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Lectures :

Je suivrai la découpe en quatre parties de cette œuvre.

1 – « Brûlant l’été ». Il y a dans l’écriture de Paul Farellier ce que l’on serait tenté d’appeler, telle une source de signes et d’appels sous-jacents, une imagerie musicale. Je ne parle pas de sonorité, mais bien d’une émanation des images, des constructions poétiques, métaphoriques, associatives, autant de parties qui, par une jonction supérieure entre la vue et une ouïe absolue, métaphysique, et qui ne tranche pas, dispensent de très justes, nouvelles et lisibles harmonies.

Ces sons d’images nous pénètrent et changent notre rapport à la lettre et à notre posture, créant à notre insu un imperceptible mouvement spirituel. Nous sommes en état d’écoute totale, d’engagement manifeste ; en désir d’écoute sacrée. La maison, loin dans le parc, / fenêtre ouverte à la harpe, / à des mains en pente de lumière. Voilà un flux qui se retrouve, se reprend sans fin à son début. Écoute le corps, le corps blessé, exténué du poète dans le mystère du ciel, de la vie et de la mort. Pas n’importe quel corps, le corps donné, trop éprouvé, subtilisé, du poète, offrande et quête, celui-ci toujours à la tâche, soucieux, secret, liturgique, hiératique, éthéré, intemporel.

Tant d’absences, de séparations, de sanctions d’être gisent en lui ! Aussi sommes-nous en état de miroir sublimé, de miroir rituel. Quel dieu sans paupière / dans le regard des morts ? / Quel jamais dessillé ? / La main tremble encore / d’avoir fermé ce bleu. Paul Farellier a un sens si altier de l’être poétique que tout en lui, les mots durs sur le temps qui passe, les angoisses solennelles sur les jours qui s’amenuisent, sur l’exposant sensible des disparitions, le constat insatiable sur le sens de sa vie en écriture et l’exigence d’en rendre compte dans sa claire et douce tonalité, tout en lui est dignité de la langue et célébration.

Il est bon de capter la noblesse, les étincelles lyriques de son parcours intérieur. Il est bon de les faire siennes, de les laisser rallumer la chaleur du cœur. Le faux, le mensonge, la lâcheté, le refus de se voir en héros tout autant qu’en vaincu, le feu pur de ses mots les aura dissipés. Et dans ce feu, qui ne voudrait s’y entendre nommer ? Partager la tragédie du vrai avec lui. Paul Farellier, ce n’est pas un feu qui s’épuise en un livre. C’est celui dont il nous fait don et qui se propage en nos propres assises. La trace ? Une très sensible et presque en larmes reconnaissance. Ce bref recueil est d’un bout à l’autre un champ d’honneur poétique. 

2 – « Dessiné dans le noir et dans le blanc ». Et le voici à nouveau dans cette exténuation du vivre et du dire qui sollicite de nouvelles forces en lui. Je ne connais rien de plus admirable que ce poète à bout de tout qui, dans une majesté, un soulèvement quasi biblique, une tension de pauvre, de défait et d’invulnérable, une puissance poétique hors d’atteinte, inaltérable, défie les lois et les décrets de l’existence. Figure mythique, c’est au moment où tout fait clôture ici, / tout est serré dans ce poing / qui pourtant n’enferme que le vide / oblige à des riens d’ombre, à des façons de taire, que ces forces tant espérées, et au-delà, lui sont conférées, car ce que

Paul Farellier énonce ainsi, retranché de tout énoncé fautif et impur, est lumière. Plus son propos s’obscurcit, plus jaillit un point lumineux immesurable, infinissable, et ce seul point nous aurait suffi pour concevoir et recevoir toute sa clarté, si ce n’est qu’il s’allonge sans cesse, varie, se fluidifie tant que notre souffle, notre savoir et notre expérience, peuvent l’appréhender. Nous avons entendu les temps riches, les temps mornes, infinis, du combat, mais la splendeur du vrai qu’il nous transmet, cette beauté nue, cette communion incorruptible, cette joie que nous concevons de cette transmission, l’entend-il ? Sa solitude est notre présent / futur, notre totalité, notre envergure.

3 – « Approches ».  Deux mondes, deux horizons temporels se font face, beaucoup plus subtils, plus éthérés que la distinction entre passé et avenir, ou alors dans le sens où ils seraient devenus deux nébuleuses consacrées, deux textes saints sur les fins et les crépuscules de la connaissance. Partout des saisies de mystère s’esquissent, s’agrègent, des avènements mystiques, certains sans prise, ni forme, ni habit qui ont eu le temps cependant de nous enchanter, de laisser une empreinte éblouie dans le mouvement de notre pensée. Mais il y a une modestie suprême dans l’âme du poète Paul Farellier, qui laisse les trésors à leur place et refuse de s’en emparer. L‘itinéraire est doublé : / il faut errer sur les deux bords. / C’est cela, les anciens, qui nous donne / des glissades au regard / - demi-sourire, / demi-larme. 4 – « Le pas de l’heure ».

Nous avons vu que l’amour des évocations, des questions et réponses dans des échanges éblouissants de style, de tension, de chants neufs et aveugles, s’éludait parce que l’élévation innocente de l’auteur, pour que se perpétue cette élévation, les avait conçus ainsi, jusqu’à ce que dans « Le pas de l’heure » l’interrogation consente à naître dans son entièreté, et que la mort animale – symétrique – prête son flanc à l’animal poétique. Mais cette fois avec la main, les armes et les larmes du poète nous y sommes préparés. Abolition du mode vivant, litanie des disparus, doutes sur les fondements même de l’origine, lave, ruines, sentier brûlé d’oubli, tout émerge enfin de la sidération et de la douleur de survivre, et la pensée s’affine, s’aiguise, devient comme un stylet, une main rituelle pour dévoiler le sacré, laisser sa trace dans le sillon de l’inconnu.

« Le pas de l’heure » résiliant le cauchemar, le contrat du faux pas, est cette lisière où la surprise, l’étonnement, le foudroiement de l’homme et de l’être se régénèrent partiellement et attendent le passeur / passant tout au bout de cette route… / si même il reste une route. / Toi qui dors, flottant sous ta fenêtre, - es-tu le songe - d’une barque adossée à l’orage ? - Sens-tu mourir cette heure où la mer - soudain te freine, - affale sa voile dans ton souffle ? - Puisse l’éclair te prêter une aube : - brise ta vitre, - sois l’enfant des désordres du ciel.  

Pierrick de Chermont (in revue Les Hommes sans Epaules n°59, mars 2025).

*

C’est tout le jeu des polarités peu sereines de la vie qui est condensée dans la poésie de Paul Farellier. Un précipité d’incertitudes qui devrait nous angoisser et qui pourtant nous libère. L’épure du verbe de Paul Farellier est aussi épure de l’expérience humaine. Il rend ainsi l’essentiel accessible. Les mots, par « leur pointe aiguisée », retrouvent leur puissance.

 

Vivre n’a pas suffi

à te frayer le passage.

 

Et rien n’est visible encore

dans ta vitre embuée.

 

En travers de ta porte,

un dragon reste couché.

 

Au loin peut-être

                              et plus tard,

ton pas sur le sentier.

 

L’ouvrage, porté par les monotypes de Béatrice Cazaubon qui appellent à une méditation tranquille, sans objet et sans sujet, rassemble deux ensembles de poèmes, Chemin de buées puis Le pas de l’heure, un titre qui a lui seul évoque aussi bien la mort que l’éternité.

 

Quel dieu sans paupière

dans le regard des morts ?

 

Quel jamais dessillé ?

 

La main tremble, encore

d’avoir fermé ce bleu.

 

C’est l’intensité de l’instant présent, fusse-t-il un combat perdu d’avance, qui ouvre un intervalle enchanté, une porte lumineuse au cœur de l’obscur. Rien ne peut empêcher la beauté des mots de révéler l’innommable, le « vrai visage ». Nous sommes touchés par la lente irradiation des mots.

 

Quelle absence as-tu creusée

 

pour n’y trouver que la peur,

n’en exhumer que le cri ?

 

Va plus loin dans ton mur d’ombre,

 

franchis l’embrasure,

dépasse le rideau qu’entaillent les vents,

 

Reprends-leur la main de ta mémoire,

 

entends-la qui souffle sur le seuil

dans les mille voix de sa feuillure,

 

A deux battants de lumière

qui t’ouvre ses portes bleues

 

Dans l’œil et l’oubli futurs.

 

Pour l’ensemble de son œuvre, Paul Farellier a reçu en 2015 le Grand Prix de Poésie de la Société des gens de lettres couronnant son livre L’Entretien devant la nuit, Poèmes 1968-2013.

Rémi BOYER (in lettreducrocodile.over-blog.net, janvier 2025).

*

Il y a une forme d’indécence à parler de ce dernier recueil de Paul Farellier, à entrer à sa suite au plus intime d’un être, à l’écouter dans son ultime dialogue avec la mort, qui est ce pas de l’heure. Oui, il y a une gravité dans cette voix déjà au loin – et comme l’heure est soudainement immense tandis que la main amie que vous teniez dans la vôtre s’efface er s’indistingue dans la lumière qui l’ensevelit ! « La maison, loin dans le parc, / fenêtre ouverte à la harpe / à des mains en pente de lumière, / à des voix qu’il fut donné de perdre. »

Ainsi débute le recueil, s’ouvrant sur l’été et son « jardin de cendres » où les mots avec « leur pointe aiguisée » brillent comme des « tessons » et où l’on demeure perdu avec les « yeux de ton silence ». Nous le regardons, nous voudrions l’assurer de notre présence, offrir à son regard le nôtre. Sans nous voir il nous interroge : « Dites […] Y a-t-il un chemin […] Est-il une fin / où vont les pas / hors limite / avalés par le vide. » Puis, après un silence, la voix se prolonge en un solitaire monologue : « Vivre n’a pas suffi / à te frayer un passage » et ici « même la lumière est sans sépulture » et l’on n’est qu’« un songe à l’urne glacée ».

Dans le silence et la brièveté des jours, le poète s’interroge sur un rythme qui l’entend battre. Une houle, s’interroge-t-il, ou « la vieille vie / soudain hérissée en esprit » ? ou encore, est-ce, lors ces instants qui l’ont vu monter et descendre, « la bruissante échelle / qu’on voyait appuyer sur le ciel ». Quelqu’un s’approche-t-il ? poursuit-il. Et sa voix à nouveau retombe et se répond : « D’avoir tant écouté / l’appelant des distances / le grand sommeil te mure / dans les lointains du temps. »

Alors, si frêle, commence l’exode et la lutte « contre quelqu’un qui voulait / m’arracher la peau » ; et à qui désormais il s’adresse et se confie : oui, j’ai rêvé « l’immérité d’un signe », attendu « de tremblantes nouvelles ». Oui j’ai cherché un mouillage sur l’île « où il reste à vivre », même si, ultime ironie railleuse, vivre alors ne signifie que « dormir sous un nom de pierre ».

Maintenant vient le dernier poème du recueil où le poète s’impose cette consigne : « Pose le crayon, n’ajoute rien à l’épure » tandis que « la rive te délivre et tu vas » vers « une ignorance neuve ». Peut-être que toute la poésie de Paul Farellier, dont Les Hommes sans Épaules avaient publié en 2014 une anthologie, L’entretien avec la nuit, ne visait qu’à préparer ces ultimes poèmes qui s’avancent si près de la rive intérieure où il ne sait « s’il rajeunit ou s’il meurt » tandis que penché en lui se laisse découvrir « le sombre du vrai visage ».

Odile COHEN-ABBAS (in revue Les Hommes sans Epaules n°59, mars 2025).

*

Juriste international et poète, Paul Farellier, né en 1934, a publié son premier livre L’Intempérie douce, au Pont de L’Épée de Guy Chambelland, en 1984. Il est membre du comité de rédaction de la revue Les Hommes sans Épaules, que dirige Christophe Dauphin.

C’est dans la collection « Peinture et Parole », que paraît son dernier livre, Le pas de l’heure, dont le titre est aussi celui de la dernière section.

L’ensemble est ponctué d’énigmatiques monotypes de bris, effacements et griffures : vestiges d’impressions ombrées, en déshérence, de Béatrice Cazaubon. Poésie en vers libres d’une musicalité subtile, la parole de Paul Farellier sonde la difficulté d’être et la fugacité du passage de l’âge d’homme à) la fin sur le mode métaphorique : « Vivre, - ce n’était plus qu’une saison, - l’épuisement d’une aile, - ce jardin de cendres : / à l’épais du feuillage / brûlant l’été – le vert écobuage / du soleil enseveli. »

L’écrit singulier pourtant demeure : « Il ne reste que les mots, - leur pointe aiguisée ; / le flanc percé de la parole, - poussière et sang… » Bouteille à la mer, encre ou buée sur la vitre, sans espoir de salut : « sac de gravats – que l’on jette en travers de la selle ». Dernier galop avant le saut dans le vide, la nuit éternelle : « N’as-tu fait que durer, / n’as-tu rien pelleté que ce petit tas du vivre ? »

Pourtant la quête du sens, jusqu’au bout continue : « Passé le poste frontière, / le temps n’est plus fléché, - ta course est un vide. / Tu vis sur parole : - ton fin mot est chemin… » Vers le haut qui exige effort et concentration, le regard avide : « Cette lumière – à gravir, l’œil serré sur la soif – tel un silence de plus en plus aride, - efface le chemin… »

Gravir encore, se dépasser enfin, résister à l’écroulement, « à l’absence promise » : « S’agripper là, - à flanc de roche ? / Se poursuivre seul – sur l’étroite rive ? » (Approches).

Dans cette même section du livre, le poète réunit tous les arts dans sa démarche de célébration de la beauté partout où il l’accueille : « A des moments – j’étais, dit-il, le peintre – affolé de lumière, - et à d’autres le graveur – qui tentait d’inaugurer les ombres, / puis même le musicien, - le madrigaliste, - quand j’ai descendu et remonté – la bruissante échelle – qu’on voyait appuyée sur le ciel. »

Dans Le Pas de l’heure, le vieux poète sommeillant rêve : « es-tu le songe – d’une barque adossée à l’orage ? » En un sursaut d’ardeur, il s’exclame : « Puisse l’éclair te prêter une aube : - brise ta vitre, - sois l’enfant des désordres du ciel. »

L’absence des disparus, de l’amour perdu, ravive « le sourd sanglot » : « Seul à seule étiez-vous – seule à seul a-t-il fui – le dieu d’entre vos souffles » Il anticipe sa propre disparition tel un Exode : « j’ouvre un chemin, - je surprends une autre terre ».

Suit ce combat contre la mort, glaçant, esquissé au réveil : « Toute la nuit, j’ai lutté – contre quelqu’un qui voulait – m’arracher de ma peau ; / C’était comme un vêtement, / un drap que l’on tirait de mon corps, - une dépouille, un filet de vie, / le tissu de mon nom. »

Livre d’adieu : « Pose le crayon, n’ajoute rien à l’épure… » Lyrisme sobre, chant profond.

Michel MENACHE (in revue Europe n°1153, mai 2025).

*

Il y a une forme d'indécence à parler de ce dernier recueil de Paul Farellier, à entrer à sa suite au plus intime d'un être, à l'écouter dans son ultime dialogue avec la mort, qui est ce Pas de l'heure. Oui, il y a une gravité dans cette voix déjà au loin - et comme l'heure est soudainement immense tandis que la main amie que vous teniez dans la vôtre s'efface et s'indistingue dans la lumière qui l'ensevelit ! « La maison, loin dans le parc, / fenêtre ouverte à la harpe / à des mains en pente de lumière, / à des voix qu'il fut donné de perdre. » Ainsi débute le recueil, s'ouvrant sur l'été et son « jardin de cendres » où les mots avec « leur pointe aiguisée » brillent comme des « tessons » et où l'on demeure perdu avec les « yeux de ton silence».

Nous le regardons, nous voudrions l'assurer de notre présence, offrir à son regard le nôtre. Sans nous voir, il nous interroge : « Dites I...] Y a-t-il un chemin [...] Est-il une fin / où vont les pas / hors limite / avalés par le vide ? » Puis, après un silence, la voix se prolonge en un solitaire monologue: « Vivre n'a pas suffi / à te frayer un passage » et ici « même la lumière est sans sépulture », et l'on n'est qu'« un songe à l'urne glacée ».

Alors, commencent l'exode et la lutte « contre quelqu'un qui voulait / m'arracher la peau » ; et à qui désormais il s'adresse et se confie : oui, j'ai rêvé « l'immérité d'un signe », attendu « de tremblantes nouvelles ». Oui j'ai cherché un mouillage sur l'île « où il reste à vivre », même si, ultime ironie railleuse, vivre alors ne signifie que « dormir sous un nom de pierre ». Au dernier poème, « Pose le crayon, n'ajoute rien à l'épure » tandis que « la rive te délivre et tu vas » vers « une ignorance neuve ».

Peut-être que toute la poésie de Paul Farellier, dont Les Hommes sans Epaules avaient publié en 2014 une anthologie, L'Entretien avec la nuit, ne visait qu'à préparer ces ultimes poèmes qui s'avancent si près de la rive intérieure où il ne sait « s'il rajeunit ou s'il meurt » tandis que, penché en lui, se laisse découvrir « le sombre du vrai visage ».

Pierrick de CHERMONT (in revue Possibles n° 36, 2025).

 




Dans la revue Les HSE

"Le poète nous livre onze textes-poèmes, au sein desquels le fantastique rejoint les vertiges intérieurs de l’être, ses obsessions les plus reculées, les plus inavouables. Maldoror-Rode est de retour. Suivre Carmel, Liza, Norma, Robin, Anja ou Milan dans leurs aventures nous met devant notre propre destinée. L’être est-il autre chose que le jouet de la fatalité, qu’implique le seul fait d’exister ? Quels étranges desseins peuvent donc se tisser en nous ? Voilà autant de questions que soulèvent ces textes-poèmes, dont la vérité, l’humour grinçant nous renvoient à la violence de la société contemporaine, ainsi qu’à celle de la condition humaine. Si Norma tente d’échapper à la lame de fond du temps, Robin-Don Juan (qui n’est autre que le Robert du Pur Amour), gagné par la mort, assiste, pour sa part, à la découpe de son corps, sur une table d’institut médico-légal. Rode débusque le cri humain jusque dans ses abysses et si ces personnages sont projetés dans l’exil où les rejette le quotidien intolérable, c’est qu’ils sont le jouet de la fatalité qu’implique le seul fait d’exister. Le Théâtre à l’abîme est la dernière publication de l’auteur, de son vivant."

Christophe DAUPHIN (Revue Les Hommes sans Epaules n°29/30, 2010).




Critique

Le dernier livre d'Yves Mazagre n'est pas (seulement) de la poésie ; il l'intitule lui-même "roman-poème" ; mi-récit, mi-méditation mélancolique, il relate la fin des aventures d'Ulysse... et c'est Protée, l'éternelle figure du Narrateur, qui raconte - mais peut-être Protée n'est-il autre qu'Ulysse lui-même... et Ulysse, le véritable auteur de l'Odyssée, sous le nom trompeur d'Homère... Tout est possible, à qui un jour a voulu s'appeler "Personne" !

"Ulysse désormais ne quittera plus Ithaque, il le sait, il s'y résigne sans l'admettre absolument", ainsi commence l'histoire.

Mais il n'est pas si facile de revenir chez soi après vingt ans d'errance et d'aventures, de retrouver la femme aimée, qui a vécu, vieilli, mûri de son côté ; et même si l'on éprouve presque de la nausée, à la seule vue d'un bateau, à force d'avoir trop navigué, il n'est pas si simple sans doute de se résigner à une vie purement terrestre.... Le récit commence par un long cauchemar où se mêlent les souvenirs des navigations tragiques de Noé au milieu du Déluge, les rencontres avec le Cyclope, les luttes contre les Prétendants de Pénélope... Puis vient l'apaisement. Ulysse redécouvre Ithaque - nous nous situons après les derniers combats où ont péri les prétendants, après la fin du chant XXIV de l'Odyssée ; mais l'île a bien changé, s'est dégarnie de sa végétation ; et surtout, Ulysse retrouve Pénélope... Il se souvenait à peine de la toute jeune fille tout juste entrevue (le temps de l'épouser et de lui faire un enfant), devenue une femme splendide, mais qui s'est épanouie sans lui, a seule appris à organiser sa vie, et s'agace parfois de cet intrus qui bouscule ses habitudes : et le "roman-poème" frôle parfois la comédie, se teinte d'humour et d'une certaine légèreté, plus présente ici, quoique les oeuvres antérieures d'Yves Mazagre n'en fussent pas dépourvues... L'humour, et aussi l'imagination. L'Ithaque que retrouve Ulysse n'a pas pris vingt ans, mais quarante siècles ; elle nous est contemporaine, reçoit l'écho de notre actualité, des révolutions arabes et de la chute des tyrans (et Ulysse un instant se sent menacé...) ; ainsi d'antiques Achéens, inconnus d'Homère, qui avaient fui dans les montagnes les attaques des pirates, perdent en quelques semaines, au contact de la modernité, la langue et la culture qu'ils avaient su préserver ! Mais Les Amants d'Ithaque laissent au lecteur une impression assez sombre ; Ithaque vit sous l'ombre de la puissante et violente Céphalonie, aux prises avec une sinistre dictature ; dans l'île même sévit un tueur en série mû, semble-t-il, par des motivations lugubrement racistes ; et si Pénélope survit à la flèche qui l'a atteinte, elle ne connaîtra plus qu'une courte saison dont la beauté miraculeuse ne compense pas la brièveté. Et l'histoire s'achève, comme elle avait commencé, par un épouvantable cauchemar, qui celui-là se révèle vrai :

"ton corps se déforma envahi par les durs cailloux d'une chair jumelle qui en six mois, sous mes yeux impuissants, te firent mourir..."

Ulysse alors s'éclipse, et il ne reste plus à Mentor, le (faux ?) prophète, qu'à annoncer la fin du monde. Une fin ? Ce dernier livre sonne comme un adieu, et sans doute l'auteur a-t-il voulu qu'il en soit ainsi. Ulysse ne veut plus, ne peut plus naviguer, et la disparition de Pénélope semble sceller son destin, en cinq petites lignes. Et pourtant, les Grecs eux-mêmes n'ont jamais pu se résigner à laisser mourir Ulysse dans son île : après le massacre des prétendants, il serait reparti, vers le pays des Thesprotes, ou en Étolie, voire même en Italie, où il se serait réconcilié avec Énée !...  Et Tacite, historien sérieux s'il en fut, prétend même qu'il aurait atteint les bords du Rhin... Et Télémaque ? Lui aussi a le voyage dans le sang ; à peine a-t-il fini d'aider son père à recouvrer son trône qu'il s'embarque, explore la Méditerranée, épouse une princesse de Samos... mais il est bien peu probable que ses aventures s'arrêtent là... Le roman-poème ne s'achève jamais ; ancré dans la légende, il se nourrit de la plus brûlante actualité ; Ulysse, comme Protée, Noé ou René Renais, sont nos contemporains. Comment pourraient-ils nous abandonner ?

Artémisia L.

(in, artemisia.over-blog.fr, juin 2012).



19 novembre 2012 Dans Le Monde des Livres

"Floraison tardive : Voyageur effaré /A moi même enchaîné / Trop pensif Robinson, sur une île de hasard, Yves Mazagre qui fut médecin et navigateur, a longtemps attendu avant de publier une quinzaine de livres, à partir de 1996 : floraison tardive pareille à celle de l'agave dont il fait son emblême L'agave jubile sec/ Dans l'attente de sa couronne mortuaire, écrivait-il dans Mise en garde. L'écrivain voyageur Gilles Lapouge présentait ainsi ces poèmes d'aventures, d'amour et de mort : "Qui parle dans ces mots et d'où vient cette voix ? Elle est rude, cruelle même. Elle a longue mémoire. Elle est contemporaine du fond des âges et du fond des océans." Lecteur de William Blake et de saint Jean de la Croix, d'Homère et de Lautréamont, Mazagre propose dans Les Amants d'Ithaque – un roman poème – un hommage vibrant à la subtile Pénélope, retrouvée, puis disparue, laissant "Odysseus, l'inconsolable" face à de sombres prophéties."

Monique Pétillon (in Le Monde des Livres, 19 novembre 2012 )



Sur incoherism.owni.fr

Les amants d’Ithaque par Yves Mazagre, collection Les Hommes sans Epaules, Editions Librairie-Galerie Racine.

Superbe texte, troublant et profond. Une écriture entre deux espaces temporels unis par la mer Méditerranée, mer psychopompe et chamanique qui demande parfois avec violence à être aimée. Méditations croisées sur l’être et l’étant donné.   Ulysse de retour en Ithaque. Pénélope, elle-même et autre. Ulysse qui se voudrait toujours identique à lui-même. Combien de couples habitent désormais le couple originel qu’ils formèrent ? Se reconnaître, se redécouvrir, se réunir, derrière les voiles du temps perdu. L’histoire héroïque et tragique inclut en elle les histoires banales des amants du monde. A chaque instant, se perdre et se retrouver.   Avec l’Odyssée méditerranéenne, l’Odyssée psychique.  

« Te convaincre de l’impérieuse nécessité du mensonge et de la ruse pour survivre :   Empêtrée dans ton hypocrite morale, tu me fais penser aux fables du futur Platon, prisonnier des ombres de sa caverne.  

Confondrais-tu la coutume, le « qu’en dira-t-on », la bienséance du moment, avec la droiture de l’esprit, oubliant que les seuls hommes aujourd’hui sans préjugés sont ceux qui dorment entre des cartons ou dans le trou de leur tonneau (s’il s’agit de philosophes) ?  

Aurais-tu (sans parler de ton habituelle mauvaise foi – souvent dictée par ta tenace jalousie) oublié des propres ruses en face des prétendants ;  

et que, même sur l’Olympe, la dissimulation relève d’une tradition qui remonte aux origines : Aphrodite et Ares (Vénus et Mars dans la novlangue) ne dissimulèrent-ils pas pendant quelques siècles leurs copulations avant d’être bêtement découverts ?   Zeus, lui-même, ne dut-il pas user de grossiers subterfuges pour parvenir à féconder de jeunes et belles (et souvent stupides) mortelles ?  

Quant à moi, l’inventif, c’est dès ma plus tendre enfance que je compris qu’il me faudrait pour m’en sortir les subtils arrangements de ces récits somptueux qui bouleverseront nos interlocuteurs.  

Informe-toi, Pénélope, écoute la radio de Céphalonie, notre vaste voisine, réfléchis au sort de ce jeune prêtre qui eut l’honnêteté de dénoncer sur la toile les sanglantes pirateries de ses collègues et paya sa franchise de sa vie. »  

Colères, reproches sourds, tendresses poétiques, retrouvailles amoureuses, disent l’humain, tissé de médiocrités et de grandeurs. La poésie est plus lucide que la science. Et plutôt que d’enfermer, elle libère.  

« Cependant, Pénélope, je voudrais croire – en témoigneraient les récits « d’étonnants voyageurs » – à une plus heureuse alternative :  

et je rêve de ces contrées stupéfiantes où les floraisons s’avèreraient perpétuelles et sans cesse différentes,  

Tel, je le veux, sera notre destin : c’est au sein des plus heureuses saisons et des plaisirs sans cesse renouvelés – auréolés de la pariade de tous les vivants – que notre amour nous perpétuera ! »  

Le roman-poème, doublement odysséen, est complété des étranges Prophéties de Mentor, le prophète rebouteux, qui se déclinent en Prophéties des ahuris et Prophéties de la fin des temps.  

« Et voici que je te prédis enfin ce successeur un peu farfelu, qui tirait à la face des imbéciles, une langue blanche, visiblement malsaine,   Lui aussi s’imaginera avoir inventé, tel Descartes (un fantaisiste) la règle universelle de la violence de l’univers.  

Trinité, vous serez au fil des siècles le Même AHURI et sans tout à fait vous tromper vous vous tromperez, mes pauvres, sur presque tout ;  

car  

Tirant votre langue cynique, Ahuris, vous aurez oublié l’essentiel ! »

 

Rémy BOYER

(in incoherism.ownir.fr, 29 août 2012).




Lectures :

Christophe Dauphin introduit par une longue préface ce recueil de poèmes choisis et inédits qui couvre la période 1980 – 2008, soit jusqu’à la disparition du poète. Les premiers mots de Christophe Dauphin posent la stature du poète :

«  Dans sa vie comme dans son poème, ce qui revient au même, Jacques Taurand sait dire au-delà des mots, capter à la pointe du verbe ce qui relève précisément de l’indicible, le Grand Œuvre qui soudain se cristallise, respire et scintille, par la magie de l’image, dans le prisme de cette pépite de vie nommée poème. Concis, sensuel, fluide et spontané son vers est taillé dans le vif du vécu, dans les plus secrètes forêts de l’homme. »

 

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La barrière blanche

Les pommes qui roulent dans l’herbe

Les rires renversés

Font places sous le ciel croassant de l’hiver

Aux ailes vernies de l’écriture

 

Nous pouvons dire de Jacques Taurand qu’il est « né poète » même si des rencontres furent déterminantes dans sa vie d’auteur, comme Michel Manoll. Jacques Taurand rencontra Michel Manoll en 1980, figure de l’Ecole de Rochefort fondée en 1941, marquée par la liberté et des valeurs partagées d’amitié et de respect. Ce mouvement aura marqué la poésie de Jacques Taurand qui reconnaît la filiation, cependant la poésie de Jacques Taurand n’est pas écrite avec les mots et les styles des autres.

« L’art poétique de Jacques Taurand, confie Christophe Dauphin, s’est constitué entre ombre et lumière à mi-voix : Prendre dans les mots – quelques reflets épars – les unir – dans le poème ; il repose sur une méditation et un questionnement de la condition humaine, des éléments, de la désagrégation du temps, un monde à déchiffrer, avec lequel le poète entretient un rapport sans concession mais aussi sensuel : Comment toucher à la beauté sans faire l’amour avec la vie ? »

 

Les joyaux de la flamme

 

Au théâtre des cheminées

j’ai vécu des sabots d’étoiles

des chevaux de feu

 

J’ai pris ton corps

lente braise à durcir les mots

de chair pâle et d’oublis verts

 

Que de lèvres froissées

pour vivre libre

et vaquer aux quatre vents

 

Toi ma très ignorante

des passions dételées

dans la soute des rêves

inépuisable

 

Jacques Taurand sculpte les émotions. L’émotion est ici une matière à travailler. Il se nourrit non seulement de la vie mais aussi des écrits d’autres auteurs.  Son travail de critique fait partie du mouvement de création poétique.

« Nous devons à Jacques Taurand de nombreuses conférences, écrit Christophe Dauphin, ainsi qu’une somme importante de notes et de chroniques publiées dans différentes revues, la meilleure façon, d’après lui, de « sortir de soi et d’oublier son ego, de découvrir d’autres paysages affectifs, d’autres géographies sentimentales. C’est un enrichissement par la différence. Il faut savoir fuir ce fâcheux et fatal Moi-je-mon œuvre qui, hélas, caractérise tant de poètes incapables d’écrire trois lignes sur leurs confrères ! Des poètes qui se mordent la queue ou autre chose. »

 

Un passant va

 

Sous une robe de

lumière

les jambes écartées

des berges

Fluide toison où

se noient les désirs

Voyage muet de

la pierre

Rêve

couleur d’eau

 

Un passant va

Cherche

un autre ciel

au fronton de

novembre

dans le regard gris

d’une haute fenêtre

 

Quel sexe

le hante

Quelle humide présence

coule

entre ses doigts

 

Perspective de brume

Sous la cambrure

Des ponts

Un mi-jour se froisse

s’effeuille

 

Seule

au souvenir

se glace une main

sur la rambarde du temps

Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, août 2018).

*

"Sous une couverture bouleversante, "La nuit étoilée" de Vincent Van Gogh, voici un livre racé qui donne à lire des poèmes d'une sensibilité dont Christophe Dauphin éclaire (grâce à une préface limpide) les bases de cette oeuvre majeure signée Jacques Taurand. L'ensemble de cette anthologie magnifiée par Dauphin se situe de 1980 à 2006 en incluant certains inédits. Le tout agrémenté de photographies de Thérèse Manoll, de René Guy Cadou, Hélène Cadou et, bien sûr "Simone", l'épouse de Jacques Taurand, celle qui l'accompagna jusqu'aux derniers instants. Au passage, on visionne des images sur lesquelles figurent Yvette et Jacques Simonomis, avec lesquels ils restèrent très liés.

A noter, en fin de volume, une dizaine de pages consacrées à un entretien de Jacques Simonomis avec Jacques Taurand. Le plus touchant de cette publication est sans aucun doute l'image de Notre-Dame que Jacques pouvait admirer depuis sa chambre d'hôpital.

La poésie de Jacques Taurand en grande partie dédiée à "Simone" sa chère épouse qui fit preuve de beaucoup de courage... Digne continuateur dans la poésie qui montre beaucoup de nos "églises" de nos "continents", Jacques Taurand rassemble avec discernement lyrique tous les courants en y incluant sa tendresse naturelle, ses propres émotions. Proche de la nature, il persiste et signe à l'Ecole de Rochefort et tout aussi au Surréalisme, tant d'autres escales poétiques. Toutefois, il nous conseille d'être attentif au pétale de la seconde. Poète, avant tout poète.

Sur plus de 250 pages que compte ce superbe ouvrage, une dizaine est consacrée à la présentation à la présentation de l'eouvre importante de Jacques Taurand sous l'aspect d'uen préface brillante de Christophe Dauphin. La fin du volume est conscarée à un entretien dirigé par Jacques Simonomis avec le talent que l'on sait.

La poésie de Jacques Taurand, elle, est un joyau que peu égalent. L'une des plus subtiles, qui méritent le bel hommage fait ici à ce livre: "Les étoiles saignent bleu". Pour le souvenir et pour le talent, il faut lire cette anthologie remarquable."

Jean CHATARD (in revue Comme en poésie n°76, décembre 2018).

*

Christophe Dauphin nous appelle à découvrir ou redécouvrir Jacques Taurand, poète, nouvelliste, critique, autodidacte français qui, après une vie littéraire un peu dans l’ombre malgré de nombreuses rencontres, s’est définitivement éteint en 2008. Et cette publication vient justement (au sens où ce n’est que justice) remettre un peu en lumière cet auteur non dénué de talents. Ce recueil est un hommage à l’amitié, en particulier à celle entre Christophe Dauphin, Jacques Simonomis et Jacques Taurand. Et un hommage surtout à la fidélité en amitié, à travers cette anthologie revenant sur près de trente ans de poésie.

Son enfance, bercée par un imaginaire familial aux couleurs du Brésil et marquée par les récits de chevauchées dans la pampa, d’oiseaux multicolores et de tempêtes tropicales, l’a éveillé à la puissance du récit. “A vouloir faire des nœuds avec le vent/à boutonner le cœur avec la raison/le bonheur dans la cage prend sa voix de fausset“

Bien entendu, Jacques Taurand n’est pas le seul poète à être attiré par la lumière, “entre Hélios et Séléné“, ce n’est pas si fréquent de lire une anthologie personnelle autant traversée par les reflets “vous me rencontrerez/dans les reflets de l’eau sous les voûtes du soir“, les faux-jours, les miroirs, la lumière d’un “parc en février” à Florence. C’est toute la pertinence du choix de poèmes opéré par Christophe Dauphin. Et l’on se laisse aisément emmener quand Taurand cherche à “faire du poème un vaisseau de lumière“

La lumière/puisait son ardente révolte/à la source du futur/entre l’épaule et le cœur

Dans ses faux-jours Taurand place souvent un peu de nostalgie comme ce retour sur le début des trente glorieuses : “Il y avait des rires/sur les noirs décombres/La lumière retrouvée/libérait son froment“.

Lui qui reçut de Louis Guillaume ce conseil, qui vaut encore pour de nombreux apprentis poètes : travailler dans le sens du dépouillement, de la compacité, laisser tomber les vocables trop rares, les adjectifs inutiles et favoriser l’éclosion de l’image, de la métaphore analogique.

Le “descendant des descendants” de l’École de Rochefort rend un “simple hommage” à Cadou : “Toutes les rivières du printemps/bondissent dans tes yeux cet amour qui gonfle ta poitrine / tiendra la promesse d’un blé“

Ce recueil est suivi d’un entretien avec Jacques Simonomis où l’on en retiendra entre autres, cette citation de Louis Guillaume : “Un poème doit être un objet que l’on peut tenir dans la main sans qu’il dégouline ou s’évapore“.

Je partage aussi l’opinion de Jacques Taurand à propos de la critique de la poésie : “J’ai compris assez tôt que parler des autres, écrire sur leurs œuvres, c’était aussi faire vivre et comprendre la poésie. Et puis, c’est la meilleure façon de “sortir de soi”, d’oublier son “ego”, de découvrir d’autres paysages affectifs, d’autres géographies sentimentales…[…] Pour moi c’est aussi un devoir minimum envers la poésie.”

Jacques Taurand n’est pas resté étranger aux soucis de son époque, les guerres au Liban, au Kosovo. “Quelle parole de lumière/Fera taire les canons/L’espoir à bout de ba/porte les hiéroglyphes du sang“. Et  dans son poème Les longs convois, dédié “aux Kosovos passés, présents et à venir“, il écrit ce passage terrible de prémonition “Demain l’arbre/sur le charnier/portera les bourgeons/de l’indifférence“…

Denis Heudré (in recoursaupoeme.fr, 3 mars 2019).

*

Jacques Taurand n’a pas tout dit. Il aura fallu son départ vers l’ailleurs et la publication posthume de textes publiés et écrits entre 1980 et 2008, l’attentive compétence de Christophe Dauphin son préfacier. Ses proches : poètes, regards amis, artistes, partagent ses émotions. En tout premier lieu : Simone, l’inspiratrice, la muse. Jacques éprouve pour elle un sentiment amoureux qu’il décline en nombre de poèmes qui lui sont dédiés.

Cet ouvrage anthologique compte trente huit ans de poésie, d’écriture, de création. De plus, Jacques Taurand fut fraternel sa vie durant, et le présent volume le démontre en restituant l’image exacte de ce qu’il fut. Sa poésie est profondément humaniste.

Jacques Taurand fut un créateur, prenant les mots pour ce qu’ils ont d’incomparable. Le poète est un voleur de feu, nous el savons. En poésie, tout importe. L’aspect en particulier. En témoigne la couverture. Un détail du fameux tableau, La nuit étoilée (1889) de Van Gogh. Sous la plume de Jacques Taurand, cela devient, Les étoiles saignent bleu. Et cela est édité par Les Hommes sans Épaules.

Jacques Taurand utilise le détail essentiel qui lui permet de flirter avec l’infiniment petit et d’autre part le vaste univers. Tout est vibrations chez lui. Tout passionne le poète : la beauté de la pierre, le bistrot de banlieue, le solfège du vent. Tout est important dans cette poésie. Chaque titre en apporte la preuve. Le poète se réfugie « sous l’aile de feu » ou bien derrière un pan de « La Tour Saint-Jacques », celle qui brille et irradie. Les images sont fortes et porteuses d’une clarté sauvage que les mots domestiquent avec grâce.

Jean CHATARD (in revue Les Hommes sans Epaules n°47, 2019).




Lecture des Eperons d'Eden

Au « rituel des lisières », le fils poète d’un poète cède comme on concède la beauté à la fleur qui penche et va faiblir.

En distiques justes, l’auteur s’avance vers le père qui le quitte et le « tombeau » serre l’absence et les beautés de « tous les souvenirs », rameutés par une voix qui ne sentimentalise jamais mais ramène à la surface de la parole des pans entiers de mémoire vive et le service d’hommage commence : « dans la nuit de l’encre » oui, car  « j’ai accumulé ton visage/ Pour annoter tes poèmes/ de salves de toi ».

La splendeur des images recrée le défunt : « si tu rampes/ dans le sommeil du buffle ». La ferveur et l’amour filial décochent des vers de pure beauté :


« Aujourd’hui, si tu parles
dans ma nuit de chaque jour
mon sourire dans tes yeux
dépose-t-il une larme et un éloge ? »


La mort se décline dans une laisse de poèmes brefs : « Pour toi, père/ j’ai tenté/ ce mince larcin/ des saintes dactylographies/ - ton sanctuaire  »

Faut-il vraiment aimer pour « oublier la mort » ? La poésie de Breton (1956/ dix recueils depuis 1979) consigne l’éloge en vers vrais, recueillant « l’hospitalité » des livres du père, offrant le sien, défiant la mort, appelant à « renaître » « dans l’érection/ des bruits » du monde.

Philippe Leuckx (in recoursaupoème.fr, juillet 2014)

*

" Il est dur de porter un tel patronyme quand on écrit de la poésie : les comparaisons sont obligées mais je ne m’y livrerai pas. Alain Breton a perdu son père, Jean Breton, en 2006 ; Jean Breton, qui était aussi poète. La préface, sobrement intitulée « Mon père », dit tout ou presque : la transmission de l’amour pour la poésie, l’éducation et les dernières années marquées par les maladies et la mort dans toute son horreur ; on aurait pu en rester là et le lecteur s’attend au pire dès que débute « Mastique la mort », la première des trois suites de poèmes du tombeau qu’Alain Breton élève à la mémoire de son père.
 Mais Alain Breton évite l’épanchement lyrique incontrôlé. Il corsète son inspiration par une forme elliptique à souhait : le distique qui court, à trois exceptions près (pages 76, 99 et 109), du début à la fin du recueil. Le vers est souvent réduit à sa plus simple expression, un ou deux mots. Dans de telles conditions, Alain Breton va à l’essentiel qui est ainsi mis en valeur. On pourrait multiplier les citations à l’aspect lapidaire : « Le sceau / des eaux dormantes », « La nuit traçant / le pleur et la merveille » ou encore « L’écho songeur / dans les lambeaux du cri ». Tout est dit dans ces poèmes maîtrisés : l’amour filial, la dette, la mort…
Je sais qu’on rattache Alain Breton à l’émotivisme. Émotivisme : mot affreux qu’une encyclopédie sur internet définit ainsi : perception méta-éthique affirmant que les attitudes émotionnelles sont exprimées à travers l’éthique de la parole… Ça jargonne comme dans une certaine poésie que veut combattre l’émotivisme ! Si la recherche sur l’expression, sur les formes, le langage... est légitime, les abus et les prétentions de l’émotivisme sont inadmissibles. Heureusement, ici Alain Breton échappe à ces travers et l’amateur peut découvrir de petites pépites verbales : « L’araignée diamantaire / livrant sa cargaison de brume » ou « Désormais, tu es l’hypne des sous-bois, / le sommeil des tisons »… C’est un vrai bonheur de lecture.
 Il faut lire ce recueil pour la splendeur des images et sa langue chatoyante, pour la sincérité du ton et pour l’expérience qui nous est donnée à partager. "

Lucien Wasselin (In revue-texture.fr, 2014).

*

"Puisque Monsieur Breton ne supporte pas que l’on dise du bien de ses écrits, je tâcherai, eu égard à l’amitié que je lui porte, d’en dire le moins possible. Pour ce faire, j’ai choisi trois de ses livres : Pour rassurer le fakir, Infimes prodiges et Alain Breton Anthologie.
On y côtoie des textes farfadets, des poèmes lutins avec le coeur qui danse, des nerfs et des muscles, des organes sensitifs et des intestins, avec le désir de vivre, de se communiquer. Et de fait ils rencontrent leur corps en chemin et valident leur manière d’exister. Ces poèmes, assurément, ont des pieds et des lignes de la main et surtout une mémoire curative qui soupèse et estime ses blessures, nous fait sourire d’elles, de leurs dérives et de leurs parjures.

Le voici. Il tourne à l’angle de la rue, il se glisse entre deux rayons du soir. Fier, il est de ceux qui bissent leurs exploits : il nous a aperçus, son torse se gonfle, il se lance, il est déjà loin.

Peut-être aurons-nous un jour le courage, au moment où il file, de rester immobiles et de lâcher derrière lui : « Bon débarras ! »

Si je considère l’ensemble de ces ouvrages, la première chose qui me vient à l’esprit, c’est qu’il reste tant de marge pour écrire l’inédit, pour énoncer les choses autrement - primeurs de chair et d’imaginaire ! -, qu’il y a encore la place pour une multitude d’Alice au pays des merveilles pourvu que l’on choisisse, ainsi que le fait Alain Breton, ses interstices entre les lieux, que l’on se décale entre les sas, les courants, entre les portraits-robots des heures et des saisons.

Je reste suspendu à la corde de rappel ; sans doute ai-je bougé trop tôt. Le vent s’est retiré mais j’espère son retour et les cailloux les plus acérés sous ma corde pour éviter de compromettre ma chute tout à fait.

J’ai donc abordé les mythes et légendes de cet auteur, et mes yeux ont fait le voyage hors de moi pour tomber dans son aire, son no man’s land du périple et du merveilleux. Car l’une des caractéristiques de ces lignes serait d’être comme autant de poèmes en route, à valeur locomotrice, laissant trace de leurs pèlerinages, de leurs élucubrations, de leurs doutes et de leurs hésitations.

L’ouvreur de portes ne se fait guère d’illusions : lorsqu’il détourne la tête, même pour peu de temps, la porte qui, une seconde auparavant, lui résistait, s’ouvre en livrant passage à des étrangers en capes, turbans, bottines, toques, sabres, gibecières, en si grand nombre que la porte ne pourra jamais plus être fermée.

On y trouve maint mouvement de lecture dont les sens, comme pris entre des vagues, s’entremêlent, se complètent, se séparent.

Que chaque totem nous prenne en pitié.
Que des spiritueux s’ajustent à nos muscles,
Infatigables lévriers de l’esprit.
Que le Joaillier rince nos os de solitude,
Qu’enfin les oiseaux s’emmurent vivants,
Pour nous, les anges.

Et de fait, l’être du poème est nombreux, peuplé à foison d’autres masques ou d’autres lui-même, ouvrant toujours sur des possibles et délivrant ce mode d’emploi à tiroirs d’une toujours plus lointaine et profonde féerie.

Chien fou, lève, coeur cogné comme rose sure. Ce que tu voulais s’estompe viscère de sang. Neuf, tu n’as plus peur. Sous le poil, tu es un loup. Tu comprends. Ta formidable queue traîne, tu balances la patte dans un tonnerre de drogue, tout éclate quand tu gueules, tu es libre.

Les rêves mis en scène sont si nets, si visibles, d’un principe actif si probant, qu’on pourrait les baptiser, chacun, d’un nom d’homme ou d’ami, de différentes langues, en différents pays.
Cela fait longtemps, dès leur naissance sans doute, que le « Fakir » les a affranchis et on les voit s’avancer toujours si loin vers l’horizon, de leur allure à la fois conquérante et badine, qu’on se demande s’ils n’auront jamais la force - ou le désir ! - de revenir. En eux, même les affects d’échec, de doute, d’amertume, maquillés sans excès, conquis au devoir d’exister, se voient recevoir des rôles qu’ils n’avaient pas prévus. Car ce recours à l’onirisme a des vertus prolifiques, des accents d’allégorie et de facéties ; il dévisse sans vergogne les glaces, débite et fractionne son efficace, semble une mutine et mutante machinerie. Témoin, cette « sentinelle », cet « allumeur de réverbères » surpris au seuil des rêves : je viens d’arriver et déjà tout est changé dans ce monde.
Mais on peut voir aussi dans ces pages une chronique malicieuse et complice de l’être, qu’il soit abordé par ses signes intérieurs ou s’appréhende lui-même de l’extérieur. Cette mise en regard fréquente de l’auteur et du texte fait apparaître le poème comme un hologramme, petit robot animé de charmes aux dimensions de l’humour et de la tendresse. De tels objets recèlent des surprises. Car le jeu des reliefs soudain bascule, balance, dangereusement se déhanche, comme un éclat de rire ou de néant, une émotion qui chercherait sa voie, sa proie, sa déviance. Chercherait ? Le laboratoire est loyal et actif, le don d’énigmes passant par l’organique, l’anatomie duelle et pathétique du miroir.

Je vais voir ma blessure de temps à autre. Je ne suis pas le seul, aussi j’attends mon tour, dans la file d’attente. Lorsqu’il arrive, je n’ose pas regarder, mais comme je me sais jugé par ceux qui attendent derrière moi, je m’y risque. Il n’y a pourtant rien à voir, tout de cette blessure s’est écoulé, je devrais rentrer apaisé dans ma nouvelle vie. Cependant la voix de mes suivants me cingle : « Regarde mieux ! »

Il y a les poèmes du fakir, il y a les poèmes de l’amour, les poèmes rustiques, animaliers, et ceux des crédos du passé, du futur, des jeux libres, dont certains relatent, convoitent une histoire et d’autres agréent « leur » histoire.
Il y a là une surabondance des rites, des joies, des enfances, et le corps de l’homme devenu adulte qui surveille, balise et attise les emportements et dérèglements de sa loi.
Il y a là cette mélancolie paradoxale qui prise à la fois le bonheur d’avenir et sa perte définitive.
Il y a cette nostalgie traitée comme une parente, aussi défunte que vive, admise au coeur de la famille.
Il y a « lentement, Mademoiselle », ce titre d’un recueil, qui à lui seul vous fait vous coucher sous les lettres.
Et les dessins du même auteur dans « Pour rassurer le fakir » qui semblent les moules, les matrices de son écriture, encore trempées de ses émotions et de ses pensées, un reste d’épreuves desquelles la chair des textes vient de s’arracher.
Il y a enfin tous les poèmes à venir, patients, profonds, attentifs, dont on sent déjà la morsure d’amour dans le coeur.

Odile COHEN-ABBAS (in revue Les Hommes sans Epaules n°40, mars 2015)

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"Avec Les Éperons d’Éden, Alain Breton offre un tombeau à son père, le poète de “Poésie pour vivre”, Jean Breton [1930 - 2006]. Force est de relever quelques reproches inévitables : « Tes rares baisers, mon père / tout le magot des brumes […] Tu m’abandonnes, prince sans rire » et, en miroir, ce bel éloge à l’adresse de la mère : « Chaque matin, les portes s’étiraient / Sur le sourire de la fée à tout faire. » Georges Mounin aurait trouvé géniale cette image de “la fée à tout faire”. Cela tisse bien le cocon de la mémoire. La cause de ces reproches est que le poète Jean Breton plaçait haut cet appel du « baiser / comme une sommation d'être // Et de jouir sans fin / pour oublier la mort. » Mais, en vérité, pour les vivants dans leur rapport aux morts vraiment aimés, il n’existe guère de parade. Alain Breton avoue le besoin d’écumer le temps, les années. Et il consigne de magnifiques pensées : « Que tu ne parles plus / n’est que diversion du silence. […] Aujourd'hui, si tu parles / dans ma nuit de chaque jour, // Mon sourire dans tes yeux / dépose-t-il une larme et un éloge ? […] Je bêche le silence, / je demande hospitalité à tes livres. » — Merci pour ce bel in memoriam."

Pierre PERRIN (revue Possibles, octobre 2015).

*

"Alain Breton, éditeur et poète, a su rester fidèle à son milieu "socio-culturel" (le microcosme de l'édition de poésie) tout en imposant sûrement son beau talent, foncièrement original. Sans doute héritée de sa famille, il garde une liberté d'expression et de pensée sans réplique, avec une pointe d'humour désabusée. Il travaille les mots tel un orfèvre, les fait chanter et se prolonger jusqu'à la magie, exprimant ainsi une sorte de mystique post-moderne, et sans Dieu."

Jean-Luc MAXENCE (in L'Athanor des poètes, anthologie, Le Nouvel Athanor, 2011).

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"Le poème d’Alain Breton, émotiviste par essence, est concis, fluide, limpide, sensuel et ciselé. » Le poète est un œil, un voyeur qui se délecte des faits les plus anodins du quotidien pour bien souvent finir néanmoins par s'approcher du merveilleux. Alain Breton ne projette pas sa lanterne », a écrit Henri Rode (in Poésie 1), le poète de Mortsexe, il épie au fond de lui, de sa mémoire, de son rhésus, ce qui peut motiver cet instant, à sa table, devant le papier qu’il griffonne. C’est la sublimation de l’incident qui l’a fait tiquer, l’a séduit, lui a donné le coup de lancette. Imagiste au sourire triste, épieur d’absurdie dans le quotidien déconcertant, tout de discrétion ; félin qui se garde d’être ébloui dans le jeu de miroirs érotique, Alain Breton est tout entier dans sa recherche, là où le monde signifie, ou crie, et il crie avec le monde."

Christophe DAUPHIN (in revue Les Hommes sans Epaules).




Lectures critiques :

Ce livre n'est pas, en dépit de son titre, uen suite aux "Dits du Sire de Baradel" (édités en 1968 par Jehan mayoux et illustré par Jorge Camacho à l'enseigne des éditions Péralta). Composé pour une part essentielle de textes en prose, il est précédé d'une préface : "Une visite au sire de Baradel" qui nous donne à lire un entretien entre Christophe Dauphin et Hervé Delabarre. Ce dernier déclare que "l'écriture automatique est le matériel de base pour tout...., à partir des années soixante la pratique de l'écriture automatique a occupé près de trente ans une place quasi quotidienne dans ma vie..." C'est là sans doute une des raisons qui font que l'oeuvre d'Hervé Delabarre se situe dans els parages de la poésie de Benjamin Péret.

La dernière partie intitulée "Divers d'hiver et d'autres en corps" rassemble des fragments de poèmes où alternent aphorismes, jeux sur le langage, jongleries sonores où l'humour n'est jamais très loin. On se laisse éblouir par des images fulgurantes où les mots se tiennent au bord du précipice : "Combien de lèvres - pour signifier l'abîme - et souligner les lueurs - qui frémissent encore aux balcons." On se laisse surprendre par des images étonnantes: "Au coeur des robes froissées d'effroi - sombrent les mains qui rêvent." En un instant, on passe de l'inquiétude au rire: "Quoi de plus terrible - qu'une brosse à dents - égarée dans la fosse aux lions", que n'aurait certainement pas renié Benjamin Péret.

Et puis, dans la veine du poème de Xavier Forneret "Un pauvre honteux", Hervé Delabarre donne sa propre version en n'y allant pas de main morte su je puis dire : "Un doigt - puis deux - puis trois - puis c'est bientôt le bras - l'appétit lui vient en mangeant." Certes, tout n'est pas constamment de la même qualité, mais c'est justement là le parti d'Hervé Delabarre : rester fidèle au murmure automatique", car "il y a toujours anguille sous roche".

Gérard ROCHE (in Cahiers Benjamin Péret n°11, septembre 2022).

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Hervé Delabarre n’a de cesse que de réduire les oppositions et notamment celle entre rêve et réalité. Il est en cela très proche des philosophies de l’éveil pour lesquelles, rêve et réalité ne sont qu’un mais son approche demeure celle du surréalisme. C’est la queste du « point suprême » voulue par André Breton ou de « l’imaginal » chez Henry Corbin.

Hervé Delabarre utilise depuis plusieurs décennies l’écriture automatique pour obtenir le matériau de base de ses œuvres. Il en a fait une pratique quotidienne facilitant ainsi l’accès à une « étrange source ». Si le premier texte, Les Contes du Sire de Baradel est en prose, le second est un ensemble de poèmes, composés de « messages automatiques ».

Si certains textes sont purement automatiques, d’autres sont très légèrement retouchés. Enfin, une troisième catégorie de textes est faite de ces « matériaux » automatiques, reçus le plus souvent de nuit et retravaillés le jour.

D’ailleurs, il évoque ces « nocturnes » dans un texte du 5 octobre 2005, La nuit :

« La nuit regorge de coïncidences. Dans les soupirs du temps s’évapore l’ange androgyne. Baisers après baisers, les rives soumises aux doigts des lavandières s’abandonnent aux déclarations d’amour et les sentes, qui s’enténèbrent, prennent plaisir à laisser les langues vaticiner dans les dortoirs immaculés où les cierges devenus inutiles se lamentent, en attendant qu’un blasphème vienne ranimer leur flamme. »

Coïncidences des opposés, traversée des formes et des temps, transgressions des conformismes d’adhésion, c’est un univers infini qui s’ouvre, nul besoin de le qualifier, abolissant les limites entre rêves et réalités et conduisant ainsi au surréel.

Les poèmes ont parfois la nuance et l’intensité racée du haïku :

 

« Une robe

 

Simple éclat pervers

 

D’un jour qui étonne »

 

« Sur le sable

 

Gît un corset

 

Quand la mer émue se retire »

 

Mais parfois, c’est tout une histoire qui est contenue en quelques vers :

 

« Un conte méconnu

 

où la fée tombée de son carrosse

 

ne trouvait pour la secourir

 

que les mains attendries

 

du lecteur qui la désirait »

 

Hervé Delabarre ne repousse pas les limites entre les mondes et les songes, reconnaissant leur caractère artificiel, il les laisse se dissoudre. Ou, au contraire, il tranche d’un mot la représentation, ouvrant une brèche sanglante et lumineuse vers une autre dimension du réel.

Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, octobre 2021).

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