Dans la presse

 

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2017 - A propos du numéro 43 :

" La dernière livraison des Hommes sans Epaules, comme les précédentes, comporte de nombreuses études, des poèmes, des notes de lecture. L’éditorial, signé par Yves Bonnefoy, récemment disparu, intitulé La poésie n’est pas un dire mais un déblaiement, une instauration, définit avec force le but, les pouvoirs de la poésie : « Continuer d’espérer, vaille que vaille. Continuer de penser que l’arbre et le chemin sont si beaux dans la lumière du soir que ce ne peut être pour rien, et que nous avons toujours la tâche de les montrer, dans leur évidence. » Belle profession de foi de la part d’un de nos plus grands défenseurs de la poésie, d’un de nos meilleurs poètes.

La rubrique Les porteurs de feu est consacrée à Ounsi El Hage, poète arabe, présenté par Christophe Dauphin et tandis que Paul Farellier rend hommage à Jean-Paul Hameury, poète, essayiste, nouvelliste, décédé en 2009.

Dans les rubriques suivantes on peut lire, entre autres poèmes, ceux de Jean Pérol, d’Olga Vassileva, de Joachim Arthuys, de Louis Peccoud.

Paul Farellier consacre une étude, Le poème pour condition, qui est proche d’un essai, à l’un de nos poètes les plus représentatifs de sa génération : Lionel Ray. Cette étude chronologique permet de suivre l’itinéraire de Lionel Ray dès « Partout ici même » ( Gallimard, 1978 ) qui est « un livre inaugural » et Paul Farellier d’étudier la structure de cette écriture, la thématique en germe dans ce livre. Poète lyrique, Lionel Ray est hanté par l’absence, dans « Matière de nuit » ( Gallimard, 2004 ), par exemple, par le temps, dont la présence s’affirme dans « Syllabe de sable » (Gallimard, 1996 ), sans oublier la présence de l’amour, ce que Paul Farellier nomme les « iles amoureuses » ni celle qui lui fait écho : la mort, dans « Le Nom perdu » (Gallimard,1987 ). Cette étude d’une grande densité permet de mettre en lumière les différents aspects de la poésie de Lionel Ray, de le suivre dans son cheminement poétique qui est celui d’un homme en quête de vérité et de lucidité.

Dans la rubrique Une voix, une œuvre, Christophe Dauphin présente Taslima Nasreen, poète bengali dont la tête fut mise à prix dans son pays en raison de ses écrits, de son soutien apporté aux victimes de Charlie Hebdo. On peut lire quelques poèmes de cette femme militante dont l’œuvre comprend poèmes, romans, récits publiés en France chez différents éditeurs.

Il faut aussi mentionner, outre les nombreuses notes de lecture des Portraits éclairs, ceux de Christophe Dauphin et de Réginald Gaillard par Pierrick de Chermont et de Jean-Louis Bernard par Michel Passelergue. Pour terminer cette livraison propose de nombreux textes et poèmes de plusieurs auteurs dont Frédéric Tison, Paul Eluard, Michel Butor, Gérard Cléry, Nanos Valaoritis et bien d’autres.

Les Hommes sans Epaules constituent une source créatrice et poétique dont on ne saurait négliger l’importance et la diversité des propos, la qualité des différentes rubriques et celle des textes choisis."  

Max ALHAU (cf. "Chemins de lectures" in revue-texture.fr, mars 2017).

*

" Ce quarante-troisième Cahier Littéraire des HSE est consacré à Lionel Ray. Le dossier établi par Paul Farellier est accompagné de poèmes inédits. C’est au début des années 70 que Lionel Ray abandonne le nom de Robert Lohro pour marquer une rupture dans son cheminement et son œuvre poétiques. C’est une période de dissidence, de déconstruction, « celle aussi, nous dit Paul Farellier, d’un totalitarisme linguistique où le poème aura bientôt peine à trouver sa respiration. Mais, trop vrai poète, l’homme auquel nous avons affaire pouvait-il se démettre longtemps de sa liberté ? »

Cette première rupture en annonce une autre, dix ans plus tard, une « métamorphose » qu’il décrira lui-même :

« Alors j’ai décidé, faisant table rase de mes fausses terreurs comme de tout terrorisme linguistico-théorique, de saisir la coïncidence la plus exacte possible entre écrire et vivre, et comme l’un de l’autre se fortifie, d’interroger cette rencontre de l’événement, du regard et du poème. »

Remarquons que cette métanoïa créatrice échappe ici à toute posture.

« Le poème, chez Lionel Ray, nous dit encore Paul Farellier, n’est jamais le déversoir d’une plénitude ; il vient en contrepoint d’un manque, comme la marque d’un dénuement qui obligerait le poète à se jeter dans l’espace verbal. »

Des ruptures au sein de l’apparaître émane toutefois une permanence qui fait du temps une matière à travailler par le langage autant que le temps pétrit la langue.

Dans l’éditorial d’Yves Bonnefoy, disparu le 1erjuillet 2016, éditorial intitulé La poésie n’est pas un dire, mais un déblaiement, une instauration, nous lisons ceci :

« La poésie ? Ce n’est pas ajouter des livres à d’autres, sur des rayons de bibliothèque, pour faire avec eux une littérature, et son histoire, et de la culture, autrement dit de la mort, non, c’est tenter de rendre aux mots la pleine mémoire de ce qu’ils nomment : ces choses simples qui sont de l’infini, de la vie, quand on les perçoit dans leur immédiateté, mais que notre discours conceptualisé, tout analytique, remplace par ses schèmes, ses abstractions. (…)

D’où l’intérêt qu’il y a, pour qui se soucie de la poésie, à écouter les questions qui lui sont posées, c’est une occasion de prendre conscience de ce qui, dans sa réflexion ou même au plus intime de son existence de chaque jour, veut lui faire oublier ce devoir de lucidité, c’est-à-dire abandonner sa grande espérance. »

Rémy BOYER (in incoherism.wordpress.com, avril 2017).

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"Les Hommes sans Epaules nous livrent leur 43ème cahier littéraire, un volume, lui aussi, copieux, avec quelques trois cents pages et quelques plats de résistance(s). Ainsi l'éditorial, La poésie n'est pas un dire, mais un déblaiement, une instauration, est-il signé par Yves Bonnefoy, disparu le 1er juillet 2016. Il s'agit en fait d'extraits d'entretiens et de correspondances avec le poète. Je citerai en vrac quelques fragments qui nous aident, j'en suis convaincu, à vivre le mieux et le plus justement possible, non pas en poète, mais en poésie : La poésie ? Ce n'est pas ajouter des livres à d'autres... c’est tenter de rendre aux mots la pleine mémoire de ce qu’ils nomment : ces choses simples qui sont de l’infini, de la vie, quand on les perçoit dans leur immédiateté, mais que notre discours conceptualisé, tout analytique, remplace par ses schèmes, ses abstractions.... La poésie tend à déconstruire les mythes qui l'entravent.

Au sommaire d'une revue qui se doit d'être conservée en bibliothèque, une belle étude consacrée à l'oeuvre de Lionel Ray par Paul Farellier (j'y reviendrai dans le prochain numéro pour évoquer son dernier livre paru, Souvenirs de la maison du temps, Gallimard, 2017), mais en voici déjà un bref extrait : Peut-être aurait-il fallu s'ouvrir à la violence - Des chemins, retrouver un père - Haut comme le jour ... - Qu'avons-nous fait de tout ce temps - Qui nous semblait inépuisable - De tant de flammes de portes vives et d'attente ?

Il y a tout, ou presque, à lire dans Les Hommes sans Epaules, il y en aura donc pouir toutes les faims, toutes les soifs. Peut-être vous citer encore le texte de Frédéric Tison et sa méditation sur Hölderlin, les poèmes de Taslima Nasreen, poète Bengali, les poèmes de Joachim Arthuys et bien évidemment ceux de Jean Pérol... Il faut manger le tout !"

Yves NAMUR (in Le Journal des poètes n°3, septembre 2017, Châtelineau, Belgique).

*

" C'est l'un des revues les plus copieuses, appréhendant par ses nombreux dossiers et ses études la diversité de la poésie actuelle. Introduit par un décapant texte d'Yves Bonnefoy sur la poésie qui "tente de rendre aux mots la pleine mémoire de ce qu'ils nomment", des dossiers sur Lionel Ray, poète parmi ceux qui comptent aujourd'hui et sur la poète bengali Taslima Nasreen."

Marie-Josée CHRISTIEN (in Spered Gouez n°23, novembre 2017).




2004 - À propos du numéro 16

     « Au fil des numéros, cette revue de poésie s’impose comme l’une des plus sincères de notre début de siècle. Les présentations de Jean Rousselot, puis d’Ilarie Voronca par Christophe Dauphin sont louangeuses avec intelligence, celle d’André Miguel par Jean Breton, plus courte, évoque avec pertinence « l’expression d’une certitude mystique en liberté, loin du sacré ». Nous avons aimé aussi les textes d’Henri Rode et de Roland Nadaus, et le poème surprenant de Jean Cocteau qu’éditèrent Jean Breton et Guy Chambelland, en 1969, lors de la parution de Faire-part, dans Poésie-Club.
Signalons enfin que chaque abonné aux HSE, avec ce seizième numéro, a reçu un CD passionnant intitulé « autour de Jean Cocteau ». Le témoignage de Jean Breton, direct et chaleureux, sur Cocteau, un « aîné capital », est sans nul doute utile. Il remet en place la vérité historique sur ce « Feu » qui ne voulait pas être comparé au Jeu. Dans le même esprit, l’ensemble de ce CD (avec Christophe Dauphin, Henri Rode, Jean Breton et Yves Gasc) constitue une sorte d’événement poétique à ne pas manquer…. En ce début de vingt-et-unième siècle, Les Hommes sans Épaules me semble être une grande revue de poésie, ouverte et libre qui mérite un coup de chapeau par son esprit de découverte poétique, le sérieux de sa démarche, l’indépendance des auteurs qui rendent compte des nouveautés poétiques de l’année. Elle me semble de haute tenue et d’utilité publique. »
    Jean-Luc Maxence (Les Cahiers du Sens n°14, mai 2004).

« Avec le ton très personnel qui lui est donné par son animateur et rédac’chef Christophe Dauphin, le n°16 du semestriel Les Hommes sans Épaules s a choisi comme «porteurs de feu » Jean Rousselot et André Miguel. Un choix qui correspond bien au désir de nouveauté et de révolte à la fois de la revue. »   
    Paul Van Melle (Inédit Nouveau n°183, La Hulpe, Belgique, août 2004).

    « La revue Les Hommes sans Épaules présente dans son numéro 16, une évocation de Pierre Gabriel par Paul Farellier. Il faudra souvent revenir à l’œuvre profondément et tragiquement humaine de Pierre Gabriel, mort il y a 10 ans. »
    Gérard Bocholier (Arpa n°83, juin 2004).

    « Nous en avons déjà parlé ; cette revue fait maintenant référence pour tout chercheur en poésie. Ce numéro 16 des HSE est à conserver (ou concerter) pour une présentation de Jean Rousselot, accompagnée de poèmes.  Dans le même chapitre, quelques beaux poèmes d’André Miguel. Et puis quelques jeunes contemporains ; on aime ou non ; ce sont d’authentiques poètes dans le sens où nous en parlions au sujet des précédentes revues. Très intéressante critique de Pierre Gabriel par Paul Farellier. Christophe Dauphin, rédacteur en chef de la revue, nous offre un dossier représentatif de l’œuvre d’Ilarie Voronca, dont on connaît l’aventure tragique… Encore un numéro à conserver dans notre bibliothèque et que l’on ne dise pas que la poésie est morte ! »
    Claudine Helft     (Aujourd’hui Poème n° 16, 2004).

    « Dans son manifeste, De l’émotivisme : reprenant ce mot inventé par Guy Chambelland « Si j’avais dû créer un isme j’aurai créé l’émotivisme ! Il n’y a pas de poésie sans émotion », Christophe Dauphin poursuit « l’émotivisme est le développement d’un être qui délivré de ses parasites – c’est-à-dire des épluchures du réel –, s’insurge contre toutes les institutions répressives, tout en travaillant à la refonte des structures de l’esprit humain ». Ça part d’une bonne intention, mais l’émotion sans la raison ça me fait un peu peur, ça fait reportage télé à grosses larmes, et puis c’est l’émotion qui conduit les foules aux pires folies. Sinon, ce numéro 16 (162 pages) des Hommes sans Épaules, c’est plein de bons auteurs… Jean Cocteau, le disque offert avec ce n°16 des HSE, Christophe Dauphin témoigne et présente, Henri Rode et Jean Breton sont interrogés à propos de leurs rencontres avec Cocteau… discours, brio, élégance masquent les inquiétudes. »
    Christian Degoutte (Verso n°118, septembre 2004).

    « Avec ce numéro 16, la revue Les Hommes sans Épaules prend le bel envol que nous espérions et les 162 pages de cette livraison rassemblent ce que la poésie peut nous offrir de meilleur aujourd’hui. Les « Porteurs de Feu » se nomment Jean Rousselot et André Miguel. Le premier vient de nous quitter mais restera dans nos mémoires longtemps encore, et le second a choisi le silence (et un isolement que nous respectons). Jean Rousselot et André Miguel demeurent des modèles pour les poètes de notre génération. Souhaitons qu’il en soit de même pour la future… En cadeau à ses abonnés, la revue Les Hommes sans Épaules offre un CD Autour de Jean Cocteau. Il se passe décidément beaucoup de choses du côté de la rue Racine ! »
    Jean Chatard (Rétro-Viseur n°99, janvier 2005).




Lectures :

*

Ce beau numéro de la revue fondée par Jean Breton en 1953 est consacré aux Damnées et Damnés de la poésie.Voici quelques extraits de l’éditorial puissant de Christophe Dauphin qui appelle à un Manifeste de l’Emotivisme :

« La création est pour le poète la blessure originelle. Son poème est habité, vécu, y compris dans la dimension onirique : un enjeu d’être total, et pour tout dire, émotiviste, car l’émotion est l’équation du rêve et de la réalité ; qui met le sujet hors de soi. »

« La poésie c’est l’être et non le paraître, un vivre et non un dire. Dans cet enjeu d’être total, ils sont nombreux, ceux qui, connus, inconnus, méconnus, ont laissé jusqu’à leur vie : les grands gisants d’intime défenestration, écrit Roger-Arnould Rivière, qui ajoute : je sais que la détonation contient le même volume sonore – que les battements du cœur qui bâtissent toute une vie. »

« La damnation, la malédiction du poète, c’est aussi ces livres qui se lisent peu ou pas, dont la diffusion est complexe et dont personne ne parle, qu’à titre confidentiel. Au mépris de la société répond souvent, plus cinglant, le mépris ou l’incompréhension de l’entourage. Le mépris, c’est-à-dire, l’indifférence. En somme le poète est un invisible, il n’existe pas. On l’aime mort après une vie malheureuse. »

« Il faut bien dire cette solitude, ce désarroi, ce désespoir, qui entourent le poète. Il n’était pas, il n’est toujours pas facile de vivre dans la peau d’un poète, qui doit exister en face de gens qui nient purement et simplement son existence… »

Pourtant, aucun misérabilisme chez Christophe Dauphin mais une juste lucidité qui s’accompagne de sagesse, d’une science du combat et d’un art de l’être.

« La poésie est l’unique réponse aux mascarades mensongères du monde, l’expression la plus intime et la plus intense de l’être. »

Il ne s’agit pas seulement de résistance à l’oppression mais bien d’un chemin intime de libération, ce qu’illustre le dossier consacré à Edouard J. Maunick, « le poète ensoleillé vif », dont la poésie s’épanouit entre île et exil, la condition même de l’être, exilé dans l’humain, et qui se constitue comme île.

« Pour moi, dit-il, la parole poétique n’est pas du tout différente de la parole physique, c’est-à-dire de ce mécanisme de vie qui commence au ventre, au plexus solaire, traverse la colonne, la trachée et sur lequel, au moment où l’expiration va se produire, l’homme appose une rumeur intelligible. C’est cela la parole. Je n’ai jamais pu corroborer l’expression coup au cœur – pour moi, il s’agit toujours d’un coup au ventre. Le poème étant la parole exigée, toute parole prononcée par l’homme et qui ne ressort pas au quotidien domestique, est poème. Par quotidien domestique, entendons ce que les civilisations nous ont donné comme manières, nous ont créé de verbiages, etc. »

 

Testament d’un errant (extrait)

 

… si meurt le poème/

le bluff littéraire

l’aura emporté

sur une autre Passion

sans les trente deniers

mais payées en nègres/

sans Gethsemani

pour dernière prière

mais l’île de Gorée

pour station maudite/

triste embarcadère

d’une ébène de chair

vers l’Outre-Atlantique/

Golgotha de mer

dans le Sanhédrin

ni de Ponce Pilate/

mais docteur-es-Traite/

sans couronnes d’épines

mais chaînes et carcans/brûlures de fouet

pour flagellation.

Reste la mise en exil :

Si meurt le poème/comment conjurer Gorée ? »

 

Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, juin 2022).

*

« Je parle de l’île comme je parle du ventre, parce que c’est à partir du ventre que j’ai été lâché dans la merveille » (Edouard J. Maunick). Trois parties (je simplifie) composent ce numéro 53 de Les Hommes sans Épaules.

Une première partie : Edouard J. Maunick (un dossier « Le Poète ensoleillé vif » de Christophe Dauphin, avec les contributions de Jean Breton - un formidable entretien avec Maunick - et Léopold Sédar Senghor) et les poètes des îles Mascareignes (Océan Indine : Réunion, Maurice, Rodrigues)). Du plus ancien, Evariste Parny : « Le lit de feuilles est préparé ; je l’ai parsemé de fleurs et d’herbes odoriférantes ; il est digne de tes charmes, Nahandove, ô belle Nahandove ! », à la plus récente, Catherine Boudet : « Mon verbe est celui d’un marronnage blanc – Silencieux poussant cru – Contre l’ortie des hontes – Le bétel du raisonnable », en passant par Malcolm de Chazal et Boris Gamaleya : « ibis – ibiscus – le ciel a ramené au peuple ses rivages – ses racines d’éclats – son corail bec d’oiseau – écoutez-moi – et cette mer en son ancienneté ».

La deuxième partie « Pour les Damnés » (par Christophe Dauphin) dresse une géographie de l’enfer ordinaire sur terre et convoque des poètes mis à la torture par la misère, la maladie, la mort, le sexisme, la guerre, etc. « Ah ! je t’ai bien connue, Misère, j’étais de ceux que tu encenses… » (Ilarie Voronca), « je suis toujours l’individu perdu dans sa propre foule » (André de Richaud), « Une fille et un garçon – la mère préfère – le garçon à la fille – car le garçon épaulera la mère – quand viendront les mauvais jours – et la fille enfantera un autre garçon – qui l’épaulera à son tour » (Ashraf Fayad, emprisonné et condamné à mort pour blasphème en Arabie Saoudite), Laurent Thinès, Joseph Ponthus, Marie Murski, Taslima Nasreen et Claude de Burine : « …ils ont l’air, eux, de tout savoir – parce qu’ils dansent – Les notaires – Les dentistes – Les plombiers – Les chirurgiens-dentistes de fesses – Nous, nous sommes les enfants du malheur ».

La troisième partie, c’est l’anthologique, avec Edith Brick revenue des camps de la mort : « c’est difficile d’être un survivant », Nathalie Swan (l’amour, rien que l’amour) : « Tes coups de reins scrutent mon visage… J’y dévalerai ton éboulis. Quand tu creuses ma faille, la lumière s’avance en aveugle. Deux anges retiennent les mains d’un cri qui voudrait tout oublier », Mathilde Rouyau : « Ton corps muet au bord des nuits, c’est candeur – tes cheveux quand ils infusent dans les bassines de lait de la pleine lune, alors la nacre – tes clavicules trop – fines – tes jambes à peine cuites… » Jennifer Grousselas : « chat suicidé ressuscité – J’ai saisi la tige à boire – qui me poussait l’esprit – me suis deux fois entendue lumière – accouchée par la voix du saint «  et enfin un homme (et quel homme !) : Jean-Pierre Lesieur : « On n’apprend pas bien dans les livres – quand on ne sait pas lire les lignes de la vie – ni le sgraffitis qui fleurissent un peu là où – on ne les attend pas – naître pauvre ne facilite pas l’insouciance… » Sinon, plein d’autres choses (pensez 356 pages !) : lectures critiques, regards sur l’art, etc. Voyvez le site : www.leshommessansepaules.com

Christian DEGOUTTE (in revue Verso n°190, septembre 2022).



Lectures :

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Ce beau numéro de la revue fondée par Jean Breton en 1953 est consacré aux Damnées et Damnés de la poésie.Voici quelques extraits de l’éditorial puissant de Christophe Dauphin qui appelle à un Manifeste de l’Emotivisme :

« La création est pour le poète la blessure originelle. Son poème est habité, vécu, y compris dans la dimension onirique : un enjeu d’être total, et pour tout dire, émotiviste, car l’émotion est l’équation du rêve et de la réalité ; qui met le sujet hors de soi. »

« La poésie c’est l’être et non le paraître, un vivre et non un dire. Dans cet enjeu d’être total, ils sont nombreux, ceux qui, connus, inconnus, méconnus, ont laissé jusqu’à leur vie : les grands gisants d’intime défenestration, écrit Roger-Arnould Rivière, qui ajoute : je sais que la détonation contient le même volume sonore – que les battements du cœur qui bâtissent toute une vie. »

« La damnation, la malédiction du poète, c’est aussi ces livres qui se lisent peu ou pas, dont la diffusion est complexe et dont personne ne parle, qu’à titre confidentiel. Au mépris de la société répond souvent, plus cinglant, le mépris ou l’incompréhension de l’entourage. Le mépris, c’est-à-dire, l’indifférence. En somme le poète est un invisible, il n’existe pas. On l’aime mort après une vie malheureuse. »

« Il faut bien dire cette solitude, ce désarroi, ce désespoir, qui entourent le poète. Il n’était pas, il n’est toujours pas facile de vivre dans la peau d’un poète, qui doit exister en face de gens qui nient purement et simplement son existence… »

Pourtant, aucun misérabilisme chez Christophe Dauphin mais une juste lucidité qui s’accompagne de sagesse, d’une science du combat et d’un art de l’être.

« La poésie est l’unique réponse aux mascarades mensongères du monde, l’expression la plus intime et la plus intense de l’être. »

Il ne s’agit pas seulement de résistance à l’oppression mais bien d’un chemin intime de libération, ce qu’illustre le dossier consacré à Edouard J. Maunick, « le poète ensoleillé vif », dont la poésie s’épanouit entre île et exil, la condition même de l’être, exilé dans l’humain, et qui se constitue comme île.

« Pour moi, dit-il, la parole poétique n’est pas du tout différente de la parole physique, c’est-à-dire de ce mécanisme de vie qui commence au ventre, au plexus solaire, traverse la colonne, la trachée et sur lequel, au moment où l’expiration va se produire, l’homme appose une rumeur intelligible. C’est cela la parole. Je n’ai jamais pu corroborer l’expression coup au cœur – pour moi, il s’agit toujours d’un coup au ventre. Le poème étant la parole exigée, toute parole prononcée par l’homme et qui ne ressort pas au quotidien domestique, est poème. Par quotidien domestique, entendons ce que les civilisations nous ont donné comme manières, nous ont créé de verbiages, etc. »

 

Testament d’un errant (extrait)

 

… si meurt le poème/

le bluff littéraire

l’aura emporté

sur une autre Passion

sans les trente deniers

mais payées en nègres/

sans Gethsemani

pour dernière prière

mais l’île de Gorée

pour station maudite/

triste embarcadère

d’une ébène de chair

vers l’Outre-Atlantique/

Golgotha de mer

dans le Sanhédrin

ni de Ponce Pilate/

mais docteur-es-Traite/

sans couronnes d’épines

mais chaînes et carcans/brûlures de fouet

pour flagellation.

Reste la mise en exil :

Si meurt le poème/comment conjurer Gorée ? »

 

Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, juin 2022).

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« Je parle de l’île comme je parle du ventre, parce que c’est à partir du ventre que j’ai été lâché dans la merveille » (Edouard J. Maunick). Trois parties (je simplifie) composent ce numéro 53 de Les Hommes sans Épaules.

Une première partie : Edouard J. Maunick (un dossier « Le Poète ensoleillé vif » de Christophe Dauphin, avec les contributions de Jean Breton - un formidable entretien avec Maunick - et Léopold Sédar Senghor) et les poètes des îles Mascareignes (Océan Indine : Réunion, Maurice, Rodrigues)). Du plus ancien, Evariste Parny : « Le lit de feuilles est préparé ; je l’ai parsemé de fleurs et d’herbes odoriférantes ; il est digne de tes charmes, Nahandove, ô belle Nahandove ! », à la plus récente, Catherine Boudet : « Mon verbe est celui d’un marronnage blanc – Silencieux poussant cru – Contre l’ortie des hontes – Le bétel du raisonnable », en passant par Malcolm de Chazal et Boris Gamaleya : « ibis – ibiscus – le ciel a ramené au peuple ses rivages – ses racines d’éclats – son corail bec d’oiseau – écoutez-moi – et cette mer en son ancienneté ».

La deuxième partie « Pour les Damnés » (par Christophe Dauphin) dresse une géographie de l’enfer ordinaire sur terre et convoque des poètes mis à la torture par la misère, la maladie, la mort, le sexisme, la guerre, etc. « Ah ! je t’ai bien connue, Misère, j’étais de ceux que tu encenses… » (Ilarie Voronca), « je suis toujours l’individu perdu dans sa propre foule » (André de Richaud), « Une fille et un garçon – la mère préfère – le garçon à la fille – car le garçon épaulera la mère – quand viendront les mauvais jours – et la fille enfantera un autre garçon – qui l’épaulera à son tour » (Ashraf Fayad, emprisonné et condamné à mort pour blasphème en Arabie Saoudite), Laurent Thinès, Joseph Ponthus, Marie Murski, Taslima Nasreen et Claude de Burine : « …ils ont l’air, eux, de tout savoir – parce qu’ils dansent – Les notaires – Les dentistes – Les plombiers – Les chirurgiens-dentistes de fesses – Nous, nous sommes les enfants du malheur ».

La troisième partie, c’est l’anthologique, avec Edith Brick revenue des camps de la mort : « c’est difficile d’être un survivant », Nathalie Swan (l’amour, rien que l’amour) : « Tes coups de reins scrutent mon visage… J’y dévalerai ton éboulis. Quand tu creuses ma faille, la lumière s’avance en aveugle. Deux anges retiennent les mains d’un cri qui voudrait tout oublier », Mathilde Rouyau : « Ton corps muet au bord des nuits, c’est candeur – tes cheveux quand ils infusent dans les bassines de lait de la pleine lune, alors la nacre – tes clavicules trop – fines – tes jambes à peine cuites… » Jennifer Grousselas : « chat suicidé ressuscité – J’ai saisi la tige à boire – qui me poussait l’esprit – me suis deux fois entendue lumière – accouchée par la voix du saint «  et enfin un homme (et quel homme !) : Jean-Pierre Lesieur : « On n’apprend pas bien dans les livres – quand on ne sait pas lire les lignes de la vie – ni le sgraffitis qui fleurissent un peu là où – on ne les attend pas – naître pauvre ne facilite pas l’insouciance… » Sinon, plein d’autres choses (pensez 356 pages !) : lectures critiques, regards sur l’art, etc. Voyvez le site : www.leshommessansepaules.com

Christian DEGOUTTE (in revue Verso n°190, septembre 2022).




A propos du numéro 44 :

"Les Hommes sans Epaules, une revue qui doit être présente dans votre bibliothèque !

Une livraison semestrielle de qualité, des articles de fond, des prises de position intelligentes, des poèmes à lire et relire. loin du tapage, diurne et nocturne, dont peuvent s'entourer ceux qui se veulent les créateurs d'aujourd'hui. Eux qui, à l'égal de certaines installations picturales, installent leurs textes dans le règne de sdécibels, des sexes branlants et autres impuissances... à être.

Sous les yeux, le numéro 44 des HSE, avec un dossier central consacré à "Nikolaï Prorokov et les poètes russes du dégel", sous la responsabilité d'Olga Medvedkova et Karel Hadek. Mais qui est donc ce Nikolaï Prorokov dont je n'avais personnellement jamais entendu parler ? Christophe Dauphin, qui le présente, nous dit qu'il est né en 1945 et qu'il s'est suicidé en 1972, à l'âge donc de vingt-sept ans, sans jamais avoir publié de son vivant. Quant au "dégel", il désigne une période qui se situe peu après la mort de Staline (1953) et où les portes d'une certaine liberté retrouvée semblent s'ouvrir ou plus exactement s'entrouvrir... pour peu de temps. Christophe Dauphin situe parfaitement l'époque et les mouvements politiques ou littéraires qui entourent cette date. 

On apprend ainsi que Prorokov se situe du côté des acméistes dont les deux grandes figures sont Anna Akhmatova et Ossip Mandelstam. Les acméistes, et je cite Dauphin, "revendiquent l'utilisation d'un langage simple et concret pour porter à son apogée la dimension poétique du quotidien... Le poète acméiste veut poser un regard neuf sur le monde et exige plus de rigueur."

"Dans la nuit du 1er au 2 novembre 1972, écrit Olga Medvedkova, un grand et beau jeune homme âge de 27 ans saute par la fenêtre d'un appartement communautaire moscovite... il meurt quelques heures plus tard à l'hôpital." Evoquant sa poésie toute dévolue à la liberté, Medvedkova nous explique que ses "thèmes ne s'offrent qu'au regard attentif, s'enferment dans une opacité, repoussent  ceux qui sont habitués à la littérature des mots d'ordre. Parfois semi-abstraits, ces poèmes sont semblables à la première abstraction de Kandinsky: la syntaxe est brisée..."

Prorokov, un poète qu'il nous est donné de lire pour la première fois et qui illustre bien mon sentiment: si, comme l'écrivait Yves Bonnefoy, "la poésie moderne est loin de ses demeures possibles", les vrais poètes sont peut-être là, loin du brouhaha de la foule et des cracheurs de feu ou d'invectives, tapis dans l'indifférence d'une société où les paillettes et les coups de gueule "faceboochiens" de tous poils, semblent, hélas, dominer l'esprit et le temps.

Non, ce n’est pas l’heure

d’affermir les paroles par l’amour

et de bâtir le quartier de cartes,

où les rois –

sont d’escaliers les marches,

et les dames – des portes.

 

Cette flatteuse démarche

je la répudie avec douleur.

 

Je sais,

ce n’est pas l’heure,

on ne me croira pas.

 

Nikolaï PROROKOV (1967)


Les Hommes sans Epaules, 
ce sont aussi des dossiers sur Gaston Miron ou Alexandre Voisard, des poèmes d'Evtouchenko dont l'un des textes publiés, "Conversation", se termine ainsi (et fait écho à ma réflexion) : "Je pense à la honte - de nos descendants, - quand, réglant son compte à la turpitude, - ils se souviendront - de ces temps étranges..."

Evtouchenko est mort le 1er avril 2017."

Yves NAMUR (in Le Journal des poètes n°1, 2018, Belgique).

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"La revue Les Hommes sans Épaules est une revue pleine et complexe. Pleine avec ses 336 pages, cela se conçoit. Complexe, ce numéro en particulier en est la preuve. Puisque son contenu suit plusieurs pistes, reprise tout au long de son cours pour certaine. Et la matière en son entier reste diverse et riche, comme le sommaire touffu en atteste, courant de la première à la quatrième de couverture. Indéniablement, l’axe principal se situe autour de la poésie russe contemporaine, pour rester large avec la découverte d’un poète ignoré jusqu’à présent que les HSE révèlent au grand jour : Nikolaï Prorokov.

Christophe Dauphin lui consacre en effet son éditorial. Le contexte ? Une URSS en « plein Dégel », après la mort de Staline en 1953, jusqu’à la prise en main du pouvoir par Brejnev, en 1964, ce qui correspond exactement à la période Khroutchtchev, plus « ouverte ». Auparavant, la littérature russe baigne dans le réalisme socialiste. Malheur à tous ceux qui ne veulent pas y adhérer : Essenine se suicide en 1925, Maïakovski en 1930. Goulag et mort en détention pour d’autres… Prorokov est l’héritier de Boulgakov (Maître et Marguerite) condamné à écrire pour son tiroir, comme l’écrit joliment l’animateur des HSE.

Vient un peu plus loin dans le cours du numéro le dossier à proprement parler de la livraison, consacré à Nikolaï Prorokov, par Olga Medvedkova. Elle relate les étapes de sa vie si brève entre sa naissance à Mourmansk en 1945 et sa défenestration en 1972, à Moscou. Il a fallu attendre 45 ans pour que ses poèmes enfermés dans une chemise voient le jour. Par les veines vrillées des sentiers, / par les opulentes rues moscovites, / les passants déambulent et mendient / quelque rumeur, des miettes de l’on-dit. D’autres poètes russes du Dégel sont présentés comme Andreï Voznessenski, Anatoli Naïman, Viktor Sosnora Je caresse des éperviers comme un bosquet de soldats / hérissés de baïonnettes !, Bella Akhmadoulina, Boris Pasternak qui refusa le Prix Nobel en 1958 et Iossif Brodski, condamné en 1964 à cinq ans de déportation et Prix Nobel en 1987, et en tête Evgueni Evtouchenko auquel Christophe Dauphin consacre en outre une étude. Né en 1933, près du lac Baïkal, Mon professeur de poétique, ce fut tout d’abord la taïga, mi-intellectuel mi-paysan, qualifié de poète de la déstalinisation, lecteur devant des foules immenses aussi bien en Russie qu’aux Etats-Unis, Evtouchenko fut le chef de file des poètes du Dégel. J’erre au fond de l’Egypte en un temps très lointain, / J’agonise pendu aux branches d’une croix. / Voyez, je porte encore la marque de ses clous. / Dreyfus, me semble-t-il, / c’est moi… (Babi-Yar, 1961 poème dénonçant l'antisémitisme, composé en symphonie par Chostakovitch). Evgueni Evtouchenko est mort durant la confection de cette livraison le 1er avril 2017.

Pour suivre un article sur Maïakovski par Iouri Annenkov, épuisé depuis 1958. Géant de près de deux mètres, Maïakovski bénéficie de deux coups de pouce retentissants, l’un par Gorki, l’autre par Lénine. L’auteur raconte ses différentes rencontres à Paris. Jusqu’à son suicide en 1930. Je suis quitte de la vie. / Inutile de faire le compte des souffrances, des soucis et querelles. / Vivez heureux.

Iouri Annenkov fait ensuite l’objet d’un portrait par Christophe Dauphin, surtout en tant que peintre proche du futurisme, cubisme, voire expressionnisme et abstraction. Il est vrai que les portraits proposés de Trotsky, Meyerhold, Gorki ou Pasternak sont proches de la caricature, et de ce fait très modernes. Iouri Annenkov est mort en 1974 à Paris. Puis Daniil Harms, poète, chef de file de l’Obériou, ultime groupe moderniste russe. Il meurt épuisé, affamé en 1942.

On passe sans transition, c’est aussi la marque de fabrication des revues, à aujourd’hui, à l’Ukraine et à une Femen : Oksana Shachko. Christophe Dauphin rappelle les grands devanciers comme Chevtchenko ou Makhno avant d’en venir aux premières manifestations des Femen qui obligeront celles-ci à s’exiler. Ce que fait Oksana Shachko en France, où prenant quelque distance avec les féministes françaises, elle se consacrera à la peinture d’icônes, art très précis et méticuleux, qu’elle détournera avec des symboles modernes, opposés au sacré d’origine.
Article de Branko Aleksić sur Ivo Andrić, poète bosniaque, prix Nobel en 1961, avec extrait de son discours à Stockholm : …le conteur et son œuvre ne servent à rien s’ils ne servent pas à l’homme et à l’humanité.

Pour en revenir aux HSE, hommage est rendu à deux collaboratrices de la revue décédées cet été : Jocelyne Curtil et Marie-Christine Brière. Puis deux dossiers consacrés à Gaston Miron, le grand poète québécois Je suis sur la place publique avec les miens / la poésie n’a pas à rougir de moi… et Alexandre Voisard par Christophe Dauphin, poète suisse du haut lyrisme : que chacun de tes gestes soit souverain / comme le poème de l’insecte sous l’écorce. Il dit aussi : « … le projet romanesque s’appuie sur une certaine structure. La poésie est démunie. Elle n’est pas dans la démonstration. »
Enfin des pages sont offertes à plusieurs auteurs remarquables : Annie Salager, Jean-Claude Tardif, Daniel Abel, Frédéric Tison, Eric Chassefière, Nicolas Rouzet et Aurélie Delcros. Ne pas omettre les fortes notes de lecture, plusieurs en rapport avec le thème principal de la livraison.

Il ne doit pas être facile pour l’animateur de mettre tout cela en page, ou « en musique ». Qu’on se rassure, en rendre compte n’est pas plus aisé ! En tout cas, un numéro « formidable », comme à chaque fois.

Jacques MORIN (cf. « La revue du mois », in dechargelarevue.com, octobre 2017).

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Совсем другого рода книга, но тоже связанная с советским поэтическим андерграундом. Если в исследовании Конакова речь идет о вполне себе классиках, то покончивший с собой в 1972 году Николай Пророков — фигура, полностью выпавшая из истории литературы. Первая небольшая публикация поэта случилась полгода назад, теперь вышло полное собрание его текстов. Такие открытия всегда увлекают. Они вновь проявляют двоякую природу литературного андерграунда — одновременно системы связей, незримых институций, в которых создавались судьбы и репутации, и просто общности всех ищущих и пишущих на русском языке. Пророков принадлежал второй, но не первой. Его тексты моментально узнаются как поэзия 60-х — с общими для времени интонациями, влечениями и влияниями. Однако у него не было литературных знакомств — не было людей, которые сделали бы его талантливые стихи частью общей литературной жизни поколения. Были бурная богемная молодость, относительно успешная карьера на радио, семейные и любовные драмы, смерть в эталонно-романтические 27 лет. И были стихи: частью — обыкновенно подростково-восторженные, частью — очень особенные и, скажем так, трезвые. Главное свойство его поэзии: она зависает между двумя полюсами — навязчивой фантазией о большой культуре, заклинаниями великих (лейтмотив — воображаемая полулюбовная связь с Ахматовой) и абсолютно частным, не видимым никому делом. Пророков становится настоящим поэтом именно тогда, когда говорит ни с кем и понимает, что его никто не слышит. Сложно не фантазировать о том, как сложился бы его путь, если бы у этих стихов нашлись понимающие читатели помимо нескольких близких друзей автора. С другой стороны, эфемерная красота этого маленького корпуса стихотворений именно в том, что они располагаются как бы на самом краю литературности. Там, где стихи — только естественная потребность говорить.

"Под вечер шамкали / шаги соседей, / и запах щей, / как свежий ветер, / врывался в комнату, / чтоб волосы трепать / и путать мысли. / Под фонарем / ершист и светел / отрезок дерева в окне. / Назавтра / щей не стало — / прокисли. / Но свежий ветерок рассольника / все так же волосы трепал / и путал мысли".

Издательство Культурный слой (in Kommersant, Mocou, novembre 2017).

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Les Hommes sans épaules, cahiers littéraires semestriels dirigés par Christophe Dauphin, ne s’appréhendent pas comme une revue. A mi-chemin entre le livre et  le périodique, cette magnifique publication propose certes des articles. Mais le paratexte et le format proposés apparentent cette belle réalisation au volume d’un livre, souvent conséquent (336 pages pour ce numéro 44) plutôt qu’à une revue.

Le propos varie aussi de celui d’une revue classique. Suivant un groupement thématique, Les Hommes sans épaules recensent au sommaire du dossier proposé à chaque numéro des auteurs et leurs œuvres, connus et moins connus, qui s’y apparentent. Suivant à chaque fois la même mise en œuvre, les extraits sont précédés par un discours critique qui fait office d’introduction. Ce dispositif permet d’envisager le texte et son auteur dans une globalité signifiante, car sont évoqués les contextes historiques et culturels qui ont sous-tendu leurs productions. Ces introductions sont d’une rare qualité, car le comité de rédaction laisse la parole à des spécialistes du thème choisi. Le lecteur a donc le plaisir de pouvoir découvrir à la fois une époque, un contexte, des auteurs et des productions savamment choisies.

En manière d’avant propos, Christophe Dauphin propose, pour chaque numéro, un éditorial. Ce numéro 44, consacré à Nikolaï PROROKOV et aux « Poètes russes du Dégel », est précédé d’une introduction chapeautée par deux épigraphes. L’une est une citation tirée de Littérature et révolution, de Léon Trotsky, l’autre convoque Karl Marx, avec des lignes tirées du Débat sur la liberté de la presse. Le ton du propos, intitulé La Poésie n’est pas au service d’une classe, est donné.  Ces deux références soutiennent les lignes de Christophe Dauphin qui nous rappelle que la poésie est universelle, qu’elle transcendance les contingences historiques et politiques. Noms et parcours de vie de poètes pour exemples, il nous montre que nombre d’entre eux ont péri à cause de leurs écrits. Ces références, des hommes héroïques, nous rappellent que la liberté est avant tout celle de créer, celle de pouvoir s’exprimer. Le directeur des Hommes sans Epaules nous rappelle que cette période du « Dégel » est le terreau d’une production poétique abondante, mais majoritairement étouffée et passée sous silence. Autant de noms auxquels la revue rend hommage, d’œuvres mises en lumière, de parcours de vie bien souvent écourtés par le fait d’avoir osé être poète. Replacées dans le contexte historique et politique de l’époque, brillamment évoqué par l’auteur de cet éditorial, ces figures marquantes de la poésie russe sont convoquées dans une perspective marxiste et littéraire. Ainsi s’expliquent les mouvements et les écoles qui ont pris racine dans ce contexte particulier, ainsi que la posture de chacun. Et le point commun, qui est celui de ne jamais cesser de vouloir résister, sert de fil directeur à cette belle recension. 

A ce titre, le dossier central, consacré à Nikolaï Prorokov, est représentatif de cette posture de résistance et de sacrifice pour la liberté. La présence de ce poète ainsi que le caractère inédit des textes proposés est mis en exergue dans l’introduction. Cette présentation ainsi que le choix des extraits sont l’œuvre d’Olga MEDVEDKOVA et de Karel HADEK.  Ce dossier est accompagné d’articles et de citations d’œuvres d’autres poètes de cette époque, tels qu’Evgueni EVTOUCHENKO, Andreï VOZNESSENSKI, Anatoli NAÏMAN, Viktor SOSNORA, Bella AKHMADOULINA, Boris PASTERNAK et Iossof BRODSKI . Le paratexte qui présente chaque auteur et les productions publiées est toujours riche et guide le lecteur dans son appréhension globale de l’oeuvre.

A ces groupements thématiques se joignent des rubriques : « Le Document des HSE » que ce numéro consacre à Maïakovski dans un article intitulé « Maïakovski inconnu » signé par Iouri Annenkov ; « Le portrait des HSE » dédié cette fois-ci à Iouri Annenkov et signé Christophe Dauphin ; « Le peintre des HSE », Oksana Shachko ; « Les pages des HSE » qui proposent une série de productions de poètes de tous horizons. Ces index et les auteurs et artistes qui y sont mis à l’honneur sont toujours accompagnés d’une introduction qui présente et situe les éléments proposés.

Peut-on alors parler encore de revue. Oui, certainement, car il s’agit bien d’une publication périodique spécialisée dans un domaine précis. Mais la qualité des éléments paratextuels, la diversité des références proposées et leur mise en perspective font des Hommes sans Épaules un document d’une grande richesse. La thématique abordée fait l’objet d’un travail explicatif conséquent, tout comme chaque rubrique. Le lecteur peut alors situer ce qu’il découvre. Sans jamais orienter sa lecture, Les Hommes sans Épaules lui offre la possibilité d’appréhender une époque, une œuvre, un auteur, une problématique, en lui permettant de se forger une opinion, et en lui offrant les outils nécessaires à une compréhension approfondie et autonome des domaines abordés.

Enfin, les pages liminaires de ce numéro 44 mettent à l’honneur deux « Femmes sans épaules », Jocelyne Curtil et Marie-Christine Brière, disparues cette année. Hommage émouvant auquel se joint l’équipe de Recours au Poème qui salue, tout comme le rappelle le comité de rédaction des HSE, l’importance de l’œuvre de chacune d’entre elles.

Carole MESROBIAN (cf. "Revue des revues" in www.recoursaupoeme.fr ).

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"Nikolaï Prorokov et les poètes russes du Dégel; Les HSE n°44; prenez le temps de parcourir ce numéro exceptionnel."

Jean-Pierre LESIEUR ( in Comme en poésie n°72, décembre 2017).

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« En cette période singulière où les violences faites aux femmes apparaissent au grand jour dans toutes leurs insupportables étendues et intensités, le comité de rédaction des HSE ouvre ce numéro 44 par un hommage aux Femmes sans Epaules, rendant hommage à deux femmes, poétesses et plus, récemment disparues : Jocelyn Curtil et Marie-Christine Brière qui, toutes les deux, en leur propre style, luttèrent pour la liberté des femmes et pour la liberté de tous, contre toutes les formes d’oppression.

 Le dossier est consacré cette fois à Nikolaï Prorokov (1945 – 1972), poète russe totalement inconnu qui sort ainsi de l’ombre avec ce numéro des HSE. Il trouve ainsi sa place aux côtés des grands poètes, régulièrement célébrés, du « Dégel », période de libéralisation de la littérature soviétique qui débute en 1954  –  1956. C’est, après la mort de Staline, toute la vie de l’esprit qui reprend dans la zone d’influence soviétique même si elle reste sous contrôle, la répression contre la Révolution hongroise en fut la démonstration. Le silence s’impose rapidement à ceux qui ne veulent pas collaborer, victimes d’une censure implacable. Mais la créativité souterraine se déploie malgré tout.

Nikolaï Prorokov tient une place à part au milieu de ces silencieux de talent. Il semble toutefois influencé par le symbolisme et par un mouvement poétique opposé, fondé en 1913 par Nikolaï Goumilev, l’acméisme, qui dénonce l’occultisme et la religiosité du mouvement symboliste. C’est Olga Medvedkova, qui connut Nikolaï Prorokov quand elle était enfant, qui dresse le portrait de ce « poète oublié de l’underground moscovite », évoque sa rencontre avec Mikhaï Boulgakov, son « irruption » dans la poésie, une poésie qu’il veut sans la moindre compromission, sans détour, sans recul :

« Ses mots à lui, nous dit Olga Medvedkova, se veulent gestes, aussi vrais et crus que brusques, aussi peu « littéraires », polis. Ils ne simplifient pas, ne flattent aucun ego. Ses mots à lui ne sont ni sentimentaux ni narcissiques. En mélangeant les registres de langage, ses poèmes ne s’offrent qu’au regard attentif, s’enferment dans une opacité, repoussent ceux qui sont habitués à la littérature des mots d’ordre. Parfois semi-abstraits, ces poèmes sont semblables à la première abstraction de Kandinsky : la syntaxe est brisée, on devine la trame narrative mais on reçoit surtout la décharge d’une vision. »

« C’est, dit-elle encore, en tant que poète lyrique – qui métaphysiquement – est du côté de ce qui vit, du non-fini – que Nikolaï se trouve du côté des tristes (alors que le régime exalte l’enthousiasme), des vieilles et des laides, des chers infirmes et tendres gueux », de ceux qui marchent les pieds nus sur la glace et à qui les pères – « vieillards robustes honnis » – ne pardonneront jamais la moindre défaillance. Cet épithète d’« honni » (ottorzhennyj) est l’une des plus grinçantes dans sa poésie ; les pères ne sont pas honnis par les gens mais par la vie elle-même ; ce sont des morts-vivants, des loups garous. »

 La charogne

 Remuez les doigts d’un cadavre,

Arrangez les cheveux de ses mains,

Joignez ses paumes en haut-parleur,

Criez à sa place par sa voix.

 

Déambulez avec ses pieds

Comme s’il avançait lui-même.

Battez vos ennemis de ses poings,

Comme il se doit, comme on aime.

 

Si quelqu’un s’est trompé quelque part,

Secouez sa tête en désapprouvant.

Et au bout de trois minutes

On croira le cadavre vivant.

 

En confondant la mort et la vie,

Vous allez y croire vous aussi.

                               Poème de Nikolaï Prorokov

Ce numéro exceptionnel, consacré à cet Est si proche, est riche d’autres rencontres, depuis Evtouchenko jusqu’aux Femen : Editorial : « La Poésie n’est pas au service d’une classe », par Christophe DAUPHIN –  Les Porteurs de feu : Gaston MIRON, par Jean BRETON, Frédéric Jacques TEMPLE, Christophe DAUPHIN, Alexandre VOISARD, par Christophe DAUPHIN, Poèmes de Gaston MIRON, Alexandre VOISARD – Ainsi furent les Wah : Poèmes de Annie SALAGER, Jean-Claude TARDIF, Daniel ABEL, Frédéric TISON, Eric CHASSEFIERE, Nicolas ROUZET, Aurélie DELCROS – Dossier : « Nikolaï PROROKOV & les poètes russes du Dégel », par Olga MEDVEDKOVA, Karel HADEK, Poèmes de Nikolaï PROROKOV, Evgueni EVTOUCHENKO, Andreï VOZNESSENSKI, Anatoli NAÏMAN, Viktor SOSNORA, Bella AKHMADOULINA, Boris PASTERNAK, Iossif BRODSKI – Une voix, une oeuvre: « Evgueni EVTOUCHENKO », par Christophe DAUPHIN, Poèmes de Evgueni EVTOUCHENKO – Le Document des HSE : « MAÏAKOVSKI inconnu », par Iouri ANNENKOV, Poèmes de Vladimir MAIAKOVSKI
– Le Portrait des HSE : « Iouri ANNENKOV, le peintre et ses rencontres », par Christophe DAUPHIN, avec des textes de Iouri ANNENKOV – La Mémoire, la poésie : « Daniil HARMS, poète obériou à Leningrad », par Christophe DAUPHIN, Poèmes de Daniil HARMS – Le peintre des HSE : « Oksana SHACHKO, la feuille d’or de la révolution », par Christophe DAUPHIN, avec des textes de Oksana SHACHKO, Taras CHEVTCHENKO, FEMEN – Dans les cheveux d’Aoun : « Les papillons noirs d’Ivo ANDRIC », par Branko ALEKSIC, avec des textes de Ivo ANDRIC –Les Pages des HSE : Poèmes de Elodia TURKI, Paul FARELLIER, Alain BRETON, Christophe DAUPHIN – etc. »

Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, novembre 2017).

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" Sous la houlette très professionnelle de Christophe Dauphin, ces cahiers littéraires proposent toujours des sommaires originaux. La revue s’ouvre sur un vibrant hommage à une trinité subversive : Thérèse Plantier, Jocelyne Curtil et Marie-Christine Brière. S’en suit un éditorial de 16 pages où il est rappelé que « la poésie n’est pas au service d’une classe ». Dauphin y évoque la figure trop méconnue de Nikolaï Prorokov (1945-1972) ainsi que ceux que l’on nomma « les poètes du dégel » après la mort de Staline en 1953. Aussi intense que bref, ce dégel a permis l’éclosion de talents originaux et de poètes courageux tels que Brodski, Pasternak, Evtouchenko ou Voznessenski. Le remarquable travail de recherche de Karel Hadek permet à chacun de trouver de bons repères pour une lecture efficace au fil d’un riche dossier de plus de 140 pages.
Signalons également les focus éclairants sur deux « porteurs de feu » qu’il est urgent de relire : le Canadien Gaston Miron et le Suisse Alexandre Voisard. Puis le chapitre « ainsi furent les wah » ouvre ses pages à sept excellents poètes contemporains parmi lesquels Eric Chassefière et Jean-Claude Tardif. Enfin, comme toujours avec les HSE, l’ouverture aux autres se poursuit à travers différentes formes d’expression poétique ou d’abondantes notes de lecture. "

Georges CATHALO (cf. "Lectures flash 2018" in  revue-texture.fr, janvier 2018).




2004 - À propos du numéro 17/18

     « Les HSE  n°17/18. Un gros dossier consacré à Marc Patin (1919-1944), poète surréaliste mort en déportation, membre du groupe La Main à plume (dont le plus célèbre représentant reste Maurice Blanchard), et que Christophe Dauphin s’est attelé à faire découvrir, voire à réhabiliter… Le surréalisme d’hier et d’aujourd’hui est à l’honneur, avec des textes d’Alain Jouffroy, Jacques Kober, Jean-Louis Bédouin ou Sarane Alexandrian (qui fut secrétaire général du mouvement en 1948). Le souvenir est là aussi, par la voix de Jean Breton qui évoque Chambelland, Yves Martin et Jean Follain. 192 pages bien pleines. »
    Jacques Fournier (Ici è là n°2, mars 2005).

    « La revue les HSE n°17/18, rend d’abord hommage à Henri Rode et à Jean Rousselot qui nous ont quittés il y a peu – « Deux aînés, deux amis proches et deux sentinelles majeures de notre temps », pour reprendre les mots de Christophe Dauphin – nous les faisons nôtres. Dans son édito, le même Christophe Dauphin donne un coup de chapeau au surréalisme, qu’aucun mouvement n’a jusqu’ici dépassé ! Sans doute est-ce pour cela qu’il fut combattu « par toutes les forces de l’hypocrisie et du mensonge », d’un côté le totalitarisme stalinien, de l’autre, une bourgeoisie lorgnant vers le fascisme… Le dossier central est consacré à Marc Patin et au surréalisme. Mort en Allemagne en 1944, à peine âge de vingt-quatre ans, Marc Patin laisse une œuvre, abondante, restée inédite, qu’Eluard salua en son temps. »
    Jean Orizet (Poésie 1/Vagabondages n°40, décembre 2004).

    « Les HSE 17/18. Une forte livraison consacrée en majeure partie autour du surréalisme, disons plus récent, à Marc Patin, que Guy Chambelland redécouvrit en 1990. Après un hommage rendu à deux grands poètes disparus en 2004 : Jean Rousselot et Henri Rode dont les poèmes assez véhéments donnent envie de relire l’œuvre. Des surréalistes de l’après 69 suivent… Ensuite le dossier principal : Marc Patin et le surréalisme, brillamment établi par Christophe Dauphin. On suit le parcours de ce poète au destin brutal… La dernière partie propose un recueil inédit de Marc Patin : Les vivants sont dehors, avec de beaux poèmes d’évidence amoureuse. Pour suivre, une lettre d’André Breton sur Xavier Forneret, un témoignage inédit de Sarane Alexandrian, décidément figure maîtresse du surréalisme actuel. Une expérience de hasard objectif avec Hervé Delabarre. Et des souvenirs de Jean Breton sur Guy Chambelland, Yves Martin et Jean Follain, avec un ton vif et plaisant, pour clore ce très gros n° (198 pages !), riche et intéressant. Allez une dernière citation de Marc Patin pour la route : Derrière l’arbre il y a l’ombre de l’arbre – Et l’ombre de l’arbre est – De la couleur de la forêt. »
    Jacques Morin     (Décharge n°124, décembre 2004).

    « Il est des revues de poésie qui assurent à la littérature et à son histoire, une continuité, en développant un travail de mémoire remarquable. Fondée en 1953, en Avignon, Les Hommes sans Épaules, cahiers littéraires semestriels, vivent aujourd’hui leur troisième mouture, à Paris. Dirigée par Jean Breton, elle consacre ce numéro n°17/18 au surréalisme qui, comme l’écrit Christophe Dauphin, constitue toujours « une clé capable d’ouvrir indéfiniment cette boîte à multiple fond qui s’appelle l’homme. » Sont présentés les poèmes d’acteurs connus et méconnus des deux générations de l’aventure surréaliste, ainsi que de leurs héritiers, Alain Jouffroy, Francesca-Yvonne Caroutch, Jacques Baron, Joyce Mansour, Jean-Louis Bédouin… Le dossier central met en lumière l’œuvre trop brève de Marc Patin (1919-1944), poète de l’amour et du merveilleux qui poursuivit l’activité surréaliste sous l’Occupation avec le groupe des Poètes de la Main à Plume, dans lesquels figuraient Eluard, Dotremont, Malet… Un mémorial au didactisme magnétique et brillant. »
    Dominique Aussenac (Le Matricule des anges n°62, avril 2005).

    « Les Hommes sans Épaules rendent hommage, dans leur n°17/18, à deux Porteurs de feu disparus en 2004 – Henri Rode et Jean Rousselot – et consacrent un fort dossier au surréalisme aujourd’hui et à Marc Patin… Comme quoi, nous ne sommes pas les seuls à affirmer que le surréalisme est toujours d’actualité ! »
    Francis Chenot
    (L’Arbre à paroles n°127, février 2005).




2013 – À propos du numéro 35

Les Hommes sans Epaules, volume 35 : grandiose !

La troisième série des Hommes sans Epaules, revue aujourd’hui emmenée par Christophe Dauphin, avec la complicité d’Alain Breton, Elodia Turki, Paul Farellier, César Birène et Karel Hadek, atteint son 35e numéro. Une belle aventure qui donne ici l’un de ses très beaux fruits. Les pages s’ouvrent sur un texte/hommage de forte émotion, texte consacré à Jean Sénac, poète, homme en résistance, éditeur : c’est le 40e anniversaire de la disparition de l’homme. De l’assassinat de Sénac. J’apprends par ailleurs que la biographie que Bernard Mazo devait consacrer à Sénac paraîtra bien à l’automne. C’est une excellente nouvelle. Sénac, l’homme/scandale : « Poète, animateur, militant révolutionnaire, chrétien, homosexuel et français, se proclamant ouvertement plus algérien que n’importe qui, Jean Sénac a dérangé, de son vivant, autant le pouvoir bourgeois et colonial français que l’extrême-droite, les intégristes islamistes ou la bureaucratie algérienne », écrit fort à propos Dauphin, dont l’admiration pour le poète et l’homme n’est pas un secret. Sénac est présent tout au long du numéro, par des poèmes égrainés çà et là, l’un de ces textes, le dernier écrit par le poète, fermant les pages de ce numéro des Hommes sans Epaules.

La partie « Les porteurs de feu » conduit le lecteur sur les traces de la poésie d’Antoinette Jaume et de Lorand Gaspar. Je découvre la première, je suis une fanatique quasi hystérique de l’œuvre du second. L’œuvre de Jaume parle de la vie, de la mort, des mots, de la conscience, du temps… Fondatrice et longtemps animatrice de La Sape, elle est décédée en 2009. Les HSE donnent ici à lire une trentaine de poèmes extraits des différentes parties de son atelier poétique. A découvrir. Quant à Lorand Gaspar… quelle beauté ! On trouve l’essentiel de son œuvre chez Gallimard bien sûr, en particulier dans la collection de poche Poésie mais… quel bonheur de lire / relire ces poèmes, ici donnés dans l’ordre chronologique de leur édition. Une poésie ancrée dans le sacré, soucieuse de Jérusalem ou Quram.  Une poésie qui regarde le grand Tout, sereinement. Seize pages de poèmes, un bonheur et une excellente occasion de faire connaissance avec l’une des œuvres les plus fortes de la poésie contemporaine. Une découverte ou des retrouvailles au cœur d’un ton élevé en intensité…

Les HSE donnent ensuite la parole aux « Wah ». Sont conviés cette fois ci : Marie-Josée Christien, Franck Balandier, Alain Piolot, Jean-Claude Tardif et Gwen Garnier-Duguy. Ce dernier, en un superbe ensemble, use du « tu » pour s’adresser au Christ. Une lecture forte, peu banale.   

Un numéro de revue dont la richesse enthousiasme en offrant aussi un dossier de près de 70 pages consacré aux poésies norvégiennes contemporaines. Ce dossier est une œuvre conjointe de César Birène, Pierre Grouix et Régis Boyer. C’est plus qu’un dossier, un véritable panorama des voix majeures de Norvège. On lira ainsi : Tarjei Vesaas (par ailleurs immense romancier, auteur entre autre de ce livre fondamental qu’est Palais de glace), Inger Hagerup, Olav H ; Hauge, Tor Jonsson, Gunvor Hofmo, Marie Takvam, Stein Mehren, Jan Erik Vold, Paal-Helge Haugen et Knut Odegard. Ici, toutes les voix sont fortes, bien que diverses. Notons que ce dossier est l’un des fruits du travail mené depuis de nombreuses années par Pierre Grouix au sein des éditions Rafael de Surtis, maison d’édition dirigée par le poète Paul Sanda qui a publié anthologies et recueils de poètes norvégiens traduits par Grouix. Impossible de citer tous les poètes mais voilà un monde à explorer. Encore plus vaste, en termes de Nord, puisque plus loin dans la revue, Pierre Grouix donne aussi à lire des textes de Bo Carpelan, poète finlandais d’expression suédoise dont il traduit les œuvres complètes depuis plusieurs années. Le lire vous convaincra de l’immensité de l’œuvre poétique de Carpelan, lequel nous a quittés en février 2011 (environ 1500 pages de poésie).

Les Hommes sans Epaules ne se contentent pas de « si peu », on lira aussi : un bel essai de Paul Farellier sur le recueil récent de Pierrick de Chermont (voir à ce propos : http://www.recoursaupoeme.fr/critiques/pierrick-de-chermont-portes-de-lanonymat/gwen-garnier-duguy ), des poèmes de notre ami Tomica Basjic, présentés par Karel Hadek, d’autres de Yann Sénécal, des pages libres présentant des textes des animateurs / poètes de la revue, et enfin un ensemble de chroniques et de notes de lectures. Les HSE ont par ailleurs la gentillesse d’évoquer l’existence de Recours au Poème. C’est de bon goût. Une revue à lire. "

Sophie d'Alençon (Recours au poème, mai 2013).

 

" La revue de Christophe Dauphin sort deux fois par an, elle est épaisse et c’est chaque fois une mine d’informations, de découvertes, de rappels et d’approfondissements pour les amoureux de la poésie. Ainsi, je ne compte pas être exhaustif. L’éditorial est consacré à Jean Sénac, assassiné il y a tout juste quarante ans. Un type épatant, l’empêcheur de tourner en rond par excellence. Du côté des Algériens dans la lutte pour leur indépendance, c’est le genre de position qui n’était pas facile à tenir. Homme de conviction qui utilisait la poésie comme une arme, il multipliait les défis. Parallèle est fait avec Pasolini, assassiné tout comme lui… Ensuite après un fort dossier « poètes norvégiens contemporains », (rien que des poètes différents de ceux qu’avait choisis Anne-Marie Soulier dans notre n° 154), je pioche rapido quelques noms de poètes, entre autres : Marie-Josée Christien et Jean-Claude Tardif, un hommage à Hubert Haddad : « La lune est une falaise que la mer ne saurait atteindre. / D’autres la bornent. » Le poète croate Tomica Bajsić par Karel Hadek : « parfois il me semble vivre un temps emprunté… », Yann Sénécal par Eric Sénécal, lequel dans sa troisième chronique « La nappe s’abîme » titille quelques « institutions » comme Le Printemps des poètes, la Maison de la Poésie de Paris, le CNL, Cheyne, une certaine virulence un peu polémique, assez salutaire au demeurant… Enfin, on apprend que Christophe Dauphin devient membre de l’Académie Mallarmé. Une livraison pleine à craquer de 286 pages que je n’ai fait que survoler, Plein d’autres choses à découvrir soi-même. J’aime de cette revue la diversité et le rayonnement. "

Jacques Morin (Rubrique "En vrac" in Déchargelarevue.com, le 8 mars 2013).

 

"La revue Les Hommes sans Epaules que Christophe Dauphin anime dans un grand esprit d'ouverture est à chaque livraison un véritable livre, souvent érudit, toujours surprenant."

Roland Nadaus (in Le Petit Quentin n°283, mars 2013).

 

"Avec Diérèse, Les Hommes sans Épaules est l’une des revues les plus copieuses et les plus régulières du réseau des publications poétiques. A chaque nouvelle livraison, c’est une mine presque inépuisable de dossiers et d’informations, de suites de poèmes et d’approches critiques. Christophe Dauphin qui est à la barre de cette revue depuis déjà de longues années a su donner une ligne orientée parfois vers une poésie surréalisante sans délaisser toutefois d’autres secteurs vivaces de la poésie actuelle. Les poètes contemporains y sont bien représentés avec, par exemple dans ce numéro, Jean-Claude Tardif, Lorand Gaspar ou Marie-Josée Christien. Ensuite, un sérieux dossier bien documenté est consacré à dix poètes norvégiens contemporains présentés par Régis Boyer, l’un des traducteurs. On peut lire aussi dans ce numéro une solide présentation du poète finlandais Bo Carpelan ainsi que d’abondantes et variées notes de lectures. Avec 286 pages à leur disposition, les lecteurs sont assurés de trouver là de quoi apaiser leur soif de lectures poétiques. "

Georges Cathalo ("Lecture flash" in Texture, 25 mai 2013).

 

"C'est vrai que je suis injuste, mais j'assume. ce que j'appelle les grandes revues, ce n'est jamais une belle, en couleurs, à dos carré, avec uniquement des grands noms. Mais des découvertes et des études critiques de qualité en plus de bons textes. C'est le cas des Hommes sans Epaules 35, où une fois encore, si j'y retrouve Marie-Josée Christien, Jean-Claude Tardif, Claude de Burine, Hubert Haddad ou Jean Sénac, je découvre des noms nouveaux pour moi et surtout un dossier sur les poètes norvégiens d'aujourd'hui, avec les chroniques et des hommages à Janine Magnan et l'inouï Jean Giraud Moebius, bédéiste étonnant."

Paul Van Melle (Inédit Nouveau n°262, La Hulpe, Belgique, mai 2013).


"Ce numéro 35 des HSE s’ouvre sur un hommage nécessaire de Christophe Dauphin à Jean Sénac, assassiné en 1973, que beaucoup, soucieux de ne pas penser, se sont empressés d’oublier. « On enterra son œuvre et ses idées presque aussi vite que son corps. Jean Sénac était un homme parfaitement indésirable, en somme, mais pas seulement pour le pouvoir algérien. Il dérangeait beaucoup plus de monde. Il était, selon le témoignage de l’un de ses amis, un scandale permanent. Son audience auprès de la jeunesse, sa vie, sa vie sexuelle surtout, sa liberté de parole en matière politique ou culturelle, les répercussions à l’étranger de ses jugements sur l’Algérie en faisaient un personnage gênant pour beaucoup de personnes et beaucoup d’intérêts et de calculs à Alger. Il y a donc plusieurs personnes ou groupes à qui le crime pouvait profiter. » Il publia une Anthologie de la nouvelle poésie algérienne, véritable manifeste pour « une Algérie méditerranéenne, solidaire, socialiste, égalitaire, arabe, berbère et pied-noir, de graphies arabe, berbère et française ». D’une lucidité visionnaire, Jean Sénac pressentait la victoire des préjugés sur la générosité et la liberté. Il va manifester une queste double, celle d’une révolution aussi sexuelle et celle d’une sexualité libertaire et révolutionnaire. Le « corps total » est aussi un « esprit total ». « Ce corps élu, précise Christophe Dauphin, est l’un des éléments clés de la poétique  de Sénac, qui identifie le corps au poème. D’une faille à l’autre, le corpoéme, saccage de sincérité, tente de susciter une physionomie et du même coup, engage la personne qui écrit à tout donner, « de l’âme à l’excrément ». Les poèmes d’amour sont maîtrisés, alliant l’élan sexuel à l’abandon total. A sa soif de liberté, de justice et d’amitié, le poète ajoute son besoin insatiable de l’autre : Car la révolution et l’amour ont renouvelé notre chair. Au « corpoème » succédera le « spoerme » : il écrit d’un jet ma joie carnassière la – première syllabe de mon refus. » Enfin, Christophe Dauphin évoque sa proximité de queste et de destin avec Pier Paolo Pasolini : « La poésie les unit, l’amour, la liberté, le feu du langage et du désir les animent. Pasolini et Sénac se rangent tous les deux du côté du peuple… ».    

Dans un sommaire riche et touffu, le dossier, coordonné par César Birène, est consacré aux poètes norvégiens contemporains avec des textes de Régis Boyer, Ole Karlsen, Eva Sauvegrain, Pierre Grouix, Poèmes de Tarjei Vesaas, Inger Hagerup, Olav H. Hauge, Tor Jonsson, Gunvor Hofmo, Marie Takvam, Stein Mehren, Jan Erik Vold, Paal-Helge Haugen, Knut Odegård… Une manière de découvrir cette poésie puissante, riche et d’une grande subtilité à travers des auteurs majeurs peu connus dans les pays francophones. Pierre Grouix nous présente également une grande figure de la poésie finlandaise, Bo Carpelan (1926-2011)."

Rémi Boyer (in incoherism.owni.fr, 26 mars 2013).

 

" Le n° 35 des Hommes sans Epaules est paru en février dernier. Le lecteur se souviendra de l’histoire de cette revue qui en est à sa troisième série : qu’il adhère ou non à l’émotivisme, reste que cette revue s’inscrit dans l’histoire de la poésie française depuis 1953... Mais l’essentiel n’est pas là : il est dans l’hommage rendu par Christophe Dauphin à Jean Sénac qu’on ne lit plus assez aujourd’hui, il est dans le dossier sur les poètes norvégiens, il est dans la présentation (captivante) de Bo Carpelan (poète finlandais suédophone qui est sans doute le poète scandinave le plus connu ici) due à Pierre Grouix son traducteur (qui a aussi participé aux traductions et notices des poètes du dossier norvégien…). Rien que pour ces trois ensembles, il faut lire ce numéro 35. Mais ce n’est pas tout, il y a encore tous les poèmes donnés à lire : des ensembles significatifs de poèmes d’Antoinette Jaume et de Lorand Gaspar, mais aussi d’auteurs plus jeunes comme Marie-Josée Christien, Jean-Claude Tardif, Gwen Garnier-Duguy, Claude de Burine, Hubert Haddad pour ne citer que ceux-là…. Diversité des écritures, diversité des voix, on a là une coupe, au sens géologique, dans la poésie d’expression française qui est tout à fait réjouissante. On a presque l’impression d’une anthologie atypique (il n’y a pas de thème, d’école, d’époque…), impression renforcée par le volume de cette livraison. C’est dire tout l’intérêt de cette revue semestrielle. Cependant, sur les 286 pages de ce n° des Hommes sans Epaules, on compte environ 80 pages de chroniques, hommages, notes de lecture, articles divers… qui viennent compléter cette partie anthologie pour en faire une véritable revue rendant compte, non de la vie la poésie (serait-ce possible, je ne le pense pas), mais d’une certaine conception, d’un certain courant de la poésie… Si Christophe Dauphin incarne parfaitement ce que peut être le surréalisme aujourd’hui (jusqu’à défendre bec et ongles André Breton et Sarane Alexandrian dans une note de lecture où l’argumentation précise se mêle à des jugements sans appel : Noël Arnaud est un triste sire et Jean-Pierre Lassalle évite de peu la bêtise crasse…), sa façon ouverte de diriger la revue fait de celle-ci un outil pour mieux connaître la poésie qui s’écrit maintenant et depuis un demi-siècle, qu’elle soit dans les marges du surréalisme ou non… "

Lucien Wasselin ("Chemins de lecture" in Texture, 29 juillet 2013).

 

"Le finlandais Bo Carpelan figure dans le n°35 de Les Hommes sans Epaules. Présenté par son traducteur, Pierre Grouix. "Richesse pauvre, profonde modestie", en dit-il. "Essayer de parler un autre langage - bâtir des chambres pour les tourmentés - lits, paravents, articulations desséchées." Bon ce n'est pas la Finlande, mais la Norvège (et ses poètes) qui est le gros dossier de ce numéro, à travers les traductions de Pierre Grouix, Eva Sauvegrain, Régis Boyer et Ole Karlsen. Traductions presque toutes au catalogue des éd. Rafael de Surtis, mais impossibles à trouver en livres. Dix poètes du XXe siècle, de Tarjei Vesaas (connu comme romancier, Les Oiseaux, Le palais de Glace) à Knut Odegard (né en 1945). Poésie très attachée à la nature, disent les traducteurs, mais que la lecture montre traversée par les mêmes inquiétudes que la nôtre. Comme exemples, j'ai retenu le poète jardinier, Olav H. Hauge: Feuillage de chêne dans le soleil d'automne - pays bleu, pays montagneux, pays de mer - qui vieillit à côté de moi; Gunvor Hofmo (enfant turbulente, mélancolique et angoissée), et (ma préférence) Marie Takvam: Toi, tu sais parler! - Il me l'a tellement dit posément - Mais je ne sais plus parler - Tous les bruits du monde - m'ont frappée sur la bouche - ont emmêlé mes mots... sacs plastiques pleins de mots... Quand une revue fait plus de 280 pages, forcément, il y a un tas d'autres trucs: un gros cahier de lectures-critiques, Jean Sénac (présenté par Christophe Dauphin) dont les poèmes ponctuent le numéro, Antoinette Jaume, Lorand Gaspar, H. Haddad, J-C. Tardif, G. Garnier-Duguy, M-J Christien, A. Piolot, T. Bajsic, Y. Sénécal... et la chronique d'Eric Sénécal, qui remue tout un tas de buzz du Landerneau poétique dont je ne sais rien. Quand je lis ça, je me sens tout norvégien, je me fais l'éffet d'être un Olav H. Hauge dans un jardin ou une Gunvor Hofmo recluse dans sa chambre pendant plus de vingt ans.

Christian Degoutte (in revue Verso n°154, septembre 2013).

 

« Qui se souvient de Jean Sénac ? », s’interroge Max Leroy… Même si c’est un peu tard, on découvre et redécouvre Jean Sénac. Encore davantage en ce quarantième anniversaire de sa mort, plutôt de son assassinat (un 30 août 1973)… Fait divers parmi tant d’autres ou assassinat à motivation idéologique ? La justice a tranché. Mais on sait qu’aux frontières de l’évidence, la vérité peut  être ailleurs…

Pour ce quarantième anniversaire de la disparition de Sénac sont attendus, notamment : « Jean Sénac, poète et martyr » du regretté Bernard Mazo – décédé juste après avoir mis la dernière main à son ouvrage. C’est un essai qui est préfacé par Hamid-Nacer Khodja, le spécialiste de Jean Sénac dont la thèse d’Etat sur  Jean Sénac doit  paraître bientôt sous forme de  livre. Il faut ajouter une réédition  de « Pour une terre possible » (poèmes et autres inédits, Marsa, 1999) en format poche aux éditions Point. Des articles nombreux et divers  parsèment la Toile ou les revues entre les deux rives de la Méditerranée…

« Ecrivain et poète, pied-noir et indépendantiste, chrétien et révolutionnaire. Caillou dans les souliers de la France et de l’Algérie, Sénac bouscule les deux rives et les eaux troubles de la Méditerranée… », Observe Max Leroy tandis que Christophe Dauphin de la revue Les Hommes sans Epaules, écrit « Jean Sénac a dérangé, de son vivant, autant le pouvoir bourgeois et colonial français, que l’extrême-droite, les intégristes islamistes ou la bureaucratie algérienne ». Et de conclure : « On ne ressort pas indemne de la lecture de Jean Sénac ». En 1970, Jean Sénac s’était lié d’amitié avec Jean Breton et le groupe des Hommes sans épaules, reconstitué autour de la revue Poésie 1, où parut la mythique « Anthologie de la nouvelle poésie algérienne ». Et c’est encore chez  Jean Breton que fut publié le dernier ouvrage de Sénac de son vivant : « Les désordres » (1972).

En effet, de grands désordres étaient intervenus dans sa vie.  Il avait dédié sa vie au combat pour une Algérie nouvelle, rompant les amarres avec sa tribu d’origine, récusant son père spirituel, Albert Camus (qui dans une lettre lui reprochait d’avoir pris le parti des égorgeurs)… Dans une Algérie en pleine effervescence dans ces années 1970  marquée par des réformes-  attendues et exaltées en éclaireur par Sénac- paradoxalement, le poète du « Soleil sous les armes (1957), de « Matinale de mon peuple » (1961)   qui avait accompagné  « l’état-major des analphabètes » vers sa libération nationale et son  émancipation sociale, après avoir connu les honneurs sous Ben Bella (au point où l’on accusa d’être devenu un poète de cour), se retrouvait marginalisé, exclu, voire chassé sans explication de la radio où il donnait la pleine mesure de ce que la poésie pouvait apporter à la cité. Son altérité sexuelle lui valait une moquerie homophobe tenace qui y trouvait prétexte à minorer son œuvre… Reclus, visité seulement par de jeunes poètes, dans sa « cave-vigie » de la rue Elisée. Reclus à Alger, il était   voué aux gémonies par les envieux et les sectaires de tous poils. Avant de finir sous les coups de couteau."

Abdelmadjid Kaouah (La résurrection de Jean Sénac, « Chronique des deux rives » in algérienews.infos, 28 septembre 2013).

 

"Même si nombre de revues (à l’instar d’Europe, mais aussi bien Les Hommes sans Epaules de Christophe Dauphin, entre autres exemples) continuent de dédier leur espace exclusivement au texte, et ce indépendamment de leurs préoccupations, la revue est sans conteste un lieu privilégié pour interpeller, « mimer les arts voisins » selon la formule de Michel Deguy."

Patrice Beray (Médiapart, 16 mars 2013).

"Fort volume de 280 pages qui offre de larges vues sur la poésie. un hommage à Jean Sénac "Le corps poème sous les armes". Des poèmes d'Antoinette Jaume: Où dénuder un peu d'amour dans - ces champs pleins de trous et de morts ? et de Lorand Gaspar: Nous sommes malades d'immense. Beaucoup de poètes qu'on ne peut pas tous citer, mais un dossier sur les poètes norvégiens contemporains, coordonné par César Birène, avec notes et traductions de Pierre Grouix. Un bon dossier de Gérard Paris sur Hubert Haddad: "un esthéte qui a posé au plus haut point le sentiment de la langue, loin des faiseurs et autres petits rois des medias" avec quelques inédits: J'ignore tout des vies qui me conjuguent. Paul Farellier fait "une visite de chantier, construction d'un poète", sur les poèmes de Pierrick de Chermont. Et tant d'autres poètes et tant d'hommages, notamment à Janine Magnan et Jean Giraud Moebius par Christophe Dauphin, le grand ordonnateur de la revue."

Bernard Fournier (in revue Poésie/première n° 157, décembre 2013".

"Ce numéro s’ouvre sur une évocation d’un poète assassiné (il y a eu 40 ans en 2013), Jean Sénac, devenu une sorte d’icône aux côtés de Pasolini ou plus récemment de Tahar Djaout, ou encore un admirateur du même Sénac sur le sol algérien, Youcef Sebti. Et s’ouvre plus précisément sur une citation de ce poète assassiné : «Poésie et résistance apparaissent comme les tranchants d’une même lame où l’homme inlassablement affute sa dignité. Parce que la poésie … est « écrite par tous, clé de contact grâce à laquelle la communauté se met en marche et s’exalte, elle est, dans les fureurs comme dans sa transparence sereine, dans ses arcanes comme dans son impudeur, ouvertement résistante. Tant que l’individu sera atteint dans sa revendication de totale liberté, la poésie veillera aux avant-postes ou brandira ses torches. Au vif de la mêlée, éperdument aux écoutes, le poète va donc vivre du souffle même de son peuple. Il traduira sa respiration, oppressée ou radieuse, l’odeur des résédas comme celle des charniers ». (Je ne peux m’empêcher de me demander ce qu’il en est aujourd’hui). Un long édito de l’infatigable Christophe Dauphin situe le personnage et lui rend un vibrant hommage. Suivent 280 pages denses où je vais de découvertes en souvenirs, un dossier « poètes norvégiens contemporains », des hommages à d’autres disparus, des notes de lectures… cette revue est toujours une belle entrée en poésie."

Yves Artufel (cf. La semaine de Gros Textes n°5, 3-9 février 2014, in grostextes.over-blog.com).

 




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