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2009 – À propos du numéro 27

    « Une des meilleures revues que je connaisse pour entrer en poésie contemporaine. L’érudition de son directeur, Christophe Dauphin y est pour quelque chose. Ce numéro 27 des Hommes sans Épaules, s’ouvre sur un dossier consacré à deux monuments de la poésie contemporaine, Georges-Emmanuel Clancier dont le succès populaire de roman tel Le Pain noir ont un peu éclipsé l’œuvre poétique pourtant de premier plan, et Werner Lambersy, prolifique auteur belge qui ne déçoit jamais. Suit un imposant dossier sur la poésie magyare qui nous replonge dans les turbulences du XXe siècle. Plus contemporain, un coup de projecteur sur l’œuvre de Claudine Bohi. »
Yves Artufel (Gros-textes, Arts et Résistance n°2, avril 2010).

    « HSE 27. Une belle revue, complète et diverse. Déjà, l’éditorial de Christophe Dauphin nous donne à lire et en particulier à propos du poète hongrois Attila Jozsef… Un dossier de 64 pages lui est consacré. Suivi d’une étude par Paul Farellier de l’œuvre de Claudine Bohi (avec, comme toujours, en ce qui la concerne, sa photo ; merci !)… Mais Farellier nous présente aussi G.E. Clancier, W. Lambersy et A. Bouchez. Quand à Claudia Sperry-Fontanille, elle s’interroge sur « Langage, poésie et magie avec Octavio Paz ». »
    Alain Lacouchie (Friches n°104, avril 2010).

    « Dans ce numéro 27 des HSE, la poésie comme forme de résistance est revendiquée contre l’humiliation, l’horreur et l’injustice. G.E. Clancier en ouvre les premières pages… Et Lambersy de poursuivre… Un dossier important de C. Dauphin et K. Hadek est consacré à la poésie magyare et au grand poète Attila Jozsef : « Ce n’est pas moi qui crie, c’est la terre qui gronde »…. Aux « meurtrissures d’être », F.Y. Caroutch, J. Blot, Y. Colley, A. D’Urso opposent leur manière singulière d’écrire, tantôt avec retenue, tantôt avec un regard corrosif sur le monde. A travers la lecture de P. Farellier nous parvient la voix grave, profonde, amoureuse de C. Bohi : « Le désir clair – monte des chevilles – je n’ai de vraie parole – qu’à mes deux bouches ensemble. » Et A. Bouchez lance un appel « qui ravaude le soleil ». Entre hommages (à A. Miguel par Jean Chatard, à Octavio Paz par C. Sperry-Fontanille), dossiers fournis, poèmes, notes de lectures, les Hommes sans Epaules cheminent, résistent, renaissent, tentent de donner sens « au petit tas de vivre » (P. Farellier). Le lecteur est appelé de toutes parts, parfois se perd tant est grande la diversité et la densité des propos. Mais n’appartient-il pas à chacun de trouver ses propres chemins ? »
Jacqueline Persini-Panorias (Poésie/première n°47, juillet/octobre 2010).




Lectures critiques :

Les Hommes sans Épaules, numéro 57 : Poètes bretons pour une baie tellurique : « C’est un très vaste paysage de la poésie bretonne que nous dresse ce numéro de la revue Les HSE : 33 poètes auxquels on peut ajouter sans erreur des poètes présentés dans les rubriques « Porteurs de feu » ou « Ainsi étaient les Wah » inséparables de ce coin de terre, comme Perros, Delabarre et Kenneth White, ou encore Guy Allix, Emmanuel Baugue (quoiqu’un peu Normand), ou André Prodhomme (quoique d’un peu partout). Pour chacun, nous avons droit à une présentation du poète et de son œuvre, marque de fabrique inégalée de cette revue.

Rappelons à cette occasion qu’il n’existe pas d’autres revues (en ligne ou pas) ayant une connaissance aussi intime, si j’ose, d’un si grand nombre de poètes, en particulier ceux nés entre les années 1920 et 1950. Par exemple dans ce numéro, les présentations de Guillevic, Manoll, Robin, Grall, Glemnor, Cadou – pour ne citer qu’eux – méritent d’être lues pour elles-mêmes. Cela rappelé, penchons-nous sur le dossier « Poètes bretons pour une baie tellurique ». Il y a une évidente volonté d’équilibre entre poètes connus, méconnus ou inconnus tout comme entre des poètes du début, du milieu ou de la deuxième moitié du XXe siècle. Évidemment, on lui reprochera — moi le premier ! —  tel ou tel auteur absent (pourquoi ne pas avoir retenu Gilles Baudry ? Charles Le Quintrec, qui pourtant publia son Village allumé chez Saint Germain des Prés ?) Mais je concède que le paysage est déjà considérable et qu’il est bon qu’il y ait quelques « injustices » pour ranimer la levée de bocks ou de ballons pris en commun.

Que ressort-il du paysage dressé ? On retrouve une très bonne illustration des grands courants poétiques bretons du siècle écoulé avec la mise en avant des très singulières années 70 et 80, qu’on peut résumer au conflit qui opposa la génération de Jack-Helliaz à celle de Grall, le premier avec son cheval d’orgueil et le second avec son cheval couché. On retient également cette tresse, que je crois propre à la Bretagne, qui rassemble une poésie ancrée, privilégiant plutôt une forme de dépouillement, une poésie « bardique », volontiers vindicative et pamphlétaire (voire guerrière), et qui aime à être mis en musique, et une poésie druidique attirée par le merveilleux et l’alchimique qui plonge volontiers dans la veine surréaliste (ce qu’affectionne particulièrement notre revue). L’élément qui réunit ces trois courants, hormis la Bretagne elle-même, c’est la place incontournable du minéral (le granit, le mica, etc.), pour ne pas dire le tellurique comme le pointe si justement le titre du dossier.

M’a frappé également, à la lecture du dossier, la relative étanchéité qui règne entre la poésie de l’Argoat et celle de l’Armor. Il semble bien qu’en Bretagne deux univers poétiques distincts se côtoient sans se confondre, ainsi que les paysages et les modes de vie. Enfin, et bien sûr ajouterai-je, le dossier permet de mesurer la solide et féconde richesse du terrain éditorial breton grâce au dévouement de quelques maisons d’éditions (pas forcément bretonnes), d’associations culturelles et artistiques très actives (comment ne pas citer « les rencontres de Max ») et de quelques figures tutélaires qui ont su jouer un rôle de découvreur ou de rassembleur (Grall, Guillevic, Brémont, Christien et Geneste aujourd’hui). Pour conclure, et picoter d’iode l’ami Christophe Dauphin, après avoir lu son passionnant édito, je me suis demandé si ce n’était pas un article pro domo pour la poésie… normande. »

Pierrick de CHERMONT (in recoursaupoeme.fr, 6 novembre 2024).

 

*

 

« Il est généralement éclairant de découvrir notre paysage poétique breton par le regard d’un observateur avisé. Il est également rassurant de constater que nos poètes continuent de susciter intérêt et curiosité, malgré la quasi-disparition des revues en Bretagne. C’est en voisin normand et poète de l’Ouest que Christophe Dauphin aborde les « poètes en Bretagne » dans un copieux numéro de la revue qu’il aime depuis 1997, Les Hommes sans Épaules.

34 poètes sont présentés de façon développée, accompagné d’un choix de textes conséquent. Pierre-Jakez Hélias, Anjela Duval, Glenmor et Xavier Grall y côtoient Gérard Le Gouic et Guénane. En dépit de leur diversité, Christophe Dauphin leur reconnait des points communs qui traversent les générations : la connivence avec les paysages tourmentés de la péninsule armoricaine, un riche imaginaire ouvert sur le monde, « un goût frondeur pour l’indépendance ».

Christophe Dauphin rappelle à bon escient l’attraction régulière de « la matière Bretagne » pour bon nombre de poètes qui n’en sont pas originaires, dont Saint-Pol-Roux, Georges Perros, Kenneth White, Samuel Bréjar et plus récemment Henri Droguet, Gérard Cléry, Colette Wittorski, Joseph Ponthus, Guy Allix, André Prodhomme et Emmanuel Baugue. La Bretagne fut aussi pour Paul Celan, de 1954 à 1961, une terre d’accueil qui lui inspira une série de poèmes dont des extraits sont reproduits dans ce dossier.

Christophe Dauphin met en lumière bon nombre de poètes qui ne figurent habituellement pas dans les ouvrages de références sur la Bretagne : Louis Guillaume, Armand Robin, Norbert Lelubre, Odile Caradec, Jacques Bertin, Danielle Collobert, Alain Morin, Alain Simon, Mérédith Le Dez et Gwen Garnier-Duguy. Il mentionne aussi plusieurs poètes bretons qui furent proches du mouvement surréaliste : Jacques Vaché, Angèle Vannier, Yves Eléouet, Hervé Delabarre. »

Marie-Josée CHRISTIEN (in revue Spered Gouez n°30, 2024).

 

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La revue Les Hommes sans Épaules consacre son numéro 57 aux « Poètes en Bretagne » et rend hommage à Frédéric Tison, récemment disparu.

L’identité bretonne, préservée malgré les aléas, a permis aussi une poésie bretonne née tant de la géographie que du peuple. Plutôt que de particularismes, Christophe Dauphin, avec Glenmor, préfère parler de caractéristiques des poètes de l’Ouest : « Les habitants de ces contrées semblent avoir toujours été la proie de tentations contradictoires : l’une les presse de confier leur destin à la mer, de lâcher tout pour courir la chance de découvrir d’autres cieux, d’autres terres ; l’autre leur dépeint vivement la douceur du foyer, dans la maison tapie au bout du chemin creux, les avantages d’une existence passée dans la sécurité, que garantissent les traditions et le retour périodique des saisons. De ces contradictions, les meilleurs de ceux dont elles marquèrent le caractère ont toujours su tirer une source d’énergie. »

Louis Bertholom, de Fouesnant, précise : « Je ne sais pas si la Bretagne est une terre de poésie plus qu’ailleurs. Il existe tout de même une sensibilité spécifique des gens de Bretagne qui confère une âme à cette région, proche d’une certaine forme de mélancolie dans le sens artistique du terme. Nous avons tout un légendaire arthurien, une Brocéliande dans nos gènes qui nous poursuit malgré tout. Puis le Barzaz Breiz, les gweerzioù et autre patrimoine chanté, transmis de générations en générations qui alimentent insidieusement notre façon d’être au monde. La poésie celtique est spécifique à son territoire, avec ses connotations celtiques même s’il y a des exceptions. »

C’est la poésie elle-même qui dit le plus sur la Bretagne, ses langues et son peuple. C’est pourquoi ce numéro 57, qui rassemble un grand nombre de poètes, porte une part de l’âme bretonne au lecteur.

Rémi BOYER (in /lettreducrocodile.over-blog.net, 24 mai 2024)

 

Extrait de « Bretagne est univers » de Saint-Pol-Roux :

 

« Il ne lui suffit point de distribuer l’oracle

Et d’accroître le globe au jeu de ses timons,

Elle insère l’esprit de son propre miracle

A même la matière des bois et des monts.

Voici le coffre aux joies, le clocher, le calvaire

Et l’auguste fontaine au lipide présent.

Après, l’enchantement créé par le trouvère

Et le prince des mers, celui de l’artisan. »

 

 

Extrait de "L’enfant du druide "de Angèle Vannier :

L’enfant du druide ouvrit les vannes du silence

Un chant se répandit longtemps

L’eau le sang le feu

Les trois dans la forêt

Pour bâtir un palais d’automne

 

Un grand secret faisait la roue sur le parvis

D’un clair-obscur jaillit la fleur miraculeuse

Le double de la pierre philosophale.

L’enfant faisait la chasse à la folie

Il délivrait des plages de cristal

Sous un vieux chêne inconsolable.

 

 

La clé de la clé disait mon compagnon

Cet enfant la chantait »

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« Le thème de ce numéro c’est « Poètes en Bretagne » (notez bien EN et pas DE Bretagne). C’est que pour moi ce numéro est sans surprise : j’ai déjà lu (et pas oublié, tous sont de qualité, ont leur originalité) Georges Perros, Hervé Delabarre, Paul Celan, Kenneth White, Henri Droguet, Max Jacob, Guillevic, Manoll, Armand Robin, Cadou (René Guy et Hélène), Jégou, Le Gouic, Marie-Josée Christien, Emmanuelle Le Cam, etc.

Comme dans chaque numéro de la revue Les Hommes sans Épaules, son animateur, Christophe Dauphin est infatigable : chaque auteur est abondamment présenté (bio, biblio, position historique, etc.). Il analyse brillamment les effets et les méfaits de la Celtitude, ne manque pas de pointer les crispations identitaires, le nationalisme étroit : « Il serait plus juste d’inviter les Auvergnats au festival interceltique. La Bretagne n’était pas le centre ancien du monde celtique ». Des citations quand même des moins connus : Jean-Claude Tardif : « Mes yeux accrochent leurs linges – à l’étendoir du ciel – le crépuscule ravaude ses draps » ; Jean-Paul Hameury : «  Quand l’emprunte les sentiers – de l’île, mon ombre me quitte – et s’en va sur les chemins d’autrefois » ; Angèle Vannier : « Je suis née de la mer et ne le savais plus – Trop de pavots avaient maculé mes pieds nus » ; Yves Elleouët : «  d’accord avec le vent – ils vont en nombre par les routes – travailleurs hagards et malmenés … - je me rassemble autour de mes os » ; et bien sûr Joseph Ponthus : « De quoi rêvent-ils – ceux qui sont aux cuirs – C’est ainsi qu’on appelle ceux qui arrachent les - peaux des bêtes juste après qu’elles aient été tuées ». Proses et nombreuses lectures critiques.

Christian Degoutte (in revue Verso, 2024).

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Ce numéro 57 de la revue Les Hommes sans Épaules, est dédié à Frédéric Tison, poète décédé en novembre 23. Il était lui-aussi un Homme sans Épaules et ce n’est pas peu dire Je me meus dans la marge des livres : c’est moi, le petit visage d’encre qui regarde ailleurs. Un très bel hommage lui est consacré en fin de volume dans la rubrique Les pages des HSE.

Dans son éditorial (qui s’apparente plus à une étude fouillée), Christophe Dauphin nous fait dans l’Éloge de l’Ouest ! le portrait de la Bretagne avec ses forces géopoétiques, historiques et politiques À l’Ouest, les poèmes agissent comme des brûlures, un mouvement incessant les parcourt de bout en bout écrit-il. Le lanceur de flammes est le poète Tristan Corbière j’entendis sa souffrance arpenter le ventre du navire écrit à son propos Jacques Simonomis, suivent Benjamin Péret et André Breton. L’éditorial s’achève sur une présentation de l’artiste Gérard Gwezenneg et de ses secrétions de différentes techniques nées du gravage (ramasser ce que dépose la mer).

Le dossier Les porteurs de feu est consacré à Georges Perros (Linda Lê et Karel Hadek) Il y a un proverbe breton/ Qui dit que la poésie est plus forte / Que les trois choses les plus fortes/ Le mal, le feu et la tempête et Hervé Delabarre (CD)et puis cette voix venue d’ailleurs/qui m’interpelle/je ne suis pas celle que tu crois. Les biographies, très détaillées, et bibliographies, sont suivies de poèmes.  Christophe Dauphin nous avait prévenu dans son éditorial : le constat qui s’impose depuis Corbière, c’est que la Bretagne compte plus de poètes que de mégalithes dans ses rues, ses forêts, ses cimetières.

Ainsi, on se s’étonnera pas de l’extrême richesse de cette anthologie. Le dossier Ainsi furent les WAH 1 accueille huit poètes dont Paul Celan, Colette Wittorski chacun fuit/Les rires se taisent/Le lac se vide ou Jacques Bertin. Chaque biographie est suivie d’une bibliographie et d’un choix de poèmes. Le dossier Poètes bretons pour une baie tellurique accueille pas moins de 32 poètes avec entre autres Saint-Pol-Roux, Max Jacob, Jacques Vaché, Anjela Duval… Louis Guillaume ce déraisonnable sage nous dit CD,  Longtemps la bouteille voyage/qui la trouve ne sait plus lire, Michel Manoll (il dira de René-Guy Cadou Nous nous embrassions par nos noms), Cadou… Armand Robin Éclaboussant mon instant d’herbes en d’autres vies// Les moutons et les bœufs sous leurs pieds roux et mous/me piétinent sourdement, lourdement, me délivrent/ De ces risibles coquelicots que sont mes livres…Guillevic, Pierre-Jakez Hélias, Alain Jégou…

À ce dossier succède les WAH 2, 11 poètes sont donnés à lire dont Charles Akopian…Marie Murski…Paul Sanda, on retrouvera non sans émotion Joseph Pontus.  

Ce cahier littéraire ancré en Bretagne révèle la richesse poétique de cette région. C’est un pan du monde qui est donné à découvrir, l’histoire d’un territoire se fait vibrante, vivante. La pluralité des voix est le signe d’un entêtement lumineux et salutaire : les poètes résistent.  L’Ouest chante et avec lui la poésie.

Il faut remercier Christophe Dauphin pour ce travail rigoureux et abouti, d’une extrême qualité littéraire. Signe d’ouverture aux autres, Les Hommes sans Épaules est une revue indispensable.  

Marie-Christine MASSET (in revue Phoenix n°43, 2025).

 




2009 – À propos du numéro 28

    « Comme toujours, dans ce numéro 28 des HSE, des dossiers très bien ficelés et étonnants (par Fernand Verhesen et Karel Hadek). Celui qui ressort de cette livraison concerne le poète chilien Vicente Huidobro (1893-1948). Il est considéré comme l’un des chefs de file de la poésie latino-américaine contemporaine, au même titre que Pablo Neruda, avec lequel il entretiendra de son vivant une rivalité permanente et exacerbée de sa part. Il a connu une existence assez fracassante où il a mélangé manifestes littéraires et scandales de toutes sortes. Il est assez troublant, comme le pointe Christophe Dauphin, de constater, preuves chronologiques à l’appui, qu’il invente le calligramme trois ans avant Apollinaire, qu’il définit l’image poétique surréaliste avant Pierre Reverdy, et qu’il expérimente le « cadavre exquis » bien avant André Breton et consorts…. Son œuvre principale : Altazor, est comparable aux « Chants de Maldoror ». Vicente Huidobro se révèle un personnage fantasque et tout à fait fascinant. Ce qui laisse le plus perplexe, c’est que sa disparition après-guerre a eu lieu dans le silence le plus total, en France. Les HSE lui rendent un hommage tout à fait mérité. »
    Jacques Morin     (Décharge n°147, septembre 2010).




Lectures

" Quand on feuillette chaque nouveau numéro des Hommes sans Epaules, on ne sait jamais par quoi inaugurer la lecture tant le sommaire est riche et consistant, la crainte étant de retenir certains dossiers et d’en négliger d’autres. Tant pis, courons le risque en retenant d’abord l’hommage à Jacques Lacarrière. Plus de 10 ans après sa disparition, ses écrits sont d’une brûlante actualité. Le souffle que l’on ressent à la lecture de Lacarrière est celui des plus grands poètes c’est-à-dire ceux qui n’ont besoin de personne pour se hisser aux sommets.

En complément, on lira l’important dossier central consacré aux poètes grecs contemporains. Coordonné par Christophe Dauphin, cet impressionnant dossier donne à lire les textes de 10 poètes parmi lesquels le merveilleux Yannis Ritsos, le minutieux Constantin Cavafy ainsi que les deux Prix Nobel que furent Georges Séféris et Odysséus Elytis.

L’Arménie est aussi présente dans ce numéro avec une étonnante suite poétique de Paul Farellier et, du même auteur, une évocation d’Armen Lubin, le poète emblématique de l’Arménie, réfugié en France et décédé en 1974.

Mais la richesse de cette livraison ne s’arrête pas là puisqu’on trouve encore des poèmes de Gisèle Prassinos, des présentations de poètes ainsi que des notes de lectures sur plus de 50 pages. Bref, comme toujours avec cette revue, on tient la preuve vivante qu’il est possible d’associer harmonieusement la qualité des contributions et la quantité d’écrits. "

Georges CATHALO (cf. "Lectures flash" in revue-texture.fr, janvier 2016).

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" Où es-tu Grèce ? je ne sais de toi que ce mot épelé au lointain des lèvres, ce mot de sable et de sillage tout craquelé d'aurore", Jacques Lacarrière. Le quarantième numéro des Hommes sans Epaules, cette revue semestrielle, consacre ses trois cents pages à deux expressions modernes de peuples se rejoignant dans la tragédie humaine et la poésie: le grec et l'arménien. La poésie grecque en particulier, par ses voix du XXe siècle, puisant dans le fond puissant de ses racines. Lumières à travers les tragédies de multiples occupations et résistances, guerres et massacres, voix éprises de liberté, cette liberté que la Grèce antique a apportée au monde, Jacques Laccarière nous y initie, de sa réflexion mais aussi sa voix intime et poétique: "Pour nous, c'était le droit de parler à la nuit, de revendiquer ces portiques où le couchant solarisait chaque émergence de pierre."

La poésie de Claude Michel Cluny rejoint cette voie splendide et antique : "L'orage a lavé les Dieux - de ses seaux tristes - Un insecte s'écrase - odeur d'une sueur - celle de ton passage."

Parmi les textes français présentés dans la revue, on peut souligner celui d'Hervé Sixte-Bourbon, "Le fils de Pasolini", rejoignant l'humanité antique: "Et - Plus loin - Face aux statues - Devant la chute de l'orgueil face au soleil - J'ai senti la racine de tes ongles".

Au coeur du dossier, Jacques Lacarrière reprend la main et introduit : Cavafy, Sikélianos, Séféris, Embirikos, Ritsos, Elytis, Valaoritis, Alexandrou, Christodoulou, Patrikios; voix modernes, magistrales d'une Grèce universelle et résistante. Plusieurs témoignent de ce qui était, il y a un siècle encore, l'héritage d'un peuplement millénaire sur les rives asiatiques de la mer Egée, ou même de la Méditerranée, et dans l'incendie de Smyrne, dernière ville grecque d'Asie, se rejoint la détresse des Grecs et celle des Arméniens massacrés et exilés (lire l'émouvant "Ecrit à l'Ange de Smyrne" que Paul Farellier consacre à cette effroyable tragédie). comme Constantin Cavafy, né à Alexandrie, on regarde alors avec eux vers la patrie intime, celle d'Ulysse: "Ithaque t'a accordé le beau voyage. - Sans elle, tu ne serais jamais parti. - Elle n'a rien d'autre à te donner. - Et si pauvre qu'elle te paraisse, - Ithaque ne t'aura pas trompé. - Sage et riche de tant d'acquis - Tu auras compris ce que signifient les Ithaques." On aimerait citer toutes ces voix, unies par un combat souvent désespéré, éclairé par la soleil comme la poésie de Yannis Ritsos: "Dans ce pays, le soleil nous aide à soulever le poids - De pierre que nous avons toujours sur nos épaules", ou d'Angelos Sikélianos: "En couvrant de vos danses les aires de l'abîme, - A vous, combattants qui défiâtes la mort, - Je dis que près de Vous - Les ténèbres d'En bas sont comme l'ombre - D'un arbre immense sous lequel - Côte-à-côte allongés - Nous avons parlé de la Grèce - Jusqu'à l'heure où vos yeux se fermèrent à ce monde - Ce monde qui croulait sous la lumière - Que vos âmes ont fait moindre".

Des auteurs français qui suivent, on peut retenir le poème de Christophe Dauphin, "Les oracles de l'ouzo", marchant sur le chemin tracé, reprenant actualité et poème de Cavafy avec humour et tristesse mêlés : "Le délire peut alors lancer son cri - les nuques se renversent comme des montagnes - avance Dionysos mes vertèbres mes vocables -... les barbares sont venus aujourd'hui - quelque chose tremble meurt en moi en nous - Quelles lois pouvaient faire les Sénateurs? - Les barbares s'en sont chargés une fois venus - ... Ils ont vendu le Pirée à la criée - Entre deux Metaxas et trois schnaps - avec la banque des Cyclades - Faux-monnayeurs ils ont joué les yeux d'Homère - et le paquebot des Argonautes aux osselets".

Pour conclure un si riche et profond numéro, laissons comme lui la parole à Jacques Lacarrière : " C’est cela qui persiste pour moi dans le mot Grèce : ce premier regard, cette première fissure découverte et maîtrisée (cette porte entrebâillée dans la psyché par où Oedipe aperçoit dans la chambre nuptiale le cadavre pendu de sa mère), cette première lumière insoutenable mais regardée en face, et parfois aveuglante au sens propre du terme."

Olivier MASSE (in revue Diérèse n°67, avril 2016).

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"Les Cahiers Littéraires Les Hommes sans Epaules consacrent leur numéro 40 à "Jacques Lacarrière et les poètes grecs". Christophe Dauphin y signe une préface engagée où les difficultés du présent invitent tout autant à la sympathie qu’à l’empathie, le poète étant en ces occasions leur meilleur interprète. César Birène signe, pour sa part, un portrait de l’auteur de L’Eté grec et de celui qui écrivait pour « dériver de l’homme ancien ». L’errance et l’écriture se rejoignent en un chemin peuplé d’ailleurs, éternel retour à Ithaque. Un choix de poésies de Jacques Lacarrière tirées d’A l’orée du pays fertile permet d’entendre à nouveau cette voix qui ne s’est jamais tue. Ce riche dossier propose également de retrouver celui qui fit tant pour les poètes grecs contemporains en les traduisant, en diffusant leurs écrits engagés à une époque difficile de l’exil et de la répression pour un grand nombre d’entre eux. Cavafy, Sikélianos, Séféris, Elytis et bien d’autres encore ont prêté leur voix à l’un de leur plus grand interprète dans notre langue, et que nous entendons dans cette belle et riche livraison.

Philippe-Emmanuel KRAUTTER (in lexnews.fr, janvier 2016).

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"Dirigés par Christophe Dauphin, ces « cahiers littéraires » paraissent deux fois par an. Le présent numéro offre quatre-vingts pages de poètes grecs, parmi lesquels Cavafy, Séferis, Ritsos, Élytis, avec leurs meilleurs poèmes. Il offre vingt pages de Jacques Lacarrière. On aime relire : « S’alléger de ce qui est trop lourd en soi, s’affranchir de l’excès d’attraction, accéder aux délices, aux délires d’une pure évanescence. » Il offre encore trente pages de et pour Claude Michel Cluny, quinze belles pages de Paul Farellier, dernier grand prix de poésie de la SGDL pour L’Entretien devant la nuit, sur ses ancêtres arméniens, dix pages d’Armen Lubin. En bref, une somme.

La structure est sans défaut, à l’image de la régularité de cette revue papier. Passé l’éditorial, en effet, qui inscrit la générosité foncière de son directeur dans la réalité du monde tel qu’il cahote, on trouve un salut à des disparus, salut toujours éclairé par un choix opéré dans leur œuvre propre. Ce choix est nourri pour une éventuelle découverte (tout le monde est jeune, un jour, avide à tout connaître). Ensuite vient le dossier, ici des poètes grecs, tous et chacun successivement présentés par Lacarrière, un régal. D’autres poètes contemporains de toutes les générations sont ensuite présentés. Frédéric Tison, né en 1972, écrit par exemple : « La flamme dévorait. Je dus la souffler. La nuit vint remercier ma bouche : lorsque son chant entra en moi, ma voix trembla. — Je suis encore ta naissance, me dit l’ombre. » Une telle concision ne tient-elle pas de l’accomplissement ? Le numéro, pour aller vite, s’achève par une cinquantaine de pages de notes de lecture. On pourrait là peut-être émettre une réserve, mais que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre !

Un hommage de Jean Pérol à Cluny, décédé le 11 janvier, trouve place dans ce beau numéro. C’est coruscant. Ouvrir au diariste des dix volumes parus de L’Invention du temps (La Différence) la porte de la postérité est d’une grande justesse, même si la beauté chez Cluny vient de loin. Ainsi, ces lignes des années 1960 me semblent universelles : « Attendre aura été le chant de ma vie. J’ai attendu, enfant, que la vie m’appartienne. Ensuite, j’ai su que nous ne possédions rien. Que rien ni personne ne préservera jamais le peu d’illusion que nous sommes de l’effacement. Ce que nous voyons, ce que nous comprenons, nos mains le mêlent à nos désirs pour l’offrir à d’autres. »

Généreuse, donc, avec un grand empan tant sur le plan éditorial, générationnel que géographique, éclectique sans jamais perdre de vue la qualité poétique, de belle facture de surcroît, la revue Les Hommes sans épaules mérite plus que de l’attention, une franche adhésion. Il est plus que temps de suivre ce qui se fait de mieux, en revue de poésie, aujourd’hui."

Pierre PERRIN (in nonfiction.fr, le quotidien des livres et des idées, 28 décembre 2015).

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"Il arrive à l’auditeur de radio de s’impatienter en écoutant l’énumération des offices de la moindre personnalité : « ainsi donc, vous êtes diplomate, voyageur, claveciniste à ses heures, parapentiste, cuisinier, philosophe, écrivain & j’en passe… »

Mais, concernant Jacques Lacarrière, les dresseurs de liste peineraient à faire le tour de ses multiples talents ; « je suis pléthorique » aimait-il à dire. Comme l’illustre encore cet excellent dossier que Les hommes sans épaules consacrent, dix ans après sa mort, au poète « porteur de feu ».

Sujet en outre bienvenu pour redonner de la Grèce une autre image que celle de mendiant de l’Europe qui prévaut ces temps-ci. Dans l’introduction, citant Lacarrière, Christophe Dauphin rappelle que l’histoire de celle-ci n’a été « qu’une suite de combats pour sa libération, on y retrouve très souvent le poète au milieu même des combattants ».

S’ensuit une biographie économe et directe écrite par César Birène, que complète un florilège extrait du beau recueil paru en 2011 chez Seghers :

La dormeuse

D’après une gravure de Picasso

Tu cueilleras tout aussi bien des fleurs dans le soleil. Tes bras respireraient jusqu’au zénith le feuillage que les forêts soumettent à l’espace. Ne cherche pas à conquérir la pluie que supposent les toits, à chevaucher les fleuves sur des arbres géants. Reflète-toi entre deux ciels et tu connaîtras l’amitié que les astres te portent.

… entre deux ciels, cet usage fluide et tragique à la fois du présent, du futur et du conditionnel.

Mais l’originalité du dossier tient à cette somme (posthume) de Lacarrière sur ses contemporains grecs : un très beau cadeau. Bien sûr, on croise des figures connues comme Ritsos, Seferis et Cavafy, qu’il est toujours intéressant de (re)lire sous la plume du traducteur amical qu’était Lacarrière.

Je m’étendrai d’avantage sur les noms moins connus.

Par un usage tout aussi intéressant du conditionnel, Anghélos Sikélianos, mort en 1954, se tient à cheval sur le profane et le sacré, sur la terre et au sommet où les noms des dieux sont gravés :

Ou j’aurais pu soudain
 Devançant le corbeau des Ténèbres
 Haletant sur mes pas pour s’emparer de moi,
 Rassembler toutes les forces vives
 Et m’élancer au-delà des cercles étroits de l’univers
 Pour chercher dans la nuit
 Mon dur destin de créateur.

Mais aujourd’hui, je Vous le dis,
 Je veux rester à Vos côtés,
 Ne plus Vous perdre un instant
 Car j’ai fait de mon cœur une aire
 Pour que Vous y dansiez.

Telle parole, en ces temps de transhumanisme et d’hybris généralisé, ne peut que consoler le sage !

Voix plus intérieure saisissant des instants, des sensations et des lumières en équilibre précaire, que celle d’Andéas Embirikos, un des premiers freudiens grecs, ami de Yourcenar :

 Accroissement
 Parfois il nous arrive de porter à nos lèvres
 La main d’une lumière aurorale
 Immobiles et bouche scellée
 Dans le silence du paysage
 Avant que la ville bruissante de fontaines
 Ne s’éveille aux cris brutaux jetés dans le soleil
 Par les éboueurs matinaux.

 Nos souffrances ne furent pas inutiles
 Les voici soulevant leurs voiles et révélant
 Leurs bras livides et tuméfiés,
 Les voici s’éployant vers le cœur de la ville
 Relevant un à un les doigts des endormis
 Comme des mages orientaux et gagnant
 Le cortège odoriférant des caïques
 Traçant, tressant au cœur des rues
 Des espaces aussi souverains que les yeux
 D’une femme éperdue de rêve.

 Les notices de Jacques Lacarrière font bien entendu partie du charme de cette publication, elles sont personnelles, tirées des rencontres et des amitiés que ce dernier a cultivées. Un passage consacré à Odysséas Elytis, « le buveur de soleil », en témoignera pour les autres : « Au cours d’un entretien que j’eus avec lui après sa parution, Elytis me confia qu’il avait écrit ce poème pour compenser l’injustice et la non-récompense dont le monde contemporain faisait preuve à l’égard des souffrances de son pays. Le titre, emprunté à un hymne byzantin très célèbre, peut se traduire par Digne ou Loué soit — sous-entendu : ce monde. C’est un hymne à toutes les Grèce, l’ancienne, la byzantine, celle des guerres de l’Indépendance et celle d’aujourd’hui — qui, elle, sortait à peine de l’Occupation et de la guerre civile — ainsi qu’à ses traditions, ses paysages et surtout sa langue ».

J’ai peine à ne pas faire entendre les autres voix : celle d’Aris Alexandrou, le désabusé et de Dimitri Christodoulou tout en « résistance et vigilance ». Terminons ce frustrant tour d’horizon par l’humour de Nanos Valaoritis :

 Ainsi donc nous sommes assiégés
 Et nous le sommes par qui
 Par toi et par moi, par machin-chose
 Nous sommes sans cesse assiégés
 Par les frontières, les douanes, les contrôles de passeports, Interpol, la police militaire, les tanks, le bagout, la bétise, (…)

 Drôle ? Après tout, pas tant que cela.

 Il serait dommage de ne pas signaler, dans ce riche numéro, le dossier que Paul Farrelier consacre au regretté Claude-Michel Cluny. Jean Pérol rend hommage à leur amitié « libre, souple, vive, affectueuse ». Un remarquable florilège montre que le fondateur de la collection « Orphée » fut d’abord un poète :

… Ce matin, est-ce pour susciter quelque regain de courage ? j’ai retourné des travaux anciens, de ceux que je ne me suis pas résigné à vendre. Ce fut pénible. Ce qu’on a laissé au cours des années dormir, face au mur, et que l’on rend au jour, surgit comme d’une tombe. Le leurre des enthousiasmes s’écaille, la vie peinte à fresque sur un mur mangé par le salpêtre. Au vrai, on se déprend tôt de soi."

 
Eric PISTOULEY (cf. "Revue des revues" in www.recoursaupoeme.fr, novembre 2015).

*

«  Ce très beau numéro est consacré à Jacques Lacarrière et à la poésie hellénique. Dans son éditorial, Christophe Dauphin nous rappelle que la Grèce et l’Arménie sont des terres de souffrance et de résistance dans lesquelles la poésie est irriguée par le sang perdu.

Jacques Lacarrière, qui nous a quittés en 2005, « aventurier de l’esprit et l’un des meilleurs connaisseurs du monde antique et de la Méditerranée », rebelle précieux qui s’est toujours efforcé de transmettre ce qui est, témoigne, dans une œuvre multiple, du rayonnement permanent de la Grèce. Les poèmes choisis pour cet hommage sont d’une grande densité, souvent charnus pour mieux souligner l’esprit qui demeure.

 Cinabre

Soleil emprisonné dans les macles du soir,

blessure d’où suinte le mercure,

tu dis l’ultime cri du sang avant qu’il ne se fige

la grande paix des cicatrices et la convalescence de la terre

Nous retrouverons avec grand plaisir dans le dossier l’un des grands auteurs grecs du XXème siècle, grand ami de Nikos Kazantzakis, Anghélos Sikélianos, dont on se rappellera le merveilleux Dithyrambe de la Rose. La poésie grecque des dernières décennies du siècle passé fut particulièrement riche comme en témoigne Jacques Lacarrière : « Je crois qu’il est bon de préciser ici que la Grèce, à l’inverse de la France, n’a jamais connu d’écoles, de mouvements, de chapelles ni de cercles poétiques. Les poètes grecs n’ont jamais manifesté, à quelque génération qu’ils appartiennent, un besoin de communauté littéraire. Très vite, ces poètes nouveaux – ou du moins dont les œuvres opérèrent une évolution sans marquer pour autant de rupture avec les poètes antérieurs – vont faire poésie à part, si je puis dire. Je ne vais pas ici me mettre à dresser l’inventaire de leurs noms ni de leurs oeuvres car à partir de ces années 70, la poésie se caractérise par un foisonnement d’œuvres et de publications, une véritable explosion de revues, une multiplicité de personnalités, d’individualités pour qui la poésie se trouve désormais affranchie de toute sujétion à l’histoire. Je dis bien : à l’histoire mais sans pour autant braver ou brader aussi la mémoire… »

Le choix de poèmes rassemblés dans Les HSE démontre que les Hellènes n’ont pas quitté la Grèce depuis des siècles comme certains l’ont avancé imprudemment en Grèce même. L’essentiel est toujours de revenir en Ithaque comme l’affirme Constantin Cavafy :

Et surtout n’oublies pas Ithaque.

Y parvenir est ton unique but.

Mais ne presse pas ton voyage,

Prolonge-le le plus longtemps possible

Et n’atteins l’île qu’une fois vieux.

Riche de tous les gains de ton voyage,

Tu n’auras plus besoin qu’Ithaque t’enrichisse.

 

Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, novembre 2015).

*

« Christophe Dauphin dans son éditorial des HSE n°40 : « s’agissant de la Grèce ou de l’Arménie, qui commémore le centenaire du génocide, l’histoire de ces deux pays n’est qu’une longue lutte douloureuse contre les envahisseurs » (et Pâques 1916 à Dublin – NDLR). En exergue, « les porteurs de feu » : Jacques Lacarrière (et les poètes grecs) et Claude Michel Cluny. Donc, d’abord un portrait de Lacarrière par César Birène qui cite le poète : « Il n’est de manque véritable que le vide d’un monde privé de poésie » suivi de seize pages de textes. Dont : « Elle [la poésie] est toujours de ce monde puisqu’elle demeure vivante parce que vivace, vivace parce que rebelle ». Plus loin, un très important et passionnant dossier sur Lacarrière et dix poètes grecs contemporains, avec, en plus, un portrait du « peintre du surréel grec », Nikos Engonopoulos.

Le portrait de Claude Michel Cluny est signé Paul Farellier : « L’œuvre poétique de Claude Michel Cluny frappe tout d’abord par son intense beauté, beauté du sens poétique et de l’image, bien sûr, mais en même temps beauté française de la langue ». Suivent dix-neuf pages de textes et des inédits du poète Jean Pérol. Un détour chez « les Wah » avec six poètes : K. Dimoula, F. Y. Caroutch, D. Abel, H. Sixte-Bourbon, F. Tison, Ch. Guinard.

Paul Farellier, avec Ecrit à l’ange de Smyrne nous entraîne dans les « Inédits des HSE » avant de nous présenter l’œuvre de Chahnour Kerestedjian Armen Lubin (surtout des textes).

Avec la rubrique Dans les cheveux d’Aoûn, nous sommes entraînés dans l’univers de quatre créateurs, poètes et peintres : Alain Breton, Gwen Garnier-Deguy, Hélène Durdilly et J.-Gabriel Jonin. Les textes de quatre poètes précèdent une vingtaine de pages consacrées à des notes de lecture.

En somme, comme d’habitude, une revue dense et passionnante. »

Alain LACOUCHIE (in revue Friches n°121, juillet 2016).




2010 – À propos du numéro 29/30

    « Quelle importance si ma roue persévère - Seule et tournant sans fin sa propre fusion - Mon secret plus secret pour moi que pour les autres. - Mon âtre est ailleurs, (p. 165). Ce numéro spécial 29/30 des Hommes sans Épaules est constitué par un gros dossier « Henri Rode, l’émotivisme à la bouche d’orties », avec des essais de Christophe Dauphin et Lionel Lathuille et un important choix de poèmes d’Henri Rode (1917-2004 – voir fiche Wikipédia). »
    Florence Trocmé (Site internet Poézibao, 6 février 2011).

    « Ce numéro 29/30 des Hommes sans Épaules, est un numéro spécial entièrement consacré à Henri Rode, poète "émotiviste" hors du commun à découvrir ou redécouvrir. »
    Lucien Aguié (site d’ARPO, février 2011).

    « Ce numéro 29/30 des Hommes sans Épaules est un numéro spécial consacré entièrement à Henri Rode (1917-2004). Christophe Dauphin le préface deux fois. La première en reprise pour un recueil de 94 : Pandémonium. La seconde beaucoup plus étoffée pour l’œuvre entière (dont une partie reste inédite). Ce qu’on peut retenir sur cette forte étude : L’importance de la ville d’Avignon où le poète vit le jour, une œuvre d’abord romanesque avec des personnages très inspirés par sa famille proche, puis de résistance durant la seconde guerre mondiale, sous la tutelle de Marcel Jouhandeau avant de trouver toute sa puissance dans la poésie, et la rencontre entre autres assez pittoresque d’Aragon, racontée deux fois, avec des extraits toujours passionnants tirés de son Journal impubliable. Il se spécialise dans les chroniques cinématographiques et se rapproche du groupe HSE qui lance en 53 un « Appel aux riverains » et l’on voit toute la filiation que ce mot a pu avoir pour Christophe Dauphin. Celui-ci dresse une parenté pour Henri Rode entre Lautréamont hier et Cioran aujourd’hui. C’est en 80 que le poète publie son œuvre majeure : Mortsexe qui est donnée à la suite de cette analyse fine et complète. (Dessins de Lionel Lathuille). Je crois que j’aime le sexe parce qu’avec la mort il est l’extrême… Oublier que l’orgasme est le meilleur du vivre. Toutes les formes sont déclinées : du poème à l’aphorisme, du récit à l’article, Henri Rode brillait de tous ses feux quel que soit l’enjeu littéraire. Un poète important à découvrir grâce à ce fort volume de 300 pages. »
    Jacques Morin     (Site internet de la revue Décharge, 16 février 2011)

    « Plusieurs tendances, actuellement, se font jour : « la poésie du quotidien », « la poésie émotiviste » marquée par la parution récente d’une Anthologie émotiviste publiée par Christophe Dauphin au Nouvel Athanor, « la poésie engagée » et la poésie néo-classique »… En règle générale, la poésie contemporaine œuvre à hauteur d’homme. Elle témoigne de l’homme et de ses destins difficiles. Certains le font en haut d’une tour, d’autres au fond d’une cave mais, toujours, c’est de l’homme dont il s’agit. En tout cas bien plus de l’homme que des dieux. Certaines revues appuient cette recherche vers le bas ou vers le haut. Elles offrent une chance dans leur diversité : Verso d’Alain Wexler, Diérèse de daniel martinez, Comme en poésie de Jean-Pierre Lesieur, Les Hommes sans Épaules de Christophe Dauphin et Les Cahiers du Sens de Jean-Luc Maxence. »
    Michel Héroult (À L’Index n°19, 2011)

    «  Le numéro 29/30 des HSE, la revue de Christophe Dauphin, est consacré intégralement au poète avignonnais Henri Rode (1917-2004), romancier, journaliste, critique cinématographique (il a publié une biobibliographie d’Alain Delon), poète (la poésie, toujours présente, prendra le pas sur le roman dès sa rencontre avec Jean Breton et d’autres jeunes poètes, fondateurs et animateurs de la revue Les Hommes sans Épaules, à laquelle il collaborera dès sa création en 1953). Christophe Dauphin tisse un long (90 pages), passionné et passionnant portrait de ce poète, touchant au plus juste de ses doutes, engagements, positions, amitiés (Aragon, Nimier, Jouhandeau, ...), douleurs, etc. De larges extraits ponctuent ce portrait inspiré, qui est aussi partiellement celui d’une aventure, celle des HSE. Suivent près de 200 pages de textes, poèmes inédits, extraits du Journal impubliable (La mort, ce dernier rire du sperme), larges extraits de Mortsexe (1980), « son chef-d’œuvre aux déjections d’une violence inouïe », (Patrice Delbourg). Une vingtaine de dessins de Lionel Lathuille ponctuent, en parfaite adéquation, ces pages brûlantes, douloureuses, lucides, qu’il est temps de (re)découvrir. »
    Jacques Fournier (« Ecoute é Notes », 13 avril 2011).

    « Il y avait bien longtemps que je n’avais plus de vrais contacts vivants avec mes amis surréalistes, sauf quelques exceptions, dont les HSE, revue animée par Christophe Dauphin, dont la fidélité sans failles rend un hommage imposant à Henri Rode dans le numéro 29/30 avec un sous-titre particulièrement clair : « l’émotivisme à la bouche d’orties », soit les amitiés d’émotion où je retrouve par exemple Frans Masereel et Henri Michaux. De quoi faire ou refaire connaissance avec la plus grande liberté d’écriture et de graphismes. Surréalisme encore, mais tragiquement, que cette existence qui me fait penser à Desnos ou Crevel pour la passion d’écrire, mais qui a duré 87 ans sans la moindre baisse de niveau. Triste qu’il ne soit pas plus connu, alors que Dauphin évoque pour la « Bouches d’orties », le Piranèse que j’avais trouvé chez Marcel Mariën au temps du « Miroir d’Elisabeth ». Il s’est défini ainsi : « La seule poésie qui me paraisse valable aujourd’hui est celle qui échappe, tel un monstrueux lapsus, à la culture et à la direction de celui qui l’écrit. »
    Paul Van Melle (Inédit Nouveau n°250, mai/juin 2011).

    « 306 pages, achevées d’imprimer début 2011, pour célébrer le poète et critique Henri Rode, trop oublié par un siècle superficiel. L’article inaugural de Christophe Dauphin et les suivants sont primordiaux, d’ailleurs, pour mieux comprendre la place de grande importance occupée à partir de 1953 à Avignon par Henri Rode (1917-2004). Certes, ce n°29/30 de l’excellente revue Les Hommes sans Épaules, restitue avec pertinence « l’émotivisme à la bouche d’orties » de Rode, dans son temps, mais il étonne surtout par ses poèmes proposés ici, inédits y compris… Certes, Henri Rode n’est pas un poète pour jeunes filles à l’âme légère, il se situe entre Lautréamont et Jean Cocteau, souvent, il tourne le dos à l’insignifiance, il est davantage « bouches d’orties » que « bouche d’ombre ». Il n’empêche, ce décryptage de son œuvre est une réussite rare qui a « son poids de féérie.
    Jean-Luc Maxence (Le Cerf-volant n°224, 2011).




Lectures :

Les Hommes sans Épaules, numéro 58 : Daniel Varoujan. Quand on reçoit un numéro des HSE, plus que pour bien des revues, il faut se précipiter sur l’éditorial de Christophe Dauphin. Il donne le ton et l’esprit aux cahiers qui suivent en dessinant un pays où s’entrelacent le mémoriel, l’histoire, le politique, les coups de gueule et les bourrades chaleureuses. Un peu comme un marin qui après un long périple revient au bar du pays et vous parle de « là-bas ».

Celui du numéro 58 est parmi les plus émouvants que j’ai lus. Il dit s’inspirer d’un manuscrit inédit (j’espère pas trop longtemps) qui nous fait partir de son village natal où prit racine sa relation avec l’Arménie par l’intermédiaire d’un ami, Raphaël Thorossov, mort en 1998, à 101 ans : « Du fond de mon enfance, je te revois Raphaël. Tu déambulais dans le village coiffé de ta légendaire toque noir et vêtu de ton manteau en astrakan […] Tu me parlais, de là-bas… Ce pays que tu avais quitté, non sans avoir emporté dans un bocal de généreux grammes de terre. “Elle partira avec moi” me disais-tu. ».

Des noms surgissent, connus ou méconnus (j’y apprends les racines arméniennes de Paul Farellier, ce qu’ami aveugle je n’avais pas relevées), des rencontres, des titres de recueils, des pages d’histoire arménienne, avec ses crimes, pillages, massacres d’hommes, femmes et enfants jusqu’à ce « génocide de 1915 », et qui fut suivi de deux guerres récentes, puis encore celle de 2020… Et pourtant le pays dont il nous parle brille d’une lumière inégalable, avec ses jardins, son architecture, sa musique car ce pays est d’abord celui apparu par un lien d’amitié : « Que d’histoire de sang et de liens fraternels avec l’Arménie dans le mouchoir de nuages de notre bourg haut-normand ! »

Après cet édito, le cahier Ainsi furent les Wah I ouvre ses pages aux auteurs ayant mentionné l’Arménie durant cette période, dont Quillard, Max Jacob, Hikmet, Mandelstam et Grossman avec son inoubliable carnet de voyage, Que la paix soit avec vous. S’y joignent des poètes arméniens, dont le plus ancien, dont on garde trace s’appelle Grégoire de Narek (940‑1000), avec ce poème « Toi qui prends soin des âmes », Siamanto, Lubin, pour donner des noms que je connais un peu. C’est une nouvelle occasion de signaler la qualité des notices biographiques de la revue qui en fait un incontournable de toute bibliothèque résolue et ambitieuse.

Quelques vers arméniens résonnent encore à mon oreille : « Nous voici, nous arrivons, nous sommes la malédiction / La lance rusée enfoncée dans l’obscurité » (Sévak). « Notre génération a plus d’amis dans l’autre monde que celui-ci » (Kostan Zarian). Je fais connaissance avec ce poème d’Armen Lubin « N’ayant plus de maison ni logis / Plus de chambre où me mettre / Je me suis fabriqué une fenêtre / Sans rien autour. »

Ensuite s’ouvre le dossier sur Daniel Varoujan qui tisse à maille serrée la biographie du poète et la tragédie du génocide durant laquelle le poète avec trois compagnons fut attaché à un arbre et lardé à mort de coups de couteau. En regard de ces pages si douloureuses représentées par l’emblématique poème « Terre rouge », me frappe cette vague de grands poèmes épiques et fraternels qui compte (au moins) Varoujan, Hikmet. Ils nous racontent l’histoire de héros éponymes de leur pays, chantent leur peuple et leurs paysages, visant ainsi, comme l’écrit Dauphin en parlant de Varoujan, à réconcilier « le mythe héroïque et le réel ».

Suit le cahier Ainsi furent les Wah II où je découvre deux poèmes de Manouchian (j’ignorai qu’il était poète) dont ces quatre vers : « J’ai pris la sinueuse allée du village ; / — Mon soleil sur les épaules comme un abricot, / À mes lèvres tremblantes un vieux chant de laboureur -, Je pars livrer mon cœur au cœur des montagnes. » C’est beau comme du Whitman.

D’autres auteurs se succèdent. Les lisant, je ne fais plus la distinction entre les poètes arméniens ou autres, les biographies s’entremêlent, avec, omniprésentes, les pages sombres de l’histoire universelle du XXe siècle, que pourtant traversent de nouveaux poèmes, telles un Nil aux eaux félines traversant les sables du désert. Quelques noms et vers lus et médités : Verdet et son Anthologie des poèmes de Buchenwald, Mélik, Bonnefoy évoquant l’Arménie et nous confiant cette définition de la poésie : « C’est tenter de rendre aux mots la pleine mémoire de ce qu’ils nomment » ; Sévak, Kertész et encore Buchenwald ; puis de grandes et belles pages sur le poète et traducteur Godel ; l’article sur la géopoésie de Chaliand, arpenteur du monde et de ses luttes qui nous dépose un conseil de vie : « Il faut conserver son esprit critique, ne jamais se laisser duper par notre propre propagande, et faire preuve de détermination, toujours… ». Je m’attarde, distrait sur ses vers biographiques : « J’ai fait plus de quinze métiers / au gré des pays et du vent / Je gravis le toit du ciel / avec ma chevelure de nuage / et mon cœur coule par la nuit des villes » ; Mahmoud Darwich apparaît en nous offrant trois poèmes de pleine humanité : « Dépose ici et maintenant la tombe que tu portes / et donne à ta vie une autre chance / de restaurer le récit » ; ou encore Gérard Mordillat, dont j’ignorais le versant poétique de son œuvre ; Akopian, poète engagé pendant quarante ans auprès du Secours populaire ; l’étonnante Krikorian, « l’arménienne de Téhéran » ; le poète Rugamba et, avec lui, le génocide des Tutsi, et ce texte « Kaddish pour l’Afrique » ; puis des poètes plus proches, des amis ou des poètes à rencontrer : Caroutch, Brissiaud, Dauphin lui-même, Tison, le neurochirurgien et poète de Besançon Laurent Thinès, Tavera, Marie Bouchez (« Les toits vaguent sur notre âme / Mais c’est sur nos mémoires que le soleil se couche »), etc.

Et pour finir, avant le généreux cahier de recension, une dernière figure vient nous saluer : Kamel Bencheikh, et avec lui, la « décennie noire » de l’Algérie que surmonte une poésie invaincue (« je n’existe plus que pour la mémoire lapidée qui m’assaille ») Un numéro des HSE à vivre comme une prière universelle de la poésie.

Pierrick DE CHERMONT (cf. Revue des revues, in recoursaupoeme.fr, 6 mars 2025).

*

Les Hommes sans Épaules sont des cahiers littéraires semestriels fondés par le poète Jean Breton en 1953. Le nom de la revue provient du roman préhistorique de J.-H. Rosny aîné, Le Félin géant (1918). Cet opus n° 58 présente un dossier sur « Daniel Varoujan et le poème de l’Arménie », préparé par Christophe Dauphin, qui dirige un comité de rédaction de cinq personnes.

C’est par la rencontre avec Raphaël Thorossov, son vieil ami, que Christophe Dauphin, citoyen de la république d’Artsakh (il possède un passeport depuis 1991) est devenu arménophile. Raphaël a été l’ami de Siamanto et Missak Manouchian.

Par le biais de la poésie et ses poètes, l’ouvrage évoque le Génocide des Arméniens, ceux des Grecs pon[1]tiques et des Assyro-Chaldéens. C’est ainsi que l’on peut lire Grégoire de Narek, Nahabed Koutchak, Sayat Nova, Siamanto, Rouben Sévak, Kostan Zarian, Eghiché Tcharents, Armen Lubin, Vahé Godel (traducteur de la plupart des poèmes), Parouïr Sévak et Violette Krikorian.

Une longue biographie précède quelques poèmes de Daniel Varoujan (“J’ai là, sur ma table, dans une coupe, un peu de terre d’Arménie. L’ami qui m’en a fait cadeau croyait m’offrir son cœur – bien loin de se douter qu’il me donnait en même temps celui de ses aïeux”).

Sont évoqués également Gérard Chaliand et Charles Akopian. Quant aux arménophiles, on trouve Pierre Quillard, cheville ouvrière du journal Pro Armenia. « Les Alliés sont en Arménie », est un long poème de Max Jacob, publié en 1916. Nazim Hikmet, Yves Bonnefoy, Ossip Mandelstam, Vassili Grossman, abordent eux aussi la tragédie arménienne.

Au fil des pages, on trouve des illustrations de Léon Tutundjian, Arshile Gorky, David Erevantsi, Ervand Kotchar…

Un livre riche qui foisonne d’informations, fait office parfois de livre d’histoire et fournit, outre les titres d’ouvrages des écrivains, d’autres titres pour ceux qui veulent approfondir leurs connaissances.

Zmrouthe AUBOZIAN (in France Arménie n°528, avril 2025).

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Les Hommes sans Épaules consacrent ce numéro 58 à Daniel Varoujan & le poème de l’Arménie. Au cœur de ce numéro nous trouvons le génocide des Arméniens au siècle dernier, qui n’est toujours pas reconnu par nombre d’Etats, mais aussi d’autres drames, d’autres grandeurs.

Partant de son village natal et d’une expérience personnelle, Christophe Dauphin retrace le parcours de ce peuple Arménien, combattant de la liberté et victime tant de l’indifférence que des dérives autoritaires.

Nous découvrons des poètes exceptionnels, des êtres engagés, des écrits inattendus et révélateurs qui nous parlent non seulement de l’Arménie, de ses épreuves, de ses richesses, mais de la nature humaine dans ses horreurs, ses tristes banalités comme dans ses expressions les plus sublimes. C’est toute la culture et la spiritualité arménienne en ses multiples prolongements qui s’inscrit dans les mots de ces poètes, tous survivants, tous exilés, sauf peut-être d’eux-mêmes. Ce n’est pas seulement une poésie de l’exil ou de la tragédie, ou des tragédies avant la tragédie, nous y découvrons un sens aigu du politique, une sagesse, une métaphysique, un plan pour le futur.

 

Extrait de Terre Rouge :

 

J’ai là, sur ma table, dans une coupe,

un peu de terre d’Arménie.

L’ami qui m’en a fait cadeau croyait

m’offrir son cœur – bien loin de se douter

qu’il me donnait en même temps celui

de ses aïeux.

Je n’en puis détacher mes yeux –

– comme s’ils y prenaient racine…

 

Terre rouge. Je m’interroge :

d’où tient-elle cette rougeur ?

Mais s’abreuvant tout ensemble de vie

et de soleil, épongeant toutes les blessures,

pouvait-elle ne pas rougir ?

Couleur de sang me dis-je,

terre rouge, bien sûr, car elle est arménienne !

peut-être y frémissent encore des vestiges

de brasiers millénaires,

les fulgurances des sabots

qui naguère couvrirent d’ardente poussière

les armées d’Arménie…

Y subsiste peut-être un peu de la semence

qui me donna la vie, un reflet de l’aurore

à laquelle je dois ce regard sombre,

ce cœur qui hante un feu surgi

des sources même de l’Euphrate

ce cœur couvrant l’amour non moins que la révolte…

 

Ce numéro 58 est particulièrement important, il nous entraîne au cœur de l’âme arménienne mais il retrace aussi l’histoire d’un peuple qui nous définit tous.

 

Rémi BOYER (in lettreducrocodile.over-blog.net, 29 octobre 2024).

*

On ne peut qu’être admiratif devant la prodigieuse puissance de travail de Christophe Dauphin ainsi que par sa parfaite connaissance des poésies du monde entier. Le focus est ici placé sur l’Arménie grâce à des documents et des écrits poétiques rares et très émouvants. Avec 324 pages de lectures enrichissantes,  les HSE s’affirment encore un peu plus dans le vivier de la poésie actuelle.

Georges CATHALO (in terreaciel.net, janvier 2025).

*

« On croit « tout » savoir à propos des horreurs qui ont fait le XXe siècle, mais à chaque fois on en découvre de plus affreuses encore. C’est ce qui nous arrive en lisant le n°58 de Les Hommes sans Épaules consacré à l’Arménie.

Ici, je ne vais vous parler que des poètes qui composent ce numéro (piloté par Christophe Dauphin qui présente chaque auteur en détail), des poètes des premiers âges : Grégoire de Narek (vers l’an mille) : « Toi qui prends soin des âmes / souffrantes, mutilés / à présent je T’implore / me voici gémissant // Veille à ne pas accroître ma souffrance… » Nahabed Koutchak (16èmesiècle), Sayat-Nova (18èmesiècle), aux poètes du 20èmesiècle, dont le plus remarquable à mes yeux est Armen Lubin (1903-1973) : « Ça sent l’aubergine et le piment farci / Ça sent la cuisine orientale et le phono turc / Sur le palier une petite main mendie… / … Dans cet hôtel plein d’Arméniens sortis on ne sait d’où / D’Arméniens sortis… mettons des massacres // Monta d’abord le socialiste baron Kissikian / tourneur chez Citroën… »

Il y a bien sûr Missak Manouchian « Tourmenté comme le forçat, persécuté comme l’esclave – J’ai grandi sous le fouet du mépris et de la privation /A me battre contre la mort, aspirant à la vie / J’ai été attentif à chaque enchantement » et Daniel Varoujan (un fort dossier) : « J’ai sur ma table dans une coupe / un peu de terre d’Arménie… »

D’autres poètes présents dans ce numéro sont des amis du peuple arménien (Max Jacob, Yves Bonnefoy) ou les enfants, nés en Europe de l’Ouest, d’exilés arméniens : Vahé Godel, Gérard Chaliand : « Et nous avons fatigué le désert de nos pas / portés par l’espoir de la mer / La terre, taureau funèbre dont le souffle desséchait nos corps / longue retraite / où nous n’avons rêvé que de retour natal… »

Et encore Francesca Yvonne Caroutch : « Le ciel est plein de mains coupées / et els fossiles du sommeil / oscillent sur des socles d’ombre… / … Tu cries comme une graine folle / oubliée dans un fau d’argile » ; et la relève virulente de la poésie arménienne, Violette Krikorian (née en 1960), « Prière de femme », : Donne-moi aujourd’hui ma beauté quotidienne / délivre mes yeux des travaux / d’aiguille et des lunettes / délivre ma langue de ma bouche / délivre ma bouche de la langue de bois / délivre mes mains, mes jambes, tout mon corps… » Encore plein de trucs dans ce numéro. »

Christian DEGOUTTE (in revue Verso n°200, mars 2025).




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