Je ne rendrai pas le feu

Collection Les HSE


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Je ne rendrai pas le feu

Alain BRETON

Poésie

ISBN : 978-2-912093-80-6
170 pages - 20,5 x 13 cm
15 €


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Alain Breton est le poète, magicien onirique, qui se métamorphose au gré de sa fantaisie, sa profondeur exquise, sa dérision salvatrice, sa précision étrange qui ouvre une porte cachée donnant sur les escaliers dérobés de nos esprits. Avec ce nouveau livre de poèmes, nous retrouvons la splendeur des images et la langue chatoyante, la sincérité de ton du poète Alain Breton, ainsi que sa force neuve, intacte, jouissive, d'où découle cette capacité à s’émerveiller et à entraîner le lecteur, qui n’a jamais la sensation d’arpenter un sentier déjà emprunté et balisé.

Alain Breton feint de se plier au quotidien, pour mieux le désarticuler, le dépasser. Tout est sublimé dans le poème, à coups de rasoir, un instant suspendu dans la masse de l’air, et dans ce que nous ne devinons pas de la vie réelle : blessure et grâce, meurtrissure et baume ; où rien n’est jamais exploré au hasard, prolongeant une légende, qui est aussi une épopée exceptionnelle de la langue.

 

 

 

Juste derrière la trace

Elodia Turki

 

C’est bien moi pourtant ce portrait des frayeurs

moi qui ai chassé l’horloge avec un gros calibre

jeté quelques vieux sorts dans le chaudron astral

et poursuivi le corbillard

qui ne veut plus rendre le mort

moi qui remontai la pluie jusqu’à l’Énéide

jusqu’à la première seconde du colibri

en musique certes ayant mal appris le glissando

du fait d’un litige avec la roussette

C’est bien moi par Dionysos enivrant les abysses

avec si peu de vin

une pinte de bière

une larme de nébuleuse

C’est bien moi

le gladiateur du Carnuntum

avec pour seul bien d’avoir reçu en partage

l’horreur aimable des familles

moi qui fus l’élève des sciences perdues

plus que de l’art qui n’est pas bonté mais entaille

C’est bien moi si je t’aime attelé à tes yeux

 

*

 

J’aurais pu être

l’autre et le tout

Guy Chambelland

 

Poète ce sont les rêves qui te choisissent

où l’on se cache parmi fleuves et forêts

avec l’ortie cette aumônière

où l’on offre à minuit la balle d’argent

au loup-garou

Poète tu es là

pour embrasser les collines du Murmure

boire le vin de la molasse marine du miocène

et voler à la lavandière

mieux que l’huile d’Alep des plus fins savonniers

Poète toi qui es ce verrier

soufflant dans une pipe d’opium

un jour tu connaîtras les adeptes du krill

la baleine le cachalot

par le baiser qui les unit

et peut-être pourras-tu plusieurs fois mourir

par un chas de la mer

sans jamais lasser le Donneur d’embruns

 

*

 

Te voici ma vie d’homme

nous avions fait ce long voyage

Jean Breton

 

Et ce voyant

l’irisation de sa roulotte

pour dire ton enfance

ses séismes

son zèle de sémaphore épelant

la crue des blessures lustrales

où l’orchestre des bleus

fut averse d’opium

Il reste à mettre le feu

au lieu à la formule

Une merveille suffira

Or j’ai choisi l’abeille

et le chant de l’oiseau

pour qu’ils deviennent

menuisiers des ailleurs

 

*

 

J’aurais le parapluie qui choisit son averse

aucun toit pour ne pas encombrer le ciel

Yves Martin

 

 

En moi le barreur de feu

en moi le bouilleur de cris

car il faut bien quelques atrocités d’orfèvre

quelques coupures un cor au pied

quelque Icare décorant le soleil

Mais je dis moi et le monde est vite plein

et je pense à l’Éden

au lit où le serpent rit fort avec la pomme

Je pense à Dieu gentleman du dessus du dessous

qui s’exaspère au plus petit malentendu

Je pense aux femmes

autant de bracelets de reptiles

d’où naquit la muraille de Chine

et j’appelle Mon colonel

toutes les statues martiales

Je suis poète dis-je

mais pour avoir l’éloge de la horde

mentirai-je à tous même au glaïeul

trahirai-je le pays des rivières

 

Alain BRETON

(Poèmes extraits de Je ne rendrai pas le feu, Les Hommes sans Épaules éditions, 2024).


Lectures critiques :

Déesse facile par la rose et la ruse

Surgie fendue d’entre les songes

entre tes seins et moi tous les pilleurs d’épaves

C’est toi la femme qu’un nécromant sortit

de sa cornue

durant l’émeute des oiseaux

J’appréciai sur ma peau tes couchers de soleil

Je n’ai aimé que toi puis j’ai brûlé les draps

 

Chaque recueil de poèmes d’Alain Breton étonne et détonne sans effacer un sentiment intime de familiarité. L’explosion des mots, non sans sagesse, révèle des alliances insoupçonnées.

 

Donc j’ai fait civilisation

j’ai fait beauté au seul défaut de l’herbe

j’ai fait rêves pour enrayer la pourriture

j’ai fait splendeur et bassesse

j’ai fait soleil mystérieux de ma face

j’ai fait éternité de mon absence

 

mais je n’ai pas trahi

 

Tout peut être dit suggère Alain Breton. Encore faut-il connaître la symphonie des mots pour en faire une fête salvatrice, non qu’il y ait quoi que ce soit à sauver de personnel mais la beauté, la liberté, l’amour… des puissances sans doute éternelles en soi, indépendantes de ce qu’en font les êtres humains avec leur expression sans cesse contestée.

 

En libérant les mots et les sons du carcan des préjugés et conditionnements, c’est l’espace même de l’être qui se désencombre. De nouveaux mondes apparaissent. Ils sont internes, externes, ni l’un ni l’autre. Le défi ultime, celui qui nous réintègre à notre propre nature, appelle la restauration d’un rapport secret au son, au mot, à la langue pour abolir les temps ou jouer avec, suspendre les causalités trop linéaires, choisir les tourbillons qui en leur centre préservent un lieu exquis.

 

Pendant qu’allaient et venaient

les Bönpos du mont Kailash

j’ai laissé quelques transes

chez les poneys des steppes

négligé des saillies pour la part du Diable

 

 

Compagnon des corsaires

j’ai capturé des îles fraîches

pleines de nèfles et d’oiseaux

chanté sous des nuages splendides

près des cercles respirants d’Asger Jo

nagé aussi dans l’eau de Lyre

en piétinant les herbes récitées

et demandé l’hospitalité au lièvre qui court

sans jamais s’arrêter

 

Beaucoup de poèmes apparemment réussis ne franchissent pas avec succès les lèvres. Dits sur scène, ils tombent lourdement au sol sans atteindre et réveiller les esprits de ceux qui entendent. Lire les textes d’Alain Breton à haute voix, donner vie aux images, permet de pénétrer des états nouveaux où la distinction entre le rêve et la réalité s’estompe.

 

Poètes je suis venu voir vos boiteries les miennes

les broderies dans vos douleurs

Le saviez-vous

je vis poète je mange poète je lis poète

Jadis j’ai été décoré des ordres

du rire et du sanglot

aussi de la rivière fabuleuse

des cris de plaisir de l’hirondelle

 

Rémi Boyer (in lettreducrocodile.over-blog.net, février 2024).