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Critiques :
« Comme d’habitude, avec les HSE, tout le monde est sûr d’en avoir pour son argent. En effet, en plus de 300 pages bien garnies, l’on y trouve de quoi alimenter sa faim et sa soif de bonne poésie. Avec un découpage en 5 ou 6 volets, cette revue allie rigueur et cohérence.
L’on va de découverte (la poésie brésilienne) en redécouverte (Philip Lamantia ou Breyten Breytenbach) et de surprise (Thomas Demoulin) en confirmation (Frédéric Tison).
Mais cette première approche d’un sommaire étourdissant nous semble injuste envers tous les auteurs et auteures qu’il faudrait évoquer. Gardons-nous d’oublier l’émouvante présentation de Madeleine Riffaud.
À plus de 95 ans, elle a impressionné Christophe Dauphin lors de ce qui fut sans doute son dernier entretien qu’elle concluait ainsi : « Les jeunes doivent recouvrer l’espoir, rien n’est écrit d’avance. » Ces mots prennent une sacrée résonnance avec l’actuelle pandémie mondiale. »
Georges CATHALO (cf. « Intercalaires » n°5 in dechargelarevue.com, avril 2020).
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Le numéro de printemps des Hommes sans Épaules rappelle les angoisses et les urgences du monde contemporain, la nécessité de penser le réel avec les poètes, affirmant le rôle central de leur travail dans les liens que nous inventons avec notre environnement, une manière de résistance positive et dynamique, porté par la manière d’aborder l’état poétique que propose René Depestre dans son introduction, témoignage entremêlé de manifeste et d’autobiographie. Il y affirme que « l’état poétique est le seul promontoire connu d’où par n’importe quel temps du jour ou de la nuit l’on découvre à l’œil nu la côte nord de la tendresse », qu’il « s’épanouit à des années-lumière des états de siège et d’alerte ».
On entre dans le vif d’une disposition poétique face aux désordres du monde, aux inquiétudes qui nous accablent. On se place du côté d’une poésie qui dit la vie, y agit, y existe. Depestre écrit, avec un lyrisme assumé, qu’est « rageusement poète l’homme ou la femme que consume la passion de déplacer sans cesse les bornes que l’on impose à la parole, qui se tient debout, sans un mouvement, au milieu des éléments déchaînés, de la terre : ni l’électricité du ciel, ni celle de l’ordre social ne peuvent brûler les ailes de l’être en état de poésie avec le monde ! » La poésie se doit d’être dans le monde, d’y prendre part, de résister à l’état ambiant des sociétés contemporaines.

Mário de Andrade par Lasar Segall, 1927
Le poète dit le monde, y intervient, y fait naître une langue. C’est cette inscription dans le réel, dans l’histoire, dans un état du langage qui se déploie dans tout ce numéro des Hommes sans Épaules. En proposant un impressionnant dossier sur les poètes brésiliens, son équipe s’emploie à raconter une histoire – esthétique, politique, nationale… – et à faire entendre des voix méconnues. Il s’inscrit dans une perspective ouvertement politique et militante (à l’instar du numéro consacré au Chili), comme pour réagir à la situation de ce pays dont la situation sociale, la démagogie du pouvoir, le basculement vers une droite fascisante et brutale. Ouvert par une rencontre avec Dilma Rousseff, l’ancienne présidente et proche de Lula, le dossier raconte un siècle de poésie, y pose des jalons, des étapes. On traverse un immense panorama langagier. On perçoit bien les ruptures successives qui, du modernisme (lire le très bon numéro 599 d’Europe de 1979) porté par Mário de Andrade, Paulo Menotti del Picchia et Oswald de Andrade jusqu’aux mouvements du début du XXIe siècle, en passant par les postmodernistes et la Génération 45, font évoluer une poésie qui lutte avec sa propre langue et ses héritages compliqués.

Tarsila do Amaral (détail)
Ce panorama synthétique très clair permet d’avoir une vision globale du paysage poétique brésilien, qui s’enrichit d’une réflexion sur les relations entre les mondes franco- et lusophones. René Depestre raconte sa découverte d’une littérature et de grands écrivains. Il confie ses rencontres avec Jorge Amado, la révélation de « l’œuvre cathédrale » de Guimaraes Rosa (dont il faut absolument lire Diadorim et Mon oncle le jaguar), les connivences avec les démarches des écrivains antillais (on pense beaucoup à Glissant bien sûr) et replace ces lectures dans les mouvements esthétiques qui bouleversent le continent sud-américain. Dans ce numéro, en découvrant les travaux photographiques de Sebastião Salgado ou les œuvres d’artistes musicaux, on reconnaît des liens insoupçonnés entre nos espaces culturels. Mais surtout on y lit des poètes récents, dans la traditionnelle anthologie poétique (avec beaucoup d’inédits) que proposent Oleg Almeida et Philippe Monneveux. On lira ainsi des poètes majeurs depuis les deux Andrade jusqu’à Antonio Miranda, en passant par Hilda Hist, y entendant à la fois une diversité formelle et des urgences communes. Lire ce dossier très complet fait découvrir des voix, des positions esthétiques, des figures essentielles, une communauté de poètes qui luttent « pour établir un langage propre cherchant à intégrer les traditions indigènes, africaines et européennes. »
Ce 49e numéro des Hommes sans Épaules met en avant deux autres poètes qui eux aussi luttent avec le réel par les moyens de la poésie. D’un côté on redécouvre le poète surréaliste américain très attachant, Philip Lamantia, qu’André Breton mettait en avant en 1943 dans la revue VVV, proche du groupe de Chicago, dont on pourra lire plusieurs inédits traduits Cédric Barnaud. Ainsi :
Les gens marchent comme dans un rêve éveillé
Et travaillent dans un ordre terrifiant
Sous le chaos que leur corps rejette

Breyten Breytenbach en 1983, par Rob Croes
Quels échos avec notre situation stupéfiante de confinés ! Notre place dans le monde est inévidente, nous rappellent ces poèmes. On déambule dans le réel, en quête d’une place, d’un terrain, d’une perspective. Ainsi on pourra retenir, c’est une excellente chose, les poèmes du grand écrivain sud-africain quelque peu éclipsé, Breyten Breytenbach. Engagé aux côté de l’ANC, il lance le mouvement clandestin Okhela – le manifeste paraîtra dans Les Temps Modernes en 1984–, s’exile, lutte. Son œuvre, écrite en afrikaans et en anglais, exprime comme aucune la fragmentation d’une société et d’une culture qui, comme au Brésil, travaille sa propre histoire, ses propres mélanges. Il le rappelle bien lorsqu’il dit que « ce que l’on véhicule à travers les poèmes est très intime, de l’ordre de l’exorcisme, de l’incantation ». N’est-ce pas ce à quoi il faut penser aujourd’hui, à la manière dont le poème, les poètes, nous font repenser notre place, nos héritages, nos liens politiques et esthétiques, la manière dont ils nous offrent une épaisseur existentielle, un état poétique vital ?
Hugo PRADELLE (in "Au fil des livraisons", www.entrevues.org, 6 mai 2020).
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La revue semestrielle est si copieuse (354 p. !) que c’est toujours un crève-cœur de ne pouvoir en présenter que quelques aspects.
Présenté par Philippe Monneveux et Oleg Almeida, le principal dossier fait un état des lieux exhaustif de la poésie brésilienne, largement méconnue, pendant la période qui va « des modernistes à nos jours ». On y découvre comment la poésie brésilienne, après avoir rompu avec les influences académiques du Portugal et d’Europe, a renoué avec ses origines africaines et intégré les traditions ancestrales de ses peuples autochtones. Elle est aujourd’hui plurielle et comprend de plus en plus de voix féminines.
Le poète carabéen René Depestre évoque sa découverte du Brésil. Sebastião Salgado rappelle l’importance de l’Amazonie pour notre survie. Christophe Dauphin, par l’évocation de Dilma Rousseff, présidente du Brésil de 2011 à 2016, apporte des éléments sur la situation politique présente. Des textes de 34 poètes traduits du portugais par Oleg Almeida illustrent ce dossier.
Marie-Josée Christien (revue Spered Gouez / l'esprit sauvage n°26, 2020).
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Et la porte est verrouillée – J’ai les menottes dans le dos… – Ils sont dehors mes frères de guerre – dans le soleil et dans le vent – Et si je pleure – je pleure souvent – C’est qu’ici je ne puis rien faire : Madeleine Riffaud, pour ouvrir la note concernant le n°49 des Hommes sans Épaules. Un numéro tout de révolte et de résistance. Madeleine Riffaud est une sacrée bonne femme : dans l’action armée dès 1944 sous le pseudonyme de Rainer en hommage à Rainer Maria Rilke, emprisonnée, torturée ; journaliste, elle couvre la guerre d’Indochine ; elle milite contre la guerre d’Algérie.
C’est aussi sous cet angle, révolte et résistance, qu’est placé le dossier Poésie brésilienne (270 pages, piloté par Philippe Monneveux et Oleg Almeida). Il s’ouvre avec un entretien très politique de Christophe Dauphin avec Dilma Roussef, amie de Lula, Présidente du Brésil destituée lors d’un procès « truquée » par l’actuel Bolsonaro. Suivent les textes militants du photographe Sebastiao Salgado (la destruction de l’Amazonie), et de l’haïtien René Depestre (la fraternité Caraïbe). La poésie brésilienne est jeune. Elle est née contemporaine (avant, elle est coloniale), moderne (moderniste). La partie anthologique regroupe 34 poètes contemporains. Elle est généreuse et forcément aussi diverse qu’est le peuple du Brésil : Vinicius de Moraes : Ma patrie est comme si elle était de nulle part – une grâce intime, une envie de pleurer, un enfant endormi – c’est ainsi qu’elle est ma patrie… - Je sais qu’elle est cette lumière et ce sel et amers… Cecilia Mireles : Je chante puisque l’instant existe – puisque la vie est complète – Je ne suis ni joyeux ni triste – Je suis poète… - Je ne sais qu’une chose : en chantant – je fais perdurer mon transport…
Dans ce numéro 49 des Hommes sans Épaules encore : les présentations et des poèmes de Philip Lamantia, Breyten Breytenbach, des poèmes de Philippe Monneveux, Alain Breton, Christophe Dauphin… et le soutien du même Christophe Dauphin aux Gilets Jaunes.
Christian DEGOUTTE (in revue Verso n°181, 2020).
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La revue Les Hommes sans Épaules est si copieuse (354 pages, pour ce numéro 49 !), que c’est toujours un crève-cœur de ne pouvoir en présenter que quelques aspects. Présenté par Philippe Monneveux et Oleg Almeida, le principal dossier fait un état des lieux exhaustif de la poésie brésilienne, largement méconnue, pendant la période qui va « des modernistes à nos jours ». On y découvre comment la poésie brésilienne, après avoir rompu avec les influences académiques du Portugal et d’Europe, a renoué avec ses origines africaines et intégré les traditions ancestrales de ses peuples autochtones. Elle est aujourd’hui plurielle et comprend de plus en plus de voix féminines.
Le poète caraïbéen René Depestre évoque sa découverte du Brésil. Sebastiao Salgado rappelle l’importance de l’Amazonie pour notre survie. Christophe Dauphin, par l’évocation de Dilma Rousseff, présidente du Brésil de 2011 à 2016, apporte des éléments sur la situation politique présente. Des textes de 34 poètes traduits du portugais par Oleg Almeida illustrent ce dossier.
Marie-Josée CHRISTIEN (in revue Spered Gouez n°26, novembre 2020).
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Après un bel éditorial dû au lyrisme de René Depestre : "Est rageusement poète l'homme ou la femme que consume la la passion de déplacer sans cesse les bornes que l'on impose à la parole". Ce numéro 49 des HSE tient parole en déplaçant les bornes. Quelles richesses et découvertes dans ces 354 pages, où études et poèmes se conjuguent. Philip Lamantia et Breyten Breytenbach, Madeleine Riffaud.... Aurélie Delcros, ... Thomas Demoulin...
Puis vient l'important dossier consacré à la poésie brésilienne, des modernistes à nos jours. photos, essais, témoignages et, bien sûr, une anthologie: "Je chante puisque l'instant existe - puisque ma vie est complète. - Je ne suis ni joyeuse ni triste : - Je suis poète", écrit Cécilia Meireles. Des chants aux rythmes variés que l'on goûte avec plaisir.
Suivent des poèmes, des critiques, des nouvelles de la poésie, hommages aux disaprus ou joies du travail en équipe, en compagnie du maître d'oeuvre Christophe Dauphin.Un riche volume à ranger dans sa bibliothèque, pour y revenir!
Philippe MATHY (in Le Journal des poètes n°1, 2021, 90e année, Namur, Belgique).
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2014 - A propos du numéro 38
"Cette nouvelle livraison de la superbe revue, Les Hommes sans Epaules, fondée par Jean Breton et dirigée par Christophe Dauphin consacre son dossier à Roger Kowalski (1934-1975) qui voua sa vie à la Poésie. François Montmaneix, qui a rassemblé ce dossier, en fait un portrait plein d’émotions :
« Car Roger fut un vivant d’une stature peu commune. Une curieuse espèce d’oiseau de nuit à qui l’aube et le plein jour ne faisaient pas peur non plus. Dormant peu, connaissant tous les bons endroits où, devant une enfilade de verres emplis (et vidés !) de ces grands crus dans lesquels baigne la discrète ville de Lyon, une conversation – à l’abri de ces infernales musiques d’ambiance ( ?!) made in USA qui ont défiguré et dénaturé tant de nos cafés et bistrots – était encore possible. Kowalski tenait ses assises au milieu d’un incomparable amoncellement de revues et journaux littéraires, de livres en cours de lecture et soigneusement annotés, de véritables fagots de plusieurs pipes avec chacune son paquet de l’un de ses tabacs fins dont il était grand expert et fumeur assidu, de cendriers toujours débordant des cigarettes qui lui cramaient le cœur.
Le retrouver en tel appareil, et à intervalles très réguliers, me fut l’un de ces bonheurs marquant à jamais des territoires qui appartiennent autant à la mémoire qu’à la vie présente. »
C’est par de tels témoignages, parfois des anecdotes, que les témoins rassemblés ici redonnent corps à la poésie de Roger Kowalski, une poésie éternellement actuelle, singulière et puissante :
« Hors du temps chronométrique, calendaire, social, politique, confie encore François Montmaneix, bien au-delà du trop fameux engagement qui a servi d’alibi à tant de vacuités censées relever d’une poésie dite de combat, à l’écart des approximations syntaxiques, des alinéas et des blancs typographiques, ignorant superbement les expériences de laboratoire où se sont mésaventurés ceux et celles dont les tristes lanternes verbales n’étaient que vessies langagières, la poésie de Kowalski apparaît aujourd’hui comme l’une de celles où il sera possible de puiser à profusion de quoi tenir tête à la déferlante des gadgets et à la pitoyable dérive consumériste où démagogues et économistes à courte vue situent aujourd’hui l’ensemble des productions de l’esprit, indifféremment de celles de l’industrie, dans l’immédiateté, le gaspillage, la facilité et la plus basse vulgarité publicitairement racoleuse.
Et cette poésie, les contributions et les témoignages qui suivent, vont contribuer à la situer à sa vraie place : sur une orbite où croisent les astres dont la lumière et le rayonnement ne procèdent ni de l’illusion, ni de la prétention, ni de la fabrication. Sur une orbite où l’être au rêve habitué vient parler – avec ceux qui ont rêvé avant lui – à ceux qui rêvent et à ceux qui rêveront, puisque aussi bien les rêves sont les seules racines de la réalité et donc celles d’un possible avenir. »
Cette poésie du rêve, parfois du songe, coule, tel un fleuve indomptable, tantôt paisible tantôt violente, apaisante ou terrifiante, telle un dieu incertain de lui-même. Ainsi :
L’autre face, poème extrait de Le Silenciaire, Editions Chambelland, 1960.
Vois : j’ai posé sur le papier un point d’encre très noire ; ce feu sombre est l’eau même de la nuit ; un silence d’étoiles échevelées.
Il suffit de peu de chose, presque rien ; une syllabe, une consonne et je deviens tempête : un geste de l’arbre et cent racines me lient ;
le pas de filles de mémoire, et je tourne vers ta face un œil qu’emplit une plainte égarée ; écoute : quelque chose ici n’est point de ce monde ;
ni le verbe, ni le point où s’articule un discours entrepris dans l’ennui, mais la profonde, chaste et noire encre sur ton masque de papier.
Mais ce numéro est peuplé d’autres éveilleurs comme le poète Ghéasim Luca ou le peintre Ljuba, parmi d’autres.
Cette revue est davantage qu’une revue. C’est un mouvement vivant, une flèche d’argent qui traverse l’apparaître pour laisser passer un esprit de feu."
Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, septembre 2014).
"Avec une régularité de métronome, deux fois par an, Christophe Dauphin et son équipe proposent deux copieuses livraisons qui font la part belle à divers secteurs poétiques dans le sillage d’un surréalisme vivace. Un long extrait d’un entretien avec le poète centenaire G.E. Clancier sert d’éditorial à ce numéro. Ces dix pages en disent bien plus sur la situation de la poésie actuelle que des centaines de verbiages pseudo-universitaires. « Ouvrir l’espérance du temps » pourrait servir d’étendard pour avancer, insister, résister. « La vie parle si fort, déclare Clancier, que je ne puis me taire ». On lira ensuite deux épais dossiers sur Gisèle Prassinos et sur Gilbert Lély, deux « porteurs de feu » à ne pas oublier. « Ainsi furent les wah » ouvre ses portes à huit poètes de tous horizons, poètes dont le point commun pourrait être la ferveur. . Parmi eux, citons l’Argentin Juan Gelman, l’indépendante Emmanuelle Le Cam ou le discret Michel Lamart. Le gros dossier central, coordonné par François Montmaneix, porte sur Roger Kowalski. Citons encore d’autres volets de ce très riche numéro : sur le poète roumain Ghérasim Luca, sur le peintre Ljuba ou sur le poète Paul Pugnaud. Ensuite, Dauphin est parvenu à dénicher un texte rare et fondateur de Gilbert Lély sur le marquis de Sade. Cette livraison s’achève sur une quarantaine de pages consacrées à des lectures ou à des informations autour de la poésie vivante."
Georges CATHALO ("Lecture Flash" in revue-texture.fr, octobre 2014).
"Les Hommes sans Epaules consacrent en leur n°38 un dossier à Roger Kowalski…Montmaneix, qui dirige le dossier Kowalski, l'avait bien connu. Avec les autres signataires, dont certains étaient ses amis, il nous présente un poète aux allures aristocrate, de cette aristocratie qui signifie que Kowalski n'enviait rien à personne puisqu'il possédait tout en possédant le poème. Il aurait eu 80 ans cette année, est resté plutôt méconnu dans le microcosme poétique, se gardant des modes d'alors, de la poésie de laboratoire, de la fatigue qui s'abattait sur le langage. Il œuvrait en joaillier du vers pour une parole intérieure car, comme le dit Alain Bosquet en parlant de ses poèmes : "il n'y en a jamais un seul où il y ait une syllabe inutile". Kowalski est mort en 1975 des suites d'une opération cardiaque. Il vivait poème, dormait peu, consuma sa vie en poème. Nous nous joignons, en tant que lecteur, aux remerciements que François Montmaneix adresse aux Hommes sans Epaules pour avoir accueilli ce dossier hommage…. Nous trouverons aussi, en ce fort beau n°38, dans la partie porteurs de feu, un portrait de Gisèle Prassinos, qui découvrit l'écriture automatique à 16 ans, en la pratiquant d'elle-même, sans savoir que ce qu'elle écrivait était dans le même temps conceptualisé par un André Breton au départ incrédule de constater que ses recherches étaient vécus par une jeune adolescente aux accents de génie. Breton fit authentifier les textes de Prassinos, la fit créer des poèmes sous les yeux des grands surréalistes d'alors. Une synchronicité troublante, comme toujours, apportant de l'eau au moulin de Breton. Mais Prassinos ne se limita pas à l'exercice de cette pratique d'écriture (dont elle ne reconnaissait d'ailleurs pas elle-même la dimension automatique) : elle évolua vers d'autres horizons poétiques, ce que développe avec grand intérêt Christophe Dauphin. Un autre portrait de Gilbert Lely, signé Sarane Alexandrian, trouve également sa place dans les porteurs de feu, accompagné par des poèmes hauts en couleurs (sexuelles), de Lely. Ce n° des Hommes sans Epaules est introduit par un éditorial de Georges-Emmanuel Clancier, qui a fêté ses 100 ans cette année. Nous y apprenons, entre autres, que pour le poète ayant traversé les horreurs du XXème siècle, si Dieu existe, alors il se nomme le diable. Nous y apprenons aussi que : "Ma désespérance tient au fait que j'ai cru au progrès". Nous retombons encore, bien malgré nous, sur la dimension parménidienne des poèmes de Kowalski. Car le choix du progrès, c'est le choix des étants qui passent, le choix des errants, des mortels, ne voyant dans leur propre existence que l'entière réalité, contre le choix de la permanence qu'induit toute relation avec le "il y a". Un autre hommage tient une place importante dans cette livraison : hommage au poète Paul Pugnaud par Matthieu Baumier. Nous avions nous même rendu hommage à Pugnaud, et nous retiendrons, du beau texte de Baumier, ceci : "Paul Pugnaud avait une très haute idée de la poésie et il savait, profondément, combien les mots que nous écrivons sous forme de poèmes sont une façon d'être écrits par la voix même du poème, cela même qui forme le plus que réel auquel nous accédons peu." Nous trouverons, également, de beaux poèmes de Paul Farellier, Elodia Turqui, Alain Simon, Jacques Simonomis, Christophe Dauphin, mais aussi Juan Gelman, Michel Voiturier, Yves Boutroue, Hervé Sixte-Bourbon, Emmanuelle Le Cam, Franck Balandier."
Gwen GARNIER-DUGUY (in recoursaupoeme.fr, 5 novembre 2014).
"Un dossier de 70 pages consacré à Roger Kowalski couronne cette livraison, riche et foisonnante comme à l’ordinaire, de la revue de Christophe Dauphin. C’est François Montmaneix qui a coordonné le dossier très éclairant sur le poète qui est mort en 1975, à 41 ans. Roger Kowalski est né il y a tout juste 80 ans, et le Grand Prix de Poésie de la Ville de Lyon qui porte son nom fête également ses 30 ans d’existence. (Le tout dernier vient d’être remis à Jean Joubert). François Montmaneix, qui fut son ami de jeunesse à Lyon parle d’une vie toute entière consumée pour et par la Poésie. Suit la reprise d’un texte d’Yves Martin, paru en 1984, qui se concentre sur son dernier recueil, posthume, paru chez Chambelland. C’est un régal de relire Yves Martin, son style est constamment savoureux : « Les collets de givre, de gel se referment sur des manchons, des pelisses des pelotes… » Il parle d’un « hôte discret », « hobereau de la rêverie » dont « l’œuvre n’a pas eu sa « chance ». Elle est passée à travers tous les courants, fuyante, délicieuse et mortelle… ». Proche de Milosz, Rilke ou Nerval. Alain Bosquet dans une allocution de 1985 invente le concept de « mystère évident » à son endroit. Lionel Ray le classe dans les « poètes de l’assentiment, de l’adhésion à l’univers ». Jean-Yves Debreuille l’oppose à Saint-John Perse, et la poésie hautaine : « Il choisit le murmure, l’à peine perceptible… » Voici la fin du texte : « Naissance de l’écriture » de Roger Kowalski, qui embrasse magnifiquement tout le futur de sa poésie : … c’étaient de pures délices en vérité rien d’autre au monde que le bonheur d’écrire et jusqu’à l’odeur de l’encre, la peau douce du papier, le glissement de la plume, les vivantes ombres et cette main que je reconnaissais mal ; la lumière d’une bougie, l’aube, un parfum de pierre chaude, je vivais soudain ; l’heure présente, l’éternité tout entière enfin dans mon souffle."
Jacques MORIN ("Repérage" in dechargelarevue.com, 20 décembre 2014).
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2000 - À propos du numéro 7/8
« Les Hommes sans Épaules n°7/8. Hommage à Guy Chambelland. Un numéro de référence et de collection. » Jacques Simonomis (Le Cri d’os n° 29/30, janvier 2000.
« Cette nouvelle livraison des Hommes sans Épaules, est composée pour l’essentiel d’un hommage à Guy Chambelland, qui nous a quittés voilà bientôt quatre ans. De très nombreux témoignages de poètes et d’amis dont beaucoup furent des auteurs de notre ami Guy, montrent, s’il en était besoin, le rôle important que joua Chambelland dans la vie poétique des quarante dernières années. » Jean Orizet (Poésie 1/Vagabondages n°21, mars 2000).
« Il n’a pas fallu moins d’un numéro double de plus de 160 pages à l’équipe de la revue Les Hommes sans Épaules pour rendre hommage à celui qui fut, avec Le Pont de l’Epée (1957-1983) et Le Pont sous l’eau (1988-1996), le tenant d’une poésie où s’illustreront bon nombre de créateurs d’aujourd’hui : Guy Chambelland. » Jean Chatard (Dixformes-Informes, Bruxelles, juin 2000).
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2012 – À propos du numéro 34
"Bientôt soixante ans pour les HSE ! Ce n° 34 en attendant, plein comme un œuf avec de nombreuses choses à retenir. Paul Farellier présente Véra Feyder, à la fois comédienne, dramaturge, romancière et poète bien sûr. Son écriture a été profondément marquée par la mort de son père en déportation : « on ne meurt que de son enfance » (in préface au recueil Le fond de l’être est froid) ainsi que ce quasi distique en alexandrins : « Toutes les nuits sont blanches des os de mes charniers, j’ai l’âge des gisants, le climat des poussiers… » Sa poésie est tendue et serrée, avec des vers aigus comme des lames de rasoir, entre élégie et désespoir, entre épopée et révolte « et ne pouvoir pleurer le mourant que je porte ». Christophe Dauphin pour sa part présente le poète suisse Francis Giauque, suicidé en 1965, à l’âge de 31 ans. Sa poésie témoigne d’une lente mise à mort. Sentiment de culpabilité et incommunicabilité se relaient pour l’étrangler petit à petit. Seul le recours à l’écriture apportera un relatif soulagement. Les deux titres publiés de son vivant sont très éloquents : Parler seul et L’Ombre et la nuit. « …nerfs à vif / cœur englué / j’aligne / des mots aveugles / pour étoiler / un ciel / en loques ». Francis Giauque fait partie à part entière de la longue liste des poètes maudits. « que personne ne pleure / moi qui ne sus pas vivre ». Un hommage mérité est rendu à Alain Simon avec un ensemble inédit préfacé par Cathy Garcia. Jehan Van Langhenhoven regroupe différents articles consacrés naguère à Michel Fardoulis-Lagrange (le surréalisme n’est en fait qu’un prolongement du romantisme avec en plus l’usage du paradoxe...). Enfin Eric Sénécal, dans sa chronique : La nappe s’abîme, revient sur « le Palmarès des Trissotins » 2011 et 2012. Et je voudrais à ce propos en profiter pour protester : en effet la revue Décharge avait été honorée du Trissotin de Mercure dans le Palmarès 2011 ; or, dans le récapitulatif des primés du Palmarès 2012, il est question du Trissotin d’Aluminium ! On peut penser qu’il s’agit là d’une erreur de recopie, admettons… (et j’espère qu’il ne s’agit pas d’une rétrogradation dans la hiérarchie des récompenses !). En tout cas, j’aimerais que rectification soit faite dans la prochaine édition ! - Pourquoi pas de carton pâte pendant qu’on y est ! Plein d’autres entrées dans ce numéro riche et copieux comme à l’habitude. Un « Appel aux riverains » sera lancé sous forme d’une anthologie de 500 pages pour les prochains 60 ans de la revue.
Jacques Morin (rubrique "En vrac" in Dechargelarevue.com, octobre 2012).
Les Hommes sans Epaules n°34. Nous attirons une fois de plus votre attention sur cette revue de littérature et d’avant-gardes de grande qualité.
Sommaire de ce superbe numéro : Éditorial de Christophe Dauphin, Demain n’est pas une branche de houx dans une douille d’obus – Les Porteurs de Feu : Vera Feyder, Francis Giauque – Ainsi furent les Wah : Poèmes de Michel Merlen, Catherine Mafaraud-Leray, Marthe Emon-Peyrat, Nicole Hardouin – Dossier : Divers états du lointain, par Paul Farellier avec des textes de André Laude, Yves Bonnefoy, Max Alhau, Saint-John Perse, Friedrich Hölderlin, Pierre-Jean Jouve, André Frénaud, Stanislas Rodanski, Pierre Oster, Jean Mambrino, Henri Michaux, André de Richaud, Jean-Luc Parant, Charles Baudelaire, Stéphane Mallarmé, Marc Patin, Gérard de Nerval, William Shakespeare, Dino Buzzati, Julien Gracq, Rainer Maria Rilke, Pierre Gabriel, Jean-Baptiste Lysland, André du Bouchet, Jean Cayrol, Novalis, Elie Faure, Gustave Flaubert, Alain Fournier, Max de Carvalho, Sarane Alexandrian, Paul Valéry. – Les inédits des HSE : Tristes garçons, la mer & 17 poèmes tahitiens, poèmes de Alain Simon avec des textes de Christophe Dauphin, Cathy Garcia – Une voix, une œuvre : Monique W. Labidoire par Jean-Louis Bernard – Dans les cheveux d’Aoun : proses de Imre Kertèsz, Jehan van Langhenhoven – Michel Fardoulis-Lagrange – Le Poète surprise : Jeanne Las Vergnas – La mémoire, la poésie : Gellu Naum par Petrisor Militaru, poèmes de Gellu Naum – Les pages des Hommes sans Épaules : Poèmes de Elodia Turki, Paul Farellier, Alain Breton, Christophe Dauphin – La nappe s’abîme (chronique) : T’es provoc, coco, t’es provoc ? par Eric Sénécal – nombreuses informations sur les parutions les événements, etc.
Extrait du texte de Paul Farellier, Divers états du lointain. « Que le lointain ait pu garder un sens dans l’ubiquité d’aujourd’hui, voilà bien un mystère ! Monde tellement resserré que nous vivons, aspirés par l’uniformisation d’une simultanéité globale où, même sous le compartimentage impitoyable des ghettos et l’émiettement des individus, tout se fait voisin et tout, contemporain. Par le fait d’une « information en temps réel », selon la terminologie en usage, nous baignons dans l’aisance d’une fausse proximité qui nous donne l’illusion d’une humanité partagée là où il n’y a, en réalité, que juxtaposition obscène de la misère et du confort moral : honte à ces magazines sur papier glacé qui affichent actrices et top models en dénudé grand couturier, paradant parmi les vrais humains – eux à peau foncée, et dénudés par dénuement ! Garder le sens du lointain, ce n’est pas perdre le contact des dures réalités ; c’est se resituer dans la trame de toute l’histoire humaine ; c’est apprendre à mieux poser son regard, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de soi-même ; et c’est, à vrai dire, pour l’art, la pensée, la poésie, condition nécessaire de simple survie. »
Rémi Boyer (in incoherism.owni.fr, 23 octobre 2012).
"Nous acceptons les textes que nous respectons, ou aimons, et ceux dont nous voulons encourager la démarche. Les Hommes sans Epaules n°34 est de celle-là et l'animateur principal, Christophe Dauphin, ne laisse manifestement rien passer qui ne convienne à l'idée de base. Ce numéro met en évidence deux grands poètes: Véra Feyder, présentée par Paul Farellier, et Francis Giauque, Suisse romand, moins connu, disparu en 1965 et révélé avec émotion (comme il le fait toujours pour celles et ceux qu'il aime), par Dauphin. Le dossier, cette fois, est assuré par Farellier, qui titre sur "Divers états du lointain", ce qui correspond, à le lire, à une notion beaucoup plus ancienne: "la distance". Sans oublier le "promontoire", mais sans aller jusqu'à la supériorité. Aucun vrai poète ne va jusque là, n'est-ce pas ? Des inédits viennent cette fois d'Alain Simon et de Tahiti, mais on peut y ajouter Monique Labidoire, Michel Fardoulis-Lagrange (tant prisé par Anne Mounic) et deux inattendus, Jeanne Las Vergnas et le Roumain Gellu Naum."
Paul Van Melle (in Inédit Nouveau n°260, janvier 2013. La Hulpe, Belgique).
"Lire du gros, du costaud ? Voyez le n°34 de la revue Les Hommes sans Epaules. C'est Véra Feyder qui ouvre le numéro: "La poésie reste le seul haut lieu de la gratuité souveraine". Rien d'alangui dans ses écrits, note Paul Farellier qui la présente, même si Véra Feyder ne s'est jamais remise de son enfance, de la mort de son père en camp de concentration: "Il s'endort à mes pieds - et c'est moi - qu'il piétine - Il m'aime à en mourir - et c'est moi - qu'on ranime". Francis Giauque lui, a fini par être vaincu par l'angoisse: il a 31 ans quand il se suicide: "sentir passer chaque heure - comme un supplicié sent passer - le fouet dans sa chair"; des poèmes que l'on lit la gorge serrée. Difficile de rendre compte des nombreux dossiers de ce numéro: "Divers états du lointain", par Paul Farellier; Monique Labidoire, par J.-L. Bernard; Michel Fardoulis-Lagrange, par Jehan Van Langhenhoven; le surréaliste roumain Gellu Naum, par Petrisor Militaru. le coeur de ce numéro semble être les 50 pages d'inédits d'Alain Simon: "Tristes garçons, la mer & 17 poèmes tahitiens": "on ne saurait désormais parler de moudre ce qui du sang fait des chiures - de la poésie quoi - de la barbarie - de l'universel - pas question de remonter la pente - où les mots font écrouelles - et gouvernent la nuit". Quant à Eric Sénécal, dans sa chronique (à ne pas manquer), La nappe s'abîme, il cite Georges Henein: "comblez un écrivain, il se vide aussitôt" et nous entretient (sans nous le donner) du Palmarès de l'Académie des Trissotins. comme quoi, on ne sait pas grand-chose: j'ignorais l'existence de cette académie. C'est quelques méchants. Mais comme "tout le monde" se fout de la poésie, ça fait pschitt ! Sinon, des poèmes, des lectures, etc. Pensez 280 pages! Avec Michel Merlen, Catherine Mafaraud-leray..."
Christian Degoutte (Revue Verso n°152, mars 2013).
"Cette revue existe depuis 1953 quand elle fut créée par Jean Breton.Son fils l'a reprise et c'est avec l'aide de Christophe Dauphin que cette troisième série se relance. Et le sommaire a de quoi donner envie de lire.
Christophe Dauphin nous présente ce poète méconnu suicidé à trente ans, Francis Giauque, suisse roman, qui crie très fort: j'appelle vivre - ces deux mains affûtées - aux arêtes tranchantes. Le même Christophe Dauphin nous fait connaître le poète, peintre et romancier Alain Simon, dit Le Salé (1947-2011): Vous êtes laids - ignorez-moi.
Paul Farellier nous rappelle la poésie de Véra Feyder, poète, mais aussi comédienne, dramaturge, romancière: "On entend là une voix impressionnante, à laquelle on chercherait vainement des ressemblances ou des équivalents" : J'ai peu compris les pierres : mal aimé les hommes. Par ailleurs on ne peut pas passer sous silence son imposante étude, avec renvois aux poètes mais aussi à la musique et à la peinture "Divers états du lointain": "Le désir ne vivant que d'être illimité, c'est bien au voisinage de l'inaccessible que l'homme devient ce qu'il est".
Jean-Louis Bernard s'approche de l'oeuvre de Monique W. Labidoire dont il souligne le "réalisme vivant", poète héraclitéenne "à la fois charnelle et si peu lyrique" et qui dit : les mots du poème n'ont pas pouvoir de rédemption.
Jehan Van Langhenhoven nous parle de Michel Fardoulis Lagrange, après quelques propos sur l'exil d'Imre Kertesz, des poèmes de Jeanne Las Vergnas et une présentation de Gellu Naum, poète surréaliste roumain, par Petrisor Militaru.
Puis vient la chronique d'Eric Sénécal, des notes de lecture, et beaucoup de poèmes."
Bernard Fournier (Revue Poésie Première n°56, juin 2013).
"Quel curieux titre d’abord, Les Hommes sans Epaules ! Et quand on comprend que ce titre se réfère à un livre de J. H. Rosny Aîné, Le Félin géant, aux temps immémoriaux de l’âge des cavernes et de la fiction populaire, le mystère ou le trouble s’épaississent.
Mais, peu à peu, à force de fréquenter la revue et de relire la quatrième de couverture qui invariablement cite le passage fondateur, la puissance de la suggestion opère : « Zoûhr avait la forme étroite d’un lézard ; ses épaules retombaient si fort que les bras semblaient jaillir directement du torse : c’est ainsi que furent les Wah, les Hommes-sans-Épaules, depuis les origines jusqu’à leur anéantissement par les Nains-Rouges. Il avait une intelligence lente mais plus subtile que celle des Oulhamr. Elle devait périr avec lui et ne renaître, dans d’autres hommes, qu’après des millénaires. » Tiens, se dit-on, les poètes ne sont pas seulement des prophètes ou des phares ou des linguistes patentés ou des universitaires désœuvrés. Une autre filiation est possible, ils sont aussi (d’abord ?) une communauté, et elle traverserait le temps avec ses rites, son intelligence lente et subtile ; une communauté parfois effondrée, parfois renaissante, ayant un rapport propre à l’histoire et une façon bien à elle d’épouser le réel et d’imprégner l’aujourd’hui ; une communauté rassemblée par une espèce d’utopie faite de détachement et d’excès. Tiens, se dira-t-on, voilà un récit qu’on ne m’a jamais proposé, une méditation que l’on ne m’a jamais ouverte. Cette communauté des invisibles serait-elle le propre de la poésie ?
Je ne suis pas un spécialiste de l’histoire littéraire. D’autres que moi auraient plus de crédit pour situer cette revue dans le paysage des soixante dernières années. Puis, il y a l’excellent site de la revue qui donne toutes les indications nécessaires pour suivre le pas-à-pas de l’aventure que furent les trois périodes de ses publications : 1953 – 1956 ; 1991 – 1994 ; 1997 à nos jours. Toutefois, en recherchant dans les origines de la revue, il me semble trouver les deux pôles autour desquels s’articule Les Hommes sans épaules (HSE) : le premier pôle tourne autour de la générosité, l’ouverture non pas seulement à la poésie – ce qui est le minimum attendu d’une revue de poésie – mais aux poètes : « Nous inviterons nos amis à s’expliquer sur ce qui leur paraît essentiel dans leur comportement d’être humain et de poète. » Et aussitôt l’ouverture proposée est reliée – si j’ose cette métaphore théologique – à la présence réelle de l’homme poète. Le deuxième pôle se trouve dans le texte adressé par Henry Miller aux fondateurs lors du début de leur aventure : l’appel à la jeunesse et avec elle au refus de l’embrigadement : « Ne vous adaptez pas, ne pliez pas le genou. » Je n’épiloguerai pas sur le thème rebattu de la jeunesse, mais sur sa condition dictée par Miller : le refus de suivre les appels à l’adaptation, et, ce qu’il induit : suivre son chemin, parfois par la révolte, et le plus souvent et le plus difficilement, en restant indifférent à l’ordre donné.
Une revue serait donc une communauté de poètes... Peut-être convient-il aujourd’hui de s’interroger sur le besoin et la nécessité de renouer avec l’être ensemble en poésie. Peut-être sommes-nous aujourd’hui trop ermites, trop anachorètes dans ce mode ; peut-être devons-nous réapprendre la richesse de la rencontre en poésie, des frottements, des interpénétrations, des jeux d’échos et de répons qu’offre une communauté d’hommes et de femmes. La revue porte bien en ses gènes cette ardente vocation. Pour Les Hommes sans épaules, comme le rappellent ses textes fondateurs, elle en est sa raison d’être. En m’y abonnant il y a plus de quinze ans, je n’en avais que faiblement conscience et c’est bien ainsi. On n’instrumentalise pas une rencontre, on la fait.
Fort de ces années amicales, je voudrais redire mon attachement à cette revue en le résumant en trois points : d’abord, me frappe la grande diversité des poètes qu’elle rassemble. Par elle, j’aime entendre la polyphonie des poètes d’aujourd’hui, entendre une foule en marche, avec ses solitaires, ses figures stellaires ou obscures. On devine des correspondances, on pressent des engagements incompatibles deux à deux, on touche des univers qui se coudoient sans s’éprouver. A ce titre, HSE renvoie une image fidèle d’aujourd’hui, où la poésie est éclatée, fragile mais à l’œuvre, sans doute, servie et protégée par son anonymat actuel, qui préserverait la diversité de sa faune et de sa flore. Il faut s’avancer dans le territoire d’une revue pour en découvrir le champ et la profondeur. Par son ouverture, HSE participe et donne à voir, avec la simplicité d’une revue, la vitalité de la poésie d’aujourd’hui.
Ensuite, HSE c’est une figure pleine d’histoire(s) – 60 ans l’année prochaine ; ce qui se traduit par un attachement et une sensibilité particulière aux poètes qui traversèrent cette période. Elle propose son récit, ses repères, son écoute sur ce temps long, que sans elle, on appréhenderait – peut-être trop il me semble – en la réduisant à quelques figures emblématiques. Peut-être croit-on se rassurer en la résumant ainsi. Peut-être aussi que la mise en récit effraie, tant l’ensemble parait hétéroclite ? Mais la poésie est aussi une histoire comme elle a besoin d’histoires pour s’éprouver. Sur elle, s’accrochent les marques du temps, le souvenir des poètes et des communautés qu’elle abrita, les luttes, les peurs, les quêtes, les illusions, les recherches dont elle fut le réceptacle. A l’écouter par le biais d’une revue, on entend des phrasés, on écoute des mouvements qui se dégagent et dans ce récit qui ne se dit pas, se dévoile peu à peu ce dont notre mémoire se tapisse. Ainsi, par cette mise en perspective des HSE, par l’illustration offerte plus que par l’explication, sa lecture participe à humaniser le regard sur la poésie, et si j’ose, à la montrer comme une histoire d’hommes et de femmes engagés par et dans leur création. Ou pour dire les choses autrement, je trouve dans cette revue, un juste équilibre entre poètes, poèmes et poésie.
Enfin, HSE est aujourd’hui une revue à la fois studieuse et généreuse. L’effort fourni pour écrire une biographie et une bibliographie de chaque poète présenté, de présenter une reproduction sans apprêt de photos, de construire de forts dossiers, utiles et pertinents, ou encore de proposer une large palette de recensions, tout cet effort souligne à la fois un sérieux et un engagement au service de la poésie peu communs ; et plus profondément encore, derrière cette égalité de traitement entre poètes connus et inconnus, une volonté de faire lien, de construire une communauté de poètes, position quelque peu utopique, mais si pleine de générosité, et à vrai dire, si nécessaire aujourd’hui.
Voilà, en quelques mots, l’intérêt très personnel que je porte à HSE, à cette communauté des invisibles. Cela n’entame en rien, bien sûr, le bien-fondé des autres revues de poésie, dont Arpa, La Revue de Belles-Lettres, Nunc bien sûr et aujourd’hui Recours au Poème ! Au contraire, c’est par HSE que je me suis ouvert à d’autres revues. C’est pourquoi aussi, de manière très subjective, il me semble que la place qu’occupe HSE dans le petit monde des revues de poésie reste singulière car elle traduit un besoin et un engagement lucides qui doivent être vivement soutenus."
Pierrick de Chermont (in recoursaupoème.fr, 2013).
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2012 – À propos du numéro 34
"Bientôt soixante ans pour les HSE ! Ce n° 34 en attendant, plein comme un œuf avec de nombreuses choses à retenir. Paul Farellier présente Véra Feyder, à la fois comédienne, dramaturge, romancière et poète bien sûr. Son écriture a été profondément marquée par la mort de son père en déportation : « on ne meurt que de son enfance » (in préface au recueil Le fond de l’être est froid) ainsi que ce quasi distique en alexandrins : « Toutes les nuits sont blanches des os de mes charniers, j’ai l’âge des gisants, le climat des poussiers… » Sa poésie est tendue et serrée, avec des vers aigus comme des lames de rasoir, entre élégie et désespoir, entre épopée et révolte « et ne pouvoir pleurer le mourant que je porte ». Christophe Dauphin pour sa part présente le poète suisse Francis Giauque, suicidé en 1965, à l’âge de 31 ans. Sa poésie témoigne d’une lente mise à mort. Sentiment de culpabilité et incommunicabilité se relaient pour l’étrangler petit à petit. Seul le recours à l’écriture apportera un relatif soulagement. Les deux titres publiés de son vivant sont très éloquents : Parler seul et L’Ombre et la nuit. « …nerfs à vif / cœur englué / j’aligne / des mots aveugles / pour étoiler / un ciel / en loques ». Francis Giauque fait partie à part entière de la longue liste des poètes maudits. « que personne ne pleure / moi qui ne sus pas vivre ». Un hommage mérité est rendu à Alain Simon avec un ensemble inédit préfacé par Cathy Garcia. Jehan Van Langhenhoven regroupe différents articles consacrés naguère à Michel Fardoulis-Lagrange (le surréalisme n’est en fait qu’un prolongement du romantisme avec en plus l’usage du paradoxe...). Enfin Eric Sénécal, dans sa chronique : La nappe s’abîme, revient sur « le Palmarès des Trissotins » 2011 et 2012. Et je voudrais à ce propos en profiter pour protester : en effet la revue Décharge avait été honorée du Trissotin de Mercure dans le Palmarès 2011 ; or, dans le récapitulatif des primés du Palmarès 2012, il est question du Trissotin d’Aluminium ! On peut penser qu’il s’agit là d’une erreur de recopie, admettons… (et j’espère qu’il ne s’agit pas d’une rétrogradation dans la hiérarchie des récompenses !). En tout cas, j’aimerais que rectification soit faite dans la prochaine édition ! - Pourquoi pas de carton pâte pendant qu’on y est ! Plein d’autres entrées dans ce numéro riche et copieux comme à l’habitude. Un « Appel aux riverains » sera lancé sous forme d’une anthologie de 500 pages pour les prochains 60 ans de la revue.
Jacques Morin (rubrique "En vrac" in Dechargelarevue.com, octobre 2012).
Les Hommes sans Epaules n°34. Nous attirons une fois de plus votre attention sur cette revue de littérature et d’avant-gardes de grande qualité.
Sommaire de ce superbe numéro : Éditorial de Christophe Dauphin, Demain n’est pas une branche de houx dans une douille d’obus – Les Porteurs de Feu : Vera Feyder, Francis Giauque – Ainsi furent les Wah : Poèmes de Michel Merlen, Catherine Mafaraud-Leray, Marthe Emon-Peyrat, Nicole Hardouin – Dossier : Divers états du lointain, par Paul Farellier avec des textes de André Laude, Yves Bonnefoy, Max Alhau, Saint-John Perse, Friedrich Hölderlin, Pierre-Jean Jouve, André Frénaud, Stanislas Rodanski, Pierre Oster, Jean Mambrino, Henri Michaux, André de Richaud, Jean-Luc Parant, Charles Baudelaire, Stéphane Mallarmé, Marc Patin, Gérard de Nerval, William Shakespeare, Dino Buzzati, Julien Gracq, Rainer Maria Rilke, Pierre Gabriel, Jean-Baptiste Lysland, André du Bouchet, Jean Cayrol, Novalis, Elie Faure, Gustave Flaubert, Alain Fournier, Max de Carvalho, Sarane Alexandrian, Paul Valéry. – Les inédits des HSE : Tristes garçons, la mer & 17 poèmes tahitiens, poèmes de Alain Simon avec des textes de Christophe Dauphin, Cathy Garcia – Une voix, une œuvre : Monique W. Labidoire par Jean-Louis Bernard – Dans les cheveux d’Aoun : proses de Imre Kertèsz, Jehan van Langhenhoven – Michel Fardoulis-Lagrange – Le Poète surprise : Jeanne Las Vergnas – La mémoire, la poésie : Gellu Naum par Petrisor Militaru, poèmes de Gellu Naum – Les pages des Hommes sans Épaules : Poèmes de Elodia Turki, Paul Farellier, Alain Breton, Christophe Dauphin – La nappe s’abîme (chronique) : T’es provoc, coco, t’es provoc ? par Eric Sénécal – nombreuses informations sur les parutions les événements, etc.
Extrait du texte de Paul Farellier, Divers états du lointain. « Que le lointain ait pu garder un sens dans l’ubiquité d’aujourd’hui, voilà bien un mystère ! Monde tellement resserré que nous vivons, aspirés par l’uniformisation d’une simultanéité globale où, même sous le compartimentage impitoyable des ghettos et l’émiettement des individus, tout se fait voisin et tout, contemporain. Par le fait d’une « information en temps réel », selon la terminologie en usage, nous baignons dans l’aisance d’une fausse proximité qui nous donne l’illusion d’une humanité partagée là où il n’y a, en réalité, que juxtaposition obscène de la misère et du confort moral : honte à ces magazines sur papier glacé qui affichent actrices et top models en dénudé grand couturier, paradant parmi les vrais humains – eux à peau foncée, et dénudés par dénuement ! Garder le sens du lointain, ce n’est pas perdre le contact des dures réalités ; c’est se resituer dans la trame de toute l’histoire humaine ; c’est apprendre à mieux poser son regard, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de soi-même ; et c’est, à vrai dire, pour l’art, la pensée, la poésie, condition nécessaire de simple survie. »
Rémi Boyer (in incoherism.owni.fr, 23 octobre 2012).
"Nous acceptons les textes que nous respectons, ou aimons, et ceux dont nous voulons encourager la démarche. Les Hommes sans Epaules n°34 est de celle-là et l'animateur principal, Christophe Dauphin, ne laisse manifestement rien passer qui ne convienne à l'idée de base. Ce numéro met en évidence deux grands poètes: Véra Feyder, présentée par Paul Farellier, et Francis Giauque, Suisse romand, moins connu, disparu en 1965 et révélé avec émotion (comme il le fait toujours pour celles et ceux qu'il aime), par Dauphin. Le dossier, cette fois, est assuré par Farellier, qui titre sur "Divers états du lointain", ce qui correspond, à le lire, à une notion beaucoup plus ancienne: "la distance". Sans oublier le "promontoire", mais sans aller jusqu'à la supériorité. Aucun vrai poète ne va jusque là, n'est-ce pas ? Des inédits viennent cette fois d'Alain Simon et de Tahiti, mais on peut y ajouter Monique Labidoire, Michel Fardoulis-Lagrange (tant prisé par Anne Mounic) et deux inattendus, Jeanne Las Vergnas et le Roumain Gellu Naum."
Paul Van Melle (in Inédit Nouveau n°260, janvier 2013. La Hulpe, Belgique).
"Lire du gros, du costaud ? Voyez le n°34 de la revue Les Hommes sans Epaules. C'est Véra Feyder qui ouvre le numéro: "La poésie reste le seul haut lieu de la gratuité souveraine". Rien d'alangui dans ses écrits, note Paul Farellier qui la présente, même si Véra Feyder ne s'est jamais remise de son enfance, de la mort de son père en camp de concentration: "Il s'endort à mes pieds - et c'est moi - qu'il piétine - Il m'aime à en mourir - et c'est moi - qu'on ranime". Francis Giauque lui, a fini par être vaincu par l'angoisse: il a 31 ans quand il se suicide: "sentir passer chaque heure - comme un supplicié sent passer - le fouet dans sa chair"; des poèmes que l'on lit la gorge serrée. Difficile de rendre compte des nombreux dossiers de ce numéro: "Divers états du lointain", par Paul Farellier; Monique Labidoire, par J.-L. Bernard; Michel Fardoulis-Lagrange, par Jehan Van Langhenhoven; le surréaliste roumain Gellu Naum, par Petrisor Militaru. le coeur de ce numéro semble être les 50 pages d'inédits d'Alain Simon: "Tristes garçons, la mer & 17 poèmes tahitiens": "on ne saurait désormais parler de moudre ce qui du sang fait des chiures - de la poésie quoi - de la barbarie - de l'universel - pas question de remonter la pente - où les mots font écrouelles - et gouvernent la nuit". Quant à Eric Sénécal, dans sa chronique (à ne pas manquer), La nappe s'abîme, il cite Georges Henein: "comblez un écrivain, il se vide aussitôt" et nous entretient (sans nous le donner) du Palmarès de l'Académie des Trissotins. comme quoi, on ne sait pas grand-chose: j'ignorais l'existence de cette académie. C'est quelques méchants. Mais comme "tout le monde" se fout de la poésie, ça fait pschitt ! Sinon, des poèmes, des lectures, etc. Pensez 280 pages! Avec Michel Merlen, Catherine Mafaraud-leray..."
Christian Degoutte (Revue Verso n°152, mars 2013).
"Cette revue existe depuis 1953 quand elle fut créée par Jean Breton.Son fils l'a reprise et c'est avec l'aide de Christophe Dauphin que cette troisième série se relance. Et le sommaire a de quoi donner envie de lire.
Christophe Dauphin nous présente ce poète méconnu suicidé à trente ans, Francis Giauque, suisse roman, qui crie très fort: j'appelle vivre - ces deux mains affûtées - aux arêtes tranchantes. Le même Christophe Dauphin nous fait connaître le poète, peintre et romancier Alain Simon, dit Le Salé (1947-2011): Vous êtes laids - ignorez-moi.
Paul Farellier nous rappelle la poésie de Véra Feyder, poète, mais aussi comédienne, dramaturge, romancière: "On entend là une voix impressionnante, à laquelle on chercherait vainement des ressemblances ou des équivalents" : J'ai peu compris les pierres : mal aimé les hommes. Par ailleurs on ne peut pas passer sous silence son imposante étude, avec renvois aux poètes mais aussi à la musique et à la peinture "Divers états du lointain": "Le désir ne vivant que d'être illimité, c'est bien au voisinage de l'inaccessible que l'homme devient ce qu'il est".
Jean-Louis Bernard s'approche de l'oeuvre de Monique W. Labidoire dont il souligne le "réalisme vivant", poète héraclitéenne "à la fois charnelle et si peu lyrique" et qui dit : les mots du poème n'ont pas pouvoir de rédemption.
Jehan Van Langhenhoven nous parle de Michel Fardoulis Lagrange, après quelques propos sur l'exil d'Imre Kertesz, des poèmes de Jeanne Las Vergnas et une présentation de Gellu Naum, poète surréaliste roumain, par Petrisor Militaru.
Puis vient la chronique d'Eric Sénécal, des notes de lecture, et beaucoup de poèmes."
Bernard Fournier (Revue Poésie Première n°56, juin 2013).
"Quel curieux titre d’abord, Les Hommes sans Epaules ! Et quand on comprend que ce titre se réfère à un livre de J. H. Rosny Aîné, Le Félin géant, aux temps immémoriaux de l’âge des cavernes et de la fiction populaire, le mystère ou le trouble s’épaississent.
Mais, peu à peu, à force de fréquenter la revue et de relire la quatrième de couverture qui invariablement cite le passage fondateur, la puissance de la suggestion opère : « Zoûhr avait la forme étroite d’un lézard ; ses épaules retombaient si fort que les bras semblaient jaillir directement du torse : c’est ainsi que furent les Wah, les Hommes-sans-Épaules, depuis les origines jusqu’à leur anéantissement par les Nains-Rouges. Il avait une intelligence lente mais plus subtile que celle des Oulhamr. Elle devait périr avec lui et ne renaître, dans d’autres hommes, qu’après des millénaires. » Tiens, se dit-on, les poètes ne sont pas seulement des prophètes ou des phares ou des linguistes patentés ou des universitaires désœuvrés. Une autre filiation est possible, ils sont aussi (d’abord ?) une communauté, et elle traverserait le temps avec ses rites, son intelligence lente et subtile ; une communauté parfois effondrée, parfois renaissante, ayant un rapport propre à l’histoire et une façon bien à elle d’épouser le réel et d’imprégner l’aujourd’hui ; une communauté rassemblée par une espèce d’utopie faite de détachement et d’excès. Tiens, se dira-t-on, voilà un récit qu’on ne m’a jamais proposé, une méditation que l’on ne m’a jamais ouverte. Cette communauté des invisibles serait-elle le propre de la poésie ?
Je ne suis pas un spécialiste de l’histoire littéraire. D’autres que moi auraient plus de crédit pour situer cette revue dans le paysage des soixante dernières années. Puis, il y a l’excellent site de la revue qui donne toutes les indications nécessaires pour suivre le pas-à-pas de l’aventure que furent les trois périodes de ses publications : 1953 – 1956 ; 1991 – 1994 ; 1997 à nos jours. Toutefois, en recherchant dans les origines de la revue, il me semble trouver les deux pôles autour desquels s’articule Les Hommes sans épaules (HSE) : le premier pôle tourne autour de la générosité, l’ouverture non pas seulement à la poésie – ce qui est le minimum attendu d’une revue de poésie – mais aux poètes : « Nous inviterons nos amis à s’expliquer sur ce qui leur paraît essentiel dans leur comportement d’être humain et de poète. » Et aussitôt l’ouverture proposée est reliée – si j’ose cette métaphore théologique – à la présence réelle de l’homme poète. Le deuxième pôle se trouve dans le texte adressé par Henry Miller aux fondateurs lors du début de leur aventure : l’appel à la jeunesse et avec elle au refus de l’embrigadement : « Ne vous adaptez pas, ne pliez pas le genou. » Je n’épiloguerai pas sur le thème rebattu de la jeunesse, mais sur sa condition dictée par Miller : le refus de suivre les appels à l’adaptation, et, ce qu’il induit : suivre son chemin, parfois par la révolte, et le plus souvent et le plus difficilement, en restant indifférent à l’ordre donné.
Une revue serait donc une communauté de poètes... Peut-être convient-il aujourd’hui de s’interroger sur le besoin et la nécessité de renouer avec l’être ensemble en poésie. Peut-être sommes-nous aujourd’hui trop ermites, trop anachorètes dans ce mode ; peut-être devons-nous réapprendre la richesse de la rencontre en poésie, des frottements, des interpénétrations, des jeux d’échos et de répons qu’offre une communauté d’hommes et de femmes. La revue porte bien en ses gènes cette ardente vocation. Pour Les Hommes sans épaules, comme le rappellent ses textes fondateurs, elle en est sa raison d’être. En m’y abonnant il y a plus de quinze ans, je n’en avais que faiblement conscience et c’est bien ainsi. On n’instrumentalise pas une rencontre, on la fait.
Fort de ces années amicales, je voudrais redire mon attachement à cette revue en le résumant en trois points : d’abord, me frappe la grande diversité des poètes qu’elle rassemble. Par elle, j’aime entendre la polyphonie des poètes d’aujourd’hui, entendre une foule en marche, avec ses solitaires, ses figures stellaires ou obscures. On devine des correspondances, on pressent des engagements incompatibles deux à deux, on touche des univers qui se coudoient sans s’éprouver. A ce titre, HSE renvoie une image fidèle d’aujourd’hui, où la poésie est éclatée, fragile mais à l’œuvre, sans doute, servie et protégée par son anonymat actuel, qui préserverait la diversité de sa faune et de sa flore. Il faut s’avancer dans le territoire d’une revue pour en découvrir le champ et la profondeur. Par son ouverture, HSE participe et donne à voir, avec la simplicité d’une revue, la vitalité de la poésie d’aujourd’hui.
Ensuite, HSE c’est une figure pleine d’histoire(s) – 60 ans l’année prochaine ; ce qui se traduit par un attachement et une sensibilité particulière aux poètes qui traversèrent cette période. Elle propose son récit, ses repères, son écoute sur ce temps long, que sans elle, on appréhenderait – peut-être trop il me semble – en la réduisant à quelques figures emblématiques. Peut-être croit-on se rassurer en la résumant ainsi. Peut-être aussi que la mise en récit effraie, tant l’ensemble parait hétéroclite ? Mais la poésie est aussi une histoire comme elle a besoin d’histoires pour s’éprouver. Sur elle, s’accrochent les marques du temps, le souvenir des poètes et des communautés qu’elle abrita, les luttes, les peurs, les quêtes, les illusions, les recherches dont elle fut le réceptacle. A l’écouter par le biais d’une revue, on entend des phrasés, on écoute des mouvements qui se dégagent et dans ce récit qui ne se dit pas, se dévoile peu à peu ce dont notre mémoire se tapisse. Ainsi, par cette mise en perspective des HSE, par l’illustration offerte plus que par l’explication, sa lecture participe à humaniser le regard sur la poésie, et si j’ose, à la montrer comme une histoire d’hommes et de femmes engagés par et dans leur création. Ou pour dire les choses autrement, je trouve dans cette revue, un juste équilibre entre poètes, poèmes et poésie.
Enfin, HSE est aujourd’hui une revue à la fois studieuse et généreuse. L’effort fourni pour écrire une biographie et une bibliographie de chaque poète présenté, de présenter une reproduction sans apprêt de photos, de construire de forts dossiers, utiles et pertinents, ou encore de proposer une large palette de recensions, tout cet effort souligne à la fois un sérieux et un engagement au service de la poésie peu communs ; et plus profondément encore, derrière cette égalité de traitement entre poètes connus et inconnus, une volonté de faire lien, de construire une communauté de poètes, position quelque peu utopique, mais si pleine de générosité, et à vrai dire, si nécessaire aujourd’hui.
Voilà, en quelques mots, l’intérêt très personnel que je porte à HSE, à cette communauté des invisibles. Cela n’entame en rien, bien sûr, le bien-fondé des autres revues de poésie, dont Arpa, La Revue de Belles-Lettres, Nunc bien sûr et aujourd’hui Recours au Poème ! Au contraire, c’est par HSE que je me suis ouvert à d’autres revues. C’est pourquoi aussi, de manière très subjective, il me semble que la place qu’occupe HSE dans le petit monde des revues de poésie reste singulière car elle traduit un besoin et un engagement lucides qui doivent être vivement soutenus."
Pierrick de Chermont (in recoursaupoème.fr, 2013).
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2010 – À propos du numéro 29/30
« Quelle importance si ma roue persévère - Seule et tournant sans fin sa propre fusion - Mon secret plus secret pour moi que pour les autres. - Mon âtre est ailleurs, (p. 165). Ce numéro spécial 29/30 des Hommes sans Épaules est constitué par un gros dossier « Henri Rode, l’émotivisme à la bouche d’orties », avec des essais de Christophe Dauphin et Lionel Lathuille et un important choix de poèmes d’Henri Rode (1917-2004 – voir fiche Wikipédia). » Florence Trocmé (Site internet Poézibao, 6 février 2011).
« Ce numéro 29/30 des Hommes sans Épaules, est un numéro spécial entièrement consacré à Henri Rode, poète "émotiviste" hors du commun à découvrir ou redécouvrir. » Lucien Aguié (site d’ARPO, février 2011).
« Ce numéro 29/30 des Hommes sans Épaules est un numéro spécial consacré entièrement à Henri Rode (1917-2004). Christophe Dauphin le préface deux fois. La première en reprise pour un recueil de 94 : Pandémonium. La seconde beaucoup plus étoffée pour l’œuvre entière (dont une partie reste inédite). Ce qu’on peut retenir sur cette forte étude : L’importance de la ville d’Avignon où le poète vit le jour, une œuvre d’abord romanesque avec des personnages très inspirés par sa famille proche, puis de résistance durant la seconde guerre mondiale, sous la tutelle de Marcel Jouhandeau avant de trouver toute sa puissance dans la poésie, et la rencontre entre autres assez pittoresque d’Aragon, racontée deux fois, avec des extraits toujours passionnants tirés de son Journal impubliable. Il se spécialise dans les chroniques cinématographiques et se rapproche du groupe HSE qui lance en 53 un « Appel aux riverains » et l’on voit toute la filiation que ce mot a pu avoir pour Christophe Dauphin. Celui-ci dresse une parenté pour Henri Rode entre Lautréamont hier et Cioran aujourd’hui. C’est en 80 que le poète publie son œuvre majeure : Mortsexe qui est donnée à la suite de cette analyse fine et complète. (Dessins de Lionel Lathuille). Je crois que j’aime le sexe parce qu’avec la mort il est l’extrême… Oublier que l’orgasme est le meilleur du vivre. Toutes les formes sont déclinées : du poème à l’aphorisme, du récit à l’article, Henri Rode brillait de tous ses feux quel que soit l’enjeu littéraire. Un poète important à découvrir grâce à ce fort volume de 300 pages. » Jacques Morin (Site internet de la revue Décharge, 16 février 2011)
« Plusieurs tendances, actuellement, se font jour : « la poésie du quotidien », « la poésie émotiviste » marquée par la parution récente d’une Anthologie émotiviste publiée par Christophe Dauphin au Nouvel Athanor, « la poésie engagée » et la poésie néo-classique »… En règle générale, la poésie contemporaine œuvre à hauteur d’homme. Elle témoigne de l’homme et de ses destins difficiles. Certains le font en haut d’une tour, d’autres au fond d’une cave mais, toujours, c’est de l’homme dont il s’agit. En tout cas bien plus de l’homme que des dieux. Certaines revues appuient cette recherche vers le bas ou vers le haut. Elles offrent une chance dans leur diversité : Verso d’Alain Wexler, Diérèse de daniel martinez, Comme en poésie de Jean-Pierre Lesieur, Les Hommes sans Épaules de Christophe Dauphin et Les Cahiers du Sens de Jean-Luc Maxence. » Michel Héroult (À L’Index n°19, 2011)
« Le numéro 29/30 des HSE, la revue de Christophe Dauphin, est consacré intégralement au poète avignonnais Henri Rode (1917-2004), romancier, journaliste, critique cinématographique (il a publié une biobibliographie d’Alain Delon), poète (la poésie, toujours présente, prendra le pas sur le roman dès sa rencontre avec Jean Breton et d’autres jeunes poètes, fondateurs et animateurs de la revue Les Hommes sans Épaules, à laquelle il collaborera dès sa création en 1953). Christophe Dauphin tisse un long (90 pages), passionné et passionnant portrait de ce poète, touchant au plus juste de ses doutes, engagements, positions, amitiés (Aragon, Nimier, Jouhandeau, ...), douleurs, etc. De larges extraits ponctuent ce portrait inspiré, qui est aussi partiellement celui d’une aventure, celle des HSE. Suivent près de 200 pages de textes, poèmes inédits, extraits du Journal impubliable (La mort, ce dernier rire du sperme), larges extraits de Mortsexe (1980), « son chef-d’œuvre aux déjections d’une violence inouïe », (Patrice Delbourg). Une vingtaine de dessins de Lionel Lathuille ponctuent, en parfaite adéquation, ces pages brûlantes, douloureuses, lucides, qu’il est temps de (re)découvrir. » Jacques Fournier (« Ecoute é Notes », 13 avril 2011).
« Il y avait bien longtemps que je n’avais plus de vrais contacts vivants avec mes amis surréalistes, sauf quelques exceptions, dont les HSE, revue animée par Christophe Dauphin, dont la fidélité sans failles rend un hommage imposant à Henri Rode dans le numéro 29/30 avec un sous-titre particulièrement clair : « l’émotivisme à la bouche d’orties », soit les amitiés d’émotion où je retrouve par exemple Frans Masereel et Henri Michaux. De quoi faire ou refaire connaissance avec la plus grande liberté d’écriture et de graphismes. Surréalisme encore, mais tragiquement, que cette existence qui me fait penser à Desnos ou Crevel pour la passion d’écrire, mais qui a duré 87 ans sans la moindre baisse de niveau. Triste qu’il ne soit pas plus connu, alors que Dauphin évoque pour la « Bouches d’orties », le Piranèse que j’avais trouvé chez Marcel Mariën au temps du « Miroir d’Elisabeth ». Il s’est défini ainsi : « La seule poésie qui me paraisse valable aujourd’hui est celle qui échappe, tel un monstrueux lapsus, à la culture et à la direction de celui qui l’écrit. » Paul Van Melle (Inédit Nouveau n°250, mai/juin 2011).
« 306 pages, achevées d’imprimer début 2011, pour célébrer le poète et critique Henri Rode, trop oublié par un siècle superficiel. L’article inaugural de Christophe Dauphin et les suivants sont primordiaux, d’ailleurs, pour mieux comprendre la place de grande importance occupée à partir de 1953 à Avignon par Henri Rode (1917-2004). Certes, ce n°29/30 de l’excellente revue Les Hommes sans Épaules, restitue avec pertinence « l’émotivisme à la bouche d’orties » de Rode, dans son temps, mais il étonne surtout par ses poèmes proposés ici, inédits y compris… Certes, Henri Rode n’est pas un poète pour jeunes filles à l’âme légère, il se situe entre Lautréamont et Jean Cocteau, souvent, il tourne le dos à l’insignifiance, il est davantage « bouches d’orties » que « bouche d’ombre ». Il n’empêche, ce décryptage de son œuvre est une réussite rare qui a « son poids de féérie. Jean-Luc Maxence (Le Cerf-volant n°224, 2011).
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2010 – À propos du numéro 29/30
« Quelle importance si ma roue persévère - Seule et tournant sans fin sa propre fusion - Mon secret plus secret pour moi que pour les autres. - Mon âtre est ailleurs, (p. 165). Ce numéro spécial 29/30 des Hommes sans Épaules est constitué par un gros dossier « Henri Rode, l’émotivisme à la bouche d’orties », avec des essais de Christophe Dauphin et Lionel Lathuille et un important choix de poèmes d’Henri Rode (1917-2004 – voir fiche Wikipédia). » Florence Trocmé (Site internet Poézibao, 6 février 2011).
« Ce numéro 29/30 des Hommes sans Épaules, est un numéro spécial entièrement consacré à Henri Rode, poète "émotiviste" hors du commun à découvrir ou redécouvrir. » Lucien Aguié (site d’ARPO, février 2011).
« Ce numéro 29/30 des Hommes sans Épaules est un numéro spécial consacré entièrement à Henri Rode (1917-2004). Christophe Dauphin le préface deux fois. La première en reprise pour un recueil de 94 : Pandémonium. La seconde beaucoup plus étoffée pour l’œuvre entière (dont une partie reste inédite). Ce qu’on peut retenir sur cette forte étude : L’importance de la ville d’Avignon où le poète vit le jour, une œuvre d’abord romanesque avec des personnages très inspirés par sa famille proche, puis de résistance durant la seconde guerre mondiale, sous la tutelle de Marcel Jouhandeau avant de trouver toute sa puissance dans la poésie, et la rencontre entre autres assez pittoresque d’Aragon, racontée deux fois, avec des extraits toujours passionnants tirés de son Journal impubliable. Il se spécialise dans les chroniques cinématographiques et se rapproche du groupe HSE qui lance en 53 un « Appel aux riverains » et l’on voit toute la filiation que ce mot a pu avoir pour Christophe Dauphin. Celui-ci dresse une parenté pour Henri Rode entre Lautréamont hier et Cioran aujourd’hui. C’est en 80 que le poète publie son œuvre majeure : Mortsexe qui est donnée à la suite de cette analyse fine et complète. (Dessins de Lionel Lathuille). Je crois que j’aime le sexe parce qu’avec la mort il est l’extrême… Oublier que l’orgasme est le meilleur du vivre. Toutes les formes sont déclinées : du poème à l’aphorisme, du récit à l’article, Henri Rode brillait de tous ses feux quel que soit l’enjeu littéraire. Un poète important à découvrir grâce à ce fort volume de 300 pages. » Jacques Morin (Site internet de la revue Décharge, 16 février 2011)
« Plusieurs tendances, actuellement, se font jour : « la poésie du quotidien », « la poésie émotiviste » marquée par la parution récente d’une Anthologie émotiviste publiée par Christophe Dauphin au Nouvel Athanor, « la poésie engagée » et la poésie néo-classique »… En règle générale, la poésie contemporaine œuvre à hauteur d’homme. Elle témoigne de l’homme et de ses destins difficiles. Certains le font en haut d’une tour, d’autres au fond d’une cave mais, toujours, c’est de l’homme dont il s’agit. En tout cas bien plus de l’homme que des dieux. Certaines revues appuient cette recherche vers le bas ou vers le haut. Elles offrent une chance dans leur diversité : Verso d’Alain Wexler, Diérèse de daniel martinez, Comme en poésie de Jean-Pierre Lesieur, Les Hommes sans Épaules de Christophe Dauphin et Les Cahiers du Sens de Jean-Luc Maxence. » Michel Héroult (À L’Index n°19, 2011)
« Le numéro 29/30 des HSE, la revue de Christophe Dauphin, est consacré intégralement au poète avignonnais Henri Rode (1917-2004), romancier, journaliste, critique cinématographique (il a publié une biobibliographie d’Alain Delon), poète (la poésie, toujours présente, prendra le pas sur le roman dès sa rencontre avec Jean Breton et d’autres jeunes poètes, fondateurs et animateurs de la revue Les Hommes sans Épaules, à laquelle il collaborera dès sa création en 1953). Christophe Dauphin tisse un long (90 pages), passionné et passionnant portrait de ce poète, touchant au plus juste de ses doutes, engagements, positions, amitiés (Aragon, Nimier, Jouhandeau, ...), douleurs, etc. De larges extraits ponctuent ce portrait inspiré, qui est aussi partiellement celui d’une aventure, celle des HSE. Suivent près de 200 pages de textes, poèmes inédits, extraits du Journal impubliable (La mort, ce dernier rire du sperme), larges extraits de Mortsexe (1980), « son chef-d’œuvre aux déjections d’une violence inouïe », (Patrice Delbourg). Une vingtaine de dessins de Lionel Lathuille ponctuent, en parfaite adéquation, ces pages brûlantes, douloureuses, lucides, qu’il est temps de (re)découvrir. » Jacques Fournier (« Ecoute é Notes », 13 avril 2011).
« Il y avait bien longtemps que je n’avais plus de vrais contacts vivants avec mes amis surréalistes, sauf quelques exceptions, dont les HSE, revue animée par Christophe Dauphin, dont la fidélité sans failles rend un hommage imposant à Henri Rode dans le numéro 29/30 avec un sous-titre particulièrement clair : « l’émotivisme à la bouche d’orties », soit les amitiés d’émotion où je retrouve par exemple Frans Masereel et Henri Michaux. De quoi faire ou refaire connaissance avec la plus grande liberté d’écriture et de graphismes. Surréalisme encore, mais tragiquement, que cette existence qui me fait penser à Desnos ou Crevel pour la passion d’écrire, mais qui a duré 87 ans sans la moindre baisse de niveau. Triste qu’il ne soit pas plus connu, alors que Dauphin évoque pour la « Bouches d’orties », le Piranèse que j’avais trouvé chez Marcel Mariën au temps du « Miroir d’Elisabeth ». Il s’est défini ainsi : « La seule poésie qui me paraisse valable aujourd’hui est celle qui échappe, tel un monstrueux lapsus, à la culture et à la direction de celui qui l’écrit. » Paul Van Melle (Inédit Nouveau n°250, mai/juin 2011).
« 306 pages, achevées d’imprimer début 2011, pour célébrer le poète et critique Henri Rode, trop oublié par un siècle superficiel. L’article inaugural de Christophe Dauphin et les suivants sont primordiaux, d’ailleurs, pour mieux comprendre la place de grande importance occupée à partir de 1953 à Avignon par Henri Rode (1917-2004). Certes, ce n°29/30 de l’excellente revue Les Hommes sans Épaules, restitue avec pertinence « l’émotivisme à la bouche d’orties » de Rode, dans son temps, mais il étonne surtout par ses poèmes proposés ici, inédits y compris… Certes, Henri Rode n’est pas un poète pour jeunes filles à l’âme légère, il se situe entre Lautréamont et Jean Cocteau, souvent, il tourne le dos à l’insignifiance, il est davantage « bouches d’orties » que « bouche d’ombre ». Il n’empêche, ce décryptage de son œuvre est une réussite rare qui a « son poids de féérie. Jean-Luc Maxence (Le Cerf-volant n°224, 2011).
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2006 - À propos du numéro 21
« Un communiqué des HSE nous informe de la disparition de Jean Breton qui, pour moi, est toujours resté le fondateur de la collection de poésie à 1 franc (français de 1969), que beaucoup ont abandonnée lorsqu’elle est passée à deux francs. Mais en fait il fut surtout un poète discret, auteur avec le regretté Serge Brindeau, en 1964, d’un ouvrage que je rêve de découvrir, mais épuisé depuis longtemps : Poésie pour vivre, le manifeste de l’homme ordinaire, qui paraît-il a fait de lui à l’époque « le chef de file des poètes de l’émotion ». C’est ce que rappelle le comité de rédaction de la revue littéraire qu’il fonda en 1953, Les Hommes sans Épaules (référence au grand maître de l’anticipation Rosny, encore un Belge !), qui continue aujourd’hui ses livraisons semestrielles…. La revue Les Hommes sans Épaules n°21, n’a donc plus Jean Breton, ni Guy Chambelland, disparu en 1996, et à qui un premier hommage avait été consacré en 2000 (n°7/8). Elle récidive aujourd’hui dans un imposant dossier, ce qui permet ma question. Et la réponse est oui. Bien d’autres poètes ont fondé des revues, souvent avec peu de chances de réussite, et même certains n’ont pu sortir qu’une seule ou peu de livraisons, parfois devenues célèbres. Indication de plus que les deux « métiers » peuvent (presque doivent pour d’aucuns) être vécus avec la même passion. Chambelland, lui, a réussi son entreprise avec la revue Le Pont de l’épée, mythique, et ses éditions, devenues classiques par les choix rigoureux du revuiste et poète. Christophe Dauphin introduit le dossier et le salut de nombreux poètes d’aujourd’hui, mais j’ai particulièrement apprécié la petite anthologie de la revue et des éditions reprenant un texte paru souvent il y a bien longtemps et où j’ai le plaisir de retrouver mon voisin Robert Goffin, de La Hulpe, que je n’ai pu rencontrer (1898-1978), que par le canal d’une autre revue mythique (et belge) : Empreintes. Beaucoup de noms connus dans ce choix très partiel, preuve de la rigueur du poète-éditeur. » Paul Van Melle (Inédit Nouveau n°207, La Hulpe, Belgique, novembre 2006).
« Les HSE n°21. Un habituel riche choix de textes de fond des éditions Chambelland pour une virée dans le passé, dominante années 60, 70, suivi d’un dossier consacré à l’éditeur pour se rappeler qu’il fut également un excellent poète : ... les bras me poussent / jusqu’à l’illusion des autres / qui nourrit le mot poésie. » Yves Artufel (Liqueur 44 n°79, hiver 2006).
« Christophe Dauphin a orchestré ce numéro 21 des HSE, consacré à Guy Chambelland, poète de l’émotion, disparu brutalement le 13 janvier 1996. Dix ans plus tard, François Montmaneix souhaite que soit comblé « une partie du trou noir creusé autour de Guy Chambelland, le directeur de la revue Le Pont de l’Epée et l’un des plus importants éditeurs de poésie de la seconde moitié du XXe siècle. » Pour ce faire, un choix de poèmes de vingt-neuf poètes édités par Chambelland. Qu’on me permette de citer Robert Goffin, Jean Rousselot, Alain Borne, Paul Vincensini, Javotte Martin, Roger Kowalski, déjà décédés et d’attirer l’attention sur le poème inédit « La mission du poète », d’Ilarie Voronca. Suivent plus de quarante pages d’un choix de poèmes de Chambelland, qui porte mémoire et rend justice à son talent de poète, souvent laissé au second plan, derrière le travail du critique et de l’éditeur. Dix témoignages de proches viennent conclure cette évocation. » Paul Roland (Rétro-Viseur n°106, mai 2007).
« Les HSE n°21, où nous retrouvons Jean Chatard… Mais LE dossier, dans ce numéro, est consacré à l’aventure, au rêve au bout du chemin, au Katmandou des poètes qu’il a su longtemps incarner : Guy Chambelland – et Le Pont de l’Epée, bien sûr, des textes de cette figure mythique. Et puis, Les Hommes sans Epaules, les Wah se souviennent, dix ans après sa mort du « poète de l’émotion », selon le mot de Christophe Dauphin qui nous raconte encore le grand homme dans un article qu’il intitule Chambelland ou la quête du Graal dans la boue de l’être. Il y a aussi des témoignages, une dizaine : Chabert, Temple, Uniack, Farellier, Kober, Curtil, Védrines, Simon, Prevan, Breton, Montmaneix… Il y a aussi les « poètes du Pont » : une trentaine de poètes – chacun avec sa notice bio et biblio – et un de leurs poèmes tous publiés à un moment par les Editions Chambelland ou par Le Pont de l’Epée. Impossible de les citer tous ! Mais tous sont présents. Emouvant. » Alain Lacouchie (Friches, février 2007).
« Peut-être est-ce le moment de dire ici que Jean Breton, fondateur des Hommes sans Épaules, en 1953 et de Poésie 1 est décédé le 16 septembre 2006 à son domicile parisien des suites d’une longue maladie. Il aura indiscutablement, marqué ce XXe siècle en poésie tant comme animateur que comme poète. On lui doit Poésie pour vivre, le manifeste de l’homme ordinaire (1964) qu’il co-écrivit avec Serge Brindeau. Il fut un chef de file des poètes de l’émotion et, certainement, un grand poète de l’amour… Ce numéro 21 des Hommes sans Épaules est consacré à Guy Chambelland, vieux complice et ami de Jean Breton, autre grand poète de l’émotion disparu, lui, en 1996. Pour qui a connu et fréquenté Guy Chambelland, ce numéro est précieux à plus d’un titre. « Guy Chambelland et Jean Breton sans souci de théorisation, ont été les premiers à parler d’émotivisme en poésie. Je qualifierai d’émotivisme, écrit Christophe Dauphin dans son éditorial, la poésie qui nous occupe et que nous défendons. Émotiviste, c’est-à-dire vécue et ressentie vitalement. Cette poésie se soucie fort peu (voire méconnaît) des déviations pathologiques qui ont nom esthétique, littérature ou autres, et qu’un monde désensibilisé par l’usage quotidien et machinal de sentiments réduits aux fantômes de leurs propres ombres lui a imposées envers et contre les poètes. » Collaborent à ce numéro de nombreux auteurs ayant vécu dans la galaxie Chambelland, les poètes du Pont de l’Epée, de Robert Goffin à Jehan Van Langhenhoven, en passant par Rousselot, Chabert, Borne, Temple, Vincensini, Breton, Martin, Kowalski, Bachelin, Simon… parmi les 85 que Chambelland s’enorgueillit d’avoir édités. Autrement dit, un travail de mémoire important qu’il faut saluer à sa juste valeur. Christophe Dauphin et la revue Les Hommes sans Épaules nous offrent là une publication d’exception. » Jean-Pierre Védrines (Souffles n°217, février 2007).
« Christophe Dauphin nous parle d’abord, dans ce n°21 des HSE, de Guy Chambelland, poète de l’émotion, qui nous quitta brutalement en janvier 1996. Il n’a jamais eu autant « d’amis » nous dit Dauphin, que depuis qu’il est mort. Il évoque, à cette occasion, sa complicité avec Jean Breton et quelques poètes représentatifs de la revue du Pont de l’Epée, porte-voix de Guy Chambelland… La rubrique « Ainsi furent les Wah » présente les poètes du Pont. On ne peut les citer tous… Tous ceux-là, plus quelques autres, constituaient en quelque sorte, la prestigieuse « écurie » Chambelland qui n’a toujours pas la place qu’il mérite. Bel hommage de Christophe Dauphin à Chambelland, qui ne pouvait guère rêver meilleur exégète et apologue. Suit un large choix de poèmes extraits des différents recueils de Guy (1961-1996). » Jean Orizet (Poésie 1/Vagabondages n°49, mars 2007). « Important hommage est rendu, dans ce n°21 des HSE, à Guy Chambelland, disparu le 13 janvier 1996. Christophe Dauphin parle de son émotivisme en poésie, mais aussi de son talent de pamphlétaire et de polémiste ; Alain Simon de « l’homme excédé, le poète excessif » ; Paul Farellier note son « authentique pudeur qui sait tromper l’ennemi » à propos du livre Courtoisie de la fatigue ; Pierre Chabert le compare à Balzac !; Frédéric-Jacques Temple rappelle « qu’il a donné le meilleur de lui-même à la poésie en la servant et non pour s’en servir » ; Gérard Uniack dresse son portrait en « sorte de Biribi avec une élégance nonchalante » ; Jean Breton note « ce don des rythmes, des raccourcis et des images comme palpables, ces truculences du parlé, ces préciosités rares ». Christophe Dauphin rappelle aussi que Guy Chambelland a publié Ilarie Voronca dont il donne un inédit… Ce numéro est accompagné de cinquante pages de poèmes en l’honneur de Chambelland, venus des poètes du Pont. » Bernard Fournier (Aujourd’hui poème n° 15, avril 2007).
« Les poèmes les plus percutants de Guy Chambelland, large choix proposé par LES HOMMES SANS ÉPAULES n°21, mêlent la vigueur de l’amant et la douleur de l’homme : J’allais dire – Cette femme dans la rue à la gueule étonnante – ses yeux feutrant le foutre – et son cul balancé comme une horloge à couilles – j’allais tenter de dire – l’instant mâle touché du dieu ». Qui oserait encore écrire comme ça ? Question qui me permet d’enfourcher mon dada car si Chambelland est une nature (un de ses amis dit qu’au physique il ressemblait à Flaubert…), ses poèmes sont aussi la résultante d’un contexte historique : il commence à écrire en pleine poésie nationale (1945), il continue sous les pesanteurs d’un ordre moral qui explosera en 1968… Sinon ses amis à Chambelland témoignent, sans ménagements mais avec tendresse, du caractère vif du bonhomme, de l’énormité de son travail d’éditeur, de revuiste au Pont de l’Épée. Ils n’oublient pas d’indiquer que le petit monde littéraire parisien (bah ! un monde littéraire chasse l’autre) en veut toujours à Chambelland et que dans sa disgrâce il a entraîné avec lui ses auteurs. » Christian Degoutte (Verso n°131, décembre 2007).
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