Les Hommes sans Épaules
Dossier: ROGER KOWALSKI, A L'OISEAU, A LA MISERICORDE
Deuxième semestre 2014
Numéro 38
298 pages
17.00 €
Sommaire du numéro
Editorial: "Ouvrir l'espérance du temps", par Georges-Emmanuel CLANCIER
Les Porteurs de Feu : Gisèle PRASSINOS, par Christophe DAUPHIN, Gilbert LELY, par Sarane ALEXANDRIAN, Poèmes de Gisèle PRASSINOS, Gilbert LELY
Ainsi furent les Wah : Poèmes de Juan GELMAN, Michel VOITURIER, Michel LAMART, Yves BOUTROUE, Hervé SIXTE-BOURBON, Emmanuelle LE CAM, Nicolas SAVIGNAT, Franck BALANDIER
Dossier : 1934-2014 Roger Kowalski, A l'Oiseau, à la Miséricorde, avec des textes de François MONTMANEIX, Guy CHAMBELLAND, Yves MARTIN, Alain BOSQUET, Annie SALAGER, Lionel RAY, Jean ORIZET, Jean-Yves DEBREUILLE, Jean-Luc LERIDON, Jacques DUGELAY, Janine BERDIN, César BIRÈNE, Poèmes de Roger KOWALSKI
Le Poète et l'objet : Ghérasim Luca, par Sarane ALEXANDRIAN, Petre RAILEANU, avec des textes de Ghérasim LUCA
Le Peintre de coeur : Ljuba, par Odile COHEN-ABBAS, avec des textes de LJUBA
La Mémoire, la poésie : Paul Pugnaud, par Matthieu BAUMIER, Poèmes de Paul PUGNAUD
Dans les cheveux d'Aoûn : Proses de Gilbert LELY, Lionel LATHUILLE, Frédéric TISON
Les Pages des Hommes sans Epaules : Poèmes de Alain SIMON, Jacques SIMONOMIS, Paul FARELLIER, Alain BRETON, Elodia TURKI, Christophe DAUPHIN
Avec la moelle des arbres : notes de lecture de Christophe DAUPHIN, Paul FARELLIER, Odile COHEN-ABBAS, Jean CHATARD
Infos / Echos des HSE, par Claude ARGÈS, avec des textes de Guy ALLIX, Christophe DAUPHIN, Alain BRETON, Paul FARELLIER, Hervé DELABARRE, André BRETON, Jacques ARAMBURU
Incises poétiques: Georges-Emmanuel CLANCIER
Présentation
1934-2014 : ROGER KOWALSKI
par François MONTMANEIX
Roger Kowalski est mort le 6 septembre 1975 des suites compliquées d’une opération à coeur ouvert (selon l’aimable expression médicale et comme si un poète pouvait être à coeur fermé) consécutive elle-même à un accident cardiaque, survenu quelques mois auparavant. Il était né le 31 août 1934 et aurait donc eu 80 ans cette année.
Le Grand Prix de Poésie de la Ville de Lyon, qui porte son nom et honore ainsi la mémoire du poète qui a vécu et écrit tout son oeuvre en sa ville natale, a été créé en 1984. Il se trouve donc être également dans une année anniversaire, la trentième pour sa part, ce qui est tout de même un excellent signe, puisque les différentes sensibilités ayant assumé successivement les responsabilités de la politique municipale ont toutes soutenu le Prix éponyme et assuré, ainsi, non seulement sa pérennité mais encore son rayonnement qui en ont fait l’un des plus recherchés et surtout l’un des plus significatifs de France quant à son palmarès.
Il y a donc une double raison chronologique - les dates ont tout de même une vraie signification dans la mémoire de certains hommes - à propos de Roger Kowalski, de ne pas laisser passer un millésime en 4 sans évoquer l’homme qu’il fut et le poète qu’il est.
C’est à ce double titre que Les Hommes sans Epaules ont accepté d’ouvrir largement leurs pages à l’évocation de l’homme et de son oeuvre, laquelle, en la fulgurante brièveté d’une vie trop tôt foudroyée, n’aura été consacrée qu’à la Poésie.
Et celle-ci, à travers les pages qui suivent, sera donc abordée sous tous ses aspects grâce à la collaboration d’un bon nombre de ceux et de celles qui l’ont connu, qui l’ont lu et qui, sous des angles divers, forcément différents mais parfaitement complémentaires, l’ont compris et l’ont aimé. Et c’est pourquoi ils ont voulu en parler. Qu’ils en soient ici profondément remerciés de même, naturellement, que la revue qui leur ouvre si généreusement ses portes.
Avant de leur laisser la parole et avant de faire paraître à leurs côtés tels ou tels documents, notamment iconographiques, toujours plus ou moins anecdotiques mais non dépourvus d’émotion, celui qui a été chargé de rassembler ces collaborations et ces documents tient à dire aussi quelques mots de celui qui fut son ami de jeunesse dans une suite de lectures, écritures, insomnies, compagnies, joies et peines de tous ordres et désordres ayant ponctué des partages inoubliables.
Car Roger fut un vivant d’une stature peu commune. Une curieuse espèce d’oiseau de nuit à qui l’aube et le plein jour ne faisaient pas peur non plus. Dormant peu, connais-sant tous les bons endroits où, devant une enfilade de verres emplis (et vidés !) de ces grands crus dans lesquels baigne la discrète ville de Lyon, une conversation - à l’abri de ces infernales musiques d’ambiance (?!) made in USA qui ont défiguré et dénaturé tant de nos cafés et bistrots - était encore possible, Kowalski tenait ses assises au milieu d’un incomparable amoncellement de revues et journaux litté-raires, de livres en cours de lecture et soigneusement annotés, de véritables fagots de plusieurs pipes avec chacune son paquet de l’un de ces tabacs fins dont il était grand expert et fumeur assidu, de cendriers toujours débordant des cigarettes qui lui cramaient le coeur.
Le retrouver en tel appareil, et à intervalles très régu-liers, me fut l’un de ces bonheurs marquant à jamais des territoires qui appartiennent autant à la mémoire qu’à la vie présente.
Et quelle présence que la sienne ! Jamais une minute banale, mêlant perpétuellement ses mondes personnels - empreints d’autant de fantaisie que d’une gravité allant souvent jusqu’à une forme de déréliction quasiment jubilatoire - aux réalités d’un monde dont rien ne lui échappait, il était sans cesse aux aguets de ce qui pouvait prêter au jaillissement du poème. Il avait toujours sur lui des sortes de liasses de très beau papier (le papier était en effet, avec les stylos et les fragrances de l’encre, l’une de ses constantes ferveurs) sur lesquelles il notait tout ce qu’un sens très aigu de l’observation et sa rêverie toujours en éveil l’amèneraient à utiliser, plus tard, dans le nécessaire repli et le secret des bureaux, professionnel et domiciliaire, où il s’adonnait jusque fort avant dans les nuits et l’indispensable solitude, au travail d’écriture et de réécriture. Après quoi il sortait « prendre l’air » et déambuler aux premières lueurs des petits matins.
Je ne veux pas, ici, pousser plus loin les feux d’une existence qui fut une vie tout entière consumée pour et par la Poésie, en ce que celle-ci a de plus miraculeusement lié au seul fait d’être au monde. Nul doute que, pour Kowalski, la Poésie ait été l’unique nécessité, c’est-à-dire, selon la définition que la philosophie a tenté de donner de ce mot : « ce qui ne peut pas ne pas être ».
Et cette nécessité faisait partie de son mystère. Un mystère toujours précédé ou suivi de ce rire qui, prenant à revers le temps qui file, envoyait les heures dans l’espace, avec les gestes et les mots auxquels il confiait le soin de mirer, d’admirer, de commenter, de célébrer les ballons de Mâcon blanc et de Beaujolais qui nous tenaient lieu de viatiques pour le reste de la journée ou de la nuit. Mais rien, pourtant, du soiffard dépendant. Tout au contraire, « in vino veritas », éprouvait-il et prouvait-il ainsi une liberté à laquelle nulle habitude dévastatrice et aucune facile et confortable posture de prétendu poète, ne pouvaient dicter la moindre condition.
Si j’ai tenté de tracer là ce sans doute trop rapide portrait humain de celui qui a été l’ami de la jeunesse et de la force de l’âge, c’est pour rendre toute sa justice et, peut-être, sa justesse, à une image qui donne trop souvent de lui l’apparence convenue du pur esprit tombé sur terre, le temps d’un éclair, une manière de Mozart en Poésie. Mais l’on sait aussi (la référence n’étant pas tout à fait gratuite) quelle était la véritable nature de Mozart, longtemps voilée par les convenances.
Eh bien, la véritable nature de Kowalski nous a donné cette poésie à nulle autre pareille dans l’arbre généalogique français où elle demeure aussi singulière aujourd’hui qu’hier.
Hors du temps chronométrique, calendaire, social ou politique, bien au-delà du trop fameux engagement qui a servi d’alibi à tant de vacuités censées relever d’une poésie dite de combat, à l’écart des approximations syntaxiques, des alinéas et des blancs typographiques, ignorant superbe-ment les expériences de laboratoire où se sont mésaventurés ceux et celles dont les tristes lanternes verbales n’étaient que vessies langagières, la poésie de Kowalski apparaît aujourd’hui comme l’une de celles où il sera possible de puiser à profusion de quoi tenir tête à la déferlante des gadgets et à la pitoyable dérive consumériste où démagogues et économistes à courte vue situent aujourd’hui l’ensemble des productions de l’esprit, indifféremment de celles de l’industrie, dans l’immédiateté, le gaspillage, la facilité et la plus basse vulgarité publicitairement racoleuse.
Et cette poésie, les contributions et les témoignages qui suivent, vont contribuer à la situer à sa vraie place : sur une orbite où croisent les astres dont la lumière et le rayonnement ne procèdent ni de l’illusion, ni de la prétention, ni de la fabrication. Sur une orbite où l’être au rêve habitué vient parler - avec ceux qui ont rêvé avant lui - à ceux qui rêvent et à ceux qui rêveront, puisque aussi bien les rêves sont les seules racines de la réalité et donc celles d’un possible avenir.
Mais comment terminer ces quelques lignes introduc-tives, sans donner la parole à celui qui fut son premier et son ultime éditeur, je veux dire, n’en déplaise aux mânes du cher Alain Bosquet, Guy Chambelland ? Dans le numéro 52/53 du Pont de l’Épée, à l’automne 1975, ce dernier rendait hommage à Kowalski en des termes bouleversants : « ...Pendant quinze ans, je l’ai revu, à intervalles irréguliers, goûtant avec lui l’humour, la distance et, je pense, une amitié comme souterraine dont le vous ne cédait qu’aux heures avancées de la nuit. Sa mort fait particulièrement mal, non seulement parce qu’il est le premier à partir de notre génération lyonnaise apparue vers 1960, mais aussi parce qu’il était, comment dire sous ses allures aristocrates ? une bourse de vie pleine à craquer, une bête d’aventure étonnante, que ceux qui ne l’ont pas entendu conter la nuit ne peuvent soupçonner. Oui, je parle de l’homme et je ne confonds pas. Il débordait ses livres, était autre chose que ses livres, et eux-mêmes. Il était ce qu’un poète, pour moi au moins, sait rarement être : un de ses poèmes. Nous serons quelques-uns, je crois, à ne plus pouvoir boire à Lyon sans que nous traverse, de sa place vide, le petit noeud, entre les côtes, de l’irrémédiable... ».
Kowalski, Chambelland, Yves Martin et Alain Bosquet (qui contribuent également tous deux à ce numéro) : beaucoup de noeuds, entre les côtes, de l’irrémédiable... Mais autant de raisons de croire en la vie et en la force inaltérables de la Poésie !
François MONTMANEIX
(Extrait de la revue Les Hommes sans Epaules n°38, 2014).
POEMES DE ROGER KOWALSKI
La nuit déjà gonfle dans mes regards une aile qui flambe ; l’eau est un rire d’oiseau piégé ;
- je ne suis pas revenu ; celui que tu vois dans le sommeil aggrave la beauté : il a vécu.
À son chevet gardez un enfantin visage ; puissiez-vous y trouver le repos comme dans les rues noires de quatre heures s’il pleut.
*
Un soleil couleur d’huître, un goût de nuit quand l’hiver change et que la stupide mouette gémit clair.
Illuminons ce lieu d’un langage à l’eau pareil ; les armes sont blanches, creuses les blessures ;
ton ombre amèrement fendue ; ta salive encore, la tienne dont luit ma très tendre bouche.
Garde mémoire de mes os : ils sont la trop parfaite image de qui je fus.
*
L’ombre sur les dalles ; une apparence de loup contre le mur ;
- nous parlons avec la voix des grandes braises -
quelqu’un rassemble à notre porte un vieux bran-chage ; il rit ;
déjà crépite la chevelure du feu notre premier-né.
*
Parcourues de brumes, ô vignes ;
très parfaites, secouées d’un langage où saigne le nom ;
nous sommeillons ici par la face improbable et le don.
*
Flambe l’étoile, décline l’ange ; l’aube à la vitre glisse une enfantine joue.
Veillons la rive est proche et nombreux le roc où notre vaisseau
dans la nuit brisera ses flancs parfaits.
*
D’autres combats nous ont déchirés : nous ne les nommerons pas ;
d’autres armures, d’autres vêtements d’un langage oublié.
Mais c’est de vous, lueurs, que nous faisons notre chant ; là saigne le ramier ;
un feu d’herbes exalte la nuit ; nous passerons au travers pour y soudain crier
*
Fuyez, il faut dans les landes du sommeil fuir encore et qu’à notre poing
flambe avec fureur l’oiseau-torche ;
qu’êtes-vous à la lisière d’une forêt décimée ? Qu’êtes-vous ?
L’ombre, son profil, son aile, et le feu bref sous la paupière.
*
l’eau ressemble à vos regards
le seul oubli peut charmer vos délires
ne restez plus ici la nuit vient
noirement l’arbre effacera vos noms
les plus amers vont livrer votre image
aux rires du malin
si je meurs éveillez mon visage par cette rose
qui ne fleurit point aux vivants
mais dont l’épine lève le coeur
Roger KOWALSKI
(Poèmes extraits de la revue Les Hommes sans Epaules N°38, 2014).
Revue de presse
2014 - A propos du numéro 38"Cette nouvelle livraison de la superbe revue, Les Hommes sans Epaules, fondée par Jean Breton et dirigée par Christophe Dauphin consacre son dossier à Roger Kowalski (1934-1975) qui voua sa vie à la Poésie. François Montmaneix, qui a rassemblé ce dossier, en fait un portrait plein d’émotions :
« Car Roger fut un vivant d’une stature peu commune. Une curieuse espèce d’oiseau de nuit à qui l’aube et le plein jour ne faisaient pas peur non plus. Dormant peu, connaissant tous les bons endroits où, devant une enfilade de verres emplis (et vidés !) de ces grands crus dans lesquels baigne la discrète ville de Lyon, une conversation – à l’abri de ces infernales musiques d’ambiance ( ?!) made in USA qui ont défiguré et dénaturé tant de nos cafés et bistrots – était encore possible. Kowalski tenait ses assises au milieu d’un incomparable amoncellement de revues et journaux littéraires, de livres en cours de lecture et soigneusement annotés, de véritables fagots de plusieurs pipes avec chacune son paquet de l’un de ses tabacs fins dont il était grand expert et fumeur assidu, de cendriers toujours débordant des cigarettes qui lui cramaient le cœur.
Le retrouver en tel appareil, et à intervalles très réguliers, me fut l’un de ces bonheurs marquant à jamais des territoires qui appartiennent autant à la mémoire qu’à la vie présente. »
C’est par de tels témoignages, parfois des anecdotes, que les témoins rassemblés ici redonnent corps à la poésie de Roger Kowalski, une poésie éternellement actuelle, singulière et puissante :
« Hors du temps chronométrique, calendaire, social, politique, confie encore François Montmaneix, bien au-delà du trop fameux engagement qui a servi d’alibi à tant de vacuités censées relever d’une poésie dite de combat, à l’écart des approximations syntaxiques, des alinéas et des blancs typographiques, ignorant superbement les expériences de laboratoire où se sont mésaventurés ceux et celles dont les tristes lanternes verbales n’étaient que vessies langagières, la poésie de Kowalski apparaît aujourd’hui comme l’une de celles où il sera possible de puiser à profusion de quoi tenir tête à la déferlante des gadgets et à la pitoyable dérive consumériste où démagogues et économistes à courte vue situent aujourd’hui l’ensemble des productions de l’esprit, indifféremment de celles de l’industrie, dans l’immédiateté, le gaspillage, la facilité et la plus basse vulgarité publicitairement racoleuse.
Et cette poésie, les contributions et les témoignages qui suivent, vont contribuer à la situer à sa vraie place : sur une orbite où croisent les astres dont la lumière et le rayonnement ne procèdent ni de l’illusion, ni de la prétention, ni de la fabrication. Sur une orbite où l’être au rêve habitué vient parler – avec ceux qui ont rêvé avant lui – à ceux qui rêvent et à ceux qui rêveront, puisque aussi bien les rêves sont les seules racines de la réalité et donc celles d’un possible avenir. »
Cette poésie du rêve, parfois du songe, coule, tel un fleuve indomptable, tantôt paisible tantôt violente, apaisante ou terrifiante, telle un dieu incertain de lui-même. Ainsi :
L’autre face, poème extrait de Le Silenciaire, Editions Chambelland, 1960.
Vois : j’ai posé sur le papier un point d’encre très noire ; ce feu sombre est l’eau même de la nuit ; un silence d’étoiles échevelées.
Il suffit de peu de chose, presque rien ; une syllabe, une consonne et je deviens tempête : un geste de l’arbre et cent racines me lient ;
le pas de filles de mémoire, et je tourne vers ta face un œil qu’emplit une plainte égarée ; écoute : quelque chose ici n’est point de ce monde ;
ni le verbe, ni le point où s’articule un discours entrepris dans l’ennui, mais la profonde, chaste et noire encre sur ton masque de papier.
Mais ce numéro est peuplé d’autres éveilleurs comme le poète Ghéasim Luca ou le peintre Ljuba, parmi d’autres.
Cette revue est davantage qu’une revue. C’est un mouvement vivant, une flèche d’argent qui traverse l’apparaître pour laisser passer un esprit de feu."
Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, septembre 2014).
"Avec une régularité de métronome, deux fois par an, Christophe Dauphin et son équipe proposent deux copieuses livraisons qui font la part belle à divers secteurs poétiques dans le sillage d’un surréalisme vivace. Un long extrait d’un entretien avec le poète centenaire G.E. Clancier sert d’éditorial à ce numéro. Ces dix pages en disent bien plus sur la situation de la poésie actuelle que des centaines de verbiages pseudo-universitaires. « Ouvrir l’espérance du temps » pourrait servir d’étendard pour avancer, insister, résister. « La vie parle si fort, déclare Clancier, que je ne puis me taire ».
On lira ensuite deux épais dossiers sur Gisèle Prassinos et sur Gilbert Lély, deux « porteurs de feu » à ne pas oublier. « Ainsi furent les wah » ouvre ses portes à huit poètes de tous horizons, poètes dont le point commun pourrait être la ferveur. . Parmi eux, citons l’Argentin Juan Gelman, l’indépendante Emmanuelle Le Cam ou le discret Michel Lamart.
Le gros dossier central, coordonné par François Montmaneix, porte sur Roger Kowalski. Citons encore d’autres volets de ce très riche numéro : sur le poète roumain Ghérasim Luca, sur le peintre Ljuba ou sur le poète Paul Pugnaud. Ensuite, Dauphin est parvenu à dénicher un texte rare et fondateur de Gilbert Lély sur le marquis de Sade. Cette livraison s’achève sur une quarantaine de pages consacrées à des lectures ou à des informations autour de la poésie vivante."
Georges CATHALO ("Lecture Flash" in revue-texture.fr, octobre 2014).
"Les Hommes sans Epaules consacrent en leur n°38 un dossier à Roger Kowalski…Montmaneix, qui dirige le dossier Kowalski, l'avait bien connu. Avec les autres signataires, dont certains étaient ses amis, il nous présente un poète aux allures aristocrate, de cette aristocratie qui signifie que Kowalski n'enviait rien à personne puisqu'il possédait tout en possédant le poème. Il aurait eu 80 ans cette année, est resté plutôt méconnu dans le microcosme poétique, se gardant des modes d'alors, de la poésie de laboratoire, de la fatigue qui s'abattait sur le langage. Il œuvrait en joaillier du vers pour une parole intérieure car, comme le dit Alain Bosquet en parlant de ses poèmes : "il n'y en a jamais un seul où il y ait une syllabe inutile". Kowalski est mort en 1975 des suites d'une opération cardiaque. Il vivait poème, dormait peu, consuma sa vie en poème. Nous nous joignons, en tant que lecteur, aux remerciements que François Montmaneix adresse aux Hommes sans Epaules pour avoir accueilli ce dossier hommage….
Nous trouverons aussi, en ce fort beau n°38, dans la partie porteurs de feu, un portrait de Gisèle Prassinos, qui découvrit l'écriture automatique à 16 ans, en la pratiquant d'elle-même, sans savoir que ce qu'elle écrivait était dans le même temps conceptualisé par un André Breton au départ incrédule de constater que ses recherches étaient vécus par une jeune adolescente aux accents de génie. Breton fit authentifier les textes de Prassinos, la fit créer des poèmes sous les yeux des grands surréalistes d'alors. Une synchronicité troublante, comme toujours, apportant de l'eau au moulin de Breton. Mais Prassinos ne se limita pas à l'exercice de cette pratique d'écriture (dont elle ne reconnaissait d'ailleurs pas elle-même la dimension automatique) : elle évolua vers d'autres horizons poétiques, ce que développe avec grand intérêt Christophe Dauphin.
Un autre portrait de Gilbert Lely, signé Sarane Alexandrian, trouve également sa place dans les porteurs de feu, accompagné par des poèmes hauts en couleurs (sexuelles), de Lely.
Ce n° des Hommes sans Epaules est introduit par un éditorial de Georges-Emmanuel Clancier, qui a fêté ses 100 ans cette année. Nous y apprenons, entre autres, que pour le poète ayant traversé les horreurs du XXème siècle, si Dieu existe, alors il se nomme le diable. Nous y apprenons aussi que : "Ma désespérance tient au fait que j'ai cru au progrès". Nous retombons encore, bien malgré nous, sur la dimension parménidienne des poèmes de Kowalski. Car le choix du progrès, c'est le choix des étants qui passent, le choix des errants, des mortels, ne voyant dans leur propre existence que l'entière réalité, contre le choix de la permanence qu'induit toute relation avec le "il y a".
Un autre hommage tient une place importante dans cette livraison : hommage au poète Paul Pugnaud par Matthieu Baumier. Nous avions nous même rendu hommage à Pugnaud, et nous retiendrons, du beau texte de Baumier, ceci : "Paul Pugnaud avait une très haute idée de la poésie et il savait, profondément, combien les mots que nous écrivons sous forme de poèmes sont une façon d'être écrits par la voix même du poème, cela même qui forme le plus que réel auquel nous accédons peu."
Nous trouverons, également, de beaux poèmes de Paul Farellier, Elodia Turqui, Alain Simon, Jacques Simonomis, Christophe Dauphin, mais aussi Juan Gelman, Michel Voiturier, Yves Boutroue, Hervé Sixte-Bourbon, Emmanuelle Le Cam, Franck Balandier."
Gwen GARNIER-DUGUY (in recoursaupoeme.fr, 5 novembre 2014).
"Un dossier de 70 pages consacré à Roger Kowalski couronne cette livraison, riche et foisonnante comme à l’ordinaire, de la revue de Christophe Dauphin. C’est François Montmaneix qui a coordonné le dossier très éclairant sur le poète qui est mort en 1975, à 41 ans. Roger Kowalski est né il y a tout juste 80 ans, et le Grand Prix de Poésie de la Ville de Lyon qui porte son nom fête également ses 30 ans d’existence. (Le tout dernier vient d’être remis à Jean Joubert). François Montmaneix, qui fut son ami de jeunesse à Lyon parle d’une vie toute entière consumée pour et par la Poésie. Suit la reprise d’un texte d’Yves Martin, paru en 1984, qui se concentre sur son dernier recueil, posthume, paru chez Chambelland. C’est un régal de relire Yves Martin, son style est constamment savoureux : « Les collets de givre, de gel se referment sur des manchons, des pelisses des pelotes… » Il parle d’un « hôte discret », « hobereau de la rêverie » dont « l’œuvre n’a pas eu sa « chance ». Elle est passée à travers tous les courants, fuyante, délicieuse et mortelle… ». Proche de Milosz, Rilke ou Nerval. Alain Bosquet dans une allocution de 1985 invente le concept de « mystère évident » à son endroit. Lionel Ray le classe dans les « poètes de l’assentiment, de l’adhésion à l’univers ». Jean-Yves Debreuille l’oppose à Saint-John Perse, et la poésie hautaine : « Il choisit le murmure, l’à peine perceptible… » Voici la fin du texte : « Naissance de l’écriture » de Roger Kowalski, qui embrasse magnifiquement tout le futur de sa poésie : … c’étaient de pures délices en vérité rien d’autre au monde que le bonheur d’écrire et jusqu’à l’odeur de l’encre, la peau douce du papier, le glissement de la plume, les vivantes ombres et cette main que je reconnaissais mal ; la lumière d’une bougie, l’aube, un parfum de pierre chaude, je vivais soudain ; l’heure présente, l’éternité tout entière enfin dans mon souffle."
Jacques MORIN ("Repérage" in dechargelarevue.com, 20 décembre 2014).