Tri par numéro de revue
|
Tri par date
|
Page : <1 2 3 4 5 6 7 8 >
|
|
|
Critiques :
« Comme d’habitude, avec les HSE, tout le monde est sûr d’en avoir pour son argent. En effet, en plus de 300 pages bien garnies, l’on y trouve de quoi alimenter sa faim et sa soif de bonne poésie. Avec un découpage en 5 ou 6 volets, cette revue allie rigueur et cohérence.
L’on va de découverte (la poésie brésilienne) en redécouverte (Philip Lamantia ou Breyten Breytenbach) et de surprise (Thomas Demoulin) en confirmation (Frédéric Tison).
Mais cette première approche d’un sommaire étourdissant nous semble injuste envers tous les auteurs et auteures qu’il faudrait évoquer. Gardons-nous d’oublier l’émouvante présentation de Madeleine Riffaud.
À plus de 95 ans, elle a impressionné Christophe Dauphin lors de ce qui fut sans doute son dernier entretien qu’elle concluait ainsi : « Les jeunes doivent recouvrer l’espoir, rien n’est écrit d’avance. » Ces mots prennent une sacrée résonnance avec l’actuelle pandémie mondiale. »
Georges CATHALO (cf. « Intercalaires » n°5 in dechargelarevue.com, avril 2020).
*
Le numéro de printemps des Hommes sans Épaules rappelle les angoisses et les urgences du monde contemporain, la nécessité de penser le réel avec les poètes, affirmant le rôle central de leur travail dans les liens que nous inventons avec notre environnement, une manière de résistance positive et dynamique, porté par la manière d’aborder l’état poétique que propose René Depestre dans son introduction, témoignage entremêlé de manifeste et d’autobiographie. Il y affirme que « l’état poétique est le seul promontoire connu d’où par n’importe quel temps du jour ou de la nuit l’on découvre à l’œil nu la côte nord de la tendresse », qu’il « s’épanouit à des années-lumière des états de siège et d’alerte ».
On entre dans le vif d’une disposition poétique face aux désordres du monde, aux inquiétudes qui nous accablent. On se place du côté d’une poésie qui dit la vie, y agit, y existe. Depestre écrit, avec un lyrisme assumé, qu’est « rageusement poète l’homme ou la femme que consume la passion de déplacer sans cesse les bornes que l’on impose à la parole, qui se tient debout, sans un mouvement, au milieu des éléments déchaînés, de la terre : ni l’électricité du ciel, ni celle de l’ordre social ne peuvent brûler les ailes de l’être en état de poésie avec le monde ! » La poésie se doit d’être dans le monde, d’y prendre part, de résister à l’état ambiant des sociétés contemporaines.

Mário de Andrade par Lasar Segall, 1927
Le poète dit le monde, y intervient, y fait naître une langue. C’est cette inscription dans le réel, dans l’histoire, dans un état du langage qui se déploie dans tout ce numéro des Hommes sans Épaules. En proposant un impressionnant dossier sur les poètes brésiliens, son équipe s’emploie à raconter une histoire – esthétique, politique, nationale… – et à faire entendre des voix méconnues. Il s’inscrit dans une perspective ouvertement politique et militante (à l’instar du numéro consacré au Chili), comme pour réagir à la situation de ce pays dont la situation sociale, la démagogie du pouvoir, le basculement vers une droite fascisante et brutale. Ouvert par une rencontre avec Dilma Rousseff, l’ancienne présidente et proche de Lula, le dossier raconte un siècle de poésie, y pose des jalons, des étapes. On traverse un immense panorama langagier. On perçoit bien les ruptures successives qui, du modernisme (lire le très bon numéro 599 d’Europe de 1979) porté par Mário de Andrade, Paulo Menotti del Picchia et Oswald de Andrade jusqu’aux mouvements du début du XXIe siècle, en passant par les postmodernistes et la Génération 45, font évoluer une poésie qui lutte avec sa propre langue et ses héritages compliqués.

Tarsila do Amaral (détail)
Ce panorama synthétique très clair permet d’avoir une vision globale du paysage poétique brésilien, qui s’enrichit d’une réflexion sur les relations entre les mondes franco- et lusophones. René Depestre raconte sa découverte d’une littérature et de grands écrivains. Il confie ses rencontres avec Jorge Amado, la révélation de « l’œuvre cathédrale » de Guimaraes Rosa (dont il faut absolument lire Diadorim et Mon oncle le jaguar), les connivences avec les démarches des écrivains antillais (on pense beaucoup à Glissant bien sûr) et replace ces lectures dans les mouvements esthétiques qui bouleversent le continent sud-américain. Dans ce numéro, en découvrant les travaux photographiques de Sebastião Salgado ou les œuvres d’artistes musicaux, on reconnaît des liens insoupçonnés entre nos espaces culturels. Mais surtout on y lit des poètes récents, dans la traditionnelle anthologie poétique (avec beaucoup d’inédits) que proposent Oleg Almeida et Philippe Monneveux. On lira ainsi des poètes majeurs depuis les deux Andrade jusqu’à Antonio Miranda, en passant par Hilda Hist, y entendant à la fois une diversité formelle et des urgences communes. Lire ce dossier très complet fait découvrir des voix, des positions esthétiques, des figures essentielles, une communauté de poètes qui luttent « pour établir un langage propre cherchant à intégrer les traditions indigènes, africaines et européennes. »
Ce 49e numéro des Hommes sans Épaules met en avant deux autres poètes qui eux aussi luttent avec le réel par les moyens de la poésie. D’un côté on redécouvre le poète surréaliste américain très attachant, Philip Lamantia, qu’André Breton mettait en avant en 1943 dans la revue VVV, proche du groupe de Chicago, dont on pourra lire plusieurs inédits traduits Cédric Barnaud. Ainsi :
Les gens marchent comme dans un rêve éveillé
Et travaillent dans un ordre terrifiant
Sous le chaos que leur corps rejette

Breyten Breytenbach en 1983, par Rob Croes
Quels échos avec notre situation stupéfiante de confinés ! Notre place dans le monde est inévidente, nous rappellent ces poèmes. On déambule dans le réel, en quête d’une place, d’un terrain, d’une perspective. Ainsi on pourra retenir, c’est une excellente chose, les poèmes du grand écrivain sud-africain quelque peu éclipsé, Breyten Breytenbach. Engagé aux côté de l’ANC, il lance le mouvement clandestin Okhela – le manifeste paraîtra dans Les Temps Modernes en 1984–, s’exile, lutte. Son œuvre, écrite en afrikaans et en anglais, exprime comme aucune la fragmentation d’une société et d’une culture qui, comme au Brésil, travaille sa propre histoire, ses propres mélanges. Il le rappelle bien lorsqu’il dit que « ce que l’on véhicule à travers les poèmes est très intime, de l’ordre de l’exorcisme, de l’incantation ». N’est-ce pas ce à quoi il faut penser aujourd’hui, à la manière dont le poème, les poètes, nous font repenser notre place, nos héritages, nos liens politiques et esthétiques, la manière dont ils nous offrent une épaisseur existentielle, un état poétique vital ?
Hugo PRADELLE (in "Au fil des livraisons", www.entrevues.org, 6 mai 2020).
*
La revue semestrielle est si copieuse (354 p. !) que c’est toujours un crève-cœur de ne pouvoir en présenter que quelques aspects.
Présenté par Philippe Monneveux et Oleg Almeida, le principal dossier fait un état des lieux exhaustif de la poésie brésilienne, largement méconnue, pendant la période qui va « des modernistes à nos jours ». On y découvre comment la poésie brésilienne, après avoir rompu avec les influences académiques du Portugal et d’Europe, a renoué avec ses origines africaines et intégré les traditions ancestrales de ses peuples autochtones. Elle est aujourd’hui plurielle et comprend de plus en plus de voix féminines.
Le poète carabéen René Depestre évoque sa découverte du Brésil. Sebastião Salgado rappelle l’importance de l’Amazonie pour notre survie. Christophe Dauphin, par l’évocation de Dilma Rousseff, présidente du Brésil de 2011 à 2016, apporte des éléments sur la situation politique présente. Des textes de 34 poètes traduits du portugais par Oleg Almeida illustrent ce dossier.
Marie-Josée Christien (revue Spered Gouez / l'esprit sauvage n°26, 2020).
*
Et la porte est verrouillée – J’ai les menottes dans le dos… – Ils sont dehors mes frères de guerre – dans le soleil et dans le vent – Et si je pleure – je pleure souvent – C’est qu’ici je ne puis rien faire : Madeleine Riffaud, pour ouvrir la note concernant le n°49 des Hommes sans Épaules. Un numéro tout de révolte et de résistance. Madeleine Riffaud est une sacrée bonne femme : dans l’action armée dès 1944 sous le pseudonyme de Rainer en hommage à Rainer Maria Rilke, emprisonnée, torturée ; journaliste, elle couvre la guerre d’Indochine ; elle milite contre la guerre d’Algérie.
C’est aussi sous cet angle, révolte et résistance, qu’est placé le dossier Poésie brésilienne (270 pages, piloté par Philippe Monneveux et Oleg Almeida). Il s’ouvre avec un entretien très politique de Christophe Dauphin avec Dilma Roussef, amie de Lula, Présidente du Brésil destituée lors d’un procès « truquée » par l’actuel Bolsonaro. Suivent les textes militants du photographe Sebastiao Salgado (la destruction de l’Amazonie), et de l’haïtien René Depestre (la fraternité Caraïbe). La poésie brésilienne est jeune. Elle est née contemporaine (avant, elle est coloniale), moderne (moderniste). La partie anthologique regroupe 34 poètes contemporains. Elle est généreuse et forcément aussi diverse qu’est le peuple du Brésil : Vinicius de Moraes : Ma patrie est comme si elle était de nulle part – une grâce intime, une envie de pleurer, un enfant endormi – c’est ainsi qu’elle est ma patrie… - Je sais qu’elle est cette lumière et ce sel et amers… Cecilia Mireles : Je chante puisque l’instant existe – puisque la vie est complète – Je ne suis ni joyeux ni triste – Je suis poète… - Je ne sais qu’une chose : en chantant – je fais perdurer mon transport…
Dans ce numéro 49 des Hommes sans Épaules encore : les présentations et des poèmes de Philip Lamantia, Breyten Breytenbach, des poèmes de Philippe Monneveux, Alain Breton, Christophe Dauphin… et le soutien du même Christophe Dauphin aux Gilets Jaunes.
Christian DEGOUTTE (in revue Verso n°181, 2020).
*
La revue Les Hommes sans Épaules est si copieuse (354 pages, pour ce numéro 49 !), que c’est toujours un crève-cœur de ne pouvoir en présenter que quelques aspects. Présenté par Philippe Monneveux et Oleg Almeida, le principal dossier fait un état des lieux exhaustif de la poésie brésilienne, largement méconnue, pendant la période qui va « des modernistes à nos jours ». On y découvre comment la poésie brésilienne, après avoir rompu avec les influences académiques du Portugal et d’Europe, a renoué avec ses origines africaines et intégré les traditions ancestrales de ses peuples autochtones. Elle est aujourd’hui plurielle et comprend de plus en plus de voix féminines.
Le poète caraïbéen René Depestre évoque sa découverte du Brésil. Sebastiao Salgado rappelle l’importance de l’Amazonie pour notre survie. Christophe Dauphin, par l’évocation de Dilma Rousseff, présidente du Brésil de 2011 à 2016, apporte des éléments sur la situation politique présente. Des textes de 34 poètes traduits du portugais par Oleg Almeida illustrent ce dossier.
Marie-Josée CHRISTIEN (in revue Spered Gouez n°26, novembre 2020).
*
Après un bel éditorial dû au lyrisme de René Depestre : "Est rageusement poète l'homme ou la femme que consume la la passion de déplacer sans cesse les bornes que l'on impose à la parole". Ce numéro 49 des HSE tient parole en déplaçant les bornes. Quelles richesses et découvertes dans ces 354 pages, où études et poèmes se conjuguent. Philip Lamantia et Breyten Breytenbach, Madeleine Riffaud.... Aurélie Delcros, ... Thomas Demoulin...
Puis vient l'important dossier consacré à la poésie brésilienne, des modernistes à nos jours. photos, essais, témoignages et, bien sûr, une anthologie: "Je chante puisque l'instant existe - puisque ma vie est complète. - Je ne suis ni joyeuse ni triste : - Je suis poète", écrit Cécilia Meireles. Des chants aux rythmes variés que l'on goûte avec plaisir.
Suivent des poèmes, des critiques, des nouvelles de la poésie, hommages aux disaprus ou joies du travail en équipe, en compagnie du maître d'oeuvre Christophe Dauphin.Un riche volume à ranger dans sa bibliothèque, pour y revenir!
Philippe MATHY (in Le Journal des poètes n°1, 2021, 90e année, Namur, Belgique).
|
Critiques :
« Comme d’habitude, avec les HSE, tout le monde est sûr d’en avoir pour son argent. En effet, en plus de 300 pages bien garnies, l’on y trouve de quoi alimenter sa faim et sa soif de bonne poésie. Avec un découpage en 5 ou 6 volets, cette revue allie rigueur et cohérence.
L’on va de découverte (la poésie brésilienne) en redécouverte (Philip Lamantia ou Breyten Breytenbach) et de surprise (Thomas Demoulin) en confirmation (Frédéric Tison).
Mais cette première approche d’un sommaire étourdissant nous semble injuste envers tous les auteurs et auteures qu’il faudrait évoquer. Gardons-nous d’oublier l’émouvante présentation de Madeleine Riffaud.
À plus de 95 ans, elle a impressionné Christophe Dauphin lors de ce qui fut sans doute son dernier entretien qu’elle concluait ainsi : « Les jeunes doivent recouvrer l’espoir, rien n’est écrit d’avance. » Ces mots prennent une sacrée résonnance avec l’actuelle pandémie mondiale. »
Georges CATHALO (cf. « Intercalaires » n°5 in dechargelarevue.com, avril 2020).
*
Le numéro de printemps des Hommes sans Épaules rappelle les angoisses et les urgences du monde contemporain, la nécessité de penser le réel avec les poètes, affirmant le rôle central de leur travail dans les liens que nous inventons avec notre environnement, une manière de résistance positive et dynamique, porté par la manière d’aborder l’état poétique que propose René Depestre dans son introduction, témoignage entremêlé de manifeste et d’autobiographie. Il y affirme que « l’état poétique est le seul promontoire connu d’où par n’importe quel temps du jour ou de la nuit l’on découvre à l’œil nu la côte nord de la tendresse », qu’il « s’épanouit à des années-lumière des états de siège et d’alerte ».
On entre dans le vif d’une disposition poétique face aux désordres du monde, aux inquiétudes qui nous accablent. On se place du côté d’une poésie qui dit la vie, y agit, y existe. Depestre écrit, avec un lyrisme assumé, qu’est « rageusement poète l’homme ou la femme que consume la passion de déplacer sans cesse les bornes que l’on impose à la parole, qui se tient debout, sans un mouvement, au milieu des éléments déchaînés, de la terre : ni l’électricité du ciel, ni celle de l’ordre social ne peuvent brûler les ailes de l’être en état de poésie avec le monde ! » La poésie se doit d’être dans le monde, d’y prendre part, de résister à l’état ambiant des sociétés contemporaines.

Mário de Andrade par Lasar Segall, 1927
Le poète dit le monde, y intervient, y fait naître une langue. C’est cette inscription dans le réel, dans l’histoire, dans un état du langage qui se déploie dans tout ce numéro des Hommes sans Épaules. En proposant un impressionnant dossier sur les poètes brésiliens, son équipe s’emploie à raconter une histoire – esthétique, politique, nationale… – et à faire entendre des voix méconnues. Il s’inscrit dans une perspective ouvertement politique et militante (à l’instar du numéro consacré au Chili), comme pour réagir à la situation de ce pays dont la situation sociale, la démagogie du pouvoir, le basculement vers une droite fascisante et brutale. Ouvert par une rencontre avec Dilma Rousseff, l’ancienne présidente et proche de Lula, le dossier raconte un siècle de poésie, y pose des jalons, des étapes. On traverse un immense panorama langagier. On perçoit bien les ruptures successives qui, du modernisme (lire le très bon numéro 599 d’Europe de 1979) porté par Mário de Andrade, Paulo Menotti del Picchia et Oswald de Andrade jusqu’aux mouvements du début du XXIe siècle, en passant par les postmodernistes et la Génération 45, font évoluer une poésie qui lutte avec sa propre langue et ses héritages compliqués.

Tarsila do Amaral (détail)
Ce panorama synthétique très clair permet d’avoir une vision globale du paysage poétique brésilien, qui s’enrichit d’une réflexion sur les relations entre les mondes franco- et lusophones. René Depestre raconte sa découverte d’une littérature et de grands écrivains. Il confie ses rencontres avec Jorge Amado, la révélation de « l’œuvre cathédrale » de Guimaraes Rosa (dont il faut absolument lire Diadorim et Mon oncle le jaguar), les connivences avec les démarches des écrivains antillais (on pense beaucoup à Glissant bien sûr) et replace ces lectures dans les mouvements esthétiques qui bouleversent le continent sud-américain. Dans ce numéro, en découvrant les travaux photographiques de Sebastião Salgado ou les œuvres d’artistes musicaux, on reconnaît des liens insoupçonnés entre nos espaces culturels. Mais surtout on y lit des poètes récents, dans la traditionnelle anthologie poétique (avec beaucoup d’inédits) que proposent Oleg Almeida et Philippe Monneveux. On lira ainsi des poètes majeurs depuis les deux Andrade jusqu’à Antonio Miranda, en passant par Hilda Hist, y entendant à la fois une diversité formelle et des urgences communes. Lire ce dossier très complet fait découvrir des voix, des positions esthétiques, des figures essentielles, une communauté de poètes qui luttent « pour établir un langage propre cherchant à intégrer les traditions indigènes, africaines et européennes. »
Ce 49e numéro des Hommes sans Épaules met en avant deux autres poètes qui eux aussi luttent avec le réel par les moyens de la poésie. D’un côté on redécouvre le poète surréaliste américain très attachant, Philip Lamantia, qu’André Breton mettait en avant en 1943 dans la revue VVV, proche du groupe de Chicago, dont on pourra lire plusieurs inédits traduits Cédric Barnaud. Ainsi :
Les gens marchent comme dans un rêve éveillé
Et travaillent dans un ordre terrifiant
Sous le chaos que leur corps rejette

Breyten Breytenbach en 1983, par Rob Croes
Quels échos avec notre situation stupéfiante de confinés ! Notre place dans le monde est inévidente, nous rappellent ces poèmes. On déambule dans le réel, en quête d’une place, d’un terrain, d’une perspective. Ainsi on pourra retenir, c’est une excellente chose, les poèmes du grand écrivain sud-africain quelque peu éclipsé, Breyten Breytenbach. Engagé aux côté de l’ANC, il lance le mouvement clandestin Okhela – le manifeste paraîtra dans Les Temps Modernes en 1984–, s’exile, lutte. Son œuvre, écrite en afrikaans et en anglais, exprime comme aucune la fragmentation d’une société et d’une culture qui, comme au Brésil, travaille sa propre histoire, ses propres mélanges. Il le rappelle bien lorsqu’il dit que « ce que l’on véhicule à travers les poèmes est très intime, de l’ordre de l’exorcisme, de l’incantation ». N’est-ce pas ce à quoi il faut penser aujourd’hui, à la manière dont le poème, les poètes, nous font repenser notre place, nos héritages, nos liens politiques et esthétiques, la manière dont ils nous offrent une épaisseur existentielle, un état poétique vital ?
Hugo PRADELLE (in "Au fil des livraisons", www.entrevues.org, 6 mai 2020).
*
La revue semestrielle est si copieuse (354 p. !) que c’est toujours un crève-cœur de ne pouvoir en présenter que quelques aspects.
Présenté par Philippe Monneveux et Oleg Almeida, le principal dossier fait un état des lieux exhaustif de la poésie brésilienne, largement méconnue, pendant la période qui va « des modernistes à nos jours ». On y découvre comment la poésie brésilienne, après avoir rompu avec les influences académiques du Portugal et d’Europe, a renoué avec ses origines africaines et intégré les traditions ancestrales de ses peuples autochtones. Elle est aujourd’hui plurielle et comprend de plus en plus de voix féminines.
Le poète carabéen René Depestre évoque sa découverte du Brésil. Sebastião Salgado rappelle l’importance de l’Amazonie pour notre survie. Christophe Dauphin, par l’évocation de Dilma Rousseff, présidente du Brésil de 2011 à 2016, apporte des éléments sur la situation politique présente. Des textes de 34 poètes traduits du portugais par Oleg Almeida illustrent ce dossier.
Marie-Josée Christien (revue Spered Gouez / l'esprit sauvage n°26, 2020).
*
Et la porte est verrouillée – J’ai les menottes dans le dos… – Ils sont dehors mes frères de guerre – dans le soleil et dans le vent – Et si je pleure – je pleure souvent – C’est qu’ici je ne puis rien faire : Madeleine Riffaud, pour ouvrir la note concernant le n°49 des Hommes sans Épaules. Un numéro tout de révolte et de résistance. Madeleine Riffaud est une sacrée bonne femme : dans l’action armée dès 1944 sous le pseudonyme de Rainer en hommage à Rainer Maria Rilke, emprisonnée, torturée ; journaliste, elle couvre la guerre d’Indochine ; elle milite contre la guerre d’Algérie.
C’est aussi sous cet angle, révolte et résistance, qu’est placé le dossier Poésie brésilienne (270 pages, piloté par Philippe Monneveux et Oleg Almeida). Il s’ouvre avec un entretien très politique de Christophe Dauphin avec Dilma Roussef, amie de Lula, Présidente du Brésil destituée lors d’un procès « truquée » par l’actuel Bolsonaro. Suivent les textes militants du photographe Sebastiao Salgado (la destruction de l’Amazonie), et de l’haïtien René Depestre (la fraternité Caraïbe). La poésie brésilienne est jeune. Elle est née contemporaine (avant, elle est coloniale), moderne (moderniste). La partie anthologique regroupe 34 poètes contemporains. Elle est généreuse et forcément aussi diverse qu’est le peuple du Brésil : Vinicius de Moraes : Ma patrie est comme si elle était de nulle part – une grâce intime, une envie de pleurer, un enfant endormi – c’est ainsi qu’elle est ma patrie… - Je sais qu’elle est cette lumière et ce sel et amers… Cecilia Mireles : Je chante puisque l’instant existe – puisque la vie est complète – Je ne suis ni joyeux ni triste – Je suis poète… - Je ne sais qu’une chose : en chantant – je fais perdurer mon transport…
Dans ce numéro 49 des Hommes sans Épaules encore : les présentations et des poèmes de Philip Lamantia, Breyten Breytenbach, des poèmes de Philippe Monneveux, Alain Breton, Christophe Dauphin… et le soutien du même Christophe Dauphin aux Gilets Jaunes.
Christian DEGOUTTE (in revue Verso n°181, 2020).
*
La revue Les Hommes sans Épaules est si copieuse (354 pages, pour ce numéro 49 !), que c’est toujours un crève-cœur de ne pouvoir en présenter que quelques aspects. Présenté par Philippe Monneveux et Oleg Almeida, le principal dossier fait un état des lieux exhaustif de la poésie brésilienne, largement méconnue, pendant la période qui va « des modernistes à nos jours ». On y découvre comment la poésie brésilienne, après avoir rompu avec les influences académiques du Portugal et d’Europe, a renoué avec ses origines africaines et intégré les traditions ancestrales de ses peuples autochtones. Elle est aujourd’hui plurielle et comprend de plus en plus de voix féminines.
Le poète caraïbéen René Depestre évoque sa découverte du Brésil. Sebastiao Salgado rappelle l’importance de l’Amazonie pour notre survie. Christophe Dauphin, par l’évocation de Dilma Rousseff, présidente du Brésil de 2011 à 2016, apporte des éléments sur la situation politique présente. Des textes de 34 poètes traduits du portugais par Oleg Almeida illustrent ce dossier.
Marie-Josée CHRISTIEN (in revue Spered Gouez n°26, novembre 2020).
*
Après un bel éditorial dû au lyrisme de René Depestre : "Est rageusement poète l'homme ou la femme que consume la la passion de déplacer sans cesse les bornes que l'on impose à la parole". Ce numéro 49 des HSE tient parole en déplaçant les bornes. Quelles richesses et découvertes dans ces 354 pages, où études et poèmes se conjuguent. Philip Lamantia et Breyten Breytenbach, Madeleine Riffaud.... Aurélie Delcros, ... Thomas Demoulin...
Puis vient l'important dossier consacré à la poésie brésilienne, des modernistes à nos jours. photos, essais, témoignages et, bien sûr, une anthologie: "Je chante puisque l'instant existe - puisque ma vie est complète. - Je ne suis ni joyeuse ni triste : - Je suis poète", écrit Cécilia Meireles. Des chants aux rythmes variés que l'on goûte avec plaisir.
Suivent des poèmes, des critiques, des nouvelles de la poésie, hommages aux disaprus ou joies du travail en équipe, en compagnie du maître d'oeuvre Christophe Dauphin.Un riche volume à ranger dans sa bibliothèque, pour y revenir!
Philippe MATHY (in Le Journal des poètes n°1, 2021, 90e année, Namur, Belgique).
|
Critiques :
« Comme d’habitude, avec les HSE, tout le monde est sûr d’en avoir pour son argent. En effet, en plus de 300 pages bien garnies, l’on y trouve de quoi alimenter sa faim et sa soif de bonne poésie. Avec un découpage en 5 ou 6 volets, cette revue allie rigueur et cohérence.
L’on va de découverte (la poésie brésilienne) en redécouverte (Philip Lamantia ou Breyten Breytenbach) et de surprise (Thomas Demoulin) en confirmation (Frédéric Tison).
Mais cette première approche d’un sommaire étourdissant nous semble injuste envers tous les auteurs et auteures qu’il faudrait évoquer. Gardons-nous d’oublier l’émouvante présentation de Madeleine Riffaud.
À plus de 95 ans, elle a impressionné Christophe Dauphin lors de ce qui fut sans doute son dernier entretien qu’elle concluait ainsi : « Les jeunes doivent recouvrer l’espoir, rien n’est écrit d’avance. » Ces mots prennent une sacrée résonnance avec l’actuelle pandémie mondiale. »
Georges CATHALO (cf. « Intercalaires » n°5 in dechargelarevue.com, avril 2020).
*
Le numéro de printemps des Hommes sans Épaules rappelle les angoisses et les urgences du monde contemporain, la nécessité de penser le réel avec les poètes, affirmant le rôle central de leur travail dans les liens que nous inventons avec notre environnement, une manière de résistance positive et dynamique, porté par la manière d’aborder l’état poétique que propose René Depestre dans son introduction, témoignage entremêlé de manifeste et d’autobiographie. Il y affirme que « l’état poétique est le seul promontoire connu d’où par n’importe quel temps du jour ou de la nuit l’on découvre à l’œil nu la côte nord de la tendresse », qu’il « s’épanouit à des années-lumière des états de siège et d’alerte ».
On entre dans le vif d’une disposition poétique face aux désordres du monde, aux inquiétudes qui nous accablent. On se place du côté d’une poésie qui dit la vie, y agit, y existe. Depestre écrit, avec un lyrisme assumé, qu’est « rageusement poète l’homme ou la femme que consume la passion de déplacer sans cesse les bornes que l’on impose à la parole, qui se tient debout, sans un mouvement, au milieu des éléments déchaînés, de la terre : ni l’électricité du ciel, ni celle de l’ordre social ne peuvent brûler les ailes de l’être en état de poésie avec le monde ! » La poésie se doit d’être dans le monde, d’y prendre part, de résister à l’état ambiant des sociétés contemporaines.

Mário de Andrade par Lasar Segall, 1927
Le poète dit le monde, y intervient, y fait naître une langue. C’est cette inscription dans le réel, dans l’histoire, dans un état du langage qui se déploie dans tout ce numéro des Hommes sans Épaules. En proposant un impressionnant dossier sur les poètes brésiliens, son équipe s’emploie à raconter une histoire – esthétique, politique, nationale… – et à faire entendre des voix méconnues. Il s’inscrit dans une perspective ouvertement politique et militante (à l’instar du numéro consacré au Chili), comme pour réagir à la situation de ce pays dont la situation sociale, la démagogie du pouvoir, le basculement vers une droite fascisante et brutale. Ouvert par une rencontre avec Dilma Rousseff, l’ancienne présidente et proche de Lula, le dossier raconte un siècle de poésie, y pose des jalons, des étapes. On traverse un immense panorama langagier. On perçoit bien les ruptures successives qui, du modernisme (lire le très bon numéro 599 d’Europe de 1979) porté par Mário de Andrade, Paulo Menotti del Picchia et Oswald de Andrade jusqu’aux mouvements du début du XXIe siècle, en passant par les postmodernistes et la Génération 45, font évoluer une poésie qui lutte avec sa propre langue et ses héritages compliqués.

Tarsila do Amaral (détail)
Ce panorama synthétique très clair permet d’avoir une vision globale du paysage poétique brésilien, qui s’enrichit d’une réflexion sur les relations entre les mondes franco- et lusophones. René Depestre raconte sa découverte d’une littérature et de grands écrivains. Il confie ses rencontres avec Jorge Amado, la révélation de « l’œuvre cathédrale » de Guimaraes Rosa (dont il faut absolument lire Diadorim et Mon oncle le jaguar), les connivences avec les démarches des écrivains antillais (on pense beaucoup à Glissant bien sûr) et replace ces lectures dans les mouvements esthétiques qui bouleversent le continent sud-américain. Dans ce numéro, en découvrant les travaux photographiques de Sebastião Salgado ou les œuvres d’artistes musicaux, on reconnaît des liens insoupçonnés entre nos espaces culturels. Mais surtout on y lit des poètes récents, dans la traditionnelle anthologie poétique (avec beaucoup d’inédits) que proposent Oleg Almeida et Philippe Monneveux. On lira ainsi des poètes majeurs depuis les deux Andrade jusqu’à Antonio Miranda, en passant par Hilda Hist, y entendant à la fois une diversité formelle et des urgences communes. Lire ce dossier très complet fait découvrir des voix, des positions esthétiques, des figures essentielles, une communauté de poètes qui luttent « pour établir un langage propre cherchant à intégrer les traditions indigènes, africaines et européennes. »
Ce 49e numéro des Hommes sans Épaules met en avant deux autres poètes qui eux aussi luttent avec le réel par les moyens de la poésie. D’un côté on redécouvre le poète surréaliste américain très attachant, Philip Lamantia, qu’André Breton mettait en avant en 1943 dans la revue VVV, proche du groupe de Chicago, dont on pourra lire plusieurs inédits traduits Cédric Barnaud. Ainsi :
Les gens marchent comme dans un rêve éveillé
Et travaillent dans un ordre terrifiant
Sous le chaos que leur corps rejette

Breyten Breytenbach en 1983, par Rob Croes
Quels échos avec notre situation stupéfiante de confinés ! Notre place dans le monde est inévidente, nous rappellent ces poèmes. On déambule dans le réel, en quête d’une place, d’un terrain, d’une perspective. Ainsi on pourra retenir, c’est une excellente chose, les poèmes du grand écrivain sud-africain quelque peu éclipsé, Breyten Breytenbach. Engagé aux côté de l’ANC, il lance le mouvement clandestin Okhela – le manifeste paraîtra dans Les Temps Modernes en 1984–, s’exile, lutte. Son œuvre, écrite en afrikaans et en anglais, exprime comme aucune la fragmentation d’une société et d’une culture qui, comme au Brésil, travaille sa propre histoire, ses propres mélanges. Il le rappelle bien lorsqu’il dit que « ce que l’on véhicule à travers les poèmes est très intime, de l’ordre de l’exorcisme, de l’incantation ». N’est-ce pas ce à quoi il faut penser aujourd’hui, à la manière dont le poème, les poètes, nous font repenser notre place, nos héritages, nos liens politiques et esthétiques, la manière dont ils nous offrent une épaisseur existentielle, un état poétique vital ?
Hugo PRADELLE (in "Au fil des livraisons", www.entrevues.org, 6 mai 2020).
*
La revue semestrielle est si copieuse (354 p. !) que c’est toujours un crève-cœur de ne pouvoir en présenter que quelques aspects.
Présenté par Philippe Monneveux et Oleg Almeida, le principal dossier fait un état des lieux exhaustif de la poésie brésilienne, largement méconnue, pendant la période qui va « des modernistes à nos jours ». On y découvre comment la poésie brésilienne, après avoir rompu avec les influences académiques du Portugal et d’Europe, a renoué avec ses origines africaines et intégré les traditions ancestrales de ses peuples autochtones. Elle est aujourd’hui plurielle et comprend de plus en plus de voix féminines.
Le poète carabéen René Depestre évoque sa découverte du Brésil. Sebastião Salgado rappelle l’importance de l’Amazonie pour notre survie. Christophe Dauphin, par l’évocation de Dilma Rousseff, présidente du Brésil de 2011 à 2016, apporte des éléments sur la situation politique présente. Des textes de 34 poètes traduits du portugais par Oleg Almeida illustrent ce dossier.
Marie-Josée Christien (revue Spered Gouez / l'esprit sauvage n°26, 2020).
*
Et la porte est verrouillée – J’ai les menottes dans le dos… – Ils sont dehors mes frères de guerre – dans le soleil et dans le vent – Et si je pleure – je pleure souvent – C’est qu’ici je ne puis rien faire : Madeleine Riffaud, pour ouvrir la note concernant le n°49 des Hommes sans Épaules. Un numéro tout de révolte et de résistance. Madeleine Riffaud est une sacrée bonne femme : dans l’action armée dès 1944 sous le pseudonyme de Rainer en hommage à Rainer Maria Rilke, emprisonnée, torturée ; journaliste, elle couvre la guerre d’Indochine ; elle milite contre la guerre d’Algérie.
C’est aussi sous cet angle, révolte et résistance, qu’est placé le dossier Poésie brésilienne (270 pages, piloté par Philippe Monneveux et Oleg Almeida). Il s’ouvre avec un entretien très politique de Christophe Dauphin avec Dilma Roussef, amie de Lula, Présidente du Brésil destituée lors d’un procès « truquée » par l’actuel Bolsonaro. Suivent les textes militants du photographe Sebastiao Salgado (la destruction de l’Amazonie), et de l’haïtien René Depestre (la fraternité Caraïbe). La poésie brésilienne est jeune. Elle est née contemporaine (avant, elle est coloniale), moderne (moderniste). La partie anthologique regroupe 34 poètes contemporains. Elle est généreuse et forcément aussi diverse qu’est le peuple du Brésil : Vinicius de Moraes : Ma patrie est comme si elle était de nulle part – une grâce intime, une envie de pleurer, un enfant endormi – c’est ainsi qu’elle est ma patrie… - Je sais qu’elle est cette lumière et ce sel et amers… Cecilia Mireles : Je chante puisque l’instant existe – puisque la vie est complète – Je ne suis ni joyeux ni triste – Je suis poète… - Je ne sais qu’une chose : en chantant – je fais perdurer mon transport…
Dans ce numéro 49 des Hommes sans Épaules encore : les présentations et des poèmes de Philip Lamantia, Breyten Breytenbach, des poèmes de Philippe Monneveux, Alain Breton, Christophe Dauphin… et le soutien du même Christophe Dauphin aux Gilets Jaunes.
Christian DEGOUTTE (in revue Verso n°181, 2020).
*
La revue Les Hommes sans Épaules est si copieuse (354 pages, pour ce numéro 49 !), que c’est toujours un crève-cœur de ne pouvoir en présenter que quelques aspects. Présenté par Philippe Monneveux et Oleg Almeida, le principal dossier fait un état des lieux exhaustif de la poésie brésilienne, largement méconnue, pendant la période qui va « des modernistes à nos jours ». On y découvre comment la poésie brésilienne, après avoir rompu avec les influences académiques du Portugal et d’Europe, a renoué avec ses origines africaines et intégré les traditions ancestrales de ses peuples autochtones. Elle est aujourd’hui plurielle et comprend de plus en plus de voix féminines.
Le poète caraïbéen René Depestre évoque sa découverte du Brésil. Sebastiao Salgado rappelle l’importance de l’Amazonie pour notre survie. Christophe Dauphin, par l’évocation de Dilma Rousseff, présidente du Brésil de 2011 à 2016, apporte des éléments sur la situation politique présente. Des textes de 34 poètes traduits du portugais par Oleg Almeida illustrent ce dossier.
Marie-Josée CHRISTIEN (in revue Spered Gouez n°26, novembre 2020).
*
Après un bel éditorial dû au lyrisme de René Depestre : "Est rageusement poète l'homme ou la femme que consume la la passion de déplacer sans cesse les bornes que l'on impose à la parole". Ce numéro 49 des HSE tient parole en déplaçant les bornes. Quelles richesses et découvertes dans ces 354 pages, où études et poèmes se conjuguent. Philip Lamantia et Breyten Breytenbach, Madeleine Riffaud.... Aurélie Delcros, ... Thomas Demoulin...
Puis vient l'important dossier consacré à la poésie brésilienne, des modernistes à nos jours. photos, essais, témoignages et, bien sûr, une anthologie: "Je chante puisque l'instant existe - puisque ma vie est complète. - Je ne suis ni joyeuse ni triste : - Je suis poète", écrit Cécilia Meireles. Des chants aux rythmes variés que l'on goûte avec plaisir.
Suivent des poèmes, des critiques, des nouvelles de la poésie, hommages aux disaprus ou joies du travail en équipe, en compagnie du maître d'oeuvre Christophe Dauphin.Un riche volume à ranger dans sa bibliothèque, pour y revenir!
Philippe MATHY (in Le Journal des poètes n°1, 2021, 90e année, Namur, Belgique).
|
Critiques :
« Comme d’habitude, avec les HSE, tout le monde est sûr d’en avoir pour son argent. En effet, en plus de 300 pages bien garnies, l’on y trouve de quoi alimenter sa faim et sa soif de bonne poésie. Avec un découpage en 5 ou 6 volets, cette revue allie rigueur et cohérence.
L’on va de découverte (la poésie brésilienne) en redécouverte (Philip Lamantia ou Breyten Breytenbach) et de surprise (Thomas Demoulin) en confirmation (Frédéric Tison).
Mais cette première approche d’un sommaire étourdissant nous semble injuste envers tous les auteurs et auteures qu’il faudrait évoquer. Gardons-nous d’oublier l’émouvante présentation de Madeleine Riffaud.
À plus de 95 ans, elle a impressionné Christophe Dauphin lors de ce qui fut sans doute son dernier entretien qu’elle concluait ainsi : « Les jeunes doivent recouvrer l’espoir, rien n’est écrit d’avance. » Ces mots prennent une sacrée résonnance avec l’actuelle pandémie mondiale. »
Georges CATHALO (cf. « Intercalaires » n°5 in dechargelarevue.com, avril 2020).
*
Le numéro de printemps des Hommes sans Épaules rappelle les angoisses et les urgences du monde contemporain, la nécessité de penser le réel avec les poètes, affirmant le rôle central de leur travail dans les liens que nous inventons avec notre environnement, une manière de résistance positive et dynamique, porté par la manière d’aborder l’état poétique que propose René Depestre dans son introduction, témoignage entremêlé de manifeste et d’autobiographie. Il y affirme que « l’état poétique est le seul promontoire connu d’où par n’importe quel temps du jour ou de la nuit l’on découvre à l’œil nu la côte nord de la tendresse », qu’il « s’épanouit à des années-lumière des états de siège et d’alerte ».
On entre dans le vif d’une disposition poétique face aux désordres du monde, aux inquiétudes qui nous accablent. On se place du côté d’une poésie qui dit la vie, y agit, y existe. Depestre écrit, avec un lyrisme assumé, qu’est « rageusement poète l’homme ou la femme que consume la passion de déplacer sans cesse les bornes que l’on impose à la parole, qui se tient debout, sans un mouvement, au milieu des éléments déchaînés, de la terre : ni l’électricité du ciel, ni celle de l’ordre social ne peuvent brûler les ailes de l’être en état de poésie avec le monde ! » La poésie se doit d’être dans le monde, d’y prendre part, de résister à l’état ambiant des sociétés contemporaines.

Mário de Andrade par Lasar Segall, 1927
Le poète dit le monde, y intervient, y fait naître une langue. C’est cette inscription dans le réel, dans l’histoire, dans un état du langage qui se déploie dans tout ce numéro des Hommes sans Épaules. En proposant un impressionnant dossier sur les poètes brésiliens, son équipe s’emploie à raconter une histoire – esthétique, politique, nationale… – et à faire entendre des voix méconnues. Il s’inscrit dans une perspective ouvertement politique et militante (à l’instar du numéro consacré au Chili), comme pour réagir à la situation de ce pays dont la situation sociale, la démagogie du pouvoir, le basculement vers une droite fascisante et brutale. Ouvert par une rencontre avec Dilma Rousseff, l’ancienne présidente et proche de Lula, le dossier raconte un siècle de poésie, y pose des jalons, des étapes. On traverse un immense panorama langagier. On perçoit bien les ruptures successives qui, du modernisme (lire le très bon numéro 599 d’Europe de 1979) porté par Mário de Andrade, Paulo Menotti del Picchia et Oswald de Andrade jusqu’aux mouvements du début du XXIe siècle, en passant par les postmodernistes et la Génération 45, font évoluer une poésie qui lutte avec sa propre langue et ses héritages compliqués.

Tarsila do Amaral (détail)
Ce panorama synthétique très clair permet d’avoir une vision globale du paysage poétique brésilien, qui s’enrichit d’une réflexion sur les relations entre les mondes franco- et lusophones. René Depestre raconte sa découverte d’une littérature et de grands écrivains. Il confie ses rencontres avec Jorge Amado, la révélation de « l’œuvre cathédrale » de Guimaraes Rosa (dont il faut absolument lire Diadorim et Mon oncle le jaguar), les connivences avec les démarches des écrivains antillais (on pense beaucoup à Glissant bien sûr) et replace ces lectures dans les mouvements esthétiques qui bouleversent le continent sud-américain. Dans ce numéro, en découvrant les travaux photographiques de Sebastião Salgado ou les œuvres d’artistes musicaux, on reconnaît des liens insoupçonnés entre nos espaces culturels. Mais surtout on y lit des poètes récents, dans la traditionnelle anthologie poétique (avec beaucoup d’inédits) que proposent Oleg Almeida et Philippe Monneveux. On lira ainsi des poètes majeurs depuis les deux Andrade jusqu’à Antonio Miranda, en passant par Hilda Hist, y entendant à la fois une diversité formelle et des urgences communes. Lire ce dossier très complet fait découvrir des voix, des positions esthétiques, des figures essentielles, une communauté de poètes qui luttent « pour établir un langage propre cherchant à intégrer les traditions indigènes, africaines et européennes. »
Ce 49e numéro des Hommes sans Épaules met en avant deux autres poètes qui eux aussi luttent avec le réel par les moyens de la poésie. D’un côté on redécouvre le poète surréaliste américain très attachant, Philip Lamantia, qu’André Breton mettait en avant en 1943 dans la revue VVV, proche du groupe de Chicago, dont on pourra lire plusieurs inédits traduits Cédric Barnaud. Ainsi :
Les gens marchent comme dans un rêve éveillé
Et travaillent dans un ordre terrifiant
Sous le chaos que leur corps rejette

Breyten Breytenbach en 1983, par Rob Croes
Quels échos avec notre situation stupéfiante de confinés ! Notre place dans le monde est inévidente, nous rappellent ces poèmes. On déambule dans le réel, en quête d’une place, d’un terrain, d’une perspective. Ainsi on pourra retenir, c’est une excellente chose, les poèmes du grand écrivain sud-africain quelque peu éclipsé, Breyten Breytenbach. Engagé aux côté de l’ANC, il lance le mouvement clandestin Okhela – le manifeste paraîtra dans Les Temps Modernes en 1984–, s’exile, lutte. Son œuvre, écrite en afrikaans et en anglais, exprime comme aucune la fragmentation d’une société et d’une culture qui, comme au Brésil, travaille sa propre histoire, ses propres mélanges. Il le rappelle bien lorsqu’il dit que « ce que l’on véhicule à travers les poèmes est très intime, de l’ordre de l’exorcisme, de l’incantation ». N’est-ce pas ce à quoi il faut penser aujourd’hui, à la manière dont le poème, les poètes, nous font repenser notre place, nos héritages, nos liens politiques et esthétiques, la manière dont ils nous offrent une épaisseur existentielle, un état poétique vital ?
Hugo PRADELLE (in "Au fil des livraisons", www.entrevues.org, 6 mai 2020).
*
La revue semestrielle est si copieuse (354 p. !) que c’est toujours un crève-cœur de ne pouvoir en présenter que quelques aspects.
Présenté par Philippe Monneveux et Oleg Almeida, le principal dossier fait un état des lieux exhaustif de la poésie brésilienne, largement méconnue, pendant la période qui va « des modernistes à nos jours ». On y découvre comment la poésie brésilienne, après avoir rompu avec les influences académiques du Portugal et d’Europe, a renoué avec ses origines africaines et intégré les traditions ancestrales de ses peuples autochtones. Elle est aujourd’hui plurielle et comprend de plus en plus de voix féminines.
Le poète carabéen René Depestre évoque sa découverte du Brésil. Sebastião Salgado rappelle l’importance de l’Amazonie pour notre survie. Christophe Dauphin, par l’évocation de Dilma Rousseff, présidente du Brésil de 2011 à 2016, apporte des éléments sur la situation politique présente. Des textes de 34 poètes traduits du portugais par Oleg Almeida illustrent ce dossier.
Marie-Josée Christien (revue Spered Gouez / l'esprit sauvage n°26, 2020).
*
Et la porte est verrouillée – J’ai les menottes dans le dos… – Ils sont dehors mes frères de guerre – dans le soleil et dans le vent – Et si je pleure – je pleure souvent – C’est qu’ici je ne puis rien faire : Madeleine Riffaud, pour ouvrir la note concernant le n°49 des Hommes sans Épaules. Un numéro tout de révolte et de résistance. Madeleine Riffaud est une sacrée bonne femme : dans l’action armée dès 1944 sous le pseudonyme de Rainer en hommage à Rainer Maria Rilke, emprisonnée, torturée ; journaliste, elle couvre la guerre d’Indochine ; elle milite contre la guerre d’Algérie.
C’est aussi sous cet angle, révolte et résistance, qu’est placé le dossier Poésie brésilienne (270 pages, piloté par Philippe Monneveux et Oleg Almeida). Il s’ouvre avec un entretien très politique de Christophe Dauphin avec Dilma Roussef, amie de Lula, Présidente du Brésil destituée lors d’un procès « truquée » par l’actuel Bolsonaro. Suivent les textes militants du photographe Sebastiao Salgado (la destruction de l’Amazonie), et de l’haïtien René Depestre (la fraternité Caraïbe). La poésie brésilienne est jeune. Elle est née contemporaine (avant, elle est coloniale), moderne (moderniste). La partie anthologique regroupe 34 poètes contemporains. Elle est généreuse et forcément aussi diverse qu’est le peuple du Brésil : Vinicius de Moraes : Ma patrie est comme si elle était de nulle part – une grâce intime, une envie de pleurer, un enfant endormi – c’est ainsi qu’elle est ma patrie… - Je sais qu’elle est cette lumière et ce sel et amers… Cecilia Mireles : Je chante puisque l’instant existe – puisque la vie est complète – Je ne suis ni joyeux ni triste – Je suis poète… - Je ne sais qu’une chose : en chantant – je fais perdurer mon transport…
Dans ce numéro 49 des Hommes sans Épaules encore : les présentations et des poèmes de Philip Lamantia, Breyten Breytenbach, des poèmes de Philippe Monneveux, Alain Breton, Christophe Dauphin… et le soutien du même Christophe Dauphin aux Gilets Jaunes.
Christian DEGOUTTE (in revue Verso n°181, 2020).
*
La revue Les Hommes sans Épaules est si copieuse (354 pages, pour ce numéro 49 !), que c’est toujours un crève-cœur de ne pouvoir en présenter que quelques aspects. Présenté par Philippe Monneveux et Oleg Almeida, le principal dossier fait un état des lieux exhaustif de la poésie brésilienne, largement méconnue, pendant la période qui va « des modernistes à nos jours ». On y découvre comment la poésie brésilienne, après avoir rompu avec les influences académiques du Portugal et d’Europe, a renoué avec ses origines africaines et intégré les traditions ancestrales de ses peuples autochtones. Elle est aujourd’hui plurielle et comprend de plus en plus de voix féminines.
Le poète caraïbéen René Depestre évoque sa découverte du Brésil. Sebastiao Salgado rappelle l’importance de l’Amazonie pour notre survie. Christophe Dauphin, par l’évocation de Dilma Rousseff, présidente du Brésil de 2011 à 2016, apporte des éléments sur la situation politique présente. Des textes de 34 poètes traduits du portugais par Oleg Almeida illustrent ce dossier.
Marie-Josée CHRISTIEN (in revue Spered Gouez n°26, novembre 2020).
*
Après un bel éditorial dû au lyrisme de René Depestre : "Est rageusement poète l'homme ou la femme que consume la la passion de déplacer sans cesse les bornes que l'on impose à la parole". Ce numéro 49 des HSE tient parole en déplaçant les bornes. Quelles richesses et découvertes dans ces 354 pages, où études et poèmes se conjuguent. Philip Lamantia et Breyten Breytenbach, Madeleine Riffaud.... Aurélie Delcros, ... Thomas Demoulin...
Puis vient l'important dossier consacré à la poésie brésilienne, des modernistes à nos jours. photos, essais, témoignages et, bien sûr, une anthologie: "Je chante puisque l'instant existe - puisque ma vie est complète. - Je ne suis ni joyeuse ni triste : - Je suis poète", écrit Cécilia Meireles. Des chants aux rythmes variés que l'on goûte avec plaisir.
Suivent des poèmes, des critiques, des nouvelles de la poésie, hommages aux disaprus ou joies du travail en équipe, en compagnie du maître d'oeuvre Christophe Dauphin.Un riche volume à ranger dans sa bibliothèque, pour y revenir!
Philippe MATHY (in Le Journal des poètes n°1, 2021, 90e année, Namur, Belgique).
|
|
|
|
2008 – À propos du numéro 25
« Si l’on connaît l’itinéraire poétique de Gérald Neveu, ici présenté par Christophe Dauphin, je découvre (dans les HSE n°25), Robert Champigny (1922-1984) disciple de Gaston Bachelard, mais dont les quelques poèmes lus dans le numéro sont une invitation à plus ample relation… Autre dossier par Michel Passelergue et Christophe Dauphin : Roger-Arnould Rivière, plus lyrique si j’ose ainsi écrire. Un beau numéro. » Jean-Michel Bongiraud (Pages Insulaires n°3, octobre 2008).
« Christophe Dauphin n’est pas seulement surréaliste de l’avant-dernière heure, mais aussi (et faut-il penser « surtout » ?) fervent de la SF première de Rosny aîné, non pour sa Guerre du Feu mais pour le si mal connu Félin géant, où il a trouvé les « porteurs de feu » et les « Wah » de ses Hommes sans Épaules. Le numéro 25 parle de Gérald Neveu, rejeté partout et mort si jeune dans la misère, de Robert Champigny, dont la belle devise fut « Il ne faut pas laisser de traces », ce que pratiquement tous les poètes nient, trop sûrs d’eux. Enfin, au-delà des Wah, un dossier est consacré à Roger-Arnould Rivière par Michel Passelergue… On redemande de telles découvertes. » Paul Van Melle (Inédit Nouveau n°226, novembre 2008).
|
|
|
|
Lectures critiques :
Les Hommes sans Épaules, numéro 57 : Poètes bretons pour une baie tellurique : « C’est un très vaste paysage de la poésie bretonne que nous dresse ce numéro de la revue Les HSE : 33 poètes auxquels on peut ajouter sans erreur des poètes présentés dans les rubriques « Porteurs de feu » ou « Ainsi étaient les Wah » inséparables de ce coin de terre, comme Perros, Delabarre et Kenneth White, ou encore Guy Allix, Emmanuel Baugue (quoiqu’un peu Normand), ou André Prodhomme (quoique d’un peu partout). Pour chacun, nous avons droit à une présentation du poète et de son œuvre, marque de fabrique inégalée de cette revue.
Rappelons à cette occasion qu’il n’existe pas d’autres revues (en ligne ou pas) ayant une connaissance aussi intime, si j’ose, d’un si grand nombre de poètes, en particulier ceux nés entre les années 1920 et 1950. Par exemple dans ce numéro, les présentations de Guillevic, Manoll, Robin, Grall, Glemnor, Cadou – pour ne citer qu’eux – méritent d’être lues pour elles-mêmes. Cela rappelé, penchons-nous sur le dossier « Poètes bretons pour une baie tellurique ». Il y a une évidente volonté d’équilibre entre poètes connus, méconnus ou inconnus tout comme entre des poètes du début, du milieu ou de la deuxième moitié du XXe siècle. Évidemment, on lui reprochera — moi le premier ! — tel ou tel auteur absent (pourquoi ne pas avoir retenu Gilles Baudry ? Charles Le Quintrec, qui pourtant publia son Village allumé chez Saint Germain des Prés ?) Mais je concède que le paysage est déjà considérable et qu’il est bon qu’il y ait quelques « injustices » pour ranimer la levée de bocks ou de ballons pris en commun.
Que ressort-il du paysage dressé ? On retrouve une très bonne illustration des grands courants poétiques bretons du siècle écoulé avec la mise en avant des très singulières années 70 et 80, qu’on peut résumer au conflit qui opposa la génération de Jack-Helliaz à celle de Grall, le premier avec son cheval d’orgueil et le second avec son cheval couché. On retient également cette tresse, que je crois propre à la Bretagne, qui rassemble une poésie ancrée, privilégiant plutôt une forme de dépouillement, une poésie « bardique », volontiers vindicative et pamphlétaire (voire guerrière), et qui aime à être mis en musique, et une poésie druidique attirée par le merveilleux et l’alchimique qui plonge volontiers dans la veine surréaliste (ce qu’affectionne particulièrement notre revue). L’élément qui réunit ces trois courants, hormis la Bretagne elle-même, c’est la place incontournable du minéral (le granit, le mica, etc.), pour ne pas dire le tellurique comme le pointe si justement le titre du dossier.
M’a frappé également, à la lecture du dossier, la relative étanchéité qui règne entre la poésie de l’Argoat et celle de l’Armor. Il semble bien qu’en Bretagne deux univers poétiques distincts se côtoient sans se confondre, ainsi que les paysages et les modes de vie. Enfin, et bien sûr ajouterai-je, le dossier permet de mesurer la solide et féconde richesse du terrain éditorial breton grâce au dévouement de quelques maisons d’éditions (pas forcément bretonnes), d’associations culturelles et artistiques très actives (comment ne pas citer « les rencontres de Max ») et de quelques figures tutélaires qui ont su jouer un rôle de découvreur ou de rassembleur (Grall, Guillevic, Brémont, Christien et Geneste aujourd’hui). Pour conclure, et picoter d’iode l’ami Christophe Dauphin, après avoir lu son passionnant édito, je me suis demandé si ce n’était pas un article pro domo pour la poésie… normande. »
Pierrick de CHERMONT (in recoursaupoeme.fr, 6 novembre 2024).
*
« Il est généralement éclairant de découvrir notre paysage poétique breton par le regard d’un observateur avisé. Il est également rassurant de constater que nos poètes continuent de susciter intérêt et curiosité, malgré la quasi-disparition des revues en Bretagne. C’est en voisin normand et poète de l’Ouest que Christophe Dauphin aborde les « poètes en Bretagne » dans un copieux numéro de la revue qu’il aime depuis 1997, Les Hommes sans Épaules.
34 poètes sont présentés de façon développée, accompagné d’un choix de textes conséquent. Pierre-Jakez Hélias, Anjela Duval, Glenmor et Xavier Grall y côtoient Gérard Le Gouic et Guénane. En dépit de leur diversité, Christophe Dauphin leur reconnait des points communs qui traversent les générations : la connivence avec les paysages tourmentés de la péninsule armoricaine, un riche imaginaire ouvert sur le monde, « un goût frondeur pour l’indépendance ».
Christophe Dauphin rappelle à bon escient l’attraction régulière de « la matière Bretagne » pour bon nombre de poètes qui n’en sont pas originaires, dont Saint-Pol-Roux, Georges Perros, Kenneth White, Samuel Bréjar et plus récemment Henri Droguet, Gérard Cléry, Colette Wittorski, Joseph Ponthus, Guy Allix, André Prodhomme et Emmanuel Baugue. La Bretagne fut aussi pour Paul Celan, de 1954 à 1961, une terre d’accueil qui lui inspira une série de poèmes dont des extraits sont reproduits dans ce dossier.
Christophe Dauphin met en lumière bon nombre de poètes qui ne figurent habituellement pas dans les ouvrages de références sur la Bretagne : Louis Guillaume, Armand Robin, Norbert Lelubre, Odile Caradec, Jacques Bertin, Danielle Collobert, Alain Morin, Alain Simon, Mérédith Le Dez et Gwen Garnier-Duguy. Il mentionne aussi plusieurs poètes bretons qui furent proches du mouvement surréaliste : Jacques Vaché, Angèle Vannier, Yves Eléouet, Hervé Delabarre. »
Marie-Josée CHRISTIEN (in revue Spered Gouez n°30, 2024).
*
La revue Les Hommes sans Épaules consacre son numéro 57 aux « Poètes en Bretagne » et rend hommage à Frédéric Tison, récemment disparu.
L’identité bretonne, préservée malgré les aléas, a permis aussi une poésie bretonne née tant de la géographie que du peuple. Plutôt que de particularismes, Christophe Dauphin, avec Glenmor, préfère parler de caractéristiques des poètes de l’Ouest : « Les habitants de ces contrées semblent avoir toujours été la proie de tentations contradictoires : l’une les presse de confier leur destin à la mer, de lâcher tout pour courir la chance de découvrir d’autres cieux, d’autres terres ; l’autre leur dépeint vivement la douceur du foyer, dans la maison tapie au bout du chemin creux, les avantages d’une existence passée dans la sécurité, que garantissent les traditions et le retour périodique des saisons. De ces contradictions, les meilleurs de ceux dont elles marquèrent le caractère ont toujours su tirer une source d’énergie. »
Louis Bertholom, de Fouesnant, précise : « Je ne sais pas si la Bretagne est une terre de poésie plus qu’ailleurs. Il existe tout de même une sensibilité spécifique des gens de Bretagne qui confère une âme à cette région, proche d’une certaine forme de mélancolie dans le sens artistique du terme. Nous avons tout un légendaire arthurien, une Brocéliande dans nos gènes qui nous poursuit malgré tout. Puis le Barzaz Breiz, les gweerzioù et autre patrimoine chanté, transmis de générations en générations qui alimentent insidieusement notre façon d’être au monde. La poésie celtique est spécifique à son territoire, avec ses connotations celtiques même s’il y a des exceptions. »
C’est la poésie elle-même qui dit le plus sur la Bretagne, ses langues et son peuple. C’est pourquoi ce numéro 57, qui rassemble un grand nombre de poètes, porte une part de l’âme bretonne au lecteur.
Rémi BOYER (in /lettreducrocodile.over-blog.net, 24 mai 2024)
Extrait de « Bretagne est univers » de Saint-Pol-Roux :
« Il ne lui suffit point de distribuer l’oracle
Et d’accroître le globe au jeu de ses timons,
Elle insère l’esprit de son propre miracle
A même la matière des bois et des monts.
Voici le coffre aux joies, le clocher, le calvaire
Et l’auguste fontaine au lipide présent.
Après, l’enchantement créé par le trouvère
Et le prince des mers, celui de l’artisan. »
Extrait de "L’enfant du druide "de Angèle Vannier :
L’enfant du druide ouvrit les vannes du silence
Un chant se répandit longtemps
L’eau le sang le feu
Les trois dans la forêt
Pour bâtir un palais d’automne
Un grand secret faisait la roue sur le parvis
D’un clair-obscur jaillit la fleur miraculeuse
Le double de la pierre philosophale.
L’enfant faisait la chasse à la folie
Il délivrait des plages de cristal
Sous un vieux chêne inconsolable.
La clé de la clé disait mon compagnon
Cet enfant la chantait »
*
« Le thème de ce numéro c’est « Poètes en Bretagne » (notez bien EN et pas DE Bretagne). C’est que pour moi ce numéro est sans surprise : j’ai déjà lu (et pas oublié, tous sont de qualité, ont leur originalité) Georges Perros, Hervé Delabarre, Paul Celan, Kenneth White, Henri Droguet, Max Jacob, Guillevic, Manoll, Armand Robin, Cadou (René Guy et Hélène), Jégou, Le Gouic, Marie-Josée Christien, Emmanuelle Le Cam, etc.
Comme dans chaque numéro de la revue Les Hommes sans Épaules, son animateur, Christophe Dauphin est infatigable : chaque auteur est abondamment présenté (bio, biblio, position historique, etc.). Il analyse brillamment les effets et les méfaits de la Celtitude, ne manque pas de pointer les crispations identitaires, le nationalisme étroit : « Il serait plus juste d’inviter les Auvergnats au festival interceltique. La Bretagne n’était pas le centre ancien du monde celtique ». Des citations quand même des moins connus : Jean-Claude Tardif : « Mes yeux accrochent leurs linges – à l’étendoir du ciel – le crépuscule ravaude ses draps » ; Jean-Paul Hameury : « Quand l’emprunte les sentiers – de l’île, mon ombre me quitte – et s’en va sur les chemins d’autrefois » ; Angèle Vannier : « Je suis née de la mer et ne le savais plus – Trop de pavots avaient maculé mes pieds nus » ; Yves Elleouët : « d’accord avec le vent – ils vont en nombre par les routes – travailleurs hagards et malmenés … - je me rassemble autour de mes os » ; et bien sûr Joseph Ponthus : « De quoi rêvent-ils – ceux qui sont aux cuirs – C’est ainsi qu’on appelle ceux qui arrachent les - peaux des bêtes juste après qu’elles aient été tuées ». Proses et nombreuses lectures critiques.
Christian Degoutte (in revue Verso, 2024).
|
Lectures critiques :
Les Hommes sans Épaules, numéro 57 : Poètes bretons pour une baie tellurique : « C’est un très vaste paysage de la poésie bretonne que nous dresse ce numéro de la revue Les HSE : 33 poètes auxquels on peut ajouter sans erreur des poètes présentés dans les rubriques « Porteurs de feu » ou « Ainsi étaient les Wah » inséparables de ce coin de terre, comme Perros, Delabarre et Kenneth White, ou encore Guy Allix, Emmanuel Baugue (quoiqu’un peu Normand), ou André Prodhomme (quoique d’un peu partout). Pour chacun, nous avons droit à une présentation du poète et de son œuvre, marque de fabrique inégalée de cette revue.
Rappelons à cette occasion qu’il n’existe pas d’autres revues (en ligne ou pas) ayant une connaissance aussi intime, si j’ose, d’un si grand nombre de poètes, en particulier ceux nés entre les années 1920 et 1950. Par exemple dans ce numéro, les présentations de Guillevic, Manoll, Robin, Grall, Glemnor, Cadou – pour ne citer qu’eux – méritent d’être lues pour elles-mêmes. Cela rappelé, penchons-nous sur le dossier « Poètes bretons pour une baie tellurique ». Il y a une évidente volonté d’équilibre entre poètes connus, méconnus ou inconnus tout comme entre des poètes du début, du milieu ou de la deuxième moitié du XXe siècle. Évidemment, on lui reprochera — moi le premier ! — tel ou tel auteur absent (pourquoi ne pas avoir retenu Gilles Baudry ? Charles Le Quintrec, qui pourtant publia son Village allumé chez Saint Germain des Prés ?) Mais je concède que le paysage est déjà considérable et qu’il est bon qu’il y ait quelques « injustices » pour ranimer la levée de bocks ou de ballons pris en commun.
Que ressort-il du paysage dressé ? On retrouve une très bonne illustration des grands courants poétiques bretons du siècle écoulé avec la mise en avant des très singulières années 70 et 80, qu’on peut résumer au conflit qui opposa la génération de Jack-Helliaz à celle de Grall, le premier avec son cheval d’orgueil et le second avec son cheval couché. On retient également cette tresse, que je crois propre à la Bretagne, qui rassemble une poésie ancrée, privilégiant plutôt une forme de dépouillement, une poésie « bardique », volontiers vindicative et pamphlétaire (voire guerrière), et qui aime à être mis en musique, et une poésie druidique attirée par le merveilleux et l’alchimique qui plonge volontiers dans la veine surréaliste (ce qu’affectionne particulièrement notre revue). L’élément qui réunit ces trois courants, hormis la Bretagne elle-même, c’est la place incontournable du minéral (le granit, le mica, etc.), pour ne pas dire le tellurique comme le pointe si justement le titre du dossier.
M’a frappé également, à la lecture du dossier, la relative étanchéité qui règne entre la poésie de l’Argoat et celle de l’Armor. Il semble bien qu’en Bretagne deux univers poétiques distincts se côtoient sans se confondre, ainsi que les paysages et les modes de vie. Enfin, et bien sûr ajouterai-je, le dossier permet de mesurer la solide et féconde richesse du terrain éditorial breton grâce au dévouement de quelques maisons d’éditions (pas forcément bretonnes), d’associations culturelles et artistiques très actives (comment ne pas citer « les rencontres de Max ») et de quelques figures tutélaires qui ont su jouer un rôle de découvreur ou de rassembleur (Grall, Guillevic, Brémont, Christien et Geneste aujourd’hui). Pour conclure, et picoter d’iode l’ami Christophe Dauphin, après avoir lu son passionnant édito, je me suis demandé si ce n’était pas un article pro domo pour la poésie… normande. »
Pierrick de CHERMONT (in recoursaupoeme.fr, 6 novembre 2024).
*
« Il est généralement éclairant de découvrir notre paysage poétique breton par le regard d’un observateur avisé. Il est également rassurant de constater que nos poètes continuent de susciter intérêt et curiosité, malgré la quasi-disparition des revues en Bretagne. C’est en voisin normand et poète de l’Ouest que Christophe Dauphin aborde les « poètes en Bretagne » dans un copieux numéro de la revue qu’il aime depuis 1997, Les Hommes sans Épaules.
34 poètes sont présentés de façon développée, accompagné d’un choix de textes conséquent. Pierre-Jakez Hélias, Anjela Duval, Glenmor et Xavier Grall y côtoient Gérard Le Gouic et Guénane. En dépit de leur diversité, Christophe Dauphin leur reconnait des points communs qui traversent les générations : la connivence avec les paysages tourmentés de la péninsule armoricaine, un riche imaginaire ouvert sur le monde, « un goût frondeur pour l’indépendance ».
Christophe Dauphin rappelle à bon escient l’attraction régulière de « la matière Bretagne » pour bon nombre de poètes qui n’en sont pas originaires, dont Saint-Pol-Roux, Georges Perros, Kenneth White, Samuel Bréjar et plus récemment Henri Droguet, Gérard Cléry, Colette Wittorski, Joseph Ponthus, Guy Allix, André Prodhomme et Emmanuel Baugue. La Bretagne fut aussi pour Paul Celan, de 1954 à 1961, une terre d’accueil qui lui inspira une série de poèmes dont des extraits sont reproduits dans ce dossier.
Christophe Dauphin met en lumière bon nombre de poètes qui ne figurent habituellement pas dans les ouvrages de références sur la Bretagne : Louis Guillaume, Armand Robin, Norbert Lelubre, Odile Caradec, Jacques Bertin, Danielle Collobert, Alain Morin, Alain Simon, Mérédith Le Dez et Gwen Garnier-Duguy. Il mentionne aussi plusieurs poètes bretons qui furent proches du mouvement surréaliste : Jacques Vaché, Angèle Vannier, Yves Eléouet, Hervé Delabarre. »
Marie-Josée CHRISTIEN (in revue Spered Gouez n°30, 2024).
*
La revue Les Hommes sans Épaules consacre son numéro 57 aux « Poètes en Bretagne » et rend hommage à Frédéric Tison, récemment disparu.
L’identité bretonne, préservée malgré les aléas, a permis aussi une poésie bretonne née tant de la géographie que du peuple. Plutôt que de particularismes, Christophe Dauphin, avec Glenmor, préfère parler de caractéristiques des poètes de l’Ouest : « Les habitants de ces contrées semblent avoir toujours été la proie de tentations contradictoires : l’une les presse de confier leur destin à la mer, de lâcher tout pour courir la chance de découvrir d’autres cieux, d’autres terres ; l’autre leur dépeint vivement la douceur du foyer, dans la maison tapie au bout du chemin creux, les avantages d’une existence passée dans la sécurité, que garantissent les traditions et le retour périodique des saisons. De ces contradictions, les meilleurs de ceux dont elles marquèrent le caractère ont toujours su tirer une source d’énergie. »
Louis Bertholom, de Fouesnant, précise : « Je ne sais pas si la Bretagne est une terre de poésie plus qu’ailleurs. Il existe tout de même une sensibilité spécifique des gens de Bretagne qui confère une âme à cette région, proche d’une certaine forme de mélancolie dans le sens artistique du terme. Nous avons tout un légendaire arthurien, une Brocéliande dans nos gènes qui nous poursuit malgré tout. Puis le Barzaz Breiz, les gweerzioù et autre patrimoine chanté, transmis de générations en générations qui alimentent insidieusement notre façon d’être au monde. La poésie celtique est spécifique à son territoire, avec ses connotations celtiques même s’il y a des exceptions. »
C’est la poésie elle-même qui dit le plus sur la Bretagne, ses langues et son peuple. C’est pourquoi ce numéro 57, qui rassemble un grand nombre de poètes, porte une part de l’âme bretonne au lecteur.
Rémi BOYER (in /lettreducrocodile.over-blog.net, 24 mai 2024)
Extrait de « Bretagne est univers » de Saint-Pol-Roux :
« Il ne lui suffit point de distribuer l’oracle
Et d’accroître le globe au jeu de ses timons,
Elle insère l’esprit de son propre miracle
A même la matière des bois et des monts.
Voici le coffre aux joies, le clocher, le calvaire
Et l’auguste fontaine au lipide présent.
Après, l’enchantement créé par le trouvère
Et le prince des mers, celui de l’artisan. »
Extrait de "L’enfant du druide "de Angèle Vannier :
L’enfant du druide ouvrit les vannes du silence
Un chant se répandit longtemps
L’eau le sang le feu
Les trois dans la forêt
Pour bâtir un palais d’automne
Un grand secret faisait la roue sur le parvis
D’un clair-obscur jaillit la fleur miraculeuse
Le double de la pierre philosophale.
L’enfant faisait la chasse à la folie
Il délivrait des plages de cristal
Sous un vieux chêne inconsolable.
La clé de la clé disait mon compagnon
Cet enfant la chantait »
*
« Le thème de ce numéro c’est « Poètes en Bretagne » (notez bien EN et pas DE Bretagne). C’est que pour moi ce numéro est sans surprise : j’ai déjà lu (et pas oublié, tous sont de qualité, ont leur originalité) Georges Perros, Hervé Delabarre, Paul Celan, Kenneth White, Henri Droguet, Max Jacob, Guillevic, Manoll, Armand Robin, Cadou (René Guy et Hélène), Jégou, Le Gouic, Marie-Josée Christien, Emmanuelle Le Cam, etc.
Comme dans chaque numéro de la revue Les Hommes sans Épaules, son animateur, Christophe Dauphin est infatigable : chaque auteur est abondamment présenté (bio, biblio, position historique, etc.). Il analyse brillamment les effets et les méfaits de la Celtitude, ne manque pas de pointer les crispations identitaires, le nationalisme étroit : « Il serait plus juste d’inviter les Auvergnats au festival interceltique. La Bretagne n’était pas le centre ancien du monde celtique ». Des citations quand même des moins connus : Jean-Claude Tardif : « Mes yeux accrochent leurs linges – à l’étendoir du ciel – le crépuscule ravaude ses draps » ; Jean-Paul Hameury : « Quand l’emprunte les sentiers – de l’île, mon ombre me quitte – et s’en va sur les chemins d’autrefois » ; Angèle Vannier : « Je suis née de la mer et ne le savais plus – Trop de pavots avaient maculé mes pieds nus » ; Yves Elleouët : « d’accord avec le vent – ils vont en nombre par les routes – travailleurs hagards et malmenés … - je me rassemble autour de mes os » ; et bien sûr Joseph Ponthus : « De quoi rêvent-ils – ceux qui sont aux cuirs – C’est ainsi qu’on appelle ceux qui arrachent les - peaux des bêtes juste après qu’elles aient été tuées ». Proses et nombreuses lectures critiques.
Christian Degoutte (in revue Verso, 2024).
|
Lectures critiques :
Les Hommes sans Épaules, numéro 57 : Poètes bretons pour une baie tellurique : « C’est un très vaste paysage de la poésie bretonne que nous dresse ce numéro de la revue Les HSE : 33 poètes auxquels on peut ajouter sans erreur des poètes présentés dans les rubriques « Porteurs de feu » ou « Ainsi étaient les Wah » inséparables de ce coin de terre, comme Perros, Delabarre et Kenneth White, ou encore Guy Allix, Emmanuel Baugue (quoiqu’un peu Normand), ou André Prodhomme (quoique d’un peu partout). Pour chacun, nous avons droit à une présentation du poète et de son œuvre, marque de fabrique inégalée de cette revue.
Rappelons à cette occasion qu’il n’existe pas d’autres revues (en ligne ou pas) ayant une connaissance aussi intime, si j’ose, d’un si grand nombre de poètes, en particulier ceux nés entre les années 1920 et 1950. Par exemple dans ce numéro, les présentations de Guillevic, Manoll, Robin, Grall, Glemnor, Cadou – pour ne citer qu’eux – méritent d’être lues pour elles-mêmes. Cela rappelé, penchons-nous sur le dossier « Poètes bretons pour une baie tellurique ». Il y a une évidente volonté d’équilibre entre poètes connus, méconnus ou inconnus tout comme entre des poètes du début, du milieu ou de la deuxième moitié du XXe siècle. Évidemment, on lui reprochera — moi le premier ! — tel ou tel auteur absent (pourquoi ne pas avoir retenu Gilles Baudry ? Charles Le Quintrec, qui pourtant publia son Village allumé chez Saint Germain des Prés ?) Mais je concède que le paysage est déjà considérable et qu’il est bon qu’il y ait quelques « injustices » pour ranimer la levée de bocks ou de ballons pris en commun.
Que ressort-il du paysage dressé ? On retrouve une très bonne illustration des grands courants poétiques bretons du siècle écoulé avec la mise en avant des très singulières années 70 et 80, qu’on peut résumer au conflit qui opposa la génération de Jack-Helliaz à celle de Grall, le premier avec son cheval d’orgueil et le second avec son cheval couché. On retient également cette tresse, que je crois propre à la Bretagne, qui rassemble une poésie ancrée, privilégiant plutôt une forme de dépouillement, une poésie « bardique », volontiers vindicative et pamphlétaire (voire guerrière), et qui aime à être mis en musique, et une poésie druidique attirée par le merveilleux et l’alchimique qui plonge volontiers dans la veine surréaliste (ce qu’affectionne particulièrement notre revue). L’élément qui réunit ces trois courants, hormis la Bretagne elle-même, c’est la place incontournable du minéral (le granit, le mica, etc.), pour ne pas dire le tellurique comme le pointe si justement le titre du dossier.
M’a frappé également, à la lecture du dossier, la relative étanchéité qui règne entre la poésie de l’Argoat et celle de l’Armor. Il semble bien qu’en Bretagne deux univers poétiques distincts se côtoient sans se confondre, ainsi que les paysages et les modes de vie. Enfin, et bien sûr ajouterai-je, le dossier permet de mesurer la solide et féconde richesse du terrain éditorial breton grâce au dévouement de quelques maisons d’éditions (pas forcément bretonnes), d’associations culturelles et artistiques très actives (comment ne pas citer « les rencontres de Max ») et de quelques figures tutélaires qui ont su jouer un rôle de découvreur ou de rassembleur (Grall, Guillevic, Brémont, Christien et Geneste aujourd’hui). Pour conclure, et picoter d’iode l’ami Christophe Dauphin, après avoir lu son passionnant édito, je me suis demandé si ce n’était pas un article pro domo pour la poésie… normande. »
Pierrick de CHERMONT (in recoursaupoeme.fr, 6 novembre 2024).
*
« Il est généralement éclairant de découvrir notre paysage poétique breton par le regard d’un observateur avisé. Il est également rassurant de constater que nos poètes continuent de susciter intérêt et curiosité, malgré la quasi-disparition des revues en Bretagne. C’est en voisin normand et poète de l’Ouest que Christophe Dauphin aborde les « poètes en Bretagne » dans un copieux numéro de la revue qu’il aime depuis 1997, Les Hommes sans Épaules.
34 poètes sont présentés de façon développée, accompagné d’un choix de textes conséquent. Pierre-Jakez Hélias, Anjela Duval, Glenmor et Xavier Grall y côtoient Gérard Le Gouic et Guénane. En dépit de leur diversité, Christophe Dauphin leur reconnait des points communs qui traversent les générations : la connivence avec les paysages tourmentés de la péninsule armoricaine, un riche imaginaire ouvert sur le monde, « un goût frondeur pour l’indépendance ».
Christophe Dauphin rappelle à bon escient l’attraction régulière de « la matière Bretagne » pour bon nombre de poètes qui n’en sont pas originaires, dont Saint-Pol-Roux, Georges Perros, Kenneth White, Samuel Bréjar et plus récemment Henri Droguet, Gérard Cléry, Colette Wittorski, Joseph Ponthus, Guy Allix, André Prodhomme et Emmanuel Baugue. La Bretagne fut aussi pour Paul Celan, de 1954 à 1961, une terre d’accueil qui lui inspira une série de poèmes dont des extraits sont reproduits dans ce dossier.
Christophe Dauphin met en lumière bon nombre de poètes qui ne figurent habituellement pas dans les ouvrages de références sur la Bretagne : Louis Guillaume, Armand Robin, Norbert Lelubre, Odile Caradec, Jacques Bertin, Danielle Collobert, Alain Morin, Alain Simon, Mérédith Le Dez et Gwen Garnier-Duguy. Il mentionne aussi plusieurs poètes bretons qui furent proches du mouvement surréaliste : Jacques Vaché, Angèle Vannier, Yves Eléouet, Hervé Delabarre. »
Marie-Josée CHRISTIEN (in revue Spered Gouez n°30, 2024).
*
La revue Les Hommes sans Épaules consacre son numéro 57 aux « Poètes en Bretagne » et rend hommage à Frédéric Tison, récemment disparu.
L’identité bretonne, préservée malgré les aléas, a permis aussi une poésie bretonne née tant de la géographie que du peuple. Plutôt que de particularismes, Christophe Dauphin, avec Glenmor, préfère parler de caractéristiques des poètes de l’Ouest : « Les habitants de ces contrées semblent avoir toujours été la proie de tentations contradictoires : l’une les presse de confier leur destin à la mer, de lâcher tout pour courir la chance de découvrir d’autres cieux, d’autres terres ; l’autre leur dépeint vivement la douceur du foyer, dans la maison tapie au bout du chemin creux, les avantages d’une existence passée dans la sécurité, que garantissent les traditions et le retour périodique des saisons. De ces contradictions, les meilleurs de ceux dont elles marquèrent le caractère ont toujours su tirer une source d’énergie. »
Louis Bertholom, de Fouesnant, précise : « Je ne sais pas si la Bretagne est une terre de poésie plus qu’ailleurs. Il existe tout de même une sensibilité spécifique des gens de Bretagne qui confère une âme à cette région, proche d’une certaine forme de mélancolie dans le sens artistique du terme. Nous avons tout un légendaire arthurien, une Brocéliande dans nos gènes qui nous poursuit malgré tout. Puis le Barzaz Breiz, les gweerzioù et autre patrimoine chanté, transmis de générations en générations qui alimentent insidieusement notre façon d’être au monde. La poésie celtique est spécifique à son territoire, avec ses connotations celtiques même s’il y a des exceptions. »
C’est la poésie elle-même qui dit le plus sur la Bretagne, ses langues et son peuple. C’est pourquoi ce numéro 57, qui rassemble un grand nombre de poètes, porte une part de l’âme bretonne au lecteur.
Rémi BOYER (in /lettreducrocodile.over-blog.net, 24 mai 2024)
Extrait de « Bretagne est univers » de Saint-Pol-Roux :
« Il ne lui suffit point de distribuer l’oracle
Et d’accroître le globe au jeu de ses timons,
Elle insère l’esprit de son propre miracle
A même la matière des bois et des monts.
Voici le coffre aux joies, le clocher, le calvaire
Et l’auguste fontaine au lipide présent.
Après, l’enchantement créé par le trouvère
Et le prince des mers, celui de l’artisan. »
Extrait de "L’enfant du druide "de Angèle Vannier :
L’enfant du druide ouvrit les vannes du silence
Un chant se répandit longtemps
L’eau le sang le feu
Les trois dans la forêt
Pour bâtir un palais d’automne
Un grand secret faisait la roue sur le parvis
D’un clair-obscur jaillit la fleur miraculeuse
Le double de la pierre philosophale.
L’enfant faisait la chasse à la folie
Il délivrait des plages de cristal
Sous un vieux chêne inconsolable.
La clé de la clé disait mon compagnon
Cet enfant la chantait »
*
« Le thème de ce numéro c’est « Poètes en Bretagne » (notez bien EN et pas DE Bretagne). C’est que pour moi ce numéro est sans surprise : j’ai déjà lu (et pas oublié, tous sont de qualité, ont leur originalité) Georges Perros, Hervé Delabarre, Paul Celan, Kenneth White, Henri Droguet, Max Jacob, Guillevic, Manoll, Armand Robin, Cadou (René Guy et Hélène), Jégou, Le Gouic, Marie-Josée Christien, Emmanuelle Le Cam, etc.
Comme dans chaque numéro de la revue Les Hommes sans Épaules, son animateur, Christophe Dauphin est infatigable : chaque auteur est abondamment présenté (bio, biblio, position historique, etc.). Il analyse brillamment les effets et les méfaits de la Celtitude, ne manque pas de pointer les crispations identitaires, le nationalisme étroit : « Il serait plus juste d’inviter les Auvergnats au festival interceltique. La Bretagne n’était pas le centre ancien du monde celtique ». Des citations quand même des moins connus : Jean-Claude Tardif : « Mes yeux accrochent leurs linges – à l’étendoir du ciel – le crépuscule ravaude ses draps » ; Jean-Paul Hameury : « Quand l’emprunte les sentiers – de l’île, mon ombre me quitte – et s’en va sur les chemins d’autrefois » ; Angèle Vannier : « Je suis née de la mer et ne le savais plus – Trop de pavots avaient maculé mes pieds nus » ; Yves Elleouët : « d’accord avec le vent – ils vont en nombre par les routes – travailleurs hagards et malmenés … - je me rassemble autour de mes os » ; et bien sûr Joseph Ponthus : « De quoi rêvent-ils – ceux qui sont aux cuirs – C’est ainsi qu’on appelle ceux qui arrachent les - peaux des bêtes juste après qu’elles aient été tuées ». Proses et nombreuses lectures critiques.
Christian Degoutte (in revue Verso, 2024).
|
Lectures critiques :
Les Hommes sans Épaules, numéro 57 : Poètes bretons pour une baie tellurique : « C’est un très vaste paysage de la poésie bretonne que nous dresse ce numéro de la revue Les HSE : 33 poètes auxquels on peut ajouter sans erreur des poètes présentés dans les rubriques « Porteurs de feu » ou « Ainsi étaient les Wah » inséparables de ce coin de terre, comme Perros, Delabarre et Kenneth White, ou encore Guy Allix, Emmanuel Baugue (quoiqu’un peu Normand), ou André Prodhomme (quoique d’un peu partout). Pour chacun, nous avons droit à une présentation du poète et de son œuvre, marque de fabrique inégalée de cette revue.
Rappelons à cette occasion qu’il n’existe pas d’autres revues (en ligne ou pas) ayant une connaissance aussi intime, si j’ose, d’un si grand nombre de poètes, en particulier ceux nés entre les années 1920 et 1950. Par exemple dans ce numéro, les présentations de Guillevic, Manoll, Robin, Grall, Glemnor, Cadou – pour ne citer qu’eux – méritent d’être lues pour elles-mêmes. Cela rappelé, penchons-nous sur le dossier « Poètes bretons pour une baie tellurique ». Il y a une évidente volonté d’équilibre entre poètes connus, méconnus ou inconnus tout comme entre des poètes du début, du milieu ou de la deuxième moitié du XXe siècle. Évidemment, on lui reprochera — moi le premier ! — tel ou tel auteur absent (pourquoi ne pas avoir retenu Gilles Baudry ? Charles Le Quintrec, qui pourtant publia son Village allumé chez Saint Germain des Prés ?) Mais je concède que le paysage est déjà considérable et qu’il est bon qu’il y ait quelques « injustices » pour ranimer la levée de bocks ou de ballons pris en commun.
Que ressort-il du paysage dressé ? On retrouve une très bonne illustration des grands courants poétiques bretons du siècle écoulé avec la mise en avant des très singulières années 70 et 80, qu’on peut résumer au conflit qui opposa la génération de Jack-Helliaz à celle de Grall, le premier avec son cheval d’orgueil et le second avec son cheval couché. On retient également cette tresse, que je crois propre à la Bretagne, qui rassemble une poésie ancrée, privilégiant plutôt une forme de dépouillement, une poésie « bardique », volontiers vindicative et pamphlétaire (voire guerrière), et qui aime à être mis en musique, et une poésie druidique attirée par le merveilleux et l’alchimique qui plonge volontiers dans la veine surréaliste (ce qu’affectionne particulièrement notre revue). L’élément qui réunit ces trois courants, hormis la Bretagne elle-même, c’est la place incontournable du minéral (le granit, le mica, etc.), pour ne pas dire le tellurique comme le pointe si justement le titre du dossier.
M’a frappé également, à la lecture du dossier, la relative étanchéité qui règne entre la poésie de l’Argoat et celle de l’Armor. Il semble bien qu’en Bretagne deux univers poétiques distincts se côtoient sans se confondre, ainsi que les paysages et les modes de vie. Enfin, et bien sûr ajouterai-je, le dossier permet de mesurer la solide et féconde richesse du terrain éditorial breton grâce au dévouement de quelques maisons d’éditions (pas forcément bretonnes), d’associations culturelles et artistiques très actives (comment ne pas citer « les rencontres de Max ») et de quelques figures tutélaires qui ont su jouer un rôle de découvreur ou de rassembleur (Grall, Guillevic, Brémont, Christien et Geneste aujourd’hui). Pour conclure, et picoter d’iode l’ami Christophe Dauphin, après avoir lu son passionnant édito, je me suis demandé si ce n’était pas un article pro domo pour la poésie… normande. »
Pierrick de CHERMONT (in recoursaupoeme.fr, 6 novembre 2024).
*
« Il est généralement éclairant de découvrir notre paysage poétique breton par le regard d’un observateur avisé. Il est également rassurant de constater que nos poètes continuent de susciter intérêt et curiosité, malgré la quasi-disparition des revues en Bretagne. C’est en voisin normand et poète de l’Ouest que Christophe Dauphin aborde les « poètes en Bretagne » dans un copieux numéro de la revue qu’il aime depuis 1997, Les Hommes sans Épaules.
34 poètes sont présentés de façon développée, accompagné d’un choix de textes conséquent. Pierre-Jakez Hélias, Anjela Duval, Glenmor et Xavier Grall y côtoient Gérard Le Gouic et Guénane. En dépit de leur diversité, Christophe Dauphin leur reconnait des points communs qui traversent les générations : la connivence avec les paysages tourmentés de la péninsule armoricaine, un riche imaginaire ouvert sur le monde, « un goût frondeur pour l’indépendance ».
Christophe Dauphin rappelle à bon escient l’attraction régulière de « la matière Bretagne » pour bon nombre de poètes qui n’en sont pas originaires, dont Saint-Pol-Roux, Georges Perros, Kenneth White, Samuel Bréjar et plus récemment Henri Droguet, Gérard Cléry, Colette Wittorski, Joseph Ponthus, Guy Allix, André Prodhomme et Emmanuel Baugue. La Bretagne fut aussi pour Paul Celan, de 1954 à 1961, une terre d’accueil qui lui inspira une série de poèmes dont des extraits sont reproduits dans ce dossier.
Christophe Dauphin met en lumière bon nombre de poètes qui ne figurent habituellement pas dans les ouvrages de références sur la Bretagne : Louis Guillaume, Armand Robin, Norbert Lelubre, Odile Caradec, Jacques Bertin, Danielle Collobert, Alain Morin, Alain Simon, Mérédith Le Dez et Gwen Garnier-Duguy. Il mentionne aussi plusieurs poètes bretons qui furent proches du mouvement surréaliste : Jacques Vaché, Angèle Vannier, Yves Eléouet, Hervé Delabarre. »
Marie-Josée CHRISTIEN (in revue Spered Gouez n°30, 2024).
*
La revue Les Hommes sans Épaules consacre son numéro 57 aux « Poètes en Bretagne » et rend hommage à Frédéric Tison, récemment disparu.
L’identité bretonne, préservée malgré les aléas, a permis aussi une poésie bretonne née tant de la géographie que du peuple. Plutôt que de particularismes, Christophe Dauphin, avec Glenmor, préfère parler de caractéristiques des poètes de l’Ouest : « Les habitants de ces contrées semblent avoir toujours été la proie de tentations contradictoires : l’une les presse de confier leur destin à la mer, de lâcher tout pour courir la chance de découvrir d’autres cieux, d’autres terres ; l’autre leur dépeint vivement la douceur du foyer, dans la maison tapie au bout du chemin creux, les avantages d’une existence passée dans la sécurité, que garantissent les traditions et le retour périodique des saisons. De ces contradictions, les meilleurs de ceux dont elles marquèrent le caractère ont toujours su tirer une source d’énergie. »
Louis Bertholom, de Fouesnant, précise : « Je ne sais pas si la Bretagne est une terre de poésie plus qu’ailleurs. Il existe tout de même une sensibilité spécifique des gens de Bretagne qui confère une âme à cette région, proche d’une certaine forme de mélancolie dans le sens artistique du terme. Nous avons tout un légendaire arthurien, une Brocéliande dans nos gènes qui nous poursuit malgré tout. Puis le Barzaz Breiz, les gweerzioù et autre patrimoine chanté, transmis de générations en générations qui alimentent insidieusement notre façon d’être au monde. La poésie celtique est spécifique à son territoire, avec ses connotations celtiques même s’il y a des exceptions. »
C’est la poésie elle-même qui dit le plus sur la Bretagne, ses langues et son peuple. C’est pourquoi ce numéro 57, qui rassemble un grand nombre de poètes, porte une part de l’âme bretonne au lecteur.
Rémi BOYER (in /lettreducrocodile.over-blog.net, 24 mai 2024)
Extrait de « Bretagne est univers » de Saint-Pol-Roux :
« Il ne lui suffit point de distribuer l’oracle
Et d’accroître le globe au jeu de ses timons,
Elle insère l’esprit de son propre miracle
A même la matière des bois et des monts.
Voici le coffre aux joies, le clocher, le calvaire
Et l’auguste fontaine au lipide présent.
Après, l’enchantement créé par le trouvère
Et le prince des mers, celui de l’artisan. »
Extrait de "L’enfant du druide "de Angèle Vannier :
L’enfant du druide ouvrit les vannes du silence
Un chant se répandit longtemps
L’eau le sang le feu
Les trois dans la forêt
Pour bâtir un palais d’automne
Un grand secret faisait la roue sur le parvis
D’un clair-obscur jaillit la fleur miraculeuse
Le double de la pierre philosophale.
L’enfant faisait la chasse à la folie
Il délivrait des plages de cristal
Sous un vieux chêne inconsolable.
La clé de la clé disait mon compagnon
Cet enfant la chantait »
*
« Le thème de ce numéro c’est « Poètes en Bretagne » (notez bien EN et pas DE Bretagne). C’est que pour moi ce numéro est sans surprise : j’ai déjà lu (et pas oublié, tous sont de qualité, ont leur originalité) Georges Perros, Hervé Delabarre, Paul Celan, Kenneth White, Henri Droguet, Max Jacob, Guillevic, Manoll, Armand Robin, Cadou (René Guy et Hélène), Jégou, Le Gouic, Marie-Josée Christien, Emmanuelle Le Cam, etc.
Comme dans chaque numéro de la revue Les Hommes sans Épaules, son animateur, Christophe Dauphin est infatigable : chaque auteur est abondamment présenté (bio, biblio, position historique, etc.). Il analyse brillamment les effets et les méfaits de la Celtitude, ne manque pas de pointer les crispations identitaires, le nationalisme étroit : « Il serait plus juste d’inviter les Auvergnats au festival interceltique. La Bretagne n’était pas le centre ancien du monde celtique ». Des citations quand même des moins connus : Jean-Claude Tardif : « Mes yeux accrochent leurs linges – à l’étendoir du ciel – le crépuscule ravaude ses draps » ; Jean-Paul Hameury : « Quand l’emprunte les sentiers – de l’île, mon ombre me quitte – et s’en va sur les chemins d’autrefois » ; Angèle Vannier : « Je suis née de la mer et ne le savais plus – Trop de pavots avaient maculé mes pieds nus » ; Yves Elleouët : « d’accord avec le vent – ils vont en nombre par les routes – travailleurs hagards et malmenés … - je me rassemble autour de mes os » ; et bien sûr Joseph Ponthus : « De quoi rêvent-ils – ceux qui sont aux cuirs – C’est ainsi qu’on appelle ceux qui arrachent les - peaux des bêtes juste après qu’elles aient été tuées ». Proses et nombreuses lectures critiques.
Christian Degoutte (in revue Verso, 2024).
|
Lectures critiques :
Les Hommes sans Épaules, numéro 57 : Poètes bretons pour une baie tellurique : « C’est un très vaste paysage de la poésie bretonne que nous dresse ce numéro de la revue Les HSE : 33 poètes auxquels on peut ajouter sans erreur des poètes présentés dans les rubriques « Porteurs de feu » ou « Ainsi étaient les Wah » inséparables de ce coin de terre, comme Perros, Delabarre et Kenneth White, ou encore Guy Allix, Emmanuel Baugue (quoiqu’un peu Normand), ou André Prodhomme (quoique d’un peu partout). Pour chacun, nous avons droit à une présentation du poète et de son œuvre, marque de fabrique inégalée de cette revue.
Rappelons à cette occasion qu’il n’existe pas d’autres revues (en ligne ou pas) ayant une connaissance aussi intime, si j’ose, d’un si grand nombre de poètes, en particulier ceux nés entre les années 1920 et 1950. Par exemple dans ce numéro, les présentations de Guillevic, Manoll, Robin, Grall, Glemnor, Cadou – pour ne citer qu’eux – méritent d’être lues pour elles-mêmes. Cela rappelé, penchons-nous sur le dossier « Poètes bretons pour une baie tellurique ». Il y a une évidente volonté d’équilibre entre poètes connus, méconnus ou inconnus tout comme entre des poètes du début, du milieu ou de la deuxième moitié du XXe siècle. Évidemment, on lui reprochera — moi le premier ! — tel ou tel auteur absent (pourquoi ne pas avoir retenu Gilles Baudry ? Charles Le Quintrec, qui pourtant publia son Village allumé chez Saint Germain des Prés ?) Mais je concède que le paysage est déjà considérable et qu’il est bon qu’il y ait quelques « injustices » pour ranimer la levée de bocks ou de ballons pris en commun.
Que ressort-il du paysage dressé ? On retrouve une très bonne illustration des grands courants poétiques bretons du siècle écoulé avec la mise en avant des très singulières années 70 et 80, qu’on peut résumer au conflit qui opposa la génération de Jack-Helliaz à celle de Grall, le premier avec son cheval d’orgueil et le second avec son cheval couché. On retient également cette tresse, que je crois propre à la Bretagne, qui rassemble une poésie ancrée, privilégiant plutôt une forme de dépouillement, une poésie « bardique », volontiers vindicative et pamphlétaire (voire guerrière), et qui aime à être mis en musique, et une poésie druidique attirée par le merveilleux et l’alchimique qui plonge volontiers dans la veine surréaliste (ce qu’affectionne particulièrement notre revue). L’élément qui réunit ces trois courants, hormis la Bretagne elle-même, c’est la place incontournable du minéral (le granit, le mica, etc.), pour ne pas dire le tellurique comme le pointe si justement le titre du dossier.
M’a frappé également, à la lecture du dossier, la relative étanchéité qui règne entre la poésie de l’Argoat et celle de l’Armor. Il semble bien qu’en Bretagne deux univers poétiques distincts se côtoient sans se confondre, ainsi que les paysages et les modes de vie. Enfin, et bien sûr ajouterai-je, le dossier permet de mesurer la solide et féconde richesse du terrain éditorial breton grâce au dévouement de quelques maisons d’éditions (pas forcément bretonnes), d’associations culturelles et artistiques très actives (comment ne pas citer « les rencontres de Max ») et de quelques figures tutélaires qui ont su jouer un rôle de découvreur ou de rassembleur (Grall, Guillevic, Brémont, Christien et Geneste aujourd’hui). Pour conclure, et picoter d’iode l’ami Christophe Dauphin, après avoir lu son passionnant édito, je me suis demandé si ce n’était pas un article pro domo pour la poésie… normande. »
Pierrick de CHERMONT (in recoursaupoeme.fr, 6 novembre 2024).
*
« Il est généralement éclairant de découvrir notre paysage poétique breton par le regard d’un observateur avisé. Il est également rassurant de constater que nos poètes continuent de susciter intérêt et curiosité, malgré la quasi-disparition des revues en Bretagne. C’est en voisin normand et poète de l’Ouest que Christophe Dauphin aborde les « poètes en Bretagne » dans un copieux numéro de la revue qu’il aime depuis 1997, Les Hommes sans Épaules.
34 poètes sont présentés de façon développée, accompagné d’un choix de textes conséquent. Pierre-Jakez Hélias, Anjela Duval, Glenmor et Xavier Grall y côtoient Gérard Le Gouic et Guénane. En dépit de leur diversité, Christophe Dauphin leur reconnait des points communs qui traversent les générations : la connivence avec les paysages tourmentés de la péninsule armoricaine, un riche imaginaire ouvert sur le monde, « un goût frondeur pour l’indépendance ».
Christophe Dauphin rappelle à bon escient l’attraction régulière de « la matière Bretagne » pour bon nombre de poètes qui n’en sont pas originaires, dont Saint-Pol-Roux, Georges Perros, Kenneth White, Samuel Bréjar et plus récemment Henri Droguet, Gérard Cléry, Colette Wittorski, Joseph Ponthus, Guy Allix, André Prodhomme et Emmanuel Baugue. La Bretagne fut aussi pour Paul Celan, de 1954 à 1961, une terre d’accueil qui lui inspira une série de poèmes dont des extraits sont reproduits dans ce dossier.
Christophe Dauphin met en lumière bon nombre de poètes qui ne figurent habituellement pas dans les ouvrages de références sur la Bretagne : Louis Guillaume, Armand Robin, Norbert Lelubre, Odile Caradec, Jacques Bertin, Danielle Collobert, Alain Morin, Alain Simon, Mérédith Le Dez et Gwen Garnier-Duguy. Il mentionne aussi plusieurs poètes bretons qui furent proches du mouvement surréaliste : Jacques Vaché, Angèle Vannier, Yves Eléouet, Hervé Delabarre. »
Marie-Josée CHRISTIEN (in revue Spered Gouez n°30, 2024).
*
La revue Les Hommes sans Épaules consacre son numéro 57 aux « Poètes en Bretagne » et rend hommage à Frédéric Tison, récemment disparu.
L’identité bretonne, préservée malgré les aléas, a permis aussi une poésie bretonne née tant de la géographie que du peuple. Plutôt que de particularismes, Christophe Dauphin, avec Glenmor, préfère parler de caractéristiques des poètes de l’Ouest : « Les habitants de ces contrées semblent avoir toujours été la proie de tentations contradictoires : l’une les presse de confier leur destin à la mer, de lâcher tout pour courir la chance de découvrir d’autres cieux, d’autres terres ; l’autre leur dépeint vivement la douceur du foyer, dans la maison tapie au bout du chemin creux, les avantages d’une existence passée dans la sécurité, que garantissent les traditions et le retour périodique des saisons. De ces contradictions, les meilleurs de ceux dont elles marquèrent le caractère ont toujours su tirer une source d’énergie. »
Louis Bertholom, de Fouesnant, précise : « Je ne sais pas si la Bretagne est une terre de poésie plus qu’ailleurs. Il existe tout de même une sensibilité spécifique des gens de Bretagne qui confère une âme à cette région, proche d’une certaine forme de mélancolie dans le sens artistique du terme. Nous avons tout un légendaire arthurien, une Brocéliande dans nos gènes qui nous poursuit malgré tout. Puis le Barzaz Breiz, les gweerzioù et autre patrimoine chanté, transmis de générations en générations qui alimentent insidieusement notre façon d’être au monde. La poésie celtique est spécifique à son territoire, avec ses connotations celtiques même s’il y a des exceptions. »
C’est la poésie elle-même qui dit le plus sur la Bretagne, ses langues et son peuple. C’est pourquoi ce numéro 57, qui rassemble un grand nombre de poètes, porte une part de l’âme bretonne au lecteur.
Rémi BOYER (in /lettreducrocodile.over-blog.net, 24 mai 2024)
Extrait de « Bretagne est univers » de Saint-Pol-Roux :
« Il ne lui suffit point de distribuer l’oracle
Et d’accroître le globe au jeu de ses timons,
Elle insère l’esprit de son propre miracle
A même la matière des bois et des monts.
Voici le coffre aux joies, le clocher, le calvaire
Et l’auguste fontaine au lipide présent.
Après, l’enchantement créé par le trouvère
Et le prince des mers, celui de l’artisan. »
Extrait de "L’enfant du druide "de Angèle Vannier :
L’enfant du druide ouvrit les vannes du silence
Un chant se répandit longtemps
L’eau le sang le feu
Les trois dans la forêt
Pour bâtir un palais d’automne
Un grand secret faisait la roue sur le parvis
D’un clair-obscur jaillit la fleur miraculeuse
Le double de la pierre philosophale.
L’enfant faisait la chasse à la folie
Il délivrait des plages de cristal
Sous un vieux chêne inconsolable.
La clé de la clé disait mon compagnon
Cet enfant la chantait »
*
« Le thème de ce numéro c’est « Poètes en Bretagne » (notez bien EN et pas DE Bretagne). C’est que pour moi ce numéro est sans surprise : j’ai déjà lu (et pas oublié, tous sont de qualité, ont leur originalité) Georges Perros, Hervé Delabarre, Paul Celan, Kenneth White, Henri Droguet, Max Jacob, Guillevic, Manoll, Armand Robin, Cadou (René Guy et Hélène), Jégou, Le Gouic, Marie-Josée Christien, Emmanuelle Le Cam, etc.
Comme dans chaque numéro de la revue Les Hommes sans Épaules, son animateur, Christophe Dauphin est infatigable : chaque auteur est abondamment présenté (bio, biblio, position historique, etc.). Il analyse brillamment les effets et les méfaits de la Celtitude, ne manque pas de pointer les crispations identitaires, le nationalisme étroit : « Il serait plus juste d’inviter les Auvergnats au festival interceltique. La Bretagne n’était pas le centre ancien du monde celtique ». Des citations quand même des moins connus : Jean-Claude Tardif : « Mes yeux accrochent leurs linges – à l’étendoir du ciel – le crépuscule ravaude ses draps » ; Jean-Paul Hameury : « Quand l’emprunte les sentiers – de l’île, mon ombre me quitte – et s’en va sur les chemins d’autrefois » ; Angèle Vannier : « Je suis née de la mer et ne le savais plus – Trop de pavots avaient maculé mes pieds nus » ; Yves Elleouët : « d’accord avec le vent – ils vont en nombre par les routes – travailleurs hagards et malmenés … - je me rassemble autour de mes os » ; et bien sûr Joseph Ponthus : « De quoi rêvent-ils – ceux qui sont aux cuirs – C’est ainsi qu’on appelle ceux qui arrachent les - peaux des bêtes juste après qu’elles aient été tuées ». Proses et nombreuses lectures critiques.
Christian Degoutte (in revue Verso, 2024).
|
Lectures critiques :
Les Hommes sans Épaules, numéro 57 : Poètes bretons pour une baie tellurique : « C’est un très vaste paysage de la poésie bretonne que nous dresse ce numéro de la revue Les HSE : 33 poètes auxquels on peut ajouter sans erreur des poètes présentés dans les rubriques « Porteurs de feu » ou « Ainsi étaient les Wah » inséparables de ce coin de terre, comme Perros, Delabarre et Kenneth White, ou encore Guy Allix, Emmanuel Baugue (quoiqu’un peu Normand), ou André Prodhomme (quoique d’un peu partout). Pour chacun, nous avons droit à une présentation du poète et de son œuvre, marque de fabrique inégalée de cette revue.
Rappelons à cette occasion qu’il n’existe pas d’autres revues (en ligne ou pas) ayant une connaissance aussi intime, si j’ose, d’un si grand nombre de poètes, en particulier ceux nés entre les années 1920 et 1950. Par exemple dans ce numéro, les présentations de Guillevic, Manoll, Robin, Grall, Glemnor, Cadou – pour ne citer qu’eux – méritent d’être lues pour elles-mêmes. Cela rappelé, penchons-nous sur le dossier « Poètes bretons pour une baie tellurique ». Il y a une évidente volonté d’équilibre entre poètes connus, méconnus ou inconnus tout comme entre des poètes du début, du milieu ou de la deuxième moitié du XXe siècle. Évidemment, on lui reprochera — moi le premier ! — tel ou tel auteur absent (pourquoi ne pas avoir retenu Gilles Baudry ? Charles Le Quintrec, qui pourtant publia son Village allumé chez Saint Germain des Prés ?) Mais je concède que le paysage est déjà considérable et qu’il est bon qu’il y ait quelques « injustices » pour ranimer la levée de bocks ou de ballons pris en commun.
Que ressort-il du paysage dressé ? On retrouve une très bonne illustration des grands courants poétiques bretons du siècle écoulé avec la mise en avant des très singulières années 70 et 80, qu’on peut résumer au conflit qui opposa la génération de Jack-Helliaz à celle de Grall, le premier avec son cheval d’orgueil et le second avec son cheval couché. On retient également cette tresse, que je crois propre à la Bretagne, qui rassemble une poésie ancrée, privilégiant plutôt une forme de dépouillement, une poésie « bardique », volontiers vindicative et pamphlétaire (voire guerrière), et qui aime à être mis en musique, et une poésie druidique attirée par le merveilleux et l’alchimique qui plonge volontiers dans la veine surréaliste (ce qu’affectionne particulièrement notre revue). L’élément qui réunit ces trois courants, hormis la Bretagne elle-même, c’est la place incontournable du minéral (le granit, le mica, etc.), pour ne pas dire le tellurique comme le pointe si justement le titre du dossier.
M’a frappé également, à la lecture du dossier, la relative étanchéité qui règne entre la poésie de l’Argoat et celle de l’Armor. Il semble bien qu’en Bretagne deux univers poétiques distincts se côtoient sans se confondre, ainsi que les paysages et les modes de vie. Enfin, et bien sûr ajouterai-je, le dossier permet de mesurer la solide et féconde richesse du terrain éditorial breton grâce au dévouement de quelques maisons d’éditions (pas forcément bretonnes), d’associations culturelles et artistiques très actives (comment ne pas citer « les rencontres de Max ») et de quelques figures tutélaires qui ont su jouer un rôle de découvreur ou de rassembleur (Grall, Guillevic, Brémont, Christien et Geneste aujourd’hui). Pour conclure, et picoter d’iode l’ami Christophe Dauphin, après avoir lu son passionnant édito, je me suis demandé si ce n’était pas un article pro domo pour la poésie… normande. »
Pierrick de CHERMONT (in recoursaupoeme.fr, 6 novembre 2024).
*
« Il est généralement éclairant de découvrir notre paysage poétique breton par le regard d’un observateur avisé. Il est également rassurant de constater que nos poètes continuent de susciter intérêt et curiosité, malgré la quasi-disparition des revues en Bretagne. C’est en voisin normand et poète de l’Ouest que Christophe Dauphin aborde les « poètes en Bretagne » dans un copieux numéro de la revue qu’il aime depuis 1997, Les Hommes sans Épaules.
34 poètes sont présentés de façon développée, accompagné d’un choix de textes conséquent. Pierre-Jakez Hélias, Anjela Duval, Glenmor et Xavier Grall y côtoient Gérard Le Gouic et Guénane. En dépit de leur diversité, Christophe Dauphin leur reconnait des points communs qui traversent les générations : la connivence avec les paysages tourmentés de la péninsule armoricaine, un riche imaginaire ouvert sur le monde, « un goût frondeur pour l’indépendance ».
Christophe Dauphin rappelle à bon escient l’attraction régulière de « la matière Bretagne » pour bon nombre de poètes qui n’en sont pas originaires, dont Saint-Pol-Roux, Georges Perros, Kenneth White, Samuel Bréjar et plus récemment Henri Droguet, Gérard Cléry, Colette Wittorski, Joseph Ponthus, Guy Allix, André Prodhomme et Emmanuel Baugue. La Bretagne fut aussi pour Paul Celan, de 1954 à 1961, une terre d’accueil qui lui inspira une série de poèmes dont des extraits sont reproduits dans ce dossier.
Christophe Dauphin met en lumière bon nombre de poètes qui ne figurent habituellement pas dans les ouvrages de références sur la Bretagne : Louis Guillaume, Armand Robin, Norbert Lelubre, Odile Caradec, Jacques Bertin, Danielle Collobert, Alain Morin, Alain Simon, Mérédith Le Dez et Gwen Garnier-Duguy. Il mentionne aussi plusieurs poètes bretons qui furent proches du mouvement surréaliste : Jacques Vaché, Angèle Vannier, Yves Eléouet, Hervé Delabarre. »
Marie-Josée CHRISTIEN (in revue Spered Gouez n°30, 2024).
*
La revue Les Hommes sans Épaules consacre son numéro 57 aux « Poètes en Bretagne » et rend hommage à Frédéric Tison, récemment disparu.
L’identité bretonne, préservée malgré les aléas, a permis aussi une poésie bretonne née tant de la géographie que du peuple. Plutôt que de particularismes, Christophe Dauphin, avec Glenmor, préfère parler de caractéristiques des poètes de l’Ouest : « Les habitants de ces contrées semblent avoir toujours été la proie de tentations contradictoires : l’une les presse de confier leur destin à la mer, de lâcher tout pour courir la chance de découvrir d’autres cieux, d’autres terres ; l’autre leur dépeint vivement la douceur du foyer, dans la maison tapie au bout du chemin creux, les avantages d’une existence passée dans la sécurité, que garantissent les traditions et le retour périodique des saisons. De ces contradictions, les meilleurs de ceux dont elles marquèrent le caractère ont toujours su tirer une source d’énergie. »
Louis Bertholom, de Fouesnant, précise : « Je ne sais pas si la Bretagne est une terre de poésie plus qu’ailleurs. Il existe tout de même une sensibilité spécifique des gens de Bretagne qui confère une âme à cette région, proche d’une certaine forme de mélancolie dans le sens artistique du terme. Nous avons tout un légendaire arthurien, une Brocéliande dans nos gènes qui nous poursuit malgré tout. Puis le Barzaz Breiz, les gweerzioù et autre patrimoine chanté, transmis de générations en générations qui alimentent insidieusement notre façon d’être au monde. La poésie celtique est spécifique à son territoire, avec ses connotations celtiques même s’il y a des exceptions. »
C’est la poésie elle-même qui dit le plus sur la Bretagne, ses langues et son peuple. C’est pourquoi ce numéro 57, qui rassemble un grand nombre de poètes, porte une part de l’âme bretonne au lecteur.
Rémi BOYER (in /lettreducrocodile.over-blog.net, 24 mai 2024)
Extrait de « Bretagne est univers » de Saint-Pol-Roux :
« Il ne lui suffit point de distribuer l’oracle
Et d’accroître le globe au jeu de ses timons,
Elle insère l’esprit de son propre miracle
A même la matière des bois et des monts.
Voici le coffre aux joies, le clocher, le calvaire
Et l’auguste fontaine au lipide présent.
Après, l’enchantement créé par le trouvère
Et le prince des mers, celui de l’artisan. »
Extrait de "L’enfant du druide "de Angèle Vannier :
L’enfant du druide ouvrit les vannes du silence
Un chant se répandit longtemps
L’eau le sang le feu
Les trois dans la forêt
Pour bâtir un palais d’automne
Un grand secret faisait la roue sur le parvis
D’un clair-obscur jaillit la fleur miraculeuse
Le double de la pierre philosophale.
L’enfant faisait la chasse à la folie
Il délivrait des plages de cristal
Sous un vieux chêne inconsolable.
La clé de la clé disait mon compagnon
Cet enfant la chantait »
*
« Le thème de ce numéro c’est « Poètes en Bretagne » (notez bien EN et pas DE Bretagne). C’est que pour moi ce numéro est sans surprise : j’ai déjà lu (et pas oublié, tous sont de qualité, ont leur originalité) Georges Perros, Hervé Delabarre, Paul Celan, Kenneth White, Henri Droguet, Max Jacob, Guillevic, Manoll, Armand Robin, Cadou (René Guy et Hélène), Jégou, Le Gouic, Marie-Josée Christien, Emmanuelle Le Cam, etc.
Comme dans chaque numéro de la revue Les Hommes sans Épaules, son animateur, Christophe Dauphin est infatigable : chaque auteur est abondamment présenté (bio, biblio, position historique, etc.). Il analyse brillamment les effets et les méfaits de la Celtitude, ne manque pas de pointer les crispations identitaires, le nationalisme étroit : « Il serait plus juste d’inviter les Auvergnats au festival interceltique. La Bretagne n’était pas le centre ancien du monde celtique ». Des citations quand même des moins connus : Jean-Claude Tardif : « Mes yeux accrochent leurs linges – à l’étendoir du ciel – le crépuscule ravaude ses draps » ; Jean-Paul Hameury : « Quand l’emprunte les sentiers – de l’île, mon ombre me quitte – et s’en va sur les chemins d’autrefois » ; Angèle Vannier : « Je suis née de la mer et ne le savais plus – Trop de pavots avaient maculé mes pieds nus » ; Yves Elleouët : « d’accord avec le vent – ils vont en nombre par les routes – travailleurs hagards et malmenés … - je me rassemble autour de mes os » ; et bien sûr Joseph Ponthus : « De quoi rêvent-ils – ceux qui sont aux cuirs – C’est ainsi qu’on appelle ceux qui arrachent les - peaux des bêtes juste après qu’elles aient été tuées ». Proses et nombreuses lectures critiques.
Christian Degoutte (in revue Verso, 2024).
|
|
|
|
2003 - À propos du numéro 13/14
« Les Hommes sans Épaules n°13/14… 216 pages foisonnantes à lire pour l’art subtil de rassembler ce qui est épars avec talent et perspicacité… Un exploit poétique à saluer, et qui renoue en équipe, le fil rouge des grandes revues de poésie contemporaine. » Jean-Luc Maxence (Les Cahiers du Sens n°13, 2003).
« Ce volumineux numéro double des HSE, n°13/14, ne comporte pas moins de 218 pages denses. Présenté par Jean Breton (qui ouvre ses colonnes à Jean Orizet et Thérèse Plantier), il poursuit avec la même verve, les rubriques habituelles (Ainsi furent les Wah : poètes ; Les Porteurs de Feu), dans lesquelles se retrouvent les auteurs « maison » ainsi que de nouveaux venus au talent certain, à la voix déjà travaillée dans le registre des mots. S’affrontent ici, en des joutes fraternelles : Monique Rosenberg et Claude Albarède, André Prodhomme et Jean-Luc Maxence, Herri-Gwilherm Kérouredan et Gabriel Cousin, pour ne citer que les plus attachés aux nuances du langage. Christophe Dauphin présente avec sa force habituelle le grand Albert Ayguesparse, et Jocelyne Curtil : Thérèse Plantier. Paul Farellier, avec « Présence et effacement », se penche sur les livres de poésie d’Yves Bonnefoy…Tout cela représente une somme de lecture considérable, si l’on y ajoute les chroniques. Pour clore ce numéro : une cinquantaine de pages sur « l’Affaire de la Novpoésie sur les débordements qu’elle génère. Les empoignades, si elles sont quelque part salutaires, risquent de favoriser un climat de haine et de mépris réciproque dont la Poésie pourrait bien faire les frais. Deux clans s’affrontent avec leurs partisans et leurs détracteurs et, si les propositions avancées par « Clarté-Poésie » sont pour la plupart utiles et prometteuses, mon petit doigt me dit (je le crois sur parole) que tout n’est pas idyllique dans le meilleur des mondes poétiques. » Jean Chatard (Rimbaud Revue n°31/32, juin 2004)
|
|
|
|
2008 – À propos du numéro 26
« Ce numéro 26 des HSE s’ouvre sur un manifeste dû à Abdellatif Laâbi : Ici La voix des Arabes libres… Le ton de ce texte militant est donné. Plus loin, quelques poèmes d’A. Laâbi confirment cet engagement qui replace, s’il en était besoin, le poète au cœur du monde vivant et à vif. Suivent, entre autres, des hommages et évocations (Jacquette Reboul, Louis Guillaume, Mahmoud Darwich et Jacques Taurand) ; un dense dossier consacré à Jacques Bertin par le maître des lieux, Christophe Dauphin ; des textes des « Wah », ceux qui furent proches de la revue créée en 1953 ; des textes des collaborateurs actuels, des notes dues à divers regards. Les HSE est une grande revue de littérature comme il en est peu, sachant balancer entre passé, présent et futur. » Jacques Fournier (Ici è là n°10/11, mars 2009).
« Emanant d’un groupe autour d’une librairie, Les Hommes sans Épaules maintient son cap, en bonne part grâce à la passion de Christophe Dauphin. J’ai toujours aimé ces références aux frères Rosny pour titrer les rubriques : les Wah, les Porteurs de feu et bien sûr les Hommes sans épaules. Je reviens à la revue pour son numéro 26, avec le manifeste d’Abdellatif Laâbi : « la voix des arabes libres », et l’étude de Dauphin sur le poète marocain. Je ne connaissais pas Jacquette Reboul qui comme la plupart des autres est de ces fidèles des éditeurs Chambelland, Alain Breton, Le Pont de l’Epée, Le Pont sous l’Eau et la Librairie-Galerie Racine entre autres. Et c’est une découverte, car ses proses poétiques ou récits-poèmes sont pur plaisir. Comme les poèmes de Jean Chatard, Jean Vigna, Paul Mari. Puis le dossier, consacré à Jacques Bertin, qui chante aussi bien qu’il écrit paraît-il. » Paul Van Melle (Inédit Nouveau n°232, mai 2009).
« Le plus important article de ce numéro 26 des HSE est un excellent « dossier » consacré par Christophe Dauphin à Jacques Bertin, « le poète du chant permanent », qui débuta en 1966, on n’ose pas dire comme « auteur-compositeur-interprète », suivant la formule traditionnelle – mais plutôt comme un poète chantant ses œuvres. La trentaine de poèmes qui illustre cette étude montre bien la qualité littéraire de ses textes, même sans le support de la musique. » Jacques Charpentreau (Le Coin de table n°39, juillet 2009).
« C’est Abdellatif Laâbi qui dans « la voix des arabes libres » donne le ton à la revue de Christophe Dauphin : « Nous nous insurgeons contre cette aphasie programmée dont le dessein, cousu de fil blanc, est le conditionnement des consciences avant leur mise à mort ». Après la présentation de Jacquette Reboul (par Paul Farellier) et Abdellatif Laâbi (par Christophe Dauphin) arrive le dossier sur Jacques Bertin, chanteur et poète –sur plus de 50 pages – qui nous confie : « J’ai 60 ans et j’ai besoin de croire en la vie, l’amour, la révolte, l’harmonie, l’Homme, la société. » Contre le show-business, contre les outils de la massification des comportements, Jacques Bertin symbolise l’homme toujours debout, sans concession. Outre ce dossier important sur Jacques Bertin, Christophe Dauphin s’est intéressé à Jacques Taurand, poète intimiste, héritier de Nerval et auteur de 11 recueils… Si Paul Farellier rappelle l’œuvre de Louis Guillaume, Monique W. Labidoire traite de l’identité sans nom dans l’œuvre de Jacqueline Brégeault-Tariel… Ce numéro très riche des Hommes sans Épaules se dresse contre le consensus mou et remet la dignité de l’homme au cœur du débat. » Gérard Paris (Diérèse n°45, août 2009).
|
|
|
|
Lectures :
Les Hommes sans Épaules, numéro 58 : Daniel Varoujan. Quand on reçoit un numéro des HSE, plus que pour bien des revues, il faut se précipiter sur l’éditorial de Christophe Dauphin. Il donne le ton et l’esprit aux cahiers qui suivent en dessinant un pays où s’entrelacent le mémoriel, l’histoire, le politique, les coups de gueule et les bourrades chaleureuses. Un peu comme un marin qui après un long périple revient au bar du pays et vous parle de « là-bas ».
Celui du numéro 58 est parmi les plus émouvants que j’ai lus. Il dit s’inspirer d’un manuscrit inédit (j’espère pas trop longtemps) qui nous fait partir de son village natal où prit racine sa relation avec l’Arménie par l’intermédiaire d’un ami, Raphaël Thorossov, mort en 1998, à 101 ans : « Du fond de mon enfance, je te revois Raphaël. Tu déambulais dans le village coiffé de ta légendaire toque noir et vêtu de ton manteau en astrakan […] Tu me parlais, de là-bas… Ce pays que tu avais quitté, non sans avoir emporté dans un bocal de généreux grammes de terre. “Elle partira avec moi” me disais-tu. ».
Des noms surgissent, connus ou méconnus (j’y apprends les racines arméniennes de Paul Farellier, ce qu’ami aveugle je n’avais pas relevées), des rencontres, des titres de recueils, des pages d’histoire arménienne, avec ses crimes, pillages, massacres d’hommes, femmes et enfants jusqu’à ce « génocide de 1915 », et qui fut suivi de deux guerres récentes, puis encore celle de 2020… Et pourtant le pays dont il nous parle brille d’une lumière inégalable, avec ses jardins, son architecture, sa musique car ce pays est d’abord celui apparu par un lien d’amitié : « Que d’histoire de sang et de liens fraternels avec l’Arménie dans le mouchoir de nuages de notre bourg haut-normand ! »
Après cet édito, le cahier Ainsi furent les Wah I ouvre ses pages aux auteurs ayant mentionné l’Arménie durant cette période, dont Quillard, Max Jacob, Hikmet, Mandelstam et Grossman avec son inoubliable carnet de voyage, Que la paix soit avec vous. S’y joignent des poètes arméniens, dont le plus ancien, dont on garde trace s’appelle Grégoire de Narek (940‑1000), avec ce poème « Toi qui prends soin des âmes », Siamanto, Lubin, pour donner des noms que je connais un peu. C’est une nouvelle occasion de signaler la qualité des notices biographiques de la revue qui en fait un incontournable de toute bibliothèque résolue et ambitieuse.
Quelques vers arméniens résonnent encore à mon oreille : « Nous voici, nous arrivons, nous sommes la malédiction / La lance rusée enfoncée dans l’obscurité » (Sévak). « Notre génération a plus d’amis dans l’autre monde que celui-ci » (Kostan Zarian). Je fais connaissance avec ce poème d’Armen Lubin « N’ayant plus de maison ni logis / Plus de chambre où me mettre / Je me suis fabriqué une fenêtre / Sans rien autour. »
Ensuite s’ouvre le dossier sur Daniel Varoujan qui tisse à maille serrée la biographie du poète et la tragédie du génocide durant laquelle le poète avec trois compagnons fut attaché à un arbre et lardé à mort de coups de couteau. En regard de ces pages si douloureuses représentées par l’emblématique poème « Terre rouge », me frappe cette vague de grands poèmes épiques et fraternels qui compte (au moins) Varoujan, Hikmet. Ils nous racontent l’histoire de héros éponymes de leur pays, chantent leur peuple et leurs paysages, visant ainsi, comme l’écrit Dauphin en parlant de Varoujan, à réconcilier « le mythe héroïque et le réel ».
Suit le cahier Ainsi furent les Wah II où je découvre deux poèmes de Manouchian (j’ignorai qu’il était poète) dont ces quatre vers : « J’ai pris la sinueuse allée du village ; / — Mon soleil sur les épaules comme un abricot, / À mes lèvres tremblantes un vieux chant de laboureur -, Je pars livrer mon cœur au cœur des montagnes. » C’est beau comme du Whitman.
D’autres auteurs se succèdent. Les lisant, je ne fais plus la distinction entre les poètes arméniens ou autres, les biographies s’entremêlent, avec, omniprésentes, les pages sombres de l’histoire universelle du XXe siècle, que pourtant traversent de nouveaux poèmes, telles un Nil aux eaux félines traversant les sables du désert. Quelques noms et vers lus et médités : Verdet et son Anthologie des poèmes de Buchenwald, Mélik, Bonnefoy évoquant l’Arménie et nous confiant cette définition de la poésie : « C’est tenter de rendre aux mots la pleine mémoire de ce qu’ils nomment » ; Sévak, Kertész et encore Buchenwald ; puis de grandes et belles pages sur le poète et traducteur Godel ; l’article sur la géopoésie de Chaliand, arpenteur du monde et de ses luttes qui nous dépose un conseil de vie : « Il faut conserver son esprit critique, ne jamais se laisser duper par notre propre propagande, et faire preuve de détermination, toujours… ». Je m’attarde, distrait sur ses vers biographiques : « J’ai fait plus de quinze métiers / au gré des pays et du vent / Je gravis le toit du ciel / avec ma chevelure de nuage / et mon cœur coule par la nuit des villes » ; Mahmoud Darwich apparaît en nous offrant trois poèmes de pleine humanité : « Dépose ici et maintenant la tombe que tu portes / et donne à ta vie une autre chance / de restaurer le récit » ; ou encore Gérard Mordillat, dont j’ignorais le versant poétique de son œuvre ; Akopian, poète engagé pendant quarante ans auprès du Secours populaire ; l’étonnante Krikorian, « l’arménienne de Téhéran » ; le poète Rugamba et, avec lui, le génocide des Tutsi, et ce texte « Kaddish pour l’Afrique » ; puis des poètes plus proches, des amis ou des poètes à rencontrer : Caroutch, Brissiaud, Dauphin lui-même, Tison, le neurochirurgien et poète de Besançon Laurent Thinès, Tavera, Marie Bouchez (« Les toits vaguent sur notre âme / Mais c’est sur nos mémoires que le soleil se couche »), etc.
Et pour finir, avant le généreux cahier de recension, une dernière figure vient nous saluer : Kamel Bencheikh, et avec lui, la « décennie noire » de l’Algérie que surmonte une poésie invaincue (« je n’existe plus que pour la mémoire lapidée qui m’assaille ») Un numéro des HSE à vivre comme une prière universelle de la poésie.
Pierrick DE CHERMONT (cf. Revue des revues, in recoursaupoeme.fr, 6 mars 2025).
*
Les Hommes sans Épaules sont des cahiers littéraires semestriels fondés par le poète Jean Breton en 1953. Le nom de la revue provient du roman préhistorique de J.-H. Rosny aîné, Le Félin géant (1918). Cet opus n° 58 présente un dossier sur « Daniel Varoujan et le poème de l’Arménie », préparé par Christophe Dauphin, qui dirige un comité de rédaction de cinq personnes.
C’est par la rencontre avec Raphaël Thorossov, son vieil ami, que Christophe Dauphin, citoyen de la république d’Artsakh (il possède un passeport depuis 1991) est devenu arménophile. Raphaël a été l’ami de Siamanto et Missak Manouchian.
Par le biais de la poésie et ses poètes, l’ouvrage évoque le Génocide des Arméniens, ceux des Grecs pon[1]tiques et des Assyro-Chaldéens. C’est ainsi que l’on peut lire Grégoire de Narek, Nahabed Koutchak, Sayat Nova, Siamanto, Rouben Sévak, Kostan Zarian, Eghiché Tcharents, Armen Lubin, Vahé Godel (traducteur de la plupart des poèmes), Parouïr Sévak et Violette Krikorian.
Une longue biographie précède quelques poèmes de Daniel Varoujan (“J’ai là, sur ma table, dans une coupe, un peu de terre d’Arménie. L’ami qui m’en a fait cadeau croyait m’offrir son cœur – bien loin de se douter qu’il me donnait en même temps celui de ses aïeux”).
Sont évoqués également Gérard Chaliand et Charles Akopian. Quant aux arménophiles, on trouve Pierre Quillard, cheville ouvrière du journal Pro Armenia. « Les Alliés sont en Arménie », est un long poème de Max Jacob, publié en 1916. Nazim Hikmet, Yves Bonnefoy, Ossip Mandelstam, Vassili Grossman, abordent eux aussi la tragédie arménienne.
Au fil des pages, on trouve des illustrations de Léon Tutundjian, Arshile Gorky, David Erevantsi, Ervand Kotchar…
Un livre riche qui foisonne d’informations, fait office parfois de livre d’histoire et fournit, outre les titres d’ouvrages des écrivains, d’autres titres pour ceux qui veulent approfondir leurs connaissances.
Zmrouthe AUBOZIAN (in France Arménie n°528, avril 2025).
*
Les Hommes sans Épaules consacrent ce numéro 58 à Daniel Varoujan & le poème de l’Arménie. Au cœur de ce numéro nous trouvons le génocide des Arméniens au siècle dernier, qui n’est toujours pas reconnu par nombre d’Etats, mais aussi d’autres drames, d’autres grandeurs.
Partant de son village natal et d’une expérience personnelle, Christophe Dauphin retrace le parcours de ce peuple Arménien, combattant de la liberté et victime tant de l’indifférence que des dérives autoritaires.
Nous découvrons des poètes exceptionnels, des êtres engagés, des écrits inattendus et révélateurs qui nous parlent non seulement de l’Arménie, de ses épreuves, de ses richesses, mais de la nature humaine dans ses horreurs, ses tristes banalités comme dans ses expressions les plus sublimes. C’est toute la culture et la spiritualité arménienne en ses multiples prolongements qui s’inscrit dans les mots de ces poètes, tous survivants, tous exilés, sauf peut-être d’eux-mêmes. Ce n’est pas seulement une poésie de l’exil ou de la tragédie, ou des tragédies avant la tragédie, nous y découvrons un sens aigu du politique, une sagesse, une métaphysique, un plan pour le futur.
Extrait de Terre Rouge :
J’ai là, sur ma table, dans une coupe,
un peu de terre d’Arménie.
L’ami qui m’en a fait cadeau croyait
m’offrir son cœur – bien loin de se douter
qu’il me donnait en même temps celui
de ses aïeux.
Je n’en puis détacher mes yeux –
– comme s’ils y prenaient racine…
Terre rouge. Je m’interroge :
d’où tient-elle cette rougeur ?
Mais s’abreuvant tout ensemble de vie
et de soleil, épongeant toutes les blessures,
pouvait-elle ne pas rougir ?
Couleur de sang me dis-je,
terre rouge, bien sûr, car elle est arménienne !
peut-être y frémissent encore des vestiges
de brasiers millénaires,
les fulgurances des sabots
qui naguère couvrirent d’ardente poussière
les armées d’Arménie…
Y subsiste peut-être un peu de la semence
qui me donna la vie, un reflet de l’aurore
à laquelle je dois ce regard sombre,
ce cœur qui hante un feu surgi
des sources même de l’Euphrate
ce cœur couvrant l’amour non moins que la révolte…
Ce numéro 58 est particulièrement important, il nous entraîne au cœur de l’âme arménienne mais il retrace aussi l’histoire d’un peuple qui nous définit tous.
Rémi BOYER (in lettreducrocodile.over-blog.net, 29 octobre 2024).
*
On ne peut qu’être admiratif devant la prodigieuse puissance de travail de Christophe Dauphin ainsi que par sa parfaite connaissance des poésies du monde entier. Le focus est ici placé sur l’Arménie grâce à des documents et des écrits poétiques rares et très émouvants. Avec 324 pages de lectures enrichissantes, les HSE s’affirment encore un peu plus dans le vivier de la poésie actuelle.
Georges CATHALO (in terreaciel.net, janvier 2025).
*
« On croit « tout » savoir à propos des horreurs qui ont fait le XXe siècle, mais à chaque fois on en découvre de plus affreuses encore. C’est ce qui nous arrive en lisant le n°58 de Les Hommes sans Épaules consacré à l’Arménie.
Ici, je ne vais vous parler que des poètes qui composent ce numéro (piloté par Christophe Dauphin qui présente chaque auteur en détail), des poètes des premiers âges : Grégoire de Narek (vers l’an mille) : « Toi qui prends soin des âmes / souffrantes, mutilés / à présent je T’implore / me voici gémissant // Veille à ne pas accroître ma souffrance… » Nahabed Koutchak (16èmesiècle), Sayat-Nova (18èmesiècle), aux poètes du 20èmesiècle, dont le plus remarquable à mes yeux est Armen Lubin (1903-1973) : « Ça sent l’aubergine et le piment farci / Ça sent la cuisine orientale et le phono turc / Sur le palier une petite main mendie… / … Dans cet hôtel plein d’Arméniens sortis on ne sait d’où / D’Arméniens sortis… mettons des massacres // Monta d’abord le socialiste baron Kissikian / tourneur chez Citroën… »
Il y a bien sûr Missak Manouchian « Tourmenté comme le forçat, persécuté comme l’esclave – J’ai grandi sous le fouet du mépris et de la privation /A me battre contre la mort, aspirant à la vie / J’ai été attentif à chaque enchantement » et Daniel Varoujan (un fort dossier) : « J’ai sur ma table dans une coupe / un peu de terre d’Arménie… »
D’autres poètes présents dans ce numéro sont des amis du peuple arménien (Max Jacob, Yves Bonnefoy) ou les enfants, nés en Europe de l’Ouest, d’exilés arméniens : Vahé Godel, Gérard Chaliand : « Et nous avons fatigué le désert de nos pas / portés par l’espoir de la mer / La terre, taureau funèbre dont le souffle desséchait nos corps / longue retraite / où nous n’avons rêvé que de retour natal… »
Et encore Francesca Yvonne Caroutch : « Le ciel est plein de mains coupées / et els fossiles du sommeil / oscillent sur des socles d’ombre… / … Tu cries comme une graine folle / oubliée dans un fau d’argile » ; et la relève virulente de la poésie arménienne, Violette Krikorian (née en 1960), « Prière de femme », : Donne-moi aujourd’hui ma beauté quotidienne / délivre mes yeux des travaux / d’aiguille et des lunettes / délivre ma langue de ma bouche / délivre ma bouche de la langue de bois / délivre mes mains, mes jambes, tout mon corps… » Encore plein de trucs dans ce numéro. »
Christian DEGOUTTE (in revue Verso n°200, mars 2025).
|
Lectures :
Les Hommes sans Épaules, numéro 58 : Daniel Varoujan. Quand on reçoit un numéro des HSE, plus que pour bien des revues, il faut se précipiter sur l’éditorial de Christophe Dauphin. Il donne le ton et l’esprit aux cahiers qui suivent en dessinant un pays où s’entrelacent le mémoriel, l’histoire, le politique, les coups de gueule et les bourrades chaleureuses. Un peu comme un marin qui après un long périple revient au bar du pays et vous parle de « là-bas ».
Celui du numéro 58 est parmi les plus émouvants que j’ai lus. Il dit s’inspirer d’un manuscrit inédit (j’espère pas trop longtemps) qui nous fait partir de son village natal où prit racine sa relation avec l’Arménie par l’intermédiaire d’un ami, Raphaël Thorossov, mort en 1998, à 101 ans : « Du fond de mon enfance, je te revois Raphaël. Tu déambulais dans le village coiffé de ta légendaire toque noir et vêtu de ton manteau en astrakan […] Tu me parlais, de là-bas… Ce pays que tu avais quitté, non sans avoir emporté dans un bocal de généreux grammes de terre. “Elle partira avec moi” me disais-tu. ».
Des noms surgissent, connus ou méconnus (j’y apprends les racines arméniennes de Paul Farellier, ce qu’ami aveugle je n’avais pas relevées), des rencontres, des titres de recueils, des pages d’histoire arménienne, avec ses crimes, pillages, massacres d’hommes, femmes et enfants jusqu’à ce « génocide de 1915 », et qui fut suivi de deux guerres récentes, puis encore celle de 2020… Et pourtant le pays dont il nous parle brille d’une lumière inégalable, avec ses jardins, son architecture, sa musique car ce pays est d’abord celui apparu par un lien d’amitié : « Que d’histoire de sang et de liens fraternels avec l’Arménie dans le mouchoir de nuages de notre bourg haut-normand ! »
Après cet édito, le cahier Ainsi furent les Wah I ouvre ses pages aux auteurs ayant mentionné l’Arménie durant cette période, dont Quillard, Max Jacob, Hikmet, Mandelstam et Grossman avec son inoubliable carnet de voyage, Que la paix soit avec vous. S’y joignent des poètes arméniens, dont le plus ancien, dont on garde trace s’appelle Grégoire de Narek (940‑1000), avec ce poème « Toi qui prends soin des âmes », Siamanto, Lubin, pour donner des noms que je connais un peu. C’est une nouvelle occasion de signaler la qualité des notices biographiques de la revue qui en fait un incontournable de toute bibliothèque résolue et ambitieuse.
Quelques vers arméniens résonnent encore à mon oreille : « Nous voici, nous arrivons, nous sommes la malédiction / La lance rusée enfoncée dans l’obscurité » (Sévak). « Notre génération a plus d’amis dans l’autre monde que celui-ci » (Kostan Zarian). Je fais connaissance avec ce poème d’Armen Lubin « N’ayant plus de maison ni logis / Plus de chambre où me mettre / Je me suis fabriqué une fenêtre / Sans rien autour. »
Ensuite s’ouvre le dossier sur Daniel Varoujan qui tisse à maille serrée la biographie du poète et la tragédie du génocide durant laquelle le poète avec trois compagnons fut attaché à un arbre et lardé à mort de coups de couteau. En regard de ces pages si douloureuses représentées par l’emblématique poème « Terre rouge », me frappe cette vague de grands poèmes épiques et fraternels qui compte (au moins) Varoujan, Hikmet. Ils nous racontent l’histoire de héros éponymes de leur pays, chantent leur peuple et leurs paysages, visant ainsi, comme l’écrit Dauphin en parlant de Varoujan, à réconcilier « le mythe héroïque et le réel ».
Suit le cahier Ainsi furent les Wah II où je découvre deux poèmes de Manouchian (j’ignorai qu’il était poète) dont ces quatre vers : « J’ai pris la sinueuse allée du village ; / — Mon soleil sur les épaules comme un abricot, / À mes lèvres tremblantes un vieux chant de laboureur -, Je pars livrer mon cœur au cœur des montagnes. » C’est beau comme du Whitman.
D’autres auteurs se succèdent. Les lisant, je ne fais plus la distinction entre les poètes arméniens ou autres, les biographies s’entremêlent, avec, omniprésentes, les pages sombres de l’histoire universelle du XXe siècle, que pourtant traversent de nouveaux poèmes, telles un Nil aux eaux félines traversant les sables du désert. Quelques noms et vers lus et médités : Verdet et son Anthologie des poèmes de Buchenwald, Mélik, Bonnefoy évoquant l’Arménie et nous confiant cette définition de la poésie : « C’est tenter de rendre aux mots la pleine mémoire de ce qu’ils nomment » ; Sévak, Kertész et encore Buchenwald ; puis de grandes et belles pages sur le poète et traducteur Godel ; l’article sur la géopoésie de Chaliand, arpenteur du monde et de ses luttes qui nous dépose un conseil de vie : « Il faut conserver son esprit critique, ne jamais se laisser duper par notre propre propagande, et faire preuve de détermination, toujours… ». Je m’attarde, distrait sur ses vers biographiques : « J’ai fait plus de quinze métiers / au gré des pays et du vent / Je gravis le toit du ciel / avec ma chevelure de nuage / et mon cœur coule par la nuit des villes » ; Mahmoud Darwich apparaît en nous offrant trois poèmes de pleine humanité : « Dépose ici et maintenant la tombe que tu portes / et donne à ta vie une autre chance / de restaurer le récit » ; ou encore Gérard Mordillat, dont j’ignorais le versant poétique de son œuvre ; Akopian, poète engagé pendant quarante ans auprès du Secours populaire ; l’étonnante Krikorian, « l’arménienne de Téhéran » ; le poète Rugamba et, avec lui, le génocide des Tutsi, et ce texte « Kaddish pour l’Afrique » ; puis des poètes plus proches, des amis ou des poètes à rencontrer : Caroutch, Brissiaud, Dauphin lui-même, Tison, le neurochirurgien et poète de Besançon Laurent Thinès, Tavera, Marie Bouchez (« Les toits vaguent sur notre âme / Mais c’est sur nos mémoires que le soleil se couche »), etc.
Et pour finir, avant le généreux cahier de recension, une dernière figure vient nous saluer : Kamel Bencheikh, et avec lui, la « décennie noire » de l’Algérie que surmonte une poésie invaincue (« je n’existe plus que pour la mémoire lapidée qui m’assaille ») Un numéro des HSE à vivre comme une prière universelle de la poésie.
Pierrick DE CHERMONT (cf. Revue des revues, in recoursaupoeme.fr, 6 mars 2025).
*
Les Hommes sans Épaules sont des cahiers littéraires semestriels fondés par le poète Jean Breton en 1953. Le nom de la revue provient du roman préhistorique de J.-H. Rosny aîné, Le Félin géant (1918). Cet opus n° 58 présente un dossier sur « Daniel Varoujan et le poème de l’Arménie », préparé par Christophe Dauphin, qui dirige un comité de rédaction de cinq personnes.
C’est par la rencontre avec Raphaël Thorossov, son vieil ami, que Christophe Dauphin, citoyen de la république d’Artsakh (il possède un passeport depuis 1991) est devenu arménophile. Raphaël a été l’ami de Siamanto et Missak Manouchian.
Par le biais de la poésie et ses poètes, l’ouvrage évoque le Génocide des Arméniens, ceux des Grecs pon[1]tiques et des Assyro-Chaldéens. C’est ainsi que l’on peut lire Grégoire de Narek, Nahabed Koutchak, Sayat Nova, Siamanto, Rouben Sévak, Kostan Zarian, Eghiché Tcharents, Armen Lubin, Vahé Godel (traducteur de la plupart des poèmes), Parouïr Sévak et Violette Krikorian.
Une longue biographie précède quelques poèmes de Daniel Varoujan (“J’ai là, sur ma table, dans une coupe, un peu de terre d’Arménie. L’ami qui m’en a fait cadeau croyait m’offrir son cœur – bien loin de se douter qu’il me donnait en même temps celui de ses aïeux”).
Sont évoqués également Gérard Chaliand et Charles Akopian. Quant aux arménophiles, on trouve Pierre Quillard, cheville ouvrière du journal Pro Armenia. « Les Alliés sont en Arménie », est un long poème de Max Jacob, publié en 1916. Nazim Hikmet, Yves Bonnefoy, Ossip Mandelstam, Vassili Grossman, abordent eux aussi la tragédie arménienne.
Au fil des pages, on trouve des illustrations de Léon Tutundjian, Arshile Gorky, David Erevantsi, Ervand Kotchar…
Un livre riche qui foisonne d’informations, fait office parfois de livre d’histoire et fournit, outre les titres d’ouvrages des écrivains, d’autres titres pour ceux qui veulent approfondir leurs connaissances.
Zmrouthe AUBOZIAN (in France Arménie n°528, avril 2025).
*
Les Hommes sans Épaules consacrent ce numéro 58 à Daniel Varoujan & le poème de l’Arménie. Au cœur de ce numéro nous trouvons le génocide des Arméniens au siècle dernier, qui n’est toujours pas reconnu par nombre d’Etats, mais aussi d’autres drames, d’autres grandeurs.
Partant de son village natal et d’une expérience personnelle, Christophe Dauphin retrace le parcours de ce peuple Arménien, combattant de la liberté et victime tant de l’indifférence que des dérives autoritaires.
Nous découvrons des poètes exceptionnels, des êtres engagés, des écrits inattendus et révélateurs qui nous parlent non seulement de l’Arménie, de ses épreuves, de ses richesses, mais de la nature humaine dans ses horreurs, ses tristes banalités comme dans ses expressions les plus sublimes. C’est toute la culture et la spiritualité arménienne en ses multiples prolongements qui s’inscrit dans les mots de ces poètes, tous survivants, tous exilés, sauf peut-être d’eux-mêmes. Ce n’est pas seulement une poésie de l’exil ou de la tragédie, ou des tragédies avant la tragédie, nous y découvrons un sens aigu du politique, une sagesse, une métaphysique, un plan pour le futur.
Extrait de Terre Rouge :
J’ai là, sur ma table, dans une coupe,
un peu de terre d’Arménie.
L’ami qui m’en a fait cadeau croyait
m’offrir son cœur – bien loin de se douter
qu’il me donnait en même temps celui
de ses aïeux.
Je n’en puis détacher mes yeux –
– comme s’ils y prenaient racine…
Terre rouge. Je m’interroge :
d’où tient-elle cette rougeur ?
Mais s’abreuvant tout ensemble de vie
et de soleil, épongeant toutes les blessures,
pouvait-elle ne pas rougir ?
Couleur de sang me dis-je,
terre rouge, bien sûr, car elle est arménienne !
peut-être y frémissent encore des vestiges
de brasiers millénaires,
les fulgurances des sabots
qui naguère couvrirent d’ardente poussière
les armées d’Arménie…
Y subsiste peut-être un peu de la semence
qui me donna la vie, un reflet de l’aurore
à laquelle je dois ce regard sombre,
ce cœur qui hante un feu surgi
des sources même de l’Euphrate
ce cœur couvrant l’amour non moins que la révolte…
Ce numéro 58 est particulièrement important, il nous entraîne au cœur de l’âme arménienne mais il retrace aussi l’histoire d’un peuple qui nous définit tous.
Rémi BOYER (in lettreducrocodile.over-blog.net, 29 octobre 2024).
*
On ne peut qu’être admiratif devant la prodigieuse puissance de travail de Christophe Dauphin ainsi que par sa parfaite connaissance des poésies du monde entier. Le focus est ici placé sur l’Arménie grâce à des documents et des écrits poétiques rares et très émouvants. Avec 324 pages de lectures enrichissantes, les HSE s’affirment encore un peu plus dans le vivier de la poésie actuelle.
Georges CATHALO (in terreaciel.net, janvier 2025).
*
« On croit « tout » savoir à propos des horreurs qui ont fait le XXe siècle, mais à chaque fois on en découvre de plus affreuses encore. C’est ce qui nous arrive en lisant le n°58 de Les Hommes sans Épaules consacré à l’Arménie.
Ici, je ne vais vous parler que des poètes qui composent ce numéro (piloté par Christophe Dauphin qui présente chaque auteur en détail), des poètes des premiers âges : Grégoire de Narek (vers l’an mille) : « Toi qui prends soin des âmes / souffrantes, mutilés / à présent je T’implore / me voici gémissant // Veille à ne pas accroître ma souffrance… » Nahabed Koutchak (16èmesiècle), Sayat-Nova (18èmesiècle), aux poètes du 20èmesiècle, dont le plus remarquable à mes yeux est Armen Lubin (1903-1973) : « Ça sent l’aubergine et le piment farci / Ça sent la cuisine orientale et le phono turc / Sur le palier une petite main mendie… / … Dans cet hôtel plein d’Arméniens sortis on ne sait d’où / D’Arméniens sortis… mettons des massacres // Monta d’abord le socialiste baron Kissikian / tourneur chez Citroën… »
Il y a bien sûr Missak Manouchian « Tourmenté comme le forçat, persécuté comme l’esclave – J’ai grandi sous le fouet du mépris et de la privation /A me battre contre la mort, aspirant à la vie / J’ai été attentif à chaque enchantement » et Daniel Varoujan (un fort dossier) : « J’ai sur ma table dans une coupe / un peu de terre d’Arménie… »
D’autres poètes présents dans ce numéro sont des amis du peuple arménien (Max Jacob, Yves Bonnefoy) ou les enfants, nés en Europe de l’Ouest, d’exilés arméniens : Vahé Godel, Gérard Chaliand : « Et nous avons fatigué le désert de nos pas / portés par l’espoir de la mer / La terre, taureau funèbre dont le souffle desséchait nos corps / longue retraite / où nous n’avons rêvé que de retour natal… »
Et encore Francesca Yvonne Caroutch : « Le ciel est plein de mains coupées / et els fossiles du sommeil / oscillent sur des socles d’ombre… / … Tu cries comme une graine folle / oubliée dans un fau d’argile » ; et la relève virulente de la poésie arménienne, Violette Krikorian (née en 1960), « Prière de femme », : Donne-moi aujourd’hui ma beauté quotidienne / délivre mes yeux des travaux / d’aiguille et des lunettes / délivre ma langue de ma bouche / délivre ma bouche de la langue de bois / délivre mes mains, mes jambes, tout mon corps… » Encore plein de trucs dans ce numéro. »
Christian DEGOUTTE (in revue Verso n°200, mars 2025).
|
Lectures :
Les Hommes sans Épaules, numéro 58 : Daniel Varoujan. Quand on reçoit un numéro des HSE, plus que pour bien des revues, il faut se précipiter sur l’éditorial de Christophe Dauphin. Il donne le ton et l’esprit aux cahiers qui suivent en dessinant un pays où s’entrelacent le mémoriel, l’histoire, le politique, les coups de gueule et les bourrades chaleureuses. Un peu comme un marin qui après un long périple revient au bar du pays et vous parle de « là-bas ».
Celui du numéro 58 est parmi les plus émouvants que j’ai lus. Il dit s’inspirer d’un manuscrit inédit (j’espère pas trop longtemps) qui nous fait partir de son village natal où prit racine sa relation avec l’Arménie par l’intermédiaire d’un ami, Raphaël Thorossov, mort en 1998, à 101 ans : « Du fond de mon enfance, je te revois Raphaël. Tu déambulais dans le village coiffé de ta légendaire toque noir et vêtu de ton manteau en astrakan […] Tu me parlais, de là-bas… Ce pays que tu avais quitté, non sans avoir emporté dans un bocal de généreux grammes de terre. “Elle partira avec moi” me disais-tu. ».
Des noms surgissent, connus ou méconnus (j’y apprends les racines arméniennes de Paul Farellier, ce qu’ami aveugle je n’avais pas relevées), des rencontres, des titres de recueils, des pages d’histoire arménienne, avec ses crimes, pillages, massacres d’hommes, femmes et enfants jusqu’à ce « génocide de 1915 », et qui fut suivi de deux guerres récentes, puis encore celle de 2020… Et pourtant le pays dont il nous parle brille d’une lumière inégalable, avec ses jardins, son architecture, sa musique car ce pays est d’abord celui apparu par un lien d’amitié : « Que d’histoire de sang et de liens fraternels avec l’Arménie dans le mouchoir de nuages de notre bourg haut-normand ! »
Après cet édito, le cahier Ainsi furent les Wah I ouvre ses pages aux auteurs ayant mentionné l’Arménie durant cette période, dont Quillard, Max Jacob, Hikmet, Mandelstam et Grossman avec son inoubliable carnet de voyage, Que la paix soit avec vous. S’y joignent des poètes arméniens, dont le plus ancien, dont on garde trace s’appelle Grégoire de Narek (940‑1000), avec ce poème « Toi qui prends soin des âmes », Siamanto, Lubin, pour donner des noms que je connais un peu. C’est une nouvelle occasion de signaler la qualité des notices biographiques de la revue qui en fait un incontournable de toute bibliothèque résolue et ambitieuse.
Quelques vers arméniens résonnent encore à mon oreille : « Nous voici, nous arrivons, nous sommes la malédiction / La lance rusée enfoncée dans l’obscurité » (Sévak). « Notre génération a plus d’amis dans l’autre monde que celui-ci » (Kostan Zarian). Je fais connaissance avec ce poème d’Armen Lubin « N’ayant plus de maison ni logis / Plus de chambre où me mettre / Je me suis fabriqué une fenêtre / Sans rien autour. »
Ensuite s’ouvre le dossier sur Daniel Varoujan qui tisse à maille serrée la biographie du poète et la tragédie du génocide durant laquelle le poète avec trois compagnons fut attaché à un arbre et lardé à mort de coups de couteau. En regard de ces pages si douloureuses représentées par l’emblématique poème « Terre rouge », me frappe cette vague de grands poèmes épiques et fraternels qui compte (au moins) Varoujan, Hikmet. Ils nous racontent l’histoire de héros éponymes de leur pays, chantent leur peuple et leurs paysages, visant ainsi, comme l’écrit Dauphin en parlant de Varoujan, à réconcilier « le mythe héroïque et le réel ».
Suit le cahier Ainsi furent les Wah II où je découvre deux poèmes de Manouchian (j’ignorai qu’il était poète) dont ces quatre vers : « J’ai pris la sinueuse allée du village ; / — Mon soleil sur les épaules comme un abricot, / À mes lèvres tremblantes un vieux chant de laboureur -, Je pars livrer mon cœur au cœur des montagnes. » C’est beau comme du Whitman.
D’autres auteurs se succèdent. Les lisant, je ne fais plus la distinction entre les poètes arméniens ou autres, les biographies s’entremêlent, avec, omniprésentes, les pages sombres de l’histoire universelle du XXe siècle, que pourtant traversent de nouveaux poèmes, telles un Nil aux eaux félines traversant les sables du désert. Quelques noms et vers lus et médités : Verdet et son Anthologie des poèmes de Buchenwald, Mélik, Bonnefoy évoquant l’Arménie et nous confiant cette définition de la poésie : « C’est tenter de rendre aux mots la pleine mémoire de ce qu’ils nomment » ; Sévak, Kertész et encore Buchenwald ; puis de grandes et belles pages sur le poète et traducteur Godel ; l’article sur la géopoésie de Chaliand, arpenteur du monde et de ses luttes qui nous dépose un conseil de vie : « Il faut conserver son esprit critique, ne jamais se laisser duper par notre propre propagande, et faire preuve de détermination, toujours… ». Je m’attarde, distrait sur ses vers biographiques : « J’ai fait plus de quinze métiers / au gré des pays et du vent / Je gravis le toit du ciel / avec ma chevelure de nuage / et mon cœur coule par la nuit des villes » ; Mahmoud Darwich apparaît en nous offrant trois poèmes de pleine humanité : « Dépose ici et maintenant la tombe que tu portes / et donne à ta vie une autre chance / de restaurer le récit » ; ou encore Gérard Mordillat, dont j’ignorais le versant poétique de son œuvre ; Akopian, poète engagé pendant quarante ans auprès du Secours populaire ; l’étonnante Krikorian, « l’arménienne de Téhéran » ; le poète Rugamba et, avec lui, le génocide des Tutsi, et ce texte « Kaddish pour l’Afrique » ; puis des poètes plus proches, des amis ou des poètes à rencontrer : Caroutch, Brissiaud, Dauphin lui-même, Tison, le neurochirurgien et poète de Besançon Laurent Thinès, Tavera, Marie Bouchez (« Les toits vaguent sur notre âme / Mais c’est sur nos mémoires que le soleil se couche »), etc.
Et pour finir, avant le généreux cahier de recension, une dernière figure vient nous saluer : Kamel Bencheikh, et avec lui, la « décennie noire » de l’Algérie que surmonte une poésie invaincue (« je n’existe plus que pour la mémoire lapidée qui m’assaille ») Un numéro des HSE à vivre comme une prière universelle de la poésie.
Pierrick DE CHERMONT (cf. Revue des revues, in recoursaupoeme.fr, 6 mars 2025).
*
Les Hommes sans Épaules sont des cahiers littéraires semestriels fondés par le poète Jean Breton en 1953. Le nom de la revue provient du roman préhistorique de J.-H. Rosny aîné, Le Félin géant (1918). Cet opus n° 58 présente un dossier sur « Daniel Varoujan et le poème de l’Arménie », préparé par Christophe Dauphin, qui dirige un comité de rédaction de cinq personnes.
C’est par la rencontre avec Raphaël Thorossov, son vieil ami, que Christophe Dauphin, citoyen de la république d’Artsakh (il possède un passeport depuis 1991) est devenu arménophile. Raphaël a été l’ami de Siamanto et Missak Manouchian.
Par le biais de la poésie et ses poètes, l’ouvrage évoque le Génocide des Arméniens, ceux des Grecs pon[1]tiques et des Assyro-Chaldéens. C’est ainsi que l’on peut lire Grégoire de Narek, Nahabed Koutchak, Sayat Nova, Siamanto, Rouben Sévak, Kostan Zarian, Eghiché Tcharents, Armen Lubin, Vahé Godel (traducteur de la plupart des poèmes), Parouïr Sévak et Violette Krikorian.
Une longue biographie précède quelques poèmes de Daniel Varoujan (“J’ai là, sur ma table, dans une coupe, un peu de terre d’Arménie. L’ami qui m’en a fait cadeau croyait m’offrir son cœur – bien loin de se douter qu’il me donnait en même temps celui de ses aïeux”).
Sont évoqués également Gérard Chaliand et Charles Akopian. Quant aux arménophiles, on trouve Pierre Quillard, cheville ouvrière du journal Pro Armenia. « Les Alliés sont en Arménie », est un long poème de Max Jacob, publié en 1916. Nazim Hikmet, Yves Bonnefoy, Ossip Mandelstam, Vassili Grossman, abordent eux aussi la tragédie arménienne.
Au fil des pages, on trouve des illustrations de Léon Tutundjian, Arshile Gorky, David Erevantsi, Ervand Kotchar…
Un livre riche qui foisonne d’informations, fait office parfois de livre d’histoire et fournit, outre les titres d’ouvrages des écrivains, d’autres titres pour ceux qui veulent approfondir leurs connaissances.
Zmrouthe AUBOZIAN (in France Arménie n°528, avril 2025).
*
Les Hommes sans Épaules consacrent ce numéro 58 à Daniel Varoujan & le poème de l’Arménie. Au cœur de ce numéro nous trouvons le génocide des Arméniens au siècle dernier, qui n’est toujours pas reconnu par nombre d’Etats, mais aussi d’autres drames, d’autres grandeurs.
Partant de son village natal et d’une expérience personnelle, Christophe Dauphin retrace le parcours de ce peuple Arménien, combattant de la liberté et victime tant de l’indifférence que des dérives autoritaires.
Nous découvrons des poètes exceptionnels, des êtres engagés, des écrits inattendus et révélateurs qui nous parlent non seulement de l’Arménie, de ses épreuves, de ses richesses, mais de la nature humaine dans ses horreurs, ses tristes banalités comme dans ses expressions les plus sublimes. C’est toute la culture et la spiritualité arménienne en ses multiples prolongements qui s’inscrit dans les mots de ces poètes, tous survivants, tous exilés, sauf peut-être d’eux-mêmes. Ce n’est pas seulement une poésie de l’exil ou de la tragédie, ou des tragédies avant la tragédie, nous y découvrons un sens aigu du politique, une sagesse, une métaphysique, un plan pour le futur.
Extrait de Terre Rouge :
J’ai là, sur ma table, dans une coupe,
un peu de terre d’Arménie.
L’ami qui m’en a fait cadeau croyait
m’offrir son cœur – bien loin de se douter
qu’il me donnait en même temps celui
de ses aïeux.
Je n’en puis détacher mes yeux –
– comme s’ils y prenaient racine…
Terre rouge. Je m’interroge :
d’où tient-elle cette rougeur ?
Mais s’abreuvant tout ensemble de vie
et de soleil, épongeant toutes les blessures,
pouvait-elle ne pas rougir ?
Couleur de sang me dis-je,
terre rouge, bien sûr, car elle est arménienne !
peut-être y frémissent encore des vestiges
de brasiers millénaires,
les fulgurances des sabots
qui naguère couvrirent d’ardente poussière
les armées d’Arménie…
Y subsiste peut-être un peu de la semence
qui me donna la vie, un reflet de l’aurore
à laquelle je dois ce regard sombre,
ce cœur qui hante un feu surgi
des sources même de l’Euphrate
ce cœur couvrant l’amour non moins que la révolte…
Ce numéro 58 est particulièrement important, il nous entraîne au cœur de l’âme arménienne mais il retrace aussi l’histoire d’un peuple qui nous définit tous.
Rémi BOYER (in lettreducrocodile.over-blog.net, 29 octobre 2024).
*
On ne peut qu’être admiratif devant la prodigieuse puissance de travail de Christophe Dauphin ainsi que par sa parfaite connaissance des poésies du monde entier. Le focus est ici placé sur l’Arménie grâce à des documents et des écrits poétiques rares et très émouvants. Avec 324 pages de lectures enrichissantes, les HSE s’affirment encore un peu plus dans le vivier de la poésie actuelle.
Georges CATHALO (in terreaciel.net, janvier 2025).
*
« On croit « tout » savoir à propos des horreurs qui ont fait le XXe siècle, mais à chaque fois on en découvre de plus affreuses encore. C’est ce qui nous arrive en lisant le n°58 de Les Hommes sans Épaules consacré à l’Arménie.
Ici, je ne vais vous parler que des poètes qui composent ce numéro (piloté par Christophe Dauphin qui présente chaque auteur en détail), des poètes des premiers âges : Grégoire de Narek (vers l’an mille) : « Toi qui prends soin des âmes / souffrantes, mutilés / à présent je T’implore / me voici gémissant // Veille à ne pas accroître ma souffrance… » Nahabed Koutchak (16èmesiècle), Sayat-Nova (18èmesiècle), aux poètes du 20èmesiècle, dont le plus remarquable à mes yeux est Armen Lubin (1903-1973) : « Ça sent l’aubergine et le piment farci / Ça sent la cuisine orientale et le phono turc / Sur le palier une petite main mendie… / … Dans cet hôtel plein d’Arméniens sortis on ne sait d’où / D’Arméniens sortis… mettons des massacres // Monta d’abord le socialiste baron Kissikian / tourneur chez Citroën… »
Il y a bien sûr Missak Manouchian « Tourmenté comme le forçat, persécuté comme l’esclave – J’ai grandi sous le fouet du mépris et de la privation /A me battre contre la mort, aspirant à la vie / J’ai été attentif à chaque enchantement » et Daniel Varoujan (un fort dossier) : « J’ai sur ma table dans une coupe / un peu de terre d’Arménie… »
D’autres poètes présents dans ce numéro sont des amis du peuple arménien (Max Jacob, Yves Bonnefoy) ou les enfants, nés en Europe de l’Ouest, d’exilés arméniens : Vahé Godel, Gérard Chaliand : « Et nous avons fatigué le désert de nos pas / portés par l’espoir de la mer / La terre, taureau funèbre dont le souffle desséchait nos corps / longue retraite / où nous n’avons rêvé que de retour natal… »
Et encore Francesca Yvonne Caroutch : « Le ciel est plein de mains coupées / et els fossiles du sommeil / oscillent sur des socles d’ombre… / … Tu cries comme une graine folle / oubliée dans un fau d’argile » ; et la relève virulente de la poésie arménienne, Violette Krikorian (née en 1960), « Prière de femme », : Donne-moi aujourd’hui ma beauté quotidienne / délivre mes yeux des travaux / d’aiguille et des lunettes / délivre ma langue de ma bouche / délivre ma bouche de la langue de bois / délivre mes mains, mes jambes, tout mon corps… » Encore plein de trucs dans ce numéro. »
Christian DEGOUTTE (in revue Verso n°200, mars 2025).
|
Lectures :
Les Hommes sans Épaules, numéro 58 : Daniel Varoujan. Quand on reçoit un numéro des HSE, plus que pour bien des revues, il faut se précipiter sur l’éditorial de Christophe Dauphin. Il donne le ton et l’esprit aux cahiers qui suivent en dessinant un pays où s’entrelacent le mémoriel, l’histoire, le politique, les coups de gueule et les bourrades chaleureuses. Un peu comme un marin qui après un long périple revient au bar du pays et vous parle de « là-bas ».
Celui du numéro 58 est parmi les plus émouvants que j’ai lus. Il dit s’inspirer d’un manuscrit inédit (j’espère pas trop longtemps) qui nous fait partir de son village natal où prit racine sa relation avec l’Arménie par l’intermédiaire d’un ami, Raphaël Thorossov, mort en 1998, à 101 ans : « Du fond de mon enfance, je te revois Raphaël. Tu déambulais dans le village coiffé de ta légendaire toque noir et vêtu de ton manteau en astrakan […] Tu me parlais, de là-bas… Ce pays que tu avais quitté, non sans avoir emporté dans un bocal de généreux grammes de terre. “Elle partira avec moi” me disais-tu. ».
Des noms surgissent, connus ou méconnus (j’y apprends les racines arméniennes de Paul Farellier, ce qu’ami aveugle je n’avais pas relevées), des rencontres, des titres de recueils, des pages d’histoire arménienne, avec ses crimes, pillages, massacres d’hommes, femmes et enfants jusqu’à ce « génocide de 1915 », et qui fut suivi de deux guerres récentes, puis encore celle de 2020… Et pourtant le pays dont il nous parle brille d’une lumière inégalable, avec ses jardins, son architecture, sa musique car ce pays est d’abord celui apparu par un lien d’amitié : « Que d’histoire de sang et de liens fraternels avec l’Arménie dans le mouchoir de nuages de notre bourg haut-normand ! »
Après cet édito, le cahier Ainsi furent les Wah I ouvre ses pages aux auteurs ayant mentionné l’Arménie durant cette période, dont Quillard, Max Jacob, Hikmet, Mandelstam et Grossman avec son inoubliable carnet de voyage, Que la paix soit avec vous. S’y joignent des poètes arméniens, dont le plus ancien, dont on garde trace s’appelle Grégoire de Narek (940‑1000), avec ce poème « Toi qui prends soin des âmes », Siamanto, Lubin, pour donner des noms que je connais un peu. C’est une nouvelle occasion de signaler la qualité des notices biographiques de la revue qui en fait un incontournable de toute bibliothèque résolue et ambitieuse.
Quelques vers arméniens résonnent encore à mon oreille : « Nous voici, nous arrivons, nous sommes la malédiction / La lance rusée enfoncée dans l’obscurité » (Sévak). « Notre génération a plus d’amis dans l’autre monde que celui-ci » (Kostan Zarian). Je fais connaissance avec ce poème d’Armen Lubin « N’ayant plus de maison ni logis / Plus de chambre où me mettre / Je me suis fabriqué une fenêtre / Sans rien autour. »
Ensuite s’ouvre le dossier sur Daniel Varoujan qui tisse à maille serrée la biographie du poète et la tragédie du génocide durant laquelle le poète avec trois compagnons fut attaché à un arbre et lardé à mort de coups de couteau. En regard de ces pages si douloureuses représentées par l’emblématique poème « Terre rouge », me frappe cette vague de grands poèmes épiques et fraternels qui compte (au moins) Varoujan, Hikmet. Ils nous racontent l’histoire de héros éponymes de leur pays, chantent leur peuple et leurs paysages, visant ainsi, comme l’écrit Dauphin en parlant de Varoujan, à réconcilier « le mythe héroïque et le réel ».
Suit le cahier Ainsi furent les Wah II où je découvre deux poèmes de Manouchian (j’ignorai qu’il était poète) dont ces quatre vers : « J’ai pris la sinueuse allée du village ; / — Mon soleil sur les épaules comme un abricot, / À mes lèvres tremblantes un vieux chant de laboureur -, Je pars livrer mon cœur au cœur des montagnes. » C’est beau comme du Whitman.
D’autres auteurs se succèdent. Les lisant, je ne fais plus la distinction entre les poètes arméniens ou autres, les biographies s’entremêlent, avec, omniprésentes, les pages sombres de l’histoire universelle du XXe siècle, que pourtant traversent de nouveaux poèmes, telles un Nil aux eaux félines traversant les sables du désert. Quelques noms et vers lus et médités : Verdet et son Anthologie des poèmes de Buchenwald, Mélik, Bonnefoy évoquant l’Arménie et nous confiant cette définition de la poésie : « C’est tenter de rendre aux mots la pleine mémoire de ce qu’ils nomment » ; Sévak, Kertész et encore Buchenwald ; puis de grandes et belles pages sur le poète et traducteur Godel ; l’article sur la géopoésie de Chaliand, arpenteur du monde et de ses luttes qui nous dépose un conseil de vie : « Il faut conserver son esprit critique, ne jamais se laisser duper par notre propre propagande, et faire preuve de détermination, toujours… ». Je m’attarde, distrait sur ses vers biographiques : « J’ai fait plus de quinze métiers / au gré des pays et du vent / Je gravis le toit du ciel / avec ma chevelure de nuage / et mon cœur coule par la nuit des villes » ; Mahmoud Darwich apparaît en nous offrant trois poèmes de pleine humanité : « Dépose ici et maintenant la tombe que tu portes / et donne à ta vie une autre chance / de restaurer le récit » ; ou encore Gérard Mordillat, dont j’ignorais le versant poétique de son œuvre ; Akopian, poète engagé pendant quarante ans auprès du Secours populaire ; l’étonnante Krikorian, « l’arménienne de Téhéran » ; le poète Rugamba et, avec lui, le génocide des Tutsi, et ce texte « Kaddish pour l’Afrique » ; puis des poètes plus proches, des amis ou des poètes à rencontrer : Caroutch, Brissiaud, Dauphin lui-même, Tison, le neurochirurgien et poète de Besançon Laurent Thinès, Tavera, Marie Bouchez (« Les toits vaguent sur notre âme / Mais c’est sur nos mémoires que le soleil se couche »), etc.
Et pour finir, avant le généreux cahier de recension, une dernière figure vient nous saluer : Kamel Bencheikh, et avec lui, la « décennie noire » de l’Algérie que surmonte une poésie invaincue (« je n’existe plus que pour la mémoire lapidée qui m’assaille ») Un numéro des HSE à vivre comme une prière universelle de la poésie.
Pierrick DE CHERMONT (cf. Revue des revues, in recoursaupoeme.fr, 6 mars 2025).
*
Les Hommes sans Épaules sont des cahiers littéraires semestriels fondés par le poète Jean Breton en 1953. Le nom de la revue provient du roman préhistorique de J.-H. Rosny aîné, Le Félin géant (1918). Cet opus n° 58 présente un dossier sur « Daniel Varoujan et le poème de l’Arménie », préparé par Christophe Dauphin, qui dirige un comité de rédaction de cinq personnes.
C’est par la rencontre avec Raphaël Thorossov, son vieil ami, que Christophe Dauphin, citoyen de la république d’Artsakh (il possède un passeport depuis 1991) est devenu arménophile. Raphaël a été l’ami de Siamanto et Missak Manouchian.
Par le biais de la poésie et ses poètes, l’ouvrage évoque le Génocide des Arméniens, ceux des Grecs pon[1]tiques et des Assyro-Chaldéens. C’est ainsi que l’on peut lire Grégoire de Narek, Nahabed Koutchak, Sayat Nova, Siamanto, Rouben Sévak, Kostan Zarian, Eghiché Tcharents, Armen Lubin, Vahé Godel (traducteur de la plupart des poèmes), Parouïr Sévak et Violette Krikorian.
Une longue biographie précède quelques poèmes de Daniel Varoujan (“J’ai là, sur ma table, dans une coupe, un peu de terre d’Arménie. L’ami qui m’en a fait cadeau croyait m’offrir son cœur – bien loin de se douter qu’il me donnait en même temps celui de ses aïeux”).
Sont évoqués également Gérard Chaliand et Charles Akopian. Quant aux arménophiles, on trouve Pierre Quillard, cheville ouvrière du journal Pro Armenia. « Les Alliés sont en Arménie », est un long poème de Max Jacob, publié en 1916. Nazim Hikmet, Yves Bonnefoy, Ossip Mandelstam, Vassili Grossman, abordent eux aussi la tragédie arménienne.
Au fil des pages, on trouve des illustrations de Léon Tutundjian, Arshile Gorky, David Erevantsi, Ervand Kotchar…
Un livre riche qui foisonne d’informations, fait office parfois de livre d’histoire et fournit, outre les titres d’ouvrages des écrivains, d’autres titres pour ceux qui veulent approfondir leurs connaissances.
Zmrouthe AUBOZIAN (in France Arménie n°528, avril 2025).
*
Les Hommes sans Épaules consacrent ce numéro 58 à Daniel Varoujan & le poème de l’Arménie. Au cœur de ce numéro nous trouvons le génocide des Arméniens au siècle dernier, qui n’est toujours pas reconnu par nombre d’Etats, mais aussi d’autres drames, d’autres grandeurs.
Partant de son village natal et d’une expérience personnelle, Christophe Dauphin retrace le parcours de ce peuple Arménien, combattant de la liberté et victime tant de l’indifférence que des dérives autoritaires.
Nous découvrons des poètes exceptionnels, des êtres engagés, des écrits inattendus et révélateurs qui nous parlent non seulement de l’Arménie, de ses épreuves, de ses richesses, mais de la nature humaine dans ses horreurs, ses tristes banalités comme dans ses expressions les plus sublimes. C’est toute la culture et la spiritualité arménienne en ses multiples prolongements qui s’inscrit dans les mots de ces poètes, tous survivants, tous exilés, sauf peut-être d’eux-mêmes. Ce n’est pas seulement une poésie de l’exil ou de la tragédie, ou des tragédies avant la tragédie, nous y découvrons un sens aigu du politique, une sagesse, une métaphysique, un plan pour le futur.
Extrait de Terre Rouge :
J’ai là, sur ma table, dans une coupe,
un peu de terre d’Arménie.
L’ami qui m’en a fait cadeau croyait
m’offrir son cœur – bien loin de se douter
qu’il me donnait en même temps celui
de ses aïeux.
Je n’en puis détacher mes yeux –
– comme s’ils y prenaient racine…
Terre rouge. Je m’interroge :
d’où tient-elle cette rougeur ?
Mais s’abreuvant tout ensemble de vie
et de soleil, épongeant toutes les blessures,
pouvait-elle ne pas rougir ?
Couleur de sang me dis-je,
terre rouge, bien sûr, car elle est arménienne !
peut-être y frémissent encore des vestiges
de brasiers millénaires,
les fulgurances des sabots
qui naguère couvrirent d’ardente poussière
les armées d’Arménie…
Y subsiste peut-être un peu de la semence
qui me donna la vie, un reflet de l’aurore
à laquelle je dois ce regard sombre,
ce cœur qui hante un feu surgi
des sources même de l’Euphrate
ce cœur couvrant l’amour non moins que la révolte…
Ce numéro 58 est particulièrement important, il nous entraîne au cœur de l’âme arménienne mais il retrace aussi l’histoire d’un peuple qui nous définit tous.
Rémi BOYER (in lettreducrocodile.over-blog.net, 29 octobre 2024).
*
On ne peut qu’être admiratif devant la prodigieuse puissance de travail de Christophe Dauphin ainsi que par sa parfaite connaissance des poésies du monde entier. Le focus est ici placé sur l’Arménie grâce à des documents et des écrits poétiques rares et très émouvants. Avec 324 pages de lectures enrichissantes, les HSE s’affirment encore un peu plus dans le vivier de la poésie actuelle.
Georges CATHALO (in terreaciel.net, janvier 2025).
*
« On croit « tout » savoir à propos des horreurs qui ont fait le XXe siècle, mais à chaque fois on en découvre de plus affreuses encore. C’est ce qui nous arrive en lisant le n°58 de Les Hommes sans Épaules consacré à l’Arménie.
Ici, je ne vais vous parler que des poètes qui composent ce numéro (piloté par Christophe Dauphin qui présente chaque auteur en détail), des poètes des premiers âges : Grégoire de Narek (vers l’an mille) : « Toi qui prends soin des âmes / souffrantes, mutilés / à présent je T’implore / me voici gémissant // Veille à ne pas accroître ma souffrance… » Nahabed Koutchak (16èmesiècle), Sayat-Nova (18èmesiècle), aux poètes du 20èmesiècle, dont le plus remarquable à mes yeux est Armen Lubin (1903-1973) : « Ça sent l’aubergine et le piment farci / Ça sent la cuisine orientale et le phono turc / Sur le palier une petite main mendie… / … Dans cet hôtel plein d’Arméniens sortis on ne sait d’où / D’Arméniens sortis… mettons des massacres // Monta d’abord le socialiste baron Kissikian / tourneur chez Citroën… »
Il y a bien sûr Missak Manouchian « Tourmenté comme le forçat, persécuté comme l’esclave – J’ai grandi sous le fouet du mépris et de la privation /A me battre contre la mort, aspirant à la vie / J’ai été attentif à chaque enchantement » et Daniel Varoujan (un fort dossier) : « J’ai sur ma table dans une coupe / un peu de terre d’Arménie… »
D’autres poètes présents dans ce numéro sont des amis du peuple arménien (Max Jacob, Yves Bonnefoy) ou les enfants, nés en Europe de l’Ouest, d’exilés arméniens : Vahé Godel, Gérard Chaliand : « Et nous avons fatigué le désert de nos pas / portés par l’espoir de la mer / La terre, taureau funèbre dont le souffle desséchait nos corps / longue retraite / où nous n’avons rêvé que de retour natal… »
Et encore Francesca Yvonne Caroutch : « Le ciel est plein de mains coupées / et els fossiles du sommeil / oscillent sur des socles d’ombre… / … Tu cries comme une graine folle / oubliée dans un fau d’argile » ; et la relève virulente de la poésie arménienne, Violette Krikorian (née en 1960), « Prière de femme », : Donne-moi aujourd’hui ma beauté quotidienne / délivre mes yeux des travaux / d’aiguille et des lunettes / délivre ma langue de ma bouche / délivre ma bouche de la langue de bois / délivre mes mains, mes jambes, tout mon corps… » Encore plein de trucs dans ce numéro. »
Christian DEGOUTTE (in revue Verso n°200, mars 2025).
|
Lectures :
Les Hommes sans Épaules, numéro 58 : Daniel Varoujan. Quand on reçoit un numéro des HSE, plus que pour bien des revues, il faut se précipiter sur l’éditorial de Christophe Dauphin. Il donne le ton et l’esprit aux cahiers qui suivent en dessinant un pays où s’entrelacent le mémoriel, l’histoire, le politique, les coups de gueule et les bourrades chaleureuses. Un peu comme un marin qui après un long périple revient au bar du pays et vous parle de « là-bas ».
Celui du numéro 58 est parmi les plus émouvants que j’ai lus. Il dit s’inspirer d’un manuscrit inédit (j’espère pas trop longtemps) qui nous fait partir de son village natal où prit racine sa relation avec l’Arménie par l’intermédiaire d’un ami, Raphaël Thorossov, mort en 1998, à 101 ans : « Du fond de mon enfance, je te revois Raphaël. Tu déambulais dans le village coiffé de ta légendaire toque noir et vêtu de ton manteau en astrakan […] Tu me parlais, de là-bas… Ce pays que tu avais quitté, non sans avoir emporté dans un bocal de généreux grammes de terre. “Elle partira avec moi” me disais-tu. ».
Des noms surgissent, connus ou méconnus (j’y apprends les racines arméniennes de Paul Farellier, ce qu’ami aveugle je n’avais pas relevées), des rencontres, des titres de recueils, des pages d’histoire arménienne, avec ses crimes, pillages, massacres d’hommes, femmes et enfants jusqu’à ce « génocide de 1915 », et qui fut suivi de deux guerres récentes, puis encore celle de 2020… Et pourtant le pays dont il nous parle brille d’une lumière inégalable, avec ses jardins, son architecture, sa musique car ce pays est d’abord celui apparu par un lien d’amitié : « Que d’histoire de sang et de liens fraternels avec l’Arménie dans le mouchoir de nuages de notre bourg haut-normand ! »
Après cet édito, le cahier Ainsi furent les Wah I ouvre ses pages aux auteurs ayant mentionné l’Arménie durant cette période, dont Quillard, Max Jacob, Hikmet, Mandelstam et Grossman avec son inoubliable carnet de voyage, Que la paix soit avec vous. S’y joignent des poètes arméniens, dont le plus ancien, dont on garde trace s’appelle Grégoire de Narek (940‑1000), avec ce poème « Toi qui prends soin des âmes », Siamanto, Lubin, pour donner des noms que je connais un peu. C’est une nouvelle occasion de signaler la qualité des notices biographiques de la revue qui en fait un incontournable de toute bibliothèque résolue et ambitieuse.
Quelques vers arméniens résonnent encore à mon oreille : « Nous voici, nous arrivons, nous sommes la malédiction / La lance rusée enfoncée dans l’obscurité » (Sévak). « Notre génération a plus d’amis dans l’autre monde que celui-ci » (Kostan Zarian). Je fais connaissance avec ce poème d’Armen Lubin « N’ayant plus de maison ni logis / Plus de chambre où me mettre / Je me suis fabriqué une fenêtre / Sans rien autour. »
Ensuite s’ouvre le dossier sur Daniel Varoujan qui tisse à maille serrée la biographie du poète et la tragédie du génocide durant laquelle le poète avec trois compagnons fut attaché à un arbre et lardé à mort de coups de couteau. En regard de ces pages si douloureuses représentées par l’emblématique poème « Terre rouge », me frappe cette vague de grands poèmes épiques et fraternels qui compte (au moins) Varoujan, Hikmet. Ils nous racontent l’histoire de héros éponymes de leur pays, chantent leur peuple et leurs paysages, visant ainsi, comme l’écrit Dauphin en parlant de Varoujan, à réconcilier « le mythe héroïque et le réel ».
Suit le cahier Ainsi furent les Wah II où je découvre deux poèmes de Manouchian (j’ignorai qu’il était poète) dont ces quatre vers : « J’ai pris la sinueuse allée du village ; / — Mon soleil sur les épaules comme un abricot, / À mes lèvres tremblantes un vieux chant de laboureur -, Je pars livrer mon cœur au cœur des montagnes. » C’est beau comme du Whitman.
D’autres auteurs se succèdent. Les lisant, je ne fais plus la distinction entre les poètes arméniens ou autres, les biographies s’entremêlent, avec, omniprésentes, les pages sombres de l’histoire universelle du XXe siècle, que pourtant traversent de nouveaux poèmes, telles un Nil aux eaux félines traversant les sables du désert. Quelques noms et vers lus et médités : Verdet et son Anthologie des poèmes de Buchenwald, Mélik, Bonnefoy évoquant l’Arménie et nous confiant cette définition de la poésie : « C’est tenter de rendre aux mots la pleine mémoire de ce qu’ils nomment » ; Sévak, Kertész et encore Buchenwald ; puis de grandes et belles pages sur le poète et traducteur Godel ; l’article sur la géopoésie de Chaliand, arpenteur du monde et de ses luttes qui nous dépose un conseil de vie : « Il faut conserver son esprit critique, ne jamais se laisser duper par notre propre propagande, et faire preuve de détermination, toujours… ». Je m’attarde, distrait sur ses vers biographiques : « J’ai fait plus de quinze métiers / au gré des pays et du vent / Je gravis le toit du ciel / avec ma chevelure de nuage / et mon cœur coule par la nuit des villes » ; Mahmoud Darwich apparaît en nous offrant trois poèmes de pleine humanité : « Dépose ici et maintenant la tombe que tu portes / et donne à ta vie une autre chance / de restaurer le récit » ; ou encore Gérard Mordillat, dont j’ignorais le versant poétique de son œuvre ; Akopian, poète engagé pendant quarante ans auprès du Secours populaire ; l’étonnante Krikorian, « l’arménienne de Téhéran » ; le poète Rugamba et, avec lui, le génocide des Tutsi, et ce texte « Kaddish pour l’Afrique » ; puis des poètes plus proches, des amis ou des poètes à rencontrer : Caroutch, Brissiaud, Dauphin lui-même, Tison, le neurochirurgien et poète de Besançon Laurent Thinès, Tavera, Marie Bouchez (« Les toits vaguent sur notre âme / Mais c’est sur nos mémoires que le soleil se couche »), etc.
Et pour finir, avant le généreux cahier de recension, une dernière figure vient nous saluer : Kamel Bencheikh, et avec lui, la « décennie noire » de l’Algérie que surmonte une poésie invaincue (« je n’existe plus que pour la mémoire lapidée qui m’assaille ») Un numéro des HSE à vivre comme une prière universelle de la poésie.
Pierrick DE CHERMONT (cf. Revue des revues, in recoursaupoeme.fr, 6 mars 2025).
*
Les Hommes sans Épaules sont des cahiers littéraires semestriels fondés par le poète Jean Breton en 1953. Le nom de la revue provient du roman préhistorique de J.-H. Rosny aîné, Le Félin géant (1918). Cet opus n° 58 présente un dossier sur « Daniel Varoujan et le poème de l’Arménie », préparé par Christophe Dauphin, qui dirige un comité de rédaction de cinq personnes.
C’est par la rencontre avec Raphaël Thorossov, son vieil ami, que Christophe Dauphin, citoyen de la république d’Artsakh (il possède un passeport depuis 1991) est devenu arménophile. Raphaël a été l’ami de Siamanto et Missak Manouchian.
Par le biais de la poésie et ses poètes, l’ouvrage évoque le Génocide des Arméniens, ceux des Grecs pon[1]tiques et des Assyro-Chaldéens. C’est ainsi que l’on peut lire Grégoire de Narek, Nahabed Koutchak, Sayat Nova, Siamanto, Rouben Sévak, Kostan Zarian, Eghiché Tcharents, Armen Lubin, Vahé Godel (traducteur de la plupart des poèmes), Parouïr Sévak et Violette Krikorian.
Une longue biographie précède quelques poèmes de Daniel Varoujan (“J’ai là, sur ma table, dans une coupe, un peu de terre d’Arménie. L’ami qui m’en a fait cadeau croyait m’offrir son cœur – bien loin de se douter qu’il me donnait en même temps celui de ses aïeux”).
Sont évoqués également Gérard Chaliand et Charles Akopian. Quant aux arménophiles, on trouve Pierre Quillard, cheville ouvrière du journal Pro Armenia. « Les Alliés sont en Arménie », est un long poème de Max Jacob, publié en 1916. Nazim Hikmet, Yves Bonnefoy, Ossip Mandelstam, Vassili Grossman, abordent eux aussi la tragédie arménienne.
Au fil des pages, on trouve des illustrations de Léon Tutundjian, Arshile Gorky, David Erevantsi, Ervand Kotchar…
Un livre riche qui foisonne d’informations, fait office parfois de livre d’histoire et fournit, outre les titres d’ouvrages des écrivains, d’autres titres pour ceux qui veulent approfondir leurs connaissances.
Zmrouthe AUBOZIAN (in France Arménie n°528, avril 2025).
*
Les Hommes sans Épaules consacrent ce numéro 58 à Daniel Varoujan & le poème de l’Arménie. Au cœur de ce numéro nous trouvons le génocide des Arméniens au siècle dernier, qui n’est toujours pas reconnu par nombre d’Etats, mais aussi d’autres drames, d’autres grandeurs.
Partant de son village natal et d’une expérience personnelle, Christophe Dauphin retrace le parcours de ce peuple Arménien, combattant de la liberté et victime tant de l’indifférence que des dérives autoritaires.
Nous découvrons des poètes exceptionnels, des êtres engagés, des écrits inattendus et révélateurs qui nous parlent non seulement de l’Arménie, de ses épreuves, de ses richesses, mais de la nature humaine dans ses horreurs, ses tristes banalités comme dans ses expressions les plus sublimes. C’est toute la culture et la spiritualité arménienne en ses multiples prolongements qui s’inscrit dans les mots de ces poètes, tous survivants, tous exilés, sauf peut-être d’eux-mêmes. Ce n’est pas seulement une poésie de l’exil ou de la tragédie, ou des tragédies avant la tragédie, nous y découvrons un sens aigu du politique, une sagesse, une métaphysique, un plan pour le futur.
Extrait de Terre Rouge :
J’ai là, sur ma table, dans une coupe,
un peu de terre d’Arménie.
L’ami qui m’en a fait cadeau croyait
m’offrir son cœur – bien loin de se douter
qu’il me donnait en même temps celui
de ses aïeux.
Je n’en puis détacher mes yeux –
– comme s’ils y prenaient racine…
Terre rouge. Je m’interroge :
d’où tient-elle cette rougeur ?
Mais s’abreuvant tout ensemble de vie
et de soleil, épongeant toutes les blessures,
pouvait-elle ne pas rougir ?
Couleur de sang me dis-je,
terre rouge, bien sûr, car elle est arménienne !
peut-être y frémissent encore des vestiges
de brasiers millénaires,
les fulgurances des sabots
qui naguère couvrirent d’ardente poussière
les armées d’Arménie…
Y subsiste peut-être un peu de la semence
qui me donna la vie, un reflet de l’aurore
à laquelle je dois ce regard sombre,
ce cœur qui hante un feu surgi
des sources même de l’Euphrate
ce cœur couvrant l’amour non moins que la révolte…
Ce numéro 58 est particulièrement important, il nous entraîne au cœur de l’âme arménienne mais il retrace aussi l’histoire d’un peuple qui nous définit tous.
Rémi BOYER (in lettreducrocodile.over-blog.net, 29 octobre 2024).
*
On ne peut qu’être admiratif devant la prodigieuse puissance de travail de Christophe Dauphin ainsi que par sa parfaite connaissance des poésies du monde entier. Le focus est ici placé sur l’Arménie grâce à des documents et des écrits poétiques rares et très émouvants. Avec 324 pages de lectures enrichissantes, les HSE s’affirment encore un peu plus dans le vivier de la poésie actuelle.
Georges CATHALO (in terreaciel.net, janvier 2025).
*
« On croit « tout » savoir à propos des horreurs qui ont fait le XXe siècle, mais à chaque fois on en découvre de plus affreuses encore. C’est ce qui nous arrive en lisant le n°58 de Les Hommes sans Épaules consacré à l’Arménie.
Ici, je ne vais vous parler que des poètes qui composent ce numéro (piloté par Christophe Dauphin qui présente chaque auteur en détail), des poètes des premiers âges : Grégoire de Narek (vers l’an mille) : « Toi qui prends soin des âmes / souffrantes, mutilés / à présent je T’implore / me voici gémissant // Veille à ne pas accroître ma souffrance… » Nahabed Koutchak (16èmesiècle), Sayat-Nova (18èmesiècle), aux poètes du 20èmesiècle, dont le plus remarquable à mes yeux est Armen Lubin (1903-1973) : « Ça sent l’aubergine et le piment farci / Ça sent la cuisine orientale et le phono turc / Sur le palier une petite main mendie… / … Dans cet hôtel plein d’Arméniens sortis on ne sait d’où / D’Arméniens sortis… mettons des massacres // Monta d’abord le socialiste baron Kissikian / tourneur chez Citroën… »
Il y a bien sûr Missak Manouchian « Tourmenté comme le forçat, persécuté comme l’esclave – J’ai grandi sous le fouet du mépris et de la privation /A me battre contre la mort, aspirant à la vie / J’ai été attentif à chaque enchantement » et Daniel Varoujan (un fort dossier) : « J’ai sur ma table dans une coupe / un peu de terre d’Arménie… »
D’autres poètes présents dans ce numéro sont des amis du peuple arménien (Max Jacob, Yves Bonnefoy) ou les enfants, nés en Europe de l’Ouest, d’exilés arméniens : Vahé Godel, Gérard Chaliand : « Et nous avons fatigué le désert de nos pas / portés par l’espoir de la mer / La terre, taureau funèbre dont le souffle desséchait nos corps / longue retraite / où nous n’avons rêvé que de retour natal… »
Et encore Francesca Yvonne Caroutch : « Le ciel est plein de mains coupées / et els fossiles du sommeil / oscillent sur des socles d’ombre… / … Tu cries comme une graine folle / oubliée dans un fau d’argile » ; et la relève virulente de la poésie arménienne, Violette Krikorian (née en 1960), « Prière de femme », : Donne-moi aujourd’hui ma beauté quotidienne / délivre mes yeux des travaux / d’aiguille et des lunettes / délivre ma langue de ma bouche / délivre ma bouche de la langue de bois / délivre mes mains, mes jambes, tout mon corps… » Encore plein de trucs dans ce numéro. »
Christian DEGOUTTE (in revue Verso n°200, mars 2025).
|
Lectures :
Les Hommes sans Épaules, numéro 58 : Daniel Varoujan. Quand on reçoit un numéro des HSE, plus que pour bien des revues, il faut se précipiter sur l’éditorial de Christophe Dauphin. Il donne le ton et l’esprit aux cahiers qui suivent en dessinant un pays où s’entrelacent le mémoriel, l’histoire, le politique, les coups de gueule et les bourrades chaleureuses. Un peu comme un marin qui après un long périple revient au bar du pays et vous parle de « là-bas ».
Celui du numéro 58 est parmi les plus émouvants que j’ai lus. Il dit s’inspirer d’un manuscrit inédit (j’espère pas trop longtemps) qui nous fait partir de son village natal où prit racine sa relation avec l’Arménie par l’intermédiaire d’un ami, Raphaël Thorossov, mort en 1998, à 101 ans : « Du fond de mon enfance, je te revois Raphaël. Tu déambulais dans le village coiffé de ta légendaire toque noir et vêtu de ton manteau en astrakan […] Tu me parlais, de là-bas… Ce pays que tu avais quitté, non sans avoir emporté dans un bocal de généreux grammes de terre. “Elle partira avec moi” me disais-tu. ».
Des noms surgissent, connus ou méconnus (j’y apprends les racines arméniennes de Paul Farellier, ce qu’ami aveugle je n’avais pas relevées), des rencontres, des titres de recueils, des pages d’histoire arménienne, avec ses crimes, pillages, massacres d’hommes, femmes et enfants jusqu’à ce « génocide de 1915 », et qui fut suivi de deux guerres récentes, puis encore celle de 2020… Et pourtant le pays dont il nous parle brille d’une lumière inégalable, avec ses jardins, son architecture, sa musique car ce pays est d’abord celui apparu par un lien d’amitié : « Que d’histoire de sang et de liens fraternels avec l’Arménie dans le mouchoir de nuages de notre bourg haut-normand ! »
Après cet édito, le cahier Ainsi furent les Wah I ouvre ses pages aux auteurs ayant mentionné l’Arménie durant cette période, dont Quillard, Max Jacob, Hikmet, Mandelstam et Grossman avec son inoubliable carnet de voyage, Que la paix soit avec vous. S’y joignent des poètes arméniens, dont le plus ancien, dont on garde trace s’appelle Grégoire de Narek (940‑1000), avec ce poème « Toi qui prends soin des âmes », Siamanto, Lubin, pour donner des noms que je connais un peu. C’est une nouvelle occasion de signaler la qualité des notices biographiques de la revue qui en fait un incontournable de toute bibliothèque résolue et ambitieuse.
Quelques vers arméniens résonnent encore à mon oreille : « Nous voici, nous arrivons, nous sommes la malédiction / La lance rusée enfoncée dans l’obscurité » (Sévak). « Notre génération a plus d’amis dans l’autre monde que celui-ci » (Kostan Zarian). Je fais connaissance avec ce poème d’Armen Lubin « N’ayant plus de maison ni logis / Plus de chambre où me mettre / Je me suis fabriqué une fenêtre / Sans rien autour. »
Ensuite s’ouvre le dossier sur Daniel Varoujan qui tisse à maille serrée la biographie du poète et la tragédie du génocide durant laquelle le poète avec trois compagnons fut attaché à un arbre et lardé à mort de coups de couteau. En regard de ces pages si douloureuses représentées par l’emblématique poème « Terre rouge », me frappe cette vague de grands poèmes épiques et fraternels qui compte (au moins) Varoujan, Hikmet. Ils nous racontent l’histoire de héros éponymes de leur pays, chantent leur peuple et leurs paysages, visant ainsi, comme l’écrit Dauphin en parlant de Varoujan, à réconcilier « le mythe héroïque et le réel ».
Suit le cahier Ainsi furent les Wah II où je découvre deux poèmes de Manouchian (j’ignorai qu’il était poète) dont ces quatre vers : « J’ai pris la sinueuse allée du village ; / — Mon soleil sur les épaules comme un abricot, / À mes lèvres tremblantes un vieux chant de laboureur -, Je pars livrer mon cœur au cœur des montagnes. » C’est beau comme du Whitman.
D’autres auteurs se succèdent. Les lisant, je ne fais plus la distinction entre les poètes arméniens ou autres, les biographies s’entremêlent, avec, omniprésentes, les pages sombres de l’histoire universelle du XXe siècle, que pourtant traversent de nouveaux poèmes, telles un Nil aux eaux félines traversant les sables du désert. Quelques noms et vers lus et médités : Verdet et son Anthologie des poèmes de Buchenwald, Mélik, Bonnefoy évoquant l’Arménie et nous confiant cette définition de la poésie : « C’est tenter de rendre aux mots la pleine mémoire de ce qu’ils nomment » ; Sévak, Kertész et encore Buchenwald ; puis de grandes et belles pages sur le poète et traducteur Godel ; l’article sur la géopoésie de Chaliand, arpenteur du monde et de ses luttes qui nous dépose un conseil de vie : « Il faut conserver son esprit critique, ne jamais se laisser duper par notre propre propagande, et faire preuve de détermination, toujours… ». Je m’attarde, distrait sur ses vers biographiques : « J’ai fait plus de quinze métiers / au gré des pays et du vent / Je gravis le toit du ciel / avec ma chevelure de nuage / et mon cœur coule par la nuit des villes » ; Mahmoud Darwich apparaît en nous offrant trois poèmes de pleine humanité : « Dépose ici et maintenant la tombe que tu portes / et donne à ta vie une autre chance / de restaurer le récit » ; ou encore Gérard Mordillat, dont j’ignorais le versant poétique de son œuvre ; Akopian, poète engagé pendant quarante ans auprès du Secours populaire ; l’étonnante Krikorian, « l’arménienne de Téhéran » ; le poète Rugamba et, avec lui, le génocide des Tutsi, et ce texte « Kaddish pour l’Afrique » ; puis des poètes plus proches, des amis ou des poètes à rencontrer : Caroutch, Brissiaud, Dauphin lui-même, Tison, le neurochirurgien et poète de Besançon Laurent Thinès, Tavera, Marie Bouchez (« Les toits vaguent sur notre âme / Mais c’est sur nos mémoires que le soleil se couche »), etc.
Et pour finir, avant le généreux cahier de recension, une dernière figure vient nous saluer : Kamel Bencheikh, et avec lui, la « décennie noire » de l’Algérie que surmonte une poésie invaincue (« je n’existe plus que pour la mémoire lapidée qui m’assaille ») Un numéro des HSE à vivre comme une prière universelle de la poésie.
Pierrick DE CHERMONT (cf. Revue des revues, in recoursaupoeme.fr, 6 mars 2025).
*
Les Hommes sans Épaules sont des cahiers littéraires semestriels fondés par le poète Jean Breton en 1953. Le nom de la revue provient du roman préhistorique de J.-H. Rosny aîné, Le Félin géant (1918). Cet opus n° 58 présente un dossier sur « Daniel Varoujan et le poème de l’Arménie », préparé par Christophe Dauphin, qui dirige un comité de rédaction de cinq personnes.
C’est par la rencontre avec Raphaël Thorossov, son vieil ami, que Christophe Dauphin, citoyen de la république d’Artsakh (il possède un passeport depuis 1991) est devenu arménophile. Raphaël a été l’ami de Siamanto et Missak Manouchian.
Par le biais de la poésie et ses poètes, l’ouvrage évoque le Génocide des Arméniens, ceux des Grecs pon[1]tiques et des Assyro-Chaldéens. C’est ainsi que l’on peut lire Grégoire de Narek, Nahabed Koutchak, Sayat Nova, Siamanto, Rouben Sévak, Kostan Zarian, Eghiché Tcharents, Armen Lubin, Vahé Godel (traducteur de la plupart des poèmes), Parouïr Sévak et Violette Krikorian.
Une longue biographie précède quelques poèmes de Daniel Varoujan (“J’ai là, sur ma table, dans une coupe, un peu de terre d’Arménie. L’ami qui m’en a fait cadeau croyait m’offrir son cœur – bien loin de se douter qu’il me donnait en même temps celui de ses aïeux”).
Sont évoqués également Gérard Chaliand et Charles Akopian. Quant aux arménophiles, on trouve Pierre Quillard, cheville ouvrière du journal Pro Armenia. « Les Alliés sont en Arménie », est un long poème de Max Jacob, publié en 1916. Nazim Hikmet, Yves Bonnefoy, Ossip Mandelstam, Vassili Grossman, abordent eux aussi la tragédie arménienne.
Au fil des pages, on trouve des illustrations de Léon Tutundjian, Arshile Gorky, David Erevantsi, Ervand Kotchar…
Un livre riche qui foisonne d’informations, fait office parfois de livre d’histoire et fournit, outre les titres d’ouvrages des écrivains, d’autres titres pour ceux qui veulent approfondir leurs connaissances.
Zmrouthe AUBOZIAN (in France Arménie n°528, avril 2025).
*
Les Hommes sans Épaules consacrent ce numéro 58 à Daniel Varoujan & le poème de l’Arménie. Au cœur de ce numéro nous trouvons le génocide des Arméniens au siècle dernier, qui n’est toujours pas reconnu par nombre d’Etats, mais aussi d’autres drames, d’autres grandeurs.
Partant de son village natal et d’une expérience personnelle, Christophe Dauphin retrace le parcours de ce peuple Arménien, combattant de la liberté et victime tant de l’indifférence que des dérives autoritaires.
Nous découvrons des poètes exceptionnels, des êtres engagés, des écrits inattendus et révélateurs qui nous parlent non seulement de l’Arménie, de ses épreuves, de ses richesses, mais de la nature humaine dans ses horreurs, ses tristes banalités comme dans ses expressions les plus sublimes. C’est toute la culture et la spiritualité arménienne en ses multiples prolongements qui s’inscrit dans les mots de ces poètes, tous survivants, tous exilés, sauf peut-être d’eux-mêmes. Ce n’est pas seulement une poésie de l’exil ou de la tragédie, ou des tragédies avant la tragédie, nous y découvrons un sens aigu du politique, une sagesse, une métaphysique, un plan pour le futur.
Extrait de Terre Rouge :
J’ai là, sur ma table, dans une coupe,
un peu de terre d’Arménie.
L’ami qui m’en a fait cadeau croyait
m’offrir son cœur – bien loin de se douter
qu’il me donnait en même temps celui
de ses aïeux.
Je n’en puis détacher mes yeux –
– comme s’ils y prenaient racine…
Terre rouge. Je m’interroge :
d’où tient-elle cette rougeur ?
Mais s’abreuvant tout ensemble de vie
et de soleil, épongeant toutes les blessures,
pouvait-elle ne pas rougir ?
Couleur de sang me dis-je,
terre rouge, bien sûr, car elle est arménienne !
peut-être y frémissent encore des vestiges
de brasiers millénaires,
les fulgurances des sabots
qui naguère couvrirent d’ardente poussière
les armées d’Arménie…
Y subsiste peut-être un peu de la semence
qui me donna la vie, un reflet de l’aurore
à laquelle je dois ce regard sombre,
ce cœur qui hante un feu surgi
des sources même de l’Euphrate
ce cœur couvrant l’amour non moins que la révolte…
Ce numéro 58 est particulièrement important, il nous entraîne au cœur de l’âme arménienne mais il retrace aussi l’histoire d’un peuple qui nous définit tous.
Rémi BOYER (in lettreducrocodile.over-blog.net, 29 octobre 2024).
*
On ne peut qu’être admiratif devant la prodigieuse puissance de travail de Christophe Dauphin ainsi que par sa parfaite connaissance des poésies du monde entier. Le focus est ici placé sur l’Arménie grâce à des documents et des écrits poétiques rares et très émouvants. Avec 324 pages de lectures enrichissantes, les HSE s’affirment encore un peu plus dans le vivier de la poésie actuelle.
Georges CATHALO (in terreaciel.net, janvier 2025).
*
« On croit « tout » savoir à propos des horreurs qui ont fait le XXe siècle, mais à chaque fois on en découvre de plus affreuses encore. C’est ce qui nous arrive en lisant le n°58 de Les Hommes sans Épaules consacré à l’Arménie.
Ici, je ne vais vous parler que des poètes qui composent ce numéro (piloté par Christophe Dauphin qui présente chaque auteur en détail), des poètes des premiers âges : Grégoire de Narek (vers l’an mille) : « Toi qui prends soin des âmes / souffrantes, mutilés / à présent je T’implore / me voici gémissant // Veille à ne pas accroître ma souffrance… » Nahabed Koutchak (16èmesiècle), Sayat-Nova (18èmesiècle), aux poètes du 20èmesiècle, dont le plus remarquable à mes yeux est Armen Lubin (1903-1973) : « Ça sent l’aubergine et le piment farci / Ça sent la cuisine orientale et le phono turc / Sur le palier une petite main mendie… / … Dans cet hôtel plein d’Arméniens sortis on ne sait d’où / D’Arméniens sortis… mettons des massacres // Monta d’abord le socialiste baron Kissikian / tourneur chez Citroën… »
Il y a bien sûr Missak Manouchian « Tourmenté comme le forçat, persécuté comme l’esclave – J’ai grandi sous le fouet du mépris et de la privation /A me battre contre la mort, aspirant à la vie / J’ai été attentif à chaque enchantement » et Daniel Varoujan (un fort dossier) : « J’ai sur ma table dans une coupe / un peu de terre d’Arménie… »
D’autres poètes présents dans ce numéro sont des amis du peuple arménien (Max Jacob, Yves Bonnefoy) ou les enfants, nés en Europe de l’Ouest, d’exilés arméniens : Vahé Godel, Gérard Chaliand : « Et nous avons fatigué le désert de nos pas / portés par l’espoir de la mer / La terre, taureau funèbre dont le souffle desséchait nos corps / longue retraite / où nous n’avons rêvé que de retour natal… »
Et encore Francesca Yvonne Caroutch : « Le ciel est plein de mains coupées / et els fossiles du sommeil / oscillent sur des socles d’ombre… / … Tu cries comme une graine folle / oubliée dans un fau d’argile » ; et la relève virulente de la poésie arménienne, Violette Krikorian (née en 1960), « Prière de femme », : Donne-moi aujourd’hui ma beauté quotidienne / délivre mes yeux des travaux / d’aiguille et des lunettes / délivre ma langue de ma bouche / délivre ma bouche de la langue de bois / délivre mes mains, mes jambes, tout mon corps… » Encore plein de trucs dans ce numéro. »
Christian DEGOUTTE (in revue Verso n°200, mars 2025).
|
|
|