Paul ELUARD

Paul ELUARD



Eugène Émile Paul Grindel, alias Paul Éluard (il ne prendra le pseudonyme d’Éluard - nom de sa grand mère maternelle - qu’à l’âge de vingt-et-un ans), naît le 14 décembre 1895, à Saint-Denis. Son père, qui est marchand de biens, amasse une petite fortune dans des affaires de lotissement et de revente de terrains. Sa mère, ancienne couturière, est issue d’une famille modeste, et tient un atelier de couture. Jusqu’à l’âge de seize ans, l’enfance d’Éluard se passe sans problème.

Trois faits vont alors bouleverser sa vie. Lors de vacances en Suisse, avec sa mère, il tombe gravement malade. On découvre qu’il souffre d’une hémoptysie (crachement de sang). Paul est hospitalisé au sanatorium de Clavadel. Il y écrit ses premiers poèmes, et y fait la rencontre d’Helena Dmitrievna Diakonova dite Gala, une jeune russe de dix-sept ans. Sa beauté comme sa culture impressionnent d’emblée le poète. Avec Gala, la poésie amoureuse d’Éluard prend son envol : J’aurai des nouvelles de toi - Si je pénètre le soleil.

De retour à Paris, Éluard publie son premier recueil de poèmes (à compte d’auteur), Premiers poèmes (1913), puis l’année suivante Dialogues des inutiles (recueil qu’il détruira par la suite), sous le nom de Paul-Eugène Grindel. La guerre éclate. Le jeune poète est mobilisé peu après sa sortie du sanatorium. Sur le front, il écrit des poèmes qu’il signe pour la première fois du nom d’Éluard. Le recueil Le Devoir, paraît en 1916. La passion brûle entre la jeune Russe et le jeune poète.

De Moscou, Gala traverse l’Europe à feu et à sang pour retrouver Paul (alors en uniforme) à Paris, et l’épouse le 21 février 1917, au grand dam des parents Grindel, très inquiets de l’intrusion dans leur vie de cette Russe, qui restera pour eux une étrangère. Éluard passe davantage de temps à l’hôpital qu’au front. Il écrit des Poèmes pour la paix (Imprimerie du Petit Mantais, 1918), et revient à la vie civile en 1918, avec le dégoût, à jamais, de la guerre, comme de la bêtise des hommes. Il devient le père d’une petite Cécile, née le 11 mai 1918 : J’ai eu longtemps un visage inutile, mais maintenant j’ai un visage pour être aimé. J’ai un visage pour être heureux. Employé par son père, il se révèle être un piètre commerçant.

À l’hôtel des Grands Hommes, à Paris (près du Panthéon), Eluard rencontre trois jeunes poètes (grâce à Jean Paulhan), anciens combattants tout comme lui : André Breton, Louis Aragon et Philippe Soupault (déjà surnommés les Trois mousquetaires.) Il sera le quatrième. Les jeunes poètes viennent de fonder la revue Littérature, et sont sur le point de se rallier à Dada, mouvement rebelle et anti-tout, dont Tristan Tzara est le fondateur.

De Zurich à Barcelone, de Hanovre à Cologne, Dada déferle sur la vieille Europe exsangue, tout en rêvant de lui donner le coup de grâce. La guerre est achevée, mais la jeune génération a payé un lourd tribut lors de ce désastre. Le soulagement fait place à la colère et à la rancœur. Les jeunes artistes sont décidés à aller jusqu’au bout de leur colère. Éluard y participe activement et publie Les Animaux et leurs hommes. Les Hommes et leurs animaux (Au Sans Pareil, 1920), ainsi que le premier numéro de sa petite revue Proverbe.

Cependant, dés 1922, Dada paraît moribond. Le temps est venu d’inventer et de construire un monde neuf dont Dada n’aura été qu’une étape. La méthode, ce sera le Surréalisme. Un Cadavre (octobre 1924), est le premier texte collectif du groupe. Un pamphlet au vitriol qui s’en prend durement à Anatole France (qui vient de mourir), dont on célèbre officiellement la mémoire. Pour les surréalistes, France symbolise l’homme de lettres, officiel et pompeux : « Tes semblables, cadavre, nous ne les aimons pas. » Avec Breton, Aragon, Péret et Unik, Paul Eluard adhère au Parti communiste français et collabore à la revue Clarté.

Les années 1925-29, sont fertiles en chefs-d’œuvre : Capitale de la douleur (Gallimard, 1926), Les dessous d’une vie ou la pyramide humaine (Cahiers du Sud, 1926), Défense de savoir (Éditions surréalistes, 1928), et L’Amour la poésie (Gallimard, 1929) : Ses yeux sont des tours de lumière - Sous le front de sa nudité. À cette époque, le poète soutient la révolte des Marocains contre l’occupation française. Le Parti communiste est alors le seul parti à appuyer cette position (ce qui favorise le rapprochement et l’adhésion des surréalistes.) De liaisons en flirts de passage, Paul et Gala s’éloignent l’un de l’autre: « L’amour n’était plus présent. Et cela avait l’air d’un châtiment. » (Lettre à Gala, juin 1929). Il tente de reconquérir en vain sa femme, car il sait que tout est fini entre eux. L’amour s’échappe : Ta chevelure glisse dans l’abîme qui justifie notre éloignement. Un voyage à Cadaquès en 1929, chez Salvador Dali, confirme tous les soupçons du poète. Gala reste à Cadaquès. Paul rentre seul à Paris : La vie s’est affaissée mes images sont sourdes - Tous les refus du monde ont dit leur dernier mot - Ils ne se rencontrent plus ils s’ignorent - Je suis seul je suis seul tout seul.

Le 21 mai 1930, en compagnie de René Char, Paul aborde une jeune femme devant Les Galeries Lafayette. Il s’agit de Maria Benz dite Nusch. Née en 1906, à Mulhouse, Nusch est figurante au Grand Guignol. Elle devient à son tour la compagne et l’inspiratrice du chant éluardien durant dix-sept années toujours plus claires. À la mort de son père, Paul hérite d’une petite fortune. L’argent permet matériellement de vivre, mais aussi d’aider les amis et d’acheter des œuvres d’art. Aidé, il est vrai, par la naissance, Éluard n’aura jamais d’autre métier que celui de poète.

Les années 1931-35, comptent parmi les plus heureuses de la vie du poète. Divorcé de Gala en 1931, il épouse Nusch le 21 août 1934. Éluard accumule les chefs-d’œuvre : La Vie immédiate (Éditions des Cahiers Libres, 1932), Comme deux gouttes d’eau (José Corti, 1933), La Rose publique (Gallimard, 1934), Nuits partagées (G.L.M, 1935), et Facile (G.L.M, 1935) : Tu es l’eau détournée de ses abîmes - Tu es la terre qui prend racine - Et sur laquelle tout s’établit. Tous les yeux sont tournés vers le combat que se livrent en Espagne, fascistes et républicains. Lorsque Guernica est bombardée le 26 avril 1937, Éluard écrit : Les femmes ont le même trésor - Dans les yeux - Les hommes le défendent comme ils peuvent - Les femmes les enfants ont les mêmes roses rouges - Dans les yeux - Chacun montre son sang.

La rupture avec André Breton intervient à l’occasion de la collaboration d’Éluard à la revue Commune (proche du P.C.F). Mobilisé dans l’intendance au début de la Seconde Guerre mondiale, Éluard s’installe avec Nusch à Paris, au 35 rue de la Chapelle, et ceci peu après le désastreux armistice de 1940. Les temps sont troubles. Durant cette période, il réadhèrera au Parti communiste et se réconciliera avec Aragon.

Au milieu d’une grande confusion idéologique comme en pleine tourmente nazie et en l’absence d’André Breton, de Benjamin Péret, un groupe de jeunes poètes va reprendre le flambeau du surréalisme. Il s’agit de La Main à Plume (par référence à Rimbaud), qui va mener de front publications collectives et individuelles, conçues comme autant d’actes de résistance au fascisme et à l’envahisseur nazi. 

Le groupe de La Main à Plume est lancé et entreprend le regroupement des surréalistes demeurés sur le territoire français. Le premier contact envisagé est celui de Paul Éluard. Le contexte dramatique de la période vient balayer (provisoirement) les querelles du passé. Le lien (qui s’avèrera aussi fructueux que tumultueux) va s’établir. Marc Patin (1919-1944), alors âgé de 22 ans, demeure le plus actif et le plus entreprenant du groupe sur le sujet Éluard. Il ne faut y voir aucun hasard. Marc Patin a de nombreux points communs avec Éluard, qui va devenir son ami. J’efface mon image je souffle ses halos - Toutes les illusions de la mémoire - Tous les rapports ardents du silence et des rêves - Tous les chemins vivants tous les hasards sensibles - Je suis au cœur du temps et je cerne l’espace, écrit Paul Eluard ; La jeunesse me possède l’espace me comprend – Et je fais corps avec l’éternelle saison, lui répond Marc Patin, ce jeune prodige qui devait disparaître tragiquement en Allemagne, en 1944, à l’âge de 24 ans.

La collaboration de Paul Eluard à La Main à Plume, intervient dès la troisième publication collective : « Vous avez ravivé l’espoir incommensurable que j’ai eu si longtemps en une action surréaliste collective. » Paul Éluard donne : « Poésie involontaire et poésie intentionnelle », l’un de ses textes comptant parmi les plus célèbres.  Poésie et vérité 42, le célèbre recueil de Paul Eluard, paraît aux éditions de La Main à Plume. L’achevé d’imprimer indique la date du 3 avril 1942.

En réalité, le recueil est volontairement antidaté de six mois, de manière à contourner l’ordonnance allemande sur la censure, et paraît réellement le 2 octobre 1942. Il s’agit d’une plaquette de 28 pages, au format 104 X 131, tirée à 5.000 exemplaires sur papier ordinaire, et comportant dix-sept poèmes d’amour et de révolte, dont le célèbre poème « Liberté », composé durant l’été 1941 : Sur mes cahiers d’écolier – Sur mon pupitre et les arbres – Sur le sable sur la neige – J’écris ton nom… - Et par le pouvoir d’un mot – Je recommence ma vie – Je suis né pour te connaître – Pour te nommer – Liberté. Le succès de la plaquette dépasse toutes les prévisions de La Main à Plume. 

Dans une France occupée, divisée, muselée et majoritairement inerte, Éluard va multiplier les textes d’éveil et de combat : Le Livre ouvert (Cahiers d’Art, 1940), Blason des fleurs et des fruits (chez l’auteur, 1940), Choix de poèmes (Gallimard, 1941), Le Livre ouvert II (éd. Cahiers d’art, 1942), La Dernière nuit (Cahiers d’art, 1942), Poésie et vérité 1942 (Ed. la Main à plume, 1942), Poésie involontaire et poésie intentionnelle (Seghers, 1942), Les Sept Poèmes d’amour en guerre (éd. des Francs-tireurs partisans du Lot, 1944), Pour vivre ici (Van Krimpen, La Haye, 1944), Le Lit la table (éd. des Trois Collines, Genève, 1944), Les Armes de la douleur (Comité national des écrivains, 1944), Dignes de vivre (Julliard, 1944). Ses poèmes sont publiés au grand jour ou clandestinement (pour les plus engagés), avec des moyens précaires. À la Libération de Paris, un livre le couronne au grand jour : Au Rendez-vous allemand (éd. de Minuit, 1944) : Comprendre gît sous la vermine - Sous le bruit ruminant des mouches - Le ciel la terre se limitent - À la destruction de l’homme - Voir clair ne sonne que ténèbres. Jamais le langage poétique n’avait été transformé si spontanément et si naturellement en arme. La poésie s’est faite tract, libelle, affiche, parachutée du ciel, lancée sur les ondes, colportée de bouche à oreille... C’était L’Honneur des poètes. Un Honneur à propos duquel Benjamin Péret trouvera beaucoup à redire.

À l’armistice, Éluard voit sa gloire croître avec la parution de Poésie ininterrompue (Gallimard, 1946) : Le poids des murs ferme toutes les portes - Le poids des arbres épaissit la forêt - Va sur la pluie vers le ciel vertical - Rouge et semblable au sang qui noircira. Paul jouit d’une notoriété qui le place aux premiers rangs de la vie littéraire française.

Jeudi 28 novembre 1946, Nush tombe subitement, foudroyée par une hémorragie cérébrale. Le poète est anéanti, Le temps déborde. Eluard est au bord du suicide. Le poète va substituer à l’amour d’un seul être, une plus vaste somme de fraternité humaine. Il passera de l’horizon d’un homme à l’horizon de tous. Il publie comme on se débat Le Dur désir de durer (Bordas, 1946), Objet des mots et des images (Opéra, 1947), Elle se fit élever un palais (Maeght, 1947), et le bouleversant recueil Le Temps déborde (Éd. Cahiers d’art, 1947). Suivront Corps mémorable (Seghers, 1947), Poèmes politiques (Gallimard, 1948), et une anthologie de ses poèmes, Le meilleur choix de poèmes est celui que l’on fait pour soi (éd. du Sagittaire, 1947).

Éluard  se rend en Grèce où il « participe » à la bataille de Grèce, en gravissant à dos d’âne les pentes du Mont Grammos, centre de la résistance, et vit avec les partisans. Avec Roger Garaudy, il représente la France au congrès de la paix à Mexico (1949). Il y retrouve son ami Pablo Neruda, et fait la rencontre de Dominique, une pacifiste de trente-cinq ans qui vit depuis quatre mois au Mexique. Très rapidement une idylle se noue. Le couple voyage en Europe, dans les pays de l’Est et visite les amis : Nezval à Prague, Picasso à Vallauris, Tzara à Souillac, le poète Ehrenbourg à Moscou.

À son retour d’U.R.S.S, en mai 1950, le poète déclare : « Je savais bien qu’en U.R.S.S, on mange à sa faim mais je n’avais pas prévu une telle abondance de victuailles dans les magasins ni une telle foule d’acheteurs. » Ces propos sont accablants, quant on sait à quel point la terreur et la famine régnaient alors sur toute l’URSS. Le 13 juin 1950, André Breton publie une Lettre ouverte à Paul Eluard : « Comment en ton for intérieur, peux-tu supporter pareille dégradation de l’homme en la personne de celui qui se montra ton ami ? ... À d’autres ! Ce n’est pas de ce bois-là qu’on fait les traîtres. » Breton fait allusion à Zavis Kalandra, dirigeant trotskiste tchèque qui vient d’être condamné à mort pour trahison par les staliniens tchèques au pouvoir. La réponse d’Éluard est déconcertante : « J’ai trop à faire avec les innocents qui clament leur innocence pour m’occuper des coupables qui clament leur culpabilité. » Innocent, Kalandra sera fusillé comme bien d’autres opposants au totalitarisme stalinien.

Éluard épouse Dominique le 15 juin 1951 et publie Le Phénix (G.L.M, 1951). Il s’agit du recueil de la résurrection et du retour à la vie.

Une crise cardiaque le terrasse le 18 novembre 1952. Des milliers de personnes l’accompagnent au cimetière du Père-Lachaise.

Christophe DAUPHIN

(Revue Les Hommes sans Épaules).

NON À LA DEMOLITION DE LA MAISON DE PAUL ELUARD !

Personne ne connaît l’origine dramatique des dents. Un jour, l’équateur a dissipé la peur des chaleurs.

Paul Eluard (in Les malheurs des immortels, 1922).

Peut-on imaginer et comprendre la volonté délibérée d’une municipalité qui n’entretient pas et laisse se dégrader son patrimoine culturel pour ensuite voter sa démolition lors d’un conseil ? Cette municipalité à peine croyable existe, à Saint-Brice-sous-Forêt (Val d’Oise). Le patrimoine en question, propriété de la Ville depuis 1990, est situé en plein centre, 3 Bis, Rue Chaussée : la maison de Paul Eluard, un lieu de mémoire et de poésie.

Un tel patrimoine, on l’entretient, on le restaure, on lui obtient le label Maisons des Illustres et une destination culturelle. Mais, pas à Saint-Brice-sous-Forêt où Alain Lorand (maire de 2001 à 2020), rappelons-le, fit voter, lors du conseil municipal du 24 juin 2014, la démolition de la maison Eluard au profit d’un parking de 120 places (qui « servirait mieux les intérêts économiques de la ville ») : « Je veux me débarrasser de ce 49-mètres-carrés tout rouillé, tout moche et vraiment dégueulasse », explique-t-il alors.

La décision de démolition fut suspendue grâce à une forte mobilisation citoyenne relayée par la presse et l’Architecte des Bâtiments de France qui émet un « avis pas favorable à ce projet de démolition qui serait un grand préjudice et une perte pour le patrimoine historique de Saint-Brice-sous-Forêt. ». Un avis obligatoire puisque la maison de 49 m² se situe dans le périmètre de protection de l’église, classée monument historique. Mais, n’étant pas classé au patrimoine, le lieu n’a pas plus de sécurité que cela.

Huit ans plus tard, en octobre 2022, la Société des Amis de Paul Eluard, présidée par la petite-fille du poète, annonce avec une énorme déception que « la municipalité de Saint-Brice-sous-Forêt n’ayant fait aucune demande de subvention pour la restauration de la première maison de Paul Eluard sur le territoire de sa commune, il a été décidé, à notre grand regret, d’abandonner le sauvetage de cette demeure historique. »

La démolition de la maison de Paul Eluard revient plus que jamais à l’ordre du jour, afin d’agrandir le parking qui la cerne déjà.

Nous nous opposons à cette aberration et demandons aux parties concernées, à commencer par la Ville de Saint-Brice-sous-Forêt (Val d’Oise) et son maire, de prendre leurs responsabilités afin que soit sauvegardée et restaurée la maison de Paul Eluard, vouée à devenir un lieu culturel.

Une municipalité peut-elle décider de la destruction d’un monument historique et culturel de premier plan, au motif qu’elle « n’a pas les moyens budgétaires de la rénover » ?  Se peut-il qu’en France, interroge la pétition lancée en aout 2014 à l’initiative de l’association Les amis du vieux Saint-Brice, une commune de 15.000 habitants n’ait pas les moyens financiers, techniques et humains de réhabiliter un bâtiment de 49 m², de l’entretenir, d’en faire un lieu culturel, un musée dédié au poète, une bibliothèque même ?

Comment y croire alors que le parking inauguré devant la maison en juillet 2014 a coûté 600.000 euros !  Plus de deux fois le budget estimé de rénovation de la maison Eluard ! « Sa maison disparaît mais son nom reste, grâce au parking, baptisé Paul-Eluard. C’est un lieu de mémoire et de vie », assure en 2014 le maire Alain Lorand. Parking Paul Eluard !... Voilà l’hommage rendu au poète et à la poésie française : sur ton bitume j’écris mon nom, parking !...

Ici, à Saint-Brice-sous-Forêt, poésie rime avec parking et transition écologique avec artificialisation des sols !... Lorsque le maire entend le mot culture ou poésie, il sort sa pelleteuse et son, bitume. Nicolas Leleux, le successeur d’Alain Lorand en tant que maire depuis 2020, nous prouvera-t-il le contraire ?Cette maison, Paul Eluard y a vécu avec sa femme Gala et sa fille Cécile, de la fin de l’année 1920 à l’automne 1923. Les grands noms de l’avant-garde artistique de l’entre-deux-guerres en ont franchi le seuil, à commencer par le peintre allemand Max Ernst, lequel, soupçonné dans son pays d’être un bolchévik, arrive de Cologne à Saint-Brice, en 1922, sans le sou, et avec de faux -papiers, ceux d’Eluard à dire vrai. Ernst va former avec Gala et Paul, ce triangle amoureux qui a fait encore couler beaucoup d’encre.

Cette maison de Saint-Brice est liée aux débuts de Paul Eluard et à l’histoire du surréalisme (1920-23). Elle fut un véritable atelier de l’art moderne. Les années 1920-1923 représentent en effet une époque de transition essentielle entre Dada et Surréalisme. De cette époque dite des sommeils, date l’exploration de l’inconscient freudien par Eluard et ses amis ; les plus doués pour ces expériences étant René Crevel et Robert Desnos, le poète-résistant qui devait mourir du typhus en 1945 au camp de concentration de Terezin. Les surréalistes explorent sous hypnose, la nuit, les abîmes merveilleux et effrayants de l’inconscient. Lors de la première séance de « sommeils », le 25 septembre 1922, René Crevel, l’initiateur, s’endort, bientôt suivi par Benjamin Péret, mais c’est surtout Robert Desnos qui fascine et bouleverse l’assistance. Non seulement il répond aux questions des amis – André Breton, Paul Eluard, Max Ernst, Max Morise, Théodore Fraenkel, Francis Picabia – mais, quand on pense à lui placer un crayon dans les mains, il écrit et dessine. Breton s’émerveille : « Cela dépasse l’entendement ! » Jusqu’à la fin de l’année, le « miracle » se renouvellera presque chaque soir, puis l’ambiance devient pénible, les séances s’espacent, la fascination laisse place à l’angoisse, la violence de Desnos se fait de plus en plus inquiétante. On a maintes fois rapporté l’anecdote de Desnos endormi et poursuivant Eluard pour le poignarder dans le jardin de la maison de Saint-Brice. Les assistants prennent peur. Le 28 février 1923, Breton décide de mettre fin à cette « fréquentation des abîmes », ce que Desnos ne lui pardonnera jamais.

Cette maison a été un haut lieu de vie, de fête, de réunions, de contestations et de création. Eluard et Ernst y produisirent les livres Répétitions (Au Sans Pareil, 1922) : l’ombre qui descend des fenêtres profondes - Épargne chaque soir le cœur noir de mes veux et Les Malheurs des Immortels (Librairie Six, 1922) :  Vous serez étonnés de retrouver la splendeur de vos miroirs dans les ongles des aigles. Regardez ces petits serpents canonisés qui, à la veille de leur premier bal, lancent du sperme avec leurs seins. La richesse a tellement troublé leurs ambitions qu’ils posent des énigmes éternelles aux antiquaires qui passent Écoutez les soupirs de ces femmes coiffées en papillon. À Saint-Brice, furent peints plusieurs grands tableaux de l’art moderne, notamment Au rendez-vous des Amis, symbole de la Révolution surréaliste, peint par Max Ernst, le 5 décembre 1922. Ajoutons encore, toujours peints par Max Ernst, les tableaux, Ubu imperator, La Belle Jardinière, Sainte Cécile, Vieillard femme et fleur, La Femme chancelante, Souvenir de Dieu ou L’Immaculée Conception, etc.

Le rôle social de la poésie et du poète

Paul Eluard certes, mais aussi Benjamin Péret et André Breton, car, il faut être allé au fond de la douleur humaine, en avoir découvert les étranges capacités, pour pouvoir saluer du même don sans limites de soi-même ce qui vaut la peine de vivre…. Car, le seul mot liberté est tout ce qui m’exalte encore. Je le crois propre à entretenir, infiniment, le vieux fanatisme humain ! Élaborant l’une des œuvres comptant parmi les plus hautes cimes de la poésie contemporaine, l’espace d’une soixantaine de plaquettes et livres de poèmes, dont les pics sont: Capitale de la douleur (1926), L'Amour la poésie (1929), La Vie immédiate (1932), La Rose publique (1935), et d’autres encore, Paul Eluard a été de tous les combats contre le colonialisme, dès 1925 et la guerre du Rif au Maroc, en passant par la dénonciation de l’exposition coloniale de mai 1931, contre le fascisme en Espagne, en Grèce et ailleurs, le nazisme, le racisme, l’injustice, tout ce qui mutile et amoindrit l’homme, son semblable.

Paul Eluard nous dit : « Je ne suis poète que parce que je suis solidaire des opprimés, tributaire des hommes qui peinent et qui espèrent, de ces hommes qui ont tout éprouvé et qui n’ont rien à perdre que leurs chaînes. Je ne me sépare pas du monde où je vis. J’essaie de savoir qui je suis et, le sachant, qui sont les autres. J’essaie de connaître autrui, et le sachant, qui je suis. Ma voix est vraiment commune. »

Eluard affirme le rôle social du poète et de la poésie. Il nous dit encore : « Les poètes dignes de ce nom refusent, comme les prolétaires, d’être exploités. La poésie véritable est incluse dans tout ce qui ne se conforme pas à cette morale qui, pour maintenir son ordre, son prestige, ne sait construire que des banques, des casernes, des prisons, des églises, des bordels. La poésie véritable est incluse dans tout ce qui affranchit l’homme de ce lien épouvantable qui a le visage de la mort. Elle est aussi bien dans l’œuvre de Sade, de Marx ou de Picasso que dans celles de Rimbaud, de Lautréamont ou de Freud. Elle est dans l’invention de la radio, dans la révolution des Asturies, dans les grèves de France et de Belgique. Elle peut être aussi bien dans la froide nécessité, celle de connaître ou de mieux manger, que dans le goût du merveilleux. Depuis plus de cent ans, les poètes sont descendus des sommets sur lesquels ils se croyaient. Ils sont allés dans les rues, ils ont insulté leurs maîtres, ils n’ont plus de dieux, ils osent embrasser la beauté et l’amour sur la bouche, ils ont appris les chants de révolte de la foule malheureuse et, sans se rebuter, essaient de lui apprendre les leurs. »

Durant l’été 52, Paul Eluard finalise l’écriture de son dernier grand poème, à Bénac en Dordogne, chez sa troisième femme, Dominique. Dans les premiers jours de septembre, une crise d’angine de poitrine le contraint à un retour précipité à Paris. Le 18 novembre 1952, Paul Eluard succombe à une crise cardiaque. Il a 56 ans. Quatre jours plus tard, des milliers de personnes l’accompagnent au cimetière du Père-Lachaise.

Les Gilets Jaunes chez Paul Eluard

La maison de Saint-Brice est liée aux débuts de Paul Eluard et à l’histoire du surréalisme (1920-23). Mais, elle a rejoint à l’épreuve du temps ses derniers instants et son ultime poème « Le château des pauvres » (1952). La maison est située à 1 km de la ZAE Les Perruches et du Rond-Point des Gilets Jaunes de Saint-Brice-sous-Forêt, groupe qui est actif depuis le début du mouvement en novembre 2018. Paul Éluard est notre voisin dans la poésie et dans la lutte.

Et parce que nous nous aimons, nous voulons libérer les autres, car c’est bien par l’amour Paul Éluard, que nous pouvons élargir notre horizon à celui des autres. Et c’est bien pour cela, que les Gilets Jaunes de Saint-Brice-sous-Forêt se sont réunis devant la maison de Paul Eluard pour y évoquer la vie et l’œuvre du poète, lire ses poèmes et dénoncer aussi l’injustice et la violence insoutenable subie par des gens poussés à bout : celle de leur condition sociale. À cette violence-là, dont il est peu question, s’en ajoute une autre, physique, de répression, dont témoignent, lorsque cela ne s’est pas produit sous nos propres yeux, les nombreux clichés et vidéos montrant le tabassage en règle de Gilets Jaunes, et les visages tuméfiés de nombre d’entre eux, après des tirs de LBD, ces lanceurs de balles en caoutchouc qui doivent normalement viser les parties basses du corps, mais dont les impacts  se retrouvent aussi beaucoup sur le torse et le visage des personnes prises pour cible : un décès, 202 blessures à la tête, 21 éborgnés et cinq mains arrachées…

La culture, qui est notre bien commun, est tout aussi malmenée que peut l’être le peuple, chaque jour bafoué par un pouvoir illégitime, car au seul service de la classe dominante et de ses intérêts, un pouvoir qui bafoue tout autant notre environnement que nos services publics et nos vies. Comment vivre ? La question est légitime. Elle en entraine d’autres : Comment se loger ? Comment se nourrir ? Comment se loger ? Comment vivre de son travail ou de sa retraite à 800 € ? Comment se soigner ?, Comment se chauffer ?

Liberté, nous dit Eluard. Mais, dans une société où les échanges d’argent dominent la plus grande partie de l’activité sociale et où presque toute l’obéissance est achetée et vendue, il ne peut pas y avoir liberté ; cette liberté que Paul Éluard chante et porte dans un poème qui, à défaut d’être son meilleur est le plus connu, publié, traduit et diffusé dans une France occupée et à travers toute l’Europe sous le manteau, par radio, par parachutage :  Et par le pouvoir d’un mot - Je recommence ma vie - Je suis né pour te connaître - Pour te nommer, Liberté. Il a également écrit : Et parce que nous nous aimons, nous voulons libérer les autres, car c’est bien par l’amour Paul Eluard, que nous pouvons élargir notre horizon à celui des autres.

Nous terminons par des extraits du dernier grand poème écrit par Paul Eluard et qui s’intitule « Le château des pauvres ». Et que nous dit Paul dans ce poème ? Qu’il ne faut pas de tout pour faire un monde ; il faut du bonheur et rien d’autre !

Christophe DAUPHIN, octobre 2022.

LE CHATEAU DES PAUVRES (extraits)

 

Venant de très bas, de très loin, nous arrivons au-delà.

Une longue chaîne d'amants

Sortit de la prison dont on prend l'habitude

 

Sur leur amour ils avaient tous juré

D'aller ensemble en se tenant la main

Ils étaient décidés à ne jamais céder

Un seul maillon de leur fraternité

 

La misère rampait encore sur les murs

La mort osait encore se montrer

Il n'y avait encore aucune loi parfaite

Aucun lien admirable

S'aimer était profane

S'unir était suspect

 

Ils voulaient s'enivrer d'eux-mêmes

Leurs yeux voulaient faire le miel

Leur cœur voulait couver le ciel

Ils aimaient l'eau par les chaleurs

Ils étaient nés pour adorer le feu l'hiver

 

Ils avaient trop longtemps vécu contradictoires

Dans le chaos de l'esclavage

Rongeant leur frein lourd de fatigue et de méfaits

Ils se heurtaient entre eux étouffant les plus faibles

 

Quand ils criaient au secours

Ils se croyaient punissables ou fous

Leur drame était le repoussoir

De la félicité des maîtres

 

Que des baisers désespérés les menottes aux lèvres

Sous le soleil fécond que de retours à rien

Que de vaincus par le trop-plein de leur candeur

Empoignant un poignard pour prouver leur vertu

 

Ils étaient couronnés de leurs nerfs détraqués

On entendait hurler merci

Merci pour la faim et la soif

Merci pour le désastre et pour la mort bénie

Merci pour l'injustice

Mais qu'en attendez-vous et l'écho répondait

 

Nous nous délecterons de la monotonie

Nous nous embellirons de vêtements de deuil

Nous allons vivre un jour de plus

Nous les rapaces nous les rongeurs de ténèbres

Notre aveugle appétit s'exalte dans la boue

On ne verra le ciel que sur notre tombeau

 

Il y avait bien loin de ce Château des pauvres

Noir de crasse et de sang

Aux révoltes prévues aux récoltes possibles

 

Mais l'amour a toujours des marges si sensibles

Que les forces d'espoir s'y sont réfugiées

Pour mieux se libérer

(..)

 

Château des pauvres les pauvres

Dormaient séparés d'eux-mêmes

Et vieillissaient solitaires

Dans un abîme de peines

Pauvreté les menait haut

Un peu plus haut que des bêtes

Ils pourrissaient leur château

La mousse mangeait la pierre

Et la lie dévastait l'eau

Le froid consumait les pauvres

La croix cachait le soleil

 

Ce n'était que sur leur fatigue

Sur leur sommeil que l'on comptait

Autour du Château des pauvres

Autour de toutes les victimes

Autour des ventres découverts

Pour enfanter et succomber

Et l'on disait donner la vie

C'est donner la mort à foison

Et l'on disait la poésie

Pour obnubiler la raison

Pour rendre aimable la prison

 

Pauvres dans le Château des pauvres

Nous fûmes deux et des millions

A caresser un très vieux songe

Il végétait plus bas que terre

Qu'il monte jusqu'à nos genoux

Et nous aurions étés sauvés

Notre vie nous la concevions

Sans menaces et sans œillères

Nous pouvions adoucir les brutes

Et rayonnants nous alléger

Du fardeau même de la lutte

(..)

 

Souviens-toi du Château des pauvres

De ces haillons que nous traînions

Et vrai nous croyons pavoiser

Nous reflétions un monde idiot

Riions quand il fallait pleurer

Voyions en rose la vie rouge

Absolvions ce qui nous ruinait

 

Dis-toi que je parle pour toi

Plus que pour moi puisque je t'aime

Et plus que tu te souviens pour moi

De mon passé par mes poèmes

Comment pourrais-tu m'en vouloir

Ne compte jamais sur hier

Tant l'ancien temps n'est que chimères

(..)

 

Paul Éluard (in Poésie ininterrompue, 1953).

 



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules




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