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Deux approches critiques
Comme des meilleurs vins millésimés, Paul Farellier a sélectionné pour chaque année écoulée, et depuis 1968, une bouteille de son excellent cru poétique. Publiés ici où là, les textes qu’il nous offre dans cette rigoureuse anthologie sont choisis pour leur représentativité, leur qualité, le goût subtil de leur longévité et, quelque part, leur tendresse donnée au temps qui court. Choisir un extrait de texte dans cette superbe sélection est dénaturer le message initial car la plupart des poèmes représentés ici le sont dans un contexte pourvoyeur d’instants privilégiés. Chaque âge a son destin, chaque vers son empire.
« cette sorte de voix mate et sans écho, ce faible cri de lanterne, une étoile sourde qu’on distingue à peine
au vent venu de la nuit. »
La démarche qui accompagne ce poème fascine, car c’est le regard même que Paul Farellier privilégie entre tous, opérant sur un choix qui importe déjà un choix supplémentaire où ne surnagent, en fin de compte que les seuls grands textes douloureux des « bonnes années », alors qu’il ne reste
« plus rien qu’un soleil ras pour faucher les pluies glaçantes. »
Un petit livre tendre et pathétique.
Jean CHATARD, note (mars 2009) pour la revue Le Mensuel littéraire et poétique.
Paul Farellier est un poète du souffle et de la distance. Ces poèmes naissent du creusement, du travail, de soins et d’attente. Ils maturent dans la grande cuve à poèmes, nous offrant des millésimes qui selon le poète lui-même peuvent varier selon la terre, le soleil, les pluies, l’attention du vendangeur. Quarante poèmes pour quarante années, le choix du poète a dû être bien difficile. Un peu de hasard a pu s’inscrire dans ce choix mais certaines années sont d’une qualité rare et c’est sans attendre que nous devons déguster ces poèmes. Des instants, des lumières, un regard sur un vécu, l’oiseau qui s’envole, le silence toujours en recherche dans l’œuvre de Paul Farellier, tout cela impose un moment poétique dense et questionnant. « J’écosse la mémoire » écrit le poète qui tente peut-être de ne pas laisser s’égarer le moindre tremblement dans ce que nous pourrions relier à un vers précédent : «Tout le métier d’aimer». C’est que le poème de Paul Farellier ne semble pas vouloir rester dans la solitude même si les apparences sont parfois trompeuses chez ce poète assez secret. Son espace poétique s’appuie sur la réflexion philosophique et métaphysique tout autant que sur les éléments du monde et de la nature accomplissant par son poème une symbiose qui nous conduit à vivre avec lui la matière du monde comme son néant. Ainsi par l’union du paysage et de la lumière comme connaissance d’une finitude acceptée, nous pouvons lire ces très beaux vers :
« il a gelé blanc et la lumière est prise ».
Silence, beauté, lumière, des étoiles que Paul Farellier ne doit plus chercher. Elles nous semblent véritablement atteintes dans ce recueil.
Monique W. LABIDOIRE, in revue Poésie sur Seine, n° 68, printemps 2009.
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Sur Remue.net
"De temps en temps, dans la trop lointaine galaxie du surréalisme, une étoile filante apparaît ; alors, il faut vite saisir le sillage qu’elle laisse dans l’ombre ou la suie ambiante. Robert Rius, né le 25 février 1914, est mort le 21 juillet 1944, fusillé par les nazis pour faits de résistance : il vécut ainsi seulement trente ans, d’une guerre à l’autre. Il demeure l’inventeur en 1937, avec Benjamin Péret et André Breton, du jeu « le dessin communiqué ». Pour la préparation de l’Anthologie de l’humour noir (publiée en 1939, réimprimée en 1947, édition définitive en 1966 par Jean-Jacques Pauvert), il aida André Breton à sélectionner quelques-uns des écrivains qui y figurent de belle manière. Robert Rius aimait la littérature, la peinture, la photographie. Il lança la revue La Main à la plume en 1941, écrivit notamment l’Essai d’un dictionnaire exact de la langue française en 1943 (Editions Les Cahiers de Poésie) et un Picasso en janvier 1944 (Pages libres de La Main à la plume, édition clandestine). On peut lire, sur le site que vient d’ouvrir l’Association qui se consacre à la mémoire de Robert Rius, un tract adressé à Léon-Paul Fargue le 28 mars 1943 - impeccable traité du style en abrégé."
Dominique Hasselmann (Remue.net, 24 octobre 2006).
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Critique
75 HP. C’est par cette audacieuse revue d’avant-garde qu’ Ilarie Voronca, déjà connu pour son premier recueil de poèmes, Restriti (1923), illustré par Victor Brauner, pénétra avec fracas sur la scène avant-gardiste roumaine. Il développa une approche intégrale remarquablement visionnaire et s’affirma ainsi comme un précurseur des précurseurs. En 1933, il s’installa avec Voronca, son épouse et muse, à Paris pour explorer un invisible où le désespoir et la joie sereine semblent inextricablement unis dans les profondeurs de l’esprit.
Christophe Dauphin, poète, critique littéraire, essayiste s’est déjà intéressé à nombre de figures comme James Douglas Morrison, Jean Breton, Verlaine, notre ami regretté Sarane Alexandrian, et plus récemment Jacques Patin et Lucien Coutaud, peintre de l’éroticomagie.
La rencontre, hors temps, entre Ilarie Voronca et Christophe Dauphin semblait inévitable tant le livre du second sur le premier, Ilarie Voronca le poète intégral, publié chez Editinter et Rafael de Surtis, se révèle une alliance brillante. Davantage qu’un livre sur Voronca, Christophe Dauphin a laissé sa pensée jouer dans la pensée de Voronca, son art de la plume élégant et précis se marier avec la poésie tourmentée du roumain pour mieux la souligner, la libérer de représentations et de jugements trop rapides, trop vite satisfaits.
Christophe Dauphin nous révèle un grand poète, un grand aventurier de l’esprit, un être épris de liberté, qui veut inclure en lui la totalité de l’expérience humaine sans rien rejeter quitte à se détruire.
C’est peut-être dans son Petit Manuel du Parfait Bonheur (achevé en 1944) que Voronca livre la clé de son être, de sa sensibilité, de son mystère créatif.
Christophe Dauphin : « Le Petit Manuel que Voronca présente comme un essai de livre sur la félicité, un acte d’adhésion et de foi dans le bonheur de l’avenir, n’est pas une fiction mais une prose éminemment poétique, un texte testamentaire, un manifeste qui pourrait très bien être celui de l’intégralisme. Partout l’air, le feu, la pierre, l’eau coopèrent. Ils ont peut-être l’air de se corroder, de s’attaquer mais au contraire, ils ne cherchent que la modalité de s’emboîter et s’intégrer les uns dans les autres. « Pourquoi les hommes n’en feraient-ils pas autant ? » interroge Voronca, avant d’en appeler à construire une harmonie et un bonheur en commun. « Je doute que le paradis terrestre ait jamais existé. Mais j’ai la conviction profonde qu’il est en train de s’édifier… Faisons donc un avec l’homme, dirent les choses, que l’outil s’intègre à l’homme tout comme la lyre prend racine dans la main du joueur. Le violon et celui qui en joue, font-ils deux choses distinctes ? (…) Ainsi selon Voronca, de chose en chose, la terre et l’univers entier font un avec l’homme qui gagne en immortalité : « Que m’importe donc que je disparaisse, puisque je sais maintenant que la flamme que m’a communiquée ton visage n’aura jamais de fin ? Peut-être aurais-je pu douter de la réalité du monde et de sa faculté de durer. Mais maintenant que j’ai la certitude que lorsque je ne serai plus, tu continueras de planer autour de ma non-existence comme un parfum autour de l’endroit où l’on a arraché une fleur, le monde m’apparaît tout entier réel, comme un arbre hors de son fourreau. Je sais qu’il me suffirait de tourner la tête pour te retrouver et reconstituer l’univers. »
Remarquable intuition du mécanisme de la conscience et du jeu de l’intervalle. Voronca perçoit la félicité de la totalité en même temps qu’il est déchiré par la séparation. La félicité semble l’emporter. Son suicide en 1946 voudrait démentir cette certitude mais il n’est pas certain qu’il en soit ainsi. Dans son infinie « annexion » de ce qui se présente comme de ce qui s’absente, cet acte a-t-il encore une signification désespérante ?
« Dans le vide universel, toute chose crie vers autre chose et cette autre chose reste sourde. Mai sil arrive aussi qu’elle réponde et que par d’invisibles antennes, elle rejoigne la chose qui l’appelle. La joie éclate à cette communion. Peut-être y a-t-il un désir (un désir fou, mais quel est le désir qui n’ait pas une nuance de folie) dans chaque chose aussi infime soit-elle de remplir, en union avec les autres choses, le vide, le néant de l’univers. Car toute chose prend en même temps conscience de sa propre existence et du gouffre sans limites qui l’entoure. »
Cet extrait du Petit Manuel du Parfait Bonheur exprime avec une grande justesse le jeu de la conscience se souvenant avec frémissement de sa nature non-duelle mais confrontée avec la dualité.
Le travail remarquable, hommage rigoureux et d’une grande lucidité, de Christophe Dauphin met en évidence la puissance ontologique et la dimension hautement philosophique de la poésie de Voronca.
La seconde partie de l’ouvrage propose un choix de textes et poèmes d’Ilarie Voronca s’étendant sur une longue période, 1924-1946, soit de sa naissance poétique à sa mort apparente. Mais la poésie persiste et aussi la force de sa pensée affranchie. Comme Voronca l’avait pressenti et annoncé, son parfum demeure.
Rémi Boyer (in La lettre du crocodile, 9 mars 2011).
*
L’essai chez Chistophe Dauphin est un acte de création pur, d’une exigence, d’une rigueur et d’une ligne de conduite quasi extatiques, un acte de prolongement, d’investigation dans l’avenir, une œuvre profonde de débordement et réouverture des données de la mort et de la disparition, un hymne, une ode de sublimes fécondations ! Comprendre, chez lui, c’est créer ; l’aperception est un acte productif qui s’inspire et engendre du vivant. Ici apparait une sensualité, une sexualité de l’intelligence qui génère des effets flamboyants et ininterrompus. Je viens de relire ses deux livres sur le magnifique poète roumain Ilarie Voronca. Le premier est un essai sur sa vie et l‘ensemble de son œuvre, le second une présentation de son journal inédit, et me voici encore bouleversée, de fond en comble retournée comme si j’avais participé un jour, une nuit durant à un culte vaudou (les sacrifices en moins), à une sorte de célébration éruptive de la sensibilité et de l’esprit, une fête de transmission véridique. Comme un danseur pris de transe, je l’ai vu soudain s’élancer, porter plus loin, plus haut, l’aspiration de toute la communauté poétique. Il y a une sorte de sorcellerie, d’envoûtement dans l’essai biographique réussi, quelque chose qui négocie avec l’abîme et le vivant, traite, s’acharne, arrache au royaume des morts, ravive, ressuscite les matériaux défaits, dispersés, et leur confère plus qu’une seconde vie, une seconde éternité !
Création sensorielle, sensitive ? Connexion et surimpression créatives ? Gravures sur lignes ? Jugez-en par ce texte qui explicite les deux concepts fondamentaux d’intégralisme et de Poésie commune propre à Voronca et qui exulte d’une véritable profession de foi (in Ilarie Voronca, le poète intégral) : « Durant sa période française (1933 – 1946), certes, mais surtout universelle, Voronca va faire évoluer l’intégralisme à son stade suprême : La Poésie commune, soit le chant du monde et des hommes par un poète qui n’est pas qu’un chantre individuel, puisque son moi s’épanouit dans toutes les voix. La grande originalité de la poésie de Voronca fut toujours de ne rappeler personne, de ne se référer à aucun grand disparu, ni à aucun nom vivant ; d’être humaine, généreuse et enthousiaste, comme rarement cela fut le cas, avant et après elle. N’allons donc pas croire qu’il existe une rupture radicale entre la période roumaine intégraliste et la période française de La Poésie commune ; car l’intégralisme reste la notion clé de la création comme de la personnalité de Voronca, d’un bout à l’autre. » Cela pourrait suffire comme on reconnait instinctivement, immédiatement, l’aptitude à une humanité plus concertante et plus étincelante et comme on aime au premier regard ! Mais continuons pour les couches récalcitrantes. C’est dans la tombe qu’il est allé le chercher (Voronca), qu’il a affronté les légions de l’oubli, qu’il a patiemment soulevé, distingué, reconstruit pièce après pièce l’architecture somptueuse de son être et de son œuvre. C’est dans la tombe, parce que c’était son chemin, parce que c’était pour lui, aussi, au milieu des étincelles enfouies, scellées, un lieu de reconnaissance et de fraternité. De la même manière que l’on sonde la pierre et le marbre, Christophe Dauphin nous apprend que l’on peut sonder, sculpter les événements de l’histoire, en extraire le rayonnement primordial échappant à toute corruption, brisant le juste milieu entre l’avant et l’après, la connaissance de ce qui a été, le futur et l’inexistence. Car tout est à jamais « l’instant » dans la création poétique. Et c’est pourquoi l’homme, le grand, l’immense Voronca, il le fait traverser l’état de cadavre, de spectre, de fantôme, d’icône, d’idole languide dans la mémoire, pour le rendre à une actualité réelle, festive et volcanique, à l’actualité de sa vraie vie en Poésie. Et maintenant qu’au fil des lignes cela s’est produit, le poète Ilarie Voronca s’est remis à parler de la quête et de l’espérance, du deuil et de l’exil, de la révolution permanente des lettres, de la beauté de ce jour, de la communauté du rêve et s’apprête à partager le repas avec nous. « À quoi bon une parole qui ne lie pas deux hommes », dit Voronca. Du moins ces deux-là les voici liés !
Qu’il fasse la relation d’une vie, d’un pays, d’une situation géographique ou politique, en quelques traits, avec une conviction, une concision que l’on sent joyeuses, impétueuses, il en dresse la structure fondamentale, d’une géométrie légère, efficace, comme un mobile qui tournoie dans le temps et l’espace, où apparaissent sur les arêtes et les médianes, d’une intelligibilité immédiate, des dates, des repères, des causalités profondes, facteurs du passé et vecteurs d’avenir. Esprit de synthèse ? Assurément, mais si l’on intègre à cette synthèse la part la plus hardie, la plus débridée de l’émotionnel. Rien ne se fait chez Chistophe Dauphin sans les palpitations exorbitantes du sang et du cœur. Car c’est bien le vivant, l’érection édifiante, intemporelle du vivant, le corps historique ainsi délivré ! foi (in Ilarie Voronca, le poète intégral) : « Être juif, naître et grandir en Roumanie au début du XXe siècle et prendre part à l’essor de l’art moderne envers et contre toutes les puissances obscures et conformistes, ne sont pas des faits anodins, qui ne pèseraient que le poids d’une plume dans l’itinéraire de Voronca, comme dans ceux de Tzara, Sernet, Fondane, Brauner, Hérold, Celan ou Luca. On ne peut pas les comprendre, ou alors partiellement ; on ne peut saisir l’essence de leur être et la quintessence de leur création, si l’on ignore ce premier pan fondateur de leur existence, qui loin d’être anecdotique, justifie et explique tout : ce que sont, feront et deviendront chacun de ces artistes, unis fraternellement par la langue, les épreuves, le sang de la révolte et l’encre du rêve. »
En relisant ces deux ouvrages, en vous incitant vivement à le faire, c’est une adhésion fondamentale, une croyance toute palpitante en la lecture, en sa fonction de souffle, d’inspiratrice, que j’ai senti bouillonner en moi. Ce que Christophe Dauphin porte et soutient durant toutes ces pages et verse en substance dans le cœur des lecteurs, c’est cette intention puissante d’amitié et de solidarité supérieures, une intention à vif, opérante et sans cesse aux aguets ! Car c’est bien comme l’ami, le plus élevé, le plus accompli, dans sa bonté essentielle, qu’il nous apparaît, le frère, l’ami investi comme lui d’une vocation sacrée ainsi que l’avait définie les plus grands poètes. Une intention qui est de fait la matière même de son action, concentré de tendresse, de volonté et d’entendement. Aucune fausse route dans sa démarche, son but se détermine d’un trait quand le poète Christophe Dauphin restaure l’âme et le corps du poète Ilarie Voronca quand, par la vigueur de sa parole, de ses images, de son intuition, il ravive le génie de sa joie, de sa foi et de ses oscillations, quand il le fait sortir du cachot du silence et de l’effacement. Écoutons sans que cela prenne fin en nous, car telle est aussi notre mission, les pulsations confondues de leur sang (in Journal inédit) : « La joie est pour l’homme, disais-tu, avant d’ouvrir le gaz et d’oublier de le refermer. Mais, de la joie, que te restait-il ? Moins qu’une fumée de cigarette à la fin de l’incendie du sommeil. Moins que ta vie dans laquelle ton pas est un mot oublié. Tout se dissout, tout part. Je ne sais plus rien. La joie est pour l’homme un cri qui blesse comme une balle perdue ; une balle qui fait toujours mouche… Mais si c’est toi ce brasier rouge, cette flamme, parmi les pierres et les débris du soleil, alors, je veux être l’oiseau aveuglé dont les ailes s’enflamment sous tes paupières vides de cimetière. Alors, je veux être et jeter bas le masque de la douleur, car rien n’obscurcira la beauté de ce monde, qui laisse tomber sa tête sur l’épaule de la fatigue. »
Odile COHEN-ABBAS (in revue Les Hommes sans Epaules n°50, 2020).
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Critique
De tous les écrivains venus de Roumanie qui, au cours du XXe siècle, ont enrichi la littérature de langue française, Ilarie Voronca est l’un des plus importants et des plus méconnus. Tristan Tzara, Benjamin Fondane, Eugène Ionesco, Cioran et quelques autres font l’objet de nombreuses études ; pour les compléter, la parution de l’ouvrage de Christophe Dauphin est salutaire.
« Poète intégral », Voronca l’est à des titres divers. Théoricien de l’« intégralisme », il fut l’un des rédacteurs de la revue Integral, ainsi que d’autres revues de de cette avant-garde qui caractérisa la vie intellectuelle roumaine de l’entre-deux-guerres. En outre, toute son œuvre, en vers et en prose, relève d’une volonté d’unification « intégrale » des éléments naturels et humains. La biographie d’Eduard Marcus, alias Ilarie Voronca (1903-1946), très précisément rapportée, s’insère ici dans un environnement lui aussi parfaitement détaillé. Les années roumaines, l’installation en France, l’exil et ses difficultés, les brouilles littéraires momentanées, les amitiés, les amours, les rencontres (avec la plupart de ceux qui forment le monde artistique), les ruptures, la période de l’occupation et de la résistance, la quête désespérée du bonheur, jusqu’au suicide au domicile parisien – tout cela est solidement inscrit dans le contexte historique, social, politique, culturel, roumain, français, européen dont la destinée individuelle est indissociable.
Cette biographie est aussi un portrait moral (« Combattre les prisons, la haine, l’angoisse et l’oppression ») et surtout poétique, dans cet espace franco-roumain qu’Ilarie Voronca incarne totalement : symbolisme, avant-garde, intégralisme, lyrisme personnel… il est le poète du « mouvement », de l’« inquiétude », de l’« insatisfaction », de ces états qui ne laissent jamais en repos et d’où émane une incessante évolution.
Voilà un livre indispensable à la connaissance d’un poète majeur, qui plus est écrit par quelqu’un pour qui l’écriture est une matière vivante, puisque Christophe Dauphin, outre ses essais, a publié nombre de recueils poétiques. Son étude, qui s’appuie beaucoup sur les textes, forme un ensemble très documenté (citations, anthologie significative, riche iconographie…) : Ilarie Voronca, le poète intégral est un ouvrage nourri d’authenticité.
Jean-Pierre Longre (in Cahiers Rhône Roumanie, septembre 2011).
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Critique
75 HP. C’est par cette audacieuse revue d’avant-garde qu’ Ilarie Voronca, déjà connu pour son premier recueil de poèmes, Restriti (1923), illustré par Victor Brauner, pénétra avec fracas sur la scène avant-gardiste roumaine. Il développa une approche intégrale remarquablement visionnaire et s’affirma ainsi comme un précurseur des précurseurs. En 1933, il s’installa avec Voronca, son épouse et muse, à Paris pour explorer un invisible où le désespoir et la joie sereine semblent inextricablement unis dans les profondeurs de l’esprit.
Christophe Dauphin, poète, critique littéraire, essayiste s’est déjà intéressé à nombre de figures comme James Douglas Morrison, Jean Breton, Verlaine, notre ami regretté Sarane Alexandrian, et plus récemment Jacques Patin et Lucien Coutaud, peintre de l’éroticomagie.
La rencontre, hors temps, entre Ilarie Voronca et Christophe Dauphin semblait inévitable tant le livre du second sur le premier, Ilarie Voronca le poète intégral, publié chez Editinter et Rafael de Surtis, se révèle une alliance brillante. Davantage qu’un livre sur Voronca, Christophe Dauphin a laissé sa pensée jouer dans la pensée de Voronca, son art de la plume élégant et précis se marier avec la poésie tourmentée du roumain pour mieux la souligner, la libérer de représentations et de jugements trop rapides, trop vite satisfaits.
Christophe Dauphin nous révèle un grand poète, un grand aventurier de l’esprit, un être épris de liberté, qui veut inclure en lui la totalité de l’expérience humaine sans rien rejeter quitte à se détruire.
C’est peut-être dans son Petit Manuel du Parfait Bonheur (achevé en 1944) que Voronca livre la clé de son être, de sa sensibilité, de son mystère créatif.
Christophe Dauphin : « Le Petit Manuel que Voronca présente comme un essai de livre sur la félicité, un acte d’adhésion et de foi dans le bonheur de l’avenir, n’est pas une fiction mais une prose éminemment poétique, un texte testamentaire, un manifeste qui pourrait très bien être celui de l’intégralisme. Partout l’air, le feu, la pierre, l’eau coopèrent. Ils ont peut-être l’air de se corroder, de s’attaquer mais au contraire, ils ne cherchent que la modalité de s’emboîter et s’intégrer les uns dans les autres. « Pourquoi les hommes n’en feraient-ils pas autant ? » interroge Voronca, avant d’en appeler à construire une harmonie et un bonheur en commun. « Je doute que le paradis terrestre ait jamais existé. Mais j’ai la conviction profonde qu’il est en train de s’édifier… Faisons donc un avec l’homme, dirent les choses, que l’outil s’intègre à l’homme tout comme la lyre prend racine dans la main du joueur. Le violon et celui qui en joue, font-ils deux choses distinctes ? (…) Ainsi selon Voronca, de chose en chose, la terre et l’univers entier font un avec l’homme qui gagne en immortalité : « Que m’importe donc que je disparaisse, puisque je sais maintenant que la flamme que m’a communiquée ton visage n’aura jamais de fin ? Peut-être aurais-je pu douter de la réalité du monde et de sa faculté de durer. Mais maintenant que j’ai la certitude que lorsque je ne serai plus, tu continueras de planer autour de ma non-existence comme un parfum autour de l’endroit où l’on a arraché une fleur, le monde m’apparaît tout entier réel, comme un arbre hors de son fourreau. Je sais qu’il me suffirait de tourner la tête pour te retrouver et reconstituer l’univers. »
Remarquable intuition du mécanisme de la conscience et du jeu de l’intervalle. Voronca perçoit la félicité de la totalité en même temps qu’il est déchiré par la séparation. La félicité semble l’emporter. Son suicide en 1946 voudrait démentir cette certitude mais il n’est pas certain qu’il en soit ainsi. Dans son infinie « annexion » de ce qui se présente comme de ce qui s’absente, cet acte a-t-il encore une signification désespérante ?
« Dans le vide universel, toute chose crie vers autre chose et cette autre chose reste sourde. Mai sil arrive aussi qu’elle réponde et que par d’invisibles antennes, elle rejoigne la chose qui l’appelle. La joie éclate à cette communion. Peut-être y a-t-il un désir (un désir fou, mais quel est le désir qui n’ait pas une nuance de folie) dans chaque chose aussi infime soit-elle de remplir, en union avec les autres choses, le vide, le néant de l’univers. Car toute chose prend en même temps conscience de sa propre existence et du gouffre sans limites qui l’entoure. »
Cet extrait du Petit Manuel du Parfait Bonheur exprime avec une grande justesse le jeu de la conscience se souvenant avec frémissement de sa nature non-duelle mais confrontée avec la dualité.
Le travail remarquable, hommage rigoureux et d’une grande lucidité, de Christophe Dauphin met en évidence la puissance ontologique et la dimension hautement philosophique de la poésie de Voronca.
La seconde partie de l’ouvrage propose un choix de textes et poèmes d’Ilarie Voronca s’étendant sur une longue période, 1924-1946, soit de sa naissance poétique à sa mort apparente. Mais la poésie persiste et aussi la force de sa pensée affranchie. Comme Voronca l’avait pressenti et annoncé, son parfum demeure.
Rémi Boyer (in La lettre du crocodile, 9 mars 2011).
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L’essai chez Chistophe Dauphin est un acte de création pur, d’une exigence, d’une rigueur et d’une ligne de conduite quasi extatiques, un acte de prolongement, d’investigation dans l’avenir, une œuvre profonde de débordement et réouverture des données de la mort et de la disparition, un hymne, une ode de sublimes fécondations ! Comprendre, chez lui, c’est créer ; l’aperception est un acte productif qui s’inspire et engendre du vivant. Ici apparait une sensualité, une sexualité de l’intelligence qui génère des effets flamboyants et ininterrompus. Je viens de relire ses deux livres sur le magnifique poète roumain Ilarie Voronca. Le premier est un essai sur sa vie et l‘ensemble de son œuvre, le second une présentation de son journal inédit, et me voici encore bouleversée, de fond en comble retournée comme si j’avais participé un jour, une nuit durant à un culte vaudou (les sacrifices en moins), à une sorte de célébration éruptive de la sensibilité et de l’esprit, une fête de transmission véridique. Comme un danseur pris de transe, je l’ai vu soudain s’élancer, porter plus loin, plus haut, l’aspiration de toute la communauté poétique. Il y a une sorte de sorcellerie, d’envoûtement dans l’essai biographique réussi, quelque chose qui négocie avec l’abîme et le vivant, traite, s’acharne, arrache au royaume des morts, ravive, ressuscite les matériaux défaits, dispersés, et leur confère plus qu’une seconde vie, une seconde éternité !
Création sensorielle, sensitive ? Connexion et surimpression créatives ? Gravures sur lignes ? Jugez-en par ce texte qui explicite les deux concepts fondamentaux d’intégralisme et de Poésie commune propre à Voronca et qui exulte d’une véritable profession de foi (in Ilarie Voronca, le poète intégral) : « Durant sa période française (1933 – 1946), certes, mais surtout universelle, Voronca va faire évoluer l’intégralisme à son stade suprême : La Poésie commune, soit le chant du monde et des hommes par un poète qui n’est pas qu’un chantre individuel, puisque son moi s’épanouit dans toutes les voix. La grande originalité de la poésie de Voronca fut toujours de ne rappeler personne, de ne se référer à aucun grand disparu, ni à aucun nom vivant ; d’être humaine, généreuse et enthousiaste, comme rarement cela fut le cas, avant et après elle. N’allons donc pas croire qu’il existe une rupture radicale entre la période roumaine intégraliste et la période française de La Poésie commune ; car l’intégralisme reste la notion clé de la création comme de la personnalité de Voronca, d’un bout à l’autre. » Cela pourrait suffire comme on reconnait instinctivement, immédiatement, l’aptitude à une humanité plus concertante et plus étincelante et comme on aime au premier regard ! Mais continuons pour les couches récalcitrantes. C’est dans la tombe qu’il est allé le chercher (Voronca), qu’il a affronté les légions de l’oubli, qu’il a patiemment soulevé, distingué, reconstruit pièce après pièce l’architecture somptueuse de son être et de son œuvre. C’est dans la tombe, parce que c’était son chemin, parce que c’était pour lui, aussi, au milieu des étincelles enfouies, scellées, un lieu de reconnaissance et de fraternité. De la même manière que l’on sonde la pierre et le marbre, Christophe Dauphin nous apprend que l’on peut sonder, sculpter les événements de l’histoire, en extraire le rayonnement primordial échappant à toute corruption, brisant le juste milieu entre l’avant et l’après, la connaissance de ce qui a été, le futur et l’inexistence. Car tout est à jamais « l’instant » dans la création poétique. Et c’est pourquoi l’homme, le grand, l’immense Voronca, il le fait traverser l’état de cadavre, de spectre, de fantôme, d’icône, d’idole languide dans la mémoire, pour le rendre à une actualité réelle, festive et volcanique, à l’actualité de sa vraie vie en Poésie. Et maintenant qu’au fil des lignes cela s’est produit, le poète Ilarie Voronca s’est remis à parler de la quête et de l’espérance, du deuil et de l’exil, de la révolution permanente des lettres, de la beauté de ce jour, de la communauté du rêve et s’apprête à partager le repas avec nous. « À quoi bon une parole qui ne lie pas deux hommes », dit Voronca. Du moins ces deux-là les voici liés !
Qu’il fasse la relation d’une vie, d’un pays, d’une situation géographique ou politique, en quelques traits, avec une conviction, une concision que l’on sent joyeuses, impétueuses, il en dresse la structure fondamentale, d’une géométrie légère, efficace, comme un mobile qui tournoie dans le temps et l’espace, où apparaissent sur les arêtes et les médianes, d’une intelligibilité immédiate, des dates, des repères, des causalités profondes, facteurs du passé et vecteurs d’avenir. Esprit de synthèse ? Assurément, mais si l’on intègre à cette synthèse la part la plus hardie, la plus débridée de l’émotionnel. Rien ne se fait chez Chistophe Dauphin sans les palpitations exorbitantes du sang et du cœur. Car c’est bien le vivant, l’érection édifiante, intemporelle du vivant, le corps historique ainsi délivré ! foi (in Ilarie Voronca, le poète intégral) : « Être juif, naître et grandir en Roumanie au début du XXe siècle et prendre part à l’essor de l’art moderne envers et contre toutes les puissances obscures et conformistes, ne sont pas des faits anodins, qui ne pèseraient que le poids d’une plume dans l’itinéraire de Voronca, comme dans ceux de Tzara, Sernet, Fondane, Brauner, Hérold, Celan ou Luca. On ne peut pas les comprendre, ou alors partiellement ; on ne peut saisir l’essence de leur être et la quintessence de leur création, si l’on ignore ce premier pan fondateur de leur existence, qui loin d’être anecdotique, justifie et explique tout : ce que sont, feront et deviendront chacun de ces artistes, unis fraternellement par la langue, les épreuves, le sang de la révolte et l’encre du rêve. »
En relisant ces deux ouvrages, en vous incitant vivement à le faire, c’est une adhésion fondamentale, une croyance toute palpitante en la lecture, en sa fonction de souffle, d’inspiratrice, que j’ai senti bouillonner en moi. Ce que Christophe Dauphin porte et soutient durant toutes ces pages et verse en substance dans le cœur des lecteurs, c’est cette intention puissante d’amitié et de solidarité supérieures, une intention à vif, opérante et sans cesse aux aguets ! Car c’est bien comme l’ami, le plus élevé, le plus accompli, dans sa bonté essentielle, qu’il nous apparaît, le frère, l’ami investi comme lui d’une vocation sacrée ainsi que l’avait définie les plus grands poètes. Une intention qui est de fait la matière même de son action, concentré de tendresse, de volonté et d’entendement. Aucune fausse route dans sa démarche, son but se détermine d’un trait quand le poète Christophe Dauphin restaure l’âme et le corps du poète Ilarie Voronca quand, par la vigueur de sa parole, de ses images, de son intuition, il ravive le génie de sa joie, de sa foi et de ses oscillations, quand il le fait sortir du cachot du silence et de l’effacement. Écoutons sans que cela prenne fin en nous, car telle est aussi notre mission, les pulsations confondues de leur sang (in Journal inédit) : « La joie est pour l’homme, disais-tu, avant d’ouvrir le gaz et d’oublier de le refermer. Mais, de la joie, que te restait-il ? Moins qu’une fumée de cigarette à la fin de l’incendie du sommeil. Moins que ta vie dans laquelle ton pas est un mot oublié. Tout se dissout, tout part. Je ne sais plus rien. La joie est pour l’homme un cri qui blesse comme une balle perdue ; une balle qui fait toujours mouche… Mais si c’est toi ce brasier rouge, cette flamme, parmi les pierres et les débris du soleil, alors, je veux être l’oiseau aveuglé dont les ailes s’enflamment sous tes paupières vides de cimetière. Alors, je veux être et jeter bas le masque de la douleur, car rien n’obscurcira la beauté de ce monde, qui laisse tomber sa tête sur l’épaule de la fatigue. »
Odile COHEN-ABBAS (in revue Les Hommes sans Epaules n°50, 2020).
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Critique
De tous les écrivains venus de Roumanie qui, au cours du XXe siècle, ont enrichi la littérature de langue française, Ilarie Voronca est l’un des plus importants et des plus méconnus. Tristan Tzara, Benjamin Fondane, Eugène Ionesco, Cioran et quelques autres font l’objet de nombreuses études ; pour les compléter, la parution de l’ouvrage de Christophe Dauphin est salutaire.
« Poète intégral », Voronca l’est à des titres divers. Théoricien de l’« intégralisme », il fut l’un des rédacteurs de la revue Integral, ainsi que d’autres revues de de cette avant-garde qui caractérisa la vie intellectuelle roumaine de l’entre-deux-guerres. En outre, toute son œuvre, en vers et en prose, relève d’une volonté d’unification « intégrale » des éléments naturels et humains. La biographie d’Eduard Marcus, alias Ilarie Voronca (1903-1946), très précisément rapportée, s’insère ici dans un environnement lui aussi parfaitement détaillé. Les années roumaines, l’installation en France, l’exil et ses difficultés, les brouilles littéraires momentanées, les amitiés, les amours, les rencontres (avec la plupart de ceux qui forment le monde artistique), les ruptures, la période de l’occupation et de la résistance, la quête désespérée du bonheur, jusqu’au suicide au domicile parisien – tout cela est solidement inscrit dans le contexte historique, social, politique, culturel, roumain, français, européen dont la destinée individuelle est indissociable.
Cette biographie est aussi un portrait moral (« Combattre les prisons, la haine, l’angoisse et l’oppression ») et surtout poétique, dans cet espace franco-roumain qu’Ilarie Voronca incarne totalement : symbolisme, avant-garde, intégralisme, lyrisme personnel… il est le poète du « mouvement », de l’« inquiétude », de l’« insatisfaction », de ces états qui ne laissent jamais en repos et d’où émane une incessante évolution.
Voilà un livre indispensable à la connaissance d’un poète majeur, qui plus est écrit par quelqu’un pour qui l’écriture est une matière vivante, puisque Christophe Dauphin, outre ses essais, a publié nombre de recueils poétiques. Son étude, qui s’appuie beaucoup sur les textes, forme un ensemble très documenté (citations, anthologie significative, riche iconographie…) : Ilarie Voronca, le poète intégral est un ouvrage nourri d’authenticité.
Jean-Pierre Longre (in Cahiers Rhône Roumanie, septembre 2011).
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Lectures critiques
« Les mots viennent sans cesse tressaillir du côté du vivant », écrit Alain Brissiaud dans Jusqu’au cœur (Collection Les HSE /éd. Librairie-galerie Racine,162 pages, 15 €). Oh que cela résonne ! D’autant qu’il évoque tout aussitôt cette « terre des mots, limon d’où surgissent nos fragilités, ici comme autrefois ». Avec ce poète né à Paris en 1949, qui n’a publié son premier recueil qu’en 2015, nous voici en pays d’humanité. Il cherche « l’étroit chemin menant de l’un à l’autre » dans des regards, des caresses, des amours… Il guette les présences visibles ou non d’autres humains. « Il y aura toujours un mot pour dire ce lien », affirme-t-il. »
Philippe SIMON (in Ouest France, 18/19 novembre 2017).
*
" Au-delà des obédiences, des écoles et des mouvements, des mesures et des règles édictées, des discours et des gloses, existe la poésie. Elle échappe à toute tentative d’exégèse, car miraculeusement elle distend le signe et amplifie l’écho du langage. Alors les tableaux de vie ressassés par le poète acquièrent l’épaisseur d’une expérience humaine. Cet absolu, comme un cri ancestral, étoffe les poèmes d’Alain Brissiaud. Le lyrisme, si difficilement recevable lorsqu’il n’ouvre pas la voie à une transcendance, trouve dans Jusqu’au cœur l’occasion d’un renouveau. L’appareil tutélaire des chapitres est pourtant évocateur des thématiques romantiques, qui, pour l’une des plus récurrentes, est le paysage comme métaphore de l’état d’âme de l’énonciateur. Ainsi « terre d’octobre journal », « balises de brume », introduisent le recueil et annoncent les trois chapitres suivants, « la presqu’île », « les yeux fermés », et « communion solennelle ». L’automne, saison romantique, fut la saison de prédilection de ceux qui ont vécu en un dix-neuvième siècle hachuré par des séismes tant politiques que sociologiques. Saison de la maturité et signal d’une mélancolie existentielle, elle se veut représentative d’un moment propice aux bilans et aux retours en arrière. Et Alain Brissiaud, outre le fait de convoquer octobre et ses brumes, fait un usage fréquent des temps du passé et des pronoms personnels des premières et deuxièmes personnes du singulier. Le ton est donc aux épanchements personnels et à l’évocation des sentiments.
« L’ange de la mort l’ange de personne chantait les mots de la chanson tu savais qu’ils venaient
peu importe que cachaient ces paroles des éclats des cris coups ou rires il n’y avait pas de nom pour le dire
la chanson du matin la chanson du soir la chanson du sang à la nuit revenait et enfilait lavant ton esprit de sa lumière
maintenant depuis le bord du pré tu écoutes le bruit des pierres fracassées sous un ciel de mots
ton espoir est la pire des choses »
Cette sensibilité propre aux romantiques, qui a été le moteur d’innovations formelles si importantes au dix-neuvième siècle, est une des tonalités du recueil d’Alain Brissiaud. Mais là s’arrête tout rapprochement autorisé. Si l’auteur de Jusqu’au cœur nous livre ses sentiments et ses états d’âme, il n’en s’agit pas moins d’un lyrisme dont le sujet est le référent d’un pronom personnel de la deuxième personne du singulier. Ce dispositif permet une mise à distance qui soutient la gravité des propos, et confère aux épanchements personnels une tonalité particulière. Le poète porte un regard réflexif sur lui-même, il se livre à une introspection, s’examine, de l’extérieur, et restitue ses états d’âme de manière austère et détachée. Il apparaît alors comme une manière de fatalité. Loin des effusions lyriques romantiques, il n’y a plus d’égo cherchant la vérité dans une transcendance. Aucune quête métaphysique n’est envisagée comme une finalité salvatrice qui permettrait au sujet de trouver un sens à ses errances terrestres. Il n’y a plus non plus à accorder crédit au discours psychanalytique, car quand bien même les paroles de l’être sur lui-même seraient un moyen de s’approprier son histoire, il n’y a rien à y trouver d’autre que l’absurdité de toute chose. Agi, l’individu n’a plus d’autre destin que celui qui mène à un constat d’impuissance. Modernisant le sujet d’une énonciation personnelle, le poète ne cesse d’énumérer, à travers cette vacuité identitaire, l’avènement de sa disparition. Alors, l’écriture apparaît comme possible moyen de rédemption.
« Ta voix se creuse à mesure du message jusqu’à couler dans le papier et ta paupière tremble dans l’œil autour du visage puis s’efface
tu me parles dans le cercle d’écume en silence gardant les mots en toi avant la voix dans les poumons noirs de tes désirs
et ta paupière boit l’écrit qui se forme sur ton visage
incendié »
« Endormi à la nuit consumée tu n’écris pas tu marches dans le sommeil
vers quelle frontière fraternelle
et dérives cherchant ta place dans le monde tu n’es plus visible enclos derrière les murs de la parole
j’entends que rien ne s’ouvre comme si un poing de solitude s’abattait »
L’écriture s’oppose ici à la parole, dont l’inefficience à assurer toute communication est une thématique omniprésente dans les poèmes d’Alain Brissiaud. La poésie offre au signe l’occasion d’une portée sémantique supplémentaire. C’est alors qu’une possibilité apparaît, celle de transcender le réel et d’énoncer l’indicible solitude de la condition humaine. C’est également grâce à la poésie qu’il est possible d’approcher cette perfection insoutenable donnée à voir dans la beauté de la nature.
« Vers toi tendus jusqu’au cœur à l’échéance suceront le lait de ta pensée pour s’en vêtir
enclos dans l’ultime moment tu ne sauras retenir cet effroi de lumière
viendront les spasmes les paroles traduites
ces paroles jaillies de ta voix cabossée »
« Quand je te lis je t’écoute j’emprunte alors un autre chemin que le mien guidé par la voix couchée derrière tes paupières
et je nage contre tes cils à l’avant de ton ombre naissante
aussi la voix du souvenir entêtant »
Ainsi, il s’agit de dire l’impossibilité même de se tenir en une posture lyrique, de transmettre au pronom personnel toute substance sans que celle-ci ne soit regardée dans toute l’étendue de sa vacuité, de son impossibilité à être au monde. Dans un va et vient entre l’emploi des pronoms des première et deuxième personnes du singulier, Alain Brissiaud nous offre la réflexivité d’un regard qui ne peut intégrer la réalité et entonne son incessante renonciation à exister. Le poète brouille les pistes référentielles. Il apparaît comme une entité morcelée, vagabondant entre sa mémoire et ses perceptions, et l’incompréhension de l’être aimé, voué à disparaître, avec lequel un lien fugace et imparfait est source de souffrance. Toute communication est vécue comme impossible, ou pour le moins imparfaite. Ici encore, les mots ne sont qu’enfermement dans une solitude qui n’est surmontée que grâce à l’écriture.
« Tu me montres parfois ton visage cousu de fruits sauvages absolument et sa détresse et son exil comme un mot écrit à la machine
sérieuse tu caches la couleur de tes yeux ce chalet d’angoisse leur beauté enlaidie et ta psychose noient mon regard comme un privilège c’est ainsi tout ce que j’ai voulu se brise
c’est long d’aimer »
Dans ce contexte, le chant amoureux, dont la thématique vient encore suggérer le Romantisme, ne peut être qu’un chant de désespoir. Le lien à l’objet désiré est donné à voir comme impossible, éphémère. Mais que l’on ne s’y trompe pas, Alain Brissiaud ne pleure pas l’absence de l’être cher. Il s’agit plutôt de constater, en une impuissance salvatrice, parce que porteuse de renonciation, l’impossibilité des êtres à communiquer, se rencontrer, s’entendre, et surtout s’aimer, au-delà de la parole.
« Est-ce le rêve où ma main saisissant l’ombre de ton épaule se changea en pierre
ou bien le souvenir de nos visages enlacés glissant sur la rivière
non
seulement cet exil circulant dans nos veines comme un crachat »
Il s’agit bien de lyrisme, mais d’un chant qui interroge le questionnement même, jusqu’au point ultime de ce constat de toute absurdité. Doit-on pour autant rapprocher les propos d’Alain Brissiaud d’une pensée existentialiste ? Si la libération vient de cet aveu d’impuissance et de l’acceptation de cette absurdité qu’est l’existence, pour ces derniers seul l’acte posé en conscience est le moyen d’affirmer sa liberté. Pour le poète Alain Brissiaud il semble que la rédemption soit dans la contemplation de la nature, de sa beauté insoutenable parce qu’il lui est impossible de s’y fondre, de l’intégrer et de toucher cette magnificence qui fait tant défaut à ce que vivent les hommes.
« Maintenant je n’ai pas de mot
la première chaleur
flacon d’innocence déversé dans le langage neuf soif entaillée
le vacarme s’éloigne libérant nos craintes
vient un flot de lumière pareil à l’eau du souffle
terre vaine sortie des crevasses de l’aube
se recompose »
C’est donc une poésie non pas du désespoir, mais de la quête de cette inimaginable perfection incarnée par la nature. Elle seule peut tenter d’en approcher l’immanence, de tracer les contours de cette beauté insoutenable parce qu’absente, inaccessible. Elle offre dans le travail abouti de la langue un moyen de dépasser les enfermements, les claustrations charnelles et verbales, les incompréhensions, le vide laissé par les souvenirs, l’absence, et le temps qui passe. Alors sourde le bruissement d’un silence porteur de cette ultime transcendance de l’union de l’être avec l’univers.
« Quand s’étirent les branches du tremble jusqu’à toucher la braise où tout souffle se perd quand vient ce moment d’innocence loin de l’écorce tendre dans le lit du cri de l’oiseau
je voudrais m’arrêter de vivre »
« Couple corps et toi ensemble couvrant le bégaiement de la parole et l’anarchie des mots dans une vague de lumière
quand planent gestes et souffle affranchis du choix des lèvres
viennent et se posent dans le silence pour me vêtir »
Carole MESROBIAN ( in recoursaupoeme.fr, octobre 2017).
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« Alain Brissiaud est éditeur, libraire et poète. Editeur, il a notamment édité des auteurs de la Beat Generation ou de la Pataphysique comme Alfred Jarry.
Après un très beau premier recueil intitulé Au pas des gouffres, Alain Brissiaud nous propose un deuxième opus en cinq parties. Toujours, la poésie constitue un approfondissement de la langue qui révèle alors des étendues insoupçonnées. La langue est à la fois un véhicule pour naviguer sur l’océan de la conscience et un outil magique pour traverser les apparences et libérer toujours plus d’Être.
Si les mots révèlent ici l’extrême fragilité de ce qui se présente, la multiplication des impossibilités, l’écho d’un « ce qui demeure » s’impose avec une élégance rassurante. Peut-être juste la beauté, mais n’est-ce pas déjà l’infini ?
En cinq parties, Terre d’octobre, Balise de brume, La presqu’île, Les Yeux fermés, Communion solennelle, Alain Brissiaud invite et incite à l’intime, non l’intime personnel, mais l’intime indicible qui ne peut qu’être suggéré, pressenti.
Au bord de l’abîme, la langue se montre la seule solution ailée pour ne pas sombrer. »
Rémy BOYER (in incoherisme.wordpress.com, août 2017).
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"C'est le second recueil d'Alain Brissiaud chez le même éditeur, aprèsAu pas du gouffre, en 2016. Cinq parties jalonnent ce nouvel opus, où l'on passe petit à petit de la réalité extérieure à l'intériorité profonde: successivement: "Terre d'octobre, journal", "Balises de brume", "La presqu'île", "Les yeux fermés", "Communion solennelle".
Dès les premières pages, il est question de paroes - d'alluvions et de promesses - dissoutes, mais c'est le mois, la saison ou le lieu qui garde le coeur du poème : Se noie dans le martèlement - de la rosée. Mais rapidement la houle osseuse laisse la place à celles à qui s'adresse le poème, la mère, la fille, la femme. Et les sentiments, et les émotions se mêlent pour évoquer l'amour aussi bien que la mort: je mettrai sur mon corps une bâche - un poème impraticable. Et un certain lyrisme teinte toutes ces pages où Alain Brissiaud tente de démêler les noeuds psychologiques dans leurs contradictions: Tu me tends d'impeccables nausées, ou plus simplement dans l'analyse lucide du déroulement mental: de vains soulèvements - cisaillent notre pensée.
Une emprise de la foi se fait sentir comme en atteste la partie finale, même si la révolte lui fait écrire: ô mon âme - devenue sciure... On a parfois l'impression d'être un peu à côté du dialogue instauré dans le poème, mais la conviction de l'auteur rétablit l'écoute."
Jacques MORIN (in revue Décharge n°176, décembre 2017).
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Lectures critiques
« Les mots viennent sans cesse tressaillir du côté du vivant », écrit Alain Brissiaud dans Jusqu’au cœur (Collection Les HSE /éd. Librairie-galerie Racine,162 pages, 15 €). Oh que cela résonne ! D’autant qu’il évoque tout aussitôt cette « terre des mots, limon d’où surgissent nos fragilités, ici comme autrefois ». Avec ce poète né à Paris en 1949, qui n’a publié son premier recueil qu’en 2015, nous voici en pays d’humanité. Il cherche « l’étroit chemin menant de l’un à l’autre » dans des regards, des caresses, des amours… Il guette les présences visibles ou non d’autres humains. « Il y aura toujours un mot pour dire ce lien », affirme-t-il. »
Philippe SIMON (in Ouest France, 18/19 novembre 2017).
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" Au-delà des obédiences, des écoles et des mouvements, des mesures et des règles édictées, des discours et des gloses, existe la poésie. Elle échappe à toute tentative d’exégèse, car miraculeusement elle distend le signe et amplifie l’écho du langage. Alors les tableaux de vie ressassés par le poète acquièrent l’épaisseur d’une expérience humaine. Cet absolu, comme un cri ancestral, étoffe les poèmes d’Alain Brissiaud. Le lyrisme, si difficilement recevable lorsqu’il n’ouvre pas la voie à une transcendance, trouve dans Jusqu’au cœur l’occasion d’un renouveau. L’appareil tutélaire des chapitres est pourtant évocateur des thématiques romantiques, qui, pour l’une des plus récurrentes, est le paysage comme métaphore de l’état d’âme de l’énonciateur. Ainsi « terre d’octobre journal », « balises de brume », introduisent le recueil et annoncent les trois chapitres suivants, « la presqu’île », « les yeux fermés », et « communion solennelle ». L’automne, saison romantique, fut la saison de prédilection de ceux qui ont vécu en un dix-neuvième siècle hachuré par des séismes tant politiques que sociologiques. Saison de la maturité et signal d’une mélancolie existentielle, elle se veut représentative d’un moment propice aux bilans et aux retours en arrière. Et Alain Brissiaud, outre le fait de convoquer octobre et ses brumes, fait un usage fréquent des temps du passé et des pronoms personnels des premières et deuxièmes personnes du singulier. Le ton est donc aux épanchements personnels et à l’évocation des sentiments.
« L’ange de la mort l’ange de personne chantait les mots de la chanson tu savais qu’ils venaient
peu importe que cachaient ces paroles des éclats des cris coups ou rires il n’y avait pas de nom pour le dire
la chanson du matin la chanson du soir la chanson du sang à la nuit revenait et enfilait lavant ton esprit de sa lumière
maintenant depuis le bord du pré tu écoutes le bruit des pierres fracassées sous un ciel de mots
ton espoir est la pire des choses »
Cette sensibilité propre aux romantiques, qui a été le moteur d’innovations formelles si importantes au dix-neuvième siècle, est une des tonalités du recueil d’Alain Brissiaud. Mais là s’arrête tout rapprochement autorisé. Si l’auteur de Jusqu’au cœur nous livre ses sentiments et ses états d’âme, il n’en s’agit pas moins d’un lyrisme dont le sujet est le référent d’un pronom personnel de la deuxième personne du singulier. Ce dispositif permet une mise à distance qui soutient la gravité des propos, et confère aux épanchements personnels une tonalité particulière. Le poète porte un regard réflexif sur lui-même, il se livre à une introspection, s’examine, de l’extérieur, et restitue ses états d’âme de manière austère et détachée. Il apparaît alors comme une manière de fatalité. Loin des effusions lyriques romantiques, il n’y a plus d’égo cherchant la vérité dans une transcendance. Aucune quête métaphysique n’est envisagée comme une finalité salvatrice qui permettrait au sujet de trouver un sens à ses errances terrestres. Il n’y a plus non plus à accorder crédit au discours psychanalytique, car quand bien même les paroles de l’être sur lui-même seraient un moyen de s’approprier son histoire, il n’y a rien à y trouver d’autre que l’absurdité de toute chose. Agi, l’individu n’a plus d’autre destin que celui qui mène à un constat d’impuissance. Modernisant le sujet d’une énonciation personnelle, le poète ne cesse d’énumérer, à travers cette vacuité identitaire, l’avènement de sa disparition. Alors, l’écriture apparaît comme possible moyen de rédemption.
« Ta voix se creuse à mesure du message jusqu’à couler dans le papier et ta paupière tremble dans l’œil autour du visage puis s’efface
tu me parles dans le cercle d’écume en silence gardant les mots en toi avant la voix dans les poumons noirs de tes désirs
et ta paupière boit l’écrit qui se forme sur ton visage
incendié »
« Endormi à la nuit consumée tu n’écris pas tu marches dans le sommeil
vers quelle frontière fraternelle
et dérives cherchant ta place dans le monde tu n’es plus visible enclos derrière les murs de la parole
j’entends que rien ne s’ouvre comme si un poing de solitude s’abattait »
L’écriture s’oppose ici à la parole, dont l’inefficience à assurer toute communication est une thématique omniprésente dans les poèmes d’Alain Brissiaud. La poésie offre au signe l’occasion d’une portée sémantique supplémentaire. C’est alors qu’une possibilité apparaît, celle de transcender le réel et d’énoncer l’indicible solitude de la condition humaine. C’est également grâce à la poésie qu’il est possible d’approcher cette perfection insoutenable donnée à voir dans la beauté de la nature.
« Vers toi tendus jusqu’au cœur à l’échéance suceront le lait de ta pensée pour s’en vêtir
enclos dans l’ultime moment tu ne sauras retenir cet effroi de lumière
viendront les spasmes les paroles traduites
ces paroles jaillies de ta voix cabossée »
« Quand je te lis je t’écoute j’emprunte alors un autre chemin que le mien guidé par la voix couchée derrière tes paupières
et je nage contre tes cils à l’avant de ton ombre naissante
aussi la voix du souvenir entêtant »
Ainsi, il s’agit de dire l’impossibilité même de se tenir en une posture lyrique, de transmettre au pronom personnel toute substance sans que celle-ci ne soit regardée dans toute l’étendue de sa vacuité, de son impossibilité à être au monde. Dans un va et vient entre l’emploi des pronoms des première et deuxième personnes du singulier, Alain Brissiaud nous offre la réflexivité d’un regard qui ne peut intégrer la réalité et entonne son incessante renonciation à exister. Le poète brouille les pistes référentielles. Il apparaît comme une entité morcelée, vagabondant entre sa mémoire et ses perceptions, et l’incompréhension de l’être aimé, voué à disparaître, avec lequel un lien fugace et imparfait est source de souffrance. Toute communication est vécue comme impossible, ou pour le moins imparfaite. Ici encore, les mots ne sont qu’enfermement dans une solitude qui n’est surmontée que grâce à l’écriture.
« Tu me montres parfois ton visage cousu de fruits sauvages absolument et sa détresse et son exil comme un mot écrit à la machine
sérieuse tu caches la couleur de tes yeux ce chalet d’angoisse leur beauté enlaidie et ta psychose noient mon regard comme un privilège c’est ainsi tout ce que j’ai voulu se brise
c’est long d’aimer »
Dans ce contexte, le chant amoureux, dont la thématique vient encore suggérer le Romantisme, ne peut être qu’un chant de désespoir. Le lien à l’objet désiré est donné à voir comme impossible, éphémère. Mais que l’on ne s’y trompe pas, Alain Brissiaud ne pleure pas l’absence de l’être cher. Il s’agit plutôt de constater, en une impuissance salvatrice, parce que porteuse de renonciation, l’impossibilité des êtres à communiquer, se rencontrer, s’entendre, et surtout s’aimer, au-delà de la parole.
« Est-ce le rêve où ma main saisissant l’ombre de ton épaule se changea en pierre
ou bien le souvenir de nos visages enlacés glissant sur la rivière
non
seulement cet exil circulant dans nos veines comme un crachat »
Il s’agit bien de lyrisme, mais d’un chant qui interroge le questionnement même, jusqu’au point ultime de ce constat de toute absurdité. Doit-on pour autant rapprocher les propos d’Alain Brissiaud d’une pensée existentialiste ? Si la libération vient de cet aveu d’impuissance et de l’acceptation de cette absurdité qu’est l’existence, pour ces derniers seul l’acte posé en conscience est le moyen d’affirmer sa liberté. Pour le poète Alain Brissiaud il semble que la rédemption soit dans la contemplation de la nature, de sa beauté insoutenable parce qu’il lui est impossible de s’y fondre, de l’intégrer et de toucher cette magnificence qui fait tant défaut à ce que vivent les hommes.
« Maintenant je n’ai pas de mot
la première chaleur
flacon d’innocence déversé dans le langage neuf soif entaillée
le vacarme s’éloigne libérant nos craintes
vient un flot de lumière pareil à l’eau du souffle
terre vaine sortie des crevasses de l’aube
se recompose »
C’est donc une poésie non pas du désespoir, mais de la quête de cette inimaginable perfection incarnée par la nature. Elle seule peut tenter d’en approcher l’immanence, de tracer les contours de cette beauté insoutenable parce qu’absente, inaccessible. Elle offre dans le travail abouti de la langue un moyen de dépasser les enfermements, les claustrations charnelles et verbales, les incompréhensions, le vide laissé par les souvenirs, l’absence, et le temps qui passe. Alors sourde le bruissement d’un silence porteur de cette ultime transcendance de l’union de l’être avec l’univers.
« Quand s’étirent les branches du tremble jusqu’à toucher la braise où tout souffle se perd quand vient ce moment d’innocence loin de l’écorce tendre dans le lit du cri de l’oiseau
je voudrais m’arrêter de vivre »
« Couple corps et toi ensemble couvrant le bégaiement de la parole et l’anarchie des mots dans une vague de lumière
quand planent gestes et souffle affranchis du choix des lèvres
viennent et se posent dans le silence pour me vêtir »
Carole MESROBIAN ( in recoursaupoeme.fr, octobre 2017).
*
« Alain Brissiaud est éditeur, libraire et poète. Editeur, il a notamment édité des auteurs de la Beat Generation ou de la Pataphysique comme Alfred Jarry.
Après un très beau premier recueil intitulé Au pas des gouffres, Alain Brissiaud nous propose un deuxième opus en cinq parties. Toujours, la poésie constitue un approfondissement de la langue qui révèle alors des étendues insoupçonnées. La langue est à la fois un véhicule pour naviguer sur l’océan de la conscience et un outil magique pour traverser les apparences et libérer toujours plus d’Être.
Si les mots révèlent ici l’extrême fragilité de ce qui se présente, la multiplication des impossibilités, l’écho d’un « ce qui demeure » s’impose avec une élégance rassurante. Peut-être juste la beauté, mais n’est-ce pas déjà l’infini ?
En cinq parties, Terre d’octobre, Balise de brume, La presqu’île, Les Yeux fermés, Communion solennelle, Alain Brissiaud invite et incite à l’intime, non l’intime personnel, mais l’intime indicible qui ne peut qu’être suggéré, pressenti.
Au bord de l’abîme, la langue se montre la seule solution ailée pour ne pas sombrer. »
Rémy BOYER (in incoherisme.wordpress.com, août 2017).
*
"C'est le second recueil d'Alain Brissiaud chez le même éditeur, aprèsAu pas du gouffre, en 2016. Cinq parties jalonnent ce nouvel opus, où l'on passe petit à petit de la réalité extérieure à l'intériorité profonde: successivement: "Terre d'octobre, journal", "Balises de brume", "La presqu'île", "Les yeux fermés", "Communion solennelle".
Dès les premières pages, il est question de paroes - d'alluvions et de promesses - dissoutes, mais c'est le mois, la saison ou le lieu qui garde le coeur du poème : Se noie dans le martèlement - de la rosée. Mais rapidement la houle osseuse laisse la place à celles à qui s'adresse le poème, la mère, la fille, la femme. Et les sentiments, et les émotions se mêlent pour évoquer l'amour aussi bien que la mort: je mettrai sur mon corps une bâche - un poème impraticable. Et un certain lyrisme teinte toutes ces pages où Alain Brissiaud tente de démêler les noeuds psychologiques dans leurs contradictions: Tu me tends d'impeccables nausées, ou plus simplement dans l'analyse lucide du déroulement mental: de vains soulèvements - cisaillent notre pensée.
Une emprise de la foi se fait sentir comme en atteste la partie finale, même si la révolte lui fait écrire: ô mon âme - devenue sciure... On a parfois l'impression d'être un peu à côté du dialogue instauré dans le poème, mais la conviction de l'auteur rétablit l'écoute."
Jacques MORIN (in revue Décharge n°176, décembre 2017).
|
Lectures critiques
« Les mots viennent sans cesse tressaillir du côté du vivant », écrit Alain Brissiaud dans Jusqu’au cœur (Collection Les HSE /éd. Librairie-galerie Racine,162 pages, 15 €). Oh que cela résonne ! D’autant qu’il évoque tout aussitôt cette « terre des mots, limon d’où surgissent nos fragilités, ici comme autrefois ». Avec ce poète né à Paris en 1949, qui n’a publié son premier recueil qu’en 2015, nous voici en pays d’humanité. Il cherche « l’étroit chemin menant de l’un à l’autre » dans des regards, des caresses, des amours… Il guette les présences visibles ou non d’autres humains. « Il y aura toujours un mot pour dire ce lien », affirme-t-il. »
Philippe SIMON (in Ouest France, 18/19 novembre 2017).
*
" Au-delà des obédiences, des écoles et des mouvements, des mesures et des règles édictées, des discours et des gloses, existe la poésie. Elle échappe à toute tentative d’exégèse, car miraculeusement elle distend le signe et amplifie l’écho du langage. Alors les tableaux de vie ressassés par le poète acquièrent l’épaisseur d’une expérience humaine. Cet absolu, comme un cri ancestral, étoffe les poèmes d’Alain Brissiaud. Le lyrisme, si difficilement recevable lorsqu’il n’ouvre pas la voie à une transcendance, trouve dans Jusqu’au cœur l’occasion d’un renouveau. L’appareil tutélaire des chapitres est pourtant évocateur des thématiques romantiques, qui, pour l’une des plus récurrentes, est le paysage comme métaphore de l’état d’âme de l’énonciateur. Ainsi « terre d’octobre journal », « balises de brume », introduisent le recueil et annoncent les trois chapitres suivants, « la presqu’île », « les yeux fermés », et « communion solennelle ». L’automne, saison romantique, fut la saison de prédilection de ceux qui ont vécu en un dix-neuvième siècle hachuré par des séismes tant politiques que sociologiques. Saison de la maturité et signal d’une mélancolie existentielle, elle se veut représentative d’un moment propice aux bilans et aux retours en arrière. Et Alain Brissiaud, outre le fait de convoquer octobre et ses brumes, fait un usage fréquent des temps du passé et des pronoms personnels des premières et deuxièmes personnes du singulier. Le ton est donc aux épanchements personnels et à l’évocation des sentiments.
« L’ange de la mort l’ange de personne chantait les mots de la chanson tu savais qu’ils venaient
peu importe que cachaient ces paroles des éclats des cris coups ou rires il n’y avait pas de nom pour le dire
la chanson du matin la chanson du soir la chanson du sang à la nuit revenait et enfilait lavant ton esprit de sa lumière
maintenant depuis le bord du pré tu écoutes le bruit des pierres fracassées sous un ciel de mots
ton espoir est la pire des choses »
Cette sensibilité propre aux romantiques, qui a été le moteur d’innovations formelles si importantes au dix-neuvième siècle, est une des tonalités du recueil d’Alain Brissiaud. Mais là s’arrête tout rapprochement autorisé. Si l’auteur de Jusqu’au cœur nous livre ses sentiments et ses états d’âme, il n’en s’agit pas moins d’un lyrisme dont le sujet est le référent d’un pronom personnel de la deuxième personne du singulier. Ce dispositif permet une mise à distance qui soutient la gravité des propos, et confère aux épanchements personnels une tonalité particulière. Le poète porte un regard réflexif sur lui-même, il se livre à une introspection, s’examine, de l’extérieur, et restitue ses états d’âme de manière austère et détachée. Il apparaît alors comme une manière de fatalité. Loin des effusions lyriques romantiques, il n’y a plus d’égo cherchant la vérité dans une transcendance. Aucune quête métaphysique n’est envisagée comme une finalité salvatrice qui permettrait au sujet de trouver un sens à ses errances terrestres. Il n’y a plus non plus à accorder crédit au discours psychanalytique, car quand bien même les paroles de l’être sur lui-même seraient un moyen de s’approprier son histoire, il n’y a rien à y trouver d’autre que l’absurdité de toute chose. Agi, l’individu n’a plus d’autre destin que celui qui mène à un constat d’impuissance. Modernisant le sujet d’une énonciation personnelle, le poète ne cesse d’énumérer, à travers cette vacuité identitaire, l’avènement de sa disparition. Alors, l’écriture apparaît comme possible moyen de rédemption.
« Ta voix se creuse à mesure du message jusqu’à couler dans le papier et ta paupière tremble dans l’œil autour du visage puis s’efface
tu me parles dans le cercle d’écume en silence gardant les mots en toi avant la voix dans les poumons noirs de tes désirs
et ta paupière boit l’écrit qui se forme sur ton visage
incendié »
« Endormi à la nuit consumée tu n’écris pas tu marches dans le sommeil
vers quelle frontière fraternelle
et dérives cherchant ta place dans le monde tu n’es plus visible enclos derrière les murs de la parole
j’entends que rien ne s’ouvre comme si un poing de solitude s’abattait »
L’écriture s’oppose ici à la parole, dont l’inefficience à assurer toute communication est une thématique omniprésente dans les poèmes d’Alain Brissiaud. La poésie offre au signe l’occasion d’une portée sémantique supplémentaire. C’est alors qu’une possibilité apparaît, celle de transcender le réel et d’énoncer l’indicible solitude de la condition humaine. C’est également grâce à la poésie qu’il est possible d’approcher cette perfection insoutenable donnée à voir dans la beauté de la nature.
« Vers toi tendus jusqu’au cœur à l’échéance suceront le lait de ta pensée pour s’en vêtir
enclos dans l’ultime moment tu ne sauras retenir cet effroi de lumière
viendront les spasmes les paroles traduites
ces paroles jaillies de ta voix cabossée »
« Quand je te lis je t’écoute j’emprunte alors un autre chemin que le mien guidé par la voix couchée derrière tes paupières
et je nage contre tes cils à l’avant de ton ombre naissante
aussi la voix du souvenir entêtant »
Ainsi, il s’agit de dire l’impossibilité même de se tenir en une posture lyrique, de transmettre au pronom personnel toute substance sans que celle-ci ne soit regardée dans toute l’étendue de sa vacuité, de son impossibilité à être au monde. Dans un va et vient entre l’emploi des pronoms des première et deuxième personnes du singulier, Alain Brissiaud nous offre la réflexivité d’un regard qui ne peut intégrer la réalité et entonne son incessante renonciation à exister. Le poète brouille les pistes référentielles. Il apparaît comme une entité morcelée, vagabondant entre sa mémoire et ses perceptions, et l’incompréhension de l’être aimé, voué à disparaître, avec lequel un lien fugace et imparfait est source de souffrance. Toute communication est vécue comme impossible, ou pour le moins imparfaite. Ici encore, les mots ne sont qu’enfermement dans une solitude qui n’est surmontée que grâce à l’écriture.
« Tu me montres parfois ton visage cousu de fruits sauvages absolument et sa détresse et son exil comme un mot écrit à la machine
sérieuse tu caches la couleur de tes yeux ce chalet d’angoisse leur beauté enlaidie et ta psychose noient mon regard comme un privilège c’est ainsi tout ce que j’ai voulu se brise
c’est long d’aimer »
Dans ce contexte, le chant amoureux, dont la thématique vient encore suggérer le Romantisme, ne peut être qu’un chant de désespoir. Le lien à l’objet désiré est donné à voir comme impossible, éphémère. Mais que l’on ne s’y trompe pas, Alain Brissiaud ne pleure pas l’absence de l’être cher. Il s’agit plutôt de constater, en une impuissance salvatrice, parce que porteuse de renonciation, l’impossibilité des êtres à communiquer, se rencontrer, s’entendre, et surtout s’aimer, au-delà de la parole.
« Est-ce le rêve où ma main saisissant l’ombre de ton épaule se changea en pierre
ou bien le souvenir de nos visages enlacés glissant sur la rivière
non
seulement cet exil circulant dans nos veines comme un crachat »
Il s’agit bien de lyrisme, mais d’un chant qui interroge le questionnement même, jusqu’au point ultime de ce constat de toute absurdité. Doit-on pour autant rapprocher les propos d’Alain Brissiaud d’une pensée existentialiste ? Si la libération vient de cet aveu d’impuissance et de l’acceptation de cette absurdité qu’est l’existence, pour ces derniers seul l’acte posé en conscience est le moyen d’affirmer sa liberté. Pour le poète Alain Brissiaud il semble que la rédemption soit dans la contemplation de la nature, de sa beauté insoutenable parce qu’il lui est impossible de s’y fondre, de l’intégrer et de toucher cette magnificence qui fait tant défaut à ce que vivent les hommes.
« Maintenant je n’ai pas de mot
la première chaleur
flacon d’innocence déversé dans le langage neuf soif entaillée
le vacarme s’éloigne libérant nos craintes
vient un flot de lumière pareil à l’eau du souffle
terre vaine sortie des crevasses de l’aube
se recompose »
C’est donc une poésie non pas du désespoir, mais de la quête de cette inimaginable perfection incarnée par la nature. Elle seule peut tenter d’en approcher l’immanence, de tracer les contours de cette beauté insoutenable parce qu’absente, inaccessible. Elle offre dans le travail abouti de la langue un moyen de dépasser les enfermements, les claustrations charnelles et verbales, les incompréhensions, le vide laissé par les souvenirs, l’absence, et le temps qui passe. Alors sourde le bruissement d’un silence porteur de cette ultime transcendance de l’union de l’être avec l’univers.
« Quand s’étirent les branches du tremble jusqu’à toucher la braise où tout souffle se perd quand vient ce moment d’innocence loin de l’écorce tendre dans le lit du cri de l’oiseau
je voudrais m’arrêter de vivre »
« Couple corps et toi ensemble couvrant le bégaiement de la parole et l’anarchie des mots dans une vague de lumière
quand planent gestes et souffle affranchis du choix des lèvres
viennent et se posent dans le silence pour me vêtir »
Carole MESROBIAN ( in recoursaupoeme.fr, octobre 2017).
*
« Alain Brissiaud est éditeur, libraire et poète. Editeur, il a notamment édité des auteurs de la Beat Generation ou de la Pataphysique comme Alfred Jarry.
Après un très beau premier recueil intitulé Au pas des gouffres, Alain Brissiaud nous propose un deuxième opus en cinq parties. Toujours, la poésie constitue un approfondissement de la langue qui révèle alors des étendues insoupçonnées. La langue est à la fois un véhicule pour naviguer sur l’océan de la conscience et un outil magique pour traverser les apparences et libérer toujours plus d’Être.
Si les mots révèlent ici l’extrême fragilité de ce qui se présente, la multiplication des impossibilités, l’écho d’un « ce qui demeure » s’impose avec une élégance rassurante. Peut-être juste la beauté, mais n’est-ce pas déjà l’infini ?
En cinq parties, Terre d’octobre, Balise de brume, La presqu’île, Les Yeux fermés, Communion solennelle, Alain Brissiaud invite et incite à l’intime, non l’intime personnel, mais l’intime indicible qui ne peut qu’être suggéré, pressenti.
Au bord de l’abîme, la langue se montre la seule solution ailée pour ne pas sombrer. »
Rémy BOYER (in incoherisme.wordpress.com, août 2017).
*
"C'est le second recueil d'Alain Brissiaud chez le même éditeur, aprèsAu pas du gouffre, en 2016. Cinq parties jalonnent ce nouvel opus, où l'on passe petit à petit de la réalité extérieure à l'intériorité profonde: successivement: "Terre d'octobre, journal", "Balises de brume", "La presqu'île", "Les yeux fermés", "Communion solennelle".
Dès les premières pages, il est question de paroes - d'alluvions et de promesses - dissoutes, mais c'est le mois, la saison ou le lieu qui garde le coeur du poème : Se noie dans le martèlement - de la rosée. Mais rapidement la houle osseuse laisse la place à celles à qui s'adresse le poème, la mère, la fille, la femme. Et les sentiments, et les émotions se mêlent pour évoquer l'amour aussi bien que la mort: je mettrai sur mon corps une bâche - un poème impraticable. Et un certain lyrisme teinte toutes ces pages où Alain Brissiaud tente de démêler les noeuds psychologiques dans leurs contradictions: Tu me tends d'impeccables nausées, ou plus simplement dans l'analyse lucide du déroulement mental: de vains soulèvements - cisaillent notre pensée.
Une emprise de la foi se fait sentir comme en atteste la partie finale, même si la révolte lui fait écrire: ô mon âme - devenue sciure... On a parfois l'impression d'être un peu à côté du dialogue instauré dans le poème, mais la conviction de l'auteur rétablit l'écoute."
Jacques MORIN (in revue Décharge n°176, décembre 2017).
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Lectures critiques
« Les mots viennent sans cesse tressaillir du côté du vivant », écrit Alain Brissiaud dans Jusqu’au cœur (Collection Les HSE /éd. Librairie-galerie Racine,162 pages, 15 €). Oh que cela résonne ! D’autant qu’il évoque tout aussitôt cette « terre des mots, limon d’où surgissent nos fragilités, ici comme autrefois ». Avec ce poète né à Paris en 1949, qui n’a publié son premier recueil qu’en 2015, nous voici en pays d’humanité. Il cherche « l’étroit chemin menant de l’un à l’autre » dans des regards, des caresses, des amours… Il guette les présences visibles ou non d’autres humains. « Il y aura toujours un mot pour dire ce lien », affirme-t-il. »
Philippe SIMON (in Ouest France, 18/19 novembre 2017).
*
" Au-delà des obédiences, des écoles et des mouvements, des mesures et des règles édictées, des discours et des gloses, existe la poésie. Elle échappe à toute tentative d’exégèse, car miraculeusement elle distend le signe et amplifie l’écho du langage. Alors les tableaux de vie ressassés par le poète acquièrent l’épaisseur d’une expérience humaine. Cet absolu, comme un cri ancestral, étoffe les poèmes d’Alain Brissiaud. Le lyrisme, si difficilement recevable lorsqu’il n’ouvre pas la voie à une transcendance, trouve dans Jusqu’au cœur l’occasion d’un renouveau. L’appareil tutélaire des chapitres est pourtant évocateur des thématiques romantiques, qui, pour l’une des plus récurrentes, est le paysage comme métaphore de l’état d’âme de l’énonciateur. Ainsi « terre d’octobre journal », « balises de brume », introduisent le recueil et annoncent les trois chapitres suivants, « la presqu’île », « les yeux fermés », et « communion solennelle ». L’automne, saison romantique, fut la saison de prédilection de ceux qui ont vécu en un dix-neuvième siècle hachuré par des séismes tant politiques que sociologiques. Saison de la maturité et signal d’une mélancolie existentielle, elle se veut représentative d’un moment propice aux bilans et aux retours en arrière. Et Alain Brissiaud, outre le fait de convoquer octobre et ses brumes, fait un usage fréquent des temps du passé et des pronoms personnels des premières et deuxièmes personnes du singulier. Le ton est donc aux épanchements personnels et à l’évocation des sentiments.
« L’ange de la mort l’ange de personne chantait les mots de la chanson tu savais qu’ils venaient
peu importe que cachaient ces paroles des éclats des cris coups ou rires il n’y avait pas de nom pour le dire
la chanson du matin la chanson du soir la chanson du sang à la nuit revenait et enfilait lavant ton esprit de sa lumière
maintenant depuis le bord du pré tu écoutes le bruit des pierres fracassées sous un ciel de mots
ton espoir est la pire des choses »
Cette sensibilité propre aux romantiques, qui a été le moteur d’innovations formelles si importantes au dix-neuvième siècle, est une des tonalités du recueil d’Alain Brissiaud. Mais là s’arrête tout rapprochement autorisé. Si l’auteur de Jusqu’au cœur nous livre ses sentiments et ses états d’âme, il n’en s’agit pas moins d’un lyrisme dont le sujet est le référent d’un pronom personnel de la deuxième personne du singulier. Ce dispositif permet une mise à distance qui soutient la gravité des propos, et confère aux épanchements personnels une tonalité particulière. Le poète porte un regard réflexif sur lui-même, il se livre à une introspection, s’examine, de l’extérieur, et restitue ses états d’âme de manière austère et détachée. Il apparaît alors comme une manière de fatalité. Loin des effusions lyriques romantiques, il n’y a plus d’égo cherchant la vérité dans une transcendance. Aucune quête métaphysique n’est envisagée comme une finalité salvatrice qui permettrait au sujet de trouver un sens à ses errances terrestres. Il n’y a plus non plus à accorder crédit au discours psychanalytique, car quand bien même les paroles de l’être sur lui-même seraient un moyen de s’approprier son histoire, il n’y a rien à y trouver d’autre que l’absurdité de toute chose. Agi, l’individu n’a plus d’autre destin que celui qui mène à un constat d’impuissance. Modernisant le sujet d’une énonciation personnelle, le poète ne cesse d’énumérer, à travers cette vacuité identitaire, l’avènement de sa disparition. Alors, l’écriture apparaît comme possible moyen de rédemption.
« Ta voix se creuse à mesure du message jusqu’à couler dans le papier et ta paupière tremble dans l’œil autour du visage puis s’efface
tu me parles dans le cercle d’écume en silence gardant les mots en toi avant la voix dans les poumons noirs de tes désirs
et ta paupière boit l’écrit qui se forme sur ton visage
incendié »
« Endormi à la nuit consumée tu n’écris pas tu marches dans le sommeil
vers quelle frontière fraternelle
et dérives cherchant ta place dans le monde tu n’es plus visible enclos derrière les murs de la parole
j’entends que rien ne s’ouvre comme si un poing de solitude s’abattait »
L’écriture s’oppose ici à la parole, dont l’inefficience à assurer toute communication est une thématique omniprésente dans les poèmes d’Alain Brissiaud. La poésie offre au signe l’occasion d’une portée sémantique supplémentaire. C’est alors qu’une possibilité apparaît, celle de transcender le réel et d’énoncer l’indicible solitude de la condition humaine. C’est également grâce à la poésie qu’il est possible d’approcher cette perfection insoutenable donnée à voir dans la beauté de la nature.
« Vers toi tendus jusqu’au cœur à l’échéance suceront le lait de ta pensée pour s’en vêtir
enclos dans l’ultime moment tu ne sauras retenir cet effroi de lumière
viendront les spasmes les paroles traduites
ces paroles jaillies de ta voix cabossée »
« Quand je te lis je t’écoute j’emprunte alors un autre chemin que le mien guidé par la voix couchée derrière tes paupières
et je nage contre tes cils à l’avant de ton ombre naissante
aussi la voix du souvenir entêtant »
Ainsi, il s’agit de dire l’impossibilité même de se tenir en une posture lyrique, de transmettre au pronom personnel toute substance sans que celle-ci ne soit regardée dans toute l’étendue de sa vacuité, de son impossibilité à être au monde. Dans un va et vient entre l’emploi des pronoms des première et deuxième personnes du singulier, Alain Brissiaud nous offre la réflexivité d’un regard qui ne peut intégrer la réalité et entonne son incessante renonciation à exister. Le poète brouille les pistes référentielles. Il apparaît comme une entité morcelée, vagabondant entre sa mémoire et ses perceptions, et l’incompréhension de l’être aimé, voué à disparaître, avec lequel un lien fugace et imparfait est source de souffrance. Toute communication est vécue comme impossible, ou pour le moins imparfaite. Ici encore, les mots ne sont qu’enfermement dans une solitude qui n’est surmontée que grâce à l’écriture.
« Tu me montres parfois ton visage cousu de fruits sauvages absolument et sa détresse et son exil comme un mot écrit à la machine
sérieuse tu caches la couleur de tes yeux ce chalet d’angoisse leur beauté enlaidie et ta psychose noient mon regard comme un privilège c’est ainsi tout ce que j’ai voulu se brise
c’est long d’aimer »
Dans ce contexte, le chant amoureux, dont la thématique vient encore suggérer le Romantisme, ne peut être qu’un chant de désespoir. Le lien à l’objet désiré est donné à voir comme impossible, éphémère. Mais que l’on ne s’y trompe pas, Alain Brissiaud ne pleure pas l’absence de l’être cher. Il s’agit plutôt de constater, en une impuissance salvatrice, parce que porteuse de renonciation, l’impossibilité des êtres à communiquer, se rencontrer, s’entendre, et surtout s’aimer, au-delà de la parole.
« Est-ce le rêve où ma main saisissant l’ombre de ton épaule se changea en pierre
ou bien le souvenir de nos visages enlacés glissant sur la rivière
non
seulement cet exil circulant dans nos veines comme un crachat »
Il s’agit bien de lyrisme, mais d’un chant qui interroge le questionnement même, jusqu’au point ultime de ce constat de toute absurdité. Doit-on pour autant rapprocher les propos d’Alain Brissiaud d’une pensée existentialiste ? Si la libération vient de cet aveu d’impuissance et de l’acceptation de cette absurdité qu’est l’existence, pour ces derniers seul l’acte posé en conscience est le moyen d’affirmer sa liberté. Pour le poète Alain Brissiaud il semble que la rédemption soit dans la contemplation de la nature, de sa beauté insoutenable parce qu’il lui est impossible de s’y fondre, de l’intégrer et de toucher cette magnificence qui fait tant défaut à ce que vivent les hommes.
« Maintenant je n’ai pas de mot
la première chaleur
flacon d’innocence déversé dans le langage neuf soif entaillée
le vacarme s’éloigne libérant nos craintes
vient un flot de lumière pareil à l’eau du souffle
terre vaine sortie des crevasses de l’aube
se recompose »
C’est donc une poésie non pas du désespoir, mais de la quête de cette inimaginable perfection incarnée par la nature. Elle seule peut tenter d’en approcher l’immanence, de tracer les contours de cette beauté insoutenable parce qu’absente, inaccessible. Elle offre dans le travail abouti de la langue un moyen de dépasser les enfermements, les claustrations charnelles et verbales, les incompréhensions, le vide laissé par les souvenirs, l’absence, et le temps qui passe. Alors sourde le bruissement d’un silence porteur de cette ultime transcendance de l’union de l’être avec l’univers.
« Quand s’étirent les branches du tremble jusqu’à toucher la braise où tout souffle se perd quand vient ce moment d’innocence loin de l’écorce tendre dans le lit du cri de l’oiseau
je voudrais m’arrêter de vivre »
« Couple corps et toi ensemble couvrant le bégaiement de la parole et l’anarchie des mots dans une vague de lumière
quand planent gestes et souffle affranchis du choix des lèvres
viennent et se posent dans le silence pour me vêtir »
Carole MESROBIAN ( in recoursaupoeme.fr, octobre 2017).
*
« Alain Brissiaud est éditeur, libraire et poète. Editeur, il a notamment édité des auteurs de la Beat Generation ou de la Pataphysique comme Alfred Jarry.
Après un très beau premier recueil intitulé Au pas des gouffres, Alain Brissiaud nous propose un deuxième opus en cinq parties. Toujours, la poésie constitue un approfondissement de la langue qui révèle alors des étendues insoupçonnées. La langue est à la fois un véhicule pour naviguer sur l’océan de la conscience et un outil magique pour traverser les apparences et libérer toujours plus d’Être.
Si les mots révèlent ici l’extrême fragilité de ce qui se présente, la multiplication des impossibilités, l’écho d’un « ce qui demeure » s’impose avec une élégance rassurante. Peut-être juste la beauté, mais n’est-ce pas déjà l’infini ?
En cinq parties, Terre d’octobre, Balise de brume, La presqu’île, Les Yeux fermés, Communion solennelle, Alain Brissiaud invite et incite à l’intime, non l’intime personnel, mais l’intime indicible qui ne peut qu’être suggéré, pressenti.
Au bord de l’abîme, la langue se montre la seule solution ailée pour ne pas sombrer. »
Rémy BOYER (in incoherisme.wordpress.com, août 2017).
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"C'est le second recueil d'Alain Brissiaud chez le même éditeur, aprèsAu pas du gouffre, en 2016. Cinq parties jalonnent ce nouvel opus, où l'on passe petit à petit de la réalité extérieure à l'intériorité profonde: successivement: "Terre d'octobre, journal", "Balises de brume", "La presqu'île", "Les yeux fermés", "Communion solennelle".
Dès les premières pages, il est question de paroes - d'alluvions et de promesses - dissoutes, mais c'est le mois, la saison ou le lieu qui garde le coeur du poème : Se noie dans le martèlement - de la rosée. Mais rapidement la houle osseuse laisse la place à celles à qui s'adresse le poème, la mère, la fille, la femme. Et les sentiments, et les émotions se mêlent pour évoquer l'amour aussi bien que la mort: je mettrai sur mon corps une bâche - un poème impraticable. Et un certain lyrisme teinte toutes ces pages où Alain Brissiaud tente de démêler les noeuds psychologiques dans leurs contradictions: Tu me tends d'impeccables nausées, ou plus simplement dans l'analyse lucide du déroulement mental: de vains soulèvements - cisaillent notre pensée.
Une emprise de la foi se fait sentir comme en atteste la partie finale, même si la révolte lui fait écrire: ô mon âme - devenue sciure... On a parfois l'impression d'être un peu à côté du dialogue instauré dans le poème, mais la conviction de l'auteur rétablit l'écoute."
Jacques MORIN (in revue Décharge n°176, décembre 2017).
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Lectures critiques :
Il est parfois impossible de commenter un texte par crainte de le profaner. C’est le cas pour ce long et superbe poème, enlacement de deux êtres et de deux textes au-delà de la mort et au plus profond de la psyché.
Le titre de l’ouvrage essentiel de Leonardo Coimbra, La joie, la douleur et la grâce, titre qui fait procès, évoque parfaitement ce que nous rencontrons dans le chant et le cri d’Anne Peslier.
Un extrait est préférable à tout autre commentaire :
« Cette nuit-là je querelle mon corps
effacé devenu blanc et ton désir en plain visage
étonne ma peine d’être belle
comment pourrais-je te dire
que le désir abruti d’absence
fige le corps dans du marbre
C’est bien ton visage là et ton nom
tu me suis jusqu’à mes instants
je suis installée sur une pierre
telle une sentinelle ne voyant aucun ciel
l’intérieur sous la peau suffit à me diriger
mais l’heure est une épée et
notre chair saigne dans l’écorce de Mars
et ta forêt n’y peut rien tant d’heures
à dérouler ta face dans l’abrutissement de
la nuit
pour tenter d’effacer épuise nos sortilèges
comme un glacier dérive sans jamais
trépasser
Quand j’ai repris le fil de ma naissance j’ai rêvé
que tu m’avais diablement envoûtée
et que mon portrait avait échoué dans la vie pour cette seule raison
deviner ton corps alors
Je me brise parfois pour voir ton
visage jaillir d’une flaque au ciel
partout je suis née et morte sur les
murs où je passe en fille rageuse
nettoyée par plusieurs orages
inerte comme si la vie avait écrasé
ma peau, mais dans quelle mer
plonger pour être sûre de gagner
le naufrage
C’est bien après six mois d’agonie
que tu pleures ta dernière heure
il reste une année avant que l’eau se mêle à ton sang
comme la mer-océan se mêle
ton cœur parlait deux fois
et je n’écoutais que l’âme
pensant qu’un être-mort se noue facilement
à son amante et que cette prison ne s’achève jamais
car chaque parcelle est reconstituée à chaque
endroit du corps qui reste
Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, mai 2021).
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Lectures critiques :
Il est parfois impossible de commenter un texte par crainte de le profaner. C’est le cas pour ce long et superbe poème, enlacement de deux êtres et de deux textes au-delà de la mort et au plus profond de la psyché.
Le titre de l’ouvrage essentiel de Leonardo Coimbra, La joie, la douleur et la grâce, titre qui fait procès, évoque parfaitement ce que nous rencontrons dans le chant et le cri d’Anne Peslier.
Un extrait est préférable à tout autre commentaire :
« Cette nuit-là je querelle mon corps
effacé devenu blanc et ton désir en plain visage
étonne ma peine d’être belle
comment pourrais-je te dire
que le désir abruti d’absence
fige le corps dans du marbre
C’est bien ton visage là et ton nom
tu me suis jusqu’à mes instants
je suis installée sur une pierre
telle une sentinelle ne voyant aucun ciel
l’intérieur sous la peau suffit à me diriger
mais l’heure est une épée et
notre chair saigne dans l’écorce de Mars
et ta forêt n’y peut rien tant d’heures
à dérouler ta face dans l’abrutissement de
la nuit
pour tenter d’effacer épuise nos sortilèges
comme un glacier dérive sans jamais
trépasser
Quand j’ai repris le fil de ma naissance j’ai rêvé
que tu m’avais diablement envoûtée
et que mon portrait avait échoué dans la vie pour cette seule raison
deviner ton corps alors
Je me brise parfois pour voir ton
visage jaillir d’une flaque au ciel
partout je suis née et morte sur les
murs où je passe en fille rageuse
nettoyée par plusieurs orages
inerte comme si la vie avait écrasé
ma peau, mais dans quelle mer
plonger pour être sûre de gagner
le naufrage
C’est bien après six mois d’agonie
que tu pleures ta dernière heure
il reste une année avant que l’eau se mêle à ton sang
comme la mer-océan se mêle
ton cœur parlait deux fois
et je n’écoutais que l’âme
pensant qu’un être-mort se noue facilement
à son amante et que cette prison ne s’achève jamais
car chaque parcelle est reconstituée à chaque
endroit du corps qui reste
Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, mai 2021).
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Lectures critiques :
Il est parfois impossible de commenter un texte par crainte de le profaner. C’est le cas pour ce long et superbe poème, enlacement de deux êtres et de deux textes au-delà de la mort et au plus profond de la psyché.
Le titre de l’ouvrage essentiel de Leonardo Coimbra, La joie, la douleur et la grâce, titre qui fait procès, évoque parfaitement ce que nous rencontrons dans le chant et le cri d’Anne Peslier.
Un extrait est préférable à tout autre commentaire :
« Cette nuit-là je querelle mon corps
effacé devenu blanc et ton désir en plain visage
étonne ma peine d’être belle
comment pourrais-je te dire
que le désir abruti d’absence
fige le corps dans du marbre
C’est bien ton visage là et ton nom
tu me suis jusqu’à mes instants
je suis installée sur une pierre
telle une sentinelle ne voyant aucun ciel
l’intérieur sous la peau suffit à me diriger
mais l’heure est une épée et
notre chair saigne dans l’écorce de Mars
et ta forêt n’y peut rien tant d’heures
à dérouler ta face dans l’abrutissement de
la nuit
pour tenter d’effacer épuise nos sortilèges
comme un glacier dérive sans jamais
trépasser
Quand j’ai repris le fil de ma naissance j’ai rêvé
que tu m’avais diablement envoûtée
et que mon portrait avait échoué dans la vie pour cette seule raison
deviner ton corps alors
Je me brise parfois pour voir ton
visage jaillir d’une flaque au ciel
partout je suis née et morte sur les
murs où je passe en fille rageuse
nettoyée par plusieurs orages
inerte comme si la vie avait écrasé
ma peau, mais dans quelle mer
plonger pour être sûre de gagner
le naufrage
C’est bien après six mois d’agonie
que tu pleures ta dernière heure
il reste une année avant que l’eau se mêle à ton sang
comme la mer-océan se mêle
ton cœur parlait deux fois
et je n’écoutais que l’âme
pensant qu’un être-mort se noue facilement
à son amante et que cette prison ne s’achève jamais
car chaque parcelle est reconstituée à chaque
endroit du corps qui reste
Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, mai 2021).
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Lectures critiques :
Il est parfois impossible de commenter un texte par crainte de le profaner. C’est le cas pour ce long et superbe poème, enlacement de deux êtres et de deux textes au-delà de la mort et au plus profond de la psyché.
Le titre de l’ouvrage essentiel de Leonardo Coimbra, La joie, la douleur et la grâce, titre qui fait procès, évoque parfaitement ce que nous rencontrons dans le chant et le cri d’Anne Peslier.
Un extrait est préférable à tout autre commentaire :
« Cette nuit-là je querelle mon corps
effacé devenu blanc et ton désir en plain visage
étonne ma peine d’être belle
comment pourrais-je te dire
que le désir abruti d’absence
fige le corps dans du marbre
C’est bien ton visage là et ton nom
tu me suis jusqu’à mes instants
je suis installée sur une pierre
telle une sentinelle ne voyant aucun ciel
l’intérieur sous la peau suffit à me diriger
mais l’heure est une épée et
notre chair saigne dans l’écorce de Mars
et ta forêt n’y peut rien tant d’heures
à dérouler ta face dans l’abrutissement de
la nuit
pour tenter d’effacer épuise nos sortilèges
comme un glacier dérive sans jamais
trépasser
Quand j’ai repris le fil de ma naissance j’ai rêvé
que tu m’avais diablement envoûtée
et que mon portrait avait échoué dans la vie pour cette seule raison
deviner ton corps alors
Je me brise parfois pour voir ton
visage jaillir d’une flaque au ciel
partout je suis née et morte sur les
murs où je passe en fille rageuse
nettoyée par plusieurs orages
inerte comme si la vie avait écrasé
ma peau, mais dans quelle mer
plonger pour être sûre de gagner
le naufrage
C’est bien après six mois d’agonie
que tu pleures ta dernière heure
il reste une année avant que l’eau se mêle à ton sang
comme la mer-océan se mêle
ton cœur parlait deux fois
et je n’écoutais que l’âme
pensant qu’un être-mort se noue facilement
à son amante et que cette prison ne s’achève jamais
car chaque parcelle est reconstituée à chaque
endroit du corps qui reste
Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, mai 2021).
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Critiques
"Si les articles sur Lucie Delarue-Mardrus commencent à se multiplier et permettent de redécouvrir son œuvre, les biographies concernant ce personnage littéraire sont suffisamment rares pour que l'on salue la parution de cet essai de Christophe Dauphin. Ce critique et essayiste s'est appliqué à retracer l'existence de cette femme de lettres en choisissant de l'aborder sous l'angle de la féminité. Les thèmes abordés dans son œuvre sont replacés dans le contexte esthétique de l'époque et mis en relations avec les écrits de ses contemporaines, révélant ainsi que l'esprit novateur qui anime ses premiers écrits.
Un des intérêts majeurs de cette biographie est le portrait assez étoffé que Christophe Dauphin brosse du Dr J.-C. Mardrus qui, jusque-là, n'était qu'à peine esquissé. On comprend mieux dés lors avec quel homme charismatique Lucie Delarue-Mardrus vécut jusqu'à la veille de la Première guerre Mondiale. On y trouvera également une réflexion sur sa démarche spirituelle et sur son homosexualité.
Nous saluons donc ici une belle tentative de concilier les différentes facettes de cette personnalité dont tous les critiques saluèrent l'énergie, la créativité."
Nelly Sanchez (in Cahiers Lucie Delarue-Mardrus, septembre 2015).
*
"Qui est Lucie Delarue-Mardrus ? Le mérite de Christophe Dauphin, outre répondre à cette question, est de nous rendre cette femme d’exception familière et attachante. Ce livre succède au récit de souvenirs de Myriam Harry paru en 1946, et à celui d’Hélène Prat paru chez Grasset en 1994. Il n’est pas possible de résumer cette biographie tant la vie de Lucie fut mouvementée, intense et littérairement extraordinaire. Elle a écrit plus de quatre-vingt romans (de 1901 à 1946), treize recueils de poésie, des pièces de théâtre, elle fut traductrice, critique littéraire et musicale ; conférencière, peintre, auteur de contes, de récits de voyages et de chansons. Colette dira d’elle : elle avait le bonheur d’aller à tous les travaux avec une fougue conquérante. C’est cette même fougue qui anime l’écriture de Dauphin et propulse le lecteur dans les méandres les plus subtiles de la force vitale et créatrice de cette femme hors du commun. L’accent est mis sur sa qualité de poète c’est assurément par le biais de la poésie que l’auteur des Sept douleurs d’Octobre, appréhende le monde avec le plus de force écrit Dauphin. Elle-même affirme : Je l’ai déjà dit, le vers fait partie de ma respiration// Je ne suis et ne fus qu’un poète. Née en Normandie, et ayant habité de nombreuses années à Honfleur dans Le Pavillon de la Reine, ce vers peut emblématiser le fait qu’elle ait été souvent considérée comme une auteure régionaliste : L’odeur de mon pays était dans une pomme. Or sa poésie ne saurait être réduite. Lucie Delarue-Mardrus, dans la lignée d’Anna de Noailles, Renée Vivien, Marie de Hérédia, est une femme de Lettres. De même que sa poésie illustre sa maîtrise de toutes les formes, du rondeau à l’élégie, Lucie multiplie les expériences tant amoureuses que créatrices (sans oublier ses crises mystiques) dans le Paris-Lesbos de la Belle Epoque : Tes yeux ne brûlent plus mon âme de garçon// et mes yeux noirs qui ont des regards de garçon//. Elle fut même comparée à Katherine Mansfield : comme Lucie, Katherine Mansfield a connu cette glorieuse chance d’avoir à dire avant de savoir dire.
La composition du livre de Dauphin : une riche et longue présentation de Lucie Delarue-Mardrus, une biographie passionnante et de larges extraits de son œuvre poétique, fait de la princesse amande une figure proche et émouvante. Son mariage avec Joseph Charles Mardrus son Homme de Feu orientaliste et traducteur des Mille et une nuits (liaison qui durera jusqu’en 1913) l’entraînera pendant plus de deux ans sur un sable d’ailleurs où ses découvertes renforceront sa soif d’engagement et son indépendance, comme l’illustre son rejet farouche de toute maternité : dans mes flancs malgré moi, l’horreur d’une âme humaine. Lucide à la fin de sa vie quant à sa solitude et à sa pauvreté : la triste fée aux doigts perclus/ Que je deviens dans ma ruine// Quoi ! Cette fente dérisoire/ Entre ces deux maisons/ Serait-ce la fin d’une histoire/ Riche de tous les horizons ?//, cela ne l’empêchait cependant pas d’accomplir de façon pérenne ce rêve si justement révélé par Dauphin tout le long de ce livre : Elle rapportera sur ses frêles épaules/ Le monde et tous les ciels aux pointes des ses mâts. Oui, elle a voulu le destin des figures de proue. Sa vie et sa poésie incarnent ce vœu."
Marie-Christine Masset (in revue Phoenix, 2015).
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Critiques
"Si les articles sur Lucie Delarue-Mardrus commencent à se multiplier et permettent de redécouvrir son œuvre, les biographies concernant ce personnage littéraire sont suffisamment rares pour que l'on salue la parution de cet essai de Christophe Dauphin. Ce critique et essayiste s'est appliqué à retracer l'existence de cette femme de lettres en choisissant de l'aborder sous l'angle de la féminité. Les thèmes abordés dans son œuvre sont replacés dans le contexte esthétique de l'époque et mis en relations avec les écrits de ses contemporaines, révélant ainsi que l'esprit novateur qui anime ses premiers écrits.
Un des intérêts majeurs de cette biographie est le portrait assez étoffé que Christophe Dauphin brosse du Dr J.-C. Mardrus qui, jusque-là, n'était qu'à peine esquissé. On comprend mieux dés lors avec quel homme charismatique Lucie Delarue-Mardrus vécut jusqu'à la veille de la Première guerre Mondiale. On y trouvera également une réflexion sur sa démarche spirituelle et sur son homosexualité.
Nous saluons donc ici une belle tentative de concilier les différentes facettes de cette personnalité dont tous les critiques saluèrent l'énergie, la créativité."
Nelly Sanchez (in Cahiers Lucie Delarue-Mardrus, septembre 2015).
*
"Qui est Lucie Delarue-Mardrus ? Le mérite de Christophe Dauphin, outre répondre à cette question, est de nous rendre cette femme d’exception familière et attachante. Ce livre succède au récit de souvenirs de Myriam Harry paru en 1946, et à celui d’Hélène Prat paru chez Grasset en 1994. Il n’est pas possible de résumer cette biographie tant la vie de Lucie fut mouvementée, intense et littérairement extraordinaire. Elle a écrit plus de quatre-vingt romans (de 1901 à 1946), treize recueils de poésie, des pièces de théâtre, elle fut traductrice, critique littéraire et musicale ; conférencière, peintre, auteur de contes, de récits de voyages et de chansons. Colette dira d’elle : elle avait le bonheur d’aller à tous les travaux avec une fougue conquérante. C’est cette même fougue qui anime l’écriture de Dauphin et propulse le lecteur dans les méandres les plus subtiles de la force vitale et créatrice de cette femme hors du commun. L’accent est mis sur sa qualité de poète c’est assurément par le biais de la poésie que l’auteur des Sept douleurs d’Octobre, appréhende le monde avec le plus de force écrit Dauphin. Elle-même affirme : Je l’ai déjà dit, le vers fait partie de ma respiration// Je ne suis et ne fus qu’un poète. Née en Normandie, et ayant habité de nombreuses années à Honfleur dans Le Pavillon de la Reine, ce vers peut emblématiser le fait qu’elle ait été souvent considérée comme une auteure régionaliste : L’odeur de mon pays était dans une pomme. Or sa poésie ne saurait être réduite. Lucie Delarue-Mardrus, dans la lignée d’Anna de Noailles, Renée Vivien, Marie de Hérédia, est une femme de Lettres. De même que sa poésie illustre sa maîtrise de toutes les formes, du rondeau à l’élégie, Lucie multiplie les expériences tant amoureuses que créatrices (sans oublier ses crises mystiques) dans le Paris-Lesbos de la Belle Epoque : Tes yeux ne brûlent plus mon âme de garçon// et mes yeux noirs qui ont des regards de garçon//. Elle fut même comparée à Katherine Mansfield : comme Lucie, Katherine Mansfield a connu cette glorieuse chance d’avoir à dire avant de savoir dire.
La composition du livre de Dauphin : une riche et longue présentation de Lucie Delarue-Mardrus, une biographie passionnante et de larges extraits de son œuvre poétique, fait de la princesse amande une figure proche et émouvante. Son mariage avec Joseph Charles Mardrus son Homme de Feu orientaliste et traducteur des Mille et une nuits (liaison qui durera jusqu’en 1913) l’entraînera pendant plus de deux ans sur un sable d’ailleurs où ses découvertes renforceront sa soif d’engagement et son indépendance, comme l’illustre son rejet farouche de toute maternité : dans mes flancs malgré moi, l’horreur d’une âme humaine. Lucide à la fin de sa vie quant à sa solitude et à sa pauvreté : la triste fée aux doigts perclus/ Que je deviens dans ma ruine// Quoi ! Cette fente dérisoire/ Entre ces deux maisons/ Serait-ce la fin d’une histoire/ Riche de tous les horizons ?//, cela ne l’empêchait cependant pas d’accomplir de façon pérenne ce rêve si justement révélé par Dauphin tout le long de ce livre : Elle rapportera sur ses frêles épaules/ Le monde et tous les ciels aux pointes des ses mâts. Oui, elle a voulu le destin des figures de proue. Sa vie et sa poésie incarnent ce vœu."
Marie-Christine Masset (in revue Phoenix, 2015).
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Critiques
"Si les articles sur Lucie Delarue-Mardrus commencent à se multiplier et permettent de redécouvrir son œuvre, les biographies concernant ce personnage littéraire sont suffisamment rares pour que l'on salue la parution de cet essai de Christophe Dauphin. Ce critique et essayiste s'est appliqué à retracer l'existence de cette femme de lettres en choisissant de l'aborder sous l'angle de la féminité. Les thèmes abordés dans son œuvre sont replacés dans le contexte esthétique de l'époque et mis en relations avec les écrits de ses contemporaines, révélant ainsi que l'esprit novateur qui anime ses premiers écrits.
Un des intérêts majeurs de cette biographie est le portrait assez étoffé que Christophe Dauphin brosse du Dr J.-C. Mardrus qui, jusque-là, n'était qu'à peine esquissé. On comprend mieux dés lors avec quel homme charismatique Lucie Delarue-Mardrus vécut jusqu'à la veille de la Première guerre Mondiale. On y trouvera également une réflexion sur sa démarche spirituelle et sur son homosexualité.
Nous saluons donc ici une belle tentative de concilier les différentes facettes de cette personnalité dont tous les critiques saluèrent l'énergie, la créativité."
Nelly Sanchez (in Cahiers Lucie Delarue-Mardrus, septembre 2015).
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"Qui est Lucie Delarue-Mardrus ? Le mérite de Christophe Dauphin, outre répondre à cette question, est de nous rendre cette femme d’exception familière et attachante. Ce livre succède au récit de souvenirs de Myriam Harry paru en 1946, et à celui d’Hélène Prat paru chez Grasset en 1994. Il n’est pas possible de résumer cette biographie tant la vie de Lucie fut mouvementée, intense et littérairement extraordinaire. Elle a écrit plus de quatre-vingt romans (de 1901 à 1946), treize recueils de poésie, des pièces de théâtre, elle fut traductrice, critique littéraire et musicale ; conférencière, peintre, auteur de contes, de récits de voyages et de chansons. Colette dira d’elle : elle avait le bonheur d’aller à tous les travaux avec une fougue conquérante. C’est cette même fougue qui anime l’écriture de Dauphin et propulse le lecteur dans les méandres les plus subtiles de la force vitale et créatrice de cette femme hors du commun. L’accent est mis sur sa qualité de poète c’est assurément par le biais de la poésie que l’auteur des Sept douleurs d’Octobre, appréhende le monde avec le plus de force écrit Dauphin. Elle-même affirme : Je l’ai déjà dit, le vers fait partie de ma respiration// Je ne suis et ne fus qu’un poète. Née en Normandie, et ayant habité de nombreuses années à Honfleur dans Le Pavillon de la Reine, ce vers peut emblématiser le fait qu’elle ait été souvent considérée comme une auteure régionaliste : L’odeur de mon pays était dans une pomme. Or sa poésie ne saurait être réduite. Lucie Delarue-Mardrus, dans la lignée d’Anna de Noailles, Renée Vivien, Marie de Hérédia, est une femme de Lettres. De même que sa poésie illustre sa maîtrise de toutes les formes, du rondeau à l’élégie, Lucie multiplie les expériences tant amoureuses que créatrices (sans oublier ses crises mystiques) dans le Paris-Lesbos de la Belle Epoque : Tes yeux ne brûlent plus mon âme de garçon// et mes yeux noirs qui ont des regards de garçon//. Elle fut même comparée à Katherine Mansfield : comme Lucie, Katherine Mansfield a connu cette glorieuse chance d’avoir à dire avant de savoir dire.
La composition du livre de Dauphin : une riche et longue présentation de Lucie Delarue-Mardrus, une biographie passionnante et de larges extraits de son œuvre poétique, fait de la princesse amande une figure proche et émouvante. Son mariage avec Joseph Charles Mardrus son Homme de Feu orientaliste et traducteur des Mille et une nuits (liaison qui durera jusqu’en 1913) l’entraînera pendant plus de deux ans sur un sable d’ailleurs où ses découvertes renforceront sa soif d’engagement et son indépendance, comme l’illustre son rejet farouche de toute maternité : dans mes flancs malgré moi, l’horreur d’une âme humaine. Lucide à la fin de sa vie quant à sa solitude et à sa pauvreté : la triste fée aux doigts perclus/ Que je deviens dans ma ruine// Quoi ! Cette fente dérisoire/ Entre ces deux maisons/ Serait-ce la fin d’une histoire/ Riche de tous les horizons ?//, cela ne l’empêchait cependant pas d’accomplir de façon pérenne ce rêve si justement révélé par Dauphin tout le long de ce livre : Elle rapportera sur ses frêles épaules/ Le monde et tous les ciels aux pointes des ses mâts. Oui, elle a voulu le destin des figures de proue. Sa vie et sa poésie incarnent ce vœu."
Marie-Christine Masset (in revue Phoenix, 2015).
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Critiques
"Si les articles sur Lucie Delarue-Mardrus commencent à se multiplier et permettent de redécouvrir son œuvre, les biographies concernant ce personnage littéraire sont suffisamment rares pour que l'on salue la parution de cet essai de Christophe Dauphin. Ce critique et essayiste s'est appliqué à retracer l'existence de cette femme de lettres en choisissant de l'aborder sous l'angle de la féminité. Les thèmes abordés dans son œuvre sont replacés dans le contexte esthétique de l'époque et mis en relations avec les écrits de ses contemporaines, révélant ainsi que l'esprit novateur qui anime ses premiers écrits.
Un des intérêts majeurs de cette biographie est le portrait assez étoffé que Christophe Dauphin brosse du Dr J.-C. Mardrus qui, jusque-là, n'était qu'à peine esquissé. On comprend mieux dés lors avec quel homme charismatique Lucie Delarue-Mardrus vécut jusqu'à la veille de la Première guerre Mondiale. On y trouvera également une réflexion sur sa démarche spirituelle et sur son homosexualité.
Nous saluons donc ici une belle tentative de concilier les différentes facettes de cette personnalité dont tous les critiques saluèrent l'énergie, la créativité."
Nelly Sanchez (in Cahiers Lucie Delarue-Mardrus, septembre 2015).
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"Qui est Lucie Delarue-Mardrus ? Le mérite de Christophe Dauphin, outre répondre à cette question, est de nous rendre cette femme d’exception familière et attachante. Ce livre succède au récit de souvenirs de Myriam Harry paru en 1946, et à celui d’Hélène Prat paru chez Grasset en 1994. Il n’est pas possible de résumer cette biographie tant la vie de Lucie fut mouvementée, intense et littérairement extraordinaire. Elle a écrit plus de quatre-vingt romans (de 1901 à 1946), treize recueils de poésie, des pièces de théâtre, elle fut traductrice, critique littéraire et musicale ; conférencière, peintre, auteur de contes, de récits de voyages et de chansons. Colette dira d’elle : elle avait le bonheur d’aller à tous les travaux avec une fougue conquérante. C’est cette même fougue qui anime l’écriture de Dauphin et propulse le lecteur dans les méandres les plus subtiles de la force vitale et créatrice de cette femme hors du commun. L’accent est mis sur sa qualité de poète c’est assurément par le biais de la poésie que l’auteur des Sept douleurs d’Octobre, appréhende le monde avec le plus de force écrit Dauphin. Elle-même affirme : Je l’ai déjà dit, le vers fait partie de ma respiration// Je ne suis et ne fus qu’un poète. Née en Normandie, et ayant habité de nombreuses années à Honfleur dans Le Pavillon de la Reine, ce vers peut emblématiser le fait qu’elle ait été souvent considérée comme une auteure régionaliste : L’odeur de mon pays était dans une pomme. Or sa poésie ne saurait être réduite. Lucie Delarue-Mardrus, dans la lignée d’Anna de Noailles, Renée Vivien, Marie de Hérédia, est une femme de Lettres. De même que sa poésie illustre sa maîtrise de toutes les formes, du rondeau à l’élégie, Lucie multiplie les expériences tant amoureuses que créatrices (sans oublier ses crises mystiques) dans le Paris-Lesbos de la Belle Epoque : Tes yeux ne brûlent plus mon âme de garçon// et mes yeux noirs qui ont des regards de garçon//. Elle fut même comparée à Katherine Mansfield : comme Lucie, Katherine Mansfield a connu cette glorieuse chance d’avoir à dire avant de savoir dire.
La composition du livre de Dauphin : une riche et longue présentation de Lucie Delarue-Mardrus, une biographie passionnante et de larges extraits de son œuvre poétique, fait de la princesse amande une figure proche et émouvante. Son mariage avec Joseph Charles Mardrus son Homme de Feu orientaliste et traducteur des Mille et une nuits (liaison qui durera jusqu’en 1913) l’entraînera pendant plus de deux ans sur un sable d’ailleurs où ses découvertes renforceront sa soif d’engagement et son indépendance, comme l’illustre son rejet farouche de toute maternité : dans mes flancs malgré moi, l’horreur d’une âme humaine. Lucide à la fin de sa vie quant à sa solitude et à sa pauvreté : la triste fée aux doigts perclus/ Que je deviens dans ma ruine// Quoi ! Cette fente dérisoire/ Entre ces deux maisons/ Serait-ce la fin d’une histoire/ Riche de tous les horizons ?//, cela ne l’empêchait cependant pas d’accomplir de façon pérenne ce rêve si justement révélé par Dauphin tout le long de ce livre : Elle rapportera sur ses frêles épaules/ Le monde et tous les ciels aux pointes des ses mâts. Oui, elle a voulu le destin des figures de proue. Sa vie et sa poésie incarnent ce vœu."
Marie-Christine Masset (in revue Phoenix, 2015).
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