Les Hommes sans Épaules
 
Dossier : J.- V. FOIX & le surréalisme catalan
Numéro 60
356 pages
30/09/2025
        17.00 €
Sommaire du numéro
Editorial : "Quand j'ai quitté mon pays...", par Fernando ARRABAL
Les Porteurs de Feu : Josep Vicenç FOIX, par Boris MONNEAU, Jordi Pere CERDA, par César BIRÈNE, Poèmes de Josep Vicenç FOIX, Jordi Pere CERDA
Ainsi furent les Wah 1 (Mémoire et exil) : Poèmes de Ramon LLULL, Miguel de UNAMUNO, Pablo NERUDA, Luis BUNUEL, Salvador DALI, Lucia SANCHEZ SAORNIL
Focus 1 : Le chemin de Collioure ou le romancero de la poésie espagnole, de Lorca à Machado, en passant par Hernandez : par Christophe DAUPHIN, Poèmes de Federico GARCIA LORCA, Antonio MACHADO, Miguel HERNANDEZ
Focus 2 : La Catalogne en poésie, par Christophe DAUPHIN
Dossier : J. V. FOIX & le surréalisme catalan, par Boris MONNEAU, avec des textes de Josep Vicenç FOIX
Ainsi furent les Wah 2, Poètes catalans d'avant-garde : avec des textes de Boris MONNEAU, Poèmes de Carles SINDREU, Alexandre PLANA, Sebastia SANCHEZ-JUAN, Agusti BARTRA, Joan BROSSA, Joan PERUCHO, Josep-Ramon BACH, Benet ROSSELL, Carles SANTOS, Joan PALOU, Vicenç ALTAIO, Felicia FUSTER
Une Voix, une oeuvre : Robert Rius le passeur surréaliste, par Rose-Hélène ICHÉ, Olivier BOT, Poèmes de Robert RIUS
Ainsi furent les Wah 3, De Catalogne et d'ailleurs : Poèmes de Paul PUGNAUD, FRANKETIENNE, Alain FREIXE, Jaume PONT, Norbert PAGANELLI, André-Louis ALIAMET, Aytekin KARACOBAN, Marie MURSKI, Patrick TAFANI, Catherine BOUDET, Frédéric TISON, Jumana MUSTAFA
Les pages des Hommes sans Epaules : Poèmes de Marc PATIN, Jean ROUSSELOT, Jean BRETON, Elodia TURKI, Henri RODE, Christophe DAUPHIN, Alain BRETON, Jacques ARAMBURU, Paul FARELLIER
Dans la moelle des arbres, Notes de lectures : par Odile COHEN-ABBAS, Marc KOBER, Christophe DAUPHIN
Les Entretiens des HSE : Entretien avec Alain ROUSSEL, par Grégory RATEAU, avec des textes de Alain ROUSSEL
La Tribune des HSE : "Lettre au prisonnier politique Khayam TURKI", par Christophe DAUPHIN, avec des textes de Khayam TURKI
Les Infos / Echos des HSE : avec des textes de Christophe DAUPHIN, Gérard MORDILLAT, Antonin ARTAUD, Poèmes de Jacques PREVEL, Paul ELUARD, Claude MEYRIEUX, Jumana MUSTAFA, Marie MURSKI, Frédéric TISON, Alain BRETON
Présentation
Ce numéro 60 des Hommes sans Epaules est consacré en grande partie à la Catalogne, à ses peintres et à ses poètes, à commencer par l'un des plus grands d'entre eux, J.-V. Foix, "que l’on prononce « Foch », et qui est l’un des poètes les plus célébrés de la Catalogne. Après avoir franchi le cap des quatre-vingts ans, une pluie de prix s’abattit sur lui : Prix d’Honneur des Lettres Catalanes (1973), Médaille d’Or de la Generalitat de Catalunya (1981), Prix National des Lettres Espagnoles, Docteur Honoris Causa de l’Université de Barcelone et Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres (1984)… On l’invita même à signer les paroles de l’hymne du Second Congrès International de la Langue Catalane en 1986 : Ouvrons sereins notre parler / aux mille parlers du monde ami / à la clarté d’un verbe ancien / près de la mer, au pied des monts. / Durs à la tâche, à travers terres / sillonnons la plaine que nous voulons libre / ouverts à tous, vivre et convivre », écrit Boris Monneau, à qui nous devons le dossier central de ce numéro.
Nous retrouvons aussi dans ce numéro, les Catalans Ramon Llull, Jaume Pont, les poètes de l'avant-garde, de Carles Sindreu à Félicia Fuster, sans oublier la poète Lucia Sanchez Saornil, chef de fil des Mujeres libres de la CNT anarchiste espagnole. Car nous ne manquons pas d'évoquer et de saluer les poètes de la Deuxième République espagnole, ceux de la guerre civile de 1936-39 contre le franquisme, qui marque en profondeur la Catalogne et le pays, à l'instar de Federico Garcia Lorca, Antonio Machado, Luis Bunuel, Miguel Hernandez, sans oublier leur aîné Miguel de Unamuno et d'autres. La Catalogne du Nord (française) n'est pas en reste, avec le poète Robert Rius, Jordi Pere Cerda, Paul Pugnaud ou Alain Freixe.
Nos amis espagnols sont accompagnés au sein de ce numéro par Pablo Neruda, le regretté Frankétienne, le poète corse Norbert Paganelli, André-Louis Aliamet, Aytekin Karaçoban, Patrick Tafani ET quatre des voix de femmes les plus importantes et originales de notre temps : la poète réunionnaise Catherine Boudet, la poète palestinienne Jumana Mustafa, La Femme sans Epaules Marie Murski et l'inclassable et sulfureuse Paloma Hermina Hidalgo.
Malgré cette consécration et quasi transformation en poète officiel, Foix fut, ajoute Boris Monneau, un écrivain discret, voire incompris pendant une bonne partie de sa vie : ses premiers livres, Gertrudis (1927) et KRTU (1932), furent tirés à 100 exemplaires et reçus avec une certaine hostilité. Joan Oliver évoquait malicieusement, dans une critique de l’époque, le regret des 10 pesetas que lui avait coûté Gertrudis. Carles Riba, poète et essayiste que Foix admirait, quoique œuvrant dans une direction très différente de la sienne, lui demanda à la lecture de ses premières proses : « Pourquoi écrivez-vous cela ? »
Une quarantaine d’années plus tard, Gabriel Ferrater, ami du poète, suggère qu’il « retarda brillamment l’éclat de sa célébrité » pour éviter de se transformer en institution, pour se garder de l’usure et de la désuétude. Joan Brossa, considérablement influencé par Foix, dont il décrit la découverte peu après la Guerre Civile comme « une épiphanie », regrettait le caractère de « Festa Major funèbre » des cérémonies du centenaire de sa naissance.
L’homme lui-même tend à l’effacement, à l’anonymat. « Je n’aime pas parler de moi », dit-il dans un entretien. Dans d’autres, il affirme : « Je ne garde rien de moi », « je me refuse aux anecdotes et confidences personnelles, que je n’ai jamais eues avec personne, pas même avec moi-même »…
Foix serait, d’après Rafael Santos Torroella, le premier à avoir imprimé le mot « surréaliste » en Espagne, en mars 1918, dans une note du numéro 4 de la revue Trossos concernant la publication des Mamelles de Tirésias aux éditions SIC. Cette même revue présente, le mois suivant, une annonce de l’adaptation catalane de la pièce, et un appel à collaborations pour sa mise en scène, manifestement resté sans suites. Neuf ans plus tard, Foix publie son premier livre, le recueil de poèmes en prose Gertrudis. Les critiques du moment lui appliquent l’étiquette surréaliste, qui fera long feu. Le 27 mars 1927, dans La Publicitat, Carles Soldevila le désigne comme le « premier surréaliste catalan », et Tomàs Garcès, eu égard à la publication de certains textes en revue dès 1918, en fait un précurseur du mouvement, le 3 février 1927. Les billets satiriques d’hebdomadaires tels que Mirador ou El Be Negre, un peu plus tardifs, adoptent aussi l’épithète.
Foix, cependant, fut lui-même un homme de presse, et l’ensemble de ses articles dans le journal La Publicitat exprime de façon réitérée sa résistance ou réticence face au surréalisme, pourtant mêlées de séductions et de coïncidences. Témoin et acteur de l’époque des ismes, Foix n’adhère à aucune école littéraire : à ce titre, l’article « …En vers bien taillés et strophe polie », publié dans les Quaderns de poesia en 1936, est une sorte de manifeste contre les manifestes et contre les écoles : il les embrasse toutes (« j’aime toutes les tendances »), et les considère comme autant de « rhétoriques » ou de formes dans lesquelles le poète peut puiser : « les tentatives du cubisme littéraire – rappelons les essais galligrammatiques – seraient donc, non pas des expériences fugaces, mais une modalité poématique aussi valable que celle qui justifia, pendant des siècles, le sonnet ». Plus que poète, il se considère alors, et dès lors, « chercheur en poésie ». Ainsi, s’il s’écarte souvent, dans ses déclarations, du surréalisme bretonnien, c’est qu’il le considère orthodoxe, sectaire (« la secte de Paris » est l’une des expressions qui reviennent le plus souvent sous sa plume à cette époque), et de plus contradictoire : il signale déjà en 1928 l’ « impureté », du point de vue artistique et psychique, de ses tentatives de saisir l’inconscient, et quatre ans plus tard, son « ambiguïté » politique, en qualifiant le mouvement, eu égard au communisme, de « contre-révolution socialiste ».
Les affinités sont pourtant grandes, de prime abord : en 1925, dans un article pour la Revista de poesia, qui expose la situation confuse des avant-gardes, Foix présente le surréalisme comme un mouvement prometteur, et ses membres comme « les athlètes les plus doués », « authentiquement à l’avant-garde » : vaillants successeurs de Dada dans la discipline de l’irresponsabilité, ils semblent aptes à « libérer l’imagination des dépôts qui l’infectaient »…
Christophe DAUPHIN
(Revue Les Hommes sans Épaules).
Revue de presse
Lectures :" Le numéro 60 des Hommes sans Epaules débute par un éditorial de Fernando Arrabal sur l’exil; l’exil, véritable terre des poètes comme des immortels jusqu’à l’arrivée de l’exil de l’exil :
« En exil, la science et l’art font le lien entre l’esprit et la beauté. Serait-il excessif de dire que précisément l’art et la science n’ont nul besoin « d’assis » mais de saints… plutôt même que de révolutionnaires ou de réformateurs avec leurs plans tirés au cordeau ? L’exilé peut être confiné comme une chauve-souris… pour écrire comme un aigle royal. Avec talent, il utilise tout ce dont il se souvient, et avec génie tout ce qu’il oublie. Grâce à cela, il espère se libérer de la dégradante obligation d’être un artiste de son temps. L’art pour l’exilé c’est la patrie qui l’accompagne. L’amour charnel ne l’émeut que lorsqu’il est peint come désastreux ou maladroit. L’exilé n’est pas suspendu au désir stupide de provoquer. La provocation surgit, imprévisible comme le succès ou l’amour. C’est en exil qu’il est le plus facile de se passer du bonheur. L’histoire, plus que le fait, répercute son écho dans la légende. Mais chaque époque se nourrit d’illusions pour ne pas mettre un linceul au présent. Puissé-je jouir toujours de cette immense aurore et de cette patineuse nommée théâtre et poésie ? »
Ce numéro est principalement consacré aux poètes et peintres catalans, notamment à ceux qui luttèrent contre le franquisme. L’exil, de corps ou d’esprit, est ainsi très présent dans leurs œuvres. Au côté de noms familiers comme Miguel de Unamuno, Federico Garcia Lorca ou Antonio Machado, nous découvrons bien des talents peu connus en France.
Le dossier nous présente Josep Vicenç Foix (1893-1987), prononcez « Foch », qui fut proche du surréalisme mais s’en différencia également. Il laissa une œuvre considérable, très variée, à la fois littéraire et politique, saluée surtout dans ses dernières années de vie. Le dossier, dirigé par Boris Monneau rend compte des divers axes de recherches de ce grand penseur.
« Nous désirions la mort en de sombres traverses,
Les bras levés, et nous disions : – Toi, qui es-tu ?
Et lui ? – Puisque nous étions maints, moirés, nous y étions tous.
Voyez : elles aussi, opulemment nues,
Les bras levés, et moirées, au bord
Des abîmes du soir, par des sentiers d’errance,
Cueillant sur l’Arbre Intact le fruit iridescent,
Ou de frêles fils de nuit tissant une maille secrète… »
Il est aussi question du catalanisme roussillonnais avec Jordi Père Cerdà, poète-passeur et passeur tout court pendant la deuxième guerre mondiale quand il fait passer Juifs, résistants et clandestins du côté espagnol entre 1942 et 1944.
« Je me souviendrai de ce jour
où la Gestapo nous suivait
pistant dans la neige le sang tiède.
Je me souviendrai des maisons
qui nous ouvraient leur porte,
brèche dans la nuit glacée.
Je me souviendrai de Mas
passant des gens fuyant la France
un jour de tempête.
Je me souviendrais de Jean,
Josep, Boris et Maurice
qui mourut là-bas à Neuengamme.
L’hiver nous mord l’échine ;
chien fou déchaîné,
hurle le vent comme sirène.
A présent, les camarades entreront
s’enlevant la neige à la porte.
Leurs yeux étincelleront… »
Mais ce n’est là qu’un aspect de la création catalane que nous pouvons découvrir dans ce volume. Tous les domaines de la vie, les domaines d’intensité sont présents à la fois dans les œuvres et dans les parcours de leurs auteurs.
Rémi BOYER (in lettreducrocodile.over-blog.net, 21 octobre 2025).
