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Critique

Le dernier livre d'Yves Mazagre n'est pas (seulement) de la poésie ; il l'intitule lui-même "roman-poème" ; mi-récit, mi-méditation mélancolique, il relate la fin des aventures d'Ulysse... et c'est Protée, l'éternelle figure du Narrateur, qui raconte - mais peut-être Protée n'est-il autre qu'Ulysse lui-même... et Ulysse, le véritable auteur de l'Odyssée, sous le nom trompeur d'Homère... Tout est possible, à qui un jour a voulu s'appeler "Personne" !

"Ulysse désormais ne quittera plus Ithaque, il le sait, il s'y résigne sans l'admettre absolument", ainsi commence l'histoire.

Mais il n'est pas si facile de revenir chez soi après vingt ans d'errance et d'aventures, de retrouver la femme aimée, qui a vécu, vieilli, mûri de son côté ; et même si l'on éprouve presque de la nausée, à la seule vue d'un bateau, à force d'avoir trop navigué, il n'est pas si simple sans doute de se résigner à une vie purement terrestre.... Le récit commence par un long cauchemar où se mêlent les souvenirs des navigations tragiques de Noé au milieu du Déluge, les rencontres avec le Cyclope, les luttes contre les Prétendants de Pénélope... Puis vient l'apaisement. Ulysse redécouvre Ithaque - nous nous situons après les derniers combats où ont péri les prétendants, après la fin du chant XXIV de l'Odyssée ; mais l'île a bien changé, s'est dégarnie de sa végétation ; et surtout, Ulysse retrouve Pénélope... Il se souvenait à peine de la toute jeune fille tout juste entrevue (le temps de l'épouser et de lui faire un enfant), devenue une femme splendide, mais qui s'est épanouie sans lui, a seule appris à organiser sa vie, et s'agace parfois de cet intrus qui bouscule ses habitudes : et le "roman-poème" frôle parfois la comédie, se teinte d'humour et d'une certaine légèreté, plus présente ici, quoique les oeuvres antérieures d'Yves Mazagre n'en fussent pas dépourvues... L'humour, et aussi l'imagination. L'Ithaque que retrouve Ulysse n'a pas pris vingt ans, mais quarante siècles ; elle nous est contemporaine, reçoit l'écho de notre actualité, des révolutions arabes et de la chute des tyrans (et Ulysse un instant se sent menacé...) ; ainsi d'antiques Achéens, inconnus d'Homère, qui avaient fui dans les montagnes les attaques des pirates, perdent en quelques semaines, au contact de la modernité, la langue et la culture qu'ils avaient su préserver ! Mais Les Amants d'Ithaque laissent au lecteur une impression assez sombre ; Ithaque vit sous l'ombre de la puissante et violente Céphalonie, aux prises avec une sinistre dictature ; dans l'île même sévit un tueur en série mû, semble-t-il, par des motivations lugubrement racistes ; et si Pénélope survit à la flèche qui l'a atteinte, elle ne connaîtra plus qu'une courte saison dont la beauté miraculeuse ne compense pas la brièveté. Et l'histoire s'achève, comme elle avait commencé, par un épouvantable cauchemar, qui celui-là se révèle vrai :

"ton corps se déforma envahi par les durs cailloux d'une chair jumelle qui en six mois, sous mes yeux impuissants, te firent mourir..."

Ulysse alors s'éclipse, et il ne reste plus à Mentor, le (faux ?) prophète, qu'à annoncer la fin du monde. Une fin ? Ce dernier livre sonne comme un adieu, et sans doute l'auteur a-t-il voulu qu'il en soit ainsi. Ulysse ne veut plus, ne peut plus naviguer, et la disparition de Pénélope semble sceller son destin, en cinq petites lignes. Et pourtant, les Grecs eux-mêmes n'ont jamais pu se résigner à laisser mourir Ulysse dans son île : après le massacre des prétendants, il serait reparti, vers le pays des Thesprotes, ou en Étolie, voire même en Italie, où il se serait réconcilié avec Énée !...  Et Tacite, historien sérieux s'il en fut, prétend même qu'il aurait atteint les bords du Rhin... Et Télémaque ? Lui aussi a le voyage dans le sang ; à peine a-t-il fini d'aider son père à recouvrer son trône qu'il s'embarque, explore la Méditerranée, épouse une princesse de Samos... mais il est bien peu probable que ses aventures s'arrêtent là... Le roman-poème ne s'achève jamais ; ancré dans la légende, il se nourrit de la plus brûlante actualité ; Ulysse, comme Protée, Noé ou René Renais, sont nos contemporains. Comment pourraient-ils nous abandonner ?

Artémisia L.

(in, artemisia.over-blog.fr, juin 2012).



19 novembre 2012 Dans Le Monde des Livres

"Floraison tardive : Voyageur effaré /A moi même enchaîné / Trop pensif Robinson, sur une île de hasard, Yves Mazagre qui fut médecin et navigateur, a longtemps attendu avant de publier une quinzaine de livres, à partir de 1996 : floraison tardive pareille à celle de l'agave dont il fait son emblême L'agave jubile sec/ Dans l'attente de sa couronne mortuaire, écrivait-il dans Mise en garde. L'écrivain voyageur Gilles Lapouge présentait ainsi ces poèmes d'aventures, d'amour et de mort : "Qui parle dans ces mots et d'où vient cette voix ? Elle est rude, cruelle même. Elle a longue mémoire. Elle est contemporaine du fond des âges et du fond des océans." Lecteur de William Blake et de saint Jean de la Croix, d'Homère et de Lautréamont, Mazagre propose dans Les Amants d'Ithaque – un roman poème – un hommage vibrant à la subtile Pénélope, retrouvée, puis disparue, laissant "Odysseus, l'inconsolable" face à de sombres prophéties."

Monique Pétillon (in Le Monde des Livres, 19 novembre 2012 )



Sur incoherism.owni.fr

Les amants d’Ithaque par Yves Mazagre, collection Les Hommes sans Epaules, Editions Librairie-Galerie Racine.

Superbe texte, troublant et profond. Une écriture entre deux espaces temporels unis par la mer Méditerranée, mer psychopompe et chamanique qui demande parfois avec violence à être aimée. Méditations croisées sur l’être et l’étant donné.   Ulysse de retour en Ithaque. Pénélope, elle-même et autre. Ulysse qui se voudrait toujours identique à lui-même. Combien de couples habitent désormais le couple originel qu’ils formèrent ? Se reconnaître, se redécouvrir, se réunir, derrière les voiles du temps perdu. L’histoire héroïque et tragique inclut en elle les histoires banales des amants du monde. A chaque instant, se perdre et se retrouver.   Avec l’Odyssée méditerranéenne, l’Odyssée psychique.  

« Te convaincre de l’impérieuse nécessité du mensonge et de la ruse pour survivre :   Empêtrée dans ton hypocrite morale, tu me fais penser aux fables du futur Platon, prisonnier des ombres de sa caverne.  

Confondrais-tu la coutume, le « qu’en dira-t-on », la bienséance du moment, avec la droiture de l’esprit, oubliant que les seuls hommes aujourd’hui sans préjugés sont ceux qui dorment entre des cartons ou dans le trou de leur tonneau (s’il s’agit de philosophes) ?  

Aurais-tu (sans parler de ton habituelle mauvaise foi – souvent dictée par ta tenace jalousie) oublié des propres ruses en face des prétendants ;  

et que, même sur l’Olympe, la dissimulation relève d’une tradition qui remonte aux origines : Aphrodite et Ares (Vénus et Mars dans la novlangue) ne dissimulèrent-ils pas pendant quelques siècles leurs copulations avant d’être bêtement découverts ?   Zeus, lui-même, ne dut-il pas user de grossiers subterfuges pour parvenir à féconder de jeunes et belles (et souvent stupides) mortelles ?  

Quant à moi, l’inventif, c’est dès ma plus tendre enfance que je compris qu’il me faudrait pour m’en sortir les subtils arrangements de ces récits somptueux qui bouleverseront nos interlocuteurs.  

Informe-toi, Pénélope, écoute la radio de Céphalonie, notre vaste voisine, réfléchis au sort de ce jeune prêtre qui eut l’honnêteté de dénoncer sur la toile les sanglantes pirateries de ses collègues et paya sa franchise de sa vie. »  

Colères, reproches sourds, tendresses poétiques, retrouvailles amoureuses, disent l’humain, tissé de médiocrités et de grandeurs. La poésie est plus lucide que la science. Et plutôt que d’enfermer, elle libère.  

« Cependant, Pénélope, je voudrais croire – en témoigneraient les récits « d’étonnants voyageurs » – à une plus heureuse alternative :  

et je rêve de ces contrées stupéfiantes où les floraisons s’avèreraient perpétuelles et sans cesse différentes,  

Tel, je le veux, sera notre destin : c’est au sein des plus heureuses saisons et des plaisirs sans cesse renouvelés – auréolés de la pariade de tous les vivants – que notre amour nous perpétuera ! »  

Le roman-poème, doublement odysséen, est complété des étranges Prophéties de Mentor, le prophète rebouteux, qui se déclinent en Prophéties des ahuris et Prophéties de la fin des temps.  

« Et voici que je te prédis enfin ce successeur un peu farfelu, qui tirait à la face des imbéciles, une langue blanche, visiblement malsaine,   Lui aussi s’imaginera avoir inventé, tel Descartes (un fantaisiste) la règle universelle de la violence de l’univers.  

Trinité, vous serez au fil des siècles le Même AHURI et sans tout à fait vous tromper vous vous tromperez, mes pauvres, sur presque tout ;  

car  

Tirant votre langue cynique, Ahuris, vous aurez oublié l’essentiel ! »

 

Rémy BOYER

(in incoherism.ownir.fr, 29 août 2012).




A propos de René Iché

René Iché (1897-1954) fait partie de cette génération marquée à jamais par la Première Guerre mondiale. Engagé volontaire devançant l'appel en 1915, il est plusieurs fois blessé et termine la guerre avec la Légion d'honneur, la Médaille militaire et de solides convictions antimilitaristes. Ses premières oeuvres sont censurées pour pacifisme ou indécence, à cause de leurs évocations parfois explicites de l'homosexualité. Proche du groupe surréaliste, il commence à percer au milieu des années 20. Ce n'est qu'après la Seconde Guerre mondiale - où il perd plusieurs proches, dont son gendre, le poète surréaliste Robert Rius (qui édita le poème Liberté d'Eluard), assassiné par la Gestapo - qu'il connaît la notoriété et devient la figure même de l'artiste engagé. En 1954, le gouvernement polonais lui commande ainsi un monument aux déportés d'Auschwitz. Il ne verra jamais le jour, l'artiste décédant d'une leucémie le 23 décembre de la même année.
 
CHEVASSUS-AU-LOUIS NICOLAS (in Libération, 18/09/2007).




Deux approches critiques

Comme des meilleurs vins millésimés, Paul Farellier a sélectionné pour chaque année écoulée, et depuis 1968, une bouteille de son excellent cru poétique. Publiés ici où là, les textes qu’il nous offre dans cette rigoureuse anthologie sont choisis pour leur représentativité, leur qualité, le goût subtil de leur longévité et, quelque part, leur tendresse donnée au temps qui court.
Choisir un extrait de texte dans cette superbe sélection est dénaturer le message initial car la plupart des poèmes représentés ici le sont dans un contexte pourvoyeur d’instants privilégiés. Chaque âge a son destin, chaque vers son empire.

« cette sorte de voix mate et sans écho,
ce faible cri de lanterne,
une étoile sourde qu’on distingue à peine

au vent venu de la nuit. »

La démarche qui accompagne ce poème fascine, car c’est le regard même que Paul Farellier privilégie entre tous, opérant sur un choix qui importe déjà un choix supplémentaire où ne surnagent, en fin de compte que les seuls grands textes douloureux des « bonnes années », alors qu’il ne reste

« plus rien qu’un soleil ras
pour faucher les pluies glaçantes. »

Un petit livre tendre et pathétique.

Jean CHATARD, note (mars 2009) pour la revue Le Mensuel littéraire et poétique.

 

Paul Farellier est un poète du souffle et de la distance. Ces poèmes naissent du creusement, du travail, de soins et d’attente. Ils maturent dans la grande cuve à poèmes, nous offrant des millésimes qui selon le poète lui-même peuvent varier selon la terre, le soleil, les pluies, l’attention du vendangeur. Quarante poèmes pour quarante années, le choix du poète a dû être bien difficile. Un peu de hasard a pu s’inscrire dans ce choix mais certaines années sont d’une qualité rare et c’est sans attendre que nous devons déguster ces poèmes.
Des instants, des lumières, un regard sur un vécu, l’oiseau qui s’envole, le silence toujours en recherche dans l’œuvre de Paul Farellier, tout cela impose un moment poétique dense et questionnant. « J’écosse la mémoire » écrit le poète qui tente peut-être de ne pas laisser s’égarer le moindre tremblement dans ce que nous pourrions relier à un vers précédent : «Tout le métier d’aimer». C’est que le poème de Paul Farellier ne semble pas vouloir rester dans la solitude même si les apparences sont parfois trompeuses chez ce poète assez secret. Son espace poétique s’appuie sur la réflexion philosophique et métaphysique tout autant que sur les éléments du monde et de la nature accomplissant par son poème une symbiose qui nous conduit à vivre avec lui la matière du monde comme son néant. Ainsi par l’union du paysage et de la lumière comme connaissance d’une finitude acceptée, nous pouvons lire ces très beaux vers :

« il a gelé blanc
                          et la lumière est prise ».

Silence, beauté, lumière, des étoiles que Paul Farellier ne doit plus chercher. Elles nous semblent véritablement atteintes dans ce recueil.

Monique W. LABIDOIRE, in revue Poésie sur Seine, n° 68, printemps 2009.




À propos de L'Île-cicatrice

"Cette conjugaison, cette noce, de la rigueur dans l’expression avec une sensibilité si subtile, c’est rare."

Guy CHAMBELLAND (1986): cité dans Les Hommes sans épaules, n° 21, 2006, p. 40.

"Ce poète sait être dense d’emblée. Peu à peu les poèmes irremplaçables viendront. Déjà de L’ÎLE CICATRICE deux poèmes se dégagent. L’un sur l’hiver :
L’hiver foncier, sachant construire un ciel (page 78).
L’autre sur la nuit :
mais la nuit,/ chargée d’âge et de lenteur
mais le silence au poil ras qu’elle rassemble,
la nuit s’est faite au dernier étage,
dans l’intime des confins (page 82)."

Henri HEURTEBISE, in Multiples, n° 47 (1992), p. 63.

 

 




Critiques

  

" Lisez ce beau recueil qui convie le lecteur à une recherche patiente, là où jour et nuit se mélangent en de curieuses et bouleversantes alchimies, alors que l’instant, par sa fragilité même, ouvre les chemins de la durée: (...) il te faudra te ressaisir, / recommencer contre l’obscurité, / l’amenuiser de son triomphe même, / tenir des promesses précaires. Car il s’agit bien d’un perpétuel recommencement, non sans douleur, mais sans amertume, puisque cette vie quotidienne et menacée doit conduire à sa propre naissance. "

Catherine FUCHS, in La Revue de Belles-Lettres, n° 2, 1995, p. 137.


" Dans les trois parties de cet ouvrage […], Paul FARELLIER se met à l’épreuve, avec une rigueur impitoyable et douce. Être est d’abord descendre en soi, avec certitude et quelque effroi mais c’est aussi en venir à ce point d’acuité qui épouse les choses défaites, jusqu’à délivrer « le flux rapide de l’éternel ». […] Toujours, Paul FARELLIER a un sens aigu des pouvoirs de perception : la moindre vibration libère un sens multiple, une lumière dont l’excès serait mortel. La fin provisoire du chemin, dans la complexité indiscernable, s’émerveille des cris les plus élancés malgré la lancinante prison intérieure. Un secret, terrible, rassurant, veille. "

Gilles LADES, in Friches, n° 45, hiver 1994.




Critique

Jean BRETON, in Les Hommes sans Épaules, 3ème série, n° 10, 1er trimestre 2001, p. 111 :

"Qui sommes nous, sans cesse « en perte de visage » ? Un labyrinthe que le va et vient onirique éclaire d’une lampe de poche. Il y a chez Paul Farellier une pudeur, un refus aussi de toute surenchère verbale. On est lié à un mot à mot presque janséniste. Le poète se défie de la parole qui « tombe en limaille », il veut l’humilité, la clarté, la sécurité du silence ; il aspire au besoin peu répandu de « loger au point aveugle » des choses. D’où son goût pour la nuit – qui va plutôt à l’essentiel. Nous voici alors à fond dans notre « attente », notre perception accrue. Égalisons les vibrations, les contradictions. Scrupule, modestie, lucidité reine, c’est le tremblé de ce trio qui écrit notre identité, même si elle bouge à peine. […] L’homme est guetté par l’effacement du lieu et de l’être qui l’habite. Mais il sera souvent coopté par le regard des « étoiles » et « le cri de beauté » qu’elles nous lancent. Rôde une certitude que le poète, avare de confidences, ne nous livre que de biais : « une voix » saura un jour nous atteindre. On rejoint ici un mysticisme tout de prudence : J’ai rêvé :/ il restait ce carrefour d’éternités »..."




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