Dans la presse

 

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Lectures critiques :

« Tout est âme en toi quand je t’aime

 par le tigre et la cornaline

 Sur ta rivière décachetée

 je suis le titulaire du philtre

 Suspendu à l’Yggdrasil

 tenu par le serment des mille respirations

 quand par miracle

 tu apparais

 dans la chambre secrète

 des lieux où je t’invente »

 Ce poème d’Alain Breton rappelle tout ce que le mot asphodèle peut évoquer en nous : la mort, la liberté, la beauté, l’amour, la magie, le mystère… Mais, le recueil est parsemé d’inattendus, de détours, de sauts à l’aveugle, de cris de colère, et de gestes d’apaisement.

 « Jadis nous surprit Orphée contrebandier de peaux et de tabac

 Sa lyre réglait tout un empire

 dont la règle fut le chant

 et Eurydice celle qui n’applaudit pas

 militante d’un club où l’on fait la vaisselle

 à laquelle on ne confie pas le whisky

 dans la cité maudite

 ni l’or des Incas pour une brocante à la Jamaïque

 ni les spectres qui jonglent avec les yeux des chats

 cochers de l’irréel »

 Alain Breton nous balade, nous conduit, nous perd et nous retrouve. Cache-cache des mots et splendeur du verbe qui, soudain, libère, parfois à contre-sens.

 Odile Cohen-Abbas, dans sa postface, l’interpelle :

 « Visions prospectives et apocalyptiques s’enchevêtrent que régénèrent toujours des indices ou fragments fictionnels du présent. Vous êtes si prodigue, Alain Breton, quand vous distribuez le vrai et le faux, le sordide et le beau, les songes des hommes qui prennent naissance dans les vieilles eaux, les antagonismes du désir, votre passion indissoluble de l’humour et de la tragédie ! »

 Alain Breton épuise la langue pour en faire un creuset dans lequel la matière des mots peut assurer une résurrection, celle du poème, de l’éclair lumineux qui enchante par la lucidité. C’est terrible et jubilatoire.

 « C’est toujours la même chose

 sous les sphères

 on remercie bien tard

 le petit âne pour ses biscuits

 et l’aigle qui a du lustre

 Un peu prétentieux pourtant de ses serres

 sait-il faire jouir au mieux sa compagne

 en garde-t-il le goût dans ses rondes

 quand il fait le malin dans le vent

 ô grand-maître qui ne se pose que pour l’arbre

 ou tuer »

La déambulation d’Alain Breton est une quête éperdue du passage étroit entre la mort et la vie, l’horreur et l’extase, entre le poème et le silence.

 

Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, avril 2022).

*

Quand on court contre le temps on a toujours du retard dans ses lectures, ses écritures, et tout le reste… Mais au moins poser un parcours. Rendez-vous avec des livres…

 Donc lire… Alain Breton

 Premier recueil de poèmes de lui que je lis. Mais j’avais déjà découvert plusieurs de ses textes dans diverses anthologies (du Nouvel Athanor, notamment) et avoir l’intention d’en lire plus.

 Intriguée par le titre, Je serai l’assassin des asphodèles, éd. Les Hommes sans Épaules, 2022

 Elles sont assez belles ces fleurs, fréquentes en bords méditerranéens, les asphodèles. Mais la mort, c'est elles qui la marquent. Au moins dans la culture antique (et parfois encore comme par une mémoire culturelle inconsciente), fleurs pour orner les tombes. Les tuer serait-ce tuer la mort ? En acceptant que la poésie soit (comme le dit Roberto Juarroz, cité en exergue principal) une forme de folie qui nous préserve du bon sens et des stupides idoles qui dévorent la vie des hommes. Et ainsi... qui nous permet de vivre et de mourir en tant que nous-mêmes. Le sujet de la mort est bien là. Celle qui nous guette, celle qui environne, celle que la société veut éloigner, celle qu'en fantasme on se souvient d'avoir vécue, habitant l'histoire en personnage du passé, celle de l'image des Érinyes / dans chaque gare... Celle que les humains infligent ainsi que firent nos ancêtres (mais...). Mais, car le monde est autre, cruel autrement. Cependant s'il y a présence du tragique des vies, il y a, en contrepoint, l'art des oiseaux. Métaphore de plus de sens.

 Parcours rapide. Mais assez pour grappiller des fragments, y revenir, et noter qu’il aime citer (j’ai lu et relu les autres exergues…). Assez aussi pour avoir senti l’esprit, comme un voyage intérieur, s’interrogeant sur les émotions qui donnent épaisseur à tout ce que l’on vit, et, en arrière-profondeur de pensée, regardant comme de haut tous ces instants, ces bribes d’itinéraire, cherchant le sens, et la liberté intérieure qui se construit avec et contre le temps. Mais, comme le dit en exergue Marie-Claire Bancquart, éclairant le poème qui suit, p.135 (Nulle route que vers le dedans), le voyage est intérieur, pour se demander où avoir eu lieu (p.170), et se définir en poète visiteur du cri (p.178)

 Citations…

 Un jour je parlerai de choses et d’autres

car je n’ai pas promis

 (Ces deux vers, p.11, suivent le titre Comment édifier un précipice, et l’exergue d’Alain Simon, dont je copie la dernière ligne, je viens pour seulement les philtres). On a le programme intime de l'écriture, sans obligation, mais avec un risque pris, ce précipice dressé dont on peut tomber, mais si la poésie s'autorise une forme de folie (Roberto Juarroz), elle a sa magie, ses philtres (Alain Simon). Mais les philtres, c'est Alain Breton qui les crée. Et ils ont leur efficacité, comme le démontre la postface d'Odile Cohen-Abbas, car elle voit aussi la face lumineuse qui vient de ces créations voyageuses, de ces rêves dont l'amour n'est pas absent.

 Qui suis-je

même pas le mangeur de ciel

 

Plutôt de la lignée des Poissons

une simple arête qui clame la jetée

et donne écriture aux planètes

(p.53)

 

J’ai vieilli je ne dépends plus que de mes souvenirs

et de l’herbe si lente après la nuit

(p.93)

 

Et je ne savais pas

que ma vie irait toujours au poème

pour ne surtout rien comprendre

sauf la magie

(p.136)

 

Marie-Claude SAN JUAN (in tramesnomades.hautetfort.com, 2022).

*

Le jeu appartient à la poésie, un jeu qui peut être sérieux, ou pas ; qui peut se colorer de toutes les émotions ou au contraire tenir une seule note ; un jeu qui s’opposerait à la vie ou, au contraire, serait la vie même, rendue à son éclat royal, à ses féeries, à la drôlesse mystique des métamorphoses et du « fouillis », toujours libre et toujours en geôle.

Telle est la promesse jamais démentie de la poésie d’Alain Breton. Le voyage, la liberté donc, est le motif principal de ce triple recueil ; mais seulement ceux qu’on peut faire avec des poèmes-légendes, ceux qui retranscrivent notre vie complète en dix vers, mais qui débordent la seconde et l’espace. Il y a les spires d’un rêve « tenu par le serment de mille respiration », la femme du Nord, Betty Boop, le grotesque, les oiseaux, une magie médiévale ou amérindienne, mille et un noms de fleurs, le grand âge des arbres, tandis que « mes branches ne gardent rien du silence des oiseaux », la stupéfaction paisible devant la source « dont le souci est l’élégance » ; puis enfin toi, « cet errant irisé de hantise », jusqu’au moment ultime : « Et puis la mort s’est approchée / c’est-à-dire le couteau sans date », la mort qui est « la source moissonnée ».

Il y a du M. Plume dans les poèmes d’Alain, « Prince en Absurdie en Tartarie dans un boudoir », du cocasse espiègle, de « l’hypothétique enjoué », remarque très justement Odile Cohen-Abbas dans sa postface ; mais avec la lucidité de celui qui sait devoir sa mort à la ciguë des vanités de ce monde, et son paradis d’avoir gardé un œil vigilant sur les sources moqueuses du rire (« Mon Dieu m’a accordé le rire / pour triompher de moi »).

Enfin, et – pour ceux qui se baissent – il y a de la morale dans ces vers, celle forgée par un « optimisme tragique » à la Diogène qui « va parmi les rues mal éduquées » ; et aussi celle que l’on dit du bout des lèvres, la nuit, à son ami le plus cher : « Ô poètes n’empruntez pas ne pillez pas / – et voler quoi puisque tout est lumière ».

 

Pierrick de CHERMONT (in revue Les Hommes sans Epaules n°56, octobre 2023).




Lectures critiques :

Déesse facile par la rose et la ruse

Surgie fendue d’entre les songes

entre tes seins et moi tous les pilleurs d’épaves

C’est toi la femme qu’un nécromant sortit

de sa cornue

durant l’émeute des oiseaux

J’appréciai sur ma peau tes couchers de soleil

Je n’ai aimé que toi puis j’ai brûlé les draps

 

Chaque recueil de poèmes d’Alain Breton étonne et détonne sans effacer un sentiment intime de familiarité. L’explosion des mots, non sans sagesse, révèle des alliances insoupçonnées.

 

Donc j’ai fait civilisation

j’ai fait beauté au seul défaut de l’herbe

j’ai fait rêves pour enrayer la pourriture

j’ai fait splendeur et bassesse

j’ai fait soleil mystérieux de ma face

j’ai fait éternité de mon absence

 

mais je n’ai pas trahi

 

Tout peut être dit suggère Alain Breton. Encore faut-il connaître la symphonie des mots pour en faire une fête salvatrice, non qu’il y ait quoi que ce soit à sauver de personnel mais la beauté, la liberté, l’amour… des puissances sans doute éternelles en soi, indépendantes de ce qu’en font les êtres humains avec leur expression sans cesse contestée.

 

En libérant les mots et les sons du carcan des préjugés et conditionnements, c’est l’espace même de l’être qui se désencombre. De nouveaux mondes apparaissent. Ils sont internes, externes, ni l’un ni l’autre. Le défi ultime, celui qui nous réintègre à notre propre nature, appelle la restauration d’un rapport secret au son, au mot, à la langue pour abolir les temps ou jouer avec, suspendre les causalités trop linéaires, choisir les tourbillons qui en leur centre préservent un lieu exquis.

 

Pendant qu’allaient et venaient

les Bönpos du mont Kailash

j’ai laissé quelques transes

chez les poneys des steppes

négligé des saillies pour la part du Diable

 

 

Compagnon des corsaires

j’ai capturé des îles fraîches

pleines de nèfles et d’oiseaux

chanté sous des nuages splendides

près des cercles respirants d’Asger Jo

nagé aussi dans l’eau de Lyre

en piétinant les herbes récitées

et demandé l’hospitalité au lièvre qui court

sans jamais s’arrêter

 

Beaucoup de poèmes apparemment réussis ne franchissent pas avec succès les lèvres. Dits sur scène, ils tombent lourdement au sol sans atteindre et réveiller les esprits de ceux qui entendent. Lire les textes d’Alain Breton à haute voix, donner vie aux images, permet de pénétrer des états nouveaux où la distinction entre le rêve et la réalité s’estompe.

 

Poètes je suis venu voir vos boiteries les miennes

les broderies dans vos douleurs

Le saviez-vous

je vis poète je mange poète je lis poète

Jadis j’ai été décoré des ordres

du rire et du sanglot

aussi de la rivière fabuleuse

des cris de plaisir de l’hirondelle

 

Rémi Boyer (in lettreducrocodile.over-blog.net, février 2024).

*

J’ai cherché des passages, des périodes d’élection pour les citer dans mon texte, mettre en exergue les traits les plus percutants, les plus emblématiques et j’ai trouvé tout le livre. « Je ne rendrai pas le feu ». Il dit vrai, Alain Breton dit vrai, il ne l’a pas rendu ! Il l’a séduit, mûri, étayé, érotisé, soumis aux dents de l’étreinte, aux processions grimpantes et chutant de l’imaginaire et contraint à produire son ultime ou premier aveu : tout est le rêve. Cependant… C’est bien moi pourtant ce portrait des frayeurs.

L’ouvrage s’ouvre sur cette quête, à la fois affirmation et doute persistant de l’auteur sur son identité humaine et poétique. Il s’interroge sur l’instabilité du jour, des petits jours, de la connaissance et du lien amoureux. L’interrogation apporte-t-elle le bonheur, le malheur ? Le lien ténu du regard sur l’amour, auquel on reste suspendu – par la bouche, autrement dit par le baiser et le dire - comme une araignée à son fil, pendule du rien au rien, d’un sursaut, d’une esquisse au peut-être, au sans doute. Comme d’habitude tu ne dors pas / Les heures qui passent exhument la lumière / Écoute la pluie peut-être / quelques gouttes de sa gloire L’insomnie renvoie à une totale solitude.

L’insomnie sans fard ni fioriture, ni arrangement tonal, l’entêtante, la muette accompagnatrice engendre en lui une vierge et souple et durable et repentante mélancolie. Laquelle dépose sa morsure livide, péjorative, dans tout ce qu’elle sonde. Ainsi comme dans le poème de la page 16 : J’ai vu tous les oiseaux lassés par mes chansons / et mes amours abandonnées / puis mes bateaux qui ne partent jamais, que le lecteur le moins éclairé ne peut accueillir que par dénégation, car tout ce qui fait figure de liste d’échecs ici est la substance même, les sacs d’offrande, les sacs poétiques, les muscles, la chair d’or, les égards, les désirs hyperboliques du poète. Tout est là, en excès ! Un sacrifice sublime, initiatique de tous les temps ! Et comment ne pas mentionner comme deux thèmes, deux inspirations liées par transparence, cette phrase tirée de la correspondance de Kafka : « En tout, je n’ai pas fait mes preuves », dans les deux cas comme un acte de mortification, doux et dur, une posture d’inclination devant la révélation, l’ange jaloux et – en dépit des riens, en dépit de tout – annonciateur de l’œuvre créatrice ! Demeure l’enfant de l’insomnie, l’enfant qui sait, qui ressasse ce qu’il sait dans l’indomptable silence intérieur, le passé, sans date, désaffecté et figé. Mon Dieu - renvoyez-nous dans les tétons qui causent - dans la langue du chien - Faites que l’on fâche - faites que l’on morde mais que l’on aime - Donnez-nous les poèmes les plus drus - les vers les plus féroces - les éclats dont mourrait même le feu. Moment d’arrêt où les frayeurs, déjà évoquées, se précisent, se concentrent. Où l’une d’entre elles, peut-être celle qui liait le tout, va révéler son identité : l’indifférence. Absence à l’être, subie ou suscitée ?

Mais là, surtout, dans l’oraison qui s’élève au milieu des vertiges, les deux ne se confondent-elles pas en une ? En nous aussi quelque chose se ralentit, frôle une fin, telle ou telle autre pressentie, se fixe. On éprouve la puissance et l’humilité envoûtante des mots de sa prière. L’insomnie du poète n’était-elle pas un autre visage de l’indifférence ?  Nonobstant tous ces contretemps, Alain, rapide, alerte, rebondit sans cesse, dribble pourrait-on dire (Alain est footballeur) devant tous les événements de l’existence réels ou moins réels. Qu’importe, la vie passe aussi par un jeu de jambes habilitées à gérer les passions, l’angoisse, l’adrénaline, le plaisir. J’ai rencontré John Coltrane et Nelson Mandela… J’ai croisé Didon l’effileuse infirmière trans-sexe… J’ai vécu dans un lit qui foisonne… J’ai prié Tatanka Iotake des Unkpapa… J’ai su éviter les tueurs à gages… S’animent, s’électrisent dans le champ textuel toujours en puissance d’émotion, d’inépuisables et orgiaques mutations.

Les rêves d’Alain Breton, sans égard pour leurs nuits blanches, s’assemblent, se fertilisent. Il y en aura pour toutes les obédiences et dramaturgies féminines, pour la lune en déshérence et pour la fin du monde ! Qui pourrait refuser sa part, laisser son butin entre les lignes, quand on joue, quand on ruse et que la mort elle-même est ludique ? Et s’il revêt toutes les panoplies, trophées de rêves et de pays lointains, s’il nous enivre de la prolifération des lieux, c’est parce que ivres nous serons plus enclins à frayer avec lui, maître et gardien invisible, insoumis, du questionnement. On le verra souvent, le poète use de dérision. Mais sa dérision est pleine de sentences et de raisons naturelles et couvre toute la distance entre le ciel et l’abîme. Elle connait et illustre les voyages, pose ses jalons sur l’histoire, la géographie, anticipe les lointains et se lie avec le prochain. Et l’amour est-il sauf de la raillerie ? Tient-il sa place au milieu des monstres et des travestis, des prouesses, des litiges de la magie, des transferts et mutations d’époques et de noms, dans la grande fête foraine de la Poésie ? Sauf ? De toute évidence : oui. Sauf, par-delà les apparences ? De toute évidence : non. Et pas seulement parce que l’amour est mortel, qu’il porte en naissant des germes de mort, et qu’il lui est imparti une certaine durée, un segment de vie, mais parce que l’indifférence des êtres pensants est toujours… reconductible. Je n’ai aimé que toi puis j’ai brûlé les draps Mais ne le cherchez pas où vous l’avez trouvé. Alain est doué d’étranges organes de locomotion qui le mènent d’éclipse en éclipse, de l’agonie à la vie, de prosodies, de fééries en dogmes cataleptiques et de la vie encore à des morts si douces, si nubiles. À ces dernières aussi, Alain Breton, indemne de chants secs et de superstition, prodigue des « je t’aime ». Peut-être que je ne conviendrai pas / à la Grande Calèche / C’est une chose la confiance de la mort / ses engouements soudains / pour les plus jeunes même.

Lueur des pas perdu, la deuxième partie du livre s’ouvre sur un manuel, un manifeste pratique de l’amour du monde réservé aux enfants des prophètes ou des dieux olympiens tant la minute de conciliation, de rapprochement sorcier avec la vérité est d’envergure et où, en quelques lignes, le remord, le scrupule, la matière peccable du sexe et des assauts d’universalité et d’intimité sont renversés. Tu me donneras le jour espiègle. J’ai du temps à perdre, tu m’apprendras à danser. Tu me persécuteras ; tu t’attendriras sur ma façon de tuer. Tout ce qui sera énoncé de plus essentiel désormais fait mystérieusement figure de dérive, use de paradoxes si savants, si supérieurs que le rire comme les larmes nous écorchent, dérangent la structure, l’harmonie et la peau du visage sans jamais rien remettre à sa place.

C‘est de ces visages décalés que nous le lisons. Ici, la décadence du sens, la blessure symptomatique des images illustre la révélation, c’est-à-dire l’instant d’élection du poète, sa désignation, sa proximité avec le verbe. Il n’y a pas de ballotage, de tremblement d’approximation, de foi perdue, indue, d’hésitations chiches ou malencontreuses : Alain Breton est le poète élu ! Son courage est double et triple, maitre et victime de soi et des événements, sa bravoure, sa bravade rieuse se retirent ou s’engouffrent dans la douleur et traversent tous les obstacles, tous les barrages du monde souffrant. « Lueur des pas perdus », des pas qui savent ce qui vit et ce qui meurt, qui redistribuent sans fin l’équilibre sur un fil de peur, sur un fil qui a peur et transmet cette peur comme offrande à celui qui le défie.

C’est cela l’héroïsme du poète, ce mystificateur / mystifié dans un corps de conquête, qui invente infatigablement des armes d’apprêt, d’appoint, dans le danger, l’incohérence, l’incertitude de la magnificence et du magnétisme de l’être. Ô halo de la grandeur - comme chez Phidias le Zeus d’Olympie - régnant sur la dynastie des hamsters anxieux - Ô temps désarticule donc ton rugueux atelier - ta mémoire voleuse d’oublis - Crée une nouvelle chevalerie des minutes - Protège nos égéries- dont la lumière s’allume en marchant - et les chiens des brumes - nos maraudeurs

Odile COHEN-ABBAS (in revue Les Hommes sans Epaules n°58, octobre 2024)

*

En choisissant comme prix 2024 le recueil d’Alain Breton, Je ne rendrai pas le feu, remercions l’Académie Mallarmé de mettre à l’honneur un pan méconnu de la poésie française : un courant qui n’est pas né de la dernière pluie, avec ses poètes « à hauteur d’homme » des années 70, tournés vers le quotidien, la simplicité, usant d’un humour en demi-teinte, et qui compta parmi ses membres des Jean Rousselot, Yves Martin, Claude de Burine et bien sûr, le père d’Alain, Jean Breton. L’apport d’Alain Breton à cette histoire déjà demi-centenaire est d’ajouter à l’humour la dérision, à la simplicité la fantaisie onirique, ainsi qu’une belle tranche de surréalisme et un fumet de mélancolie produit par l’émerveillement du regard.

Relisant ce recueil, j’ai également noté un trait propre à notre poète : le goût de la fraternité. En interpellant tant de poètes à travers leur mise en exergue, c’est tout une génération qui défile dans la lucarne des pages ! Une génération et un lieu : la Librairie-Galerie Racine de Paris. J’y reconnais Paul Farellier, Elodia Turki, Odile Cohen-Abbas, Guy Chambelland, Henri Heurtebise, Sébastien Colmagro, Yves Mazagre, Gabrielle Althen, Christophe Dauphin, Serge Brindeau et tant d’autres.

Parlons maintenant du recueil. Il s’agit d’un album de voyages où le poète nous partage ses expériences et ses rencontres au sein d’un immense présent (une plaine) qui rassemblent des pharaons, des poneys sauvages… et aussi la rue Monge « car je suis seul souvent / comme je descends la rue Monge / comme je parle longuement à la pluie ». Les voyages proviennent des lectures de l’enfance avec leurs Indiens et leurs aventures, ou des rêves apparus en tournant les pages d’un livre d’histoire, ou devant les portulans d’aventuriers perdus, ou encore (j’imagine) après la lecture distraite d’une presse scientifique.

De ces poèmes, il ressort un sentiment de paix espiègle, celle d’avoir chassé les vanités du monde pour privilégier ses paysages intérieurs où les rêves d’enfant trouvent grâce et place. Et vient alors cette conclusion riche d’une fraternelle sagesse : « Ami ne t’inquiète plus / Tout est élucidé / Tout s’excuse ». Cette promesse, de poète, il la tient d’un « Moi / issu de toutes les absences ». Mais concluons en revenant aux Indiens d’Alain Breton.

Voyez comment ils traversent les poèmes un fois « debout sur le cheval », un fois tapis en train d’écouter « le discours des bisons dans les hordes fleuries de myrtilles ». Si vous vous approchez de cette petite tribu, avec prudence cela s’entend, regardez celui qui se tient au milieu, le ni-costaud, ni-malingre, mais avec un sourire qu’on n’oublie pas malgré ses peintures de guerre. Ne trouvez-vous pas qu’il ressemble à…

Pierrick de CHERMONT (in revue Possible, octobre 2024).




Critiques

"Un recueil surprenant, dense et varié. Marie-Christine Brière a l'art d'écrire des poèmes cadrés. En une page, on découvre un portrait, souvent de quelqu'un, nommé parfois en titre, ou bien un paysage d'un lieu de même titré. Et l'on embarque pour ces photos comme dans un album, chaque texte guidant une visite aux confins des êtres ou du monde... le mot bonheur qui répandu placerait son bandeau - lisse sur les yeux d'enfants perdus. Amour, amitié, voyage. Empathie avec les gens et la nature. La seconde observation que l'on retient se trouve être dans la forme; les mots passent les vers, enjambant facilement, et enchaînant les phrases, ce qui provoque fluidité et vitesse: l'eau passe à peine sur le dos des pierres. Son écriture si particulière ne se prive pas de raconter, tout en chevauchant l'image si l'occasion se présente. Rien n'est prémédité, la poésie se matérialise au fur et à mesure que l'encre sèche sur le cahier. Un nuage a égaré sa guimbarde. On pense surréalisme bien sûr, dans une version baroque, et pourquoi n'en serais-ce pas ? mais je crois qu'il y a surtout le regard de Marie-Christine Brière à focalisations variées, et qui bouge instantanément, macro, plan large ou panoramique... le lecteur change de plan à chaque vers: Un train dans son roulement d'oreille - révèle une route lointaine, oubliée."

Jacques Morin (in Décharge ,n°160, décembre 2013).

"Le titre du recueil de Marie-Christine Brière sonne comme une invitation à embarquer aux côtés du poète, à nous laisser emporter au gré des lignes noircies de mots. Ainsi le parcours proposé au lecteur est-il jalonné par les titres de parties qui annoncent les étapes du voyage : « Amarrages », « A bord penchés tremblants », « Attaches », « Embarqués », « Humour rameur », « Et sur l’arche, un pépiement de création ». Comment ne pas deviner ici qu’il s’agit d’une liste des étapes progressives qui mènent à l’accomplissement du parcours poétique, ainsi qu’une manière d’énumération du périple auquel est invité le lecteur enserré à l’énoncé dans les pluriels employés par l’auteur ?

Alors qu’est-ce à dire ? Avant même la lecture des textes nous voyons se déployer le champ lexical de la navigation, métaphore de la traversée du réel portée par l’énonciation poétique dans sa puissance à décaler les rouages du signe. Un trajet au-delà des apparences données à voir à travers un quotidien dont le poète s’imprègne et dont elle énonce les détours sans apitoiement mais avec toujours un regard à l’Humanité. Le paysage habituel n’est plus insignifiant, il n’est plus tableau d’habitudes égrainées jour à jour. Grâce aux mises en œuvres paradigmatiques, dans le choix du lexique, et à une syntaxe qui permet les glissements sémantiques, il se dévoile à travers des dispositifs ainsi dévolus à la parole poétique.

En plongée dans les attentes
A la table du café
Les paroles contenues
Disent le dehors des femmes
Talons fins, robes noires

Un planeur descend des yeux
Le repas, heure légale
Assène son cliquetis
Par un trou de porte ouverte
 

Barreau de fer midi coupe
L’ombre en loques des auvents
Vêtus de bleu unanime
Les passants cherchent le soir
 

Dans sa forme, une poésie au vers et à la rime libres de toute contrainte, et des titres qui précèdent chaque texte. Pas de ponctuation ou rarement employée, et une syntaxe qui rythme la structure du vers. Une disposition à la page qui fait sens tant la gestion de l’espace typographique est signifiante : strophes en retrait, groupes de vers détachés, la forme soutient le paradigme dévolu à un lexique servi par des mots appartenant au registre courant, afin d’étayer la totalité des envolées du signe.

Alors il n’est pas étonnant lorsque nous suivons ce parcours poétique de constater que cette prégnance du réel au discours en propose une lecture herméneutique. Les étapes du quotidien énoncées par Marie-Christine Brière ne sont qu’occasions d’ouvrir à une dimension qui en transcende les apparences. Et la parole poétique emporte alors au-delà des contours. Ainsi ce titre oxymore, telle la poésie du recueil qui dit les apparences et leurs revers, Flocons noirs :
 

De là-bas et si haut tout est oie
Mais tout n’est pas cygne
Les nuages tombèrent en suie
Un jour où nous avions gobé l’œuf
Entrées dans une maison à terre
Les mésanges de l’enfance
Ne pouvaient en sortir
Sans curiosité de nous
 

De là-bas en bas des gloires
Portaient bonheur pas de nuage
Sans frange d’argent dit le proverbe
Mais les humains occupés donnent
Miettes à celui-là le crucifié
Etonnés de trouver l’homme-dieu
Dément, torturé même à l’offert
Sur la table d’une brocante
 

A partir d’une lecture sensible du réel, Marie-Christine Brière mène le lecteur au seuil d’un univers poétique qui en dévoile les arcanes grâce à la puissance des images évoquées. Et cette ambition herméneutique des textes de Cœur passager ne se limite pas seulement à une percée métaphorique de la vie ordinaire. Elle se propose aussi d’énoncer une réflexion sur le langage, qui sous-tend certains textes du recueil. Cette écriture spéculaire invite donc le lecteur à s’interroger sur le signe, à l’envisager comme trace inaboutie mais capable dans sa dimension poétique de mener à une vision transcendante du quotidien :
 

L’Oiseau c’est trop
 

………
 

L’accent sur le mot ciel par mégarde
N’a même pas glissé au parapet où l’oiseau
-toujours sans nom-sifflote entre
deux silences. Comment faire sans livre
 

pour nommer, dessiner sur la paroi leurs
mécaniques de plumes vertes ? bleues ?
bleuvertes ? Le noir n’est que du gris
la mouette et son œil bouton
 

deviendra plus tard une bottine
Comment approcher du jeune né qui se
Cogne sur la pierre, l’ouvrier l’imitera
Sur son théâtre de planches
 

….
 

Comment rendre compte de cette perception accrue et sans concession des évidences, telle est la question que pose ici l’auteur. Comment énoncer une réalité si souvent violente, ancrer la poésie au réel mais ne pas l’y perdre.

Lire Cœur passager c’est se laisser embarquer dans l’univers de Marie-Christine Brière. La prégnance du quotidien ne fait en rien de cette poésie une poésie du réel. Bien au contraire, qu’il s’agisse de l’appareil paratextuel ou du choix d’une mise en œuvre syntaxique et paradigmatique qui permet les envolées sémantiques du signe, tout est prétexte à porter une réflexion sur la nature du langage poétique ainsi que sur l’ordinaire de l’existence dont l’auteur propose une lecture sensible. Les épigraphes sont à cet égard éloquentes : pour épigraphe d’œuvre, choisir une citation d’Anne Teyssiéras qui précède immédiatement une phrase de Philippe Jaccottet tirée de L’Ignorant, placée au début du premier chapitre, n’est pas neutre : ici s’énonce la volonté de se placer dans le sillage de ces auteurs et dit l’ambition de faire de la parole poétique un outil qui ouvre à une perception herméneutique du monde, et qui mène à son exégèse. Et Bernard Noël convoqué au chapitre trois sous le titre « Embarqués » soutient ces présences liminaires. La poésie est carte et boussole, outil et objet, nécessaires assemblages des signes qui peuvent rendre compte de ce regard  prégnant, spéculaire, révélateur. Mais n’est-ce pas là, dans les déflagrations du signe, que se trouve l’accomplissement, que s’énonce la liberté ?
 

La Pédagogie
 

Mâchez la poésie
Mâchez le poème
Elèves inouïs
Sortis des bois à peine
Sauvages nez à nez
Avec ceux qui les ont écrits
vous êtes de ce monde
 

Ou alors naviguez
C’est le bon moment
Prenez le large
Dans le débris du bruit aigu
Des carreaux cassés
Dans les fuites des décharges
Dans vos minuscules incendies
Vos nuées oranges
Et jeux de cailloux


Carole Mesrobian (in recoursaupoème.fr, sommaire n°112, septembre 2014).




Lectures critiques

« Les mots viennent sans cesse tressaillir du côté du vivant », écrit Alain Brissiaud dans Jusqu’au cœur (Collection Les HSE /éd. Librairie-galerie Racine,162 pages, 15 €). Oh que cela résonne ! D’autant qu’il évoque tout aussitôt cette « terre des mots, limon d’où surgissent nos fragilités, ici comme autrefois ». Avec ce poète né à Paris en 1949, qui n’a publié son premier recueil qu’en 2015, nous voici en pays d’humanité. Il cherche « l’étroit chemin menant de l’un à l’autre » dans des regards, des caresses, des amours… Il guette les présences visibles ou non d’autres humains. « Il y aura toujours un mot pour dire ce lien », affirme-t-il. »

Philippe SIMON (in Ouest France, 18/19 novembre 2017).

*

" Au-delà des obédiences, des écoles et des mouvements, des mesures et des règles édictées, des discours et des gloses, existe la poésie. Elle échappe à toute tentative d’exégèse, car miraculeusement elle distend le signe et amplifie l’écho du langage. Alors les tableaux de vie ressassés par le poète  acquièrent l’épaisseur d’une expérience humaine. Cet absolu, comme un cri ancestral, étoffe les poèmes d’Alain Brissiaud. Le lyrisme, si difficilement recevable lorsqu’il n’ouvre pas la voie à une transcendance, trouve dans Jusqu’au cœur l’occasion d’un renouveau. L’appareil tutélaire  des chapitres est pourtant évocateur des thématiques romantiques, qui, pour l’une des plus récurrentes, est le paysage comme métaphore de l’état d’âme de l’énonciateur. Ainsi « terre d’octobre journal », « balises de brume », introduisent le recueil et annoncent les trois chapitres suivants, « la presqu’île », « les yeux fermés », et « communion solennelle ». L’automne, saison romantique, fut la saison de prédilection de ceux qui ont vécu en un dix-neuvième siècle hachuré par des séismes tant politiques que sociologiques. Saison de la maturité et signal d’une mélancolie existentielle, elle se veut représentative d’un moment propice aux bilans et aux retours en arrière. Et Alain Brissiaud, outre le fait de convoquer octobre et ses brumes,  fait un usage fréquent des temps du passé et des pronoms personnels des premières et deuxièmes personnes du singulier. Le ton est donc aux épanchements personnels et à l’évocation des sentiments.

 

« L’ange de la mort l’ange de personne
chantait les mots de la chanson
tu savais qu’ils venaient

peu importe que cachaient ces paroles
des éclats des cris
coups ou rires
il n’y avait pas de nom
pour le dire

la chanson du matin
la chanson du soir
la chanson du sang à la nuit
revenait et enfilait
lavant ton esprit de sa lumière

maintenant
depuis le bord du pré
tu écoutes le bruit des pierres fracassées
sous un ciel de mots

ton espoir
est la pire des choses »

 

Cette sensibilité propre aux romantiques, qui a été le moteur d’innovations formelles si importantes au dix-neuvième siècle, est une des tonalités du recueil d’Alain Brissiaud. Mais là s’arrête tout rapprochement autorisé. Si l’auteur de Jusqu’au cœur nous livre ses sentiments et ses états d’âme, il n’en s’agit pas moins d’un lyrisme dont le sujet est le  référent d’un pronom personnel de la deuxième personne du singulier. Ce dispositif permet une mise à distance qui soutient la gravité des propos, et confère aux épanchements personnels une tonalité particulière. Le poète porte un regard réflexif sur lui-même, il se livre à une introspection, s’examine, de l’extérieur, et restitue ses états d’âme de manière austère et détachée. Il apparaît alors comme une manière de fatalité. Loin des effusions lyriques romantiques, il n’y a plus d’égo cherchant la vérité dans une transcendance. Aucune quête métaphysique n’est envisagée comme une finalité salvatrice qui permettrait au sujet de trouver un sens à ses errances terrestres. Il n’y a plus non plus à accorder crédit au discours psychanalytique, car quand bien même les paroles de l’être sur lui-même seraient un moyen de s’approprier son histoire, il n’y a rien à y trouver d’autre que l’absurdité de toute chose. Agi, l’individu n’a plus d’autre destin que celui qui mène à un constat d’impuissance. Modernisant le sujet d’une énonciation personnelle, le poète ne cesse d’énumérer, à travers cette vacuité identitaire, l’avènement de sa disparition. Alors, l’écriture apparaît comme possible moyen de rédemption.

 

« Ta voix se creuse à mesure du message
jusqu’à couler
dans le papier
et ta paupière tremble
dans l’œil autour du visage
puis s’efface

tu me parles dans le cercle d’écume
en silence
gardant les mots en toi
avant la voix
dans les poumons noirs de tes désirs

et ta paupière
boit l’écrit qui se forme sur ton visage

incendié »

 

« Endormi à la nuit consumée
tu n’écris pas
tu marches dans le sommeil

vers quelle frontière fraternelle

et dérives cherchant ta place dans le monde
tu n’es plus visible
enclos
derrière les murs de la parole

j’entends
que rien ne s’ouvre
comme si
un poing de solitude s’abattait »

 

L’écriture s’oppose ici à la parole, dont l’inefficience  à assurer toute communication est une thématique omniprésente dans les poèmes d’Alain Brissiaud. La poésie offre au signe l’occasion d’une portée sémantique supplémentaire. C’est alors qu’une possibilité apparaît, celle de transcender le réel et d’énoncer l’indicible solitude de la condition humaine. C’est également grâce à la poésie qu’il est possible d’approcher cette perfection insoutenable donnée à voir dans la beauté de la nature.

 

« Vers toi tendus jusqu’au cœur
à l’échéance
suceront le lait de ta pensée
pour s’en vêtir

enclos dans l’ultime moment
tu ne sauras retenir
cet effroi de lumière

viendront les spasmes
les paroles traduites

ces paroles
jaillies de ta voix
cabossée »

 

« Quand je te lis je t’écoute
j’emprunte alors
un autre chemin que le mien
guidé par la voix
couchée derrière tes paupières

et je nage contre tes cils
à l’avant de ton ombre naissante

aussi
la voix
du souvenir
entêtant »

 

Ainsi, il s’agit de dire l’impossibilité même de se tenir en une posture lyrique, de transmettre au pronom personnel toute substance sans que celle-ci ne soit regardée dans toute l’étendue de sa vacuité, de son impossibilité à être au monde. Dans un va et vient entre l’emploi des pronoms des première et deuxième personnes du singulier, Alain Brissiaud nous offre la réflexivité d’un regard qui ne peut intégrer la réalité et entonne son incessante renonciation à exister. Le poète brouille les pistes référentielles. Il apparaît comme une entité morcelée, vagabondant entre sa mémoire et ses perceptions, et l’incompréhension de l’être aimé, voué à disparaître, avec lequel un lien fugace et imparfait est source de souffrance. Toute communication est vécue comme impossible, ou pour le moins imparfaite. Ici encore, les mots ne sont qu’enfermement dans une solitude qui n’est surmontée que grâce à l’écriture.

 

« Tu me montres parfois ton visage
cousu de fruits sauvages
absolument
et sa détresse
et son exil comme un mot
écrit à la machine

sérieuse tu caches la couleur de tes yeux
ce chalet d’angoisse
leur beauté enlaidie
et ta psychose noient mon regard
comme un privilège
c’est ainsi
tout ce que j’ai voulu
se brise

c’est long d’aimer »

 

Dans ce contexte, le chant amoureux, dont la thématique vient encore suggérer le Romantisme, ne peut être qu’un chant de désespoir. Le lien à l’objet désiré est donné à voir comme impossible, éphémère. Mais que l’on ne s’y trompe pas, Alain Brissiaud ne pleure pas l’absence de l’être cher. Il s’agit plutôt de constater, en une impuissance salvatrice, parce que porteuse de renonciation, l’impossibilité des êtres à communiquer, se rencontrer, s’entendre, et surtout s’aimer, au-delà de la parole.

 

« Est-ce le rêve où
ma main
saisissant l’ombre de ton épaule
se changea en pierre

ou bien
le souvenir
de nos visages enlacés
glissant sur la rivière

non

seulement
cet exil
circulant dans nos
veines
comme un crachat »

 

Il s’agit bien de lyrisme, mais d’un chant qui interroge le questionnement même, jusqu’au point ultime de ce constat de toute absurdité. Doit-on pour autant rapprocher les propos d’Alain Brissiaud d’une pensée existentialiste ? Si la libération vient de cet aveu d’impuissance et de l’acceptation de cette absurdité qu’est l’existence, pour ces derniers seul l’acte posé en conscience est le moyen d’affirmer sa liberté. Pour le poète Alain Brissiaud il semble que la rédemption soit dans la contemplation de la nature, de sa beauté insoutenable parce qu’il lui est impossible de s’y fondre, de l’intégrer et de toucher cette magnificence qui fait tant défaut à ce que vivent les hommes.

 

« Maintenant
je n’ai pas de mot

la première chaleur

flacon d’innocence déversé
dans le langage neuf
soif entaillée

le vacarme s’éloigne
libérant nos craintes

vient un flot de lumière
pareil à l’eau du souffle

terre vaine
sortie des crevasses de l’aube

se recompose »

 

C’est donc une poésie non pas du désespoir, mais de la quête de cette inimaginable perfection incarnée par la nature. Elle seule peut tenter d’en approcher l’immanence, de tracer les contours de cette beauté insoutenable parce qu’absente, inaccessible. Elle offre dans le travail abouti de la langue un moyen de dépasser les enfermements, les claustrations charnelles et verbales, les incompréhensions, le vide laissé par les souvenirs, l’absence, et le temps qui passe. Alors sourde le bruissement d’un silence porteur de cette ultime transcendance de l’union de l’être avec l’univers.

 

« Quand s’étirent les branches du tremble
jusqu’à toucher la braise
où tout souffle se perd
quand vient ce moment d’innocence
loin de l’écorce
tendre
dans le lit du cri de l’oiseau

je voudrais m’arrêter de vivre »

 

« Couple
corps et toi ensemble
couvrant
le bégaiement de la parole
et l’anarchie des mots
dans une vague de lumière

quand planent gestes et souffle affranchis
du choix des lèvres

viennent et se posent
dans le silence
pour me vêtir »

Carole MESROBIAN ( in recoursaupoeme.fr, octobre 2017).

*

« Alain Brissiaud est éditeur, libraire et poète. Editeur, il a notamment édité des auteurs de la Beat Generation ou de la Pataphysique comme Alfred Jarry.

Après un très beau premier recueil intitulé Au pas des gouffres, Alain Brissiaud nous propose un deuxième opus en cinq parties. Toujours, la poésie constitue un approfondissement de la langue qui révèle alors des étendues insoupçonnées. La langue est à la fois un véhicule pour naviguer sur l’océan de la conscience et un outil magique pour traverser les apparences et libérer toujours plus d’Être.

Si les mots révèlent ici l’extrême fragilité de ce qui se présente, la multiplication des impossibilités, l’écho d’un « ce qui demeure » s’impose avec une élégance rassurante. Peut-être juste la beauté, mais n’est-ce pas déjà l’infini ?

En cinq parties, Terre d’octobre, Balise de brume, La presqu’île, Les Yeux fermés, Communion solennelle, Alain Brissiaud invite et incite à l’intime, non l’intime personnel, mais l’intime indicible qui ne peut qu’être suggéré, pressenti.

Au bord de l’abîme, la langue se montre la seule solution ailée pour ne pas sombrer. »

Rémy BOYER (in incoherisme.wordpress.com, août 2017).

*

"C'est le second recueil d'Alain Brissiaud chez le même éditeur, aprèsAu pas du gouffre, en 2016. Cinq parties jalonnent ce nouvel opus, où l'on passe petit à petit de la réalité extérieure à l'intériorité profonde: successivement: "Terre d'octobre, journal", "Balises de brume", "La presqu'île", "Les yeux fermés", "Communion solennelle".

Dès les premières pages, il est question de paroes - d'alluvions et de promesses - dissoutes, mais c'est le mois, la saison ou le lieu qui garde le coeur du poème : Se noie dans le martèlement - de la rosée. Mais rapidement la houle osseuse laisse la place à celles à qui s'adresse le poème, la mère, la fille, la femme. Et les sentiments, et les émotions se mêlent pour évoquer l'amour aussi bien que la mort: je mettrai sur mon corps une bâche - un poème impraticable. Et un certain lyrisme teinte toutes ces pages où Alain Brissiaud tente de démêler les noeuds psychologiques dans leurs contradictions: Tu me tends d'impeccables nausées, ou plus simplement dans l'analyse lucide du déroulement mental: de vains soulèvements - cisaillent notre pensée.

Une emprise de la foi se fait sentir comme en atteste la partie finale, même si la révolte lui fait écrire: ô mon âme - devenue sciure... On a parfois l'impression d'être un peu à côté du dialogue instauré dans le poème, mais la conviction de l'auteur rétablit l'écoute."

Jacques MORIN (in revue Décharge n°176, décembre 2017).




Dans La Revue de Belles-Lettres :

Ces poèmes en prose, récemment révélés au public, constituent non un recueil mais un livre fortement unitaire, qui frappe tant par la hauteur de son inspiration que par la puissance et l’originalité de son écriture. Il y a comme un vrai bonheur à voir cette poésie – dégagée des modèles de l’actualité littéraire – reprendre en charge la langue exténuée que traînent bien des ruisseaux contemporains et la vivifier soudain, redonnant aux mots l’ampleur et le souffle perdus. Plus encore : la profondeur et l’élévation se tissent d’un humour sans mépris et l’équilibre s’établit, miraculeux, entre la gourmandise lexicale et le sensible du monde.

Nous allions décontenancés face aux bourgeons de la vigne, aux cerises dans les arbres, vertes comme des sauterelles. Même la pierre voulait agrandir la toge empire des vieux lichens. Le printemps est une marche trop petite pour la gloire, le cycle des soleils, une vieille au manteau trop étroit pour le culte.
Venez enfants druides, venez célébrer ce que les oreilles écoutent mais n’entendent pas ! Cueillez en paix ce que les paroles promettent de fraîcheur ! Redites comme la marguerite pigeonne au champ, le chevreuil à la fontaine de vos yeux et comme tous palpitent d’or sous la lune !

(Extrait de « Verdure »)

Le poète, on le voit, parvient à imposer à la force du verbe une confrontation assidue au réel. Ce réel, quel est-il pour lui ? À la question, cette note, nourrie d’une lecture attentive des poèmes, mais aussi d’entretiens avec leur auteur, tente une réponse qui ne soit pas trahison. Ce qui est réel, c’est l’existence d’un dehors, d’un extérieur donc, mais si proche en définitive, si disponible, tellement à portée des sens et, croirait-on, du sens, qu’il lance paradoxalement une invitation permanente à s’y tenir, à s’en faire un intérieur. Y coexistent mesure et démesure : ainsi une Méditerranée, dehors « infini et clos », à l’opposé d’un Océan, dehors « des vertiges et du vide », avec lequel le poète entretient une complicité toute bretonne.

Accordées à cette perspective, vie du dehors et vie intérieure ne vont cesser de s’interpénétrer. Dans le poème intitulé « Sillon », le paysage vu du train et la page d’écriture du voyageur ne cessent de se superposer, jusqu’à y découvrir leur impossible perméabilité – entendons tout à la fois l’impossible dissolution de l’un dans l’autre, comme l’impossible clôture entre les deux : « Folie que vouloir retenir les âmes sur des rails terrestres ! »

Cependant, le dehors, comme tout être vivant, résiste à la prise de possession. Les choses ne se laissent pas faire. Le poète nous initie à l’art de composer, au sens le plus tragique du mot : il faut délocaliser ses états, se fragiliser. Non pas tourisme avec garantie de rapatriement, mais exil sans retour, entraînant perte de repères et lente déréliction. Au bout, encore des marches à descendre, le déracinement final d’un soi, présent certes, mais dont rien ne peut plus assurer qu’il soit distinct du monde : « Aucun lien ne peut m’arracher aux forces du provisoire, à son absorption dans le tourbillon noir de la cendre. » On relève cette singulière et impressionnante figure : « Il monde ! Il pleut ! Parole impossible à prononcer… » d’où se dégage l’effroi d’une impossible extériorité au monde. Rien ne nous en distingue, nul endroit où se tenir et le tenir sous le joug d’une observation. Nous voici dans cet état que le poète appelle « néantitude ».

Parvenir à soi-même, faire cesser cet exil, se rendre extérieur au monde ? Seul le permettrait un saut dans l’absolu. Mais ce livre n’en sent pas le vouloir. Au contraire, c’est avec une manière de tendresse et un humour des plus attentifs que le monde et l’humain sont sillonnés : que ce soit sur le pavé des villes ou à travers les terroirs, un Ulysse, évidemment rusé, parcourt cette « néantitude ». Balayeurs, clochards, piétons sans visage, commerçants, ouvriers, couturières… tels sont les Lotophages, Cyclopes, Lestrygons ou Sirènes de notre appartenance au dehors, de notre résidence forcée en quelque sorte, et voici donc, non sans étonnement, que s’en découvre « l’usage » ! Il y a là, pour le regard et l’écoute, une faculté merveilleuse que le poète appelle « l’âme » dans le beau poème « Résistance à la négation », que nous citons intégralement :

Qui veille adossé aux parois du jour ? Qui considère la nuit avec espérance ? Qui forme les emplois inédits de ce que nous sommes et dont il fait soif ?
Qui fait silence et suit en arôme les contours d’une parole ? Qui garde une disponibilité suffisante pour s’immiscer dans le labyrinthe de nos gestes ?
L’arbre livre au soleil le battement des saisons. La pierre aux océans, la courbe et la langueur de vivre. Tous offrent des réponses et des questions aux réponses. Qui s’en approche et les écoute ?
Qui tourne et fouille notre obscurité ? Qui cherche un salut dans une langue oubliée, une promesse derrière l’entêtement ? Qui voudrait un rapport neuf avec ce qui ne meurt pas ?
L’âme, notre fierté, notre passe-droit. Unicité sans encoche, fraternité aux enroulés stellaires. En elle, les fragilités de la vie sauvage, la torpeur du cristal, la harpe éblouie de l’aurore, la fierté du sel, l’appétit de nos villes, le rire écume des océans.
En l’âme, le miracle du livre unique. Une langue nouvelle, avec une grammaire, des voyelles et un vocabulaire neufs, parfaitement éternels, parfaitement recevables par l’autre. En l’âme, l’homme debout, droit comme un soleil.


Pourtant, en dépit de ces moments de gloire, la vie intérieure est toute d’opposition et, à toute tentative de possession, dresse autant d’obstacles que le dehors lui-même. Ce cocon n’est pas prêt à se rendre, à se soumettre à cette absence de bord, à la perte de soi-même :

Chaque matin, je réapprends qu’un autre que moi existe. Il serait ni chose, ni bien comestible, mais un vide insondable au cœur, irréductible à l’intelligence.
Par le jeu des millénaires, quelques modes de coopération me furent enseignés, un petit pécule remis pour tout échange entrepris dans les règles de l’art.
Mais que sa parole soit prière ou bariolure, toujours je la reçois avec violence. L’autre figure une lutte avec un dieu impossible. D’homme, il ne porte que les cendres et sa mort annoncée.

(Extrait de « Éloge funèbre »)

La vie intérieure, aussi sauvage que le dehors, recèle une violence inouïe, une capacité à renier tout ce qui n’est pas elle-même. Ulysse encore en représente la figure emblématique : tellement marqué, brûlé dans ses intérieurs par le voyage au dehors que, rendu à lui-même en reposant pied sur Ithaque, il n’est plus capable de se gouverner, de demeurer auprès des siens, d’apprivoiser le quotidien. Justiciable des dieux seuls : autant dire de personne !

À rapprocher ces deux électrodes que sont le dehors, infini et clos, et la vie intérieure, il y a pour le poète, non seulement une forme d’aventure, de recherche d’inconnu, mais un choix de vie, qui relève d’une foi, d’une confiance en la présence/absence de l’Être-Dieu pour l’homme. Très significatif d’un engagement chrétien, ce verset de Saint Paul placé en épigraphe : « Lui, ne retint pas Dieu en lui. Au contraire, Il s’anéantit homme parmi les hommes. » Une allégeance « au monde invisible » est revendiquée. Même s’il ne semble qu’« injustifié, inutile, avec un amour qui sonne en nous comme une injure », Dieu étaye et promeut : « Dieu travaille à m’inventer dans la rude étoffe des êtres et des choses ».

Un grand voyage de la pensée où se révèlent puissance d’écriture et nouvelle maîtrise du poème en prose.

 

Paul FARELLIER, in La Revue de Belles-Lettres, n° 2-4  2009.




critique

"Prose poétique, exacte, rythmée, musicale, toujours belle. On y chante juste « l'inépuisable intérêt de Dieu ». Le poète suit la lumière des yeux, « lance un chant aux étoiles », et sait relancer dans une certaine joie secrète le fil interrompu de sa singularité. Un sens du Sacré qui impose le respect. Un verbe suspendu, parfois de façon énigmatique, « entre les sautes d'un jour ». « Avec la faim comme bâton », Pierrick de Chermont est un pèlerin qui marche vers ce Dieu fidèle et jamais vu. "

Jean-Luc Maxence (La Nouvelle Lanterne n°9, octobre 2013, in lenouvelathanor.com)

"D'aucuns penseront que je suis bien placé pour parler de cette plaquette de Pierrick de Chermont puisque, seul, un abîme nous sépare, lui le croyant et moi l'athée !  Ils n'ont pas tout à fait tort dans la mesure où je suis sensible à la parole qui parcourt ces quinze chants. Des chants qui sont comme des laisses de versets, comme on dit des laisses de mer : des versets comme des mots drossés sur la page par la foi religieuse du poète. Et comme la mer est toujours recommencée, l'enjambement, parfois présent, souligne une pensée coulant comme une source qui, jamais, ne se tarit…

Pierrick de Chermont célèbre à sa façon un monde dans lequel il déambule, un monde pris dans sa diversité : ville/nature, violence/douceur… Mais il n'en reste pas moins que des passages comme "Demain, ouvrir au feu le silence, au verbe la présence, tel autrefois le chant de Siméon, puits de lumière dans un puits de lumière", même s'il me donne une idée du projet de Pierrick de Chermont, reste obscur au mécréant que je suis qui ignore tout de ce Siméon sans doute biblique… De même le mécréant laisse de côté toutes les occurrences des mots Dieu, âme, chapelet, psaume… (du moins dans le sens que leur donne l'auteur) pour ne s'intéresser qu'à la célébration du monde qui traverse ces chants.

Un poème comme le chant IX est révélateur à la fois de la démarche de Pierrick de Chermont et de la lecture que je peux en faire. Si Pierrick de Chermont annonce clairement sa quête de sens dans des expressions comme "Une lumière pleine de lenteur perce les flancs de mon âme" (on pense au Christ crucifié dont un soldat de Pilate perce le flanc de sa lance) ou "Par la foi, satisfaction de faire tomber les âges d'or, de fabriquer de l'histoire toutes portes ouvertes",  je peux lire cet autre passage en me passant de l'hypothèse de Dieu : "La pluie sur un parc zoologique, la pluie sur les rues de la ville. Chacun se rapproche et se renouvelle, // Se revêt de milliers d'étoiles et recommence, avec le trouble d'avoir été visité dans ses profondeurs". L'un nomme Dieu ce trouble, l'autre le nomme mystère ou beauté du monde. Reste que les deux ont été sensibles à la même réalité. Et je pourrais multiplier les exemples, au risque de lasser le lecteur. C'est que Pierrick de Chermont se confronte au monde, au réel, tout comme les matérialistes. Il en tire sa conclusion alors que Guillevic, pour ne puiser que dans cette œuvre, en tirera une autre par son attention aux êtres et aux choses les plus humbles : "Oui, coquelicot, / Tu es l'empereur / De ton royaume. // Je ne sais pas t'imiter, / Mais continue à régner / Sur toi comme sur moi." (in Quotidiennes) ou, à propos d'un modeste jardin : "Rien que le temps / Qui s'est retiré là / Et n'attend rien." (in Creusement).

Les images de Dinah Diwan qui accompagnent le texte de Pierrick de Chermont sont en harmonie avec le ton prophétique du poète et sa volonté de décrypter le réel (à sa façon, faut-il le redire ?). Il s'agit de collages sur un texte soigneusement raturé et ainsi rendu illisible : métaphore de la révélation ? Ou quoi d'autre ?

En tout cas, si la poésie est un outil pour atteindre Dieu ("Poésie, tu nous élèves à l'opiniâtre décision de vivre. Poésie, mer éternelle du sans-horizon - je cueille au matin la rose, // Tu m'affilies à la terre, à la promesse de mon Dieu…"), elle est aussi pour le mécréant ou le mystique sans dieu une simple façon de dire le monde, dans toute sa complexité et dans tout son mystère, un mystère dont la science ne fait que reculer les limites. "


Lucien Wasselin (in Recours au poème, décembre 2013).

"Une écriture inspirée dans l’écrin de délicatesse des mots, qui n’exclut ni la transgression ni la surprise. Ce beau livre, texte et illustrations, transporte. Quelle est la réalité de la réalité, que ce soit dans le quotidien qui s’étend ou la transcendance de l’instant qui persiste ?

Extraits :

« Sonnerie dans un préau vide. Une lumière, le feutre roux des platanes, un trottoir ravi de son mutisme.

Ah, si je connaissais les sources du vent, je leur dédierais l’été pour qu’elles le relancent avec une forêt

De nuages ! Nuages que je goûte en riant seul, peinture, croupes, crinière que les enfants empoignent,

Figures du libre qui s’épargnent et se prolongent comme une mémoire ayant choisie de se taire !

Le soir, à nouveau les faux de l’indicible : un halo de lune, une voiture qui manœuvre dans un présent immobile.

Finie la journée, fini le dehors où Dieu est le grand cherché ; voici la nuit avec ses escaliers et ses langues oubliées... »

« … Je vous rejoins, apprends vos mœurs où l’on s’approche par la distance, où l’on pèlerine seuls et ensemble, ébranlés et fraternels ;

L’abeille n’est-elle pas l’égale de l’astre quand elle le couvre de frémissements ? Et tous ces chants et tous ces mystères qui nous unissent !

Boire à la sainte nudité du jour, chair à chair s’ouvrir à la plénitude, où, par une mesure sans mesure,

Nos âmes aspirent et tètent le monde. Oui, par une libre admiration, se métamorphoser en prosodies intérieures.

Au bout du bout, je disparaîtrai. T’embrasserai-je alors, Homme-dieu, du plein baiser de notre terre ? »

Poète et dramaturge, Pierrick de Chermont, allie l’originalité avec la rigueur de l’ordonnancement des mots. Il explore le monde comme intériorité, l’intériorité comme poésie, la poésie comme monde. Ce ternaire libère la pensée et révèle une joie secrète propre à la vie qui demeure.

Rémi Boyer (in incoherism.wordpress.com, décembre 2013).




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