Les Hommes sans Épaules


Dossier : POÈTES NORVÉGIENS CONTEMPORAINS

Numéro épuisé
Numéro 35
286 pages
Premer semestre 2013

Sommaire du numéro



Éditorial: "Jean Sénac 1973-2013, le corpoème sous les armes", par Christophe DAUPHIN

Les Porteurs de Feu : Poèmes de Antoinette JAUME, Lorand GASPAR

Ainsi furent les Wah : Poèmes de Marie-Josée CHRISTIEN, Franck BALANDIER, Alain PIOLOT, Jean-Claude TARDIF, Gwen GARNIER-DUGUY

Dossier : Poètes norvégiens contemporains par Pierre GROUIX, César BIRÈNE, avec des textes de Régis BOYER, Ole KARLSEN, Eva SAUVEGRAIN, Pierre GROUIX, Poèmes de Tarjei VESAAS, Inger HAGERUP, Olav H. HAUGE, Tor JONSSON, Gunvor HOFMO, Marie TAKVAM, Stein MEHREN, Jan Erik VOLD, Paal-Helge HAUGEN, Knut ODEGÅRD

Poètes HSE à Oslo : Poèmes de Claude de BURINE, Yves BOUTROUE

Une voix, une œuvre : Hubert HADDAD, par Gérard PARIS, Poèmes de Hubert HADDAD

Vers les terres libres : Tomica BAJSIĆ, par Karel HADEK, Yann SÉNÉCAL, par Éric SÉNÉCAL

Dans les cheveux d'Aoûn : Sur les poèmes de Pierrick de CHERMONT, par Paul FARELLIER, Poèmes de Pierrick de CHERMONT

La mémoire, la poésie : Bo CARPELAN, par Pierre GROUIX, Poèmes de Bo CARPELAN

Les pages des Hommes sans Épaules : Poèmes de Elodia TURKI, Paul FARELLIER, Alain BRETON, Christophe DAUPHIN, Jean BRETON, Michel BRETON, André PRODHOMME

La nappe s'abîme (chronique) : La mort des signes, par Éric SÉNÉCAL

Hommages à Janine MAGNAN, par Alain BRETON, Christophe DAUPHIN, Jean GIRAUD MOEBIUS, par Christophe DAUPHIN, Pierre CHABERT, Jacques-Henri PONS, par Claude ARGÈS

Avec la moelle des arbres : notes de lecture de Jean CHATARD, Paul FARELLIER, Jean-Pierre VÉDRINES, Christophe DAUPHIN, Jean-Claude Albert COIFFARD, Odile COHEN-ABBAS, Alain BRETON

Infos / Échos des HSE, par Claude ARGÈS, Jacques ARAMBURU

Incises poétiques de Yahia El Ouahrani : Poèmes de Jean SENAC

Présentation

ET LES PORTES SONT OUVERTES 

Longtemps placées en marge de l’Europe, la littérature norvégienne, et sa poésie tout autant, ont vu leur accès aux grands courants littéraires européens - et au modernisme - retardé. De plus, l’ampleur du thème national, dans un pays à l’indépendance relativement récente, à peine centenaire, a attiré l’attention des lecteurs sur la construction politique. De la même façon, l’importance des voix poétiques en néo-norvégien, celle du thème naturel - plus ample qu’en Suède et au Danemark, plus continental - a construit chemin faisant une image du poète norvégien en scalde, en chantre de la nature tourné vers le passé - souvent nostalgique - de son pays, ainsi que vers les richesses de la nature, ou de sa langue, les premières ayant pour tâche de dire, de traduire les secondes. Ainsi de Tarjei Vesaas, de Paal-Helge Haugen. Il est des contre-exemples, tels Rolf Jacobsen et Claes Gill, mais, dans l’ensemble, cette image toute faite conditionne les regards des lecteurs étrangers et français. On n’associe pas volontiers poésie norvégienne et percées modernistes alors que, théâtralement, la chose est acquise grâce à Ibsen. Des parcours poétiques dans lesquels la Norvège et la langue ne seraient pas au centre, sont en Norvège, plus rares. Ceux qui les conduisent acceptent le plus souvent d’être taxés d’auteurs difficiles, voire obscurs. Ils savent qu’ils ne seront pas des auteurs populaires, tant il est vrai que comme en France - point commun navrant - l’accent est placé sur le roman (horresco referens, souvent policier) et, de plus en plus, sur le théâtre. Voilà pourquoi on peut faire passer à peu de frais un auteur aussi moyen que Jon Fosse pour un écrivain important, alors que la poésie, l’origine même des lettres nordiques depuis au moins L’Edda poétique, est reléguée au deuxième, voire au millième rang, celui de parent pauvre, alors que cette fleur inconnue regorge pourtant d’odorantes et musicales richesses.

Eva SAUVEGRAIN & Pierre GROUIX (in Les Hommes sans Epaules n°35, 2013).

 

LE PAYS BLEU

 

Ici, je suis en sûreté ; ici, des chênes encerclent les murs,

ici, les passes scintillent au bas des montagnes

usées par la mer. Si je suis devant la vitre,

les grands chênes

sont d’une profonde couleur d’huile

comme une peinture ancienne.

Dans l’émail bleu du ciel,

des nuages oubliés

viennent de la mer.

 

Feuillage de chêne dans le soleil d’automne !

Pays bleu, pays montagneux, pays de mer,

qui vieillit à côté de moi, paré de couleurs lumineuses,

éclatantes.

 

Aujourd’hui l’air est frais, des flocons de neige.

Telles des griffes, les branches nues cherchent à saisir

les dernières traces de chaleur et d’ozone.

Je vais dans le pays bleu

sous des blocs qui tombent.

Un jour Yggdrasil sera nu.

 

Olav H. HAUGE

(Poème traduit du néo-norvégien par Eva Sauvegrain et Pierre Grouix. in Les Hommes sans Epaules n°35, 2013).



Revue de presse

2013 – À propos du numéro 35

Les Hommes sans Epaules, volume 35 : grandiose !

La troisième série des Hommes sans Epaules, revue aujourd’hui emmenée par Christophe Dauphin, avec la complicité d’Alain Breton, Elodia Turki, Paul Farellier, César Birène et Karel Hadek, atteint son 35e numéro. Une belle aventure qui donne ici l’un de ses très beaux fruits. Les pages s’ouvrent sur un texte/hommage de forte émotion, texte consacré à Jean Sénac, poète, homme en résistance, éditeur : c’est le 40e anniversaire de la disparition de l’homme. De l’assassinat de Sénac. J’apprends par ailleurs que la biographie que Bernard Mazo devait consacrer à Sénac paraîtra bien à l’automne. C’est une excellente nouvelle. Sénac, l’homme/scandale : « Poète, animateur, militant révolutionnaire, chrétien, homosexuel et français, se proclamant ouvertement plus algérien que n’importe qui, Jean Sénac a dérangé, de son vivant, autant le pouvoir bourgeois et colonial français que l’extrême-droite, les intégristes islamistes ou la bureaucratie algérienne », écrit fort à propos Dauphin, dont l’admiration pour le poète et l’homme n’est pas un secret. Sénac est présent tout au long du numéro, par des poèmes égrainés çà et là, l’un de ces textes, le dernier écrit par le poète, fermant les pages de ce numéro des Hommes sans Epaules.

La partie « Les porteurs de feu » conduit le lecteur sur les traces de la poésie d’Antoinette Jaume et de Lorand Gaspar. Je découvre la première, je suis une fanatique quasi hystérique de l’œuvre du second. L’œuvre de Jaume parle de la vie, de la mort, des mots, de la conscience, du temps… Fondatrice et longtemps animatrice de La Sape, elle est décédée en 2009. Les HSE donnent ici à lire une trentaine de poèmes extraits des différentes parties de son atelier poétique. A découvrir. Quant à Lorand Gaspar… quelle beauté ! On trouve l’essentiel de son œuvre chez Gallimard bien sûr, en particulier dans la collection de poche Poésie mais… quel bonheur de lire / relire ces poèmes, ici donnés dans l’ordre chronologique de leur édition. Une poésie ancrée dans le sacré, soucieuse de Jérusalem ou Quram.  Une poésie qui regarde le grand Tout, sereinement. Seize pages de poèmes, un bonheur et une excellente occasion de faire connaissance avec l’une des œuvres les plus fortes de la poésie contemporaine. Une découverte ou des retrouvailles au cœur d’un ton élevé en intensité…

Les HSE donnent ensuite la parole aux « Wah ». Sont conviés cette fois ci : Marie-Josée Christien, Franck Balandier, Alain Piolot, Jean-Claude Tardif et Gwen Garnier-Duguy. Ce dernier, en un superbe ensemble, use du « tu » pour s’adresser au Christ. Une lecture forte, peu banale.   

Un numéro de revue dont la richesse enthousiasme en offrant aussi un dossier de près de 70 pages consacré aux poésies norvégiennes contemporaines. Ce dossier est une œuvre conjointe de César Birène, Pierre Grouix et Régis Boyer. C’est plus qu’un dossier, un véritable panorama des voix majeures de Norvège. On lira ainsi : Tarjei Vesaas (par ailleurs immense romancier, auteur entre autre de ce livre fondamental qu’est Palais de glace), Inger Hagerup, Olav H ; Hauge, Tor Jonsson, Gunvor Hofmo, Marie Takvam, Stein Mehren, Jan Erik Vold, Paal-Helge Haugen et Knut Odegard. Ici, toutes les voix sont fortes, bien que diverses. Notons que ce dossier est l’un des fruits du travail mené depuis de nombreuses années par Pierre Grouix au sein des éditions Rafael de Surtis, maison d’édition dirigée par le poète Paul Sanda qui a publié anthologies et recueils de poètes norvégiens traduits par Grouix. Impossible de citer tous les poètes mais voilà un monde à explorer. Encore plus vaste, en termes de Nord, puisque plus loin dans la revue, Pierre Grouix donne aussi à lire des textes de Bo Carpelan, poète finlandais d’expression suédoise dont il traduit les œuvres complètes depuis plusieurs années. Le lire vous convaincra de l’immensité de l’œuvre poétique de Carpelan, lequel nous a quittés en février 2011 (environ 1500 pages de poésie).

Les Hommes sans Epaules ne se contentent pas de « si peu », on lira aussi : un bel essai de Paul Farellier sur le recueil récent de Pierrick de Chermont (voir à ce propos : http://www.recoursaupoeme.fr/critiques/pierrick-de-chermont-portes-de-lanonymat/gwen-garnier-duguy ), des poèmes de notre ami Tomica Basjic, présentés par Karel Hadek, d’autres de Yann Sénécal, des pages libres présentant des textes des animateurs / poètes de la revue, et enfin un ensemble de chroniques et de notes de lectures. Les HSE ont par ailleurs la gentillesse d’évoquer l’existence de Recours au Poème. C’est de bon goût. Une revue à lire. "

Sophie d'Alençon (Recours au poème, mai 2013).

 

" La revue de Christophe Dauphin sort deux fois par an, elle est épaisse et c’est chaque fois une mine d’informations, de découvertes, de rappels et d’approfondissements pour les amoureux de la poésie. Ainsi, je ne compte pas être exhaustif. L’éditorial est consacré à Jean Sénac, assassiné il y a tout juste quarante ans. Un type épatant, l’empêcheur de tourner en rond par excellence. Du côté des Algériens dans la lutte pour leur indépendance, c’est le genre de position qui n’était pas facile à tenir. Homme de conviction qui utilisait la poésie comme une arme, il multipliait les défis. Parallèle est fait avec Pasolini, assassiné tout comme lui… Ensuite après un fort dossier « poètes norvégiens contemporains », (rien que des poètes différents de ceux qu’avait choisis Anne-Marie Soulier dans notre n° 154), je pioche rapido quelques noms de poètes, entre autres : Marie-Josée Christien et Jean-Claude Tardif, un hommage à Hubert Haddad : « La lune est une falaise que la mer ne saurait atteindre. / D’autres la bornent. » Le poète croate Tomica Bajsić par Karel Hadek : « parfois il me semble vivre un temps emprunté… », Yann Sénécal par Eric Sénécal, lequel dans sa troisième chronique « La nappe s’abîme » titille quelques « institutions » comme Le Printemps des poètes, la Maison de la Poésie de Paris, le CNL, Cheyne, une certaine virulence un peu polémique, assez salutaire au demeurant… Enfin, on apprend que Christophe Dauphin devient membre de l’Académie Mallarmé. Une livraison pleine à craquer de 286 pages que je n’ai fait que survoler, Plein d’autres choses à découvrir soi-même. J’aime de cette revue la diversité et le rayonnement. "

Jacques Morin (Rubrique "En vrac" in Déchargelarevue.com, le 8 mars 2013).

 

"La revue Les Hommes sans Epaules que Christophe Dauphin anime dans un grand esprit d'ouverture est à chaque livraison un véritable livre, souvent érudit, toujours surprenant."

Roland Nadaus (in Le Petit Quentin n°283, mars 2013).

 

"Avec Diérèse, Les Hommes sans Épaules est l’une des revues les plus copieuses et les plus régulières du réseau des publications poétiques. A chaque nouvelle livraison, c’est une mine presque inépuisable de dossiers et d’informations, de suites de poèmes et d’approches critiques. Christophe Dauphin qui est à la barre de cette revue depuis déjà de longues années a su donner une ligne orientée parfois vers une poésie surréalisante sans délaisser toutefois d’autres secteurs vivaces de la poésie actuelle. Les poètes contemporains y sont bien représentés avec, par exemple dans ce numéro, Jean-Claude Tardif, Lorand Gaspar ou Marie-Josée Christien. Ensuite, un sérieux dossier bien documenté est consacré à dix poètes norvégiens contemporains présentés par Régis Boyer, l’un des traducteurs. On peut lire aussi dans ce numéro une solide présentation du poète finlandais Bo Carpelan ainsi que d’abondantes et variées notes de lectures. Avec 286 pages à leur disposition, les lecteurs sont assurés de trouver là de quoi apaiser leur soif de lectures poétiques. "

Georges Cathalo ("Lecture flash" in Texture, 25 mai 2013).

 

"C'est vrai que je suis injuste, mais j'assume. ce que j'appelle les grandes revues, ce n'est jamais une belle, en couleurs, à dos carré, avec uniquement des grands noms. Mais des découvertes et des études critiques de qualité en plus de bons textes. C'est le cas des Hommes sans Epaules 35, où une fois encore, si j'y retrouve Marie-Josée Christien, Jean-Claude Tardif, Claude de Burine, Hubert Haddad ou Jean Sénac, je découvre des noms nouveaux pour moi et surtout un dossier sur les poètes norvégiens d'aujourd'hui, avec les chroniques et des hommages à Janine Magnan et l'inouï Jean Giraud Moebius, bédéiste étonnant."

Paul Van Melle (Inédit Nouveau n°262, La Hulpe, Belgique, mai 2013).


"Ce numéro 35 des HSE s’ouvre sur un hommage nécessaire de Christophe Dauphin à Jean Sénac, assassiné en 1973, que beaucoup, soucieux de ne pas penser, se sont empressés d’oublier. « On enterra son œuvre et ses idées presque aussi vite que son corps. Jean Sénac était un homme parfaitement indésirable, en somme, mais pas seulement pour le pouvoir algérien. Il dérangeait beaucoup plus de monde. Il était, selon le témoignage de l’un de ses amis, un scandale permanent. Son audience auprès de la jeunesse, sa vie, sa vie sexuelle surtout, sa liberté de parole en matière politique ou culturelle, les répercussions à l’étranger de ses jugements sur l’Algérie en faisaient un personnage gênant pour beaucoup de personnes et beaucoup d’intérêts et de calculs à Alger. Il y a donc plusieurs personnes ou groupes à qui le crime pouvait profiter. » Il publia une Anthologie de la nouvelle poésie algérienne, véritable manifeste pour « une Algérie méditerranéenne, solidaire, socialiste, égalitaire, arabe, berbère et pied-noir, de graphies arabe, berbère et française ». D’une lucidité visionnaire, Jean Sénac pressentait la victoire des préjugés sur la générosité et la liberté. Il va manifester une queste double, celle d’une révolution aussi sexuelle et celle d’une sexualité libertaire et révolutionnaire. Le « corps total » est aussi un « esprit total ». « Ce corps élu, précise Christophe Dauphin, est l’un des éléments clés de la poétique  de Sénac, qui identifie le corps au poème. D’une faille à l’autre, le corpoéme, saccage de sincérité, tente de susciter une physionomie et du même coup, engage la personne qui écrit à tout donner, « de l’âme à l’excrément ». Les poèmes d’amour sont maîtrisés, alliant l’élan sexuel à l’abandon total. A sa soif de liberté, de justice et d’amitié, le poète ajoute son besoin insatiable de l’autre : Car la révolution et l’amour ont renouvelé notre chair. Au « corpoème » succédera le « spoerme » : il écrit d’un jet ma joie carnassière la – première syllabe de mon refus. » Enfin, Christophe Dauphin évoque sa proximité de queste et de destin avec Pier Paolo Pasolini : « La poésie les unit, l’amour, la liberté, le feu du langage et du désir les animent. Pasolini et Sénac se rangent tous les deux du côté du peuple… ».    

Dans un sommaire riche et touffu, le dossier, coordonné par César Birène, est consacré aux poètes norvégiens contemporains avec des textes de Régis Boyer, Ole Karlsen, Eva Sauvegrain, Pierre Grouix, Poèmes de Tarjei Vesaas, Inger Hagerup, Olav H. Hauge, Tor Jonsson, Gunvor Hofmo, Marie Takvam, Stein Mehren, Jan Erik Vold, Paal-Helge Haugen, Knut Odegård… Une manière de découvrir cette poésie puissante, riche et d’une grande subtilité à travers des auteurs majeurs peu connus dans les pays francophones. Pierre Grouix nous présente également une grande figure de la poésie finlandaise, Bo Carpelan (1926-2011)."

Rémi Boyer (in incoherism.owni.fr, 26 mars 2013).

 

" Le n° 35 des Hommes sans Epaules est paru en février dernier. Le lecteur se souviendra de l’histoire de cette revue qui en est à sa troisième série : qu’il adhère ou non à l’émotivisme, reste que cette revue s’inscrit dans l’histoire de la poésie française depuis 1953... Mais l’essentiel n’est pas là : il est dans l’hommage rendu par Christophe Dauphin à Jean Sénac qu’on ne lit plus assez aujourd’hui, il est dans le dossier sur les poètes norvégiens, il est dans la présentation (captivante) de Bo Carpelan (poète finlandais suédophone qui est sans doute le poète scandinave le plus connu ici) due à Pierre Grouix son traducteur (qui a aussi participé aux traductions et notices des poètes du dossier norvégien…). Rien que pour ces trois ensembles, il faut lire ce numéro 35. Mais ce n’est pas tout, il y a encore tous les poèmes donnés à lire : des ensembles significatifs de poèmes d’Antoinette Jaume et de Lorand Gaspar, mais aussi d’auteurs plus jeunes comme Marie-Josée Christien, Jean-Claude Tardif, Gwen Garnier-Duguy, Claude de Burine, Hubert Haddad pour ne citer que ceux-là…. Diversité des écritures, diversité des voix, on a là une coupe, au sens géologique, dans la poésie d’expression française qui est tout à fait réjouissante. On a presque l’impression d’une anthologie atypique (il n’y a pas de thème, d’école, d’époque…), impression renforcée par le volume de cette livraison. C’est dire tout l’intérêt de cette revue semestrielle. Cependant, sur les 286 pages de ce n° des Hommes sans Epaules, on compte environ 80 pages de chroniques, hommages, notes de lecture, articles divers… qui viennent compléter cette partie anthologie pour en faire une véritable revue rendant compte, non de la vie la poésie (serait-ce possible, je ne le pense pas), mais d’une certaine conception, d’un certain courant de la poésie… Si Christophe Dauphin incarne parfaitement ce que peut être le surréalisme aujourd’hui (jusqu’à défendre bec et ongles André Breton et Sarane Alexandrian dans une note de lecture où l’argumentation précise se mêle à des jugements sans appel : Noël Arnaud est un triste sire et Jean-Pierre Lassalle évite de peu la bêtise crasse…), sa façon ouverte de diriger la revue fait de celle-ci un outil pour mieux connaître la poésie qui s’écrit maintenant et depuis un demi-siècle, qu’elle soit dans les marges du surréalisme ou non… "

Lucien Wasselin ("Chemins de lecture" in Texture, 29 juillet 2013).

 

"Le finlandais Bo Carpelan figure dans le n°35 de Les Hommes sans Epaules. Présenté par son traducteur, Pierre Grouix. "Richesse pauvre, profonde modestie", en dit-il. "Essayer de parler un autre langage - bâtir des chambres pour les tourmentés - lits, paravents, articulations desséchées." Bon ce n'est pas la Finlande, mais la Norvège (et ses poètes) qui est le gros dossier de ce numéro, à travers les traductions de Pierre Grouix, Eva Sauvegrain, Régis Boyer et Ole Karlsen. Traductions presque toutes au catalogue des éd. Rafael de Surtis, mais impossibles à trouver en livres. Dix poètes du XXe siècle, de Tarjei Vesaas (connu comme romancier, Les Oiseaux, Le palais de Glace) à Knut Odegard (né en 1945). Poésie très attachée à la nature, disent les traducteurs, mais que la lecture montre traversée par les mêmes inquiétudes que la nôtre. Comme exemples, j'ai retenu le poète jardinier, Olav H. Hauge: Feuillage de chêne dans le soleil d'automne - pays bleu, pays montagneux, pays de mer - qui vieillit à côté de moi; Gunvor Hofmo (enfant turbulente, mélancolique et angoissée), et (ma préférence) Marie Takvam: Toi, tu sais parler! - Il me l'a tellement dit posément - Mais je ne sais plus parler - Tous les bruits du monde - m'ont frappée sur la bouche - ont emmêlé mes mots... sacs plastiques pleins de mots... Quand une revue fait plus de 280 pages, forcément, il y a un tas d'autres trucs: un gros cahier de lectures-critiques, Jean Sénac (présenté par Christophe Dauphin) dont les poèmes ponctuent le numéro, Antoinette Jaume, Lorand Gaspar, H. Haddad, J-C. Tardif, G. Garnier-Duguy, M-J Christien, A. Piolot, T. Bajsic, Y. Sénécal... et la chronique d'Eric Sénécal, qui remue tout un tas de buzz du Landerneau poétique dont je ne sais rien. Quand je lis ça, je me sens tout norvégien, je me fais l'éffet d'être un Olav H. Hauge dans un jardin ou une Gunvor Hofmo recluse dans sa chambre pendant plus de vingt ans.

Christian Degoutte (in revue Verso n°154, septembre 2013).

 

« Qui se souvient de Jean Sénac ? », s’interroge Max Leroy… Même si c’est un peu tard, on découvre et redécouvre Jean Sénac. Encore davantage en ce quarantième anniversaire de sa mort, plutôt de son assassinat (un 30 août 1973)… Fait divers parmi tant d’autres ou assassinat à motivation idéologique ? La justice a tranché. Mais on sait qu’aux frontières de l’évidence, la vérité peut  être ailleurs…

Pour ce quarantième anniversaire de la disparition de Sénac sont attendus, notamment : « Jean Sénac, poète et martyr » du regretté Bernard Mazo – décédé juste après avoir mis la dernière main à son ouvrage. C’est un essai qui est préfacé par Hamid-Nacer Khodja, le spécialiste de Jean Sénac dont la thèse d’Etat sur  Jean Sénac doit  paraître bientôt sous forme de  livre. Il faut ajouter une réédition  de « Pour une terre possible » (poèmes et autres inédits, Marsa, 1999) en format poche aux éditions Point. Des articles nombreux et divers  parsèment la Toile ou les revues entre les deux rives de la Méditerranée…

« Ecrivain et poète, pied-noir et indépendantiste, chrétien et révolutionnaire. Caillou dans les souliers de la France et de l’Algérie, Sénac bouscule les deux rives et les eaux troubles de la Méditerranée… », Observe Max Leroy tandis que Christophe Dauphin de la revue Les Hommes sans Epaules, écrit « Jean Sénac a dérangé, de son vivant, autant le pouvoir bourgeois et colonial français, que l’extrême-droite, les intégristes islamistes ou la bureaucratie algérienne ». Et de conclure : « On ne ressort pas indemne de la lecture de Jean Sénac ». En 1970, Jean Sénac s’était lié d’amitié avec Jean Breton et le groupe des Hommes sans épaules, reconstitué autour de la revue Poésie 1, où parut la mythique « Anthologie de la nouvelle poésie algérienne ». Et c’est encore chez  Jean Breton que fut publié le dernier ouvrage de Sénac de son vivant : « Les désordres » (1972).

En effet, de grands désordres étaient intervenus dans sa vie.  Il avait dédié sa vie au combat pour une Algérie nouvelle, rompant les amarres avec sa tribu d’origine, récusant son père spirituel, Albert Camus (qui dans une lettre lui reprochait d’avoir pris le parti des égorgeurs)… Dans une Algérie en pleine effervescence dans ces années 1970  marquée par des réformes-  attendues et exaltées en éclaireur par Sénac- paradoxalement, le poète du « Soleil sous les armes (1957), de « Matinale de mon peuple » (1961)   qui avait accompagné  « l’état-major des analphabètes » vers sa libération nationale et son  émancipation sociale, après avoir connu les honneurs sous Ben Bella (au point où l’on accusa d’être devenu un poète de cour), se retrouvait marginalisé, exclu, voire chassé sans explication de la radio où il donnait la pleine mesure de ce que la poésie pouvait apporter à la cité. Son altérité sexuelle lui valait une moquerie homophobe tenace qui y trouvait prétexte à minorer son œuvre… Reclus, visité seulement par de jeunes poètes, dans sa « cave-vigie » de la rue Elisée. Reclus à Alger, il était   voué aux gémonies par les envieux et les sectaires de tous poils. Avant de finir sous les coups de couteau."

Abdelmadjid Kaouah (La résurrection de Jean Sénac, « Chronique des deux rives » in algérienews.infos, 28 septembre 2013).

 

"Même si nombre de revues (à l’instar d’Europe, mais aussi bien Les Hommes sans Epaules de Christophe Dauphin, entre autres exemples) continuent de dédier leur espace exclusivement au texte, et ce indépendamment de leurs préoccupations, la revue est sans conteste un lieu privilégié pour interpeller, « mimer les arts voisins » selon la formule de Michel Deguy."

Patrice Beray (Médiapart, 16 mars 2013).

"Fort volume de 280 pages qui offre de larges vues sur la poésie. un hommage à Jean Sénac "Le corps poème sous les armes". Des poèmes d'Antoinette Jaume: Où dénuder un peu d'amour dans - ces champs pleins de trous et de morts ? et de Lorand Gaspar: Nous sommes malades d'immense. Beaucoup de poètes qu'on ne peut pas tous citer, mais un dossier sur les poètes norvégiens contemporains, coordonné par César Birène, avec notes et traductions de Pierre Grouix. Un bon dossier de Gérard Paris sur Hubert Haddad: "un esthéte qui a posé au plus haut point le sentiment de la langue, loin des faiseurs et autres petits rois des medias" avec quelques inédits: J'ignore tout des vies qui me conjuguent. Paul Farellier fait "une visite de chantier, construction d'un poète", sur les poèmes de Pierrick de Chermont. Et tant d'autres poètes et tant d'hommages, notamment à Janine Magnan et Jean Giraud Moebius par Christophe Dauphin, le grand ordonnateur de la revue."

Bernard Fournier (in revue Poésie/première n° 157, décembre 2013".

"Ce numéro s’ouvre sur une évocation d’un poète assassiné (il y a eu 40 ans en 2013), Jean Sénac, devenu une sorte d’icône aux côtés de Pasolini ou plus récemment de Tahar Djaout, ou encore un admirateur du même Sénac sur le sol algérien, Youcef Sebti. Et s’ouvre plus précisément sur une citation de ce poète assassiné : «Poésie et résistance apparaissent comme les tranchants d’une même lame où l’homme inlassablement affute sa dignité. Parce que la poésie … est « écrite par tous, clé de contact grâce à laquelle la communauté se met en marche et s’exalte, elle est, dans les fureurs comme dans sa transparence sereine, dans ses arcanes comme dans son impudeur, ouvertement résistante. Tant que l’individu sera atteint dans sa revendication de totale liberté, la poésie veillera aux avant-postes ou brandira ses torches. Au vif de la mêlée, éperdument aux écoutes, le poète va donc vivre du souffle même de son peuple. Il traduira sa respiration, oppressée ou radieuse, l’odeur des résédas comme celle des charniers ». (Je ne peux m’empêcher de me demander ce qu’il en est aujourd’hui). Un long édito de l’infatigable Christophe Dauphin situe le personnage et lui rend un vibrant hommage. Suivent 280 pages denses où je vais de découvertes en souvenirs, un dossier « poètes norvégiens contemporains », des hommages à d’autres disparus, des notes de lectures… cette revue est toujours une belle entrée en poésie."

Yves Artufel (cf. La semaine de Gros Textes n°5, 3-9 février 2014, in grostextes.over-blog.com).