Janine MAGNAN

Janine MAGNAN



"... Chère Janine, il faut que tu saches que tu ne cesseras jamais de nous remplir de ton absence. Un seul mot importait pour toi : l’amour. Eh bien ! Qu’il nous emporte cet amour, qu’il nous mêle au grand fleuve de ton souvenir. Souvenons-nous qu’un arc-en-ciel est tombé sous la pluie."

Alain BRETON

 

Janine Magnan, pépite du sensible, était des nôtres, Les Hommes sans Epaules. Elle fut présente à nos côtés (dans un premier temps, aux côtés de mes aînés), durant quarante-trois ans, c’est-à-dire, depuis août 1968, comme elle l’écrivit elle-même dans la préface du Ciel s’envoie en l’air (éd. Librairie-Galerie Racine, 2010), pièce écrite à partir d’un découpage intelligent et vif des poèmes d’Yves Martin : « En 1968, au cours d’une soirée dans les caves de la Librairie-Saint-Germain-des-Prés, des poètes, parmi lesquels Yves Martin, invitèrent des comédiens à dire leurs textes. Lorsque mes yeux se posèrent sur la page, lorsque ma bouche prononça ses mots, une force inconnue s’éveilla en moi, qui m’amena à embarquer pour un long voyage dont, à coup sûr, Yves Martin serait le guide-magicien. J’aimais rencontrer Alain Breton, adolescent à l’époque, qui aiguisait ma curiosité en me parlant de ce grand prêtre du sacré, ce voyeur-voyant. »

Janine Magnan est née le 5 avril 1938, à Grenoble (Isère), ville au sein de laquelle sa tante, Simone Magnan (1927-1994), femme déterminée, enseigna la sculpture aux Beaux-Arts, durant dix-huit ans. Sculpteur de talent, Grand Prix de Rome, nous lui devons notamment, et peut-être en écho à Guillaume Apollinaire, La Femme assise, une œuvre qui est exposée au Jardin des Plantes de Grenoble.

Après avoir étudié le chant lyrique au conservatoire de Grenoble, puis la comédie au Cours René Simon et au Cours Catherine Brieux, Janine Magnan débute une brillante carrière de comédienne, en jouant le rôle principal de tous les premiers films de Claude Lelouch. Il faut citer : Le propre de l’homme (1960), Madame conduit, La vie de château (1961), L’Amour avec des si... (1962), La femme spectacle (1963), Une fille et des fusils (1964), Les grand moments (1965) ou La vie, l’amour, la mort (1968). On la retrouve ensuite, dans Tir groupé (1982), de Jean-Claude Missiaen, ou dans La vie est un roman (1983), d’Alain Resnais, avant qu’elle ne joue dans des films TV, tels que Les cinq dernières minutes, de Jacques Audoir, Le soleil de Palicorna, de Philippe Julia, Joli cœur, de Gérard Espinasse, Les ferrailleurs des Lilas, de Jean-Paul Sassy, et dans des feuilletons TV, tels que Le démon dans l’île, de Francis Leroi, Marie Pervenche, de Claude Boissol.

Assistante de réalisation (aux Films 13 et pour Jean-Pierre Mocky sur le film, Litan), puis présentatrice (l’émission de Gérard Sire, Caméra les bains), Janine Magnan passe à la réalisation, en tournant deux courts-métrages : Le pays des poètes : Yves Martin et Les petits princes, puis à l’écriture, notamment de feuilleton TV (Arpad le Gitan), d’émission pour la jeunesse  (Les Dents de lait), de scénarios et, surtout, de pièces de théâtre. Citons : Après tout c’est moi qui meurt, Alerte cosmique, Doux voleur merci, Le Ciel s’envoie en l’air et Bien aimée Mary, l’œuvre testamentaire.

Bien aimée Mary, la dernière pièce de Janine Magnan, fut mise en scène par Philippe Valmont, en 2011, à la Maison du Liban de la Cité Universitaire de Paris. Cette pièce traite de l’amitié initiatique qui lia de 1904 à 1931, le poète libanais maronite Khalil Gibran et Mary Haskell, son amie-mécène, directrice d’école à Boston, de dix ans son aînée. La correspondance sans égale de Gibran et Haskell, n’avait (et c’est toujours le cas) jamais été traduite en français. Cet obstacle n’a aucunement arrêté Janine Magnan. Constituée d’extraits de correspondances, d'aphorismes et de paraboles, cette pièce nous parle, au-delà de l’exil et du désespoir, non pas de ce qui sépare les êtres, mais de ce qui peut les rapprocher ; de ce qui devrait les rapprocher, selon la pensée de Gibran : « Me voici vivant, et les gens sont incapables de m'ôter la vie. S'ils me crèvent les yeux, j'éprouverai de la joie en écoutant les chants de l'amour et les mélodies de la beauté. Et s'ils me bouchent les oreilles, j'éprouverai du plaisir en touchant l'éther où se mêlent les soupirs des amoureux avec la fragrance de la beauté. Et enfin s'ils me bâillonnent, je vivrai avec mon âme, car l'âme est la fille de l'amour et de la beauté. Je suis venu afin d'être pour tous et avec tout le monde. Et ce qu'aujourd'hui j'accomplis dans la solitude, demain la multitude s'en fera l'écho. Ce que dit aujourd'hui ma langue toute seule, sera dit demain par des milliers de langues. »  

Dans sa création comme dans sa vie, Janine Magnan ne joua jamais sur le mode mineur, c’est-à-dire, sur le pédant ou le mièvre. Janine Magnan ce fut l’inverse : l’épreuve des batailles et des combats de la vie, menés avec un grand courage, sans jamais esquisser la moindre plainte, et pourtant !  C’est ce regard  limpide et profond à la fois ; cette présence de l’enfant dans la femme et de la femme dans l’enfant ; la féminité incarnée ; cette chaleur et cette générosité de tous les instants, que l’on peut également appeler : l’amitié, cette étoile que Janine donnait et faisait briller jusque dans les abîmes. Car, tout est amitié, tout est amour chez Janine Magnan, par ailleurs, tellement déterminée, humainement étonnante, attachante, incapable d’agir par intérêt, mais toujours par passion. Cela lui fit du tort, c’est certain, auprès de certaines coteries. Mais les coteries, Janine Magnan les fuyait, demeurant fidèle à son éthique et à ce qu’elle croyait juste. 

Puis il y eut la maladie, longue, ponctuée de remissions, de rechutes, et la mort, le 24 janvier 2012, à Lucerne. Cette mort, comme elle lui va mal à Janine. Cette mort, elle l’a affrontée. Elle en a parlé et lui a même consacré une pièce : Après tout c'est moi qui meurt ! - ou - Le murmure des étoiles. Amandine, l’héroïne de cette pièce, malheureusement prémonitoire, se pose la question : Pourquoi moi ? Janine écrit : « Pourquoi maintenant alors qu’elle a tant de choses à accomplir encore. Le temps est passé si vite qu’elle n’a pas eu l’opportunité d’y penser... et pourtant elle est là dans ce lit d’hôpital où elle prend conscience de sa propre mort. » Janine poursuit, toujours à propos de sa pièce : « Au pays d'Occident, les Hommes continuent de penser que la MORT est un sujet à éviter et pourtant, elle n'est que le point où se ferme la boucle et où commence la suivante. Un enfant des villes pourrait dire : « Je n'ai jamais vu quelqu'un mourir. Je n'ai jamais touché un cadavre, ni vu un corbillard traverser la rue. J'ai peur de la mort... » La mort est une fiction enfermée dans des jeux vidéo, dans de petits écrans ou dans des salles obscures. La mort est absente avec ses souffrances et ses désespoirs. Orpheline de la vie, les éducateurs l'ont bannie de notre carte. Nous vivons perdus, bousculés par le temps sans plus savoir où nous allons. Et pourtant si, dès le plus jeune âge, nous pouvions la regarder en face, vivre avec elle, l'existence serait plus riche, plus joyeuse et plus appréciée. Mais l'adulte se trouve la plupart du temps, brusquement face à l'Inévitable, sans avoir eu le temps de s'y préparer, privé de futur, sans famille prête elle aussi pour ce dernier combat. Et c'est le désespoir. Cette Tragédie-Comédie est là pour inciter les êtres, jeunes ou vieux, malades ou bien portants, soignants ou soignés à retrouver les valeurs de la vie avec humour et gaîté. Et puisque chacun de nous doit prendre congé un jour, profitons du temps qui reste à vivre. C'est la Comédie de la vie. » Cette comédie, non la tienne Janine, mais celle de la vie, est bien fade aujourd’hui. 

 

Christophe DAUPHIN 

(Revue Les Hommes sans Epaules).



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : POÈTES NORVÉGIENS CONTEMPORAINS n° 35