Jean-Paul de DADELSEN

Jean-Paul de DADELSEN



Le poète-météore du Ried, Jean-Paul de Dadelsen est né à Strasbourg le 20 août 1913, d’un père alsacien de Guebwiller, Éric de Dadelsen, et d’une mère, Fanny Glintz, fille d’un patissier de Colmar. Il passe son enfance, jusqu’à l’âge de treize ans, de 1914 à 1926, dans le village de Muttersholtz, près de Sélestat, où son père est notaire. En 1927, la famille quitte Muttersholtz pour Hirsingue, dans le Haut-Rhin. Il fréquente un lycée de Mulhouse jusqu’en 1929. Il fait sa philosophie au collège J.J. Henner d’Altkirch et rencontre le poète alsacien Nathan Katz et le breton (alsacien d’adoption) Eugène Guillevic, avec lesquels il se lie d’amitié.

Adolescent précoce, sensuel, tumultueux et narcissique, il refuse très tôt la facilité littéraire, l’artifice, le mensonge d’une poésie non fondée sur le vécu et impuissante à changer la vie. En 1930, ses parents l’envoient poursuivre ses études, à Paris. Il est interne au lycée Louis-le-Grand. S’il quitte l’Alsace à l’âge de dix-sept ans, Dadelsen ne cessera de garder pour sa terre natale et le luthéranisme de son enfance, tendresse, importance et influence (il traduit en français quatre poèmes de son ami le poète dialectal Nathan Katz qui, le premier, avec Guillevic, l’initie à la poésie). En khâgne en 1930, il fait la connaissance de Léopold Sedar Senghor et de Georges Pompidou.

Reçu premier à l’agrégation d’allemand en 1936, il est nommé professeur à Marseille, au lycée Saint-Charles. Dadelsen publie, en 1937 dans Les Cahiers du Sud, une étude sur Frédéric Schlegel et une autre sur L'Âme romantique et le rêve d’Albert Béguin. De 1936 à 1939, il traduit plusieurs auteurs de langue allemande, Hans Helfritz, Hermann von Keyserling, Bernard von Brentano. En 1938, il est mobilisé comme interprète. En 1940, il combat dans une unité de chars. Après avoir fait la campagne de Belgique, il est décoré de la croix de guerre. Démobilisé, Dadelsen reprend son métier de professeur, à Lyon, au lycée du Parc, puis, en 1941, au lycée d’Oran, en Algérie, où il se lie d’une solide et indéfectible amitié avec Albert Camus. En décembre 1942, il rejoint Londres et s’engage dans les Forces Françaises Libres. Il est nommé officier interprète dans plusieurs postes d’état-major dont la 1ère Brigade de parachutistes.

En 1943, il est affecté au Commissariat de l’Intérieur, section Information du Gouvernement Provisoire du général de Gaulle, à Londres. La même année, il épouse une Anglaise, Barbara Windebank, avec qui il aura deux filles, Ann et Alice. En 1944, il rentre à Paris où il est nommé directeur-adjoint au ministère de l’information. En 1945, il entre au journal Combat, dirigé par Camus. En 1946, il repart pour Londres, en tant que correspondant spécial de politique étrangère pour Combat. Lorsque Camus quitte le journal, en 1947, Jean-Paul de Dadelsen devient correspondant à Londres du journal Franc-Tireur de 1948 à 1949. De 1946 à 1951, Jean-Paul de Dadelsen tient une chronique régulière pour les programmes français de la BBC, Les propos du vendredi. Il voyage beaucoup : Chili, Afrique du Sud, Berlin, Moscou, New-York, Strasbourg, etc. Il écrit pour le service français et le service allemand de la BBC jusqu’en 1956. Il collabore avec Denis de Rougemont au Centre européen de la culture et devient conseiller auprès de Jean Monnet pour la Communauté européenne du charbon et de l'acier à Luxembourg. Il s’installe en Suisse, d’abord à Genève, en 1951, puis, en 1956, à Zürich où il travaille, comme directeur adjoint, à l’Institut international de la presse. Encore un voyage à New-York, en janvier 1957, lui permet de rencontrer Saint-John Perse. Mais il ressent les premiers symptômes du cancer, une tumeur au cerveau, comme sa mère, deux ans auparavant. À Pâques, il subit une opération au cerveau, qui le défigure. Jean-Paul de Dadelsen meurt à l’âge de 44 ans le 23 juin 1957 à Zürich d’un cancer du poumon métastasé au cerveau.

Quand il meurt, tous les poèmes qu’il a écrits, travaillés et retravaillés, sont inédits (sauf Bach en automne qui a paru dans La Nouvelle Revue Française, en 1955). Et pourtant, dès 1957, Albert Camus, a songé à préparer une édition de ses poèmes ; mais le projet n’a pas vu le jour. Il faut attendre 1962 pour que paraisse, préfacé par le grand poète vosgien Henri Thomas, son maître-livre de poèmes, Jonas, qui le fait lentement mais sûrement reconnaître comme une voix originale de la poésie de la seconde moitié du XXe siècle. Henri Thomas écrit : « Il ne vient à la suite de personne ; il ne cadre avec rien dans nos Lettres ; ni terroristes, ni rhéteurs n’y trouveront leur compte. Nous risquons toujours d’oublier que le génie poétique se moque de nos conformistes errances. S’il nous frappe à l’improviste, ce n’est pas qu’il veuille nous surprendre; à nous de comprendre qu’il EST. » Denis de Rougemont, ajoute : « Rejoignant sa vraie vocation, peut-être, il venait de donner les témoignages d’une soudaine maîtrise poétique, d’un ton nouveau dans les lettres françaises, ample, émouvant et pacifiant, compréhensif de tout l’humain du haut en bas, foncièrement réaliste et religieux. Puis, une fois de plus, il est passé au-delà, emporté par un mal qu’il avait su décrire dans un bref poème prophétique, quelques semaines avant d’en subir la première attaque, suivie d’une opération au cerveau. Fallait-il vraiment, écrivait-il alors, être « nettoyé » par cette maladie mortelle, en vue d’un nouveau travail » ? Jean Paul de Dadelsen était doué, brillant, pétri de culture, d’énergie et d’humour, désinvolte et tellement poète ; un homme d’action. Son œuvre brève (et pour cause !) est la météorite de ses quatre dernières années de vie ; une vie coupée brutalement, par la maladie.

Issu d’une famille luthérienne pratiquante, Dadelsen, sans être bigot, a produit une œuvre fortement inspirée par la Bible. Hubert Juin écrit : « Jean-Paul de Dadelsen parlait de Dieu non pas comme un croyant ou un prosélyte, non plus qu’à la façon d’un théologien. Le Dieu biblique de Jean-Paul de Dadelsen, l’Éternel, comme il dit, était à la fois question et réponse, inconnu et familier, infiniment lointain et infiniment proche. Il en naissait une singulière impression, comme un « état de poésie » qui tiendrait non au langage mais à la grâce. » Tout est donc court, mais terriblement intense chez Dadelsen. Un souffle inclassable et rare. Sa poésie n’échappe pas à la règle, qui, n’est pas à la recherche d’une perfection formelle ou esthétique. Cette poésie est bien plus soucieuse de témoigner de ce qui, de la vie, échappe aux trop vives clartés des modes et des reconnaissances faciles. Jean Orizet écrit encore, à propos de Jonas : Jonas rejeté par la baleine représente notre désarroi et notre combat. Nous voyageons dans le ventre de la baleine en rêvant d’en sortir, ce qui nous oblige à écouter notre voix intérieure profonde. La baleine, c’est la mère, la société, la guerre, l’amour de soi. Jonas s’est vu « aveugle et séparé », mais a pu « par son vide même mesurer l’absence du Seigner ». Dieu est « ce Je universel (qui) nous est plus intérieur que nous ». L’âme doit refuser sa captivité, refaire à tâtons « le chemin vers la lumière natale ». grâce à l’amour humain, « ailleurs est entre nos bras ». la poésie est exercice spirituel, voix libres (comme chez les protestantsà qui s’adresse directement à Dieu ou au monde. Ni prosodie ni versets, le poète a créé sa forme ample, uen sorte de vers blanc imité des Anglao-saxons. Vocabulaire moderne, dimension narrative et baroque, crudité, il nous parle de toute chose avec uen franchise refraîchissante. Objectif atteint : nous restituer un être authentique.

Christophe DAUPHIN

(Revue Les Hommes sans Epaules).

Œuvres : Jonas (Gallimard, 1962), Goethe en Alsace (Le Temps qu’il fait, 1982, 1995), Jonas suivi de Les Ponts de Budapest (Poésie/Gallimard, 2005), La Beauté de vivre, Poèmes et lettres à l’oncle Éric (Arfuyen, 2013). À lire : Évelyne Frank : Jean-Paul de Dadelsen, la sagesse de l’en bas (Arfuyen, 2013).

 



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : Richard ROGNET & les poètes de l'Est n° 55