Les Hommes sans Épaules

Dossier : Richard ROGNET & les poètes de l'Est
Numéro 55
346 pages
30/03/2023
17.00 €
Sommaire du numéro
Editorial : "Journal de Bergheim, de Wissembourg au Sundgau, en passant par le Val d'Ajol", par Christophe DAUPHIN
Les Porteurs de Feu : Jean Hans ARP, par Christophe DAUPHIN, Yvan GOLL, par Christophe DAUPHIN, Poèmes de Jean Hans ARP, Yvan GOLL
Ainsi furent les Wah 1, Poètes de l'Est : Poèmes de Charles Guérin, René SCHICKELE, Claire GOLL, Nathan KATZ, Henri THOMAS, Jean-Paul de DADELSEN, Claude VIGEE, Daniel ABEL, Jean-Claude WALTER, Jacques SIMONOMIS
Focus 1, "Les poèmes de verre d'Emile Gallé & l'Ecole de Nancy", par Christophe DAUPHIN, avec des textes de Emile GALLE
Focus 2, "Sur les Malgré-Nous, avec un envoi d'Albert Schweitzer", par Christophe DAUPHIN, avec des textes de Albert SCHWEITZER
Dossier : Richard Rognet, le chant sur l'abîme par Paul FARELLIER, Poèmes de Richard ROGNET
Ainsi furent les Wah 1, Poètes de l'Est & d'ailleurs : Poèmes de Joseph Paul SCHNEIDER, Roland REUTENAUER, Jean-Paul KLEE, Germain ROESZ, Gérard PFISTER, Serge BASSO DE MARCH, Ilhan SAMI ÇOMAK, Gwen GARNIER-DUGUY
Une Voix, une œuvre : "Maxime Alexandre, ni ici, ni d'ailleurs", par Karel HADEK, Poèmes de Maxime ALEXANDRE
Focus 3, "Le ravin de la mort du Struthof", par Christophe DAUPHIN, Natzweiler-Struthof
Satan, la poésie : "Ernest de Gengenbach ou Satan dans les Vosges", par César BIRÈNE, Poèmes de Ernest de GENGENBACH
Les pages des Hommes sans Epaules : Poèmes de Jean BRETON, Alain BRETON, Christophe DAUPHIN, Paul FARELLIER, René CHAR
Infos / Echos des HSE : Textes et poèmes de Odile COHEN-ABBAS, Christophe DAUPHIN, Luis MIZON, Patrick LEPETIT, André-Louis ALIAMET, Bernard FOURNIER, Marie-Christine BRIERE, Jacques ARAMBURU, Ashraf FAYAD, Paul ELUARD, Alice COLANIS, Jacquette REBOUL
Présentation
JOURNAL DE BERGHEIM (De Wissembourg au Sundgau en passant par le Val d’Ajol)
(éditorial, extraits)
par Christophe DAUPHIN
Ce numéro des Hommes sans Épaules est consacré à l’Est et à ses poètes autour de l’Alsace et de la Lorraine. Il a été élaboré durant l’été 2021 que j’ai passé dans la région y bourlinguant depuis Bergheim où j’étais installé, de Wissembourg au Sundgau de Nathan Katz, en passant par les Vosges de Goll et de Richard Rognet. Ces retrouvailles, depuis mon dernier séjour à Marckolsheim, au bord du Rhin, furent propices sur le plan culturel et bien sûr des yeux, des rencontres, de l’assiette et du verre. Poète de l’Ouest, je me sens à l’aise chez les poètes de l’Est, trop méconnus comme la riche culture et souvent terrible histoire de ces terres. Il n’en fallait pas davantage pour décider d’y remédier.
Il faut en effet remonter loin, à 1972, pour qu’une revue leur consacre un numéro à ces poètes de l’Est, Alsaciens en l’occurrence. Je fais allusion au fameux numéro de la revue Poésie 1 (n°26, 1972), « La Nouvelle poésie alsacienne », de notre Jean Breton. Le dénominateur commun à tous ces poètes ? Ils possèdent une « coloration baroque et rhénane » : Sylvie Reff (Frère de mes os - À chaque aube nous naissons vierges – Les nuits nous teignent – De ce bleu noir étincelant – Quoi noie les fautes – Et les midis tournoyants – Qui font déborder les arbres), France Bonnardel (Les étoiles sans sépulture – S’entrechoquent dans la nuit), Denise Grappe (Sous l’écorce du mot qui n’a pas éclaté, circule la colonne de moelle, nourrie aux racines), Guy Heitz (Écoute le tonnerre de sang dont leurs muscles sont flagellés, nourri d’alcool et d’explosions solaires), Marc Jung (Toi et moi – Nous avons un phœnix à mettre au monde), Roland Reutenauer (Du plomb dans l’estomac, du vent dans les jambes. L’espoir a des yeux d’écureuil), Jean-Claude Walter, Joseph-Paul Schneider ou Conrad Winter (nous ne ferons plus l’éloge du feu – sinon les cendres – par le vide et son mal). Et que nous disent ces poètes, qui ont fondé le Conseil des Écrivains d’Alsace ? Lisons Conrad Winter : Arrache la paupière si l’œil est mort – Frappe si l’on éventre ton émotion ! Et de manière collective : « Conscient de la nécessité d’un changement de la condition et des fonctions de l’écrivain dans la société, décidé à exiger pour l’écrivain un statut social digne de son métier, et résolu à remettre en cause les principes d’une culture traditionnellement coupée du peuple, ce groupe d’écrivains souhaite la création partout en France de Conseils régionaux semblables, sans lesquels rien ne pourra se faire sur le plan national. Dans un premier temps, ce conseil a établi le dialogue entre l’écrivain et le lecteur dans des lycées et des bibliothèques. Et il a commencé à combattre le sabotage culturel sur le plan régional. »
Dans sa préface, Maxime Alexandre, le poète ainé, alors âgé de 73 ans, ne manque pas d’évoquer la question alsacienne, la langue, la guerre, l’annexion, l’Occupation allemande (1871-1918) : « Que puis-je faire pour mes compatriotes et camarades, poètes de la nouvelle génération ? Les inviter à constater le miracle, à ne pas refuser de l’accueillir, dans la souffrance, la faim et la soif, et jusque dans le désespoir, d’accord, je pense, avec moi, si je dis qu’il est dans la nature du miracle d’être imprévisible. Je ne leur souhaite pas un sort comparable au mien. La lutte du poète avec le langage, quelles que soient les circonstances et l’époque, est toujours dure. Mais ils ont sur moi cet avantage : la langue des comptines qu’ils ont chantées et celle des poèmes qu’ils écrivent est la même, alors que mes chansons d’enfant à moi étaient allemandes. Leur infligerai-je le récit de mes malheurs ? Ils ont d’autres chats à fouetter. Qu’il me suffise de les adjurer – sachant de quoi je parle – de rester fidèle à ce qu’ils jugent aujourd’hui digne de leur admiration et de leur amour, sans défaillance, sans compromission et sans laisser-aller ! »
S’il ne figure pas, mais cela aurait pu, dans ce numéro de Poésie 1, le génial dessinateur alsacien, maître es humour noir et insurgé Tomi Ungerer (1931-2019), fils et petit-fils d’horlogers strasbourgeois, aurait pu y témoigner d’une autre occupation allemande (celle de 1940-45), faisant part de toute l’ambiguïté de la question alsacienne, avec une région sans cesse prise en tenaille et/ou tiraillée de tous côtés : « En Alsace, j’ai été élevé entre deux arrogances, allemande et française. Les Français et les Allemands sont pour moi des occupants. Psychologiquement, la France a commis sur mon pays un assassinat culturel difficile à pardonner, car il m’a coûté très cher. À l’école, c’était deux heures de retenue ou une baffe dans la gueule pour un mot d’alsacien… Avec les nazis on n’avait pas le droit de parler le français, et avec les Français on pouvait être puni pour un mot d’allemand ou d’alsacien... Mais ce n’était quand même pas ma faute si j’avais passé quatre ans sous les nazis ! Symboliquement je suis un des rares témoins des bûchers de livres... Au lycée, on avait une grande bibliothèque de l’époque du Kaiser, et là, les Français ont tout brûlé. Ça sentait plus le cuir que le papier... Je suis « content » d’avoir vécu ces épreuves... Pour moi c’est une source d’enrichissement. Ce n’est pas avec le bonheur qu’on apprend quelque chose… J’aboie en allemand, je jappe en français et je grogne en alsacien… Je suis ma propre patrie. Mon drapeau, c’est mon mouchoir. » Thérèse Willer écrit (in Tomi Ungerer l’Alsacien, 2015) : La violence de ces événements a suscité chez Ungerer un profond dégoût pour les conflits armés et les totalitarismes que les thèmes de sa critique politique ont sans cesse réactualisé. Lorsqu’il publie L’Alsace en torts et de travers (l’école des loisirs, 1988) Ungerer déclare : « En Alsace, j’ai trébuché sur mes racines. » Ungerer pointe l’attitude identitaire de l’Alsacien en ces termes : « L’Alsacien vit dans ses racines qui lui donnent un sentiment de sécurité », c’est le dessin de la chanson Wachet auf, wachet auf (Réveillez-vous, réveillez-vous), qui montre, dans une transposition au premier degré, un gnome endormi entouré des racines d’un arbre. L’allusion est particulièrement lourde dans l’illustration de son commentaire sur le caractère des Alsaciens : « Il ne manque pas, à l’occasion, de diligence », qui montre ce même véhicule attelé à deux escargots. Les thèmes satiriques de l’Alsace sont posés. Dix ans plus tard paraît Mon Alsace (La Nuée bleue, 1997).
(..)
De cette Alsace nous retenons, choix forcément restreint et non exhaustif, dans notre numéro douze poètes et non des moindres puisqu’il s’agit de l’immense peintre-poète-sculpteur Jean Hans Arp, l’un de nos deux Porteurs de Feu, puis Maxime Alexandre, poète juif alsacien surréaliste communiste puis chrétien (quel parcours !), Nathan Katz, poète dialectal méconnu, à tort, hors de sa région, le météore Jean-Paul de Dadelsen, Claude Vigée (Porteur de Feu des HSE n°39, 2015), Joseph Paul Schneider, Jean-Claude Walter, Roland Reutenauer, l’enfant terrible Jean-Paul Klée, Jacques Simonomis le poète du Cri d’os, le peintre-poète strasbourgeois Germain Roesz et Gérard Pfister, poète qui a aussi développé un impressionnant catalogue, éditorial, à la magnifique enseigne d’Arfuyen, depuis 1975. La poésie n’embrase pas seulement le papier de ses signes, mais la vie entière, un terroir, une histoire, ses beautés et ses douleurs. Ainsi vies et œuvres des poètes de l’Est nous amènent à évoquer les guerres et les massacres qui ravagent leur enfance, leur vie et leur contrée, en découlent le sort terrible des Juifs d’Alsace, des Malgré-Nous et des déportés du Struthof… Gallé et son École de la beauté et de l’humanisme social ne sont pas en reste, ni Albert Schweitzer l’Alsacien sans frontière, dont le message de respect de la vie n’est pas entendu…
Différente est l’histoire des voisins lorrains et vosgiens, qui échappent à la Reichsland Elsaß Lothringen, Yvan Goll, le poète de Saint-Dié, à part, car, de père Alsacien et de mère Lorraine. Nous revenons sur la vie et l’œuvre d’Yvan Goll, le poète de Jean sans Terre (in rubrique Porteur de Feu) comme il le mérite, tellement grand et oublié, méconnu aujourd’hui à tort. Situé dans le sud de la Lorraine, le département des Vosges tient son nom du célèbre et magnifique massif qui occupe une grande partie de son territoire : 6.000 mille km2. Avec 47 %, le taux de boisement des Vosges se situe à la quatrième place après la Guyane, les Landes et le Var. L’Ouest est vallonné de plateaux et de basse montagne avant d’atteindre le Massif, et l’Est, granitique et gréseux (qui est constitué de grès), plus élevé et couvert de son manteau de forêts de résineux.
Ici, le paysage est roi. Ainsi dans les tableaux du plus grand peintre vosgien : Claude Gellée dit le Lorrain (Chamagne 1600-Rome, 1682), comme dans les vers des poètes. Certes, les poètes lorrains et vosgiens sont ici en petit nombre par rapport aux alsaciens. Outre Yvan Goll, on lira le symboliste Charles Guérin, notamment autour de sa passion pour l’Alsacienne Jeanne Bucher, appelée à devenir l’une des grandes figures de l’art moderne. Daniel Abel, le poète de Châtel-sur-Moselle, très marqué par le surréalisme et Serge Basso de March, de Longwy. Puis, nous nous rendrons dans la ville thermale de Plombières-les-Bains, sur les rives du lac de Gérardmer et à Paris, pour y suivre l’itinéraire de l’abbé Ernest de Gengenbach, le temps d’une rencontre avec Satan. On lira ensuite les trois plus hauts sommets du massif : Yvan Goll, bien sûr, mais aussi Henri Thomas, le poète d’Anglemont. Né dans une famille paysanne, boursier d’État, Thomas fut un proche d’Artaud et de Gide, l’auteur d’une œuvre importante de qualité constante : trente-et-un livres de fiction (roman, récits et nouvelles), dix livres de poèmes et huit livres de journaux et carnets, sans parler de la correspondance. De la poésie, Thomas nous dit : « Bonheur d’être docile à des données profondes et irréfutables, de donner leur équivalent le plus rapproché possible par le moyen des mots, et de tendre ainsi à la réalité par le chemin de la parole. » Comme l’a écrit feu notre ami Jean Rousselot : « La qualité des images, leur pouvoir transcendantal, l’allure feutrée de la démarche syntaxique, l’aisance de l’élaboration dans un creuset où inconscient et conscient brûlent du même feu doux, voilà ce qu’on admire chez Henri Thomas, et la naissance d’un ordre où viennent se réduire, s’intégrer toutes les acquisitions nouvelles de la poésie. » Discret et humble, Henri Thomas. Il n’en est que plus grand encore.
Discret et humble, Richard Rognet le poète du Val d’Ajol (lieu-dit de Hamanxard, en fait) l’est tout autant que son aîné. Il est l’un des grands poètes de notre époque. Son diptyque constitué de Le Transi (1985) et de Je suis cet homme (1988) est un chef d’œuvre. C’est à Richard Rognet, Porteur de Feu des Hommes sans Épaules (n°33, 2012), qu’est consacré, sous la houlette de Paul Farellier, le dossier central de ce numéro des HSE. Humilité donc car, qui suit ce qui « porte en soi la fierté – du silence et la gloire de l’ombre trouve l’existence ».
Mais contrairement à son compatriote vosgien Henri Thomas, qui a beaucoup voyagé, vécu à Londres, à Paris et dans le Massachussetts, Richard, a toujours préféré les plaines, vallées, villages et montagnes des Vosges, la vie simple et vraie, mais néanmoins profonde, universelle, telle que nous la retrouvons dans son œuvre poétique. Le poème se situe ici à la lisière du monde, du temps, du dehors et du dedans, du lointain et du proche, « là où la vie ne – distingue plus ce que tu vois dehors de ce qui – vibre en toi, comme le lieu parfait de ta naissance. » Là, ou le brin d’herbe incarne tout le cosmos, en équilibre sur la foudre, le poème et la tombe : Aujourd’hui, au déclin – de ma vie trop visible, - j’étrangle mon poème : - je veux voir l’intérieur, - les passagers confus – qui me frôlent, se taisent. Le poète ne soulève pas seulement le temps, il le secoue comme une nappe, faisant alors ruisseler, vallées, fleurs, enfance, et émotions toujours (rien n’est gratuit dans sa poésie) entre les herbes drues et les tendres, l’arbre et les pierres entre les doigts du jour.
(..)
Richard ne cesse de rallumer, l’enfance, le rêve, le souvenir, les vertiges et leurs fièvres, qui portent en eux nos origines ; il ne cesse de rallumer tous les soleils, du sommeil, pour parer au désespoir qui se replie en nous. Car les soleils ne sont bien sûr pas tous jaunes-solaires, mais aussi d’un noir profond, lorsque la solitude, le vide et la mort viennent recouvrir le massif avant de s’écraser sur le poète avec force et douleur (je suis le lit désert d’un grand fleuve ignoré), à l’instar de Baudelaire. Et quelle constance (est-ce une qualité vosgienne ?), de L’Épouse émiettée (1977) à, vingt-quatre livres plus tard, La Jambe coupée d'Arthur Rimbaud (2019) ; quelle constance dans la qualité, à remuer les pierres brûlantes sous les mots, à s’accorder aux étoiles, au vécu qui s’ébroue et parle en nous, sans jamais qu’il y ait de redites. Le poète ne tourne pas en rond, il a tout l’espace infini devant lui et le silex de ses mots-émotions. Le poète nous le dit : au bouleau qui se dresse – dans la campagne qui se sauve, - j’assure qu’une voyelle – sur le point de renaître – lui donnera forces et racines, - un soleil à lui tout seul. Enfin, comment terminer sans souligner qu’à la suite de son aîné vosgien Yvan Goll - qui fut lié d’amitié au poète autrichien Rainer Maria Rilke, tout comme Jeanne Bucher -, Richard, lyrique, est aussi et peut-être surtout notre plus grand poète élégiaque ! L’élégie occupe une place particulière dans son œuvre au même titre que chez Rilke et chez Goll. Des Élégies internationales (1915), l’utopie poétique de l’humanité réconciliée de Goll aux Élégies pour le temps de vivre (2012) de Rognet, en passant par les Élégies de Duino (1923) de Rilke, il y a l’utopie poétique de l’humanité réconciliée, la rage de vivre comme doit vivre la vie, « au fin fond de notre présence » et « l’inexprimable dit, élevé à la présence » d’après Lou Andreas-Salomé.
Christophe DAUPHIN
(Revue Les Hommes sans Epaules n°55, 2023).
Revue de presse
Lectures :LA REVUE DU MOIS DE MAI 2023, C’EST : Les Hommes sans Épaules n° 55
On a une somme ! Près de 350 pages, consacrée aux poètes de l’Est (de la France), entre Alsace et Lorraine. Tous les auteurs importants alsaciens et lorrains sont recensés dans ce volume. Tous avec une notice biographique et bibliographique large et soignée.
Chaque fois, on rentre dans un destin, une histoire, pour ne pas dire hors norme, on va dire étonnante. Ces vies de poètes si différents défilent et on y trouve chaque fois un intérêt renouvelé. Parfois aussi on est un peu déçu par les textes joints et proposés, peut-être insuffisamment nombreux ou reflétant des époques même récentes un peu dépassées ou des styles relativement datés. Mais j’ai tout lu d’un bout à l’autre en me régalant. Il faut bien avouer qu’il y a là un particularisme spécifique entre une histoire avec un basculement de nationalités entre 1871 et 1919, puis entre 1940 et 1945 d’un côté et de l’autre consécutivement une langue tiraillée entre français et allemand.
Pour prendre les grands aînés : Jean Hans Arp parle trois langues dans son enfance, avec l’alsacien. Il est aussi bien poète que sculpteur et fera partie du groupe fondateur du mouvement Dada. Les oignons se lèvent de leurs chaises / et dansent aussi rouge que si l’on gantait le jus des nains… Second « porteur de feu » : Yvan Goll, seul représentant de l’expressionnisme en France. Il s’opposera à Breton qui défend écriture automatique et récits de rêves contre une pensée où la raison intervient davantage. Il a inventé le Réisme. À noter, comme le souligne Christophe Dauphin, que son œuvre en France n’est plus du tout éditée. De lunes à lunes / se tendent les courroies de transmission / Soleil sur monocycle / au vélodrome astronomique / poursuis ton handicap…
Suivent ensuite Charles Guérin, poète symboliste, franc-tireur, avec un focus sur le maître verrier Emile Gallé. René Schickele, « général des pacifistes », Claire Goll, à la vie exaltante, Nathan Katz et un second focus sur les « Malgré nous ». Puis Henri Thomas qui pense que « le roman est lié à la vie alors que la poésie est liée au langage. Déclenchement d’une action contre déclenchement d’une harmonie ». La Bastille a des aubes froides / La neige y fait des taches noires.
Le grand Jean-Paul de Dadelsen dont le maître livre est « Jonas ». Claude Vigée disparu en 2020 à l’âge de 99 ans. Il ne nous reste pas un endroit pour tomber. Daniel Abel, son amitié avec André Breton, son lyrisme teinté de merveilleux. Jean-Claude Walter publié par Rougerie. Jacques Simonomis, revuiste de « Soleil des Loups » avec Jean Chatard et du « Cri d’os » : Des terres attendent / serrées dans tes poches / rapetassées d’étoiles filantes / d’éclisses de soleil / avec sous ton mouchoir / la mer qui vaut le coup…
Le dossier central est consacré à Richard Rognet par Paul Farellier : l’enfant s’est retrouvé / prisonnier de la vie, sentinelle d’un territoire / qui ne s’est pas livré. Autre dossier : Maxime Alexandre par Karel Hadek. Il a connu une vie passionnante, rencontre avec Aragon, rupture avec le surréalisme, communisme, expérience catholique…
Joseph Paul Schneider, Roland Reutenauer et Jean-Paul Klée, qu’on adore : « la matière verbale s’est emparée de ma pauvre personne ». Autant de livres édités que d’inédits. Avec un focus sur le Struthof où son père est mort par Christophe Dauphin et des dessins d’Henri Gayot. Enfin Germain Roesz à la fois peintre, poète et éditeur des « Lieux-Dits ». Gérard Pfister et les éditions Arfuyen…
Enfin Ernest de Gengenbach par César Birène, sous-titre : « Satan dans les Vosges ». Une vie incroyable qui mériterait un film. Il est exclu du groupe surréaliste en 1930, y opposant politique et ésotérisme. Prêtre défroqué, a collectionné les « bienfaitrices »…
À noter encore René Char, Christophe Dauphin et Marc Patin, les critiques…
Un numéro passionnant.
Jacques MORIN (in www.dechargelarevue.com, 1er mai 2023)
*