Tri par numéro de revue
|
Tri par date
|
Page : <1 2 3 4 5 6 7 8 >
|
|
|
Lectures :
Le dossier ce numéro, coordonné par Christophe Dauphin, est consacré à quelques poètes à Tahiti. Il commence par une longue introduction de Christophe Dauphin qui s’attaque aux malentendus les plus tenaces concernant la Polynésie française, ses peuples, ses cultures, de la structure de la société traditionnelle à la fonction des tatouages. Il résume en quelques dates qui sont surtout des repères, une histoire complexe que nous voulons linéaire quand elle obéit à d’autres modèles du temps.
Cinq auteurs ont été retenus pour ce dossier, nés en Tahiti ou venus en Tahiti pour des raisons diverses et marqués puissamment par ce monde qui ne cherche pas à contraindre la nature : Teuira Henry, Henri Hiro, Flora Aurima-Devatine, Loïc Herry, Alain Simon.
L’ouvrage le plus célèbre de Teuira Henry (1847 – 1915) est Ancient Tahiti. Il demeure l’ouvrage de référence sur l’histoire des îles de la Société rassemblant des matériaux précieux pour la compréhension des mythes tahitiens.
Henri Hiro (1944 -1990), fondateur de la littérature, du théâtre et du cinéma polynésien contemporains fut un grand acteur de la recherche et de l’expression des racines.
Flora Aurima-Devatine, née en 1942 sur la presqu’île de Tahiti démontra l’expérience et l’intérêt d’une littérature polynésienne française. Elle milita notamment pour le droit des femmes et ce combat imprègne son œuvre littéraire.
Alain Simon (1947-2011) est né en Bretagne. Il demeura quinze années à Tahiti où il livra les plus belles parts de sa poésie.
Océan parfait au goût de câpres
Comme le vrai fâfaru
Encore faut-il déchiffrer
La souffrance au ras des vagues
Si l’écume mène le monde
Encore faut-il savoir marcher sur l’eau –
Le guerrier désire-t-il la paix
Le sage mange-t-il toujours de la terre
Avant de pénétrer la femme
Dessiner le grand cercle
Mourir encore une fois –
Toi la mémoire est prête
Tu peux tendre tes titis
Faire mousser la bière
Dans le sillage exact du grand requin
Nageuse de combat
Loïc Herry (1958-1995) est né à Cherbourg. C’est par amour qu’il gagne Tahiti en 1994. Sa poésie mêle son amour et la rencontre lucide avec l’île.
je ne suis pas venu voir la Polynésie
je n’ai pas vu Tahiti
j’ai simplement visité la Beauté
une jeune beauté brune aux
courbes dansantes aux mains longues
enfin s’est chiffonnée dans mon poing
toute cette page du Pacifique qui
nous séparait
et l’espace qui ombrait
le souvenir de ton rire
s’est enflammé
saveur de ta peau
saveur de tes mots
Cythère ô Christel
si le jus de l’ananas coule de tes lèvres
c’est le goût de la vie qui m’envahit
je ne suis pas venu voir Tahiti
je suis venu m’asseoir sur la terrasse
Avec toi
Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, avril 2019).
|
|
|
|
Lectures :
Les Hommes sans Épaules, numéro 58 : Daniel Varoujan. Quand on reçoit un numéro des HSE, plus que pour bien des revues, il faut se précipiter sur l’éditorial de Christophe Dauphin. Il donne le ton et l’esprit aux cahiers qui suivent en dessinant un pays où s’entrelacent le mémoriel, l’histoire, le politique, les coups de gueule et les bourrades chaleureuses. Un peu comme un marin qui après un long périple revient au bar du pays et vous parle de « là-bas ».
Celui du numéro 58 est parmi les plus émouvants que j’ai lus. Il dit s’inspirer d’un manuscrit inédit (j’espère pas trop longtemps) qui nous fait partir de son village natal où prit racine sa relation avec l’Arménie par l’intermédiaire d’un ami, Raphaël Thorossov, mort en 1998, à 101 ans : « Du fond de mon enfance, je te revois Raphaël. Tu déambulais dans le village coiffé de ta légendaire toque noir et vêtu de ton manteau en astrakan […] Tu me parlais, de là-bas… Ce pays que tu avais quitté, non sans avoir emporté dans un bocal de généreux grammes de terre. “Elle partira avec moi” me disais-tu. ».
Des noms surgissent, connus ou méconnus (j’y apprends les racines arméniennes de Paul Farellier, ce qu’ami aveugle je n’avais pas relevées), des rencontres, des titres de recueils, des pages d’histoire arménienne, avec ses crimes, pillages, massacres d’hommes, femmes et enfants jusqu’à ce « génocide de 1915 », et qui fut suivi de deux guerres récentes, puis encore celle de 2020… Et pourtant le pays dont il nous parle brille d’une lumière inégalable, avec ses jardins, son architecture, sa musique car ce pays est d’abord celui apparu par un lien d’amitié : « Que d’histoire de sang et de liens fraternels avec l’Arménie dans le mouchoir de nuages de notre bourg haut-normand ! »
Après cet édito, le cahier Ainsi furent les Wah I ouvre ses pages aux auteurs ayant mentionné l’Arménie durant cette période, dont Quillard, Max Jacob, Hikmet, Mandelstam et Grossman avec son inoubliable carnet de voyage, Que la paix soit avec vous. S’y joignent des poètes arméniens, dont le plus ancien, dont on garde trace s’appelle Grégoire de Narek (940‑1000), avec ce poème « Toi qui prends soin des âmes », Siamanto, Lubin, pour donner des noms que je connais un peu. C’est une nouvelle occasion de signaler la qualité des notices biographiques de la revue qui en fait un incontournable de toute bibliothèque résolue et ambitieuse.
Quelques vers arméniens résonnent encore à mon oreille : « Nous voici, nous arrivons, nous sommes la malédiction / La lance rusée enfoncée dans l’obscurité » (Sévak). « Notre génération a plus d’amis dans l’autre monde que celui-ci » (Kostan Zarian). Je fais connaissance avec ce poème d’Armen Lubin « N’ayant plus de maison ni logis / Plus de chambre où me mettre / Je me suis fabriqué une fenêtre / Sans rien autour. »
Ensuite s’ouvre le dossier sur Daniel Varoujan qui tisse à maille serrée la biographie du poète et la tragédie du génocide durant laquelle le poète avec trois compagnons fut attaché à un arbre et lardé à mort de coups de couteau. En regard de ces pages si douloureuses représentées par l’emblématique poème « Terre rouge », me frappe cette vague de grands poèmes épiques et fraternels qui compte (au moins) Varoujan, Hikmet. Ils nous racontent l’histoire de héros éponymes de leur pays, chantent leur peuple et leurs paysages, visant ainsi, comme l’écrit Dauphin en parlant de Varoujan, à réconcilier « le mythe héroïque et le réel ».
Suit le cahier Ainsi furent les Wah II où je découvre deux poèmes de Manouchian (j’ignorai qu’il était poète) dont ces quatre vers : « J’ai pris la sinueuse allée du village ; / — Mon soleil sur les épaules comme un abricot, / À mes lèvres tremblantes un vieux chant de laboureur -, Je pars livrer mon cœur au cœur des montagnes. » C’est beau comme du Whitman.
D’autres auteurs se succèdent. Les lisant, je ne fais plus la distinction entre les poètes arméniens ou autres, les biographies s’entremêlent, avec, omniprésentes, les pages sombres de l’histoire universelle du XXe siècle, que pourtant traversent de nouveaux poèmes, telles un Nil aux eaux félines traversant les sables du désert. Quelques noms et vers lus et médités : Verdet et son Anthologie des poèmes de Buchenwald, Mélik, Bonnefoy évoquant l’Arménie et nous confiant cette définition de la poésie : « C’est tenter de rendre aux mots la pleine mémoire de ce qu’ils nomment » ; Sévak, Kertész et encore Buchenwald ; puis de grandes et belles pages sur le poète et traducteur Godel ; l’article sur la géopoésie de Chaliand, arpenteur du monde et de ses luttes qui nous dépose un conseil de vie : « Il faut conserver son esprit critique, ne jamais se laisser duper par notre propre propagande, et faire preuve de détermination, toujours… ». Je m’attarde, distrait sur ses vers biographiques : « J’ai fait plus de quinze métiers / au gré des pays et du vent / Je gravis le toit du ciel / avec ma chevelure de nuage / et mon cœur coule par la nuit des villes » ; Mahmoud Darwich apparaît en nous offrant trois poèmes de pleine humanité : « Dépose ici et maintenant la tombe que tu portes / et donne à ta vie une autre chance / de restaurer le récit » ; ou encore Gérard Mordillat, dont j’ignorais le versant poétique de son œuvre ; Akopian, poète engagé pendant quarante ans auprès du Secours populaire ; l’étonnante Krikorian, « l’arménienne de Téhéran » ; le poète Rugamba et, avec lui, le génocide des Tutsi, et ce texte « Kaddish pour l’Afrique » ; puis des poètes plus proches, des amis ou des poètes à rencontrer : Caroutch, Brissiaud, Dauphin lui-même, Tison, le neurochirurgien et poète de Besançon Laurent Thinès, Tavera, Marie Bouchez (« Les toits vaguent sur notre âme / Mais c’est sur nos mémoires que le soleil se couche »), etc.
Et pour finir, avant le généreux cahier de recension, une dernière figure vient nous saluer : Kamel Bencheikh, et avec lui, la « décennie noire » de l’Algérie que surmonte une poésie invaincue (« je n’existe plus que pour la mémoire lapidée qui m’assaille ») Un numéro des HSE à vivre comme une prière universelle de la poésie.
Pierrick DE CHERMONT (cf. Revue des revues, in recoursaupoeme.fr, 6 mars 2025).
*
Les Hommes sans Épaules sont des cahiers littéraires semestriels fondés par le poète Jean Breton en 1953. Le nom de la revue provient du roman préhistorique de J.-H. Rosny aîné, Le Félin géant (1918). Cet opus n° 58 présente un dossier sur « Daniel Varoujan et le poème de l’Arménie », préparé par Christophe Dauphin, qui dirige un comité de rédaction de cinq personnes.
C’est par la rencontre avec Raphaël Thorossov, son vieil ami, que Christophe Dauphin, citoyen de la république d’Artsakh (il possède un passeport depuis 1991) est devenu arménophile. Raphaël a été l’ami de Siamanto et Missak Manouchian.
Par le biais de la poésie et ses poètes, l’ouvrage évoque le Génocide des Arméniens, ceux des Grecs pon[1]tiques et des Assyro-Chaldéens. C’est ainsi que l’on peut lire Grégoire de Narek, Nahabed Koutchak, Sayat Nova, Siamanto, Rouben Sévak, Kostan Zarian, Eghiché Tcharents, Armen Lubin, Vahé Godel (traducteur de la plupart des poèmes), Parouïr Sévak et Violette Krikorian.
Une longue biographie précède quelques poèmes de Daniel Varoujan (“J’ai là, sur ma table, dans une coupe, un peu de terre d’Arménie. L’ami qui m’en a fait cadeau croyait m’offrir son cœur – bien loin de se douter qu’il me donnait en même temps celui de ses aïeux”).
Sont évoqués également Gérard Chaliand et Charles Akopian. Quant aux arménophiles, on trouve Pierre Quillard, cheville ouvrière du journal Pro Armenia. « Les Alliés sont en Arménie », est un long poème de Max Jacob, publié en 1916. Nazim Hikmet, Yves Bonnefoy, Ossip Mandelstam, Vassili Grossman, abordent eux aussi la tragédie arménienne.
Au fil des pages, on trouve des illustrations de Léon Tutundjian, Arshile Gorky, David Erevantsi, Ervand Kotchar…
Un livre riche qui foisonne d’informations, fait office parfois de livre d’histoire et fournit, outre les titres d’ouvrages des écrivains, d’autres titres pour ceux qui veulent approfondir leurs connaissances.
Zmrouthe AUBOZIAN (in France Arménie n°528, avril 2025).
*
Les Hommes sans Épaules consacrent ce numéro 58 à Daniel Varoujan & le poème de l’Arménie. Au cœur de ce numéro nous trouvons le génocide des Arméniens au siècle dernier, qui n’est toujours pas reconnu par nombre d’Etats, mais aussi d’autres drames, d’autres grandeurs.
Partant de son village natal et d’une expérience personnelle, Christophe Dauphin retrace le parcours de ce peuple Arménien, combattant de la liberté et victime tant de l’indifférence que des dérives autoritaires.
Nous découvrons des poètes exceptionnels, des êtres engagés, des écrits inattendus et révélateurs qui nous parlent non seulement de l’Arménie, de ses épreuves, de ses richesses, mais de la nature humaine dans ses horreurs, ses tristes banalités comme dans ses expressions les plus sublimes. C’est toute la culture et la spiritualité arménienne en ses multiples prolongements qui s’inscrit dans les mots de ces poètes, tous survivants, tous exilés, sauf peut-être d’eux-mêmes. Ce n’est pas seulement une poésie de l’exil ou de la tragédie, ou des tragédies avant la tragédie, nous y découvrons un sens aigu du politique, une sagesse, une métaphysique, un plan pour le futur.
Extrait de Terre Rouge :
J’ai là, sur ma table, dans une coupe,
un peu de terre d’Arménie.
L’ami qui m’en a fait cadeau croyait
m’offrir son cœur – bien loin de se douter
qu’il me donnait en même temps celui
de ses aïeux.
Je n’en puis détacher mes yeux –
– comme s’ils y prenaient racine…
Terre rouge. Je m’interroge :
d’où tient-elle cette rougeur ?
Mais s’abreuvant tout ensemble de vie
et de soleil, épongeant toutes les blessures,
pouvait-elle ne pas rougir ?
Couleur de sang me dis-je,
terre rouge, bien sûr, car elle est arménienne !
peut-être y frémissent encore des vestiges
de brasiers millénaires,
les fulgurances des sabots
qui naguère couvrirent d’ardente poussière
les armées d’Arménie…
Y subsiste peut-être un peu de la semence
qui me donna la vie, un reflet de l’aurore
à laquelle je dois ce regard sombre,
ce cœur qui hante un feu surgi
des sources même de l’Euphrate
ce cœur couvrant l’amour non moins que la révolte…
Ce numéro 58 est particulièrement important, il nous entraîne au cœur de l’âme arménienne mais il retrace aussi l’histoire d’un peuple qui nous définit tous.
Rémi BOYER (in lettreducrocodile.over-blog.net, 29 octobre 2024).
*
On ne peut qu’être admiratif devant la prodigieuse puissance de travail de Christophe Dauphin ainsi que par sa parfaite connaissance des poésies du monde entier. Le focus est ici placé sur l’Arménie grâce à des documents et des écrits poétiques rares et très émouvants. Avec 324 pages de lectures enrichissantes, les HSE s’affirment encore un peu plus dans le vivier de la poésie actuelle.
Georges CATHALO (in terreaciel.net, janvier 2025).
*
« On croit « tout » savoir à propos des horreurs qui ont fait le XXe siècle, mais à chaque fois on en découvre de plus affreuses encore. C’est ce qui nous arrive en lisant le n°58 de Les Hommes sans Épaules consacré à l’Arménie.
Ici, je ne vais vous parler que des poètes qui composent ce numéro (piloté par Christophe Dauphin qui présente chaque auteur en détail), des poètes des premiers âges : Grégoire de Narek (vers l’an mille) : « Toi qui prends soin des âmes / souffrantes, mutilés / à présent je T’implore / me voici gémissant // Veille à ne pas accroître ma souffrance… » Nahabed Koutchak (16èmesiècle), Sayat-Nova (18èmesiècle), aux poètes du 20èmesiècle, dont le plus remarquable à mes yeux est Armen Lubin (1903-1973) : « Ça sent l’aubergine et le piment farci / Ça sent la cuisine orientale et le phono turc / Sur le palier une petite main mendie… / … Dans cet hôtel plein d’Arméniens sortis on ne sait d’où / D’Arméniens sortis… mettons des massacres // Monta d’abord le socialiste baron Kissikian / tourneur chez Citroën… »
Il y a bien sûr Missak Manouchian « Tourmenté comme le forçat, persécuté comme l’esclave – J’ai grandi sous le fouet du mépris et de la privation /A me battre contre la mort, aspirant à la vie / J’ai été attentif à chaque enchantement » et Daniel Varoujan (un fort dossier) : « J’ai sur ma table dans une coupe / un peu de terre d’Arménie… »
D’autres poètes présents dans ce numéro sont des amis du peuple arménien (Max Jacob, Yves Bonnefoy) ou les enfants, nés en Europe de l’Ouest, d’exilés arméniens : Vahé Godel, Gérard Chaliand : « Et nous avons fatigué le désert de nos pas / portés par l’espoir de la mer / La terre, taureau funèbre dont le souffle desséchait nos corps / longue retraite / où nous n’avons rêvé que de retour natal… »
Et encore Francesca Yvonne Caroutch : « Le ciel est plein de mains coupées / et els fossiles du sommeil / oscillent sur des socles d’ombre… / … Tu cries comme une graine folle / oubliée dans un fau d’argile » ; et la relève virulente de la poésie arménienne, Violette Krikorian (née en 1960), « Prière de femme », : Donne-moi aujourd’hui ma beauté quotidienne / délivre mes yeux des travaux / d’aiguille et des lunettes / délivre ma langue de ma bouche / délivre ma bouche de la langue de bois / délivre mes mains, mes jambes, tout mon corps… » Encore plein de trucs dans ce numéro. »
Christian DEGOUTTE (in revue Verso n°200, mars 2025).
|
Lectures :
Les Hommes sans Épaules, numéro 58 : Daniel Varoujan. Quand on reçoit un numéro des HSE, plus que pour bien des revues, il faut se précipiter sur l’éditorial de Christophe Dauphin. Il donne le ton et l’esprit aux cahiers qui suivent en dessinant un pays où s’entrelacent le mémoriel, l’histoire, le politique, les coups de gueule et les bourrades chaleureuses. Un peu comme un marin qui après un long périple revient au bar du pays et vous parle de « là-bas ».
Celui du numéro 58 est parmi les plus émouvants que j’ai lus. Il dit s’inspirer d’un manuscrit inédit (j’espère pas trop longtemps) qui nous fait partir de son village natal où prit racine sa relation avec l’Arménie par l’intermédiaire d’un ami, Raphaël Thorossov, mort en 1998, à 101 ans : « Du fond de mon enfance, je te revois Raphaël. Tu déambulais dans le village coiffé de ta légendaire toque noir et vêtu de ton manteau en astrakan […] Tu me parlais, de là-bas… Ce pays que tu avais quitté, non sans avoir emporté dans un bocal de généreux grammes de terre. “Elle partira avec moi” me disais-tu. ».
Des noms surgissent, connus ou méconnus (j’y apprends les racines arméniennes de Paul Farellier, ce qu’ami aveugle je n’avais pas relevées), des rencontres, des titres de recueils, des pages d’histoire arménienne, avec ses crimes, pillages, massacres d’hommes, femmes et enfants jusqu’à ce « génocide de 1915 », et qui fut suivi de deux guerres récentes, puis encore celle de 2020… Et pourtant le pays dont il nous parle brille d’une lumière inégalable, avec ses jardins, son architecture, sa musique car ce pays est d’abord celui apparu par un lien d’amitié : « Que d’histoire de sang et de liens fraternels avec l’Arménie dans le mouchoir de nuages de notre bourg haut-normand ! »
Après cet édito, le cahier Ainsi furent les Wah I ouvre ses pages aux auteurs ayant mentionné l’Arménie durant cette période, dont Quillard, Max Jacob, Hikmet, Mandelstam et Grossman avec son inoubliable carnet de voyage, Que la paix soit avec vous. S’y joignent des poètes arméniens, dont le plus ancien, dont on garde trace s’appelle Grégoire de Narek (940‑1000), avec ce poème « Toi qui prends soin des âmes », Siamanto, Lubin, pour donner des noms que je connais un peu. C’est une nouvelle occasion de signaler la qualité des notices biographiques de la revue qui en fait un incontournable de toute bibliothèque résolue et ambitieuse.
Quelques vers arméniens résonnent encore à mon oreille : « Nous voici, nous arrivons, nous sommes la malédiction / La lance rusée enfoncée dans l’obscurité » (Sévak). « Notre génération a plus d’amis dans l’autre monde que celui-ci » (Kostan Zarian). Je fais connaissance avec ce poème d’Armen Lubin « N’ayant plus de maison ni logis / Plus de chambre où me mettre / Je me suis fabriqué une fenêtre / Sans rien autour. »
Ensuite s’ouvre le dossier sur Daniel Varoujan qui tisse à maille serrée la biographie du poète et la tragédie du génocide durant laquelle le poète avec trois compagnons fut attaché à un arbre et lardé à mort de coups de couteau. En regard de ces pages si douloureuses représentées par l’emblématique poème « Terre rouge », me frappe cette vague de grands poèmes épiques et fraternels qui compte (au moins) Varoujan, Hikmet. Ils nous racontent l’histoire de héros éponymes de leur pays, chantent leur peuple et leurs paysages, visant ainsi, comme l’écrit Dauphin en parlant de Varoujan, à réconcilier « le mythe héroïque et le réel ».
Suit le cahier Ainsi furent les Wah II où je découvre deux poèmes de Manouchian (j’ignorai qu’il était poète) dont ces quatre vers : « J’ai pris la sinueuse allée du village ; / — Mon soleil sur les épaules comme un abricot, / À mes lèvres tremblantes un vieux chant de laboureur -, Je pars livrer mon cœur au cœur des montagnes. » C’est beau comme du Whitman.
D’autres auteurs se succèdent. Les lisant, je ne fais plus la distinction entre les poètes arméniens ou autres, les biographies s’entremêlent, avec, omniprésentes, les pages sombres de l’histoire universelle du XXe siècle, que pourtant traversent de nouveaux poèmes, telles un Nil aux eaux félines traversant les sables du désert. Quelques noms et vers lus et médités : Verdet et son Anthologie des poèmes de Buchenwald, Mélik, Bonnefoy évoquant l’Arménie et nous confiant cette définition de la poésie : « C’est tenter de rendre aux mots la pleine mémoire de ce qu’ils nomment » ; Sévak, Kertész et encore Buchenwald ; puis de grandes et belles pages sur le poète et traducteur Godel ; l’article sur la géopoésie de Chaliand, arpenteur du monde et de ses luttes qui nous dépose un conseil de vie : « Il faut conserver son esprit critique, ne jamais se laisser duper par notre propre propagande, et faire preuve de détermination, toujours… ». Je m’attarde, distrait sur ses vers biographiques : « J’ai fait plus de quinze métiers / au gré des pays et du vent / Je gravis le toit du ciel / avec ma chevelure de nuage / et mon cœur coule par la nuit des villes » ; Mahmoud Darwich apparaît en nous offrant trois poèmes de pleine humanité : « Dépose ici et maintenant la tombe que tu portes / et donne à ta vie une autre chance / de restaurer le récit » ; ou encore Gérard Mordillat, dont j’ignorais le versant poétique de son œuvre ; Akopian, poète engagé pendant quarante ans auprès du Secours populaire ; l’étonnante Krikorian, « l’arménienne de Téhéran » ; le poète Rugamba et, avec lui, le génocide des Tutsi, et ce texte « Kaddish pour l’Afrique » ; puis des poètes plus proches, des amis ou des poètes à rencontrer : Caroutch, Brissiaud, Dauphin lui-même, Tison, le neurochirurgien et poète de Besançon Laurent Thinès, Tavera, Marie Bouchez (« Les toits vaguent sur notre âme / Mais c’est sur nos mémoires que le soleil se couche »), etc.
Et pour finir, avant le généreux cahier de recension, une dernière figure vient nous saluer : Kamel Bencheikh, et avec lui, la « décennie noire » de l’Algérie que surmonte une poésie invaincue (« je n’existe plus que pour la mémoire lapidée qui m’assaille ») Un numéro des HSE à vivre comme une prière universelle de la poésie.
Pierrick DE CHERMONT (cf. Revue des revues, in recoursaupoeme.fr, 6 mars 2025).
*
Les Hommes sans Épaules sont des cahiers littéraires semestriels fondés par le poète Jean Breton en 1953. Le nom de la revue provient du roman préhistorique de J.-H. Rosny aîné, Le Félin géant (1918). Cet opus n° 58 présente un dossier sur « Daniel Varoujan et le poème de l’Arménie », préparé par Christophe Dauphin, qui dirige un comité de rédaction de cinq personnes.
C’est par la rencontre avec Raphaël Thorossov, son vieil ami, que Christophe Dauphin, citoyen de la république d’Artsakh (il possède un passeport depuis 1991) est devenu arménophile. Raphaël a été l’ami de Siamanto et Missak Manouchian.
Par le biais de la poésie et ses poètes, l’ouvrage évoque le Génocide des Arméniens, ceux des Grecs pon[1]tiques et des Assyro-Chaldéens. C’est ainsi que l’on peut lire Grégoire de Narek, Nahabed Koutchak, Sayat Nova, Siamanto, Rouben Sévak, Kostan Zarian, Eghiché Tcharents, Armen Lubin, Vahé Godel (traducteur de la plupart des poèmes), Parouïr Sévak et Violette Krikorian.
Une longue biographie précède quelques poèmes de Daniel Varoujan (“J’ai là, sur ma table, dans une coupe, un peu de terre d’Arménie. L’ami qui m’en a fait cadeau croyait m’offrir son cœur – bien loin de se douter qu’il me donnait en même temps celui de ses aïeux”).
Sont évoqués également Gérard Chaliand et Charles Akopian. Quant aux arménophiles, on trouve Pierre Quillard, cheville ouvrière du journal Pro Armenia. « Les Alliés sont en Arménie », est un long poème de Max Jacob, publié en 1916. Nazim Hikmet, Yves Bonnefoy, Ossip Mandelstam, Vassili Grossman, abordent eux aussi la tragédie arménienne.
Au fil des pages, on trouve des illustrations de Léon Tutundjian, Arshile Gorky, David Erevantsi, Ervand Kotchar…
Un livre riche qui foisonne d’informations, fait office parfois de livre d’histoire et fournit, outre les titres d’ouvrages des écrivains, d’autres titres pour ceux qui veulent approfondir leurs connaissances.
Zmrouthe AUBOZIAN (in France Arménie n°528, avril 2025).
*
Les Hommes sans Épaules consacrent ce numéro 58 à Daniel Varoujan & le poème de l’Arménie. Au cœur de ce numéro nous trouvons le génocide des Arméniens au siècle dernier, qui n’est toujours pas reconnu par nombre d’Etats, mais aussi d’autres drames, d’autres grandeurs.
Partant de son village natal et d’une expérience personnelle, Christophe Dauphin retrace le parcours de ce peuple Arménien, combattant de la liberté et victime tant de l’indifférence que des dérives autoritaires.
Nous découvrons des poètes exceptionnels, des êtres engagés, des écrits inattendus et révélateurs qui nous parlent non seulement de l’Arménie, de ses épreuves, de ses richesses, mais de la nature humaine dans ses horreurs, ses tristes banalités comme dans ses expressions les plus sublimes. C’est toute la culture et la spiritualité arménienne en ses multiples prolongements qui s’inscrit dans les mots de ces poètes, tous survivants, tous exilés, sauf peut-être d’eux-mêmes. Ce n’est pas seulement une poésie de l’exil ou de la tragédie, ou des tragédies avant la tragédie, nous y découvrons un sens aigu du politique, une sagesse, une métaphysique, un plan pour le futur.
Extrait de Terre Rouge :
J’ai là, sur ma table, dans une coupe,
un peu de terre d’Arménie.
L’ami qui m’en a fait cadeau croyait
m’offrir son cœur – bien loin de se douter
qu’il me donnait en même temps celui
de ses aïeux.
Je n’en puis détacher mes yeux –
– comme s’ils y prenaient racine…
Terre rouge. Je m’interroge :
d’où tient-elle cette rougeur ?
Mais s’abreuvant tout ensemble de vie
et de soleil, épongeant toutes les blessures,
pouvait-elle ne pas rougir ?
Couleur de sang me dis-je,
terre rouge, bien sûr, car elle est arménienne !
peut-être y frémissent encore des vestiges
de brasiers millénaires,
les fulgurances des sabots
qui naguère couvrirent d’ardente poussière
les armées d’Arménie…
Y subsiste peut-être un peu de la semence
qui me donna la vie, un reflet de l’aurore
à laquelle je dois ce regard sombre,
ce cœur qui hante un feu surgi
des sources même de l’Euphrate
ce cœur couvrant l’amour non moins que la révolte…
Ce numéro 58 est particulièrement important, il nous entraîne au cœur de l’âme arménienne mais il retrace aussi l’histoire d’un peuple qui nous définit tous.
Rémi BOYER (in lettreducrocodile.over-blog.net, 29 octobre 2024).
*
On ne peut qu’être admiratif devant la prodigieuse puissance de travail de Christophe Dauphin ainsi que par sa parfaite connaissance des poésies du monde entier. Le focus est ici placé sur l’Arménie grâce à des documents et des écrits poétiques rares et très émouvants. Avec 324 pages de lectures enrichissantes, les HSE s’affirment encore un peu plus dans le vivier de la poésie actuelle.
Georges CATHALO (in terreaciel.net, janvier 2025).
*
« On croit « tout » savoir à propos des horreurs qui ont fait le XXe siècle, mais à chaque fois on en découvre de plus affreuses encore. C’est ce qui nous arrive en lisant le n°58 de Les Hommes sans Épaules consacré à l’Arménie.
Ici, je ne vais vous parler que des poètes qui composent ce numéro (piloté par Christophe Dauphin qui présente chaque auteur en détail), des poètes des premiers âges : Grégoire de Narek (vers l’an mille) : « Toi qui prends soin des âmes / souffrantes, mutilés / à présent je T’implore / me voici gémissant // Veille à ne pas accroître ma souffrance… » Nahabed Koutchak (16èmesiècle), Sayat-Nova (18èmesiècle), aux poètes du 20èmesiècle, dont le plus remarquable à mes yeux est Armen Lubin (1903-1973) : « Ça sent l’aubergine et le piment farci / Ça sent la cuisine orientale et le phono turc / Sur le palier une petite main mendie… / … Dans cet hôtel plein d’Arméniens sortis on ne sait d’où / D’Arméniens sortis… mettons des massacres // Monta d’abord le socialiste baron Kissikian / tourneur chez Citroën… »
Il y a bien sûr Missak Manouchian « Tourmenté comme le forçat, persécuté comme l’esclave – J’ai grandi sous le fouet du mépris et de la privation /A me battre contre la mort, aspirant à la vie / J’ai été attentif à chaque enchantement » et Daniel Varoujan (un fort dossier) : « J’ai sur ma table dans une coupe / un peu de terre d’Arménie… »
D’autres poètes présents dans ce numéro sont des amis du peuple arménien (Max Jacob, Yves Bonnefoy) ou les enfants, nés en Europe de l’Ouest, d’exilés arméniens : Vahé Godel, Gérard Chaliand : « Et nous avons fatigué le désert de nos pas / portés par l’espoir de la mer / La terre, taureau funèbre dont le souffle desséchait nos corps / longue retraite / où nous n’avons rêvé que de retour natal… »
Et encore Francesca Yvonne Caroutch : « Le ciel est plein de mains coupées / et els fossiles du sommeil / oscillent sur des socles d’ombre… / … Tu cries comme une graine folle / oubliée dans un fau d’argile » ; et la relève virulente de la poésie arménienne, Violette Krikorian (née en 1960), « Prière de femme », : Donne-moi aujourd’hui ma beauté quotidienne / délivre mes yeux des travaux / d’aiguille et des lunettes / délivre ma langue de ma bouche / délivre ma bouche de la langue de bois / délivre mes mains, mes jambes, tout mon corps… » Encore plein de trucs dans ce numéro. »
Christian DEGOUTTE (in revue Verso n°200, mars 2025).
|
|
|
|
Lectures :
« François Montmaneix déclare haut et fort : « Ce ne sont donc pas le retour consternant des guerres de religion, la déferlante technologique obsessionnelle, l’abrutissement, par le football, la banalisation du verbe par le développement des réseaux prétendument sociaux, la vulgarité médiatique, la sacralisation des gadgets, la mondialisation de l’uniformisation et le déclin de la conscience du monde qu’ils engendrent, qui viendront à bout de la vérité et de la force de la parole qu’incarne la Poésie » (p 5).
De même, dans son article, Le poète ermite de Tromba, Jacques Crickillon (p 25) note à propos de Pierre della Faille que l’amour de Belle est aux antipodes de la conception barthienne des Fragments d’un discours amoureux et assimilable aux représentations de l’amour vu sur les sculptures des parois des temples de Maliparum et de Borobudur. Il note aussi : « La différence, c’est que, la rencontre ouvre chez della Faille, une destinée commune, un chemin (avec Belle à deux, en étant non unique mais double dans l’unique. Dès lors, si la femme aimée apparaît sublimée dans l’œuvre jusqu’à en faire une figure mythologique, elle est aussi présence jour à jour et alimente ainsi perpétuellement la création… » (p 24). Si j’aime François Montmaneix pour ses poèmes en général et pour son écriture, j’aime Pierre della Faille pour l’amour fou qui donne une tonalité particulière à sa vie et à son écriture poétique…
Si François Montmaneix signe l’éditorial de cette livraison des Hommes sans épaules, les deux précédents (FM & PdF) font partie du premier article de la revue, Les porteurs de feu, par leurs poèmes. La revue est divisée en ses parties habituelles : Ainsi furent les Wah (avec Imasango, Adeline Baldacchino - dont j’ai lu jadis La ferme des énarques (et dont j’ai rendu compte dans Recours au poème) -, Natasha Kanapé-Fontaine, Emmanuelle Le Cam, Hamid Tibouchi, Franck Balandier et André Loubradou… De même avec le dossier Poètes à Tahiti avec Christophe Dauphin (introduction) : Teuira Henry, Henri Hiro, Flora Devatine, Loïc Herry et Alain Simon… Les inédits des HSE sont consacrés aux poèmes de Sonia Zin Al Abidine. Vers les terres libres sont réservées à une étude de Paul Farellier intitulée La poésie de Frédéric Tison suivie de Minuscules (un ensemble de proses poétiques) du même Frédéric Tison… Suit alors une étude d’Eve Moréno ; consacrée à la chanson, la poésie, elle présente le chanteur Allain Leprest. Suivent enfin des poèmes inédits d’Elodie Turki, de Paul Farellier, de Jacqueline Lalande, d’Alain Breton, de Christophe Dauphin et d’André Prodhomme… Viennent en final des notes de lecture de Christophe Dauphin, de Claude Luezior, d’Eric Pistouley, de Bernard Fournier, de Jean Chatard, de Thomas Demoulin, de François Folsheid, de Frédéric Tison et de Paul Farellier… Viennent ensuite les usuelles informations…
Jamais une revue n’a autant ressemblé à ce que doit être une revue de poésie. Et il y a des poèmes pour tous les goûts.
Lucien WASSELIN (in www.recoursaupoeme.fr , 6/09/2019)
*
"L'un des principaux dosseirs est consacré au poète François Montmaneix, décédé en 2018 à l'âge de 80 ans, présenté avec brio sous ses nombreuses facettes par Christophe Dauphin et par des pooèmes "beaux et graves comme autant d'éblouissements" choisis dans "une oeuvre forte, c'est-à-dire personnelle, où l'éclair survit à l'orage". L'édito est composé d'un article inédit du poète et de fragments d'un entretien publié par La Tribune en 2015, où "passagers du temps mais aussi "messagers", pour "faire entendre une voix qui est plus que la nôtre : celle de l'émotion qui est sentiments du monde."
L'autre gros dossier, consacré aux "Poètes à Tahiti", replacés par Christophe Dauphin dans leur contexte géographique, historique et culturel : Teuira Henry (1847-1915), Henri Hiro (1944-1990) et Flora Devatine (1942), mais aussi Loïc Herry (décédé en 1995) qui y vécut une parenthèse intense et Alain Simon qui y séjourna pendant quinze ans.
Paul Farellier présenté Frédéric Tison, dont on peut lire des textes inédits, composés de notes et d'aphorismes, extraits de ses carnets.
Eve Moreno évoque Allain Leprest, le "plus connu des inconnus de la chanson française".
Marie-Josée CHRISTIEN (in revue Spered Gouez n°25, 2019).
*
"Le polynésien sait nourrir, mais ne sait pas gagner de l'argent": Thierry Tekuataoa, cité par Christophe Dauphin dans le dossier qu'il a coordonné (avec un historique de la colonisation des îles du Pacifique) et qui s'intitule justement Poètes à tahiti, car si ces îles produisent des poètes, elles en attirent aussi de la métropole.
Donc, dans le n°47 de Les Hommes sans Epaules, ont peut lire des natifs de Polynésié: Teuira Henry (1847-1915), "Chant sacré de la pirogue de Rû : Derrière était Te-ao-tea-roa, devant était le vaste océan - Rû était à l'arrière, Hina était à l'avant - Et Rû chanta ainsi : Je te tire, je te tire vers la terre - Te-apori, ô Te-apori..."; Henri Hiro, militant indépendentiste et culturel des années 70: "Je grimpe au sommet du Temps - s'ouvrent alors les autres bouches - du vent - Est, Ouest - Sud, Nord - l'esprit vacant et les oreilles libres - je reçois ce message - Manger le temps - Il faut manger le temps..."; Flora Aurima-Devatine (née en 1947) : "Sur la place qu'évente - la fraiche rosée des vallées - c'est l'heure du pariparifenua - espace de ressourcement - chant-poème - au ras de l'île..."
On peut lire des poètes de passage aux îles, Loïc Herry : "Polynésie paradis tu parles - vol violence c'est la chanson - de Papeete paradis frelaté"; ou Alain Simon : "Océan parfait au goût de câpres - Comme le vrai fafaru - Encore faut-il déchiffrer - La souffrance au ras des vagues..."
Dans ce même n°47 de Les Hommes sans Epaules, il y a "le parfum de calcaires mouillé des collines d'Hammamet après les premières pluies d'automne, terre brûlante dont on devine un crépitement semblable à la braise qu'on arrose", de Sonia Zin El Abidine (quinze pages de poèmes inédits), née en Tunisie (ça se sent), vivant à Paris (ça se devine) : "Ma terre chrysalide - Le temps créateur d'exil - Loin de ternir ton éclat - t'a faite paradis..." Comme un écho à Tahiti, on dirait, non ?
Dans ce numéro très exotique, Imasango (elle est de Nouvelle Calédonie) : "Tu manges encore de l'igname et le taro - Tu caresses la peau des bois - Tu traverses l'allée vibrant de cordylines - Tu sais l'araucaria - La conque et le cri des oiseaux - Tu es - de cette île - Multiple aux confluences".
Sinon, il y a des célébrités de naguère présentées et anthologisées : François Montmaneix, "Une fois que les bruits inutiles - ont fini de leurrer la parole - quand le silence baigne le lac - l'eau dans le soir d'été a ce visage - d'ombre qui vient de naître..." et Pierre Della Faille : "Soyez heureux, ô syndiqués cyclopes ! Je vous laisse la langue. Crie. Criez. Vos souterrains n'ont pas d'écho - et j'engraisse vos dieux qui me servent à table ".
Il y a Adeline Baldacchino, Emmanuelle Le Cam, Natacha Kanapé Fontaine (Québec), Hamid Tibouchi (Algérie), Allain Leprest, et d'autres et les pages de lectures-critiques; il y a, il y a... Songez au truc : comment rendre compte de 320 pages de revue sans tout mettre en miettes ?
320 pages, un semestre d electures variées: un bon plan."
Christian DEGOUTTE (in revue Verso n°178, 2019).
|
|
|
|
Lectures :
Christophe Dauphin a une longue histoire avec Ilarie Voronca, poète roumain né dans une famille juive non pratiquante, mort par suicide en 1946 à l’âge de 42 ans. Ce dernier appartient à « cette catégorie rare et précieuse » dont l’œuvre accompagne toute la vie. Christophe Dauphin, avec l’appui indéfectible de la revue LHSE et de quelques personnalités, œuvre courageusement depuis les années 90 pour faire connaître le poète alors ignoré et oublié dans son pays d’adoption comme dans son pays d’origine.
Rappelons son essai Ilarie Voronca, le poète intégral (Rafael de Surtis, 2011) et son action pour sauver sa tombe en 2010.
Christophe Dauphin lui consacre ici son éditorial et le dossier principal du numéro, lui associant les poètes du Rouergue et du Gévaudan. A l’instar de ses compatriotes et amis, Tristan Tzara et Benjamin Fondane, Voronca, alors reconnu comme « un phare du constructivisme roumain », s’installa à Paris en 1933 mais, en danger du fait de ses origines juives et de ses écrits, il rejoignit Rodez en 1943. Ce fut une période importante de sa vie, car il a fait partie du maquis le plus important de l’Aveyron.
Le numéro publie aussi des poètes du Rouergue de la génération de Voronca, dont Jean Sénac et Claude Sernet, ainsi que Antonin Artaud et Paul Eluard qui y ont été soignés, puis une série de poètes contemporains tels Marie-Claire Bancquart, Bernard Noël, Marcel Chinonis, François Laur, Monique Labidoire, Francis Combes et Bernard Fournier.
Le numéro se clôt sur un appel au soutien à l’écrivain Boulam Sansal, arrêté à Alger en novembre 2024 et « toujours emprisonné dans les geôles d’un régime corrompu ».
Marie Josée CHRISTIEN (in revue Spered Gouez n°31, 2025).
*
Les Hommes sans Épaules consacrent ce numéro 59 à Ilarie Voronca & les poètes du Rouergue et du Gévaudan.
Eduard Marcus, devenu Ilarie Voronca (1903-1946), méritait ce numéro, lui qui reste encore méconnu malgré un talent et une œuvre qui continuent de fasciner. Franco-roumain, il est frappé d’oubli aussi bien en Roumanie qu’en France. Il fut l’un des piliers des avant-gardes roumaines, détruites par les dictatures successives, qui trouvèrent en partie refuge en France. Christophe Dauphin raconte cette histoire complexe, encore douloureuse, et finalement toujours largement incomprise.
Réfugié, juif et antifasciste, Voronca fut sa vie durant sujet à des traques, des exclusions ou des indifférences marquées. Il fut un grand solitaire malgré son épouse, Colomba Spirt, intellectuelle, non-conformiste, égérie des peintres et poètes de Bucarest, et un autre amour, Rovena. Les joies ne font que masquer temporairement une détresse essentielle.
Pendant l’occupation nazie, il trouve refuge à Rodez et en Aveyron où, heureusement, il rencontra de vrais compagnons de route.
Son œuvre, poésie et prose, est vaste et pleine d’intensités à la hauteur de l’errance.
Le dossier très fourni établi par Christophe Dauphin permet d’approcher certains aspects d’un être qui demeure insaisissable et d’une œuvre bouleversante, habitée par la mort.
L’attendue
Il y a des pierres ici, des arbres et des herbes
Qui veulent te connaître et attendent tes mains
Il y a le satin de la mer qui attend ton corps
Pour en épouser le rayonnement et les contours.
Ton nom qui a fleuri l’univers de la chambre
Les flûtes des saisons qui attendent tes lèvres
Toute la création espère en ta venue
Car sans toi, tout est privé d’éclat.
C’est pour toi que les oiseaux chantent
Et la nuit met sa robe de velours pour ton souffle
C’est pour toi que les fleurs assemblent leurs couleurs
Car ton regard est leur plus glorieux parfum.
Tu te meus en silence et pareille aux nuages
Ne montrant que ton ombre sur les violons de l’eau
Parmi les choses dont la mémoire dessine
Ta place nettement entre les murs éteints.
Insaisissable, si je passe entre tes voiles
N’est-ce pas pour chanter ta tristesse partout
Ce désir violent qui t’amène vivante
Les doigts parés de tous les feux du souvenir.
Ce superbe numéro des HSE permettra sans doute à certains de découvrir un poète d’exception, et rendre un peu plus dense le « fantôme ».
Rémi BOYER (in lettreducrocodile.over-blog.net, 11 avril 2025).
*
|
Lectures :
Christophe Dauphin a une longue histoire avec Ilarie Voronca, poète roumain né dans une famille juive non pratiquante, mort par suicide en 1946 à l’âge de 42 ans. Ce dernier appartient à « cette catégorie rare et précieuse » dont l’œuvre accompagne toute la vie. Christophe Dauphin, avec l’appui indéfectible de la revue LHSE et de quelques personnalités, œuvre courageusement depuis les années 90 pour faire connaître le poète alors ignoré et oublié dans son pays d’adoption comme dans son pays d’origine.
Rappelons son essai Ilarie Voronca, le poète intégral (Rafael de Surtis, 2011) et son action pour sauver sa tombe en 2010.
Christophe Dauphin lui consacre ici son éditorial et le dossier principal du numéro, lui associant les poètes du Rouergue et du Gévaudan. A l’instar de ses compatriotes et amis, Tristan Tzara et Benjamin Fondane, Voronca, alors reconnu comme « un phare du constructivisme roumain », s’installa à Paris en 1933 mais, en danger du fait de ses origines juives et de ses écrits, il rejoignit Rodez en 1943. Ce fut une période importante de sa vie, car il a fait partie du maquis le plus important de l’Aveyron.
Le numéro publie aussi des poètes du Rouergue de la génération de Voronca, dont Jean Sénac et Claude Sernet, ainsi que Antonin Artaud et Paul Eluard qui y ont été soignés, puis une série de poètes contemporains tels Marie-Claire Bancquart, Bernard Noël, Marcel Chinonis, François Laur, Monique Labidoire, Francis Combes et Bernard Fournier.
Le numéro se clôt sur un appel au soutien à l’écrivain Boulam Sansal, arrêté à Alger en novembre 2024 et « toujours emprisonné dans les geôles d’un régime corrompu ».
Marie Josée CHRISTIEN (in revue Spered Gouez n°31, 2025).
*
Les Hommes sans Épaules consacrent ce numéro 59 à Ilarie Voronca & les poètes du Rouergue et du Gévaudan.
Eduard Marcus, devenu Ilarie Voronca (1903-1946), méritait ce numéro, lui qui reste encore méconnu malgré un talent et une œuvre qui continuent de fasciner. Franco-roumain, il est frappé d’oubli aussi bien en Roumanie qu’en France. Il fut l’un des piliers des avant-gardes roumaines, détruites par les dictatures successives, qui trouvèrent en partie refuge en France. Christophe Dauphin raconte cette histoire complexe, encore douloureuse, et finalement toujours largement incomprise.
Réfugié, juif et antifasciste, Voronca fut sa vie durant sujet à des traques, des exclusions ou des indifférences marquées. Il fut un grand solitaire malgré son épouse, Colomba Spirt, intellectuelle, non-conformiste, égérie des peintres et poètes de Bucarest, et un autre amour, Rovena. Les joies ne font que masquer temporairement une détresse essentielle.
Pendant l’occupation nazie, il trouve refuge à Rodez et en Aveyron où, heureusement, il rencontra de vrais compagnons de route.
Son œuvre, poésie et prose, est vaste et pleine d’intensités à la hauteur de l’errance.
Le dossier très fourni établi par Christophe Dauphin permet d’approcher certains aspects d’un être qui demeure insaisissable et d’une œuvre bouleversante, habitée par la mort.
L’attendue
Il y a des pierres ici, des arbres et des herbes
Qui veulent te connaître et attendent tes mains
Il y a le satin de la mer qui attend ton corps
Pour en épouser le rayonnement et les contours.
Ton nom qui a fleuri l’univers de la chambre
Les flûtes des saisons qui attendent tes lèvres
Toute la création espère en ta venue
Car sans toi, tout est privé d’éclat.
C’est pour toi que les oiseaux chantent
Et la nuit met sa robe de velours pour ton souffle
C’est pour toi que les fleurs assemblent leurs couleurs
Car ton regard est leur plus glorieux parfum.
Tu te meus en silence et pareille aux nuages
Ne montrant que ton ombre sur les violons de l’eau
Parmi les choses dont la mémoire dessine
Ta place nettement entre les murs éteints.
Insaisissable, si je passe entre tes voiles
N’est-ce pas pour chanter ta tristesse partout
Ce désir violent qui t’amène vivante
Les doigts parés de tous les feux du souvenir.
Ce superbe numéro des HSE permettra sans doute à certains de découvrir un poète d’exception, et rendre un peu plus dense le « fantôme ».
Rémi BOYER (in lettreducrocodile.over-blog.net, 11 avril 2025).
*
|
|
|
|
Lectures :
Les Hommes sans Épaules : des voies poétiques
Souvent, les numéros des Hommes sans Épaules attirent par leur dossier, leur thème, le territoire qu’ils proposent d’explorer à ses lecteurs. On est enthousiasmé ou déçu, c’est selon. Peu importe d’ailleurs, au fond, que la poésie chilienne nous frappe singulièrement et que l’anthologie tahitienne nous laisse un peu froid. C’est la diversité des directions, la place offerte à des textes qui comptent. La manière dont il se combine avec des essais, des présentations toujours précises et informées. Il faut bien dire que c’est une revue qui s’apparente un peu à une ogresse. On n’y lésine pas sur la matière, sur les propositions. Il faut assurément une sacrée énergie, peut-être aussi un peu d’obstination, pour publier des volumes si variés.
Le 48e numéro propose un dossier comme toujours – ici consacré à l’écrivain surréaliste égyptien Georges Heinen. Journaliste à l’Express, à Jeune Afrique, il semble avoir quelque peu disparu de l’attention des lecteurs. Raison de plus pour s’attacher à une figure atypique et discrète. On y lira un portrait touchant d’un homme retenu, modeste, sous la plume assez douce d’Yves Bonnefoy, ou bien, et peut-on espérer meilleur éloge, ces lignes d’Henri Michaux qui le désigne comme un passant magnifique qui traverse le monde : « il aura vécu en se promenant dans la nature, la nature des hommes en société, des hommes de toute espèce, qu’en curieux il parcourait – les traversant sans les salir. Au-delà d’eux, il aspirait à rencontrer d’autres aventuriers de l’esprit. » Suivent un poème de Joyce Mansour, des textes d’Heinen lui-même, ainsi qu’une assez longue étude de Sarane Alexandrian disparu en 2009 dont le manifeste La poésie en jeu ouvre cette livraison de la revue.
Et c’est ce texte qui donne une tonalité au numéro, qui lui donne une direction. Car si on trouve des textes toujours aussi riches, depuis Breton, Éluard, Aragon, Péret, Soupault, mais aussi des études et des extraits de César Moro ou Roland Busselen, ainsi que les habituelles notes de lectures, une réflexion de Christophe Dauphin sur la peinture de Madeleine Novarina, c’est bien la question de ce qu’est le poème, la poésie, le rapport du poète avec le monde qui compte ! On lira ainsi les mots inauguraux du texte d’Alexandrian : « L’essence de la création littéraire se découvre à l’horizon de cette folle question : qui, du langage ou du silence, possède une existence autonome et que le surgissement de l’un ou de l’autre vient rompre ou troubler ? »
Ce sont les mêmes interrogations, à la croisée de l’intime et du monde social, comme mises en partage qui portent les textes inédits de Marie-Claire Bancquart que publient les Hommes sans Épaules. Elle écrit : « Essayer de parler, et si possible de faire sentir, selon ce décalage essentiel avec un usage paralysant de la langue et de l’existence, un poète ne peut rien d’autre. Mais son emportement est irremplaçable/ Il (elle) crie le cri, pour susciter d’autres cris. Et aussi d’autres amours, d’autres joies devant les choses. Il change, non sans doute la vie, mais les rapports avec la vie. » Ajoutant qu’elle écrit de la poésie parce que « ces idées, ces conduites, ces mots qui figent la pensée, on ne peut y répondre que par la poésie. Elle est tout le contraire : un emploi propre du mot propre, la mise en évidence d’une relation. »
Ce que dit Marie-Claire Bancquart relève d’une sorte particulière d’étonnement. Il s’y entend un d’enthousiasme lucide, une lutte dans la langue pour conserver un rapport émerveillé au réel, pour ne pas choir dans une déréliction stérile. Elle souhaite une poésie du sujet certes mais qui ne soit pas isolée, qui demeure ouverte, généreuse, accueillante. Il se trouve une liberté dans la langue et la poésie représente « un besoin vital, une énergie, un moyen d’‘être (un peu) là’ en approchant le monde. » Il se trouve que, bien souvent, cette exigence, ce désir, cette énergie, animent les revues, ceux qui les font, les portant en quelque sorte à se dépasser.
Hugo PRADELLE (in www.entrevues.org, le 23 novembre 2019)
*
Chaque parution de cette revue dirigée par Christophe Dauphin a l’extrême mérite de faire flamber plus haut encore le mot poésie. Tout y est : qualité, fraternité, beauté. Le lecteur lit chaque rubrique avec intérêt.
On pourra les énumérer toutes : l’ouverture reprend en hommage à l’écrivain Sarane Alexandrian parti il y a dix ans son texte La Poésie en jeu. Je vous laisse découvrir, entre autres, ce qu’il définit comme les trois temps poétiques majeurs. Une citation cependant, pour laisser percevoir la force de l’ensemble : « Le silence est troublé, le langage est troublant, et de la qualité de ce trouble double dépend l’émotion poétique. Plus loin : « Mais on sera ému par la création même de l’émotion, plutôt que par sa nature propre ou par l’objet qui la motive. »
« Les Porteurs de Feu » invitent les poètes César Moro et Roland Busselen à refaire surface. A la présentation, véritable portrait, succède des choix de poèmes révélant la portée de leur œuvre : Je parle… de certaines larmes sèches – qui pullulent sur la face des hommes (Moro). Je vois un matin – deux matins – une éternité de matins – où je cherche mon sang d’enfant – au creux des artères de ma mère – Tout ce qui tourne sans l’homme – trouvera sur mes lèvres – le nord de la terre vieillie – Mon nom est imprononçable – que ma mère repose en paix (Busselen).
« Ainsi furent les Wah 1 » accueille les poèmes de Marie-Claire Bancquart (oh le bel hommage !), de Xavier Frandon, Cyrille Guilbert et Jean-Pierre Eloire : Le froid avait déjà attaqué plusieurs maisons, - picoré nos silhouettes, - basculé un piano dans le ruisseau. La mise en lumière de ces trois derniers poètes est révélatrice de cette revue. Elle offre en partage des voix plurielles et sauve de chacune d’elle l’indispensable et rare singularité. Une large part laissée à la biographie du poète confirme cette volonté de ne jamais sérier l’homme de l’œuvre.
Le « dossier central » est consacré à Georges Henein, La part de sable de l’esprit frappeur, avec des textes de Guy Chambelland, Yves Bonnefoy, Joyce Mansour, Henri Michaux et Sarane Alexandrian, qui précèdent les poèmes de Heneien. « Les poèmes de Georges Henein sont l’expression de la modernité dans ce qu’elle a de plus dramatique : Intelligence et l’impuissance », (Chambelland). « Né d’un désert, il réussissait en toutes circonstances, en tout drame, et contre tous, à garder la part de sable », (Michaux). Des poèmes de Henein présents, je citerai ce vers et lui seul comme une invite à lire ce dossier et relire ce poète : la neige est comme une lettre qu’on a négligé d’ouvrir.
« Ainsi furent les Wah 2 » présente les « poètes surréalistes et l’amour ». Ensuite, Christophe Dauphin présente (à sa belle façon), le « peintre de cœur » Madeleine Novarina, dont on découvrira aussi la poésie. « Une Voix, une œuvre » invite la poète Jasna Samic (née à Sarajevo), après les Inédits des HSE (Jeannine Modlinger). Puis, se lisent les « Pages des HSE ». pulse là le cœur poétique des membres de cette revue. « Avec la moelle des arbres » se découvrent des notes de lecture, non simples recensions, mais authentiques études. « Infos/Echos » est un rubrique originale axée sur l’hommage, la fraternité et, oui, la solidarité. Dans le paysage contemporain de la revue littéraire, Les Hommes sans Epaules est une revue incontournable. Il faut la lire, car le Feu est là porté haut et le lecteur a en retour le beau rôle de le recevoir et de le transmettre. »
Marie-Christine MASSET (in revue Phoenix n°34, novembre 2020).
*
« La revue de Christophe Dauphin est, chaque fois que je la décortique, remplie d’éléments variés qui sont toujours intéressants. Poètes en particulier qui, à titres divers, se révèlent passionnants.
L’édito pour commencer est laissé à Sarane Alexandrian (mort en 2009) avec un texte inédit : « La poésie en jeu ». Il pose justement la question : Doit-on écrire parce qu’on est ému ou écrire pour émouvoir ? Il balaie ensuite en tant que philosophe de la poésie, dadaïsme, élémentarisme et poésie érotique…
Deux porteurs de feu ensuite, singuliers et étonnants : César Moro, né au Pérou en 1903, qui écrira surtout en français. Tendance surréaliste bien entendu, avec des vers sidérants comme ceux-ci : Le prix des allumettes étant vraiment trop élevé / J’ai mis du persil haché sur mes souvenirs… (mort en 1956). Et Roland Busselen, né en 31 à Bruxelles, qui a créé la revue L’VII avec Alain Bosquet, puis la revue B + B. J’ai relevé cette métaphore : …avec le dé à coudre de ma mère / je vide l’encrier de mes souffrances et cette formule digne d’un proverbe : exister c’est toujours parce que / exister ce n’est jamais pourquoi
Est évoquée la disparition de Marie-Claire Bancquart, poète majeure, qui a inventé pour parler de la poésie l’image « braille du vivant ». Elle écrit : La difficulté ne vient pas d’une expression obscure qui épaissirait encore le mystère, mais d’un improbable, que la langue traverse d’une certaine lumière. Xavier Frandon, conseiller pénitentiaire, deux recueils (Citron Gare et Cygne) : spécialiste de rien, compétent sur tout, également : Ceux dont je m’occupe, la vie leur tombe des mains. Jean-Pierre Eloire, travailleur rural toute sa vie, qui n’écrit que depuis peu, rappelant ses travaux durs et pénibles : …la vieille batteuse hivernale / vomissait ses jours sales, […] et toute la campagne se blottit / dans un seul sac de blé.
Le dossier du n°, c’est « Georges Henein, la part de sable de l’esprit frappeur ». En fait, il s’agit de la reprise en grande partie d’un n° de la revue Le Pont de l’Épée de 1981. Et l’on a grand plaisir à relire quelques anciens comme Guy Chambelland qui fait part de son scepticisme de second lecture à propos de ce surréaliste de seconde génération à l’écriture sourde, compacte, étreignante, carcérante où il perçoit à la fois densité et abscondité ; Yves Bonnefoy parle de sa touchante gaucherie entretenue par la générosité dans la maîtrise de soi… Nonchalant seigneur j’ai nommé Georges Henein écrit Joyce Mansour.
C’est Sarane Alexandrian qui dresse la vie de Georges Henein (1914-1973), fils d’un diplomate copte, il passa sa vie entre Le Caire et Paris. Il publie un manifeste en 1935 : « De l’Irréalisme ». Deux ans plus tard, il organise le groupe surréaliste égyptien « art et liberté » dans lequel se trouve aussi l’écrivain Albert Cossery. Il fonde ensuite deux revues : l’Évolution puis la Nouvelle revue. Avant La part de sable : plage où l’on aborde et piste déjà effacée. Il se trouve au secrétariat international du surréalisme. De sa poésie émane beaucoup de sensualité : ...un certain nombre de créatures / incomparablement nues / de la tête au ciel […] jetant sur les épaules des femmes / un manteau de pluie fine / pour les protéger du beau temps… et pour clore cette chute du poème « Une rose entre deux seins » : et son premier émoi en pays étranger / est pareil à l’épi d’où naîtra / le pain de l’enfer
Hervé Delabarre donne une étude sur l’amour et les Surréalistes, avec les deux références majeures que sont Freud et Sade, en se penchant sur des poèmes d’Eluard, Breton, Soupault, Péret, Aragon… Christophe Dauphin s’intéresse à la peinture de Madeleine Novarina, avec ses trois périodes et son travail sur vitraux. Thomas Demoulin a rencontré Jasna Samic qui témoigne et milite à Sarajevo. Janine Modlinger donne de belles proses entre poésie et automne…
Enfin poésie et critiques avec Christophe Dauphin qui rappelle la vie en Algérie de Jean Sénac et son écriture spermatique, assassiné en 1973. Puis Ilarie Voronca et Jean Malrieu… Tombeau ouvert de Jehan Van Langhenhoven après la mort de Jimmy Gladiator, revuiste hors pair avec Le Mélog, Camouflage, la Crécelle noire et j’en oublie…
Encore un numéro plein comme un œuf ! »
Jacques MORIN (cf. la Revue du mois in dechargelarevue.com, 1er mai 2020).
*
Les Hommes sans épaules ne sont pas à proprement parler une revue. C’est une somme, le tour complet d’un horizon déterminé par la thématique ou l’auteur abordés à travers l’élaboration des dossiers trimestriels.
A côté il y a des rubriques récurrentes, qui structurent l’ensemble. Le tout offrent une plongée en général profonde tant elle est riche et pertinente, dans les domaines abordés, ou bien proposent des textes d’auteurs qui y côtoient les rédacteurs appartenant à des domaines disciplinaires variés.
Ces numéros 48 et 49, respectivement du dernier trimestre 2019 et du premier trimestre 2020, sont un bon exemple de la diversité de mise en œuvre de ces volumes toujours importants tant au niveau de leur épaisseur physique que de leur contenu.
Le numéro 48 annonce un dossier Georges Henein, “La part de sable de l’esprit frappeur”. Après un éditorial signé Sarane Alexandrian vient la rubrique “Les porteurs de feu” qui offre pour ce numéro son espace à deux poètes, cette fois-ci César Moro et Roland Busselen, qui sont présentés par un rédacteur, qui varie bien sûr en fonction de l’auteur publié, avant une série de poèmes à découvrir ou à redécouvrir.

Les Hommes sans épaules, n°48, Nouvelle série/second semestre 2019, 307 pages, 17 €.
Encore une ouverture que rien ne contraint, car ces avant-propos offrent juste des clés de lecture, et accompagnent au seuil de la découverte de ce qui est proposé ensuite. Puis les nouvelles rubriques : les “Wah 1“, où sont proposés des poèmes de divers auteurs contemporains, et les “Wah 2“, dans ce numéro une thématique, “Les poètes surréalistes et l’amour”. A côté de ces passages incontournables, d’autres rubriques viennent enrichir l’ensemble, “Les pages des HSE”, et “Avec la moelle des arbres”, où on peut trouver des notes de lecture.
Le numéro 49 obéit au même protocole éditorial, mais son dossier thématique concerne “La poésie brésilienne”. Autant dire une somme, une espace de découvertes et de réflexion, et une ouverture, comme c’est toujours le cas, à des univers bien souvent inconnus, à l’histoire de la Poésie et de la Littérature ailleurs. Les points de vue proposés par différents spécialistes qui encadrent les poèmes et les auteurs présentés, sont didactiques, objectifs et neutres, afin de guider le lecteur sans influencer sa rencontre avec le poète dont il est question.
Les Hommes sans épaules, Cahiers littéraires, sont LE Cahier littéraire, celui dont on ne se sépare que lorsque le trimestre suivant arrive, et qu’alors on peut commencer le nouveau numéro.
Carole MESROBIAN (in www.recoursaupoeme.fr, 6 mai 2020).
*
" Le dossier de ce numéro de la revue dirigée par Christophe Dauphin est consacré à Georges Henein (1914 – 1973). Les HSE fêtent aussi les dix ans, dix ans déjà, de la disparition de Sarane Alexandrian (1927 – 2009), le second grand penseur du surréalisme avec André Breton. Christophe Dauphin a puisé dans les archives de Sarane Alexandrian pour nous proposer en guise d’éditorial un inédit, La poésie en jeu, dont vous trouverez ici cet extrait significatif de l’alliance répétée entre métaphysique et réel par la poésie :
« L’instinct poétique peut ainsi se postuler et se définir comme un produit archétypique de la conscience, universel parce qu’associé à un devenir indéterminé, et phénoménal parce qu’étant de dénouement apodictique d’un recensement inconscient du réel, correspondant à l’interdépendance de l’être et de la réalité extérieure. La poésie s’exerce dans la vie quotidienne. Elle est par excellence l’aliment de la pensée, aussi doit-elle prendre pour thèmes les événements sensibles susceptibles d’émanciper l’homme, de le situer in fieri dans le concret. Ainsi, la poésie est matérialiste ou elle n’est pas. »
Il oppose ainsi la poésie au roman, seul capable de révéler par exemple l’essence de l’acte sexuel, « de créer des mythes érotiques avec le maximum de suggestion ».
Le dossier « Georges Henein » rassemble des contributions de Guy Chambelland, Yves Bonnefoy, Sarane Alexandrian, Henri Michaux, Joyce Mansour et quelques poèmes de Georges Henein ; Georges Henein, que Sarane Alexandrian désigne comme « un homme de qualité » fut l’une des figures les plus intéressantes des avant-gardes. Son œuvre, c’est-à-dire sa vie, s’inscrit dans un double exil, intérieur et extérieur, et une volonté farouche de renversement en puisant dans « un imaginaire absolu » tout en maintenant une activité politique très anti-conformisme.
A la question « Quelles sont les choses que vous souhaitez le plus ? », il répond :
« Arriver à ce point d’extrême pureté où la littérature se substitue à la vie. Car c’est alors et alors seulement, qu’il vaudrait la peine de parler et que les mots auraient un pouvoir et l’être une unité. »
Extrait du poème « Le signe le plus obscur »
« écoutez-moi
la terre est un organe malade
un cri depuis toujours
debout
dans une maison de cendre
le moment de fuir sur place
et d’achever les absents
– il faut scier la vitre
pour rejoindre les loups
entre l’esclandre et la vie partagée
et le cristal rebelle
lavé d’une seule larme
parmi les débris que l’on pousse devant soi
pour se faire précéder de son passé
parmi les êtres fidèles
qui sont la reproduction fidèle
des êtres oubliés… »
Egalement au sommaire du numéro 48 : Les Porteurs de Feu : César Moro par André Coyné, Jorge Najar, Roland Busselen par Christophe Dauphin, poèmes de César Moro et Roland Busselen – Ainsi furent les Wah 1 : Poèmes de Marie-Claire Blancquart, Xavier Frandon, Cyrille Guilbert, Jean-Pierre Eloire – Ainsi furent les Wah 2 : « Les poètes surréalistes et l’Amour », par Hervé Delabarre, Poèmes de Paul Eluard, André Breton, Philippe Soupault, Benjamin Péret, Louis Aragon, Pierre de Massot, Joyce Mansour, Ghérasim Luca – Le peintre de coeur : « Madeleine Novarina, la Fée précieuse », par Christophe Dauphin. Poèmes de Madeleine Novarina – Une voix, une Oeuvre : Jasna SAMIC ou les migrations d’Avesta, par Thomas Demoulin. Poèmes de Jasna Samic – Les inédits des HSE : Dans l’embellie du jour, avec des textes de Janine Modlinger – etc.
Un poème de Madeleine Novarina :
« Ma couleur intérieure »
« Je suis rouge
Les daltoniens me confondent avec la verdure
Plante sans racine marchante
Troène taillé en donzelle
Mur de luzerne découpé en femme
Dressée contre tout et l’ensemble
Je m’oppose verte mas au fond rouge
Très rouge je le répète incroyablement rouge. »
Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, 20 novembre 2019).
*
« Malfaisants, les anges à peau de scaphandriers – descendent de la montagne – ayant pour seules victuailles la tristesse du soir – et le sandwich élémentaire des moissons dévastées. » Jean-Pierre Eloire dans l n°48 de Les Hommes sans Epaules. C’est sa première publication. Il s’est remis à écrire l’an dernier à 68 ans. Enfance dans une ferme isolée dans l’Aube. Vie dure de travailleur manuel : tout ça comme c’est écrit. En attendant des poèmes (d)étonnants. Ce n°48 est franchement orienté surréaliste avec Georges Henein un de ces égyptiens (Joyce Mansour, Albert Cossery, etc.) venus faire les beaux jours de notre littérature bien française (présenté par Sarane Alexandrian) : « une rose entre deux seins – un gant dans la poussière – une femme répondant tour-à-tour à plusieurs noms – dont aucun n’est le sien – il n’en faut pas davantage – pour que s’éveille le voyageur… »
Suit un dossier « Les Poètes surréalistes et l’amour » : tous célèbres et Joyce Mansour, « Je te croyais roux – bouc lippu de ma tendresse » et Gherasim Luca, « entre le nez de tes nerfs et els fées de tes fesses. »
Les Hommes sans Epaules font 300 pages ; donc sans compter celles et ceux que j’oublie, forcément y’a des trucs en plus. Par exemple, des inédits de Marie-Claire Bancquart, « je suis attirée par els choses de rien couleur de légumes tombé sous els étals du marché… odeurs d’un porte-monnaie… » ; Jasna Samic (Bosnie), Janine Modlinger, Roland Busselen (Belgique), « exister comme un croisé », César Moro (Pérou), « Toute recueil de poèmes a été fait par moi d’après un catalogue de plantes : diverses espèces de salades, fleurs douillettes, plates-bandes… » On ne saurait mieux finir cette note.
Christian DEGOUTTE (in revue Verso, 2019).
*
Chaque parution de cette revue fondée par Jean Breton a l’extrême mérite de faire flamber plus haut encore le mot poésie. Tout y est : qualité, fraternité, beauté. Le lecteur lit chaque rubrique avec intérêt. On pourra les énumérer toutes : l’ouverture des HSE 48 reprend en hommage au poète Sarane Alexandrian parti il y a dix ans son texte La poésie en jeu, je vous laisse découvrir, entre autres, ce qu’il définit comme les trois effets poétiques majeurs, une citation cependant pour laisser percevoir la force de l’ensemble : le silence est troublé, le langage est troublant, et de la qualité de ce trouble double dépend l’émotion poétique, plus loin : Mais on sera ému par la création même de l’ émotion, plutôt que par sa nature propre ou par l’objet qui la motive.
Les Porteurs de Feu invitent les poètes César Moro et Roland Busselen à refaire surface. À la présentation, véritable portrait, succède des choix de poèmes révélant la portée de leur œuvre : Je parle (…) de certaines larmes sèches /qui pullulent sur la face des hommes (Moro) Je vois un matin/deux matins/une éternité de matins/où je cherche mon sang d’enfant /au creux des artères de ma mère// Tout ce qui tourne sans l’homme /trouvera sur mes lèvres/le nord de la terre vieillie//Mon nom est imprononçable /que ma mère repose en paix (Busselen).
Ainsi furent les WAH-1 accueille les poèmes de Marie-Claire Bancquart (oh le bel hommage !), de Xavier Frandon, Cyrille Guibert et Jean-Pierre Eloire : Le froid avait déjà attaqué plusieurs maisons, /picoré nos silhouettes, /basculé un piano dans le ruisseau. La mise en lumière de ces trois derniers poètes est révélatrice de cette revue, elle offre en partage des voix plurielles et sauve de chacune d’elle l’indispensable et rare singularité. Une large part laissée à la biographie du poète confirme cette volonté de ne jamais sérier l’homme de l’œuvre.
Le Dossier La part de sable de l’esprit frappeur est consacré à Georges Henein, les textes de Chambelland, Bonnefoy, Mansour, Michaux, Alexandrian précèdent les poèmes de Henein Les poèmes de Georges Henein sont l’expression de la modernité dans ce qu’elle a de plus dramatique : Intelligence et l’impuissance (Chambelland) Né d’un désert, il réussissait en toutes circonstances , en tout drame , et contre tous, à garder la part du sable (Michaux). Des poèmes de Henein présents, je citerai ce vers et lui seul comme une invite à lire ce dossier et relire ce poète la neige est comme une lettre qu’on a négligé d’ouvrir.
Ainsi furent les WAH-2 présente les poètes surréalistes et l’amour, ensuite Christophe Dauphin présente (à sa belle façon)
Le peintre de cœur Madeleine Novarina (on découvrira aussi sa poésie), Une voix, une œuvre invite la poète Jasna Šanic née à Sarajevo, après les Inédits des HSE (Jeanine Modlinger), se lisent les Pages des HSE, pulse là le cœur poétique des membres de cette revue. Avec la moelle des arbres se découvrent des notes de lecture, non simples recensions mais authentiques études.
Infos Echos est une rubrique originale axée sur l’hommage, la fraternité et, oui, la solidarité. Dans le paysage contemporain de la revue littéraire, Les Hommes sans Épaules est une revue incontournable, il faut la lire, car le feu est là porté haut et le lecteur a en retour le beau rôle de le recevoir et de le transmettre.
Marie-Christine MASSET (in revue Phoenix, 2020).
*
À chaque nouveau numéro des HSE, on se demande comment s’y prend Christophe Dauphin pour donner à lire tant et tant de textes originaux, de solides dossiers et d’approches apéritives. Il y a, chez ce revuiste au long cours, une soif de connaître et une volonté de découvrir hors du commun. Le dossier Georges Henein est là pour l’attester. Il met en avant l’œuvre et le parcours de ce « marginal du surréalisme » qu’avaient justement salué Henri Michaux, Yves Bonnefoy ou Joyce Mansour ici présents. On retiendra ensuite un dossier sur « Les poètes surréalistes et l’amour » ainsi que les 13 pages dérangeantes accordées à Xavier Frandon.
Georges CATHALO (cf. « Itinéraires non balisés » in www.terreaciel.net, janvier 2020).
|
|
|
|
Lectures :
Tout ce cinquantième numéro est orienté vers la liberté et la résistance comme si, en cette période, il fallait rappeler que la poésie est toujours une résistance à toutes les formes d’oppression, jamais une collaboration.
Les premières pages rendent hommage à Maria Andueza, personnalité foret et discrète de la scène poétique, compagne de Jean Breton, basque espagnole de la Retirada, retraite des réfugiés espagnols de la guerre civile 1936-1939.
Christophe Dauphin livre un éditorial plein d’une saine colère dite coronavirienne à propos de la mort de Guy Chaty : Qui a tué le poète Guy Chaty ? lance-t-il, cette « femme tousseuse » ? La sous-estimation des risques ? Le mépris des « expériences étrangères » ? Le court-termisme cynique politicien ? Leur incompétence ? L’Etat néolibéral et son inhumanité ? L’hôpital à la carcasse désossée par l’Etat néolibéral ? L’absence de tests, de moyens, de masques ? Marc Bloch nous dit d’outre-tombe (in L’Etrange Défaite, Société des Editions Franc-Tireur, 1946) : « Nous venons de subir une incroyable défaite. A qui la faute ?… A tout le monde en somme, sauf à eux (nos généraux). Quoi que l’on pense des causes profondes du désastre, la cause directe – qui demandera elle-même à être expliquée – fut l’incapacité du commandement. » Et plus loin : « l’épidémie a mis à nu et fait ressortir toutes les impostures de la doctrine libérale ».
Christophe Dauphin propose textes et notices de poètes à l’hôpital. Nous retrouvons Arthur Rimbaud, Antonio Tabucchi, Richard Rognet, Paul Verlaine, Madeleine Riffaud, Henri Michaux, Jean Rousselot, Stanislas Rodanski.
Le dossier est consacré à René Depestre « ou l’odyssée de l’Homme-Rage de vivre ». René Depestre, poète haïtien errant et homme d’exception dont la route serpentine le conduisit auprès de Che Guevara, Fidel Castro, Mao-Tsé-Toung comme aux côtés des poètes et penseurs Blaise Cendrars, Tristan Tzara, Jean-Paul Sartre, Pablo Neruda, André Breton, Léopold Sédar Senghor et tant d’autres.
L’un des aspects les plus intéressants soulevés par Christophe Dauphin à propos de son nomadisme est sa capacité à exiler l’exil : « Je ne suis pourtant pas un homme de l’exil, explique René Depestre ; je ne connais pas l’effondrement existentiel, la perte tragique de soi des exilés de à vie. J’ai pu partout sur mon chemin prendre des racines. Je me suis ajouté les pays de mon nomadisme. Et je ne suis pas désespéré, et j’ai fait de la mondialisation comme Monsieur Jourdain faisait de la prose, sans le savoir ! Comme aurait dit Sartre, j’ai fait de ses antagonismes de l’exil des contradictions fécondes. »
« René Depestre ne s’est jamais considéré en exil, reprend Christophe Dauphin, il n’en a jamais souffert, car, nous dit-il : « J’ai emporté avec moi Jacmel, mon enfance. Je n’ai jamais eu le sentiment d’être un exilé ; je n’ai jamais souffert de l’exil parce que depuis la plus haute Antiquité, il y a une sorte de dolorisme attaché à la notion de l’exil, à la notion de nostalgie, à la notion de saudade au Brésil, en portugais. Moi, je n’ai jamais connu cette sorte de malaise existentiel dû à l’exil, parce que j’emporte avec moi partout où je vais Haïti, mon chez-soi haïtien ; mon chez soi insulaire m’a toujours accompagné, mon natif natal fait partie de mon nomadisme, si je peux dire. »
C’est sur ce socle que René Depestre a développé une poésie puissante et joyeuse pendant « soixante années de création poétique, précise Christophe Dauphin, dont chaque mot a été lavé par la vie, dont le poète est le vaudou-l’arc-en-ciel, avançant à grands pas de diamant ; véritable journal de bord intérieur sur le qui-vive du monde, autobiographie criblée de combats, de rivières et de rêves en crue ; taillée dans la saison des îles du sang poétique, le long d’un itinéraire exceptionnel, qui unit le mythe aux nervures du vécu, des premiers poèmes en colère, au chant dionysiaque et vigoureux des passions caribéennes, avec l’étoile de tous les hommes. »
« Poème ouvert à tous les vents »
Tu as mis une paire d’ailes à ton art
Car tout poète sait quand c’est l’heure
De jeter ses dernières cages à la mer
Et de lever des voiles qui font route vers son identité.
A l’homme à qui on a tout pris : son nom,
Sa patrie, la fable de son enfance,
Le bois de ses souvenirs, sa rage de vivre.
A cet homme à qui on a enlevé ses jambes
Pour qu’il reste à jamais coincé dans ses cris.
A cet homme brisé, fourvoyé dans sa peau.
Je lègue ma fureur et mon bruit, je remets
Une colline que tous les vents traversent
Pour qu’il soit toujours en train de se battre
Et qu’il n’arrête jamais de frapper les papes
Qui vole à la vie ses perles et son orient.
A cet homme que l’horreur infinie du monde
N’a pas encore vaincu, à cet homme dompteur
Des métaux de son sang, géomètre des courbes
Lyriques de la femme, et qui répète que
La vie humaine est la fumée d’un incendie
Dont le nom n’apparaît dans aucun idiome.
A cet homme né sur un ordre du rossignol
Et à qui le feu confie ses bêtes de proie
Je réveille son droit de réinventer l’homme.
Je luis dis : « Suis-moi. Je suis le vieux soleil
Qui émerge de la douleur pour mieux sauter
Dans la vie du siècle et pour combattre
Sa routine et ses malheurs. Viens avec moi,
Homme qui ressemble à l’aventure des flammes
Et des illusions qui protestent dans mes yeux ! »
René DEPESTRE
Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, 2 août 2020).
*
« Les poètes d’Europe ont cessé de chanter – Ils ont fait de l’écriture un tremplin – D’où ils lancent des papillons de cirque – Sans aucun secret dessiné sur leurs ailes. » René Depestre, c’est le grand invité du n°50 des Hommes sans Epaules. Christophe dauphin lui consacre une étude, « poète haïtien, poète français, universel, nomade enraciné, homme banyan, métissé, solaire et souriant ». Faut dire qu’il en a rencontré du monde, Depestre : on le voit en photo auprès de Mao-Tse-Toung, de Neruda, de Césaire, de Guevara…
L’autre grand invité, c’est le Suisse Pierre-Alain Tâche : « J’ai glissé dans mon sac une offrande – un caillou rond qu’il me faudra jeter – plus loin, pour témoigner de mon passage – (Et c’est bien plus que des pierres en tas – peut-être une grappe offerte au seigneur – à sa vendange ultime, au jour qu’il a fixé… »
Dans ce numéro itou, un gros dossier (inspiré par le covid ?) sur les poètes à l’hôpital : Rimbaud, Verlaine, Artaud, Yves martin, Michel Merlen, Madeleine Riffaud, Henri Michaux, etc. avec des textes des susnommés ou celui d’Alain Morin : « En ce lieu – les hommes brouillent l’air – ou se rassemblent – On est seul – à manger l’espace – qui a le goût de panade – Le temps est un cadavre – que l’on n’enterre pas ».
Remarquable aussi la série d poèmes du camerounais Kouam Tawa : « On cherche – le buffle – sans trouver le buffle - On trouve - le buffle – sans saisir le buffle – On danse - la danse – des mangeurs de poussière ».
Christian Viguié : « Je ne sais pas qui je suis – mais il y a ton nom que je murmure – comme s’il a avait un autre air à respirer… »
Philippe Monneveux, Jean-Pierre Otte et Béatrice Pailler : « Je suis ongle – tu es papillon – Tes paupières – Je les vole – Tes lèvres – Je les vole – Tu es papillon – Je suis bec – Couteau sur ton abdomen… »
Plein d’autres choses comme l’annonce de la mort de la poète grecque Kiki Dimoula : « Ta démission est acceptée – Dommage – Tu avais tant à perdre encore ici.
Et de nombreuses critiques. »
Christian DEGOUTTE (in revue Verso, 2020).
|
|
|