Collection Peinture et parole
La Maison des gestes
Alain BRETON
Odile COHEN-ABBAS
Poésie
ISBN : 9782912093738
122 pages -
15 x 21,5 cm
20 €
- Présentation
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La Maison des gestes, est le deuxième livre, après Totem normand pour un soleil noir (2020) de Christophe Dauphin, de la nouvelle collection « Peinture et Parole » des Hommes sans Épaules éditions. Dialogue entre un poète, un peintre, un dessinateur ou un photographe.
Il existe un lieu, un domaine qui a trait au songe et à l’imaginaire, à la fin des temps comme aux origines, et où nos actes, nos pensées, nos gestes les plus triviaux se réalisent dans leur spiritualité.
Ce domaine que je visualise en courant ascensionnel fait de nous des êtres hybrides, en des distorsions angéliques, diaboliques, des semeurs de sens et de beauté virtuelle, à moitié détachés du socle terrestre.
Il suffit d’avoir nommé ce lieu, d’avoir entraperçu entre deux veilles, deux sommeils, deux phases d’esseulement, « La maison des gestes » pour qu’afflue tout un peuple de mots stellaires, de phrases, de représentations mutantes qui se tenaient dans les interstices du néant.
Lire Odile Cohen-Abbas relève de la surprise, du jubilatoire, du triste parfois, mais toujours avec de l’humour, de la dérision, de la révolte, de la colère aussi et le plus souvent de l’amour, du Merveilleux, du jamais vu et du jamais lu ailleurs.
Peut-être rapprocher onze heures minuit
sans les ligaturer
par la naissance des liens vertueux
les rapprocher comme deux lèvres
d’où sort le souffle humide
pour une meilleure confiance
dans un joint, une soudure de la nuit
comme deux heures d’où filtre un ajour de vie
mâle et femelle
serpent de pluie de feu
cillement sans consigne
dont on voudrait embrasser la tige
du rassemblement en son milieu
*
On suit la poussière, le Reste des onomatopées à la trace
le long du sang qu’elles perdent
déposées dans une ville muette
une salle déserte
Un chevalier à la lance garde
l’achèvement d’un cycle oral
Des boucliers d’hommes oiseaux
dressent la table
les plumes caressent les mains/gobelets
la bouche est amenée dans un coffret
Odile Cohen-Abbas
(in La Maison des gestes, Les Hommes sans Épaules éditions, 2021).
Lectures critiques :
Odile Cohen-Abbas nous entraîne une fois de plus dans un monde alternatif qui, au fil des mots, se fait de plus en plus réel, en approchant de l’imaginal d’où découlent nos réalités les plus quotidiennes, déformations denses des idées archétypales. C’est un retour à la source qu’elle inscrit dans la poésie, une élévation à la fois guerrière et tranquille :
Il y a vingt ans qu’il a éteint la lumière
une minute après, il y a cent ans
On pourrait croire qu’il a le pouvoir
de faire vieillir la lumière
Ce n’est pas cela
Il y a – les chiffres mentent –
cent ans et quelques années
qu’il a éteint la lumière
Mais la durée se décale sur l’ampoule noire
comme sur les draps
S’il se tient immobile il pourra faire le signe
aux serviteurs du langage d’apporter
le dire sur le temps et la luminosité
Il y a plusieurs fois cent ans qu’il a éteint la lumière
Plusieurs fois cent ans pour acquérir le pressentiment
de son lit aux draps auréolés.
Cette quête initiatique décalée, parfois à contre-sens pour mieux retrouver le sens de l’ascension, a pour véhicule le langage qui structure ou sert des visions, autant de tableaux qui ne se dessinent pas mais jaillissent soudainement dans un rythme apparemment chaotique. Comme en toute voie initiatique, c’est dans l’intervalle que nous pouvons nous extraire du chaos et se saisir de l’axe de l’être.
Les textes d’Odile Cohen-Abbas, particulièrement le superbe Cantique du Gilles, engloutiront sans regret quiconque manque de vigilance de l’esprit. Comme souvent, elle sait que la chair et l’esprit ne sont qu’un, dès lors le sexe devient art ascensionnel. Le geste est ainsi central, car nul ne peut tricher avec lui-même par le geste. Celui-ci est ajusté ou non, au monde comme à soi-même. Le geste « juste », au moment « juste », dans le lieu « juste », un précepte martial appliqué à l’écriture. La trace est comme le tranchant du sabre :
L’Evanith
– à chaque respiration son nom pénètre et reflue hors d’elle – pendule, lance sa nasse d’exhortations voisées sur la berge.
Du trigle, elle a la peau très rouge, des amoures, une jambe palmilobée qui s’arrête au genou.
Son placenta fut l’agent du néant.
Sa face et sa colonne épineuse exulcérées vers l’En-haut.
Elle veut extraire le Gilles de l’in-pace
et des vésanies médaillées de l’eau.
Elle lui réclame le nombre juste de ses organes,
la désinence de son membre et les plans de construction
nécessaire
pour fonder une tribu avec lui.
Nous ne pouvons qu’inviter à plonger dans la gaste forêt des mots d’Odile Cohen-Abbas. Il n’y a aucune garantie que vous en sortiez indemne, ou même que vous en sortiez tout simplement. C’est au centre, au cœur que se trouve l’unique sortie, verticale.
Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, 16 septembre 2021).
*
Quand La chair ruisselle. Magicienne du silence des tréfonds de la psyché, Odile Cohen-Abbas crée un mixage de qui nous sommes : “des êtres hybrides” aux « distorsions angéliques, diaboliques ».
Le tout dans un jeu de miroir, de focale et d’angles selon des prises autant de vues que de mots.
S’instruit tout un jeu amoureux et une lutte là où les êtres eux-mêmes se dédoublent en divers Gilles et Pierrot par une mise à feu de la vie dans les pans des peintures abstraites d’Alain Breton.
D’où cette « geste » et sa chanson habitée et inspirée. Elle est nourrie d’un savoir ancestral mais tout autant moderne. Les mots semblent assurer l’existence à cette histoire somme toute de sexe, en dépit des courants mystiques.
La chair ruisselle en un cantique des cantiques avant que la créatrice retourne son encre comme Godard retour¬nait sa caméra dans un de ses livres les plus célèbres.
Odile Cohen-Abbas joue d’une perversion secrète dans une transmutation des lieux et des êtres entre trivialité et spiritualité. Être embrigadé dans le terrestre charnel ne suffit pas à s’enkyster en ce qui est.
La poésie devient une source naturelle qui permet aux êtres, non de plonger en des abîmes, mais de monter au ciel là où s’inscrit une condition « ciné » qua non de reprise de vie.
Les mots de la tribu la recréent.
Jean-Paul GAVARD-PERRET (in www.lelitteraire.com, octobre 2021).