Tri par numéro de revue
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Lectures :

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Ce beau numéro de la revue fondée par Jean Breton en 1953 est consacré aux Damnées et Damnés de la poésie.Voici quelques extraits de l’éditorial puissant de Christophe Dauphin qui appelle à un Manifeste de l’Emotivisme :
« La création est pour le poète la blessure originelle. Son poème est habité, vécu, y compris dans la dimension onirique : un enjeu d’être total, et pour tout dire, émotiviste, car l’émotion est l’équation du rêve et de la réalité ; qui met le sujet hors de soi. »
« La poésie c’est l’être et non le paraître, un vivre et non un dire. Dans cet enjeu d’être total, ils sont nombreux, ceux qui, connus, inconnus, méconnus, ont laissé jusqu’à leur vie : les grands gisants d’intime défenestration, écrit Roger-Arnould Rivière, qui ajoute : je sais que la détonation contient le même volume sonore – que les battements du cœur qui bâtissent toute une vie. »
« La damnation, la malédiction du poète, c’est aussi ces livres qui se lisent peu ou pas, dont la diffusion est complexe et dont personne ne parle, qu’à titre confidentiel. Au mépris de la société répond souvent, plus cinglant, le mépris ou l’incompréhension de l’entourage. Le mépris, c’est-à-dire, l’indifférence. En somme le poète est un invisible, il n’existe pas. On l’aime mort après une vie malheureuse. »
« Il faut bien dire cette solitude, ce désarroi, ce désespoir, qui entourent le poète. Il n’était pas, il n’est toujours pas facile de vivre dans la peau d’un poète, qui doit exister en face de gens qui nient purement et simplement son existence… »
Pourtant, aucun misérabilisme chez Christophe Dauphin mais une juste lucidité qui s’accompagne de sagesse, d’une science du combat et d’un art de l’être.
« La poésie est l’unique réponse aux mascarades mensongères du monde, l’expression la plus intime et la plus intense de l’être. »
Il ne s’agit pas seulement de résistance à l’oppression mais bien d’un chemin intime de libération, ce qu’illustre le dossier consacré à Edouard J. Maunick, « le poète ensoleillé vif », dont la poésie s’épanouit entre île et exil, la condition même de l’être, exilé dans l’humain, et qui se constitue comme île.
« Pour moi, dit-il, la parole poétique n’est pas du tout différente de la parole physique, c’est-à-dire de ce mécanisme de vie qui commence au ventre, au plexus solaire, traverse la colonne, la trachée et sur lequel, au moment où l’expiration va se produire, l’homme appose une rumeur intelligible. C’est cela la parole. Je n’ai jamais pu corroborer l’expression coup au cœur – pour moi, il s’agit toujours d’un coup au ventre. Le poème étant la parole exigée, toute parole prononcée par l’homme et qui ne ressort pas au quotidien domestique, est poème. Par quotidien domestique, entendons ce que les civilisations nous ont donné comme manières, nous ont créé de verbiages, etc. »
Testament d’un errant (extrait)
… si meurt le poème/
le bluff littéraire
l’aura emporté
sur une autre Passion
sans les trente deniers
mais payées en nègres/
sans Gethsemani
pour dernière prière
mais l’île de Gorée
pour station maudite/
triste embarcadère
d’une ébène de chair
vers l’Outre-Atlantique/
Golgotha de mer
dans le Sanhédrin
ni de Ponce Pilate/
mais docteur-es-Traite/
sans couronnes d’épines
mais chaînes et carcans/brûlures de fouet
pour flagellation.
Reste la mise en exil :
Si meurt le poème/comment conjurer Gorée ? »
Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, juin 2022).
*
« Je parle de l’île comme je parle du ventre, parce que c’est à partir du ventre que j’ai été lâché dans la merveille » (Edouard J. Maunick). Trois parties (je simplifie) composent ce numéro 53 de Les Hommes sans Épaules.
Une première partie : Edouard J. Maunick (un dossier « Le Poète ensoleillé vif » de Christophe Dauphin, avec les contributions de Jean Breton - un formidable entretien avec Maunick - et Léopold Sédar Senghor) et les poètes des îles Mascareignes (Océan Indine : Réunion, Maurice, Rodrigues)). Du plus ancien, Evariste Parny : « Le lit de feuilles est préparé ; je l’ai parsemé de fleurs et d’herbes odoriférantes ; il est digne de tes charmes, Nahandove, ô belle Nahandove ! », à la plus récente, Catherine Boudet : « Mon verbe est celui d’un marronnage blanc – Silencieux poussant cru – Contre l’ortie des hontes – Le bétel du raisonnable », en passant par Malcolm de Chazal et Boris Gamaleya : « ibis – ibiscus – le ciel a ramené au peuple ses rivages – ses racines d’éclats – son corail bec d’oiseau – écoutez-moi – et cette mer en son ancienneté ».
La deuxième partie « Pour les Damnés » (par Christophe Dauphin) dresse une géographie de l’enfer ordinaire sur terre et convoque des poètes mis à la torture par la misère, la maladie, la mort, le sexisme, la guerre, etc. « Ah ! je t’ai bien connue, Misère, j’étais de ceux que tu encenses… » (Ilarie Voronca), « je suis toujours l’individu perdu dans sa propre foule » (André de Richaud), « Une fille et un garçon – la mère préfère – le garçon à la fille – car le garçon épaulera la mère – quand viendront les mauvais jours – et la fille enfantera un autre garçon – qui l’épaulera à son tour » (Ashraf Fayad, emprisonné et condamné à mort pour blasphème en Arabie Saoudite), Laurent Thinès, Joseph Ponthus, Marie Murski, Taslima Nasreen et Claude de Burine : « …ils ont l’air, eux, de tout savoir – parce qu’ils dansent – Les notaires – Les dentistes – Les plombiers – Les chirurgiens-dentistes de fesses – Nous, nous sommes les enfants du malheur ».
La troisième partie, c’est l’anthologique, avec Edith Brick revenue des camps de la mort : « c’est difficile d’être un survivant », Nathalie Swan (l’amour, rien que l’amour) : « Tes coups de reins scrutent mon visage… J’y dévalerai ton éboulis. Quand tu creuses ma faille, la lumière s’avance en aveugle. Deux anges retiennent les mains d’un cri qui voudrait tout oublier », Mathilde Rouyau : « Ton corps muet au bord des nuits, c’est candeur – tes cheveux quand ils infusent dans les bassines de lait de la pleine lune, alors la nacre – tes clavicules trop – fines – tes jambes à peine cuites… » Jennifer Grousselas : « chat suicidé ressuscité – J’ai saisi la tige à boire – qui me poussait l’esprit – me suis deux fois entendue lumière – accouchée par la voix du saint « et enfin un homme (et quel homme !) : Jean-Pierre Lesieur : « On n’apprend pas bien dans les livres – quand on ne sait pas lire les lignes de la vie – ni le sgraffitis qui fleurissent un peu là où – on ne les attend pas – naître pauvre ne facilite pas l’insouciance… » Sinon, plein d’autres choses (pensez 356 pages !) : lectures critiques, regards sur l’art, etc. Voyvez le site : www.leshommessansepaules.com
Christian DEGOUTTE (in revue Verso n°190, septembre 2022).
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Lectures :

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Ce beau numéro de la revue fondée par Jean Breton en 1953 est consacré aux Damnées et Damnés de la poésie.Voici quelques extraits de l’éditorial puissant de Christophe Dauphin qui appelle à un Manifeste de l’Emotivisme :
« La création est pour le poète la blessure originelle. Son poème est habité, vécu, y compris dans la dimension onirique : un enjeu d’être total, et pour tout dire, émotiviste, car l’émotion est l’équation du rêve et de la réalité ; qui met le sujet hors de soi. »
« La poésie c’est l’être et non le paraître, un vivre et non un dire. Dans cet enjeu d’être total, ils sont nombreux, ceux qui, connus, inconnus, méconnus, ont laissé jusqu’à leur vie : les grands gisants d’intime défenestration, écrit Roger-Arnould Rivière, qui ajoute : je sais que la détonation contient le même volume sonore – que les battements du cœur qui bâtissent toute une vie. »
« La damnation, la malédiction du poète, c’est aussi ces livres qui se lisent peu ou pas, dont la diffusion est complexe et dont personne ne parle, qu’à titre confidentiel. Au mépris de la société répond souvent, plus cinglant, le mépris ou l’incompréhension de l’entourage. Le mépris, c’est-à-dire, l’indifférence. En somme le poète est un invisible, il n’existe pas. On l’aime mort après une vie malheureuse. »
« Il faut bien dire cette solitude, ce désarroi, ce désespoir, qui entourent le poète. Il n’était pas, il n’est toujours pas facile de vivre dans la peau d’un poète, qui doit exister en face de gens qui nient purement et simplement son existence… »
Pourtant, aucun misérabilisme chez Christophe Dauphin mais une juste lucidité qui s’accompagne de sagesse, d’une science du combat et d’un art de l’être.
« La poésie est l’unique réponse aux mascarades mensongères du monde, l’expression la plus intime et la plus intense de l’être. »
Il ne s’agit pas seulement de résistance à l’oppression mais bien d’un chemin intime de libération, ce qu’illustre le dossier consacré à Edouard J. Maunick, « le poète ensoleillé vif », dont la poésie s’épanouit entre île et exil, la condition même de l’être, exilé dans l’humain, et qui se constitue comme île.
« Pour moi, dit-il, la parole poétique n’est pas du tout différente de la parole physique, c’est-à-dire de ce mécanisme de vie qui commence au ventre, au plexus solaire, traverse la colonne, la trachée et sur lequel, au moment où l’expiration va se produire, l’homme appose une rumeur intelligible. C’est cela la parole. Je n’ai jamais pu corroborer l’expression coup au cœur – pour moi, il s’agit toujours d’un coup au ventre. Le poème étant la parole exigée, toute parole prononcée par l’homme et qui ne ressort pas au quotidien domestique, est poème. Par quotidien domestique, entendons ce que les civilisations nous ont donné comme manières, nous ont créé de verbiages, etc. »
Testament d’un errant (extrait)
… si meurt le poème/
le bluff littéraire
l’aura emporté
sur une autre Passion
sans les trente deniers
mais payées en nègres/
sans Gethsemani
pour dernière prière
mais l’île de Gorée
pour station maudite/
triste embarcadère
d’une ébène de chair
vers l’Outre-Atlantique/
Golgotha de mer
dans le Sanhédrin
ni de Ponce Pilate/
mais docteur-es-Traite/
sans couronnes d’épines
mais chaînes et carcans/brûlures de fouet
pour flagellation.
Reste la mise en exil :
Si meurt le poème/comment conjurer Gorée ? »
Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, juin 2022).
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« Je parle de l’île comme je parle du ventre, parce que c’est à partir du ventre que j’ai été lâché dans la merveille » (Edouard J. Maunick). Trois parties (je simplifie) composent ce numéro 53 de Les Hommes sans Épaules.
Une première partie : Edouard J. Maunick (un dossier « Le Poète ensoleillé vif » de Christophe Dauphin, avec les contributions de Jean Breton - un formidable entretien avec Maunick - et Léopold Sédar Senghor) et les poètes des îles Mascareignes (Océan Indine : Réunion, Maurice, Rodrigues)). Du plus ancien, Evariste Parny : « Le lit de feuilles est préparé ; je l’ai parsemé de fleurs et d’herbes odoriférantes ; il est digne de tes charmes, Nahandove, ô belle Nahandove ! », à la plus récente, Catherine Boudet : « Mon verbe est celui d’un marronnage blanc – Silencieux poussant cru – Contre l’ortie des hontes – Le bétel du raisonnable », en passant par Malcolm de Chazal et Boris Gamaleya : « ibis – ibiscus – le ciel a ramené au peuple ses rivages – ses racines d’éclats – son corail bec d’oiseau – écoutez-moi – et cette mer en son ancienneté ».
La deuxième partie « Pour les Damnés » (par Christophe Dauphin) dresse une géographie de l’enfer ordinaire sur terre et convoque des poètes mis à la torture par la misère, la maladie, la mort, le sexisme, la guerre, etc. « Ah ! je t’ai bien connue, Misère, j’étais de ceux que tu encenses… » (Ilarie Voronca), « je suis toujours l’individu perdu dans sa propre foule » (André de Richaud), « Une fille et un garçon – la mère préfère – le garçon à la fille – car le garçon épaulera la mère – quand viendront les mauvais jours – et la fille enfantera un autre garçon – qui l’épaulera à son tour » (Ashraf Fayad, emprisonné et condamné à mort pour blasphème en Arabie Saoudite), Laurent Thinès, Joseph Ponthus, Marie Murski, Taslima Nasreen et Claude de Burine : « …ils ont l’air, eux, de tout savoir – parce qu’ils dansent – Les notaires – Les dentistes – Les plombiers – Les chirurgiens-dentistes de fesses – Nous, nous sommes les enfants du malheur ».
La troisième partie, c’est l’anthologique, avec Edith Brick revenue des camps de la mort : « c’est difficile d’être un survivant », Nathalie Swan (l’amour, rien que l’amour) : « Tes coups de reins scrutent mon visage… J’y dévalerai ton éboulis. Quand tu creuses ma faille, la lumière s’avance en aveugle. Deux anges retiennent les mains d’un cri qui voudrait tout oublier », Mathilde Rouyau : « Ton corps muet au bord des nuits, c’est candeur – tes cheveux quand ils infusent dans les bassines de lait de la pleine lune, alors la nacre – tes clavicules trop – fines – tes jambes à peine cuites… » Jennifer Grousselas : « chat suicidé ressuscité – J’ai saisi la tige à boire – qui me poussait l’esprit – me suis deux fois entendue lumière – accouchée par la voix du saint « et enfin un homme (et quel homme !) : Jean-Pierre Lesieur : « On n’apprend pas bien dans les livres – quand on ne sait pas lire les lignes de la vie – ni le sgraffitis qui fleurissent un peu là où – on ne les attend pas – naître pauvre ne facilite pas l’insouciance… » Sinon, plein d’autres choses (pensez 356 pages !) : lectures critiques, regards sur l’art, etc. Voyvez le site : www.leshommessansepaules.com
Christian DEGOUTTE (in revue Verso n°190, septembre 2022).
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A propos du numéro
"La revue Les HSE est pleine comme un œuf. Son sommaire court et sur la première et sur la quatrième de couverture. Avant l’éditorial, signé Yves Bonnefoy, - excusez du peu -, avec son discours (inédit) de Guadalajara où il parle superbement de la poésie, des langues entre elles, et en l’occurrence de l’espagnol et de ses affinités avec les poètes mexicains, un communiqué pour prendre date à propos de Charlie et du massacre de ces héros pour la liberté.
D’abord Lucien Becker, grand poète de l’amour charnel, comme l’évoque Christophe Dauphin. Né et mort en Lorraine (1911-1984). Commissaire de police à Marseille, je note qu’il a pris sa retraite à Lalande dans l’Yonne (entre 1968 et 83). La main de l’homme n’est vraiment vivante / que quand elle s’enfonce entre deux cuisses / pour y chercher un sexe / qui se laisse découvrir comme un fruit dans l’herbe. Puis Claude Vigée, poète alsacien, né en 1921, haute figure de la poésie française : Mais demain je devrai lutter sans défaillir / contre les mites voraces, aux fines ailes soyeuses, / qui mangent nuit et jour, tout au fond de l’armoire, / la douce laine de la mémoire.
Derek Walcott, poète antillais de langue anglaise, Prix Nobel de littérature 1992 : dans le jour du seuil : point de Niké dénouant sa sandale, / mais une fille frottant le sable de ses pieds, une main sur le chambranle. Annie Salager, Prix Mallarmé 2011 : dans un chêne multicentenaire / des cigales à ressasser sans discrétion / la seigneurie du soleil… Jean-Louis Bernard, Alain Brissiaud, Denis Wetterwald...
Le gros dossier, c’est Alain Borne, centenaire de la naissance du « grand solitaire ». Né en 1915, mort dans un accident de voiture en 1962. Il fut avocat à Montélimar. Ce fut un grand poète de la Résistance qui refusa la vie littéraire parisienne, et un grand poète de l’amour. Christophe Dauphin, qui présente le poète, associe son nom à ceux d’Aragon, Pierre Seghers, Pierre Emmanuel dans le premier cas et ceux de Paul Eluard, Marc Patin et Lucien Becker dans le second. Henri Rode qui fut son ami pendant l’Occupation le décrit ainsi : avec la mélancolie un peu hautaine qu’il dégageait … la présence séduisante, la réserve un peu sombre … Impénétrabilité bourgeoise … chevalerie provinciale… grand archange triste et conclut par : l’énigme Borne. Le choix de textes qui suit met bien en avant le poète de l’amour : Je vais t’aimer / je vais ne plus rien vouloir / dans mes yeux que ton visage … Mais mon désir de toi / est une nébuleuse / où je trie déjà des étoiles neuves… Il faut bien que je tombe / adorer tes genoux / et toucher la tiédeur scandaleuse / de ce nid de soleils. Mais il achève un autre poème par cette clausule : C’est contre la mort que j’écris. Ses poèmes à la fin sur la tauromachie renouvellent joliment sa thématique.
Pour suivre Yusef Komunyakaa, poète né en 1947 en Louisiane. Il a pris le nom de son grand-père, venu de Trinidad. Il a connu la discrimination raciale, la lutte avec Martin Luther King, la guerre du Viet Nam où les Noirs enrôlés furent majoritaires. « La langue est devenue une addiction ». Il obtient en 1980 une maîtrise d’Écriture poétique, et devient un universitaire réputé. « La poésie me permet de comprendre qui je suis … j’ai besoin d’embrasser le mystère afin d’être tout à fait humain ». Extrait de "Tunnels" : A travers des poux / argentés, de la merde, des vers & un relent de peste, / il avance, le bon soldat, / sur les mains & les genoux, perçant un tunnel à côté / de la mort plaquée dans un coin aveugle, / amoureux du poids du fusil / qui un jour creusera sa tombe. Jean Pérol, enfin. Né en 1932. Vingt ans au Japon. « L’art est un immense combat contre la bêtise » ; Il donne des inédits, avec le titre à la fin. J’ai décidé de ne plus revenir sur mes pas / j’ai décidé de suivre le premier chemin qui s’ouvrira devant moi / il me mènera à ma mort comme il veut / il faut s’attendre à être seul…
Une forte livraison de 300 pages. Et encore je n’ai pas été tout à fait exhaustif ! J’ai omis l’étude de Monique W. Labidoire sur André Prodhomme, le fort cahier critique ou les incises de Joyce Mansour... Toujours une sacrée performance !"
Jacques MORIN (cf. "La revue du mois" in dechargelarevue.com, 2 avril 2015).
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« La revue dirigée par Christophe Dauphin débute ce numéro par un Communiqué de la revue sur le drame de Charlie Hebdo. Intitulé A Charlie et aux autres, l’équipe des HSE ne tombe pas dans le piège multimédiatique et politique du consensus de circonstance autour de Charlie. Plutôt que d’être de nouveau Charlie trop tard, la revue appelle à défendre la liberté et les libertés d’instant en instant sans faire la moindre concession aux lobbies et aux diplomaties, souterraines ou non. En guise d’éditorial, le lecteur trouvera le discours d’Yves Bonnefoy prononcé à Guadalajara en 2013 à l’occasion de la remise du Premio Fil 2013 de littérature en langues romanes. Ce texte inédit insiste sur la poésie de la langue, notamment espagnole et de la puissance du mot comme évocation de l’expérience sensorielle. Tout comme Georges Steiner, il pense que Babel est une chance, que la multiplicité des langues est une richesse infinie malgré la difficulté immense de la traduction. Deux poètes sont largement présentés, Lucien Becker et Claude Vigée, un poète de la blessure et un poète de l’exil. Pour Lucien Becker, un poète « est simplement un être qui a le sens aigu de tout ce qu’une existence humaine peut comporter de poignant, de tragique, de résolument invivable ». Pour ces deux poètes, le poème apparaît comme une réponse à la blessure, à l’exil, à la mort. Claude Vigée distingue avec beaucoup de pertinence les fonctions, du cœur, de l’œil et de la parole : « la parole véritable surgit dans la langue à travers l’acte de l’œil et l’acte du cœur. Parce que l’œil capte le monde, non seulement reçoit le monde en nous mais nous permet également de nous donner au monde, de nous abandonner puis de nous recevoir de nouveau. Et c’est ensuite, plus tard seulement, que cette parole de vie, ce jaillissement, – à double mouvement vers le monde et à partir du monde, dans nos profondeurs, que la parole parlée, comme la nature naturée chez Spinoza, doit être proférée. » Le dossier de numéro 39 est consacré à Alain Borne : « c’est contre la mort que j’écris ! ». Alain Borne (1915 -1962) se présente comme un poète de l’amour, thème essentiel de son œuvre avec la mort, œuvre dans laquelle la femme, « à la fois vitre et miroir face au monde » suggère Christophe Dauphin, est médiatrice mais aussi initiatrice. Autre poète à découvrir dans ce numéro, Yusef Komunyakaa, de son vrai nom James William Brown junior, poète new-yorkais qui est né en 1947 à Bogalusa, ville étatsunienne ordinaire de l’époque, c’est-à-dire structurée par le racisme, les discriminations et les haines. Marqué par cette enfance puis par la guerre du Vietnam, Yusef Komunyakaa va devenir l’un des poètes les plus remarquables des Etats-Unis. Bien que Les HSE publient depuis 1992 des poèmes de Yusef Komunyakaa, son œuvre, essentielle, n’est toujours pas traduite en français. »
Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, 15 avril 2015).
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"Les Hommes sans Epaules, c'est une des revues majeures de notre temps, par son volume, mais aussi par la qualité de ses intervenants. Pensez donc un dossier Alain Borne, poèmes choisis et présentés par Christophe Dauphin, textes de Guy Chambelland et Henri Rode. On retrouve aussi Jean Chatard. On est séduit par ses mots, ses vers, sa musique unique et jusqu'à des aphorismes fulgurants. Jean Chatard, pour moi un des grands poètes de notre époque, on le découvrira."
Jean-Pierre LESIEUR (in Comme en poésie n°62, juin 2015).
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" Quelle revue, autre que celle-ci, pourrait se flatter d’ouvrir ses pages sur un éditorial d’Yves Bonnefoy ? Il s’agit ici d’un texte inédit qui reprend un éblouissant discours prononcé à Guadalajara au Mexique lors de la remise d’un Prix de poésie en 2013. Ce texte, d’une très haute tenue, parle entre autres choses des filiations langagières et du rôle capital que va jouer la poésie dans un monde de plus en plus déshumanisé. Le sommaire de ce N°39 se hisse à la hauteur de cette magistrale impulsion avec d’importants dossiers consacrés à de grands poètes disparus comme Lucien Beckersur une vingtaine de pages ou Alain Borne sur une centaine de pages. Il est encourageant de voir que les jeunes générations entretiennent la flamme de ces poètes disparus dont l’écriture est d’une troublante actualité. Que dire encore de cette livraison si ce n’est que c’est une mine d’une richesse prodigieuse et qu’il impossible de citer tous les dossiers composés et tous les poètes présentés. Les Hommes sans épaules ouvrent des espaces de lecture, créent des ponts entre les générations et donnent à lire des poètes du monde entier comme le Prix Nobel 1992 Derek Walcott et d’autres, hexagonaux, comme les discrets Jean Pérol, André Prodhomme ou Annie Salager. Sur plus de 300 pages, Christophe Dauphin et son équipe surprennent avec bonheur les lecteurs en proposant toujours des lectures enrichissantes. "
Georges CATHALO (cf. "Lectures flash" in revue-texture.fr, juin 2015).
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" C'est contre la mort que j'écris" : Alain Borne est né en 1915. Pour le centenaire de sa naissance, la revue ouvre un gros dossier : la préface de Terre de l'été par Guy Chambelland (1978), suivie d'une longue étude de l'oeuvre de Borne, le "grand solitaire", par Christophe Dauphin, de textes d'Henri Rode sur le "long poète à la tête penchée et, bien sûr, un conséquent choix de poèmes. Puis sous le titre "les porteurs de feu", hommage est rendu à Lucien Becker (il disait : un poète " est simplement un être qui a le sens aigu de tout ce qu'une existence humaine peut comporter de poignant, de tragique, de résolument invivable"), et à Claude Vigée (... tout homme "doit rester avant tout l'amant de sa propre vie et non pas l'amant d'une langue.") ; avec des textes. Et les "Wah" alors ? Sont convoqués dans ce numéro : D. Walcott, A. Salager, A. Brissiaud, J.-L. Bernard et D. Wetterwald et leurs poèmes. des poètes encore ? La rubrique s'intitule "une voix, une oeuvre"; le poète "à New York" est Yusef Komunyakaa, dont Christophe Dauphin dresse le portrait. puis des poèmes inédits de Jean Pérol. C'est "dans les cheveux d'Aoûn" que nous retrouvons André Prodhomme, " passeur d'humanité" grâce à Monique W. Labidoire et uen présentation des peintures de C. Klein par A. Gausset. Et, en dessert, les "pages libres" de H. Rode, G. Chambelland, Ch. Dauphin, P. Farellier et A. Breton. Pour clore, quelques recensions et des infos. En résumé, un remarquable bain de poésie."
Alain LACOUCHIE (in Friches n°118, juin 2015).
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« Impossible de déterminer si un poète publié ou célébré par une revue doit figurer dans le présent capitulet ou dans els recensions des recueils. Car Alain Borne figure avec un vrai livre de presque cent pages, articles de critique, hommages et poèmes originaux. Les auteurs sont Christophe dauphin bien entendu et Henri Rode, mais Guy Chambelland participe lui aussi à « C’est contre la mort que j’écris ! », choix de poèmes de celui qui aurait été centenaire cette année. A noter que Dauphin récidive en présentant l’Américain Yusef Komunyakaa. Le tout à l’occasion peut-être, puisque le titre semble faire référence au tragique de la mort, du communiqué de la rédaction des HSE intitulé « A Charlie et aux autres » et à tous les drames affreux de notre époque entièrement déboussolée où nos jeunes risquent d’avoir des avenirs épouvantables avant que l’humanité se ressaisisse et redevienne humaine. »
Paul VAN MELLE (in Inédit Nouveau n°275, juillet 2015, La Hulpe, Belgique).
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"Comme d'habitude, c'est une copieuse livraison que ce n° 39 : 302 pages très précisément. Elle est dédiée (actualité oblige car elle est datée du premier semestre 2015) aux journalistes de Charlie hebdo assassinés en janvier de la même année et aux autres victimes…
Elle s'ouvre sur la publication du discours d'Yves Bonnefoy lors de la remise du prix que lui a décerné la Foire Internationale du Livre de Guadalajara au Mexique (en 2013). L'idée maîtresse de ce discours est la relation dialectique entre la langue conceptuelle (en usage dans les techniques et les sciences, même sociales) et la langue sensible (en usage dans la littérature et, plus particulièrement, dans la poésie)… Ainsi, nous dit Bonnefoy, le mot arbre ne renvoie pas seulement à la figure proposée par le dictionnaire mais aussi à un arbre unique, avec ses branches, ses feuilles et qui a pris racine en un endroit précis d'un territoire particulier…
Puis suit un dossier consacré à deux poètes, Lucien Becker et Claude Vigée. À chaque fois, une présentation (par Christophe Dauphin pour le premier, par Paul Farellier pour le second) suivie de poèmes. Les poèmes choisis de Lucien Becker (extraits de recueils parus de 1945 à 1961) laissent paraître une poésie très sage quant à la forme (utilisation d'un vers libre très proche de l'alexandrin mais qui y succombe à l'occasion, regroupements fréquents des vers en quatrains, poèmes de quatre, et très rarement de cinq ou six, strophes…). Mais le poème chante un monde campagnard voire agricole aujourd'hui disparu… Puis, il se fait l'expression d'une pensée où l'amour charnel de la femme est très présent. Mais une voix comme fêlée se fait entendre : "l'homme meurt en cherchant un peu d'air", "la liberté est encore plus belle que l'amour" quand l'homme ne va pas vers la mort qui est inéluctable. De Claude Vigée (qui est excellemment présenté par Paul Farellier), je ne dirai pas grand-chose car je suis totalement étranger à la culture biblique ou hébraïque. Ont cependant retenu mon attention : son poème "Le chant de ma vingtième année" (mais qui appartient à la préhistoire du poète), la nostalgie si fréquente dans ses poèmes, cette peinture de "l'exil" et cette affirmation implicite que la langue sensible est préférable à l'autonomie du signifiant… Mais un vers me hante particulièrement, sans doute pour des raisons différentes de celles qui l'ont poussé à l'écrire : "un matin fleurira pour les humiliés de la terre"...
Le dossier central est consacré à Alain Borne. N'en déplaise à certains, j'ai découvert ce poète par Aragon qui écrivit en août-septembre 1941 son poème "Pour un Chant national" que je ne lus que beaucoup plus tard, vers 1964 sans doute, en étudiant LesYeux d'Elsa paru en 1942… Christophe Dauphin signe un essai d'une bonne trentaine de pages. Il s'y fait le thuriféraire de Benjamin Péret, se réfugie sous l'aile tutélaire de Jean Rousselot pour mieux attaquer Aragon. Ce qui ne l'empêche pas, quelques paragraphes plus loin, de citer Alain Borne qui reconnaît à La Rose et le Réséda (d'Aragon) et à Liberté (de Paul Éluard) d'avoir eu une efficacité certaine sur la conscience populaire. C'est que la Poésie n'existe pas, mais qu'il existe différents types de poésie : le véritable clivage est entre la mauvaise poésie et la bonne, non entre l'alexandrin et le vers libre, non entre la prose et le vers, non entre la poésie pure et la poésie didactique, etc ! Aragon, lui-même, ne s'écriait-il pas en 1959 "Je ne me laisse pas cantonner à une forme, puisque en aucun cas, je ne considère la forme comme une fin, mais comme un moyen, et que ce qui m'importe c'est de donner portée à ce que je dis, en tenant compte des variations qui interviennent dans les facultés de ceux à qui je m'adresse…" Non que je veuille absolument défendre la Poésie nationale et ses suiveurs… Reste, nous dit Dauphin, que Borne est un poète majeur de l'amour ; citant ce dernier, il ajoute : "L'amour, la vie, la mort. Rien en dehors de cela…" Le témoignage d'Henri Rode qui suit est composé de deux textes, l'un de 1972, le second de 1995. Ce qu'il faut retenir de cette double approche , c'est le portrait d'Alain Borne en El Desdichado… C'est un portrait plein de sensibilité, éclairant, attachant, voire fascinant. Il faut remercier Les Hommes sans épaules d'avoir exhumé ces deux textes… Vient ensuite un choix de poèmes d'une quarantaine de pages qui permet de mieux connaître Alain Borne…
Deux autres dossiers (présentation et poèmes) sont consacrés à Yusef Komanyakaa et à Jean Pérol. Le premier est un poète new-yorkais né en 1947 qui a connu le racisme propre aux USA et été engagé dans la guerre du Viet-Nam Ses poèmes en portent la marque. On peut lire dans la présentation, en contrepoint du témoignage qu'il apporte sur la guerre du Viet-Nam, quelques mots sur la rareté ici des poèmes parlant de la guerre d'Algérie : c'est oublier, qu'en 1960, Action Poétique faisait paraitre son n° 12 (qui fut saisi mais réédité en janvier 1962) regroupant plus de 40 poètes autour de la guerre d'Algérie, dont Frank Venaille et Guy Bellay ; c'est oublier Gérard Cléry et quelques autres. On ne présente plus Jean Pérol mais on apprend qu'à la demande d'Aragon il réalisa, pendant la vingtaine d'années qu'il passa au Japon, une série d'entretiens avec les plus grands écrivains de ce pays... Ses poèmes, marqués par l'urgence et l'indignation, ne convainquent pas totalement car l'histoire ne comble jamais les creux, elle ne fait que les accentuer : c'est le pouvoir de la poésie de changer le monde pour de bon qui est posé… Mais me touche Pérol quand il dit la proximité de la mort comme dans "Où demain ne vient plus", la solitude et le mauvais côté de l'humanité comme dans "Laissé". Pour dire vite, très vite… Le reste de la livraison est occupée par diverses présentations, par des notes de lecture très variées et par des poèmes…
Si Les Hommes sans épaules font une très large place à leurs proches (mais pas exclusivement), c'est que la revue est l'organe d'expression d'une certaine conception de la poésie. Il faut le savoir pour ne pas être déçu de ne pas y trouver ce qui était attendu. Mais n'en est-il pas de même pour toutes les revues de poésie ? Aussi faut-il lire Les Hommes sans épaules dès lors que l'on veut avoir une vision complète (ou la plus complète possible) de la poésie qui s'écrit ici et aujourd'hui…"
Lucien WASSELIN (cf. "Revue des revues" in recoursaupoeme.fr, février 2016).
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A propos du numéro
"La revue Les HSE est pleine comme un œuf. Son sommaire court et sur la première et sur la quatrième de couverture. Avant l’éditorial, signé Yves Bonnefoy, - excusez du peu -, avec son discours (inédit) de Guadalajara où il parle superbement de la poésie, des langues entre elles, et en l’occurrence de l’espagnol et de ses affinités avec les poètes mexicains, un communiqué pour prendre date à propos de Charlie et du massacre de ces héros pour la liberté.
D’abord Lucien Becker, grand poète de l’amour charnel, comme l’évoque Christophe Dauphin. Né et mort en Lorraine (1911-1984). Commissaire de police à Marseille, je note qu’il a pris sa retraite à Lalande dans l’Yonne (entre 1968 et 83). La main de l’homme n’est vraiment vivante / que quand elle s’enfonce entre deux cuisses / pour y chercher un sexe / qui se laisse découvrir comme un fruit dans l’herbe. Puis Claude Vigée, poète alsacien, né en 1921, haute figure de la poésie française : Mais demain je devrai lutter sans défaillir / contre les mites voraces, aux fines ailes soyeuses, / qui mangent nuit et jour, tout au fond de l’armoire, / la douce laine de la mémoire.
Derek Walcott, poète antillais de langue anglaise, Prix Nobel de littérature 1992 : dans le jour du seuil : point de Niké dénouant sa sandale, / mais une fille frottant le sable de ses pieds, une main sur le chambranle. Annie Salager, Prix Mallarmé 2011 : dans un chêne multicentenaire / des cigales à ressasser sans discrétion / la seigneurie du soleil… Jean-Louis Bernard, Alain Brissiaud, Denis Wetterwald...
Le gros dossier, c’est Alain Borne, centenaire de la naissance du « grand solitaire ». Né en 1915, mort dans un accident de voiture en 1962. Il fut avocat à Montélimar. Ce fut un grand poète de la Résistance qui refusa la vie littéraire parisienne, et un grand poète de l’amour. Christophe Dauphin, qui présente le poète, associe son nom à ceux d’Aragon, Pierre Seghers, Pierre Emmanuel dans le premier cas et ceux de Paul Eluard, Marc Patin et Lucien Becker dans le second. Henri Rode qui fut son ami pendant l’Occupation le décrit ainsi : avec la mélancolie un peu hautaine qu’il dégageait … la présence séduisante, la réserve un peu sombre … Impénétrabilité bourgeoise … chevalerie provinciale… grand archange triste et conclut par : l’énigme Borne. Le choix de textes qui suit met bien en avant le poète de l’amour : Je vais t’aimer / je vais ne plus rien vouloir / dans mes yeux que ton visage … Mais mon désir de toi / est une nébuleuse / où je trie déjà des étoiles neuves… Il faut bien que je tombe / adorer tes genoux / et toucher la tiédeur scandaleuse / de ce nid de soleils. Mais il achève un autre poème par cette clausule : C’est contre la mort que j’écris. Ses poèmes à la fin sur la tauromachie renouvellent joliment sa thématique.
Pour suivre Yusef Komunyakaa, poète né en 1947 en Louisiane. Il a pris le nom de son grand-père, venu de Trinidad. Il a connu la discrimination raciale, la lutte avec Martin Luther King, la guerre du Viet Nam où les Noirs enrôlés furent majoritaires. « La langue est devenue une addiction ». Il obtient en 1980 une maîtrise d’Écriture poétique, et devient un universitaire réputé. « La poésie me permet de comprendre qui je suis … j’ai besoin d’embrasser le mystère afin d’être tout à fait humain ». Extrait de "Tunnels" : A travers des poux / argentés, de la merde, des vers & un relent de peste, / il avance, le bon soldat, / sur les mains & les genoux, perçant un tunnel à côté / de la mort plaquée dans un coin aveugle, / amoureux du poids du fusil / qui un jour creusera sa tombe. Jean Pérol, enfin. Né en 1932. Vingt ans au Japon. « L’art est un immense combat contre la bêtise » ; Il donne des inédits, avec le titre à la fin. J’ai décidé de ne plus revenir sur mes pas / j’ai décidé de suivre le premier chemin qui s’ouvrira devant moi / il me mènera à ma mort comme il veut / il faut s’attendre à être seul…
Une forte livraison de 300 pages. Et encore je n’ai pas été tout à fait exhaustif ! J’ai omis l’étude de Monique W. Labidoire sur André Prodhomme, le fort cahier critique ou les incises de Joyce Mansour... Toujours une sacrée performance !"
Jacques MORIN (cf. "La revue du mois" in dechargelarevue.com, 2 avril 2015).
*
« La revue dirigée par Christophe Dauphin débute ce numéro par un Communiqué de la revue sur le drame de Charlie Hebdo. Intitulé A Charlie et aux autres, l’équipe des HSE ne tombe pas dans le piège multimédiatique et politique du consensus de circonstance autour de Charlie. Plutôt que d’être de nouveau Charlie trop tard, la revue appelle à défendre la liberté et les libertés d’instant en instant sans faire la moindre concession aux lobbies et aux diplomaties, souterraines ou non. En guise d’éditorial, le lecteur trouvera le discours d’Yves Bonnefoy prononcé à Guadalajara en 2013 à l’occasion de la remise du Premio Fil 2013 de littérature en langues romanes. Ce texte inédit insiste sur la poésie de la langue, notamment espagnole et de la puissance du mot comme évocation de l’expérience sensorielle. Tout comme Georges Steiner, il pense que Babel est une chance, que la multiplicité des langues est une richesse infinie malgré la difficulté immense de la traduction. Deux poètes sont largement présentés, Lucien Becker et Claude Vigée, un poète de la blessure et un poète de l’exil. Pour Lucien Becker, un poète « est simplement un être qui a le sens aigu de tout ce qu’une existence humaine peut comporter de poignant, de tragique, de résolument invivable ». Pour ces deux poètes, le poème apparaît comme une réponse à la blessure, à l’exil, à la mort. Claude Vigée distingue avec beaucoup de pertinence les fonctions, du cœur, de l’œil et de la parole : « la parole véritable surgit dans la langue à travers l’acte de l’œil et l’acte du cœur. Parce que l’œil capte le monde, non seulement reçoit le monde en nous mais nous permet également de nous donner au monde, de nous abandonner puis de nous recevoir de nouveau. Et c’est ensuite, plus tard seulement, que cette parole de vie, ce jaillissement, – à double mouvement vers le monde et à partir du monde, dans nos profondeurs, que la parole parlée, comme la nature naturée chez Spinoza, doit être proférée. » Le dossier de numéro 39 est consacré à Alain Borne : « c’est contre la mort que j’écris ! ». Alain Borne (1915 -1962) se présente comme un poète de l’amour, thème essentiel de son œuvre avec la mort, œuvre dans laquelle la femme, « à la fois vitre et miroir face au monde » suggère Christophe Dauphin, est médiatrice mais aussi initiatrice. Autre poète à découvrir dans ce numéro, Yusef Komunyakaa, de son vrai nom James William Brown junior, poète new-yorkais qui est né en 1947 à Bogalusa, ville étatsunienne ordinaire de l’époque, c’est-à-dire structurée par le racisme, les discriminations et les haines. Marqué par cette enfance puis par la guerre du Vietnam, Yusef Komunyakaa va devenir l’un des poètes les plus remarquables des Etats-Unis. Bien que Les HSE publient depuis 1992 des poèmes de Yusef Komunyakaa, son œuvre, essentielle, n’est toujours pas traduite en français. »
Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, 15 avril 2015).
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"Les Hommes sans Epaules, c'est une des revues majeures de notre temps, par son volume, mais aussi par la qualité de ses intervenants. Pensez donc un dossier Alain Borne, poèmes choisis et présentés par Christophe Dauphin, textes de Guy Chambelland et Henri Rode. On retrouve aussi Jean Chatard. On est séduit par ses mots, ses vers, sa musique unique et jusqu'à des aphorismes fulgurants. Jean Chatard, pour moi un des grands poètes de notre époque, on le découvrira."
Jean-Pierre LESIEUR (in Comme en poésie n°62, juin 2015).
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" Quelle revue, autre que celle-ci, pourrait se flatter d’ouvrir ses pages sur un éditorial d’Yves Bonnefoy ? Il s’agit ici d’un texte inédit qui reprend un éblouissant discours prononcé à Guadalajara au Mexique lors de la remise d’un Prix de poésie en 2013. Ce texte, d’une très haute tenue, parle entre autres choses des filiations langagières et du rôle capital que va jouer la poésie dans un monde de plus en plus déshumanisé. Le sommaire de ce N°39 se hisse à la hauteur de cette magistrale impulsion avec d’importants dossiers consacrés à de grands poètes disparus comme Lucien Beckersur une vingtaine de pages ou Alain Borne sur une centaine de pages. Il est encourageant de voir que les jeunes générations entretiennent la flamme de ces poètes disparus dont l’écriture est d’une troublante actualité. Que dire encore de cette livraison si ce n’est que c’est une mine d’une richesse prodigieuse et qu’il impossible de citer tous les dossiers composés et tous les poètes présentés. Les Hommes sans épaules ouvrent des espaces de lecture, créent des ponts entre les générations et donnent à lire des poètes du monde entier comme le Prix Nobel 1992 Derek Walcott et d’autres, hexagonaux, comme les discrets Jean Pérol, André Prodhomme ou Annie Salager. Sur plus de 300 pages, Christophe Dauphin et son équipe surprennent avec bonheur les lecteurs en proposant toujours des lectures enrichissantes. "
Georges CATHALO (cf. "Lectures flash" in revue-texture.fr, juin 2015).
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" C'est contre la mort que j'écris" : Alain Borne est né en 1915. Pour le centenaire de sa naissance, la revue ouvre un gros dossier : la préface de Terre de l'été par Guy Chambelland (1978), suivie d'une longue étude de l'oeuvre de Borne, le "grand solitaire", par Christophe Dauphin, de textes d'Henri Rode sur le "long poète à la tête penchée et, bien sûr, un conséquent choix de poèmes. Puis sous le titre "les porteurs de feu", hommage est rendu à Lucien Becker (il disait : un poète " est simplement un être qui a le sens aigu de tout ce qu'une existence humaine peut comporter de poignant, de tragique, de résolument invivable"), et à Claude Vigée (... tout homme "doit rester avant tout l'amant de sa propre vie et non pas l'amant d'une langue.") ; avec des textes. Et les "Wah" alors ? Sont convoqués dans ce numéro : D. Walcott, A. Salager, A. Brissiaud, J.-L. Bernard et D. Wetterwald et leurs poèmes. des poètes encore ? La rubrique s'intitule "une voix, une oeuvre"; le poète "à New York" est Yusef Komunyakaa, dont Christophe Dauphin dresse le portrait. puis des poèmes inédits de Jean Pérol. C'est "dans les cheveux d'Aoûn" que nous retrouvons André Prodhomme, " passeur d'humanité" grâce à Monique W. Labidoire et uen présentation des peintures de C. Klein par A. Gausset. Et, en dessert, les "pages libres" de H. Rode, G. Chambelland, Ch. Dauphin, P. Farellier et A. Breton. Pour clore, quelques recensions et des infos. En résumé, un remarquable bain de poésie."
Alain LACOUCHIE (in Friches n°118, juin 2015).
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« Impossible de déterminer si un poète publié ou célébré par une revue doit figurer dans le présent capitulet ou dans els recensions des recueils. Car Alain Borne figure avec un vrai livre de presque cent pages, articles de critique, hommages et poèmes originaux. Les auteurs sont Christophe dauphin bien entendu et Henri Rode, mais Guy Chambelland participe lui aussi à « C’est contre la mort que j’écris ! », choix de poèmes de celui qui aurait été centenaire cette année. A noter que Dauphin récidive en présentant l’Américain Yusef Komunyakaa. Le tout à l’occasion peut-être, puisque le titre semble faire référence au tragique de la mort, du communiqué de la rédaction des HSE intitulé « A Charlie et aux autres » et à tous les drames affreux de notre époque entièrement déboussolée où nos jeunes risquent d’avoir des avenirs épouvantables avant que l’humanité se ressaisisse et redevienne humaine. »
Paul VAN MELLE (in Inédit Nouveau n°275, juillet 2015, La Hulpe, Belgique).
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"Comme d'habitude, c'est une copieuse livraison que ce n° 39 : 302 pages très précisément. Elle est dédiée (actualité oblige car elle est datée du premier semestre 2015) aux journalistes de Charlie hebdo assassinés en janvier de la même année et aux autres victimes…
Elle s'ouvre sur la publication du discours d'Yves Bonnefoy lors de la remise du prix que lui a décerné la Foire Internationale du Livre de Guadalajara au Mexique (en 2013). L'idée maîtresse de ce discours est la relation dialectique entre la langue conceptuelle (en usage dans les techniques et les sciences, même sociales) et la langue sensible (en usage dans la littérature et, plus particulièrement, dans la poésie)… Ainsi, nous dit Bonnefoy, le mot arbre ne renvoie pas seulement à la figure proposée par le dictionnaire mais aussi à un arbre unique, avec ses branches, ses feuilles et qui a pris racine en un endroit précis d'un territoire particulier…
Puis suit un dossier consacré à deux poètes, Lucien Becker et Claude Vigée. À chaque fois, une présentation (par Christophe Dauphin pour le premier, par Paul Farellier pour le second) suivie de poèmes. Les poèmes choisis de Lucien Becker (extraits de recueils parus de 1945 à 1961) laissent paraître une poésie très sage quant à la forme (utilisation d'un vers libre très proche de l'alexandrin mais qui y succombe à l'occasion, regroupements fréquents des vers en quatrains, poèmes de quatre, et très rarement de cinq ou six, strophes…). Mais le poème chante un monde campagnard voire agricole aujourd'hui disparu… Puis, il se fait l'expression d'une pensée où l'amour charnel de la femme est très présent. Mais une voix comme fêlée se fait entendre : "l'homme meurt en cherchant un peu d'air", "la liberté est encore plus belle que l'amour" quand l'homme ne va pas vers la mort qui est inéluctable. De Claude Vigée (qui est excellemment présenté par Paul Farellier), je ne dirai pas grand-chose car je suis totalement étranger à la culture biblique ou hébraïque. Ont cependant retenu mon attention : son poème "Le chant de ma vingtième année" (mais qui appartient à la préhistoire du poète), la nostalgie si fréquente dans ses poèmes, cette peinture de "l'exil" et cette affirmation implicite que la langue sensible est préférable à l'autonomie du signifiant… Mais un vers me hante particulièrement, sans doute pour des raisons différentes de celles qui l'ont poussé à l'écrire : "un matin fleurira pour les humiliés de la terre"...
Le dossier central est consacré à Alain Borne. N'en déplaise à certains, j'ai découvert ce poète par Aragon qui écrivit en août-septembre 1941 son poème "Pour un Chant national" que je ne lus que beaucoup plus tard, vers 1964 sans doute, en étudiant LesYeux d'Elsa paru en 1942… Christophe Dauphin signe un essai d'une bonne trentaine de pages. Il s'y fait le thuriféraire de Benjamin Péret, se réfugie sous l'aile tutélaire de Jean Rousselot pour mieux attaquer Aragon. Ce qui ne l'empêche pas, quelques paragraphes plus loin, de citer Alain Borne qui reconnaît à La Rose et le Réséda (d'Aragon) et à Liberté (de Paul Éluard) d'avoir eu une efficacité certaine sur la conscience populaire. C'est que la Poésie n'existe pas, mais qu'il existe différents types de poésie : le véritable clivage est entre la mauvaise poésie et la bonne, non entre l'alexandrin et le vers libre, non entre la prose et le vers, non entre la poésie pure et la poésie didactique, etc ! Aragon, lui-même, ne s'écriait-il pas en 1959 "Je ne me laisse pas cantonner à une forme, puisque en aucun cas, je ne considère la forme comme une fin, mais comme un moyen, et que ce qui m'importe c'est de donner portée à ce que je dis, en tenant compte des variations qui interviennent dans les facultés de ceux à qui je m'adresse…" Non que je veuille absolument défendre la Poésie nationale et ses suiveurs… Reste, nous dit Dauphin, que Borne est un poète majeur de l'amour ; citant ce dernier, il ajoute : "L'amour, la vie, la mort. Rien en dehors de cela…" Le témoignage d'Henri Rode qui suit est composé de deux textes, l'un de 1972, le second de 1995. Ce qu'il faut retenir de cette double approche , c'est le portrait d'Alain Borne en El Desdichado… C'est un portrait plein de sensibilité, éclairant, attachant, voire fascinant. Il faut remercier Les Hommes sans épaules d'avoir exhumé ces deux textes… Vient ensuite un choix de poèmes d'une quarantaine de pages qui permet de mieux connaître Alain Borne…
Deux autres dossiers (présentation et poèmes) sont consacrés à Yusef Komanyakaa et à Jean Pérol. Le premier est un poète new-yorkais né en 1947 qui a connu le racisme propre aux USA et été engagé dans la guerre du Viet-Nam Ses poèmes en portent la marque. On peut lire dans la présentation, en contrepoint du témoignage qu'il apporte sur la guerre du Viet-Nam, quelques mots sur la rareté ici des poèmes parlant de la guerre d'Algérie : c'est oublier, qu'en 1960, Action Poétique faisait paraitre son n° 12 (qui fut saisi mais réédité en janvier 1962) regroupant plus de 40 poètes autour de la guerre d'Algérie, dont Frank Venaille et Guy Bellay ; c'est oublier Gérard Cléry et quelques autres. On ne présente plus Jean Pérol mais on apprend qu'à la demande d'Aragon il réalisa, pendant la vingtaine d'années qu'il passa au Japon, une série d'entretiens avec les plus grands écrivains de ce pays... Ses poèmes, marqués par l'urgence et l'indignation, ne convainquent pas totalement car l'histoire ne comble jamais les creux, elle ne fait que les accentuer : c'est le pouvoir de la poésie de changer le monde pour de bon qui est posé… Mais me touche Pérol quand il dit la proximité de la mort comme dans "Où demain ne vient plus", la solitude et le mauvais côté de l'humanité comme dans "Laissé". Pour dire vite, très vite… Le reste de la livraison est occupée par diverses présentations, par des notes de lecture très variées et par des poèmes…
Si Les Hommes sans épaules font une très large place à leurs proches (mais pas exclusivement), c'est que la revue est l'organe d'expression d'une certaine conception de la poésie. Il faut le savoir pour ne pas être déçu de ne pas y trouver ce qui était attendu. Mais n'en est-il pas de même pour toutes les revues de poésie ? Aussi faut-il lire Les Hommes sans épaules dès lors que l'on veut avoir une vision complète (ou la plus complète possible) de la poésie qui s'écrit ici et aujourd'hui…"
Lucien WASSELIN (cf. "Revue des revues" in recoursaupoeme.fr, février 2016).
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A propos du numéro
"La revue Les HSE est pleine comme un œuf. Son sommaire court et sur la première et sur la quatrième de couverture. Avant l’éditorial, signé Yves Bonnefoy, - excusez du peu -, avec son discours (inédit) de Guadalajara où il parle superbement de la poésie, des langues entre elles, et en l’occurrence de l’espagnol et de ses affinités avec les poètes mexicains, un communiqué pour prendre date à propos de Charlie et du massacre de ces héros pour la liberté.
D’abord Lucien Becker, grand poète de l’amour charnel, comme l’évoque Christophe Dauphin. Né et mort en Lorraine (1911-1984). Commissaire de police à Marseille, je note qu’il a pris sa retraite à Lalande dans l’Yonne (entre 1968 et 83). La main de l’homme n’est vraiment vivante / que quand elle s’enfonce entre deux cuisses / pour y chercher un sexe / qui se laisse découvrir comme un fruit dans l’herbe. Puis Claude Vigée, poète alsacien, né en 1921, haute figure de la poésie française : Mais demain je devrai lutter sans défaillir / contre les mites voraces, aux fines ailes soyeuses, / qui mangent nuit et jour, tout au fond de l’armoire, / la douce laine de la mémoire.
Derek Walcott, poète antillais de langue anglaise, Prix Nobel de littérature 1992 : dans le jour du seuil : point de Niké dénouant sa sandale, / mais une fille frottant le sable de ses pieds, une main sur le chambranle. Annie Salager, Prix Mallarmé 2011 : dans un chêne multicentenaire / des cigales à ressasser sans discrétion / la seigneurie du soleil… Jean-Louis Bernard, Alain Brissiaud, Denis Wetterwald...
Le gros dossier, c’est Alain Borne, centenaire de la naissance du « grand solitaire ». Né en 1915, mort dans un accident de voiture en 1962. Il fut avocat à Montélimar. Ce fut un grand poète de la Résistance qui refusa la vie littéraire parisienne, et un grand poète de l’amour. Christophe Dauphin, qui présente le poète, associe son nom à ceux d’Aragon, Pierre Seghers, Pierre Emmanuel dans le premier cas et ceux de Paul Eluard, Marc Patin et Lucien Becker dans le second. Henri Rode qui fut son ami pendant l’Occupation le décrit ainsi : avec la mélancolie un peu hautaine qu’il dégageait … la présence séduisante, la réserve un peu sombre … Impénétrabilité bourgeoise … chevalerie provinciale… grand archange triste et conclut par : l’énigme Borne. Le choix de textes qui suit met bien en avant le poète de l’amour : Je vais t’aimer / je vais ne plus rien vouloir / dans mes yeux que ton visage … Mais mon désir de toi / est une nébuleuse / où je trie déjà des étoiles neuves… Il faut bien que je tombe / adorer tes genoux / et toucher la tiédeur scandaleuse / de ce nid de soleils. Mais il achève un autre poème par cette clausule : C’est contre la mort que j’écris. Ses poèmes à la fin sur la tauromachie renouvellent joliment sa thématique.
Pour suivre Yusef Komunyakaa, poète né en 1947 en Louisiane. Il a pris le nom de son grand-père, venu de Trinidad. Il a connu la discrimination raciale, la lutte avec Martin Luther King, la guerre du Viet Nam où les Noirs enrôlés furent majoritaires. « La langue est devenue une addiction ». Il obtient en 1980 une maîtrise d’Écriture poétique, et devient un universitaire réputé. « La poésie me permet de comprendre qui je suis … j’ai besoin d’embrasser le mystère afin d’être tout à fait humain ». Extrait de "Tunnels" : A travers des poux / argentés, de la merde, des vers & un relent de peste, / il avance, le bon soldat, / sur les mains & les genoux, perçant un tunnel à côté / de la mort plaquée dans un coin aveugle, / amoureux du poids du fusil / qui un jour creusera sa tombe. Jean Pérol, enfin. Né en 1932. Vingt ans au Japon. « L’art est un immense combat contre la bêtise » ; Il donne des inédits, avec le titre à la fin. J’ai décidé de ne plus revenir sur mes pas / j’ai décidé de suivre le premier chemin qui s’ouvrira devant moi / il me mènera à ma mort comme il veut / il faut s’attendre à être seul…
Une forte livraison de 300 pages. Et encore je n’ai pas été tout à fait exhaustif ! J’ai omis l’étude de Monique W. Labidoire sur André Prodhomme, le fort cahier critique ou les incises de Joyce Mansour... Toujours une sacrée performance !"
Jacques MORIN (cf. "La revue du mois" in dechargelarevue.com, 2 avril 2015).
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« La revue dirigée par Christophe Dauphin débute ce numéro par un Communiqué de la revue sur le drame de Charlie Hebdo. Intitulé A Charlie et aux autres, l’équipe des HSE ne tombe pas dans le piège multimédiatique et politique du consensus de circonstance autour de Charlie. Plutôt que d’être de nouveau Charlie trop tard, la revue appelle à défendre la liberté et les libertés d’instant en instant sans faire la moindre concession aux lobbies et aux diplomaties, souterraines ou non. En guise d’éditorial, le lecteur trouvera le discours d’Yves Bonnefoy prononcé à Guadalajara en 2013 à l’occasion de la remise du Premio Fil 2013 de littérature en langues romanes. Ce texte inédit insiste sur la poésie de la langue, notamment espagnole et de la puissance du mot comme évocation de l’expérience sensorielle. Tout comme Georges Steiner, il pense que Babel est une chance, que la multiplicité des langues est une richesse infinie malgré la difficulté immense de la traduction. Deux poètes sont largement présentés, Lucien Becker et Claude Vigée, un poète de la blessure et un poète de l’exil. Pour Lucien Becker, un poète « est simplement un être qui a le sens aigu de tout ce qu’une existence humaine peut comporter de poignant, de tragique, de résolument invivable ». Pour ces deux poètes, le poème apparaît comme une réponse à la blessure, à l’exil, à la mort. Claude Vigée distingue avec beaucoup de pertinence les fonctions, du cœur, de l’œil et de la parole : « la parole véritable surgit dans la langue à travers l’acte de l’œil et l’acte du cœur. Parce que l’œil capte le monde, non seulement reçoit le monde en nous mais nous permet également de nous donner au monde, de nous abandonner puis de nous recevoir de nouveau. Et c’est ensuite, plus tard seulement, que cette parole de vie, ce jaillissement, – à double mouvement vers le monde et à partir du monde, dans nos profondeurs, que la parole parlée, comme la nature naturée chez Spinoza, doit être proférée. » Le dossier de numéro 39 est consacré à Alain Borne : « c’est contre la mort que j’écris ! ». Alain Borne (1915 -1962) se présente comme un poète de l’amour, thème essentiel de son œuvre avec la mort, œuvre dans laquelle la femme, « à la fois vitre et miroir face au monde » suggère Christophe Dauphin, est médiatrice mais aussi initiatrice. Autre poète à découvrir dans ce numéro, Yusef Komunyakaa, de son vrai nom James William Brown junior, poète new-yorkais qui est né en 1947 à Bogalusa, ville étatsunienne ordinaire de l’époque, c’est-à-dire structurée par le racisme, les discriminations et les haines. Marqué par cette enfance puis par la guerre du Vietnam, Yusef Komunyakaa va devenir l’un des poètes les plus remarquables des Etats-Unis. Bien que Les HSE publient depuis 1992 des poèmes de Yusef Komunyakaa, son œuvre, essentielle, n’est toujours pas traduite en français. »
Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, 15 avril 2015).
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"Les Hommes sans Epaules, c'est une des revues majeures de notre temps, par son volume, mais aussi par la qualité de ses intervenants. Pensez donc un dossier Alain Borne, poèmes choisis et présentés par Christophe Dauphin, textes de Guy Chambelland et Henri Rode. On retrouve aussi Jean Chatard. On est séduit par ses mots, ses vers, sa musique unique et jusqu'à des aphorismes fulgurants. Jean Chatard, pour moi un des grands poètes de notre époque, on le découvrira."
Jean-Pierre LESIEUR (in Comme en poésie n°62, juin 2015).
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" Quelle revue, autre que celle-ci, pourrait se flatter d’ouvrir ses pages sur un éditorial d’Yves Bonnefoy ? Il s’agit ici d’un texte inédit qui reprend un éblouissant discours prononcé à Guadalajara au Mexique lors de la remise d’un Prix de poésie en 2013. Ce texte, d’une très haute tenue, parle entre autres choses des filiations langagières et du rôle capital que va jouer la poésie dans un monde de plus en plus déshumanisé. Le sommaire de ce N°39 se hisse à la hauteur de cette magistrale impulsion avec d’importants dossiers consacrés à de grands poètes disparus comme Lucien Beckersur une vingtaine de pages ou Alain Borne sur une centaine de pages. Il est encourageant de voir que les jeunes générations entretiennent la flamme de ces poètes disparus dont l’écriture est d’une troublante actualité. Que dire encore de cette livraison si ce n’est que c’est une mine d’une richesse prodigieuse et qu’il impossible de citer tous les dossiers composés et tous les poètes présentés. Les Hommes sans épaules ouvrent des espaces de lecture, créent des ponts entre les générations et donnent à lire des poètes du monde entier comme le Prix Nobel 1992 Derek Walcott et d’autres, hexagonaux, comme les discrets Jean Pérol, André Prodhomme ou Annie Salager. Sur plus de 300 pages, Christophe Dauphin et son équipe surprennent avec bonheur les lecteurs en proposant toujours des lectures enrichissantes. "
Georges CATHALO (cf. "Lectures flash" in revue-texture.fr, juin 2015).
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" C'est contre la mort que j'écris" : Alain Borne est né en 1915. Pour le centenaire de sa naissance, la revue ouvre un gros dossier : la préface de Terre de l'été par Guy Chambelland (1978), suivie d'une longue étude de l'oeuvre de Borne, le "grand solitaire", par Christophe Dauphin, de textes d'Henri Rode sur le "long poète à la tête penchée et, bien sûr, un conséquent choix de poèmes. Puis sous le titre "les porteurs de feu", hommage est rendu à Lucien Becker (il disait : un poète " est simplement un être qui a le sens aigu de tout ce qu'une existence humaine peut comporter de poignant, de tragique, de résolument invivable"), et à Claude Vigée (... tout homme "doit rester avant tout l'amant de sa propre vie et non pas l'amant d'une langue.") ; avec des textes. Et les "Wah" alors ? Sont convoqués dans ce numéro : D. Walcott, A. Salager, A. Brissiaud, J.-L. Bernard et D. Wetterwald et leurs poèmes. des poètes encore ? La rubrique s'intitule "une voix, une oeuvre"; le poète "à New York" est Yusef Komunyakaa, dont Christophe Dauphin dresse le portrait. puis des poèmes inédits de Jean Pérol. C'est "dans les cheveux d'Aoûn" que nous retrouvons André Prodhomme, " passeur d'humanité" grâce à Monique W. Labidoire et uen présentation des peintures de C. Klein par A. Gausset. Et, en dessert, les "pages libres" de H. Rode, G. Chambelland, Ch. Dauphin, P. Farellier et A. Breton. Pour clore, quelques recensions et des infos. En résumé, un remarquable bain de poésie."
Alain LACOUCHIE (in Friches n°118, juin 2015).
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« Impossible de déterminer si un poète publié ou célébré par une revue doit figurer dans le présent capitulet ou dans els recensions des recueils. Car Alain Borne figure avec un vrai livre de presque cent pages, articles de critique, hommages et poèmes originaux. Les auteurs sont Christophe dauphin bien entendu et Henri Rode, mais Guy Chambelland participe lui aussi à « C’est contre la mort que j’écris ! », choix de poèmes de celui qui aurait été centenaire cette année. A noter que Dauphin récidive en présentant l’Américain Yusef Komunyakaa. Le tout à l’occasion peut-être, puisque le titre semble faire référence au tragique de la mort, du communiqué de la rédaction des HSE intitulé « A Charlie et aux autres » et à tous les drames affreux de notre époque entièrement déboussolée où nos jeunes risquent d’avoir des avenirs épouvantables avant que l’humanité se ressaisisse et redevienne humaine. »
Paul VAN MELLE (in Inédit Nouveau n°275, juillet 2015, La Hulpe, Belgique).
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"Comme d'habitude, c'est une copieuse livraison que ce n° 39 : 302 pages très précisément. Elle est dédiée (actualité oblige car elle est datée du premier semestre 2015) aux journalistes de Charlie hebdo assassinés en janvier de la même année et aux autres victimes…
Elle s'ouvre sur la publication du discours d'Yves Bonnefoy lors de la remise du prix que lui a décerné la Foire Internationale du Livre de Guadalajara au Mexique (en 2013). L'idée maîtresse de ce discours est la relation dialectique entre la langue conceptuelle (en usage dans les techniques et les sciences, même sociales) et la langue sensible (en usage dans la littérature et, plus particulièrement, dans la poésie)… Ainsi, nous dit Bonnefoy, le mot arbre ne renvoie pas seulement à la figure proposée par le dictionnaire mais aussi à un arbre unique, avec ses branches, ses feuilles et qui a pris racine en un endroit précis d'un territoire particulier…
Puis suit un dossier consacré à deux poètes, Lucien Becker et Claude Vigée. À chaque fois, une présentation (par Christophe Dauphin pour le premier, par Paul Farellier pour le second) suivie de poèmes. Les poèmes choisis de Lucien Becker (extraits de recueils parus de 1945 à 1961) laissent paraître une poésie très sage quant à la forme (utilisation d'un vers libre très proche de l'alexandrin mais qui y succombe à l'occasion, regroupements fréquents des vers en quatrains, poèmes de quatre, et très rarement de cinq ou six, strophes…). Mais le poème chante un monde campagnard voire agricole aujourd'hui disparu… Puis, il se fait l'expression d'une pensée où l'amour charnel de la femme est très présent. Mais une voix comme fêlée se fait entendre : "l'homme meurt en cherchant un peu d'air", "la liberté est encore plus belle que l'amour" quand l'homme ne va pas vers la mort qui est inéluctable. De Claude Vigée (qui est excellemment présenté par Paul Farellier), je ne dirai pas grand-chose car je suis totalement étranger à la culture biblique ou hébraïque. Ont cependant retenu mon attention : son poème "Le chant de ma vingtième année" (mais qui appartient à la préhistoire du poète), la nostalgie si fréquente dans ses poèmes, cette peinture de "l'exil" et cette affirmation implicite que la langue sensible est préférable à l'autonomie du signifiant… Mais un vers me hante particulièrement, sans doute pour des raisons différentes de celles qui l'ont poussé à l'écrire : "un matin fleurira pour les humiliés de la terre"...
Le dossier central est consacré à Alain Borne. N'en déplaise à certains, j'ai découvert ce poète par Aragon qui écrivit en août-septembre 1941 son poème "Pour un Chant national" que je ne lus que beaucoup plus tard, vers 1964 sans doute, en étudiant LesYeux d'Elsa paru en 1942… Christophe Dauphin signe un essai d'une bonne trentaine de pages. Il s'y fait le thuriféraire de Benjamin Péret, se réfugie sous l'aile tutélaire de Jean Rousselot pour mieux attaquer Aragon. Ce qui ne l'empêche pas, quelques paragraphes plus loin, de citer Alain Borne qui reconnaît à La Rose et le Réséda (d'Aragon) et à Liberté (de Paul Éluard) d'avoir eu une efficacité certaine sur la conscience populaire. C'est que la Poésie n'existe pas, mais qu'il existe différents types de poésie : le véritable clivage est entre la mauvaise poésie et la bonne, non entre l'alexandrin et le vers libre, non entre la prose et le vers, non entre la poésie pure et la poésie didactique, etc ! Aragon, lui-même, ne s'écriait-il pas en 1959 "Je ne me laisse pas cantonner à une forme, puisque en aucun cas, je ne considère la forme comme une fin, mais comme un moyen, et que ce qui m'importe c'est de donner portée à ce que je dis, en tenant compte des variations qui interviennent dans les facultés de ceux à qui je m'adresse…" Non que je veuille absolument défendre la Poésie nationale et ses suiveurs… Reste, nous dit Dauphin, que Borne est un poète majeur de l'amour ; citant ce dernier, il ajoute : "L'amour, la vie, la mort. Rien en dehors de cela…" Le témoignage d'Henri Rode qui suit est composé de deux textes, l'un de 1972, le second de 1995. Ce qu'il faut retenir de cette double approche , c'est le portrait d'Alain Borne en El Desdichado… C'est un portrait plein de sensibilité, éclairant, attachant, voire fascinant. Il faut remercier Les Hommes sans épaules d'avoir exhumé ces deux textes… Vient ensuite un choix de poèmes d'une quarantaine de pages qui permet de mieux connaître Alain Borne…
Deux autres dossiers (présentation et poèmes) sont consacrés à Yusef Komanyakaa et à Jean Pérol. Le premier est un poète new-yorkais né en 1947 qui a connu le racisme propre aux USA et été engagé dans la guerre du Viet-Nam Ses poèmes en portent la marque. On peut lire dans la présentation, en contrepoint du témoignage qu'il apporte sur la guerre du Viet-Nam, quelques mots sur la rareté ici des poèmes parlant de la guerre d'Algérie : c'est oublier, qu'en 1960, Action Poétique faisait paraitre son n° 12 (qui fut saisi mais réédité en janvier 1962) regroupant plus de 40 poètes autour de la guerre d'Algérie, dont Frank Venaille et Guy Bellay ; c'est oublier Gérard Cléry et quelques autres. On ne présente plus Jean Pérol mais on apprend qu'à la demande d'Aragon il réalisa, pendant la vingtaine d'années qu'il passa au Japon, une série d'entretiens avec les plus grands écrivains de ce pays... Ses poèmes, marqués par l'urgence et l'indignation, ne convainquent pas totalement car l'histoire ne comble jamais les creux, elle ne fait que les accentuer : c'est le pouvoir de la poésie de changer le monde pour de bon qui est posé… Mais me touche Pérol quand il dit la proximité de la mort comme dans "Où demain ne vient plus", la solitude et le mauvais côté de l'humanité comme dans "Laissé". Pour dire vite, très vite… Le reste de la livraison est occupée par diverses présentations, par des notes de lecture très variées et par des poèmes…
Si Les Hommes sans épaules font une très large place à leurs proches (mais pas exclusivement), c'est que la revue est l'organe d'expression d'une certaine conception de la poésie. Il faut le savoir pour ne pas être déçu de ne pas y trouver ce qui était attendu. Mais n'en est-il pas de même pour toutes les revues de poésie ? Aussi faut-il lire Les Hommes sans épaules dès lors que l'on veut avoir une vision complète (ou la plus complète possible) de la poésie qui s'écrit ici et aujourd'hui…"
Lucien WASSELIN (cf. "Revue des revues" in recoursaupoeme.fr, février 2016).
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2007 – À propos du numéro 23/24
« Dans ce numéro 23/24 des HSE, à noter tout particulièrement le double article « Les Porteurs de feu », avec d’une part « Stanislas Rodanski » par JM Goutier et Sarane Alexandrian et d’autre part, « André Laude » par Paul Farellier. Numéro riche, très nombreux textes de création et contributions. On peut encore citer un ensemble consacré au poète arménien Daniel Varoujan et un article de Monique W. Labidoire, Guillevic : un poète dans sa durée. » Florence Trocmé (Poézibao, dimanche 27 janvier 2008).
« Je suis immédiatement consolé par le double numéro 23/24 des Hommes sans Épaules, mené à la baguette par Christophe Dauphin et qui rend hommage cette fois à Samuel Bréjar, trop tôt disparu… Dauphin, lui, s’est attaché au poète arménien Daniel Varoujan, tandis que Paul Farellier se fait Gilles Lades et que Monique Labidoire termine son Guillevic. En 250 pages, la revue fait le tour d’une actualité littéraire remarquablement riche. » Paul Van Melle (Inédit Nouveau n°220, mars 2008).
« La revue de poésie, même de parution intermittente, reste l’outil principal de la promotion poétique en France et le numéro 23/24 du périodique Les Hommes sans Épaules, fondé par le regretté Jean Breton et dirigé par Christophe Dauphin le démontre avec éclat. » Jean-Luc Maxence (Monde et Vie n°792, mars 2008).
« Toujours, avec les HSE, ce remarquable et précieux voyage dans la poésie des cinquante dernières années. Notons entre autres, dans ce n°23/24, l’évocation de ces porteurs de feu que furent Stanislas Rodanski et André Laude, ainsi qu’un dossier Jorge Camacho. » Yves Artufel (Liqueur 44 n°79, automne 2008).
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Lectures critiques :
Tchicaya U TAM’SI dans Les Hommes sans Épaules : ce cri superbe qui déchire la bêtise de notre époque.
C’est un numéro exceptionnel que nous offre Christophe Dauphin dans lequel nous retrouvons Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire, Patrice Lumumba, Tchicaya U TAM’SI, Jacques Rabemananjara, Nimrod et de nombreux autres penseurs et poètes. Au cœur de ce livre, l’invention de la « race » et la cascade de souffrances qui en découle.
« J’ai découvert, nous dit René Depestre en introduction, du point de vue sémantique, d’où venait le mot « race ». C’est à l’origine un terme de vénerie qu’on n’employait pas à propos des hommes. : il y a eu une extension : on l’a appliqué aux hommes, à une époque où il y avait une manie de classifier, légitime dans les sciences naturelles avec Linné, Buffon et tous les autres savants du XVIIIème siècle. Mais on a voulu aussi classifier les hommes, au point de voir des « Rouges » ici, là des « Noirs », des « Blancs » : tout cela relevait de la pure fantaisie. J’ai fait le rapprochement avec le carnaval. Un beau jour on a décidé que certains étaient des « Indiens », que les autres étaient des « Noirs », que c’était une façon générique de simplifier cavalièrement les choses. Sion devait tenir compte de chaque ethnie africaine et des religions, on n’en sortait pas. Donc, on avait en face de soi le « Noir » : c’était aussi une façon de discréditer, de diminuer l’être qu’on opprimait. C’est une tentation diabolique qui est venue à l’esprit des colonisateurs d’ajouter ce malheur à tous les autres malheurs de la colonisation et de l’esclavage… »
Beaucoup de noms présents dans ces pages sont inconnus de la majorité d’entre nous. Tous portent une parole puissante et bénéficient d’un portrait suffisamment développé pour que leurs paroles ne soient pas qu’une émanation sans chair. Tout au contraire, l’histoire de ces poètes, qui sont autant de grands témoins, rend la parole manifeste.
Le dossier est consacré à Tchicaya U Tam’si, « le poète écorché du fleuve Congo », « fils révolté » de Senghor, plutôt que disciple, nous dit Christophe Dauphin. Tchicaya U Tam’si cherche à balayer préjugés et illusions. Il ne veut rien laisser auquel se raccrocher afin de laisser la possibilité de se construire hors des adhérences. Il a cru cependant en Patrice Lumumba. Nous connaissons la suite.
Tchicaya U Tam’si propose une contre-histoire de l’Afrique, contribution à une identité africaine, n’hésitant pas pour cela à faire éclater les identités factices nées de la colonisation.
« Son lyrisme étincelant et tragique, écrit Christophe Dauphin, est avant tout une quête passionnée et perpétuelle de l’identité. Un cri bouleversant. En rupture avec la poésie de la négritude, il propose des poèmes éclatés, à la syntaxe désarticulée, travaillés par des ruptures de tons, de collages baroques, qui juxtaposent le prosaïque et le sublime, provoquant ainsi une tension, qui, à son tour, provoque l’intranquillité du lecteur. »
Place au poème :
Natte à Tisser
Il venait de livrer le secret du soleil
et voulut écrire le poème de sa vie
pourquoi les cristaux dans son sang
pourquoi les globules dans son rire
il avait l’âme mûre
quand quelqu’un lui cria
sale tête de nègre
depuis il lui reste l’acte suave de son rire
et l’arbre géant d’une déchirure vive
qu’était ce pays qu’il habite en fauve
derrière des fauves devant derrière des fauves
Nous ne pouvons rendre compte de la richesse et de l’importance, quasi vitale, de ce numéro. Insistons simplement sur la nécessité de se procurer ce cri superbe qui déchire la bêtise de notre époque.
Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, 24 octobre 2022).
*
« La race est un carnaval ». C’est ce qu’écrit René Depestre dans son intro au n°54 de Les Hommes sans Épaules. il prend son pays comme exemple pour expliquer « la couleur de peau est un masque » auquel la société du moment nous astreint (même si certains sont plus astreints que d’autres). En Haïti, suivant le dictateur, on sera ostracisé selon que l’on tire plus sur le blanc ou plus sur le noir. Il poursuit : « J’ai toujours été très attaché à Césaire, même quand j’avais des réserves sur la « négritude » parce que je craignais qu’en partant d’une idéologie qui met l’accent sur la race… Il y aavit un risque qu’un aventurier s’en empare et en fasse un intégrisme… »
Outre Léopold Sédar Senghor (portrait par Christophe Dauphin, les souvenirs de son ami Aimé Césaire, poèmes choisis), ce n°54 de Les Hommes sans Épaules, est consacré à la poésie francophone d’Afrique, de Madagascar (avec un rappel des ignominies et des horreurs commises par le capitalisme colonial au nom de la France).
Donc aux précurseurs David Diop, Lamine Diakhaté (« Je ferai le voyage par ls routes anciennes – le père de Grand-père était maître de science – Il asséchait mers et fleuves – Il pliait les routes à l’ombre – De son aisselle droite…, 1963), J.-B. Tati-Loutard (« Baobab ! je suis venu replanter mon être près de toi – Et râcler mes racines à tes racines d’ancêtre…, 1968), Marc Rombaut, Breyten Breytenbach, Yambo Ouologuem (le héros du Goncourt de Mohammed Mbougar Sarr), Valentin-Yves Mudimbé, Amadou Lamine Sall (« Mon pays m’est un baobab nocturne – une herbe noire une fleur froide – un fruit anémique une terre agenouillée…, inédit), Jacques Rabemamanjara (« Mais ce soir la mitrailleuse – racle le ventre du sommeil – La mort rôde – parmi les champs lunaires des lys – La grande nuit de la terre – Madagascar… »).
Et aussi un gros dossier consacré à Tchicaya U Tam’si : les relations Léopold Sédar Senghor / Jean-Félix Tchicaya (le père du poète) et suivant les relations Léopold Sédar Senghor / Tchicaya U Tam’si racontées par Nimrod, une présentation conséquente, enthousiaste en minitieuse (comme toujours) par Christophe Dauphin, la reprise d’un entretien Tchicaya U Tam’si / Jean Breton. « J. B. : Vous êtes un oiseleur. c’est à flot que els images s’envolent de vos poèmes. T. U. : En ce moment, j’écris moins parce que j’ai tendance à être moraliste : ça me gêne » ;
et une belle volée de poèmes : « Il venait de livrer le secret du soleil – et voulut écrire le poème de sa vie – pourquoi les cristaux de son sang – pourquoi les globules de son rire – il avait l’âme mûre – quand quelqu’un lui cria – sale tête de nègre… » Et la francophonie d’aujourd’hui pour clore ce super-riche numéro : Nimrod, Abdourahman Wabéri, Jean-Luc Raharimanana, patrice Nganang et Alain Mabanckou : « Choisis tes mots – N’emprunte pas ceux des autres – L’indépendance commence – Par le choix – Et s’arrête avec l’adhésion ». Et bien d’autres trucs encore…
Christian DEGOUTTE (in revue Verso n°192, 2023).
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Lectures critiques :
Tchicaya U TAM’SI dans Les Hommes sans Épaules : ce cri superbe qui déchire la bêtise de notre époque.
C’est un numéro exceptionnel que nous offre Christophe Dauphin dans lequel nous retrouvons Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire, Patrice Lumumba, Tchicaya U TAM’SI, Jacques Rabemananjara, Nimrod et de nombreux autres penseurs et poètes. Au cœur de ce livre, l’invention de la « race » et la cascade de souffrances qui en découle.
« J’ai découvert, nous dit René Depestre en introduction, du point de vue sémantique, d’où venait le mot « race ». C’est à l’origine un terme de vénerie qu’on n’employait pas à propos des hommes. : il y a eu une extension : on l’a appliqué aux hommes, à une époque où il y avait une manie de classifier, légitime dans les sciences naturelles avec Linné, Buffon et tous les autres savants du XVIIIème siècle. Mais on a voulu aussi classifier les hommes, au point de voir des « Rouges » ici, là des « Noirs », des « Blancs » : tout cela relevait de la pure fantaisie. J’ai fait le rapprochement avec le carnaval. Un beau jour on a décidé que certains étaient des « Indiens », que les autres étaient des « Noirs », que c’était une façon générique de simplifier cavalièrement les choses. Sion devait tenir compte de chaque ethnie africaine et des religions, on n’en sortait pas. Donc, on avait en face de soi le « Noir » : c’était aussi une façon de discréditer, de diminuer l’être qu’on opprimait. C’est une tentation diabolique qui est venue à l’esprit des colonisateurs d’ajouter ce malheur à tous les autres malheurs de la colonisation et de l’esclavage… »
Beaucoup de noms présents dans ces pages sont inconnus de la majorité d’entre nous. Tous portent une parole puissante et bénéficient d’un portrait suffisamment développé pour que leurs paroles ne soient pas qu’une émanation sans chair. Tout au contraire, l’histoire de ces poètes, qui sont autant de grands témoins, rend la parole manifeste.
Le dossier est consacré à Tchicaya U Tam’si, « le poète écorché du fleuve Congo », « fils révolté » de Senghor, plutôt que disciple, nous dit Christophe Dauphin. Tchicaya U Tam’si cherche à balayer préjugés et illusions. Il ne veut rien laisser auquel se raccrocher afin de laisser la possibilité de se construire hors des adhérences. Il a cru cependant en Patrice Lumumba. Nous connaissons la suite.
Tchicaya U Tam’si propose une contre-histoire de l’Afrique, contribution à une identité africaine, n’hésitant pas pour cela à faire éclater les identités factices nées de la colonisation.
« Son lyrisme étincelant et tragique, écrit Christophe Dauphin, est avant tout une quête passionnée et perpétuelle de l’identité. Un cri bouleversant. En rupture avec la poésie de la négritude, il propose des poèmes éclatés, à la syntaxe désarticulée, travaillés par des ruptures de tons, de collages baroques, qui juxtaposent le prosaïque et le sublime, provoquant ainsi une tension, qui, à son tour, provoque l’intranquillité du lecteur. »
Place au poème :
Natte à Tisser
Il venait de livrer le secret du soleil
et voulut écrire le poème de sa vie
pourquoi les cristaux dans son sang
pourquoi les globules dans son rire
il avait l’âme mûre
quand quelqu’un lui cria
sale tête de nègre
depuis il lui reste l’acte suave de son rire
et l’arbre géant d’une déchirure vive
qu’était ce pays qu’il habite en fauve
derrière des fauves devant derrière des fauves
Nous ne pouvons rendre compte de la richesse et de l’importance, quasi vitale, de ce numéro. Insistons simplement sur la nécessité de se procurer ce cri superbe qui déchire la bêtise de notre époque.
Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, 24 octobre 2022).
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« La race est un carnaval ». C’est ce qu’écrit René Depestre dans son intro au n°54 de Les Hommes sans Épaules. il prend son pays comme exemple pour expliquer « la couleur de peau est un masque » auquel la société du moment nous astreint (même si certains sont plus astreints que d’autres). En Haïti, suivant le dictateur, on sera ostracisé selon que l’on tire plus sur le blanc ou plus sur le noir. Il poursuit : « J’ai toujours été très attaché à Césaire, même quand j’avais des réserves sur la « négritude » parce que je craignais qu’en partant d’une idéologie qui met l’accent sur la race… Il y aavit un risque qu’un aventurier s’en empare et en fasse un intégrisme… »
Outre Léopold Sédar Senghor (portrait par Christophe Dauphin, les souvenirs de son ami Aimé Césaire, poèmes choisis), ce n°54 de Les Hommes sans Épaules, est consacré à la poésie francophone d’Afrique, de Madagascar (avec un rappel des ignominies et des horreurs commises par le capitalisme colonial au nom de la France).
Donc aux précurseurs David Diop, Lamine Diakhaté (« Je ferai le voyage par ls routes anciennes – le père de Grand-père était maître de science – Il asséchait mers et fleuves – Il pliait les routes à l’ombre – De son aisselle droite…, 1963), J.-B. Tati-Loutard (« Baobab ! je suis venu replanter mon être près de toi – Et râcler mes racines à tes racines d’ancêtre…, 1968), Marc Rombaut, Breyten Breytenbach, Yambo Ouologuem (le héros du Goncourt de Mohammed Mbougar Sarr), Valentin-Yves Mudimbé, Amadou Lamine Sall (« Mon pays m’est un baobab nocturne – une herbe noire une fleur froide – un fruit anémique une terre agenouillée…, inédit), Jacques Rabemamanjara (« Mais ce soir la mitrailleuse – racle le ventre du sommeil – La mort rôde – parmi les champs lunaires des lys – La grande nuit de la terre – Madagascar… »).
Et aussi un gros dossier consacré à Tchicaya U Tam’si : les relations Léopold Sédar Senghor / Jean-Félix Tchicaya (le père du poète) et suivant les relations Léopold Sédar Senghor / Tchicaya U Tam’si racontées par Nimrod, une présentation conséquente, enthousiaste en minitieuse (comme toujours) par Christophe Dauphin, la reprise d’un entretien Tchicaya U Tam’si / Jean Breton. « J. B. : Vous êtes un oiseleur. c’est à flot que els images s’envolent de vos poèmes. T. U. : En ce moment, j’écris moins parce que j’ai tendance à être moraliste : ça me gêne » ;
et une belle volée de poèmes : « Il venait de livrer le secret du soleil – et voulut écrire le poème de sa vie – pourquoi les cristaux de son sang – pourquoi les globules de son rire – il avait l’âme mûre – quand quelqu’un lui cria – sale tête de nègre… » Et la francophonie d’aujourd’hui pour clore ce super-riche numéro : Nimrod, Abdourahman Wabéri, Jean-Luc Raharimanana, patrice Nganang et Alain Mabanckou : « Choisis tes mots – N’emprunte pas ceux des autres – L’indépendance commence – Par le choix – Et s’arrête avec l’adhésion ». Et bien d’autres trucs encore…
Christian DEGOUTTE (in revue Verso n°192, 2023).
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Lectures critiques :
Tchicaya U TAM’SI dans Les Hommes sans Épaules : ce cri superbe qui déchire la bêtise de notre époque.
C’est un numéro exceptionnel que nous offre Christophe Dauphin dans lequel nous retrouvons Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire, Patrice Lumumba, Tchicaya U TAM’SI, Jacques Rabemananjara, Nimrod et de nombreux autres penseurs et poètes. Au cœur de ce livre, l’invention de la « race » et la cascade de souffrances qui en découle.
« J’ai découvert, nous dit René Depestre en introduction, du point de vue sémantique, d’où venait le mot « race ». C’est à l’origine un terme de vénerie qu’on n’employait pas à propos des hommes. : il y a eu une extension : on l’a appliqué aux hommes, à une époque où il y avait une manie de classifier, légitime dans les sciences naturelles avec Linné, Buffon et tous les autres savants du XVIIIème siècle. Mais on a voulu aussi classifier les hommes, au point de voir des « Rouges » ici, là des « Noirs », des « Blancs » : tout cela relevait de la pure fantaisie. J’ai fait le rapprochement avec le carnaval. Un beau jour on a décidé que certains étaient des « Indiens », que les autres étaient des « Noirs », que c’était une façon générique de simplifier cavalièrement les choses. Sion devait tenir compte de chaque ethnie africaine et des religions, on n’en sortait pas. Donc, on avait en face de soi le « Noir » : c’était aussi une façon de discréditer, de diminuer l’être qu’on opprimait. C’est une tentation diabolique qui est venue à l’esprit des colonisateurs d’ajouter ce malheur à tous les autres malheurs de la colonisation et de l’esclavage… »
Beaucoup de noms présents dans ces pages sont inconnus de la majorité d’entre nous. Tous portent une parole puissante et bénéficient d’un portrait suffisamment développé pour que leurs paroles ne soient pas qu’une émanation sans chair. Tout au contraire, l’histoire de ces poètes, qui sont autant de grands témoins, rend la parole manifeste.
Le dossier est consacré à Tchicaya U Tam’si, « le poète écorché du fleuve Congo », « fils révolté » de Senghor, plutôt que disciple, nous dit Christophe Dauphin. Tchicaya U Tam’si cherche à balayer préjugés et illusions. Il ne veut rien laisser auquel se raccrocher afin de laisser la possibilité de se construire hors des adhérences. Il a cru cependant en Patrice Lumumba. Nous connaissons la suite.
Tchicaya U Tam’si propose une contre-histoire de l’Afrique, contribution à une identité africaine, n’hésitant pas pour cela à faire éclater les identités factices nées de la colonisation.
« Son lyrisme étincelant et tragique, écrit Christophe Dauphin, est avant tout une quête passionnée et perpétuelle de l’identité. Un cri bouleversant. En rupture avec la poésie de la négritude, il propose des poèmes éclatés, à la syntaxe désarticulée, travaillés par des ruptures de tons, de collages baroques, qui juxtaposent le prosaïque et le sublime, provoquant ainsi une tension, qui, à son tour, provoque l’intranquillité du lecteur. »
Place au poème :
Natte à Tisser
Il venait de livrer le secret du soleil
et voulut écrire le poème de sa vie
pourquoi les cristaux dans son sang
pourquoi les globules dans son rire
il avait l’âme mûre
quand quelqu’un lui cria
sale tête de nègre
depuis il lui reste l’acte suave de son rire
et l’arbre géant d’une déchirure vive
qu’était ce pays qu’il habite en fauve
derrière des fauves devant derrière des fauves
Nous ne pouvons rendre compte de la richesse et de l’importance, quasi vitale, de ce numéro. Insistons simplement sur la nécessité de se procurer ce cri superbe qui déchire la bêtise de notre époque.
Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, 24 octobre 2022).
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« La race est un carnaval ». C’est ce qu’écrit René Depestre dans son intro au n°54 de Les Hommes sans Épaules. il prend son pays comme exemple pour expliquer « la couleur de peau est un masque » auquel la société du moment nous astreint (même si certains sont plus astreints que d’autres). En Haïti, suivant le dictateur, on sera ostracisé selon que l’on tire plus sur le blanc ou plus sur le noir. Il poursuit : « J’ai toujours été très attaché à Césaire, même quand j’avais des réserves sur la « négritude » parce que je craignais qu’en partant d’une idéologie qui met l’accent sur la race… Il y aavit un risque qu’un aventurier s’en empare et en fasse un intégrisme… »
Outre Léopold Sédar Senghor (portrait par Christophe Dauphin, les souvenirs de son ami Aimé Césaire, poèmes choisis), ce n°54 de Les Hommes sans Épaules, est consacré à la poésie francophone d’Afrique, de Madagascar (avec un rappel des ignominies et des horreurs commises par le capitalisme colonial au nom de la France).
Donc aux précurseurs David Diop, Lamine Diakhaté (« Je ferai le voyage par ls routes anciennes – le père de Grand-père était maître de science – Il asséchait mers et fleuves – Il pliait les routes à l’ombre – De son aisselle droite…, 1963), J.-B. Tati-Loutard (« Baobab ! je suis venu replanter mon être près de toi – Et râcler mes racines à tes racines d’ancêtre…, 1968), Marc Rombaut, Breyten Breytenbach, Yambo Ouologuem (le héros du Goncourt de Mohammed Mbougar Sarr), Valentin-Yves Mudimbé, Amadou Lamine Sall (« Mon pays m’est un baobab nocturne – une herbe noire une fleur froide – un fruit anémique une terre agenouillée…, inédit), Jacques Rabemamanjara (« Mais ce soir la mitrailleuse – racle le ventre du sommeil – La mort rôde – parmi les champs lunaires des lys – La grande nuit de la terre – Madagascar… »).
Et aussi un gros dossier consacré à Tchicaya U Tam’si : les relations Léopold Sédar Senghor / Jean-Félix Tchicaya (le père du poète) et suivant les relations Léopold Sédar Senghor / Tchicaya U Tam’si racontées par Nimrod, une présentation conséquente, enthousiaste en minitieuse (comme toujours) par Christophe Dauphin, la reprise d’un entretien Tchicaya U Tam’si / Jean Breton. « J. B. : Vous êtes un oiseleur. c’est à flot que els images s’envolent de vos poèmes. T. U. : En ce moment, j’écris moins parce que j’ai tendance à être moraliste : ça me gêne » ;
et une belle volée de poèmes : « Il venait de livrer le secret du soleil – et voulut écrire le poème de sa vie – pourquoi les cristaux de son sang – pourquoi les globules de son rire – il avait l’âme mûre – quand quelqu’un lui cria – sale tête de nègre… » Et la francophonie d’aujourd’hui pour clore ce super-riche numéro : Nimrod, Abdourahman Wabéri, Jean-Luc Raharimanana, patrice Nganang et Alain Mabanckou : « Choisis tes mots – N’emprunte pas ceux des autres – L’indépendance commence – Par le choix – Et s’arrête avec l’adhésion ». Et bien d’autres trucs encore…
Christian DEGOUTTE (in revue Verso n°192, 2023).
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Lectures critiques :
Tchicaya U TAM’SI dans Les Hommes sans Épaules : ce cri superbe qui déchire la bêtise de notre époque.
C’est un numéro exceptionnel que nous offre Christophe Dauphin dans lequel nous retrouvons Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire, Patrice Lumumba, Tchicaya U TAM’SI, Jacques Rabemananjara, Nimrod et de nombreux autres penseurs et poètes. Au cœur de ce livre, l’invention de la « race » et la cascade de souffrances qui en découle.
« J’ai découvert, nous dit René Depestre en introduction, du point de vue sémantique, d’où venait le mot « race ». C’est à l’origine un terme de vénerie qu’on n’employait pas à propos des hommes. : il y a eu une extension : on l’a appliqué aux hommes, à une époque où il y avait une manie de classifier, légitime dans les sciences naturelles avec Linné, Buffon et tous les autres savants du XVIIIème siècle. Mais on a voulu aussi classifier les hommes, au point de voir des « Rouges » ici, là des « Noirs », des « Blancs » : tout cela relevait de la pure fantaisie. J’ai fait le rapprochement avec le carnaval. Un beau jour on a décidé que certains étaient des « Indiens », que les autres étaient des « Noirs », que c’était une façon générique de simplifier cavalièrement les choses. Sion devait tenir compte de chaque ethnie africaine et des religions, on n’en sortait pas. Donc, on avait en face de soi le « Noir » : c’était aussi une façon de discréditer, de diminuer l’être qu’on opprimait. C’est une tentation diabolique qui est venue à l’esprit des colonisateurs d’ajouter ce malheur à tous les autres malheurs de la colonisation et de l’esclavage… »
Beaucoup de noms présents dans ces pages sont inconnus de la majorité d’entre nous. Tous portent une parole puissante et bénéficient d’un portrait suffisamment développé pour que leurs paroles ne soient pas qu’une émanation sans chair. Tout au contraire, l’histoire de ces poètes, qui sont autant de grands témoins, rend la parole manifeste.
Le dossier est consacré à Tchicaya U Tam’si, « le poète écorché du fleuve Congo », « fils révolté » de Senghor, plutôt que disciple, nous dit Christophe Dauphin. Tchicaya U Tam’si cherche à balayer préjugés et illusions. Il ne veut rien laisser auquel se raccrocher afin de laisser la possibilité de se construire hors des adhérences. Il a cru cependant en Patrice Lumumba. Nous connaissons la suite.
Tchicaya U Tam’si propose une contre-histoire de l’Afrique, contribution à une identité africaine, n’hésitant pas pour cela à faire éclater les identités factices nées de la colonisation.
« Son lyrisme étincelant et tragique, écrit Christophe Dauphin, est avant tout une quête passionnée et perpétuelle de l’identité. Un cri bouleversant. En rupture avec la poésie de la négritude, il propose des poèmes éclatés, à la syntaxe désarticulée, travaillés par des ruptures de tons, de collages baroques, qui juxtaposent le prosaïque et le sublime, provoquant ainsi une tension, qui, à son tour, provoque l’intranquillité du lecteur. »
Place au poème :
Natte à Tisser
Il venait de livrer le secret du soleil
et voulut écrire le poème de sa vie
pourquoi les cristaux dans son sang
pourquoi les globules dans son rire
il avait l’âme mûre
quand quelqu’un lui cria
sale tête de nègre
depuis il lui reste l’acte suave de son rire
et l’arbre géant d’une déchirure vive
qu’était ce pays qu’il habite en fauve
derrière des fauves devant derrière des fauves
Nous ne pouvons rendre compte de la richesse et de l’importance, quasi vitale, de ce numéro. Insistons simplement sur la nécessité de se procurer ce cri superbe qui déchire la bêtise de notre époque.
Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, 24 octobre 2022).
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« La race est un carnaval ». C’est ce qu’écrit René Depestre dans son intro au n°54 de Les Hommes sans Épaules. il prend son pays comme exemple pour expliquer « la couleur de peau est un masque » auquel la société du moment nous astreint (même si certains sont plus astreints que d’autres). En Haïti, suivant le dictateur, on sera ostracisé selon que l’on tire plus sur le blanc ou plus sur le noir. Il poursuit : « J’ai toujours été très attaché à Césaire, même quand j’avais des réserves sur la « négritude » parce que je craignais qu’en partant d’une idéologie qui met l’accent sur la race… Il y aavit un risque qu’un aventurier s’en empare et en fasse un intégrisme… »
Outre Léopold Sédar Senghor (portrait par Christophe Dauphin, les souvenirs de son ami Aimé Césaire, poèmes choisis), ce n°54 de Les Hommes sans Épaules, est consacré à la poésie francophone d’Afrique, de Madagascar (avec un rappel des ignominies et des horreurs commises par le capitalisme colonial au nom de la France).
Donc aux précurseurs David Diop, Lamine Diakhaté (« Je ferai le voyage par ls routes anciennes – le père de Grand-père était maître de science – Il asséchait mers et fleuves – Il pliait les routes à l’ombre – De son aisselle droite…, 1963), J.-B. Tati-Loutard (« Baobab ! je suis venu replanter mon être près de toi – Et râcler mes racines à tes racines d’ancêtre…, 1968), Marc Rombaut, Breyten Breytenbach, Yambo Ouologuem (le héros du Goncourt de Mohammed Mbougar Sarr), Valentin-Yves Mudimbé, Amadou Lamine Sall (« Mon pays m’est un baobab nocturne – une herbe noire une fleur froide – un fruit anémique une terre agenouillée…, inédit), Jacques Rabemamanjara (« Mais ce soir la mitrailleuse – racle le ventre du sommeil – La mort rôde – parmi les champs lunaires des lys – La grande nuit de la terre – Madagascar… »).
Et aussi un gros dossier consacré à Tchicaya U Tam’si : les relations Léopold Sédar Senghor / Jean-Félix Tchicaya (le père du poète) et suivant les relations Léopold Sédar Senghor / Tchicaya U Tam’si racontées par Nimrod, une présentation conséquente, enthousiaste en minitieuse (comme toujours) par Christophe Dauphin, la reprise d’un entretien Tchicaya U Tam’si / Jean Breton. « J. B. : Vous êtes un oiseleur. c’est à flot que els images s’envolent de vos poèmes. T. U. : En ce moment, j’écris moins parce que j’ai tendance à être moraliste : ça me gêne » ;
et une belle volée de poèmes : « Il venait de livrer le secret du soleil – et voulut écrire le poème de sa vie – pourquoi les cristaux de son sang – pourquoi les globules de son rire – il avait l’âme mûre – quand quelqu’un lui cria – sale tête de nègre… » Et la francophonie d’aujourd’hui pour clore ce super-riche numéro : Nimrod, Abdourahman Wabéri, Jean-Luc Raharimanana, patrice Nganang et Alain Mabanckou : « Choisis tes mots – N’emprunte pas ceux des autres – L’indépendance commence – Par le choix – Et s’arrête avec l’adhésion ». Et bien d’autres trucs encore…
Christian DEGOUTTE (in revue Verso n°192, 2023).
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Lectures critiques :
Tchicaya U TAM’SI dans Les Hommes sans Épaules : ce cri superbe qui déchire la bêtise de notre époque.
C’est un numéro exceptionnel que nous offre Christophe Dauphin dans lequel nous retrouvons Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire, Patrice Lumumba, Tchicaya U TAM’SI, Jacques Rabemananjara, Nimrod et de nombreux autres penseurs et poètes. Au cœur de ce livre, l’invention de la « race » et la cascade de souffrances qui en découle.
« J’ai découvert, nous dit René Depestre en introduction, du point de vue sémantique, d’où venait le mot « race ». C’est à l’origine un terme de vénerie qu’on n’employait pas à propos des hommes. : il y a eu une extension : on l’a appliqué aux hommes, à une époque où il y avait une manie de classifier, légitime dans les sciences naturelles avec Linné, Buffon et tous les autres savants du XVIIIème siècle. Mais on a voulu aussi classifier les hommes, au point de voir des « Rouges » ici, là des « Noirs », des « Blancs » : tout cela relevait de la pure fantaisie. J’ai fait le rapprochement avec le carnaval. Un beau jour on a décidé que certains étaient des « Indiens », que les autres étaient des « Noirs », que c’était une façon générique de simplifier cavalièrement les choses. Sion devait tenir compte de chaque ethnie africaine et des religions, on n’en sortait pas. Donc, on avait en face de soi le « Noir » : c’était aussi une façon de discréditer, de diminuer l’être qu’on opprimait. C’est une tentation diabolique qui est venue à l’esprit des colonisateurs d’ajouter ce malheur à tous les autres malheurs de la colonisation et de l’esclavage… »
Beaucoup de noms présents dans ces pages sont inconnus de la majorité d’entre nous. Tous portent une parole puissante et bénéficient d’un portrait suffisamment développé pour que leurs paroles ne soient pas qu’une émanation sans chair. Tout au contraire, l’histoire de ces poètes, qui sont autant de grands témoins, rend la parole manifeste.
Le dossier est consacré à Tchicaya U Tam’si, « le poète écorché du fleuve Congo », « fils révolté » de Senghor, plutôt que disciple, nous dit Christophe Dauphin. Tchicaya U Tam’si cherche à balayer préjugés et illusions. Il ne veut rien laisser auquel se raccrocher afin de laisser la possibilité de se construire hors des adhérences. Il a cru cependant en Patrice Lumumba. Nous connaissons la suite.
Tchicaya U Tam’si propose une contre-histoire de l’Afrique, contribution à une identité africaine, n’hésitant pas pour cela à faire éclater les identités factices nées de la colonisation.
« Son lyrisme étincelant et tragique, écrit Christophe Dauphin, est avant tout une quête passionnée et perpétuelle de l’identité. Un cri bouleversant. En rupture avec la poésie de la négritude, il propose des poèmes éclatés, à la syntaxe désarticulée, travaillés par des ruptures de tons, de collages baroques, qui juxtaposent le prosaïque et le sublime, provoquant ainsi une tension, qui, à son tour, provoque l’intranquillité du lecteur. »
Place au poème :
Natte à Tisser
Il venait de livrer le secret du soleil
et voulut écrire le poème de sa vie
pourquoi les cristaux dans son sang
pourquoi les globules dans son rire
il avait l’âme mûre
quand quelqu’un lui cria
sale tête de nègre
depuis il lui reste l’acte suave de son rire
et l’arbre géant d’une déchirure vive
qu’était ce pays qu’il habite en fauve
derrière des fauves devant derrière des fauves
Nous ne pouvons rendre compte de la richesse et de l’importance, quasi vitale, de ce numéro. Insistons simplement sur la nécessité de se procurer ce cri superbe qui déchire la bêtise de notre époque.
Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, 24 octobre 2022).
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« La race est un carnaval ». C’est ce qu’écrit René Depestre dans son intro au n°54 de Les Hommes sans Épaules. il prend son pays comme exemple pour expliquer « la couleur de peau est un masque » auquel la société du moment nous astreint (même si certains sont plus astreints que d’autres). En Haïti, suivant le dictateur, on sera ostracisé selon que l’on tire plus sur le blanc ou plus sur le noir. Il poursuit : « J’ai toujours été très attaché à Césaire, même quand j’avais des réserves sur la « négritude » parce que je craignais qu’en partant d’une idéologie qui met l’accent sur la race… Il y aavit un risque qu’un aventurier s’en empare et en fasse un intégrisme… »
Outre Léopold Sédar Senghor (portrait par Christophe Dauphin, les souvenirs de son ami Aimé Césaire, poèmes choisis), ce n°54 de Les Hommes sans Épaules, est consacré à la poésie francophone d’Afrique, de Madagascar (avec un rappel des ignominies et des horreurs commises par le capitalisme colonial au nom de la France).
Donc aux précurseurs David Diop, Lamine Diakhaté (« Je ferai le voyage par ls routes anciennes – le père de Grand-père était maître de science – Il asséchait mers et fleuves – Il pliait les routes à l’ombre – De son aisselle droite…, 1963), J.-B. Tati-Loutard (« Baobab ! je suis venu replanter mon être près de toi – Et râcler mes racines à tes racines d’ancêtre…, 1968), Marc Rombaut, Breyten Breytenbach, Yambo Ouologuem (le héros du Goncourt de Mohammed Mbougar Sarr), Valentin-Yves Mudimbé, Amadou Lamine Sall (« Mon pays m’est un baobab nocturne – une herbe noire une fleur froide – un fruit anémique une terre agenouillée…, inédit), Jacques Rabemamanjara (« Mais ce soir la mitrailleuse – racle le ventre du sommeil – La mort rôde – parmi les champs lunaires des lys – La grande nuit de la terre – Madagascar… »).
Et aussi un gros dossier consacré à Tchicaya U Tam’si : les relations Léopold Sédar Senghor / Jean-Félix Tchicaya (le père du poète) et suivant les relations Léopold Sédar Senghor / Tchicaya U Tam’si racontées par Nimrod, une présentation conséquente, enthousiaste en minitieuse (comme toujours) par Christophe Dauphin, la reprise d’un entretien Tchicaya U Tam’si / Jean Breton. « J. B. : Vous êtes un oiseleur. c’est à flot que els images s’envolent de vos poèmes. T. U. : En ce moment, j’écris moins parce que j’ai tendance à être moraliste : ça me gêne » ;
et une belle volée de poèmes : « Il venait de livrer le secret du soleil – et voulut écrire le poème de sa vie – pourquoi les cristaux de son sang – pourquoi les globules de son rire – il avait l’âme mûre – quand quelqu’un lui cria – sale tête de nègre… » Et la francophonie d’aujourd’hui pour clore ce super-riche numéro : Nimrod, Abdourahman Wabéri, Jean-Luc Raharimanana, patrice Nganang et Alain Mabanckou : « Choisis tes mots – N’emprunte pas ceux des autres – L’indépendance commence – Par le choix – Et s’arrête avec l’adhésion ». Et bien d’autres trucs encore…
Christian DEGOUTTE (in revue Verso n°192, 2023).
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Lectures critiques :
Tchicaya U TAM’SI dans Les Hommes sans Épaules : ce cri superbe qui déchire la bêtise de notre époque.
C’est un numéro exceptionnel que nous offre Christophe Dauphin dans lequel nous retrouvons Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire, Patrice Lumumba, Tchicaya U TAM’SI, Jacques Rabemananjara, Nimrod et de nombreux autres penseurs et poètes. Au cœur de ce livre, l’invention de la « race » et la cascade de souffrances qui en découle.
« J’ai découvert, nous dit René Depestre en introduction, du point de vue sémantique, d’où venait le mot « race ». C’est à l’origine un terme de vénerie qu’on n’employait pas à propos des hommes. : il y a eu une extension : on l’a appliqué aux hommes, à une époque où il y avait une manie de classifier, légitime dans les sciences naturelles avec Linné, Buffon et tous les autres savants du XVIIIème siècle. Mais on a voulu aussi classifier les hommes, au point de voir des « Rouges » ici, là des « Noirs », des « Blancs » : tout cela relevait de la pure fantaisie. J’ai fait le rapprochement avec le carnaval. Un beau jour on a décidé que certains étaient des « Indiens », que les autres étaient des « Noirs », que c’était une façon générique de simplifier cavalièrement les choses. Sion devait tenir compte de chaque ethnie africaine et des religions, on n’en sortait pas. Donc, on avait en face de soi le « Noir » : c’était aussi une façon de discréditer, de diminuer l’être qu’on opprimait. C’est une tentation diabolique qui est venue à l’esprit des colonisateurs d’ajouter ce malheur à tous les autres malheurs de la colonisation et de l’esclavage… »
Beaucoup de noms présents dans ces pages sont inconnus de la majorité d’entre nous. Tous portent une parole puissante et bénéficient d’un portrait suffisamment développé pour que leurs paroles ne soient pas qu’une émanation sans chair. Tout au contraire, l’histoire de ces poètes, qui sont autant de grands témoins, rend la parole manifeste.
Le dossier est consacré à Tchicaya U Tam’si, « le poète écorché du fleuve Congo », « fils révolté » de Senghor, plutôt que disciple, nous dit Christophe Dauphin. Tchicaya U Tam’si cherche à balayer préjugés et illusions. Il ne veut rien laisser auquel se raccrocher afin de laisser la possibilité de se construire hors des adhérences. Il a cru cependant en Patrice Lumumba. Nous connaissons la suite.
Tchicaya U Tam’si propose une contre-histoire de l’Afrique, contribution à une identité africaine, n’hésitant pas pour cela à faire éclater les identités factices nées de la colonisation.
« Son lyrisme étincelant et tragique, écrit Christophe Dauphin, est avant tout une quête passionnée et perpétuelle de l’identité. Un cri bouleversant. En rupture avec la poésie de la négritude, il propose des poèmes éclatés, à la syntaxe désarticulée, travaillés par des ruptures de tons, de collages baroques, qui juxtaposent le prosaïque et le sublime, provoquant ainsi une tension, qui, à son tour, provoque l’intranquillité du lecteur. »
Place au poème :
Natte à Tisser
Il venait de livrer le secret du soleil
et voulut écrire le poème de sa vie
pourquoi les cristaux dans son sang
pourquoi les globules dans son rire
il avait l’âme mûre
quand quelqu’un lui cria
sale tête de nègre
depuis il lui reste l’acte suave de son rire
et l’arbre géant d’une déchirure vive
qu’était ce pays qu’il habite en fauve
derrière des fauves devant derrière des fauves
Nous ne pouvons rendre compte de la richesse et de l’importance, quasi vitale, de ce numéro. Insistons simplement sur la nécessité de se procurer ce cri superbe qui déchire la bêtise de notre époque.
Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, 24 octobre 2022).
*
« La race est un carnaval ». C’est ce qu’écrit René Depestre dans son intro au n°54 de Les Hommes sans Épaules. il prend son pays comme exemple pour expliquer « la couleur de peau est un masque » auquel la société du moment nous astreint (même si certains sont plus astreints que d’autres). En Haïti, suivant le dictateur, on sera ostracisé selon que l’on tire plus sur le blanc ou plus sur le noir. Il poursuit : « J’ai toujours été très attaché à Césaire, même quand j’avais des réserves sur la « négritude » parce que je craignais qu’en partant d’une idéologie qui met l’accent sur la race… Il y aavit un risque qu’un aventurier s’en empare et en fasse un intégrisme… »
Outre Léopold Sédar Senghor (portrait par Christophe Dauphin, les souvenirs de son ami Aimé Césaire, poèmes choisis), ce n°54 de Les Hommes sans Épaules, est consacré à la poésie francophone d’Afrique, de Madagascar (avec un rappel des ignominies et des horreurs commises par le capitalisme colonial au nom de la France).
Donc aux précurseurs David Diop, Lamine Diakhaté (« Je ferai le voyage par ls routes anciennes – le père de Grand-père était maître de science – Il asséchait mers et fleuves – Il pliait les routes à l’ombre – De son aisselle droite…, 1963), J.-B. Tati-Loutard (« Baobab ! je suis venu replanter mon être près de toi – Et râcler mes racines à tes racines d’ancêtre…, 1968), Marc Rombaut, Breyten Breytenbach, Yambo Ouologuem (le héros du Goncourt de Mohammed Mbougar Sarr), Valentin-Yves Mudimbé, Amadou Lamine Sall (« Mon pays m’est un baobab nocturne – une herbe noire une fleur froide – un fruit anémique une terre agenouillée…, inédit), Jacques Rabemamanjara (« Mais ce soir la mitrailleuse – racle le ventre du sommeil – La mort rôde – parmi les champs lunaires des lys – La grande nuit de la terre – Madagascar… »).
Et aussi un gros dossier consacré à Tchicaya U Tam’si : les relations Léopold Sédar Senghor / Jean-Félix Tchicaya (le père du poète) et suivant les relations Léopold Sédar Senghor / Tchicaya U Tam’si racontées par Nimrod, une présentation conséquente, enthousiaste en minitieuse (comme toujours) par Christophe Dauphin, la reprise d’un entretien Tchicaya U Tam’si / Jean Breton. « J. B. : Vous êtes un oiseleur. c’est à flot que els images s’envolent de vos poèmes. T. U. : En ce moment, j’écris moins parce que j’ai tendance à être moraliste : ça me gêne » ;
et une belle volée de poèmes : « Il venait de livrer le secret du soleil – et voulut écrire le poème de sa vie – pourquoi les cristaux de son sang – pourquoi les globules de son rire – il avait l’âme mûre – quand quelqu’un lui cria – sale tête de nègre… » Et la francophonie d’aujourd’hui pour clore ce super-riche numéro : Nimrod, Abdourahman Wabéri, Jean-Luc Raharimanana, patrice Nganang et Alain Mabanckou : « Choisis tes mots – N’emprunte pas ceux des autres – L’indépendance commence – Par le choix – Et s’arrête avec l’adhésion ». Et bien d’autres trucs encore…
Christian DEGOUTTE (in revue Verso n°192, 2023).
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2000 - À propos du numéro 7/8
« Les Hommes sans Épaules n°7/8. Hommage à Guy Chambelland. Un numéro de référence et de collection. » Jacques Simonomis (Le Cri d’os n° 29/30, janvier 2000.
« Cette nouvelle livraison des Hommes sans Épaules, est composée pour l’essentiel d’un hommage à Guy Chambelland, qui nous a quittés voilà bientôt quatre ans. De très nombreux témoignages de poètes et d’amis dont beaucoup furent des auteurs de notre ami Guy, montrent, s’il en était besoin, le rôle important que joua Chambelland dans la vie poétique des quarante dernières années. » Jean Orizet (Poésie 1/Vagabondages n°21, mars 2000).
« Il n’a pas fallu moins d’un numéro double de plus de 160 pages à l’équipe de la revue Les Hommes sans Épaules pour rendre hommage à celui qui fut, avec Le Pont de l’Epée (1957-1983) et Le Pont sous l’eau (1988-1996), le tenant d’une poésie où s’illustreront bon nombre de créateurs d’aujourd’hui : Guy Chambelland. » Jean Chatard (Dixformes-Informes, Bruxelles, juin 2000).
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Lectures
"Cette nouvelle livraison, essentiellement consacrée à la poésie, est d'une richesse exceptionnelle. Dans son éditorial, Le Passager du Transatlantique, Christophe Dauphin rend un hommage chaleureux à Benjamin Péret dont il souligne le parcours singulier, celui d'un poète qui n'a jamais songé à faire carrière dans la littérature. Il cite, pour souligner son propos, Sarane Alexandrian: "Quand on considère ce que sont devenus dans leur vieillesse tant de matamores qui entrèrent dans les lettres le défi aux lèvres, le regard hautain, on s'incline bien bas devant Péret. Il n'a pas un instant fait de concessions pour s'attirer les honneurs que méritait son génie. Pauvre, vivotant de son métier de correcteur, il a gardé jusqu'au bout la vertu réfractaire de sa jeunesse... Libre comme le rossignol, mélodieux comme lui, menacé comme lui par la cohorte bruyante des ânes, il n'a cessé de faire entendre le chant qui lui était naturel." Le travail de l'association des amis de Benjamin Péret y est salué, une fois n'est pas coutume, depuis l'édition des Oeuvres complètes jusqu'à l'apport nouveau des Cahiers Benjamin Péret.
Benjamin Péret occupe le coeur de ce numéro avec un volumineux dossier de plus de quatre-vingt pages intitulé: La Parole est toujours à Benjmain Péret. Ce dossier, parfaitement documenté et maîtrisé, par Christophe Dauphin, dit l'essentiel. Il est complété d'un article de Jean-Clarence Lambert sur les liens et affinités entre Benjamin Péret, Octavio Paz et le Mexique. Octavio Paz savait ce que fut l'exceptionnelle amitié entre Péret et Breton, une complicité intellectuelle reposant sur "la recherche d'une vie qui concilie poésie et révolution". Le choix des extraits de l'oeuvre de Péret qui a été fait dans Les HSE en est l'illustration.
on trouverea également dans ce numéro plusieurs dossiers sur Annie Le Brun par Karel Hadek et sur Jehan Mayoux avec une présentation de César Birène: "Jehan Mayoux, le poète insoumis", suivi d'un choix de poèmes par Hervé Delabarre. Parmi les "portraits éclairs" figurent également Lionel Ray et Fabrice Maze."
Gérard ROCHE (in Cahiers Benjamin Péret n°5, septembre 2016).
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" Le dossier de ce beau numéro est consacré à Benjamin Péret. Dans son éditorial, intitulé « Le passager du Transatlantique », Christophe Dauphin explique ce choix :
« Les poètes ont toujours été et sont toujours de ce monde, mais ils sont rares, ceux qui, de la trempe de Benjamin Péret, demeurent toujours et définitivement à l’avant-garde du Feu poétique. Et pourtant, si le Passager du Transatlantique n’a jamais cessé d’être à flot, ce fut trop souvent sur un océan d’ombre, que n’emprunte qu’une minorité, certes, mais active et éclairée. Ce constat a motivé l’écriture du dossier central de ce numéro des HSE. Avec Péret, nous ne sommes jamais dans l’histoire de la littérature, tellement ce poète est actuel – et surtout en ces temps d’assassins et du médiocre dans lesquels nous vivons -, mais dans la vie. Comment alors expliquer l’audience confidentielle de son œuvre ? »
Si la France a, depuis des décennies, du mal avec la poésie en général et les poètes en particulier qui, souvent, obligent à penser dans un monde qui a vu, avec les soi-disant nouveaux philosophes des années 60-70, l’opinion remplacer la pensée et le savoir. Benjamin Péret, un anticonformiste cher à Sarane Alexandrian, n’a jamais fait la moindre concession à la mondanité.
L’œuvre, toujours injustement méconnue de Benjamin Péret, est immense, aux poèmes s’ajoutent des contes, des écrits politiques, des écrits ethnologiques, des écrits critiques sur le cinématographe et les arts plastiques, sur le surréalisme, la littérature, sans compter les entretiens. Une œuvre éditée aujourd’hui en sept volumes sous le titre Œuvres complètes grâce à l’association des amis de Benjamin Péret.
Son œuvre, toujours aussi actuelle, dérange et secoue. Elle réveille. Benjamin Péret qui poussera de manière exemplaire la pratique de l’écriture automatique dans ses retranchements soulève l’hostilité et l’incompréhension dès la fin des années 1920, notamment de la N.R.F., incompréhension qui demeure.
Voici pourtant ce qu’en dit André Rolland de Renéville en 1939 :
« L’écriture automatique apparaît en harmonie avec le tempérament de Péret, au point qu’il semble que notre poète n’eût pas écrit si le surréalisme n’avait pas été découvert. Benjamin Péret ne conserve de notre langage que la construction syntaxique, l’allure et le ton. Les mots lui deviennent des signes. Il leur redonne un sens absolument libre, dégagé des objets qu’il désigne. De nouveaux objets semblent naître de ces moules dont le contenu nous était imposé par l’usage. Et le miracle est que ces réalités nous les comprenons, tandis que nous traverse l’immense éclat de rire d’un être que nulle contrainte ne retient plus de se lancer à travers notre flore et notre faune urbaines, comme s’il s’agissait pour lui de celles d’une contrée primordiale, ouverte à ses instincts. Il suffit de lire au hasard l’un de ses plus beaux poèmes pour y trouver l’exemple d’une conscience qui décide d’accepter sans y introduire de contrôle, la succession des idées qui se présentent à elle par le mécanisme de leur libre association. Péret annihile la distance entre l’homme et l’objet, entre l’espace et le temps, entre le réel et le rêve : Sois la vague et le bourreau la lance et l’orée – et que l’orée soit l’étincelle qui va du cou de l’amante à – celui de l’amant – et que se perde la lance dans la cervelle du temps – et que la vague porte la poutre – et que la poutre soit une hirondelle – blanche et rouge comme mon CŒUR et ma peur. »
Christophe Dauphin note que si Benjamin Péret, ce « surréaliste par excellence », « est presque toujours qualifié d’opposant-né », il convient aussi de parler de lui comme d’ « un homme du oui et de l’adhésion à la liberté, à l’amour sublime, au merveilleux, à l’amitié ». Péret, nous dit-il, a aussi « magistralement établit l’analogie entre la démarche poétique et la pensée mythique ». Christophe Dauphin rappelle que Benjamin Péret est définitivement vivant quand bien des prétendus poètes d’aujourd’hui sont déjà morts. En 1945, il tenait ces propos, à la fois réalistes et visionnaires, dans Le déshonneur des poètes.
« Les ennemis de la poésie ont eu de tout temps l’obsession de la soumettre à leurs fins immédiates, de l’écraser sous leur dieu ou, maintenant, de l’enchaîner au ban de la nouvelle divinité brune ou « rouge » – rouge-brun de sang séché – plus sanglante encore que l’ancienne. Pour eux, la vie et la culture se résument en utile et inutile, étant sous-entendu que l’utile prend la forme d’une pioche maniée à leur bénéfice. Pour eux, la poésie n’est que le luxe du riche, aristocrate ou banquier, et si elle veut se rendre « utile » à la masse, elle doit se résigner au sort des arts « appliqués », « décoratifs », « ménagers », etc. »
Benjamin Péret est plus que jamais précieux dans un monde ou la compromission, la trahison et la falsification sont la norme.
A travers le temps et l’espace
Attendre sous le vent et la neige des astres
la venue d’une fleur indécente sur mon front décoloré
comme un paysage déserté par les oiseaux appelés soupirs du sage
et qui volent dans le sens de l’amour
voilà mon sort
voilà ma vie
Vie que la nature a fait pleine de plumes
et de poisons d’enfants
je suis ton humble serviteur
Je suis ton humble serviteur et je mords les herbes des nuages
que tu me tends sur un coussin qui
comme une cuisse immortelle
conserve sa chaleur première et provoque le désir
que n’apaiseront jamais
ni la flamme issue d’un monstre inconsistant
ni le sang de la déesse
voluptueuse malgré la stérilité d’oiseau des marécages intérieurs"
Rémi BOYER (in incoherism.wordpress. com, 1er mai 2016).
*
"Je me demande toujours si je dois considére Les Hommes sans Epaules (ici, le numéro 41), comme un livre ou une revue. presque 200 pages pour Benjamin Péret et 30 pour Annie Le Brun, me font hésiter, mais tout de même et comme d'habitude, Christophe Dauphin me fait pencher vers le livre. En particulier pour Péret, si curieusement discret et souvent mal défini, même si son surréalisme est sans doute aucun, un des plus complets et plus authentiques de tous les membres et souvent tellement plus connus des groupes internationaux. Par ses voyages et ses étonnantes originalités, il se démarque fortement des autres tentations explicatives, si nombreuses et si souvent contradictoires sous le même nom de surréalistes, comme de Dada et tant de noms d'avant-gardes, valables ou non, Péret reste un modèle par l'abondance de sa production et sa qualité d'écriture et de pensée (au grand pluriel), mais plus encore de son inventivité. Dauphin ne s'y trompent à aucun moment et le lecteur a intérêt à parcourir avec lui cette oeuvre que je commence à préférer parfois aux autres icones groupées autour de l'éternel André Breton. J'ai découvert Annie Le Brun, que je ne connaissais pas encore, et admire sans réserve tout ce qu'elle rend magique dans ce portrait en apparence si simple. même après cet Homme sans Epaules, j'ai le sentiment de n'avoir pas encore lu Péret."
Paul VAN MELLE (in revue Inédit Nouveau n°279, avril 2016).
*
" Le dossier majeur de la revue de Christophe Dauphin (une centaine de pages sur les plus de 300 de l’ensemble) est consacré à Benjamin Péret (1899-1959). Opposant-né, anticlérical, antimilitariste, adversaire du nationalisme, Péret ne s’est jamais départi de ses opinions profondes tout au long de sa vie. C’est en 1920 qu’il rencontre Breton et les dadaïstes ; il demeurera un fervent adepte de l’écriture automatique et plus largement défendra la liberté sous toutes ses formes. Certains de ses articles assez virulents et prises de position lui vaudront pas mal d’inimitiés durables. Il passera en trois périodes une dizaine d’années soit au Brésil, soit aux Mexique. Où son penchant pour le trotskysme prendra racine ainsi que son intérêt pour les religions africaines. Il sera correcteur pour les Journaux Officiels, rejoindra les anarchistes de la « colonne Durutti » en Espagne, en 36, et sera emprisonné trois semaines à Rennes, en mai 1940. Durant la guerre, il passe par Marseille, avant de rejoindre le Mexique, est fasciné par la civilisation maya. Il travaille vingt ans sur l’Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique. 1945, c’est le scandale du Déshonneur des poètes qui répond à Honneur des poètes (Aragon, Éluard, Seghers, Tardieu, Frénaud, Ponge…). Où Péret fustige cette poésie proche de la propagande, en dénonçant « la récupération du poétique par le politique ». Cette polémique violente va l’isoler. Il aura du mal à éditer Le Gigot, sa vie, son œuvre que Losfeld accepta où il fait montre de ses dons de conteur. Octavio Paz parle en résumé d’une des œuvres les plus originales et sauvages de notre époque. Suit un texte de Jean-Clarence Lambert, un voisin, qui met en perspective Péret, Paz et le Mexique, et je retiens dans son préambule cette comparaison assez juste entre Péret et Breton entre le naturel de l’un et le côté plus emprunté et cérémonieux de l’autre. Une anthologie d’une vingtaine de pages pour clore.
Je voudrais te parler cristal fêlé hurlant comme un chien dans une nuit de draps battants… "
Jacques MORIN ( cf. "Repérage" in dechargelarevue.com, 17 août 2016.)
|
Lectures
"Cette nouvelle livraison, essentiellement consacrée à la poésie, est d'une richesse exceptionnelle. Dans son éditorial, Le Passager du Transatlantique, Christophe Dauphin rend un hommage chaleureux à Benjamin Péret dont il souligne le parcours singulier, celui d'un poète qui n'a jamais songé à faire carrière dans la littérature. Il cite, pour souligner son propos, Sarane Alexandrian: "Quand on considère ce que sont devenus dans leur vieillesse tant de matamores qui entrèrent dans les lettres le défi aux lèvres, le regard hautain, on s'incline bien bas devant Péret. Il n'a pas un instant fait de concessions pour s'attirer les honneurs que méritait son génie. Pauvre, vivotant de son métier de correcteur, il a gardé jusqu'au bout la vertu réfractaire de sa jeunesse... Libre comme le rossignol, mélodieux comme lui, menacé comme lui par la cohorte bruyante des ânes, il n'a cessé de faire entendre le chant qui lui était naturel." Le travail de l'association des amis de Benjamin Péret y est salué, une fois n'est pas coutume, depuis l'édition des Oeuvres complètes jusqu'à l'apport nouveau des Cahiers Benjamin Péret.
Benjamin Péret occupe le coeur de ce numéro avec un volumineux dossier de plus de quatre-vingt pages intitulé: La Parole est toujours à Benjmain Péret. Ce dossier, parfaitement documenté et maîtrisé, par Christophe Dauphin, dit l'essentiel. Il est complété d'un article de Jean-Clarence Lambert sur les liens et affinités entre Benjamin Péret, Octavio Paz et le Mexique. Octavio Paz savait ce que fut l'exceptionnelle amitié entre Péret et Breton, une complicité intellectuelle reposant sur "la recherche d'une vie qui concilie poésie et révolution". Le choix des extraits de l'oeuvre de Péret qui a été fait dans Les HSE en est l'illustration.
on trouverea également dans ce numéro plusieurs dossiers sur Annie Le Brun par Karel Hadek et sur Jehan Mayoux avec une présentation de César Birène: "Jehan Mayoux, le poète insoumis", suivi d'un choix de poèmes par Hervé Delabarre. Parmi les "portraits éclairs" figurent également Lionel Ray et Fabrice Maze."
Gérard ROCHE (in Cahiers Benjamin Péret n°5, septembre 2016).
*
" Le dossier de ce beau numéro est consacré à Benjamin Péret. Dans son éditorial, intitulé « Le passager du Transatlantique », Christophe Dauphin explique ce choix :
« Les poètes ont toujours été et sont toujours de ce monde, mais ils sont rares, ceux qui, de la trempe de Benjamin Péret, demeurent toujours et définitivement à l’avant-garde du Feu poétique. Et pourtant, si le Passager du Transatlantique n’a jamais cessé d’être à flot, ce fut trop souvent sur un océan d’ombre, que n’emprunte qu’une minorité, certes, mais active et éclairée. Ce constat a motivé l’écriture du dossier central de ce numéro des HSE. Avec Péret, nous ne sommes jamais dans l’histoire de la littérature, tellement ce poète est actuel – et surtout en ces temps d’assassins et du médiocre dans lesquels nous vivons -, mais dans la vie. Comment alors expliquer l’audience confidentielle de son œuvre ? »
Si la France a, depuis des décennies, du mal avec la poésie en général et les poètes en particulier qui, souvent, obligent à penser dans un monde qui a vu, avec les soi-disant nouveaux philosophes des années 60-70, l’opinion remplacer la pensée et le savoir. Benjamin Péret, un anticonformiste cher à Sarane Alexandrian, n’a jamais fait la moindre concession à la mondanité.
L’œuvre, toujours injustement méconnue de Benjamin Péret, est immense, aux poèmes s’ajoutent des contes, des écrits politiques, des écrits ethnologiques, des écrits critiques sur le cinématographe et les arts plastiques, sur le surréalisme, la littérature, sans compter les entretiens. Une œuvre éditée aujourd’hui en sept volumes sous le titre Œuvres complètes grâce à l’association des amis de Benjamin Péret.
Son œuvre, toujours aussi actuelle, dérange et secoue. Elle réveille. Benjamin Péret qui poussera de manière exemplaire la pratique de l’écriture automatique dans ses retranchements soulève l’hostilité et l’incompréhension dès la fin des années 1920, notamment de la N.R.F., incompréhension qui demeure.
Voici pourtant ce qu’en dit André Rolland de Renéville en 1939 :
« L’écriture automatique apparaît en harmonie avec le tempérament de Péret, au point qu’il semble que notre poète n’eût pas écrit si le surréalisme n’avait pas été découvert. Benjamin Péret ne conserve de notre langage que la construction syntaxique, l’allure et le ton. Les mots lui deviennent des signes. Il leur redonne un sens absolument libre, dégagé des objets qu’il désigne. De nouveaux objets semblent naître de ces moules dont le contenu nous était imposé par l’usage. Et le miracle est que ces réalités nous les comprenons, tandis que nous traverse l’immense éclat de rire d’un être que nulle contrainte ne retient plus de se lancer à travers notre flore et notre faune urbaines, comme s’il s’agissait pour lui de celles d’une contrée primordiale, ouverte à ses instincts. Il suffit de lire au hasard l’un de ses plus beaux poèmes pour y trouver l’exemple d’une conscience qui décide d’accepter sans y introduire de contrôle, la succession des idées qui se présentent à elle par le mécanisme de leur libre association. Péret annihile la distance entre l’homme et l’objet, entre l’espace et le temps, entre le réel et le rêve : Sois la vague et le bourreau la lance et l’orée – et que l’orée soit l’étincelle qui va du cou de l’amante à – celui de l’amant – et que se perde la lance dans la cervelle du temps – et que la vague porte la poutre – et que la poutre soit une hirondelle – blanche et rouge comme mon CŒUR et ma peur. »
Christophe Dauphin note que si Benjamin Péret, ce « surréaliste par excellence », « est presque toujours qualifié d’opposant-né », il convient aussi de parler de lui comme d’ « un homme du oui et de l’adhésion à la liberté, à l’amour sublime, au merveilleux, à l’amitié ». Péret, nous dit-il, a aussi « magistralement établit l’analogie entre la démarche poétique et la pensée mythique ». Christophe Dauphin rappelle que Benjamin Péret est définitivement vivant quand bien des prétendus poètes d’aujourd’hui sont déjà morts. En 1945, il tenait ces propos, à la fois réalistes et visionnaires, dans Le déshonneur des poètes.
« Les ennemis de la poésie ont eu de tout temps l’obsession de la soumettre à leurs fins immédiates, de l’écraser sous leur dieu ou, maintenant, de l’enchaîner au ban de la nouvelle divinité brune ou « rouge » – rouge-brun de sang séché – plus sanglante encore que l’ancienne. Pour eux, la vie et la culture se résument en utile et inutile, étant sous-entendu que l’utile prend la forme d’une pioche maniée à leur bénéfice. Pour eux, la poésie n’est que le luxe du riche, aristocrate ou banquier, et si elle veut se rendre « utile » à la masse, elle doit se résigner au sort des arts « appliqués », « décoratifs », « ménagers », etc. »
Benjamin Péret est plus que jamais précieux dans un monde ou la compromission, la trahison et la falsification sont la norme.
A travers le temps et l’espace
Attendre sous le vent et la neige des astres
la venue d’une fleur indécente sur mon front décoloré
comme un paysage déserté par les oiseaux appelés soupirs du sage
et qui volent dans le sens de l’amour
voilà mon sort
voilà ma vie
Vie que la nature a fait pleine de plumes
et de poisons d’enfants
je suis ton humble serviteur
Je suis ton humble serviteur et je mords les herbes des nuages
que tu me tends sur un coussin qui
comme une cuisse immortelle
conserve sa chaleur première et provoque le désir
que n’apaiseront jamais
ni la flamme issue d’un monstre inconsistant
ni le sang de la déesse
voluptueuse malgré la stérilité d’oiseau des marécages intérieurs"
Rémi BOYER (in incoherism.wordpress. com, 1er mai 2016).
*
"Je me demande toujours si je dois considére Les Hommes sans Epaules (ici, le numéro 41), comme un livre ou une revue. presque 200 pages pour Benjamin Péret et 30 pour Annie Le Brun, me font hésiter, mais tout de même et comme d'habitude, Christophe Dauphin me fait pencher vers le livre. En particulier pour Péret, si curieusement discret et souvent mal défini, même si son surréalisme est sans doute aucun, un des plus complets et plus authentiques de tous les membres et souvent tellement plus connus des groupes internationaux. Par ses voyages et ses étonnantes originalités, il se démarque fortement des autres tentations explicatives, si nombreuses et si souvent contradictoires sous le même nom de surréalistes, comme de Dada et tant de noms d'avant-gardes, valables ou non, Péret reste un modèle par l'abondance de sa production et sa qualité d'écriture et de pensée (au grand pluriel), mais plus encore de son inventivité. Dauphin ne s'y trompent à aucun moment et le lecteur a intérêt à parcourir avec lui cette oeuvre que je commence à préférer parfois aux autres icones groupées autour de l'éternel André Breton. J'ai découvert Annie Le Brun, que je ne connaissais pas encore, et admire sans réserve tout ce qu'elle rend magique dans ce portrait en apparence si simple. même après cet Homme sans Epaules, j'ai le sentiment de n'avoir pas encore lu Péret."
Paul VAN MELLE (in revue Inédit Nouveau n°279, avril 2016).
*
" Le dossier majeur de la revue de Christophe Dauphin (une centaine de pages sur les plus de 300 de l’ensemble) est consacré à Benjamin Péret (1899-1959). Opposant-né, anticlérical, antimilitariste, adversaire du nationalisme, Péret ne s’est jamais départi de ses opinions profondes tout au long de sa vie. C’est en 1920 qu’il rencontre Breton et les dadaïstes ; il demeurera un fervent adepte de l’écriture automatique et plus largement défendra la liberté sous toutes ses formes. Certains de ses articles assez virulents et prises de position lui vaudront pas mal d’inimitiés durables. Il passera en trois périodes une dizaine d’années soit au Brésil, soit aux Mexique. Où son penchant pour le trotskysme prendra racine ainsi que son intérêt pour les religions africaines. Il sera correcteur pour les Journaux Officiels, rejoindra les anarchistes de la « colonne Durutti » en Espagne, en 36, et sera emprisonné trois semaines à Rennes, en mai 1940. Durant la guerre, il passe par Marseille, avant de rejoindre le Mexique, est fasciné par la civilisation maya. Il travaille vingt ans sur l’Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique. 1945, c’est le scandale du Déshonneur des poètes qui répond à Honneur des poètes (Aragon, Éluard, Seghers, Tardieu, Frénaud, Ponge…). Où Péret fustige cette poésie proche de la propagande, en dénonçant « la récupération du poétique par le politique ». Cette polémique violente va l’isoler. Il aura du mal à éditer Le Gigot, sa vie, son œuvre que Losfeld accepta où il fait montre de ses dons de conteur. Octavio Paz parle en résumé d’une des œuvres les plus originales et sauvages de notre époque. Suit un texte de Jean-Clarence Lambert, un voisin, qui met en perspective Péret, Paz et le Mexique, et je retiens dans son préambule cette comparaison assez juste entre Péret et Breton entre le naturel de l’un et le côté plus emprunté et cérémonieux de l’autre. Une anthologie d’une vingtaine de pages pour clore.
Je voudrais te parler cristal fêlé hurlant comme un chien dans une nuit de draps battants… "
Jacques MORIN ( cf. "Repérage" in dechargelarevue.com, 17 août 2016.)
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Lectures
"Cette nouvelle livraison, essentiellement consacrée à la poésie, est d'une richesse exceptionnelle. Dans son éditorial, Le Passager du Transatlantique, Christophe Dauphin rend un hommage chaleureux à Benjamin Péret dont il souligne le parcours singulier, celui d'un poète qui n'a jamais songé à faire carrière dans la littérature. Il cite, pour souligner son propos, Sarane Alexandrian: "Quand on considère ce que sont devenus dans leur vieillesse tant de matamores qui entrèrent dans les lettres le défi aux lèvres, le regard hautain, on s'incline bien bas devant Péret. Il n'a pas un instant fait de concessions pour s'attirer les honneurs que méritait son génie. Pauvre, vivotant de son métier de correcteur, il a gardé jusqu'au bout la vertu réfractaire de sa jeunesse... Libre comme le rossignol, mélodieux comme lui, menacé comme lui par la cohorte bruyante des ânes, il n'a cessé de faire entendre le chant qui lui était naturel." Le travail de l'association des amis de Benjamin Péret y est salué, une fois n'est pas coutume, depuis l'édition des Oeuvres complètes jusqu'à l'apport nouveau des Cahiers Benjamin Péret.
Benjamin Péret occupe le coeur de ce numéro avec un volumineux dossier de plus de quatre-vingt pages intitulé: La Parole est toujours à Benjmain Péret. Ce dossier, parfaitement documenté et maîtrisé, par Christophe Dauphin, dit l'essentiel. Il est complété d'un article de Jean-Clarence Lambert sur les liens et affinités entre Benjamin Péret, Octavio Paz et le Mexique. Octavio Paz savait ce que fut l'exceptionnelle amitié entre Péret et Breton, une complicité intellectuelle reposant sur "la recherche d'une vie qui concilie poésie et révolution". Le choix des extraits de l'oeuvre de Péret qui a été fait dans Les HSE en est l'illustration.
on trouverea également dans ce numéro plusieurs dossiers sur Annie Le Brun par Karel Hadek et sur Jehan Mayoux avec une présentation de César Birène: "Jehan Mayoux, le poète insoumis", suivi d'un choix de poèmes par Hervé Delabarre. Parmi les "portraits éclairs" figurent également Lionel Ray et Fabrice Maze."
Gérard ROCHE (in Cahiers Benjamin Péret n°5, septembre 2016).
*
" Le dossier de ce beau numéro est consacré à Benjamin Péret. Dans son éditorial, intitulé « Le passager du Transatlantique », Christophe Dauphin explique ce choix :
« Les poètes ont toujours été et sont toujours de ce monde, mais ils sont rares, ceux qui, de la trempe de Benjamin Péret, demeurent toujours et définitivement à l’avant-garde du Feu poétique. Et pourtant, si le Passager du Transatlantique n’a jamais cessé d’être à flot, ce fut trop souvent sur un océan d’ombre, que n’emprunte qu’une minorité, certes, mais active et éclairée. Ce constat a motivé l’écriture du dossier central de ce numéro des HSE. Avec Péret, nous ne sommes jamais dans l’histoire de la littérature, tellement ce poète est actuel – et surtout en ces temps d’assassins et du médiocre dans lesquels nous vivons -, mais dans la vie. Comment alors expliquer l’audience confidentielle de son œuvre ? »
Si la France a, depuis des décennies, du mal avec la poésie en général et les poètes en particulier qui, souvent, obligent à penser dans un monde qui a vu, avec les soi-disant nouveaux philosophes des années 60-70, l’opinion remplacer la pensée et le savoir. Benjamin Péret, un anticonformiste cher à Sarane Alexandrian, n’a jamais fait la moindre concession à la mondanité.
L’œuvre, toujours injustement méconnue de Benjamin Péret, est immense, aux poèmes s’ajoutent des contes, des écrits politiques, des écrits ethnologiques, des écrits critiques sur le cinématographe et les arts plastiques, sur le surréalisme, la littérature, sans compter les entretiens. Une œuvre éditée aujourd’hui en sept volumes sous le titre Œuvres complètes grâce à l’association des amis de Benjamin Péret.
Son œuvre, toujours aussi actuelle, dérange et secoue. Elle réveille. Benjamin Péret qui poussera de manière exemplaire la pratique de l’écriture automatique dans ses retranchements soulève l’hostilité et l’incompréhension dès la fin des années 1920, notamment de la N.R.F., incompréhension qui demeure.
Voici pourtant ce qu’en dit André Rolland de Renéville en 1939 :
« L’écriture automatique apparaît en harmonie avec le tempérament de Péret, au point qu’il semble que notre poète n’eût pas écrit si le surréalisme n’avait pas été découvert. Benjamin Péret ne conserve de notre langage que la construction syntaxique, l’allure et le ton. Les mots lui deviennent des signes. Il leur redonne un sens absolument libre, dégagé des objets qu’il désigne. De nouveaux objets semblent naître de ces moules dont le contenu nous était imposé par l’usage. Et le miracle est que ces réalités nous les comprenons, tandis que nous traverse l’immense éclat de rire d’un être que nulle contrainte ne retient plus de se lancer à travers notre flore et notre faune urbaines, comme s’il s’agissait pour lui de celles d’une contrée primordiale, ouverte à ses instincts. Il suffit de lire au hasard l’un de ses plus beaux poèmes pour y trouver l’exemple d’une conscience qui décide d’accepter sans y introduire de contrôle, la succession des idées qui se présentent à elle par le mécanisme de leur libre association. Péret annihile la distance entre l’homme et l’objet, entre l’espace et le temps, entre le réel et le rêve : Sois la vague et le bourreau la lance et l’orée – et que l’orée soit l’étincelle qui va du cou de l’amante à – celui de l’amant – et que se perde la lance dans la cervelle du temps – et que la vague porte la poutre – et que la poutre soit une hirondelle – blanche et rouge comme mon CŒUR et ma peur. »
Christophe Dauphin note que si Benjamin Péret, ce « surréaliste par excellence », « est presque toujours qualifié d’opposant-né », il convient aussi de parler de lui comme d’ « un homme du oui et de l’adhésion à la liberté, à l’amour sublime, au merveilleux, à l’amitié ». Péret, nous dit-il, a aussi « magistralement établit l’analogie entre la démarche poétique et la pensée mythique ». Christophe Dauphin rappelle que Benjamin Péret est définitivement vivant quand bien des prétendus poètes d’aujourd’hui sont déjà morts. En 1945, il tenait ces propos, à la fois réalistes et visionnaires, dans Le déshonneur des poètes.
« Les ennemis de la poésie ont eu de tout temps l’obsession de la soumettre à leurs fins immédiates, de l’écraser sous leur dieu ou, maintenant, de l’enchaîner au ban de la nouvelle divinité brune ou « rouge » – rouge-brun de sang séché – plus sanglante encore que l’ancienne. Pour eux, la vie et la culture se résument en utile et inutile, étant sous-entendu que l’utile prend la forme d’une pioche maniée à leur bénéfice. Pour eux, la poésie n’est que le luxe du riche, aristocrate ou banquier, et si elle veut se rendre « utile » à la masse, elle doit se résigner au sort des arts « appliqués », « décoratifs », « ménagers », etc. »
Benjamin Péret est plus que jamais précieux dans un monde ou la compromission, la trahison et la falsification sont la norme.
A travers le temps et l’espace
Attendre sous le vent et la neige des astres
la venue d’une fleur indécente sur mon front décoloré
comme un paysage déserté par les oiseaux appelés soupirs du sage
et qui volent dans le sens de l’amour
voilà mon sort
voilà ma vie
Vie que la nature a fait pleine de plumes
et de poisons d’enfants
je suis ton humble serviteur
Je suis ton humble serviteur et je mords les herbes des nuages
que tu me tends sur un coussin qui
comme une cuisse immortelle
conserve sa chaleur première et provoque le désir
que n’apaiseront jamais
ni la flamme issue d’un monstre inconsistant
ni le sang de la déesse
voluptueuse malgré la stérilité d’oiseau des marécages intérieurs"
Rémi BOYER (in incoherism.wordpress. com, 1er mai 2016).
*
"Je me demande toujours si je dois considére Les Hommes sans Epaules (ici, le numéro 41), comme un livre ou une revue. presque 200 pages pour Benjamin Péret et 30 pour Annie Le Brun, me font hésiter, mais tout de même et comme d'habitude, Christophe Dauphin me fait pencher vers le livre. En particulier pour Péret, si curieusement discret et souvent mal défini, même si son surréalisme est sans doute aucun, un des plus complets et plus authentiques de tous les membres et souvent tellement plus connus des groupes internationaux. Par ses voyages et ses étonnantes originalités, il se démarque fortement des autres tentations explicatives, si nombreuses et si souvent contradictoires sous le même nom de surréalistes, comme de Dada et tant de noms d'avant-gardes, valables ou non, Péret reste un modèle par l'abondance de sa production et sa qualité d'écriture et de pensée (au grand pluriel), mais plus encore de son inventivité. Dauphin ne s'y trompent à aucun moment et le lecteur a intérêt à parcourir avec lui cette oeuvre que je commence à préférer parfois aux autres icones groupées autour de l'éternel André Breton. J'ai découvert Annie Le Brun, que je ne connaissais pas encore, et admire sans réserve tout ce qu'elle rend magique dans ce portrait en apparence si simple. même après cet Homme sans Epaules, j'ai le sentiment de n'avoir pas encore lu Péret."
Paul VAN MELLE (in revue Inédit Nouveau n°279, avril 2016).
*
" Le dossier majeur de la revue de Christophe Dauphin (une centaine de pages sur les plus de 300 de l’ensemble) est consacré à Benjamin Péret (1899-1959). Opposant-né, anticlérical, antimilitariste, adversaire du nationalisme, Péret ne s’est jamais départi de ses opinions profondes tout au long de sa vie. C’est en 1920 qu’il rencontre Breton et les dadaïstes ; il demeurera un fervent adepte de l’écriture automatique et plus largement défendra la liberté sous toutes ses formes. Certains de ses articles assez virulents et prises de position lui vaudront pas mal d’inimitiés durables. Il passera en trois périodes une dizaine d’années soit au Brésil, soit aux Mexique. Où son penchant pour le trotskysme prendra racine ainsi que son intérêt pour les religions africaines. Il sera correcteur pour les Journaux Officiels, rejoindra les anarchistes de la « colonne Durutti » en Espagne, en 36, et sera emprisonné trois semaines à Rennes, en mai 1940. Durant la guerre, il passe par Marseille, avant de rejoindre le Mexique, est fasciné par la civilisation maya. Il travaille vingt ans sur l’Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique. 1945, c’est le scandale du Déshonneur des poètes qui répond à Honneur des poètes (Aragon, Éluard, Seghers, Tardieu, Frénaud, Ponge…). Où Péret fustige cette poésie proche de la propagande, en dénonçant « la récupération du poétique par le politique ». Cette polémique violente va l’isoler. Il aura du mal à éditer Le Gigot, sa vie, son œuvre que Losfeld accepta où il fait montre de ses dons de conteur. Octavio Paz parle en résumé d’une des œuvres les plus originales et sauvages de notre époque. Suit un texte de Jean-Clarence Lambert, un voisin, qui met en perspective Péret, Paz et le Mexique, et je retiens dans son préambule cette comparaison assez juste entre Péret et Breton entre le naturel de l’un et le côté plus emprunté et cérémonieux de l’autre. Une anthologie d’une vingtaine de pages pour clore.
Je voudrais te parler cristal fêlé hurlant comme un chien dans une nuit de draps battants… "
Jacques MORIN ( cf. "Repérage" in dechargelarevue.com, 17 août 2016.)
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