra aller en bibliothèque de prêt ou consulter le catalogue des libraires d'occasion pour découvrir ce poète singulier (car certaines de ces références renvoient à un passé lointain dans le milieu du commerce ! )

Lucien WASSELIN (cf. "Fil de lecture" in recoursaupoeme.fr, juin 2017).

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"Nanos VALAORITIS écrit aussi bien en grec qu’en français ; il est même, actuellement, l’un des rares poètes grecs a écrire en français ; il fut l’un des proches d’André Breton.

Amer carnaval inspiré par la crise que vit son pays depuis quelques années, a été traduit par Photini Papariga, Professeur de français, membre de la Délégation de La Renaissance Française en Grèce. Il est publié aux éditions Les Hommes sans Epaules.

En 2013, parût en grec, le recueil poétique, Amer carnaval, de Nanos Valaoritis, poète, romancier, dramaturge et dessinateur, âgé aujourd’hui de 86 ans mais d’une clarté mentale exemplaire.

Né à Lausanne, cet héritier du grand poète et homme politique de l’île ionienne, Lefkas, Aristotelis Valaoritis (1824- 1879), vécut à Londres, participant au cercle moderniste autour de T.S.Eliot, il a traduit des poèmes de Seféris et d’Elytis en anglais et en 1954, il a décidé de se rendre à Paris en s’intégrant à l’équipe surréaliste de la troisième génération, d’André Breton.

En 1960, il est rentré en Grèce avec son épouse, l’Américaine Maria Wilson, décédée récemment et l’année suivante, en 1961, il édita la revue Pali (=Reprise). Pendant la dictature des Colonels (1967-74) il a émigré aux Etats-Unis, où il a enseigné « l’Ecriture créative » et la « Littérature Comparée » à l’Université de San Francisco, jusqu’à sa retraite (1992). Là, il a eu des contacts avec le modernisme anglo-américain, la Génération Beat et les Néo-surréalistes de Californie tandis qu’en 1991, il a organisé une exposition sur les surréalistes grecs, au Centre Georges Pompidou à Paris.

Depuis, son activité littéraire comprend des œuvres en prose ou des poèmes, des essais théoriques ou critiques, des monographies, des introductions de livres ou des expositions ainsi que des traductions.

Valaoritis, qui écrit aussi en anglais, a donc publié ce recueil poétique, avec des poèmes, composés en grec, entre 2008 et 2013, soit en pleine période de la crise financière grecque, due à la dette publique, crise débutée en 2008, crise pénalisant la pays à cause de sa classe et de son système politiques et bien sûr des choix économiques. Cette situation imposa aux Grecs des mesures d’une austérité très sévère, exigeant d’eux, d’appliquer en cinq ans, des réformes que les pays d’Europe de l’Ouest avaient mises en œuvre depuis 1980. Ce changement injuste a d’un coup doublé le taux de suicides, permis une hausse des homicides, une augmentation de différentes infections et l’appauvrissement de la population qui a dû affronter entre autres problèmes, le chômage, la malnutrition et la modification de son statut social.

Dans ce climat inattendu et étrange, Valaoritis, caractérisant d’« Amer carnaval » les manœuvres politiques, les diverses décisions, livre au public grec ses pensées sur ce brusque et brutal glissement vers la misère, pense que les gens ont oublié Bakhtine, François Rabelais et la culture populaire au Moyen Âge et sous la Renaissance, analyse et justifie la réaction pendant la période du carnaval des populations, qui vivaient sous un régime austère comme celui de l’esclavage pendant l’antiquité, de l’église et de l’aristocratie au Moyen-Age, indépendamment si les réactions étaient ou non permises par les divers pouvoirs.

Baktine loin de considérer le carnaval comme une manifestation folklorique, il la caractérise comme une des expressions les plus fortes de la culture populaire, en particulier dans sa dimension subversive. C’était l’occasion pour le peuple de renverser, de façon symbolique et pendant une période limitée, toutes les hiérarchies instituées entre le pouvoir et les dominés, entre le noble et le trivial, entre le haut et le bas, entre le raffiné et le grossier, entre le sacré et le profane.

Valaoritis, parodiant le pouvoir, en particulier la mégalomanie européenne, compare la situation chaotique imposée à son pays au carnaval, caractérisant la situation et les mesures comico-tragiques. Indirectement, Valaoritis, constate qu’à une époque où l’Europe vit une crise économique, des événements pareils (hausse des impôts, baisse des salaires et des retraites, impossibilité d’acheter ou de vendre les produits) tout cela provient du pouvoir qui paralyse la vie sociale. Il s’agit d’un cirque qui vient de remplacer la politique, un cirque amer, un carnaval étrange, où Valaoritis dénonce, ridiculisant la politique qui a conduit le pays au chaos, s’oppose au retour aux sources que l’extrême droite évangélise, se moque des vieilles recettes gauchistes qui n’aboutissent à rien, considère qu’il a l’impression de vivre un amer carnaval où les citoyens, devenus des marionettes ou des clowns de différents partis politiques, meurent sans avoir bien vécu ou mènent une vie exploitée par le pouvoir. Le patron de ce cirque, non nommé mais sous-entendu, étant la potlitique d’austérité imposée par l’Allemagne, laisse travailler pour quelques sous les gens, et une fois leurs larmes taries, tous ces clowns, ayant le regard pétrifié devant leur impuissance de réagir, meurent dans l’oubli complet.

Utilisant l’ironie, le sarcasme et la nostalgie pour un passé que nous transformons sans cesse nous dit le poète, nous ne cessons de perdre les occasions de changer notre monde éphémère.
La présente collection contient trente-neuf (39) poèmes écrits de 2010 à 2013. Le poète avec sa traductrice, Photini Papariga, ont fait ce choix pour la traduction française, poèmes traduits par une enseignante de la langue française en collaboration avec le poète, et publiés chez « Les Hommes sans épaules », une maison d’édition française, renomée pour son attachement au modernisme en littérature.

La traductrice, Photini Papariga, Docteur ès Lettres du Département de Langue et de Littérature Françaises de l’Université Aristote de Thessalonique, a travaillé longtemps sur l’œuvre de Valaoritis, soutenant même une thèse de doctorat, en langue française, en 2011, sous le titre : Nanos Valaoritis : un médiateur d’impacts, et elle a absolument respecté le style du poète, soit cette émotion du connu et de l’inconnu simultanés. Car si les poèmes de Nanos Valaoritis sont assez difficiles à comprendre, ils sont très faciles à lire, parce que la langue est simple et elle n’est pas alourdie de nombreuses images ; elle est facilement reconnaissable. En même temps, il y a un côté étrange : c’est que le poème dicte à l’auteur ce qu’il faut qu’il dise. Ce n’est pas le poète qui dicte le poème, mais c’est le poème qui le lui dicte.

C’est tout à fait le contraire de l’écriture automatique, tant vantée par les surréalistes, dont Nanos Valaoritis fut un d’eux. Le poème commence par une phrase banale peut être et il finit toujours quand il n’a rien de plus à dire. Le poème, pour Valaoritis, est avant tout une entité ontologique qui lui dicte, ce qu’il doit dire. Et cela arrive d’une façon complètement informelle mais aussi avec des pensées convaincantes.

Photini Papariga est également la responsable de la présentation et de l’établissement du texte bilingue français/grec, pratique assez courante à nos jours qui permet au lecteur qui connaît les deux langues, non seulement de constater llq qualité de la traduction mais aussi si la version en regard est fidèle, près de la forme et du style de l’auteur, problème qui en l’occurence ne se pose pas, puisque la traductrice a œuvré avec l’auteur qui manie parfaitement la langue française. En plus elle a respecté la version conceptuelle du texte original la rendant à une traduction équivalente francophone, ainsi que le niveau stylistique ou sémantique et les données historiques entre le temps de la création du texte original et du texte traduit. D’ailleurs elle affirme que son souci était d’affranchir « les mots de leur sens métaphorique stéréotypé et [devenir] disponibles pour de nouvelles possibilités », parce que ainsi elle a pu conserver l’humour subtil du poète et rendre le goût amer carnavalesque de la quotidienneté grecque que Nanos Valaoritis élève en poétique, renversant le déterminisme du sérieux.

La longue préface, intitulée « Nanos Valaoritis : l’Odyssée d’un poète » que signe l’écrivain français, Christophe Dauphin, informe le lecteur francophone sur le rôle et l’impact de la poésie de N. Valaoritis au devenir littéraire néo-grec, concluant que son œuvre « joue un rôle irremplaçable de passeur entre trois cultures [grecque, anglo-saxonne et francophone] et de défenseur de diverses ‘avant-gardes’ de l’écriture ».

Georges Fréris (in larenaissancefrançaise.org, janvier 2018).

*

« Chroniqueur, obsédé par la passion de sa patrie, Nanos Valaoritis trace dans Amer Carnaval, un journal de ses pensées et de ses émotions au quotidien. Son humour subtil et en même temps doté de force, car il est capable de renverser le déterminisme du sérieux de la quotidienneté, rapproche ses poèmes de ce que leur titre annonce.

Cette édition bilingue est réalisée par un admirateur de la vraie Grèce (et aps seulement de la Grèce antique…), Christophe Dauphin, un homme qui connaît bien et respecte la culture grecque, et qui tient à faire connaître auprès du public français les poètes surréalistes grecs (Nikos Engonopoulos, Andréas Embirikos…), à travers des hommages réguliers dans sa revue Les Hommes sans Epaules.

Retournant à Amer Carnaval, Dauphin nous présente : « Nous y retrouvons ce miel acide, cette flamme fuligineuse, cette source sulfureuse, qui a donné tout son éclat à cette œuvre poétique singulière. Des poèmes insolites et souvent insolents, suscités par un élan lyrique exacerbé mais toujours maîtrisé : une alchimie où l’étincelle des mots et le feu des donnent naissance à des éclats où affleure à tout moment la révolte, mais aussi l’envers burlesque ou merveilleux du monde quotidien. »    

(Revue Contact + n°80, Athènes, janvier/février 2018).

*

"Recueil de poèmes où l'auteur joue avec de libres associations de mots pour traduire ses pensées et ses émotions."

Electre, Livres hebdo, 2018.




Lectures :

Cet ouvrage dont le titre fait écho à l’alchimie, rassemble trois livres de poèmes épuisés, Le Ministère des verges (2011), L’émoi du non (2013), Les rires fois d’AlefBêt… (2016) ainsi que trois inédits : Une mystique sexuelle, Sans titres ou points d’O et Les inutiles.

L’œuvre est aussi forte que déconcertante, aussi lumineuse que sombre, d’une lumière qui se cache derrière les drapés les plus obscurs. L’érotisme très présent ne doit pas masquer la dimension ontologique profonde de la poésie d’Odile Cohen-Abbas, souvent intransigeante, ne laissant au lecteur aucune échappatoire.

Nous chevauchons le même corset de sexe, la touffe astrale,

et l’ecchymose sans fixation,

nous chevauchons l’aune à deux branches,

le même fermoir humide, licite,

petit segment sécant de gauche et de droite

entre nos cuisses.

Et ton genre masculin, lissant sa nudité en moi

aux racines d’une rose et très tendre épilepsie,

de moitié, se féminise.

L’article lent à deux becs,

flèches à boire, oscille

d’un marais à l’autre de nos chairs,

grapille des unités de mémoire.

La profondeur le happe et l’enveloppe

d’un bandage de bonheur.

Extrait de Trait d’union

S’agit-il d’un songe qui révèle ou du kaléidoscope pathologique des rêves ? Le lecteur pris dans la multiplicité des images risque la folie s’il ne cherche avec la même volonté que l’auteur à traverser ce qui est donné, tenir bon, quoi qu’il arrive, sans même savoir pourquoi.

Il regarde les joints desserrés de la terre :

ce mal blondasse et bancal de la mer.

Deux et trois de ses balancements visibles font un tamis à l’eau.

Il a conçu une petite phrase en prévention d’un scintillement qui l’enserre de trop près,

un barrage aux soubresauts de sa pensée sous la forme d’une question :

peut-on rêver cette cornue translucide sous l’aspect d’un triangle ?

– n’importe quoi pourvu que la cervelle marine ne songe pas à s’assoupir

avec ses droites de part en part mutilées.

Peut-on… il ne sait pas ! il rit très fort

quand les chemins de l’eau se parfument.

Peut-on… sceller un don de cercle, ou de losange ?

Il s’est trompé, et son erreur est si vive

qu’elle l’a fait saigner du nez.

Mais le saignement se répare

Extrait de L’autiste et l’eau

 Désespérante peut sembler la poésie d’Odile Cohen-Abbas. Certes, elle ouvre la boîte de Pandore, mais elle n’en conserve pas même l’espoir, un mal parmi les autres après tout. Ni espoir ni désespoir mais une implacable exploration de ce qui reste quand on a tout réduit en poussière.

« Si ce hideux te rencontre… »

Au mieux, s’il me rencontre ?

S’il entre dans le pendule de mes yeux

acquittant ou annulant sa place,

cuisant ses vieux bubons de mon feu,

faisant aboyer mes biens de l’âme ?

S’il est fait comme un homme du drame,

commis aux bancroches, aux hybrides,

s’il est fou, s’il est double,

s’il est femme

qu’il ose !

Qu’il joue, qu’il perde ou y gagne,

accroisse les tam-tam, les roulements

des visions

C’est là, dans le tambour, qu’il se cache,

elle si c’est une femme.

« Si ce hideux te rencontre… »

Cela a dû arriver

Extrait de Jérémie. 23 : 29

Dérive, errance, auto-exil, hors-soi… qu’importe la qualification du mouvement, le plus souvent immobile, il se suffit à lui-même. Nul besoin d’un but, d’une finalité, d’un sens. Toute analyse est vouée à l’échec. L’expérience est plus profonde, relève du « Sens-plastique » d’un Malcolm de Chazal, parfois chamanique, parfois prophétique, essentielle surtout. 

Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, 25 juin 2018).

*

"Cet ouvrage propose trois recueils de poèmes parus entre 2011 et 2016 ainsi que trois inédits. L'auteure évoque dans une veine surréaliste différents thèmes, notamment la sexualité, la religion ou la nature."

Electre, Livres Hebdo, 2018.

*

Long feu aux fontaines : dès le titre couronnant l’œuvre poétique d’Odile Cohen-Abbas jusqu’en 2017, soit trois livres de poèmes épuisés (Le Ministère des verges (2011), L’Émoi du non (2013), Les Rires fous d’AlefBêt… (2016)) et trois livres inédits (Une Mystique sexuelle, Sans titre ou Points d’O et Les Inutiles (2017)), une durée incertaine s’installe (celle du « long feu ») et ouvre la porte aux images les plus troublantes – à l’imaginaire tout aussi bien.

Dans les corridors des pages, le lecteur, en quête avec l’auteur, découvre des scènes de rêves ou de cauchemars, des paysages mentaux, des pensées qui ont pris corps. L’imagination, la « reine des facultés » (selon Charles Baudelaire), rayonne ici selon mille fenêtres et mille entrelacs.

Le lecteur est un Dante que dirige Virgile et que parfois vient rejoindre Béatrice. Il faut se laisser emporter par Odile Cohen-Abbas : elle nous égare plaisamment, mais sans jamais nous abandonner en chemin – sinon pour nous retrouver à quelque carrefour inattendu.  Faut-il se souvenir du regard d’un enfant étonné, faut-il convoquer l’adulte impatienté ? L’un et l’autre certainement.

Le poème, chez Odile Cohen-Abbas, se regarde et se lit lui-même pour, souvent, rire ou s’étonner de ses mots et se renverser : là, le sérieux n’est pas toujours ce que l’on croit, et l’humour tout aussi bien. Son miroir est un don : il se renouvelle avec quelque sourire ou quelque abîme. Tout est inextricablement mêlé, à l’image du désordre du monde et du désir – de l’éros. Au commencement, nul doute : une solitude qu’il faut franchir, une tension vers l’union : Que ma voix dépose le présent,/ que des frissons de liège nous déniaisent le souffle,/ que l’on donne à manger du grain au diseur/ et des guitares, à l’abat-jour,/ que l’on garde le silence pour le centre,/ pour le bain de millet de l’amour,/ un midi de notre vie/ s’habille de nos deux corps, / s’empare de notre chance, l’enlace,/ la revend aux saisons.  (« Sans suite », Le Ministère des verges).

Une voix se dégage, un corps parle – un corps de femme, sensuel et sexué jusqu’à l’ongle et au cil – et ce corps chante, joue, hurle, rit, se cache, désire, souffre, jouit, attend. Dans cette voix toutes les ressources de la langue sont convoquées : tour à tour appels, soupirs, fièvre et ivresse (à l’image du feu et de l’eau du titre générique de l’œuvre), célébration, exhortation, palpitation, spasmes, tremblements, pouls, les mots les plus crus côtoient les plus rares, dans une véritable fête du vocabulaire répondant, à chaque page, à la fête de l’expérience sensible : Les lointains sont à naître, souffle-t-elle,/ tandis qu’il fouit encore parmi son puits à thème,/ entre ses parois volitives/ sa piscine de chrysanthèmes. /[…] Son dos fait ses pyramides, ses bonds d’escorte. (« Maintenant », L’Émoi du non).

Les mots se câlinent, se repoussent, se rejoignent et s’entrechoquent pour s’aimer encore ; ils serpentent autour de leur objet pour soudain le mordre ou l’enlacer, sans que l’on sache toujours distinguer la blessure de l’embrassement. Mais toujours l’auteur prend de la distance avec son propre langage : Je t’exhorte, je t’abstrais,/ je te délarde, verge miellée, mon éloquence, ma robe du soir,/ à petits coups de cœur et d’apnée,/ je te réduis à un dé de manne,/ à une raie, à un fil d’archal. / Je t’érode, églogue, sonnet salant, […] (« Glose linguale », Le Ministère des verges). Jackie Pigeaud, dans Poésie du corps, cite le médecin érudit du début du XIXe siècle Étienne Sainte-Marie qui, lui-même s’appuyant sur les traités du médecin grec Hérophile (vers 330-320 - vers 260-250 av. J.-C.), écrit : « Le rythme existe dans toute la nature, et le corps humain est réglé par ce principe universel. […] Le cœur et le poumon frappent une mesure à deux temps, marqués dans le premier de ces organes par la systole et la diastole, et dans le second par l’inspiration et l’expiration. Le corps humain a donc été organisé et animé d’après les lois de la musique. […] Ce rapprochement n’avait point échappé aux Anciens ; et l’on voit dans leurs allégories que le dieu de la musique était aussi honoré comme dieu de la médecine. (Rivages poche/Petite Bibliothèque, 2009, pp. 175-176. C’est l’auteur qui souligne).

À bien des égards la poésie moderne retrouve cette analogie ; elle en est traversée ; et les rythmes nouveaux qu’elle découvre dans la langue (songeons à Antonin Artaud, à Henri Michaux, sans oublier le Pierre Jean Jouve de Sueur de sang) l’inscrivent dans cette recherche d’un poème qui déchiffrerait l’anatomie humaine et ses mouvements. La « poésie du corps », chez Odile Cohen-Abbas, tantôt caressante, tantôt haletante, est rythme, heurt, souffle et danse : Sept chats longs, ces feux-là comme varans/ dévoient des déplacements en flammes,/ communément des sphères./ « Apprenti feu ! »/crie un rayon de cercle./ Cages de médianes, de/ diagonales,/ décollements, raccordements de crânes, / séries des râbles et des queues. / Muscles, mues propres, / vitesse. (« Danseurs », Les Rires fous d’AlefBêt…). Les trois livres écrits en 2017 ouvrent encore de nouvelles perspectives. Avec humour – et rappelons que l’humour vrai, en poésie, est une réussite fort rare –, Odile Cohen-Abbas signale en incipit les titres non retenus d’un ouvrage (Sans titre ou Points d’O eût pu s’intituler, par exemple, Centons des mers, et Odile en usage ou Satyres en prière !) ou commente entre parenthèses certains passages de son poème. L’auteur inclut dans ses livres (ce qui résonnera dans Voyelle, cet ouvrage au confluent de nombreux genres paru aux éditions Rafael de Surtis en 2018) toute sorte de signes non-verbaux, photographies, dessins, reproductions d’œuvres d’art (tableaux et sculptures), portées musicales, pictogrammes, qui nourrissent la page en accompagnant les poèmes de motifs qui les prolongent ou les interrogent.

Odile Cohen-Abbas use également de toutes les ressources typographiques, de l’italique au corps mouvant des caractères imprimés, non pas ici pour tenter d’« élever enfin une page à la puissance du ciel étoilé » (selon Paul Valéry évoquant le Coup de dés de Stéphane Mallarmé), mais comme pour éparpiller le livre à l’intérieur de lui-même – et accomplir une danse dans une chambre d’échos : Je ne veux pas d’un mariage lettré/ avec le « Palais de têtes »,/ je ne veux pas de son marbre, ses flambeaux instruits,/ et syntaxe qui tombe comme neige vêtue de noir/ – ainsi qu’on la voit s’éloigner dans son texte minoré. (« Tout-et-rien, 14 juin 2017 », Sans titre ou Points d’O). Tout le langage est tancé, par le langage lui-même ; c’est l’être du poète qui est en jeu, et sa vérité : Nouvelle prière :/ TA JOIE EST MISÉRABLE !/ Quel surgissement inique !/ Dans quelle catégorie,/ quel espace l’inclure ?/ Tout avait si bien commencé, Éternellement, Éternellement,/ descendait si bien la côte./ LA JOIE EST MISÉRABLE !/ Quelle faute, quelle défaite de la chair, autoportrait,/ s’est  immolée dans le texte ? (« [Ici la photographie du détail d’une toile représentant le baiser d’Anne et de Joachim] 19 juin 2017 », Sans titre ou Points d’O). Il n’est pas jusqu’aux textes bibliques qui ne soient convoqués en tant que fondateurs d’un sens mouvant, toujours à questionner : Poème à face d’Ève coiffée en brosse, / cachant une caméra carcérale sous son crâne,/ prière occipitale/ disant la viduité syntaxique d’une femme,/ rescapée de la chambre, pauvre en air, du texte,/ pensées robots de moelle ! » (« Restitution », Les Inutiles) ; le dernier poème des Inutiles, évoquant les quatre figures du Tétramorphe évangélique, ne signalera-t-il pas, tandis que les mots du poème s’effacent ou sont raturés, une « main séparée » qui « dépose dans la marge/ l’ange d’un adieu ?

Et les énigmes nombreuses dont sont parsemés les livres d’Odile Cohen-Abbas ne sont pas sans rappeler que le poème, selon une très ancienne tradition, est également perçu et conçu tel un objet construit avec des mots, et qu’il s’offre au regard du lecteur comme la serrure en attente de quelque clef. Cependant, qu’avons-nous à répondre à un poème sinon tout d’abord lui dire « oui » et l’aimer, même maladroitement ? Et ces quelques lignes, devant Long feu aux fontaines, ne tentent-elles pas d’esquisser une réponse à quelque danse souveraine, une danse inquiète, la danse baroque et sûre d’un désir attentif ?

Frédéric TISON (in revue Les Hommes sans Epaules n°47, 2019).



Lectures :

Cet ouvrage dont le titre fait écho à l’alchimie, rassemble trois livres de poèmes épuisés, Le Ministère des verges (2011), L’émoi du non (2013), Les rires fois d’AlefBêt… (2016) ainsi que trois inédits : Une mystique sexuelle, Sans titres ou points d’O et Les inutiles.

L’œuvre est aussi forte que déconcertante, aussi lumineuse que sombre, d’une lumière qui se cache derrière les drapés les plus obscurs. L’érotisme très présent ne doit pas masquer la dimension ontologique profonde de la poésie d’Odile Cohen-Abbas, souvent intransigeante, ne laissant au lecteur aucune échappatoire.

Nous chevauchons le même corset de sexe, la touffe astrale,

et l’ecchymose sans fixation,

nous chevauchons l’aune à deux branches,

le même fermoir humide, licite,

petit segment sécant de gauche et de droite

entre nos cuisses.

Et ton genre masculin, lissant sa nudité en moi

aux racines d’une rose et très tendre épilepsie,

de moitié, se féminise.

L’article lent à deux becs,

flèches à boire, oscille

d’un marais à l’autre de nos chairs,

grapille des unités de mémoire.

La profondeur le happe et l’enveloppe

d’un bandage de bonheur.

Extrait de Trait d’union

S’agit-il d’un songe qui révèle ou du kaléidoscope pathologique des rêves ? Le lecteur pris dans la multiplicité des images risque la folie s’il ne cherche avec la même volonté que l’auteur à traverser ce qui est donné, tenir bon, quoi qu’il arrive, sans même savoir pourquoi.

Il regarde les joints desserrés de la terre :

ce mal blondasse et bancal de la mer.

Deux et trois de ses balancements visibles font un tamis à l’eau.

Il a conçu une petite phrase en prévention d’un scintillement qui l’enserre de trop près,

un barrage aux soubresauts de sa pensée sous la forme d’une question :

peut-on rêver cette cornue translucide sous l’aspect d’un triangle ?

– n’importe quoi pourvu que la cervelle marine ne songe pas à s’assoupir

avec ses droites de part en part mutilées.

Peut-on… il ne sait pas ! il rit très fort

quand les chemins de l’eau se parfument.

Peut-on… sceller un don de cercle, ou de losange ?

Il s’est trompé, et son erreur est si vive

qu’elle l’a fait saigner du nez.

Mais le saignement se répare

Extrait de L’autiste et l’eau

 Désespérante peut sembler la poésie d’Odile Cohen-Abbas. Certes, elle ouvre la boîte de Pandore, mais elle n’en conserve pas même l’espoir, un mal parmi les autres après tout. Ni espoir ni désespoir mais une implacable exploration de ce qui reste quand on a tout réduit en poussière.

« Si ce hideux te rencontre… »

Au mieux, s’il me rencontre ?

S’il entre dans le pendule de mes yeux

acquittant ou annulant sa place,

cuisant ses vieux bubons de mon feu,

faisant aboyer mes biens de l’âme ?

S’il est fait comme un homme du drame,

commis aux bancroches, aux hybrides,

s’il est fou, s’il est double,

s’il est femme

qu’il ose !

Qu’il joue, qu’il perde ou y gagne,

accroisse les tam-tam, les roulements

des visions

C’est là, dans le tambour, qu’il se cache,

elle si c’est une femme.

« Si ce hideux te rencontre… »

Cela a dû arriver

Extrait de Jérémie. 23 : 29

Dérive, errance, auto-exil, hors-soi… qu’importe la qualification du mouvement, le plus souvent immobile, il se suffit à lui-même. Nul besoin d’un but, d’une finalité, d’un sens. Toute analyse est vouée à l’échec. L’expérience est plus profonde, relève du « Sens-plastique » d’un Malcolm de Chazal, parfois chamanique, parfois prophétique, essentielle surtout. 

Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, 25 juin 2018).

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"Cet ouvrage propose trois recueils de poèmes parus entre 2011 et 2016 ainsi que trois inédits. L'auteure évoque dans une veine surréaliste différents thèmes, notamment la sexualité, la religion ou la nature."

Electre, Livres Hebdo, 2018.

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Long feu aux fontaines : dès le titre couronnant l’œuvre poétique d’Odile Cohen-Abbas jusqu’en 2017, soit trois livres de poèmes épuisés (Le Ministère des verges (2011), L’Émoi du non (2013), Les Rires fous d’AlefBêt… (2016)) et trois livres inédits (Une Mystique sexuelle, Sans titre ou Points d’O et Les Inutiles (2017)), une durée incertaine s’installe (celle du « long feu ») et ouvre la porte aux images les plus troublantes – à l’imaginaire tout aussi bien.

Dans les corridors des pages, le lecteur, en quête avec l’auteur, découvre des scènes de rêves ou de cauchemars, des paysages mentaux, des pensées qui ont pris corps. L’imagination, la « reine des facultés » (selon Charles Baudelaire), rayonne ici selon mille fenêtres et mille entrelacs.

Le lecteur est un Dante que dirige Virgile et que parfois vient rejoindre Béatrice. Il faut se laisser emporter par Odile Cohen-Abbas : elle nous égare plaisamment, mais sans jamais nous abandonner en chemin – sinon pour nous retrouver à quelque carrefour inattendu.  Faut-il se souvenir du regard d’un enfant étonné, faut-il convoquer l’adulte impatienté ? L’un et l’autre certainement.

Le poème, chez Odile Cohen-Abbas, se regarde et se lit lui-même pour, souvent, rire ou s’étonner de ses mots et se renverser : là, le sérieux n’est pas toujours ce que l’on croit, et l’humour tout aussi bien. Son miroir est un don : il se renouvelle avec quelque sourire ou quelque abîme. Tout est inextricablement mêlé, à l’image du désordre du monde et du désir – de l’éros. Au commencement, nul doute : une solitude qu’il faut franchir, une tension vers l’union : Que ma voix dépose le présent,/ que des frissons de liège nous déniaisent le souffle,/ que l’on donne à manger du grain au diseur/ et des guitares, à l’abat-jour,/ que l’on garde le silence pour le centre,/ pour le bain de millet de l’amour,/ un midi de notre vie/ s’habille de nos deux corps, / s’empare de notre chance, l’enlace,/ la revend aux saisons.  (« Sans suite », Le Ministère des verges).

Une voix se dégage, un corps parle – un corps de femme, sensuel et sexué jusqu’à l’ongle et au cil – et ce corps chante, joue, hurle, rit, se cache, désire, souffre, jouit, attend. Dans cette voix toutes les ressources de la langue sont convoquées : tour à tour appels, soupirs, fièvre et ivresse (à l’image du feu et de l’eau du titre générique de l’œuvre), célébration, exhortation, palpitation, spasmes, tremblements, pouls, les mots les plus crus côtoient les plus rares, dans une véritable fête du vocabulaire répondant, à chaque page, à la fête de l’expérience sensible : Les lointains sont à naître, souffle-t-elle,/ tandis qu’il fouit encore parmi son puits à thème,/ entre ses parois volitives/ sa piscine de chrysanthèmes. /[…] Son dos fait ses pyramides, ses bonds d’escorte. (« Maintenant », L’Émoi du non).

Les mots se câlinent, se repoussent, se rejoignent et s’entrechoquent pour s’aimer encore ; ils serpentent autour de leur objet pour soudain le mordre ou l’enlacer, sans que l’on sache toujours distinguer la blessure de l’embrassement. Mais toujours l’auteur prend de la distance avec son propre langage : Je t’exhorte, je t’abstrais,/ je te délarde, verge miellée, mon éloquence, ma robe du soir,/ à petits coups de cœur et d’apnée,/ je te réduis à un dé de manne,/ à une raie, à un fil d’archal. / Je t’érode, églogue, sonnet salant, […] (« Glose linguale », Le Ministère des verges). Jackie Pigeaud, dans Poésie du corps, cite le médecin érudit du début du XIXe siècle Étienne Sainte-Marie qui, lui-même s’appuyant sur les traités du médecin grec Hérophile (vers 330-320 - vers 260-250 av. J.-C.), écrit : « Le rythme existe dans toute la nature, et le corps humain est réglé par ce principe universel. […] Le cœur et le poumon frappent une mesure à deux temps, marqués dans le premier de ces organes par la systole et la diastole, et dans le second par l’inspiration et l’expiration. Le corps humain a donc été organisé et animé d’après les lois de la musique. […] Ce rapprochement n’avait point échappé aux Anciens ; et l’on voit dans leurs allégories que le dieu de la musique était aussi honoré comme dieu de la médecine. (Rivages poche/Petite Bibliothèque, 2009, pp. 175-176. C’est l’auteur qui souligne).

À bien des égards la poésie moderne retrouve cette analogie ; elle en est traversée ; et les rythmes nouveaux qu’elle découvre dans la langue (songeons à Antonin Artaud, à Henri Michaux, sans oublier le Pierre Jean Jouve de Sueur de sang) l’inscrivent dans cette recherche d’un poème qui déchiffrerait l’anatomie humaine et ses mouvements. La « poésie du corps », chez Odile Cohen-Abbas, tantôt caressante, tantôt haletante, est rythme, heurt, souffle et danse : Sept chats longs, ces feux-là comme varans/ dévoient des déplacements en flammes,/ communément des sphères./ « Apprenti feu ! »/crie un rayon de cercle./ Cages de médianes, de/ diagonales,/ décollements, raccordements de crânes, / séries des râbles et des queues. / Muscles, mues propres, / vitesse. (« Danseurs », Les Rires fous d’AlefBêt…). Les trois livres écrits en 2017 ouvrent encore de nouvelles perspectives. Avec humour – et rappelons que l’humour vrai, en poésie, est une réussite fort rare –, Odile Cohen-Abbas signale en incipit les titres non retenus d’un ouvrage (Sans titre ou Points d’O eût pu s’intituler, par exemple, Centons des mers, et Odile en usage ou Satyres en prière !) ou commente entre parenthèses certains passages de son poème. L’auteur inclut dans ses livres (ce qui résonnera dans Voyelle, cet ouvrage au confluent de nombreux genres paru aux éditions Rafael de Surtis en 2018) toute sorte de signes non-verbaux, photographies, dessins, reproductions d’œuvres d’art (tableaux et sculptures), portées musicales, pictogrammes, qui nourrissent la page en accompagnant les poèmes de motifs qui les prolongent ou les interrogent.

Odile Cohen-Abbas use également de toutes les ressources typographiques, de l’italique au corps mouvant des caractères imprimés, non pas ici pour tenter d’« élever enfin une page à la puissance du ciel étoilé » (selon Paul Valéry évoquant le Coup de dés de Stéphane Mallarmé), mais comme pour éparpiller le livre à l’intérieur de lui-même – et accomplir une danse dans une chambre d’échos : Je ne veux pas d’un mariage lettré/ avec le « Palais de têtes »,/ je ne veux pas de son marbre, ses flambeaux instruits,/ et syntaxe qui tombe comme neige vêtue de noir/ – ainsi qu’on la voit s’éloigner dans son texte minoré. (« Tout-et-rien, 14 juin 2017 », Sans titre ou Points d’O). Tout le langage est tancé, par le langage lui-même ; c’est l’être du poète qui est en jeu, et sa vérité : Nouvelle prière :/ TA JOIE EST MISÉRABLE !/ Quel surgissement inique !/ Dans quelle catégorie,/ quel espace l’inclure ?/ Tout avait si bien commencé, Éternellement, Éternellement,/ descendait si bien la côte./ LA JOIE EST MISÉRABLE !/ Quelle faute, quelle défaite de la chair, autoportrait,/ s’est  immolée dans le texte ? (« [Ici la photographie du détail d’une toile représentant le baiser d’Anne et de Joachim] 19 juin 2017 », Sans titre ou Points d’O). Il n’est pas jusqu’aux textes bibliques qui ne soient convoqués en tant que fondateurs d’un sens mouvant, toujours à questionner : Poème à face d’Ève coiffée en brosse, / cachant une caméra carcérale sous son crâne,/ prière occipitale/ disant la viduité syntaxique d’une femme,/ rescapée de la chambre, pauvre en air, du texte,/ pensées robots de moelle ! » (« Restitution », Les Inutiles) ; le dernier poème des Inutiles, évoquant les quatre figures du Tétramorphe évangélique, ne signalera-t-il pas, tandis que les mots du poème s’effacent ou sont raturés, une « main séparée » qui « dépose dans la marge/ l’ange d’un adieu ?

Et les énigmes nombreuses dont sont parsemés les livres d’Odile Cohen-Abbas ne sont pas sans rappeler que le poème, selon une très ancienne tradition, est également perçu et conçu tel un objet construit avec des mots, et qu’il s’offre au regard du lecteur comme la serrure en attente de quelque clef. Cependant, qu’avons-nous à répondre à un poème sinon tout d’abord lui dire « oui » et l’aimer, même maladroitement ? Et ces quelques lignes, devant Long feu aux fontaines, ne tentent-elles pas d’esquisser une réponse à quelque danse souveraine, une danse inquiète, la danse baroque et sûre d’un désir attentif ?

Frédéric TISON (in revue Les Hommes sans Epaules n°47, 2019).




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