Dans la presse

 

Tri par numéro de revue
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2016 - A propos du numéro 42 :

"Le dossier central de la livraison des HSE 42 (forte de plus de 320 pages) est consacré à Claude Pélieu, par Pierre Joris et Alain Brissiaud.

Claude Pélieu est né en 1934 en France. Trois ans en Algérie dans les Bat d’Af. Part en 1963, avec Mary Beach, aux Etats-Unis où il résidera, malgré quelques retours en France (en 1968 à Paris, et en 92-93 à Caen), jusqu’à sa mort en 2002. Une dague orageuse explose entre les sourcils du sexe. Il fut le seul représentant français de la beat generation, adepte du cut-up et auteur de nombreux collages la lune incandescente isocèle la conscience et hurle comme un moteur mal aimé. Une trentaine de pages de son œuvre, comprenant près de cinquante recueils, est donnée pour sonder sa poésie si particulière et cette définition : Ecrire la poésie, c’est plonger dans l’inconnu, et marcher, marcher, pour oublier les crimes crapuleux des mots et la mémoire mouvante. Des poèmes de Jack Kerouac, Julian Beck, Allen Ginsberg, Carl Solomon, Ed Sanders, Pierre Joris et Bruno Sourdin suivent « autour de Claude Pélieu ». Avant un ensemble consacré à Allen Ginsberg, avec un texte écrit par Pélieu pour son soixantième anniversaire La poésie de Ginsberg est toujours hors-champ, en marge, dehors et une étude de Christophe Dauphin sur « le poète-Amérique ». L’auteur de Howl se joindra dans les années soixante au mouvement hippie et deviendra un symbole de l’opposition à la guerre du Vietnam. Le chef de file de la beat generation restera avant tout comme un grand mystique. Il disparaît à l’âge de 70 ans. D’autres auteurs du même mouvement sont également présentés dans ce n° comme Lawrence Ferlinghetti, Gregory Corso, le célèbre auteur de « Bomb », Bob Kaufman et aussi Vim Karénine…

Mis à part ça, Christophe Dauphin donne un édito très engagé sur la religion, où il s’appuie sur des prises de position de Talisma Nasreen et Adonis. A la suite de quoi, il rend un chaleureux hommage à Yves Bonnefoy sous l’angle de sa perception du surréalisme et cette citation : Yves Bonnefoy retient que la poésie n’est pas un discours orné […] mais qu’elle est comme une langue étrangère à l’intérieur de la langue, et par laquelle l’individu fait une expérience particulière, une mise à l’épreuve de soi-même…

Mis à part ça, deux poètes sont mis en avant dans cette livraison : l’Allemand Hans Magnus Enzensberger (né en 1929 en Bavière): à Jerez on échange des baisers pour deux fois cinq dents Avec une poésie engagée et questionnante tendez vos pommes d’Adam à mes morsures de Judas et des textes drus et longs et captivants Ne manquez pas d’acheter des cercueils climatisés avec chasse d’eau. Et le poète hollandais Cees Nooteboom (né en 1933 à La Haye) qui manqua de devenir moine avant de parcourir le monde, du Surinam au Japon: Je suis, telle une flèche, / tendu vers le lointain / mais dans le lointain / je ne suis / rien.

Mis à part ça, une étude brillante de l’œuvre de Colette Klein par Gérard Cléry qui éclaire son parcours recueil après recueil. J’allais éclore / mais le feu a repeint la vie / et ses doigts de dentelle / m’ont écrasé / sans bruit… Elle n’apprend qu’à trente ans qu’elle est juive. Elle sera la compagne de Pierre Esperbé et travailla avec lui autour de la revue Phréatique. La peur a mis son corsage d’oiseaux / comme si la nuit / devait en mourir.Tous ses récents recueils sont édités chez Alain-Lucien Benoît.

Mis à part ça, une promenade avec Roger Vailland l’infréquentable par Jehan Van Langhenhoven. Des textes aussi de Jacqueline Lalande, Yves Boutroue : le sang las / dans le fracas des veines, Frédéric Tison… et Samaël Steiner.

Mis à part ça, un dossier consacré à l’incroyable auteur de happenings Pierre Pinoncelli. Avec un entretien de Virgile Novarina qui prépare un film sur lui par Marie-Françoise Dubromel. Pierre Pinoncelli, né en 1929 termine son préambule de présentation ainsi : s’efforcer d’être GROTESQUE pour empêcher la vie de se coaguler dans le sérieux, le bon goût, et l’esthétisme. Il dit par ailleurs : Le happening, pour moi, c’est l’immaturité volontaire, c’est la fidélité à l’enfance… C’est une rallonge mise à la jeunesse. Je cite quelques exemples retentissants de ses actions : un hold-up à la SG de Nice (jumelée avec le ville du Cap en 75 lors de l’apartheid), l’aspersion d’André Malraux à la peinture rouge lors de l’inauguration du musée Chagall à Nice en 1969, entre autres… et bien sûr, les trois attentats contre l’urinoir de Duchamp, une fois en urinant dedans (Ready-made réciproque), et deux fois en le cassant avec un marteau. Enfin en 2002, il se mutile un petit doigt pour protester contre les Farc en Colombie… Incroyable personnage !

Mis à part ça… le numéro est tellement plein comme un œuf et riche à la lecture qu’il mérite largement d’être la revue du mois !!! »

Jacques MORIN (cf. La revue du mois in dechargelarevue.com, 5 novembre 2016).

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" Voici un numéro très Beat puisqu’une bonne partie de cette nouvelle livraison des HSE célèbre les poètes de la Beat Generation : Claude Pélieu, Gregory Corso, Bob Kaufman, Lawrence Ferlinghetti, Allen Ginsberg… L’hommage commence avec l’éditorial de Christophe Dauphin : « Hier comme aujourd’hui, le monde a besoin de gens comme les beats, révoltés éblouis et pacifiques, clochards célestes, poètes hallucinés, étrangers au formatage généralisé de la société cybernétique. Davantage qu’une pratique d’un mode d’écriture ou d’un langage novateur, la Beat generation est un mode de vie contestataire, une révolte qui en appelle à la recherche d’autres espaces mentaux et géographiques, d’autres expériences où s’effaceraient les frontières (entre les gens comme entre les arts), la misère initiale, l’image d’une Amérique repliée sur elle-même. Les artistes de la Beat generation aspirent à devenir selon la formule d’Allen Ginsberg : « des vagabonds de la nuit, intelligents et melvilléens ». (…)La mystique poétique et lunaire des beats est bien loin de la religion telle qu’elle pollue encore et toujours notre atmosphère. Les poètes ont leur mot à dire sur le sujet. Pourquoi ? Parce que « le poète est celui qui transgresse pour notre compte la règle de l’accoutumance », nous dit Saint-John Perse. »

Le dossier Beat se révèle très actuel des deux côtés de l’Atlantique, entre la tentation populiste des USA et le faux débat laïcité/religion de la France. Christophe Dauphin en appelle à Abdellatif Laâbi pour redire ce qu’est ou devrait être la laïcité, contre tous les obscurantismes, y compris athées.

Le dossier, établi par Pierre Joris et Alain Brissiaud est consacré à Claude Pélieu, l’un des maîtres du cut-up, mais pas seulement, pour nous offrir une œuvre forte et réellement originale, toujours à découvrir. Le dossier, sans faire le tour d’un personnage complexe et nécessairement insaisissable, livre plusieurs facettes talentueuses de l’homme et de sa création, souvent dévastatrice.


Soupe de lézard


Odeur de bois vert.

Je rêve dans les prés bleutés de mon enfance.

 

Odeur de bois vert.

Les prés bleus de mon enfance.

Photos fanées d’une merveilleuse banalité

Salade de fruits, biscuits, piquette, violettes, boutons d’or. Derrière ces murs les haillons pourris de la « creative writing », les cerveaux morts des profs secoués de tics – plaques d’égouts fumantes – tout sombre dans les sargasses de crème fouettée. D’un côté poésie, de l’autre rien, moins que rien.

Les empires sur lesquels le soleil ne se couchait jamais. Je rêve. Temps doux. Début d’hiver sans neige. Le parfum des fougères toujours tenace.

Eventails de couleur disparaissant derrière les trembles & les peupliers.

La rivière ne fait guère de bruit, gardienne de tous les secrets.

Nuages orchestrant cette féerie.

Vrai, nous sommes du chromo, de la croûte.

L’herbe bleue recouvre tout ce qui germe.

Abeilles. Alouettes dans les blés d’automne.

La chasse est ouverte. Echos tristes au fond des canyons & des gorges touffues, silence dans la Sierra, le monde a un goût de cendre.

Tout est vendu. Invisibles dangers. Nuages plaqués contre le ciel pierreux. On dirait une peinture de Magritte.

Fantômes tombés du firmament.

Le sablier de l’éternité tout de leurs spectacles. 

 

Ce numéro, au sommaire remarquablement riche, introduit le lecteur à la Beat generation en évitant les nostalgies rêveuses et tardives, en quête d’une tension créatrice libérée des contractions de la médiocratie."

Rémy BOYER (in incoherism.wordpress.com, 29 septembre 2016)

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" Cette revue nous a habitués à de copieuses livraisons semestrielles et celle-ci ne déroge pas à la règle que se sont fixés Christophe Dauphin et son équipe rédactionnelle. Ici, dès l’éditorial, les prises de position sont clairement affirmées dans la lignée d’un humanisme à la fois tolérant et intransigeant. Si par exemple l’on rend un hommage mérité à Yves Bonnefoy, c’est pour en circonscrire l’œuvre féconde et non pour ajouter une voix louangeuse supplémentaire au concert posthume.

On lira tout d’abord les textes percutants des « porteurs de feu » que sont l’Allemand Hans Magnus Enzensberger et le Hollandais Cees Nooteboom qui n’usurpent pas ce titre.

Claude Pélieu a droit à un dossier-hommage présenté par deux spécialistes de la beat génération, avec, encadrant le dossier, les écrits de 14 poètes très divers ; cela va des Américains Gregory Corso, Bob Kaufman et Lawrence Ferlinghetti aux Français Gérard Cléry, Vim Karénine et Frédéric Tison sans oublier Odile Cohen-Abbas, Jacqueline Lalande et Martine Callu.

On lira encore un long entretien avec Virgile Novarina qui permet de redécouvrir l’itinéraire artistique du provocateur Pierre Pinoncelli ainsi que d’autres volets qu’il serait trop long de présenter. Pages libres et notes de lecture complètent ce numéro d’une grande qualité littéraire et surtout d’une parfaite cohérence dans les choix éditoriaux. "

Georges CATHALO (cf. "Lecture flash", in revue-texture.fr, octobre 2016).

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" Recevoir la revue Les HSE est toujours la promesse jamais démentie de découvrir des  lectures variées et consistantes. Cette fois encore, avec sonnuméro 42, la revue semestrielle tient ses promesses (et sa fonction  de revue). Il me sera difficile de faire ici le tour de son sommaire foisonnant.

J’ai particulièrement apprécié, sans réserve, le long éditorial de Christophe Dauphin, préambule d’un texte inédit à paraître. Une parole claire et lucide, sans les lâches circonvolutions d’usage, sans démagogie ni  oeillères, où il aborde la question des religions qui occupe l’espace public, « pollue encore et toujours notre atmosphère », quand celles-ci se prennent pour des sciences exactes. Empruntant le titre de son édito à Artaud, il rappelle le bien-fondé de la laïcité, s’appuyant sur les écrivains et penseurs les plus pertinents (et les plus exposés à la vindicte ambiante du moment et à l’ignorance de nos soi-disant élites intellectuelles et politiques) : Gérard Biard (qui se demande si on a le droit aujourd’hui de ne pas croire en Dieu), Taslima Nasreen condamnée à mort par les islamistes, les poètes Abdellatif Laâbi, Adonis et Saadi Youssef.

Le dossier principal, très exhaustif,  fait retour sur la Beat Generation avec une partie consacrée à  Claude Pélieu, deux études sur Allen Ginsberg et un choix de  poèmes de Lawrence Ferlinghetti, Gregory Corso, Bob Kaufman, poètes parmi les moins connus de la Beat Generation.

Dans les autres pages, un hommage à Yves Bonnefoy par Christophe Dauphin, un dossier éclairé sur Colette Klein par Gérard Cléry, de nombreux poèmes dont ceux de Serge NúñezTolin, Gérard Cléry et Alain Brissiaud. "

Marie-Josée CHRISTIEN (in Spered Gouez n°22, novembre 2016).

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"Avec Les Hommes sans Epaules n°42, qui contient des hommages à des talents récemment disparus, la poésie redevient encyclopédique et ouverte aussi bien au cher surréalisme de Christophe Dauphin, qu'a bien d'autres poètes.

Je saute des uns à d'autres, comme si c'était fait intentionnellement, alors que je sais depuis longtemps, que comme chez nous, le hasard contribue plus que les choix, à toutes les découvertes possibles. Comme toutes les poésies et tous les arts, admirés ou méprisés, sinon haïs parfois, alors que de génération en génération, si peu d'ordre demeure intact et tant de bons disparaissent de nos mémoires et tant de faiblards d'une époque passée, reviennent aux avant-plans, après un souvent très long oubli.

Dans la même revue, datée du second semestre 2016, l'éditorial ressemble à une grande et nouvelle Histoire des univers littéraires, que l'on soit jeune lecteur ou poète, que l'on revienne à des langues tristement abandonnées, à de beaux jeux anciens ou que l'on découvre du neuf. J'ai compris le plaisir d'accepter toutes les natures poétiques, toutes les langues heureuses et même, plus rarement cependant, les simples mais bonnes volontés. Ce qui m'a surpris, c'est qu'il ne s'agit que du début d'un texte plus long, mais aussi que les sujets (car il y en a plusieurs, surtout contradictoires) concernent (ou plutôt ne concernent pas) sous un long titre pas très facile à interprêter: "Le Poète n'admet pas que l'on fonde une religion sur ses vertèbres ou son cerveau"; comme s'il était question des deux mots qui apparaissent le plus souvent, religion et laïcité, pour réfléchir et citer des personnages qui ne pensent qu'à cela. Par exemple, le sage Abdellatif Laâbi (que j'ai publié déjà il y a longtemps), Claude Pélieu, les plus classiques Allen Ginsberg, Adonis, Lawrence Ferlinghetti, que je ne connaissais pas, et surtout Taslima Nasreen, dont il est question en fait, dans toute la suite du texte et qui fait comprendre l'inidspensable laïcité que Dauphin expliquera plus avant dans la suite, passant alors de l'antisémitisme à l'islamophobie et à des tas d'autres notions expliquées clairement et auxquelles il sera utile de revenir.

Pour moi, trois mots suffisent: religion(s), réligiosité et irreligion. Ils me semblent remplacer tous les autres, que je ne vois que comme des sortes de synonymes où demeure la racine initiale, due aux sources simplement anthropologiques des premiers vivants presque devenus humains. Un drame dans le même numéro est la présence de trop nombreux disparus, dont la célébritée passée me fait penser à mes lectures déjà anciennes ou récentes si ce sont de plus jeunes. Je ne parviens que difficilement à dater tous ces morts, dont il faut et surtout faudra se souvenir parce que l'histoire littéraire et artistique supporte mal les dates.

Il est évident pour moi et pour la revue Les HSE, que la vérité est dans les textes, et l'imposante revue de Christophe Dauphin, est tellement nourrie de différences, que les quelques réputations qu'on lui a faites me semblent bien plus encyclopédiques qu'anthologiques aux sens anciens du terme, mais selon moi, plus encore d'Histoire que de littérature(s), tant le lecteur se sent construit, sinon reconstruit, par l'univers du revuiste."

Paul VAN MELLE (cf. "A tous mes échos" in Inédit-Nouveau n°281, La Hulpe, Belgique, octobre 2016).




2017 - A propos du numéro 43 :

" La dernière livraison des Hommes sans Epaules, comme les précédentes, comporte de nombreuses études, des poèmes, des notes de lecture. L’éditorial, signé par Yves Bonnefoy, récemment disparu, intitulé La poésie n’est pas un dire mais un déblaiement, une instauration, définit avec force le but, les pouvoirs de la poésie : « Continuer d’espérer, vaille que vaille. Continuer de penser que l’arbre et le chemin sont si beaux dans la lumière du soir que ce ne peut être pour rien, et que nous avons toujours la tâche de les montrer, dans leur évidence. » Belle profession de foi de la part d’un de nos plus grands défenseurs de la poésie, d’un de nos meilleurs poètes.

La rubrique Les porteurs de feu est consacrée à Ounsi El Hage, poète arabe, présenté par Christophe Dauphin et tandis que Paul Farellier rend hommage à Jean-Paul Hameury, poète, essayiste, nouvelliste, décédé en 2009.

Dans les rubriques suivantes on peut lire, entre autres poèmes, ceux de Jean Pérol, d’Olga Vassileva, de Joachim Arthuys, de Louis Peccoud.

Paul Farellier consacre une étude, Le poème pour condition, qui est proche d’un essai, à l’un de nos poètes les plus représentatifs de sa génération : Lionel Ray. Cette étude chronologique permet de suivre l’itinéraire de Lionel Ray dès « Partout ici même » ( Gallimard, 1978 ) qui est « un livre inaugural » et Paul Farellier d’étudier la structure de cette écriture, la thématique en germe dans ce livre. Poète lyrique, Lionel Ray est hanté par l’absence, dans « Matière de nuit » ( Gallimard, 2004 ), par exemple, par le temps, dont la présence s’affirme dans « Syllabe de sable » (Gallimard, 1996 ), sans oublier la présence de l’amour, ce que Paul Farellier nomme les « iles amoureuses » ni celle qui lui fait écho : la mort, dans « Le Nom perdu » (Gallimard,1987 ). Cette étude d’une grande densité permet de mettre en lumière les différents aspects de la poésie de Lionel Ray, de le suivre dans son cheminement poétique qui est celui d’un homme en quête de vérité et de lucidité.

Dans la rubrique Une voix, une œuvre, Christophe Dauphin présente Taslima Nasreen, poète bengali dont la tête fut mise à prix dans son pays en raison de ses écrits, de son soutien apporté aux victimes de Charlie Hebdo. On peut lire quelques poèmes de cette femme militante dont l’œuvre comprend poèmes, romans, récits publiés en France chez différents éditeurs.

Il faut aussi mentionner, outre les nombreuses notes de lecture des Portraits éclairs, ceux de Christophe Dauphin et de Réginald Gaillard par Pierrick de Chermont et de Jean-Louis Bernard par Michel Passelergue. Pour terminer cette livraison propose de nombreux textes et poèmes de plusieurs auteurs dont Frédéric Tison, Paul Eluard, Michel Butor, Gérard Cléry, Nanos Valaoritis et bien d’autres.

Les Hommes sans Epaules constituent une source créatrice et poétique dont on ne saurait négliger l’importance et la diversité des propos, la qualité des différentes rubriques et celle des textes choisis."  

Max ALHAU (cf. "Chemins de lectures" in revue-texture.fr, mars 2017).

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" Ce quarante-troisième Cahier Littéraire des HSE est consacré à Lionel Ray. Le dossier établi par Paul Farellier est accompagné de poèmes inédits. C’est au début des années 70 que Lionel Ray abandonne le nom de Robert Lohro pour marquer une rupture dans son cheminement et son œuvre poétiques. C’est une période de dissidence, de déconstruction, « celle aussi, nous dit Paul Farellier, d’un totalitarisme linguistique où le poème aura bientôt peine à trouver sa respiration. Mais, trop vrai poète, l’homme auquel nous avons affaire pouvait-il se démettre longtemps de sa liberté ? »

Cette première rupture en annonce une autre, dix ans plus tard, une « métamorphose » qu’il décrira lui-même :

« Alors j’ai décidé, faisant table rase de mes fausses terreurs comme de tout terrorisme linguistico-théorique, de saisir la coïncidence la plus exacte possible entre écrire et vivre, et comme l’un de l’autre se fortifie, d’interroger cette rencontre de l’événement, du regard et du poème. »

Remarquons que cette métanoïa créatrice échappe ici à toute posture.

« Le poème, chez Lionel Ray, nous dit encore Paul Farellier, n’est jamais le déversoir d’une plénitude ; il vient en contrepoint d’un manque, comme la marque d’un dénuement qui obligerait le poète à se jeter dans l’espace verbal. »

Des ruptures au sein de l’apparaître émane toutefois une permanence qui fait du temps une matière à travailler par le langage autant que le temps pétrit la langue.

Dans l’éditorial d’Yves Bonnefoy, disparu le 1erjuillet 2016, éditorial intitulé La poésie n’est pas un dire, mais un déblaiement, une instauration, nous lisons ceci :

« La poésie ? Ce n’est pas ajouter des livres à d’autres, sur des rayons de bibliothèque, pour faire avec eux une littérature, et son histoire, et de la culture, autrement dit de la mort, non, c’est tenter de rendre aux mots la pleine mémoire de ce qu’ils nomment : ces choses simples qui sont de l’infini, de la vie, quand on les perçoit dans leur immédiateté, mais que notre discours conceptualisé, tout analytique, remplace par ses schèmes, ses abstractions. (…)

D’où l’intérêt qu’il y a, pour qui se soucie de la poésie, à écouter les questions qui lui sont posées, c’est une occasion de prendre conscience de ce qui, dans sa réflexion ou même au plus intime de son existence de chaque jour, veut lui faire oublier ce devoir de lucidité, c’est-à-dire abandonner sa grande espérance. »

Rémy BOYER (in incoherism.wordpress.com, avril 2017).

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"Les Hommes sans Epaules nous livrent leur 43ème cahier littéraire, un volume, lui aussi, copieux, avec quelques trois cents pages et quelques plats de résistance(s). Ainsi l'éditorial, La poésie n'est pas un dire, mais un déblaiement, une instauration, est-il signé par Yves Bonnefoy, disparu le 1er juillet 2016. Il s'agit en fait d'extraits d'entretiens et de correspondances avec le poète. Je citerai en vrac quelques fragments qui nous aident, j'en suis convaincu, à vivre le mieux et le plus justement possible, non pas en poète, mais en poésie : La poésie ? Ce n'est pas ajouter des livres à d'autres... c’est tenter de rendre aux mots la pleine mémoire de ce qu’ils nomment : ces choses simples qui sont de l’infini, de la vie, quand on les perçoit dans leur immédiateté, mais que notre discours conceptualisé, tout analytique, remplace par ses schèmes, ses abstractions.... La poésie tend à déconstruire les mythes qui l'entravent.

Au sommaire d'une revue qui se doit d'être conservée en bibliothèque, une belle étude consacrée à l'oeuvre de Lionel Ray par Paul Farellier (j'y reviendrai dans le prochain numéro pour évoquer son dernier livre paru, Souvenirs de la maison du temps, Gallimard, 2017), mais en voici déjà un bref extrait : Peut-être aurait-il fallu s'ouvrir à la violence - Des chemins, retrouver un père - Haut comme le jour ... - Qu'avons-nous fait de tout ce temps - Qui nous semblait inépuisable - De tant de flammes de portes vives et d'attente ?

Il y a tout, ou presque, à lire dans Les Hommes sans Epaules, il y en aura donc pouir toutes les faims, toutes les soifs. Peut-être vous citer encore le texte de Frédéric Tison et sa méditation sur Hölderlin, les poèmes de Taslima Nasreen, poète Bengali, les poèmes de Joachim Arthuys et bien évidemment ceux de Jean Pérol... Il faut manger le tout !"

Yves NAMUR (in Le Journal des poètes n°3, septembre 2017, Châtelineau, Belgique).

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" C'est l'un des revues les plus copieuses, appréhendant par ses nombreux dossiers et ses études la diversité de la poésie actuelle. Introduit par un décapant texte d'Yves Bonnefoy sur la poésie qui "tente de rendre aux mots la pleine mémoire de ce qu'ils nomment", des dossiers sur Lionel Ray, poète parmi ceux qui comptent aujourd'hui et sur la poète bengali Taslima Nasreen."

Marie-Josée CHRISTIEN (in Spered Gouez n°23, novembre 2017).




A propos du numéro

"La revue Les HSE est pleine comme un œuf. Son sommaire court et sur la première et sur la quatrième de couverture. Avant l’éditorial, signé Yves Bonnefoy, - excusez du peu -, avec son discours (inédit) de Guadalajara où il parle superbement de la poésie, des langues entre elles, et en l’occurrence de l’espagnol et de ses affinités avec les poètes mexicains, un communiqué pour prendre date à propos de Charlie et du massacre de ces héros pour la liberté.

D’abord Lucien Becker, grand poète de l’amour charnel, comme l’évoque Christophe Dauphin. Né et mort en Lorraine (1911-1984). Commissaire de police à Marseille, je note qu’il a pris sa retraite à Lalande dans l’Yonne (entre 1968 et 83). La main de l’homme n’est vraiment vivante / que quand elle s’enfonce entre deux cuisses / pour y chercher un sexe / qui se laisse découvrir comme un fruit dans l’herbe.  Puis Claude Vigée, poète alsacien, né en 1921, haute figure de la poésie française : Mais demain je devrai lutter sans défaillir / contre les mites voraces, aux fines ailes soyeuses, / qui mangent nuit et jour, tout au fond de l’armoire, / la douce laine de la mémoire.

Derek Walcott, poète antillais de langue anglaise, Prix Nobel de littérature 1992 : dans le jour du seuil : point de Niké dénouant sa sandale, / mais une fille frottant le sable de ses pieds, une main sur le chambranle. Annie Salager, Prix Mallarmé 2011 : dans un chêne multicentenaire / des cigales à ressasser sans discrétion / la seigneurie du soleil… Jean-Louis Bernard, Alain Brissiaud, Denis Wetterwald...

Le gros dossier, c’est Alain Borne, centenaire de la naissance du « grand solitaire ». Né en 1915, mort dans un accident de voiture en 1962. Il fut avocat à Montélimar. Ce fut un grand poète de la Résistance qui refusa la vie littéraire parisienne, et un grand poète de l’amour. Christophe Dauphin, qui présente le poète, associe son nom à ceux d’Aragon, Pierre Seghers, Pierre Emmanuel dans le premier cas et ceux de Paul Eluard, Marc Patin et Lucien Becker dans le second. Henri Rode qui fut son ami pendant l’Occupation le décrit ainsi : avec la mélancolie un peu hautaine qu’il dégageait … la présence séduisante, la réserve un peu sombre … Impénétrabilité bourgeoise … chevalerie provinciale… grand archange triste et conclut par : l’énigme Borne. Le choix de textes qui suit met bien en avant le poète de l’amour : Je vais t’aimer / je vais ne plus rien vouloir / dans mes yeux que ton visage … Mais mon désir de toi / est une nébuleuse / où je trie déjà des étoiles neuves… Il faut bien que je tombe / adorer tes genoux / et toucher la tiédeur scandaleuse / de ce nid de soleils. Mais il achève un autre poème par cette clausule : C’est contre la mort que j’écris. Ses poèmes à la fin sur la tauromachie renouvellent joliment sa thématique.

Pour suivre Yusef Komunyakaa, poète né en 1947 en Louisiane. Il a pris le nom de son grand-père, venu de Trinidad. Il a connu la discrimination raciale, la lutte avec Martin Luther King, la guerre du Viet Nam où les Noirs enrôlés furent majoritaires. « La langue est devenue une addiction ». Il obtient en 1980 une maîtrise d’Écriture poétique, et devient un universitaire réputé. « La poésie me permet de comprendre qui je suis … j’ai besoin d’embrasser le mystère afin d’être tout à fait humain ». Extrait de "Tunnels" : A travers des poux / argentés, de la merde, des vers & un relent de peste, / il avance, le bon soldat, / sur les mains & les genoux, perçant un tunnel à côté / de la mort plaquée dans un coin aveugle, / amoureux du poids du fusil / qui un jour creusera sa tombe.
Jean Pérol, enfin. Né en 1932. Vingt ans au Japon. « L’art est un immense combat contre la bêtise » ; Il donne des inédits, avec le titre à la fin. J’ai décidé de ne plus revenir sur mes pas / j’ai décidé de suivre le premier chemin qui s’ouvrira devant moi / il me mènera à ma mort comme il veut / il faut s’attendre à être seul…

Une forte livraison de 300 pages. Et encore je n’ai pas été tout à fait exhaustif ! J’ai omis l’étude de Monique W. Labidoire sur André Prodhomme, le fort cahier critique ou les incises de Joyce Mansour... Toujours une sacrée performance !"

Jacques MORIN (cf. "La revue du mois" in dechargelarevue.com, 2 avril 2015).

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« La revue dirigée par Christophe Dauphin débute ce numéro par un Communiqué de la revue sur le drame de Charlie Hebdo. Intitulé A Charlie et aux autres, l’équipe des HSE ne tombe pas dans le piège multimédiatique et politique du consensus de circonstance autour de Charlie. Plutôt que d’être de nouveau Charlie trop tard, la revue appelle à défendre la liberté et les libertés d’instant en instant sans faire la moindre concession aux lobbies et aux diplomaties, souterraines ou non.
En guise d’éditorial, le lecteur trouvera le discours d’Yves Bonnefoy prononcé à Guadalajara en 2013 à l’occasion de la remise du Premio Fil 2013 de littérature en langues romanes. Ce texte inédit insiste sur la poésie de la langue, notamment espagnole et de la puissance du mot comme évocation de l’expérience sensorielle. Tout comme Georges Steiner, il pense que Babel est une chance, que la multiplicité des langues est une richesse infinie malgré la difficulté immense de la traduction.
Deux poètes sont largement présentés, Lucien Becker et Claude Vigée, un poète de la blessure et un poète de l’exil. Pour Lucien Becker, un poète « est simplement un être qui a le sens aigu de tout ce qu’une existence humaine peut comporter de poignant, de tragique, de résolument invivable ». Pour ces deux poètes, le poème apparaît comme une réponse à la blessure, à l’exil, à la mort. Claude Vigée distingue avec beaucoup de pertinence les fonctions, du cœur, de l’œil et de la parole : « la parole véritable surgit dans la langue à travers l’acte de l’œil et l’acte du cœur. Parce que l’œil capte le monde, non seulement reçoit le monde en nous mais nous permet également de nous donner au monde, de nous abandonner puis de nous recevoir de nouveau. Et c’est ensuite, plus tard seulement, que cette parole de vie, ce jaillissement, – à double mouvement vers le monde et à partir du monde, dans nos profondeurs, que la parole parlée, comme la nature naturée chez Spinoza, doit être proférée. »
Le dossier de numéro 39 est consacré à Alain Borne : « c’est contre la mort que j’écris ! ». Alain Borne (1915 -1962) se présente comme un poète de l’amour, thème essentiel de son œuvre avec la mort, œuvre dans laquelle la femme, « à la fois vitre et miroir face au monde » suggère Christophe Dauphin, est médiatrice mais aussi initiatrice.
Autre poète à découvrir dans ce numéro, Yusef Komunyakaa, de son vrai nom James William Brown junior, poète new-yorkais qui est né en 1947 à Bogalusa, ville étatsunienne ordinaire de l’époque, c’est-à-dire structurée par le racisme, les discriminations et les haines. Marqué par cette enfance puis par la guerre du Vietnam, Yusef Komunyakaa va devenir l’un des poètes les plus remarquables des Etats-Unis. Bien que Les HSE publient depuis 1992 des poèmes de Yusef Komunyakaa, son œuvre, essentielle, n’est toujours pas traduite en français. »

Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, 15 avril 2015).

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"Les Hommes sans Epaules, c'est une des revues majeures de notre temps, par son volume, mais aussi par la qualité de ses intervenants. Pensez donc un dossier Alain Borne, poèmes choisis et présentés par Christophe Dauphin, textes de Guy Chambelland et Henri Rode. On retrouve aussi Jean Chatard. On est séduit par ses mots, ses vers, sa musique unique et jusqu'à des aphorismes fulgurants. Jean Chatard, pour moi un des grands poètes de notre époque, on le découvrira."

Jean-Pierre LESIEUR (in Comme en poésie n°62, juin 2015).

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" Quelle revue, autre que celle-ci, pourrait se flatter d’ouvrir ses pages sur un éditorial d’Yves Bonnefoy ? Il s’agit ici d’un texte inédit qui reprend un éblouissant discours prononcé à Guadalajara au Mexique lors de la remise d’un Prix de poésie en 2013. Ce texte, d’une très haute tenue, parle entre autres choses des filiations langagières et du rôle capital que va jouer la poésie dans un monde de plus en plus déshumanisé.
Le sommaire de ce N°39 se hisse à la hauteur de cette magistrale impulsion avec d’importants dossiers consacrés à de grands poètes disparus comme Lucien Beckersur une vingtaine de pages ou Alain Borne sur une centaine de pages. Il est encourageant de voir que les jeunes générations entretiennent la flamme de ces poètes disparus dont l’écriture est d’une troublante actualité.
Que dire encore de cette livraison si ce n’est que c’est une mine d’une richesse prodigieuse et qu’il impossible de citer tous les dossiers composés et tous les poètes présentés. Les Hommes sans épaules ouvrent des espaces de lecture, créent des ponts entre les générations et donnent à lire des poètes du monde entier comme le Prix Nobel 1992 Derek Walcott et d’autres, hexagonaux, comme les discrets Jean Pérol, André Prodhomme ou Annie Salager. Sur plus de 300 pages, Christophe Dauphin et son équipe surprennent avec bonheur les lecteurs en proposant toujours des lectures enrichissantes. "

Georges CATHALO (cf. "Lectures flash" in revue-texture.fr, juin 2015).

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" C'est contre la mort que j'écris" : Alain Borne est né en 1915. Pour le centenaire de sa naissance, la revue ouvre un gros dossier : la préface de Terre de l'été par Guy Chambelland (1978), suivie d'une longue étude de l'oeuvre de Borne, le "grand solitaire", par Christophe Dauphin, de textes d'Henri Rode sur le "long poète à la tête penchée et, bien sûr, un conséquent choix de poèmes. Puis sous le titre "les porteurs de feu", hommage est rendu à Lucien Becker (il disait : un poète " est simplement un être qui a le sens aigu de tout ce qu'une existence humaine peut comporter de poignant, de tragique, de résolument invivable"), et à Claude Vigée (... tout homme "doit rester avant tout l'amant de sa propre vie et non pas l'amant d'une langue.") ; avec des textes. Et les "Wah" alors ? Sont convoqués dans ce numéro : D. Walcott, A. Salager, A. Brissiaud, J.-L. Bernard et D. Wetterwald et leurs poèmes. des poètes encore ? La rubrique s'intitule "une voix, une oeuvre"; le poète "à New York" est Yusef Komunyakaa, dont Christophe Dauphin dresse le portrait. puis des poèmes inédits de Jean Pérol. C'est "dans les cheveux d'Aoûn" que nous retrouvons André Prodhomme, " passeur d'humanité" grâce à Monique W. Labidoire et uen présentation des peintures de C. Klein par A. Gausset. Et, en dessert, les "pages libres" de H. Rode, G. Chambelland, Ch. Dauphin, P. Farellier et A. Breton. Pour clore, quelques recensions et des infos. En résumé, un remarquable bain de poésie."

Alain LACOUCHIE (in Friches n°118, juin 2015).

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« Impossible de déterminer si un poète publié ou célébré par une revue doit figurer dans le présent capitulet ou dans els recensions des recueils. Car Alain Borne figure avec un vrai livre de presque cent pages, articles de critique, hommages et poèmes originaux. Les auteurs sont Christophe dauphin bien entendu et Henri Rode, mais Guy Chambelland participe lui aussi à « C’est contre la mort que j’écris ! », choix de poèmes de celui qui aurait été centenaire cette année. A noter que Dauphin récidive en présentant l’Américain Yusef Komunyakaa. Le tout à l’occasion peut-être, puisque le titre semble faire référence au tragique de la mort, du communiqué de la rédaction des HSE intitulé « A Charlie et aux autres » et à tous les drames affreux de notre époque entièrement déboussolée où nos jeunes risquent d’avoir des avenirs épouvantables avant que l’humanité se ressaisisse et redevienne humaine. »

Paul VAN MELLE (in Inédit Nouveau n°275, juillet 2015, La Hulpe, Belgique).

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"Comme d'habitude, c'est une copieuse livraison que ce n° 39 : 302 pages très précisément. Elle est dédiée (actualité oblige car elle est datée du premier semestre 2015) aux journalistes de Charlie hebdo assassinés en janvier de la même année et aux autres victimes…

Elle s'ouvre sur la publication du discours d'Yves Bonnefoy lors de la remise du prix que lui a décerné la Foire Internationale du Livre de Guadalajara au Mexique (en 2013). L'idée maîtresse de ce discours est la relation dialectique entre la langue conceptuelle (en usage dans les techniques et les sciences, même sociales) et la langue sensible (en usage dans la littérature et, plus particulièrement, dans la poésie)… Ainsi, nous dit Bonnefoy, le mot arbre ne renvoie pas seulement à la figure proposée par le dictionnaire mais aussi à un arbre unique, avec ses branches, ses feuilles et qui a pris racine en un endroit précis d'un territoire particulier…

Puis suit un dossier consacré à deux poètes, Lucien Becker et Claude Vigée. À chaque fois, une présentation (par  Christophe Dauphin pour le premier, par Paul Farellier pour le second) suivie de poèmes. Les poèmes choisis de Lucien Becker (extraits de recueils parus de 1945 à 1961) laissent paraître une poésie très sage quant à la forme (utilisation d'un vers libre très proche de l'alexandrin mais qui y succombe à l'occasion, regroupements fréquents des vers en quatrains, poèmes de quatre, et très rarement de cinq ou six, strophes…). Mais le poème chante un monde campagnard voire agricole aujourd'hui disparu… Puis, il se fait l'expression d'une pensée où l'amour charnel de la femme est très présent. Mais une voix comme fêlée se fait entendre : "l'homme meurt en cherchant un  peu d'air", "la liberté est encore plus belle que l'amour" quand l'homme ne va pas vers la mort qui est inéluctable. De Claude Vigée (qui est excellemment présenté par Paul Farellier), je ne dirai pas grand-chose car je suis totalement étranger à la culture biblique ou hébraïque. Ont cependant retenu mon attention : son poème "Le chant de ma vingtième année" (mais qui appartient à la préhistoire du poète), la nostalgie si fréquente dans ses poèmes, cette peinture de "l'exil" et cette affirmation implicite que la langue sensible est préférable à  l'autonomie du signifiant…  Mais un vers me hante particulièrement, sans doute pour des raisons différentes de celles qui l'ont poussé à l'écrire : "un matin fleurira pour les humiliés de la terre"...

Le dossier central est consacré à Alain Borne. N'en déplaise à certains, j'ai découvert ce poète par Aragon qui écrivit en août-septembre 1941 son poème "Pour un Chant national" que je ne lus que beaucoup plus tard, vers 1964 sans doute, en étudiant LesYeux d'Elsa paru en 1942… Christophe Dauphin signe un essai d'une bonne trentaine de pages. Il s'y fait le thuriféraire de Benjamin Péret, se réfugie sous l'aile tutélaire de Jean Rousselot pour mieux attaquer Aragon. Ce qui ne l'empêche pas, quelques paragraphes plus loin, de citer Alain Borne qui reconnaît à La Rose et le Réséda (d'Aragon) et à Liberté (de Paul Éluard) d'avoir eu une efficacité certaine sur la conscience populaire. C'est que la Poésie n'existe pas, mais qu'il existe différents types de poésie : le véritable clivage est entre la mauvaise poésie et la bonne, non entre l'alexandrin et le vers libre, non entre la prose et le vers, non entre la poésie pure et la poésie didactique, etc ! Aragon, lui-même, ne s'écriait-il pas en 1959 "Je ne me laisse pas cantonner à une forme, puisque en aucun cas, je ne considère la forme comme une fin, mais comme un moyen, et que ce qui m'importe c'est de donner portée à ce que je dis, en tenant compte des variations qui interviennent dans les facultés de ceux à qui je m'adresse…" Non que je veuille absolument défendre la Poésie  nationale et ses suiveurs… Reste, nous dit Dauphin, que Borne est un poète majeur de l'amour ; citant ce dernier, il ajoute : "L'amour, la vie, la mort. Rien en dehors de cela…"  Le témoignage d'Henri Rode qui suit est composé de deux textes, l'un de 1972, le second de 1995. Ce qu'il faut retenir de cette double approche , c'est le portrait d'Alain Borne en El Desdichado… C'est un  portrait plein de sensibilité, éclairant, attachant, voire fascinant. Il faut remercier Les Hommes sans épaules d'avoir exhumé ces deux textes… Vient ensuite un choix de poèmes d'une quarantaine de pages qui permet de mieux connaître Alain Borne…

Deux autres dossiers (présentation et poèmes) sont consacrés à Yusef Komanyakaa et à Jean Pérol. Le premier est un poète new-yorkais né en 1947 qui a connu le racisme propre aux USA et été engagé dans la guerre du Viet-Nam Ses poèmes en portent la marque. On peut lire dans la présentation, en contrepoint du témoignage qu'il apporte sur la guerre du Viet-Nam, quelques mots sur la rareté ici des poèmes parlant de la guerre d'Algérie : c'est oublier, qu'en 1960, Action Poétique faisait paraitre son n° 12 (qui fut saisi mais réédité en janvier 1962) regroupant plus de 40 poètes autour de la guerre d'Algérie, dont Frank Venaille et Guy Bellay ; c'est oublier Gérard Cléry et quelques autres. On ne présente plus Jean Pérol mais on apprend qu'à la demande d'Aragon il réalisa, pendant la vingtaine d'années qu'il passa au Japon, une série d'entretiens avec les plus grands écrivains de ce pays... Ses poèmes, marqués par l'urgence et l'indignation, ne convainquent pas totalement car l'histoire ne comble jamais les creux, elle ne fait que les accentuer : c'est le pouvoir de la poésie de changer le monde pour de bon qui est posé… Mais me touche Pérol quand il dit la proximité de la mort comme dans "Où demain ne vient plus", la solitude et le mauvais côté de l'humanité comme dans "Laissé". Pour dire vite, très vite… Le reste de la livraison est occupée par diverses présentations, par des notes de lecture très variées et par des poèmes…

Si Les Hommes sans épaules font une très large place à leurs proches (mais pas exclusivement), c'est que la revue est l'organe d'expression d'une certaine conception de la poésie. Il faut le savoir pour ne pas être déçu de ne pas y trouver ce qui était attendu. Mais n'en est-il pas de même pour toutes les revues de poésie ? Aussi faut-il lire Les Hommes sans épaules dès lors que l'on veut avoir une vision complète (ou la plus complète possible) de la poésie qui s'écrit ici et aujourd'hui…"

Lucien WASSELIN (cf. "Revue des revues" in recoursaupoeme.fr, février 2016).




A propos du numéro 44 :

"Les Hommes sans Epaules, une revue qui doit être présente dans votre bibliothèque !

Une livraison semestrielle de qualité, des articles de fond, des prises de position intelligentes, des poèmes à lire et relire. loin du tapage, diurne et nocturne, dont peuvent s'entourer ceux qui se veulent les créateurs d'aujourd'hui. Eux qui, à l'égal de certaines installations picturales, installent leurs textes dans le règne de sdécibels, des sexes branlants et autres impuissances... à être.

Sous les yeux, le numéro 44 des HSE, avec un dossier central consacré à "Nikolaï Prorokov et les poètes russes du dégel", sous la responsabilité d'Olga Medvedkova et Karel Hadek. Mais qui est donc ce Nikolaï Prorokov dont je n'avais personnellement jamais entendu parler ? Christophe Dauphin, qui le présente, nous dit qu'il est né en 1945 et qu'il s'est suicidé en 1972, à l'âge donc de vingt-sept ans, sans jamais avoir publié de son vivant. Quant au "dégel", il désigne une période qui se situe peu après la mort de Staline (1953) et où les portes d'une certaine liberté retrouvée semblent s'ouvrir ou plus exactement s'entrouvrir... pour peu de temps. Christophe Dauphin situe parfaitement l'époque et les mouvements politiques ou littéraires qui entourent cette date. 

On apprend ainsi que Prorokov se situe du côté des acméistes dont les deux grandes figures sont Anna Akhmatova et Ossip Mandelstam. Les acméistes, et je cite Dauphin, "revendiquent l'utilisation d'un langage simple et concret pour porter à son apogée la dimension poétique du quotidien... Le poète acméiste veut poser un regard neuf sur le monde et exige plus de rigueur."

"Dans la nuit du 1er au 2 novembre 1972, écrit Olga Medvedkova, un grand et beau jeune homme âge de 27 ans saute par la fenêtre d'un appartement communautaire moscovite... il meurt quelques heures plus tard à l'hôpital." Evoquant sa poésie toute dévolue à la liberté, Medvedkova nous explique que ses "thèmes ne s'offrent qu'au regard attentif, s'enferment dans une opacité, repoussent  ceux qui sont habitués à la littérature des mots d'ordre. Parfois semi-abstraits, ces poèmes sont semblables à la première abstraction de Kandinsky: la syntaxe est brisée..."

Prorokov, un poète qu'il nous est donné de lire pour la première fois et qui illustre bien mon sentiment: si, comme l'écrivait Yves Bonnefoy, "la poésie moderne est loin de ses demeures possibles", les vrais poètes sont peut-être là, loin du brouhaha de la foule et des cracheurs de feu ou d'invectives, tapis dans l'indifférence d'une société où les paillettes et les coups de gueule "faceboochiens" de tous poils, semblent, hélas, dominer l'esprit et le temps.

Non, ce n’est pas l’heure

d’affermir les paroles par l’amour

et de bâtir le quartier de cartes,

où les rois –

sont d’escaliers les marches,

et les dames – des portes.

 

Cette flatteuse démarche

je la répudie avec douleur.

 

Je sais,

ce n’est pas l’heure,

on ne me croira pas.

 

Nikolaï PROROKOV (1967)


Les Hommes sans Epaules, 
ce sont aussi des dossiers sur Gaston Miron ou Alexandre Voisard, des poèmes d'Evtouchenko dont l'un des textes publiés, "Conversation", se termine ainsi (et fait écho à ma réflexion) : "Je pense à la honte - de nos descendants, - quand, réglant son compte à la turpitude, - ils se souviendront - de ces temps étranges..."

Evtouchenko est mort le 1er avril 2017."

Yves NAMUR (in Le Journal des poètes n°1, 2018, Belgique).

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"La revue Les Hommes sans Épaules est une revue pleine et complexe. Pleine avec ses 336 pages, cela se conçoit. Complexe, ce numéro en particulier en est la preuve. Puisque son contenu suit plusieurs pistes, reprise tout au long de son cours pour certaine. Et la matière en son entier reste diverse et riche, comme le sommaire touffu en atteste, courant de la première à la quatrième de couverture. Indéniablement, l’axe principal se situe autour de la poésie russe contemporaine, pour rester large avec la découverte d’un poète ignoré jusqu’à présent que les HSE révèlent au grand jour : Nikolaï Prorokov.

Christophe Dauphin lui consacre en effet son éditorial. Le contexte ? Une URSS en « plein Dégel », après la mort de Staline en 1953, jusqu’à la prise en main du pouvoir par Brejnev, en 1964, ce qui correspond exactement à la période Khroutchtchev, plus « ouverte ». Auparavant, la littérature russe baigne dans le réalisme socialiste. Malheur à tous ceux qui ne veulent pas y adhérer : Essenine se suicide en 1925, Maïakovski en 1930. Goulag et mort en détention pour d’autres… Prorokov est l’héritier de Boulgakov (Maître et Marguerite) condamné à écrire pour son tiroir, comme l’écrit joliment l’animateur des HSE.

Vient un peu plus loin dans le cours du numéro le dossier à proprement parler de la livraison, consacré à Nikolaï Prorokov, par Olga Medvedkova. Elle relate les étapes de sa vie si brève entre sa naissance à Mourmansk en 1945 et sa défenestration en 1972, à Moscou. Il a fallu attendre 45 ans pour que ses poèmes enfermés dans une chemise voient le jour. Par les veines vrillées des sentiers, / par les opulentes rues moscovites, / les passants déambulent et mendient / quelque rumeur, des miettes de l’on-dit. D’autres poètes russes du Dégel sont présentés comme Andreï Voznessenski, Anatoli Naïman, Viktor Sosnora Je caresse des éperviers comme un bosquet de soldats / hérissés de baïonnettes !, Bella Akhmadoulina, Boris Pasternak qui refusa le Prix Nobel en 1958 et Iossif Brodski, condamné en 1964 à cinq ans de déportation et Prix Nobel en 1987, et en tête Evgueni Evtouchenko auquel Christophe Dauphin consacre en outre une étude. Né en 1933, près du lac Baïkal, Mon professeur de poétique, ce fut tout d’abord la taïga, mi-intellectuel mi-paysan, qualifié de poète de la déstalinisation, lecteur devant des foules immenses aussi bien en Russie qu’aux Etats-Unis, Evtouchenko fut le chef de file des poètes du Dégel. J’erre au fond de l’Egypte en un temps très lointain, / J’agonise pendu aux branches d’une croix. / Voyez, je porte encore la marque de ses clous. / Dreyfus, me semble-t-il, / c’est moi… (Babi-Yar, 1961 poème dénonçant l'antisémitisme, composé en symphonie par Chostakovitch). Evgueni Evtouchenko est mort durant la confection de cette livraison le 1er avril 2017.

Pour suivre un article sur Maïakovski par Iouri Annenkov, épuisé depuis 1958. Géant de près de deux mètres, Maïakovski bénéficie de deux coups de pouce retentissants, l’un par Gorki, l’autre par Lénine. L’auteur raconte ses différentes rencontres à Paris. Jusqu’à son suicide en 1930. Je suis quitte de la vie. / Inutile de faire le compte des souffrances, des soucis et querelles. / Vivez heureux.

Iouri Annenkov fait ensuite l’objet d’un portrait par Christophe Dauphin, surtout en tant que peintre proche du futurisme, cubisme, voire expressionnisme et abstraction. Il est vrai que les portraits proposés de Trotsky, Meyerhold, Gorki ou Pasternak sont proches de la caricature, et de ce fait très modernes. Iouri Annenkov est mort en 1974 à Paris. Puis Daniil Harms, poète, chef de file de l’Obériou, ultime groupe moderniste russe. Il meurt épuisé, affamé en 1942.

On passe sans transition, c’est aussi la marque de fabrication des revues, à aujourd’hui, à l’Ukraine et à une Femen : Oksana Shachko. Christophe Dauphin rappelle les grands devanciers comme Chevtchenko ou Makhno avant d’en venir aux premières manifestations des Femen qui obligeront celles-ci à s’exiler. Ce que fait Oksana Shachko en France, où prenant quelque distance avec les féministes françaises, elle se consacrera à la peinture d’icônes, art très précis et méticuleux, qu’elle détournera avec des symboles modernes, opposés au sacré d’origine.
Article de Branko Aleksić sur Ivo Andrić, poète bosniaque, prix Nobel en 1961, avec extrait de son discours à Stockholm : …le conteur et son œuvre ne servent à rien s’ils ne servent pas à l’homme et à l’humanité.

Pour en revenir aux HSE, hommage est rendu à deux collaboratrices de la revue décédées cet été : Jocelyne Curtil et Marie-Christine Brière. Puis deux dossiers consacrés à Gaston Miron, le grand poète québécois Je suis sur la place publique avec les miens / la poésie n’a pas à rougir de moi… et Alexandre Voisard par Christophe Dauphin, poète suisse du haut lyrisme : que chacun de tes gestes soit souverain / comme le poème de l’insecte sous l’écorce. Il dit aussi : « … le projet romanesque s’appuie sur une certaine structure. La poésie est démunie. Elle n’est pas dans la démonstration. »
Enfin des pages sont offertes à plusieurs auteurs remarquables : Annie Salager, Jean-Claude Tardif, Daniel Abel, Frédéric Tison, Eric Chassefière, Nicolas Rouzet et Aurélie Delcros. Ne pas omettre les fortes notes de lecture, plusieurs en rapport avec le thème principal de la livraison.

Il ne doit pas être facile pour l’animateur de mettre tout cela en page, ou « en musique ». Qu’on se rassure, en rendre compte n’est pas plus aisé ! En tout cas, un numéro « formidable », comme à chaque fois.

Jacques MORIN (cf. « La revue du mois », in dechargelarevue.com, octobre 2017).

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Совсем другого рода книга, но тоже связанная с советским поэтическим андерграундом. Если в исследовании Конакова речь идет о вполне себе классиках, то покончивший с собой в 1972 году Николай Пророков — фигура, полностью выпавшая из истории литературы. Первая небольшая публикация поэта случилась полгода назад, теперь вышло полное собрание его текстов. Такие открытия всегда увлекают. Они вновь проявляют двоякую природу литературного андерграунда — одновременно системы связей, незримых институций, в которых создавались судьбы и репутации, и просто общности всех ищущих и пишущих на русском языке. Пророков принадлежал второй, но не первой. Его тексты моментально узнаются как поэзия 60-х — с общими для времени интонациями, влечениями и влияниями. Однако у него не было литературных знакомств — не было людей, которые сделали бы его талантливые стихи частью общей литературной жизни поколения. Были бурная богемная молодость, относительно успешная карьера на радио, семейные и любовные драмы, смерть в эталонно-романтические 27 лет. И были стихи: частью — обыкновенно подростково-восторженные, частью — очень особенные и, скажем так, трезвые. Главное свойство его поэзии: она зависает между двумя полюсами — навязчивой фантазией о большой культуре, заклинаниями великих (лейтмотив — воображаемая полулюбовная связь с Ахматовой) и абсолютно частным, не видимым никому делом. Пророков становится настоящим поэтом именно тогда, когда говорит ни с кем и понимает, что его никто не слышит. Сложно не фантазировать о том, как сложился бы его путь, если бы у этих стихов нашлись понимающие читатели помимо нескольких близких друзей автора. С другой стороны, эфемерная красота этого маленького корпуса стихотворений именно в том, что они располагаются как бы на самом краю литературности. Там, где стихи — только естественная потребность говорить.

"Под вечер шамкали / шаги соседей, / и запах щей, / как свежий ветер, / врывался в комнату, / чтоб волосы трепать / и путать мысли. / Под фонарем / ершист и светел / отрезок дерева в окне. / Назавтра / щей не стало — / прокисли. / Но свежий ветерок рассольника / все так же волосы трепал / и путал мысли".

Издательство Культурный слой (in Kommersant, Mocou, novembre 2017).

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Les Hommes sans épaules, cahiers littéraires semestriels dirigés par Christophe Dauphin, ne s’appréhendent pas comme une revue. A mi-chemin entre le livre et  le périodique, cette magnifique publication propose certes des articles. Mais le paratexte et le format proposés apparentent cette belle réalisation au volume d’un livre, souvent conséquent (336 pages pour ce numéro 44) plutôt qu’à une revue.

Le propos varie aussi de celui d’une revue classique. Suivant un groupement thématique, Les Hommes sans épaules recensent au sommaire du dossier proposé à chaque numéro des auteurs et leurs œuvres, connus et moins connus, qui s’y apparentent. Suivant à chaque fois la même mise en œuvre, les extraits sont précédés par un discours critique qui fait office d’introduction. Ce dispositif permet d’envisager le texte et son auteur dans une globalité signifiante, car sont évoqués les contextes historiques et culturels qui ont sous-tendu leurs productions. Ces introductions sont d’une rare qualité, car le comité de rédaction laisse la parole à des spécialistes du thème choisi. Le lecteur a donc le plaisir de pouvoir découvrir à la fois une époque, un contexte, des auteurs et des productions savamment choisies.

En manière d’avant propos, Christophe Dauphin propose, pour chaque numéro, un éditorial. Ce numéro 44, consacré à Nikolaï PROROKOV et aux « Poètes russes du Dégel », est précédé d’une introduction chapeautée par deux épigraphes. L’une est une citation tirée de Littérature et révolution, de Léon Trotsky, l’autre convoque Karl Marx, avec des lignes tirées du Débat sur la liberté de la presse. Le ton du propos, intitulé La Poésie n’est pas au service d’une classe, est donné.  Ces deux références soutiennent les lignes de Christophe Dauphin qui nous rappelle que la poésie est universelle, qu’elle transcendance les contingences historiques et politiques. Noms et parcours de vie de poètes pour exemples, il nous montre que nombre d’entre eux ont péri à cause de leurs écrits. Ces références, des hommes héroïques, nous rappellent que la liberté est avant tout celle de créer, celle de pouvoir s’exprimer. Le directeur des Hommes sans Epaules nous rappelle que cette période du « Dégel » est le terreau d’une production poétique abondante, mais majoritairement étouffée et passée sous silence. Autant de noms auxquels la revue rend hommage, d’œuvres mises en lumière, de parcours de vie bien souvent écourtés par le fait d’avoir osé être poète. Replacées dans le contexte historique et politique de l’époque, brillamment évoqué par l’auteur de cet éditorial, ces figures marquantes de la poésie russe sont convoquées dans une perspective marxiste et littéraire. Ainsi s’expliquent les mouvements et les écoles qui ont pris racine dans ce contexte particulier, ainsi que la posture de chacun. Et le point commun, qui est celui de ne jamais cesser de vouloir résister, sert de fil directeur à cette belle recension. 

A ce titre, le dossier central, consacré à Nikolaï Prorokov, est représentatif de cette posture de résistance et de sacrifice pour la liberté. La présence de ce poète ainsi que le caractère inédit des textes proposés est mis en exergue dans l’introduction. Cette présentation ainsi que le choix des extraits sont l’œuvre d’Olga MEDVEDKOVA et de Karel HADEK.  Ce dossier est accompagné d’articles et de citations d’œuvres d’autres poètes de cette époque, tels qu’Evgueni EVTOUCHENKO, Andreï VOZNESSENSKI, Anatoli NAÏMAN, Viktor SOSNORA, Bella AKHMADOULINA, Boris PASTERNAK et Iossof BRODSKI . Le paratexte qui présente chaque auteur et les productions publiées est toujours riche et guide le lecteur dans son appréhension globale de l’oeuvre.

A ces groupements thématiques se joignent des rubriques : « Le Document des HSE » que ce numéro consacre à Maïakovski dans un article intitulé « Maïakovski inconnu » signé par Iouri Annenkov ; « Le portrait des HSE » dédié cette fois-ci à Iouri Annenkov et signé Christophe Dauphin ; « Le peintre des HSE », Oksana Shachko ; « Les pages des HSE » qui proposent une série de productions de poètes de tous horizons. Ces index et les auteurs et artistes qui y sont mis à l’honneur sont toujours accompagnés d’une introduction qui présente et situe les éléments proposés.

Peut-on alors parler encore de revue. Oui, certainement, car il s’agit bien d’une publication périodique spécialisée dans un domaine précis. Mais la qualité des éléments paratextuels, la diversité des références proposées et leur mise en perspective font des Hommes sans Épaules un document d’une grande richesse. La thématique abordée fait l’objet d’un travail explicatif conséquent, tout comme chaque rubrique. Le lecteur peut alors situer ce qu’il découvre. Sans jamais orienter sa lecture, Les Hommes sans Épaules lui offre la possibilité d’appréhender une époque, une œuvre, un auteur, une problématique, en lui permettant de se forger une opinion, et en lui offrant les outils nécessaires à une compréhension approfondie et autonome des domaines abordés.

Enfin, les pages liminaires de ce numéro 44 mettent à l’honneur deux « Femmes sans épaules », Jocelyne Curtil et Marie-Christine Brière, disparues cette année. Hommage émouvant auquel se joint l’équipe de Recours au Poème qui salue, tout comme le rappelle le comité de rédaction des HSE, l’importance de l’œuvre de chacune d’entre elles.

Carole MESROBIAN (cf. "Revue des revues" in www.recoursaupoeme.fr ).

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"Nikolaï Prorokov et les poètes russes du Dégel; Les HSE n°44; prenez le temps de parcourir ce numéro exceptionnel."

Jean-Pierre LESIEUR ( in Comme en poésie n°72, décembre 2017).

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« En cette période singulière où les violences faites aux femmes apparaissent au grand jour dans toutes leurs insupportables étendues et intensités, le comité de rédaction des HSE ouvre ce numéro 44 par un hommage aux Femmes sans Epaules, rendant hommage à deux femmes, poétesses et plus, récemment disparues : Jocelyn Curtil et Marie-Christine Brière qui, toutes les deux, en leur propre style, luttèrent pour la liberté des femmes et pour la liberté de tous, contre toutes les formes d’oppression.

 Le dossier est consacré cette fois à Nikolaï Prorokov (1945 – 1972), poète russe totalement inconnu qui sort ainsi de l’ombre avec ce numéro des HSE. Il trouve ainsi sa place aux côtés des grands poètes, régulièrement célébrés, du « Dégel », période de libéralisation de la littérature soviétique qui débute en 1954  –  1956. C’est, après la mort de Staline, toute la vie de l’esprit qui reprend dans la zone d’influence soviétique même si elle reste sous contrôle, la répression contre la Révolution hongroise en fut la démonstration. Le silence s’impose rapidement à ceux qui ne veulent pas collaborer, victimes d’une censure implacable. Mais la créativité souterraine se déploie malgré tout.

Nikolaï Prorokov tient une place à part au milieu de ces silencieux de talent. Il semble toutefois influencé par le symbolisme et par un mouvement poétique opposé, fondé en 1913 par Nikolaï Goumilev, l’acméisme, qui dénonce l’occultisme et la religiosité du mouvement symboliste. C’est Olga Medvedkova, qui connut Nikolaï Prorokov quand elle était enfant, qui dresse le portrait de ce « poète oublié de l’underground moscovite », évoque sa rencontre avec Mikhaï Boulgakov, son « irruption » dans la poésie, une poésie qu’il veut sans la moindre compromission, sans détour, sans recul :

« Ses mots à lui, nous dit Olga Medvedkova, se veulent gestes, aussi vrais et crus que brusques, aussi peu « littéraires », polis. Ils ne simplifient pas, ne flattent aucun ego. Ses mots à lui ne sont ni sentimentaux ni narcissiques. En mélangeant les registres de langage, ses poèmes ne s’offrent qu’au regard attentif, s’enferment dans une opacité, repoussent ceux qui sont habitués à la littérature des mots d’ordre. Parfois semi-abstraits, ces poèmes sont semblables à la première abstraction de Kandinsky : la syntaxe est brisée, on devine la trame narrative mais on reçoit surtout la décharge d’une vision. »

« C’est, dit-elle encore, en tant que poète lyrique – qui métaphysiquement – est du côté de ce qui vit, du non-fini – que Nikolaï se trouve du côté des tristes (alors que le régime exalte l’enthousiasme), des vieilles et des laides, des chers infirmes et tendres gueux », de ceux qui marchent les pieds nus sur la glace et à qui les pères – « vieillards robustes honnis » – ne pardonneront jamais la moindre défaillance. Cet épithète d’« honni » (ottorzhennyj) est l’une des plus grinçantes dans sa poésie ; les pères ne sont pas honnis par les gens mais par la vie elle-même ; ce sont des morts-vivants, des loups garous. »

 La charogne

 Remuez les doigts d’un cadavre,

Arrangez les cheveux de ses mains,

Joignez ses paumes en haut-parleur,

Criez à sa place par sa voix.

 

Déambulez avec ses pieds

Comme s’il avançait lui-même.

Battez vos ennemis de ses poings,

Comme il se doit, comme on aime.

 

Si quelqu’un s’est trompé quelque part,

Secouez sa tête en désapprouvant.

Et au bout de trois minutes

On croira le cadavre vivant.

 

En confondant la mort et la vie,

Vous allez y croire vous aussi.

                               Poème de Nikolaï Prorokov

Ce numéro exceptionnel, consacré à cet Est si proche, est riche d’autres rencontres, depuis Evtouchenko jusqu’aux Femen : Editorial : « La Poésie n’est pas au service d’une classe », par Christophe DAUPHIN –  Les Porteurs de feu : Gaston MIRON, par Jean BRETON, Frédéric Jacques TEMPLE, Christophe DAUPHIN, Alexandre VOISARD, par Christophe DAUPHIN, Poèmes de Gaston MIRON, Alexandre VOISARD – Ainsi furent les Wah : Poèmes de Annie SALAGER, Jean-Claude TARDIF, Daniel ABEL, Frédéric TISON, Eric CHASSEFIERE, Nicolas ROUZET, Aurélie DELCROS – Dossier : « Nikolaï PROROKOV & les poètes russes du Dégel », par Olga MEDVEDKOVA, Karel HADEK, Poèmes de Nikolaï PROROKOV, Evgueni EVTOUCHENKO, Andreï VOZNESSENSKI, Anatoli NAÏMAN, Viktor SOSNORA, Bella AKHMADOULINA, Boris PASTERNAK, Iossif BRODSKI – Une voix, une oeuvre: « Evgueni EVTOUCHENKO », par Christophe DAUPHIN, Poèmes de Evgueni EVTOUCHENKO – Le Document des HSE : « MAÏAKOVSKI inconnu », par Iouri ANNENKOV, Poèmes de Vladimir MAIAKOVSKI
– Le Portrait des HSE : « Iouri ANNENKOV, le peintre et ses rencontres », par Christophe DAUPHIN, avec des textes de Iouri ANNENKOV – La Mémoire, la poésie : « Daniil HARMS, poète obériou à Leningrad », par Christophe DAUPHIN, Poèmes de Daniil HARMS – Le peintre des HSE : « Oksana SHACHKO, la feuille d’or de la révolution », par Christophe DAUPHIN, avec des textes de Oksana SHACHKO, Taras CHEVTCHENKO, FEMEN – Dans les cheveux d’Aoun : « Les papillons noirs d’Ivo ANDRIC », par Branko ALEKSIC, avec des textes de Ivo ANDRIC –Les Pages des HSE : Poèmes de Elodia TURKI, Paul FARELLIER, Alain BRETON, Christophe DAUPHIN – etc. »

Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, novembre 2017).

*

" Sous la houlette très professionnelle de Christophe Dauphin, ces cahiers littéraires proposent toujours des sommaires originaux. La revue s’ouvre sur un vibrant hommage à une trinité subversive : Thérèse Plantier, Jocelyne Curtil et Marie-Christine Brière. S’en suit un éditorial de 16 pages où il est rappelé que « la poésie n’est pas au service d’une classe ». Dauphin y évoque la figure trop méconnue de Nikolaï Prorokov (1945-1972) ainsi que ceux que l’on nomma « les poètes du dégel » après la mort de Staline en 1953. Aussi intense que bref, ce dégel a permis l’éclosion de talents originaux et de poètes courageux tels que Brodski, Pasternak, Evtouchenko ou Voznessenski. Le remarquable travail de recherche de Karel Hadek permet à chacun de trouver de bons repères pour une lecture efficace au fil d’un riche dossier de plus de 140 pages.
Signalons également les focus éclairants sur deux « porteurs de feu » qu’il est urgent de relire : le Canadien Gaston Miron et le Suisse Alexandre Voisard. Puis le chapitre « ainsi furent les wah » ouvre ses pages à sept excellents poètes contemporains parmi lesquels Eric Chassefière et Jean-Claude Tardif. Enfin, comme toujours avec les HSE, l’ouverture aux autres se poursuit à travers différentes formes d’expression poétique ou d’abondantes notes de lecture. "

Georges CATHALO (cf. "Lectures flash 2018" in  revue-texture.fr, janvier 2018).




Critiques :

" En décembre 2018, la Revue du Mois c’est: Les Hommes Sans Épaules n° 46 !

On commence par la partie centrale ? Bernard Hreglich. C’est Thomas Dumoulin qui a coordonné le dossier. Bernard Hreglich est né à Tunis en 1943 et mort à Paris en 1996. Père et nom d’origine croate. Sa mère s’occupe d’une librairie, elle s’est remariée avec le poète Serge Wellens. Il ne publiera que trois livres de son vivant chez Gallimard (en 1977, 1986, et 1994) et sera malade de la sclérose en plaques.

e dossier est jalonné d’autoportraits et il est fait appel aux témoignages et analyses entre autres de poètes remarquables comme Max Alhau, Werner Lambersy, Lionel Ray et Frank Venaille. Je retiendrai son écriture élégante confinant à la préciosité, une tendance progressive de son écriture vers la fantasmagorie, et le passage d’une prosodie ample à la prose vers la fin de sa vie. C’est ce superbe équilibre des profondeurs que je cherche à atteindre à travers ma poésie… Il écrit par ailleurs : Le principal danger de l’écriture, c’est la vanité. Et il dénonce aussi chez les auteurs le manque d’esprit critique. François de Boisseuil, qui l’a côtoyé et aidé à rédiger, parle dans ses poèmes de paroles mystérieuses où la fuite du sens avait libéré une puissance sourde ou éclatante qui le dominait et qui pouvait le mettre dans la même stupéfaction que le lecteur.

Retour à l’éditorial signé Fernando Arrabal, et cette anaphore : de toute ma vie… avec plus loin deux poèmes : « Je te salue démente ! » et « Requiem pour la mort de Dieu ». Les HSE donnent des poèmes avec toujours des notes biobibliographiques remarquablement complètes, et l’on apprend beaucoup de choses sur les auteurs, ainsi sur Fernando Arrabal, mis à part un nombre considérable de rencontres importantes, la mort de son père sous la dictature franquiste quand il avait dix ans qui a marqué l’écrivain. Également Frankétienne, énorme auteur qui écrit à la fois en français et en haïtien. Mon insomnie barbare dérange la liturgie des ténèbres. Eric Sénécal, créateur des éditions Clarisse : attendre que la crosse de la fougère relève la nuque et Patricia Suescum : L’enfance idéalisée / n’est que le reflet / de la désespérance / de l’adulte trahi.
Retour au début avec deux belles parties consacrées à Erri de Luca, écrivain napolitain fortement impliqué politiquement, et Luis Mizón, poète chilien, avec une vingtaine de pages de son écriture ciselée. Mon poème est un lit défait / bientôt il sortira ses draps à la fenêtre / et le grand matelas familial / prendra le soleil…
Olivier Deschizeaux fait une critique littéraire d’un livre de Lionel Bourg. Harry Szpilmann : Flamme lacunaire. Essart / de vent, ou filet d’air que brasse / une délégation d’ailes / blessées. Alain Brissiaud : lorsque la nuit s’accouple aux gris regrets du soir… Philippe Bajolet écrit des Humaux (mi-hommes, mi-animaux). Ensuite Christophe Dauphin donne une étude sur le poète Abdul Kader El Janabi. Né en 1944 à Bagdad en Irak, il s’exile à Londres en 1970 puis à Paris, deux ans plus tard, lieu à partir duquel il assiste à la suite de contorsions sanglantes dans son pays avec Saddam Hussein puis Daech. Il est au carrefour d’une pensée orientale qui tend à s’affranchir d’un obscurantisme religieux et du surréalisme qu’il a découvert en Europe. Enfin le même Christophe Dauphin fait le point à travers un livre de l’écrivain William Souny de la situation extrêmement délicate de Mayotte où misère et problème migratoire forment le quotidien. Peuple d’oiseaux / cloué par les ailes / à la muraille des lagons…

Je passe toute la partie infos, échos, critiques, éditions… Un scoop cependant : Jacques Aramburu est un pseudo d’Alain Breton !

Pour clore, deux hommages, hors pagination, en tête du volume : Georges-Emmanuel Clancier (1914-2018), auteur du « Pain noir » : la poésie est la tentative et la possibilité d’approche musicale au plus près de la totalité de l’être humain… Egalement :le poème est négation du temps, exaltation de l’instant rendu immobile et illimité… et Oksana Shachko suicidée à 31 ans, Femen et peintre d’icônes complètement réinventées. Les HSE lui avaient consacré une partie dans leur n° 44.

Les Hommes sans épaules demeurent une revue foisonnante, documentée, riche et rayonnante, ouverte aussi bien à la poésie française qu’internationale. "

Jacques MORIN (cf. "La Revue du mois" in dechargelarevue.com, décembre 2018).

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Le dossier de ce n° 46 des Hommes sans Epaules, coordonné par Thomas Demoulin, est consacré à Bernard Hreglich, mais avant d’en venir à son « réalisme incandescent », lisons un extrait de l’éditorial  de Fernando Arrabal, Dans toute ma vie… :

« Le poète est l’écrivain-ouvrier, polisseur de jaculatoires (du latin jaculari) qui, pour réconcilier la science et l’inspiration, compose avec une rigueur géométrique. Parfois, par erreur, on l’a considéré comme un pionnier de la modernité ou un paladin des sentiments. Le poète trace les lignes de la réalité jusqu’au cauchemar ou la vision inclus. Dès l’origine le poète se sent plus proche d’Euclide ou de G.Y. Perelman que d’Homère ou de W.H. Auden. La superstition, la magie et autres avatars du charlatanisme ou de n’importe quoi provoquent son effroi.

Le poète se fie à la science comme si, dès le commencement, le Verbe avait prévu la génétique actuelle et le clonage. Les mille et une nuits (et un jour) de la poésie permettent la reproduction sans fin.

Le poète ne croit pas à la dualité vie/mort, ordure/nature, merde/ciel. C’est le précurseur du chat de Schrödinger : il voudrait continuer à exister pour toujours et en ce monde, comme s’il était un surdoué tenté par le suicide. »

Thomas Demoulin poursuit d’une certaine manière quand il présente le travail de Hreglich :

« On n’avoue pas qu’on est poète.

Ou alors on l’avoue mal.

C’est le symptôme d’une société qui ne sait plus définir le travail. D’une société qui asservit dans le travail. Monsieur le poète, quel est votre véritable métier ? – à cette mauvaise question, Bernard Hreglich est l’exemple de celui qui n’a rien à répondre, si ce n’est que l’écriture fut sa seule et unique activité, sa liberté la plus réelle. »

Bernard Hreglich (1943 – 1996) s’est totalement engagé en poésie. Architecte de la langue autant qu’artiste du sens, il n’a eu de cesse d’approfondir et d’explorer les possibilités offertes par le Verbe. Ecrire est avec lui un programme de haute vigilance sur les mots qu’il sait vivants et prompts à s’échapper.

« Les manuscrits d’un même poème, nous dit Thomas Demoulin à propos de l’écriture de Bernard Hreglich, (notamment ceux qu’il composa pour les deux livres parus chez Gallimard) constituent souvent une suite d’abondantes variations d’où émerge progressivement une ligne, de plus en plus nette à mesure que l’harmonie se développe. Le résultat final a donc l’épaisseur sensible d’une histoire. Son rythme est lesté par la matérialité des mots et conduit par le fil de la syntaxe. Et sa ligne parvient souvent aux confins du sens, au bord du déchirement où les lois naturelles du langage n’ont plus leur droit et cèdent la place à un possible absolu. »

Voici un extrait de La voix de l’Eglantine :

 

Ce matin, enfin, enfin, j’ai revu tes yeux pâles,

J’ai su qu’il était temps de rencontrer l’éclair ou son frère

Le monstre aux dents si douces. Dire adieu aux pantins

Dont j’ai subi trop patiemment l’odeur nauséabonde

Et les petits espoirs, et les petites haines, et les petits soupçons.

Ils n’auront pas de mal à se passer de moi et puis, qu’importe.

 

Je vais vers la merveille. Je vais mourir et l’églantine

S’éclaire d’heure en heure au centre du roncier.

Ma sœur je viens vers toi […]

 

Bernard Hreglich a peu publié. Il a attendu que les textes soit capables de restituer l’infusion du tragique qu’il recherchait. Il a trente-quatre ans quand il publie, en 1977, Droit d’absence, prix Max Jacob. Puis viennent Maître visage , en 1986, prix Jean Malrieu, Un ciel élémentaire, en 1994, prix Mallarmé. Autant dire jamais ne sera publié qu’après sa mort.

Il avait anticipé l’interprétation qu’on tenterait de faire de son œuvre au lieu de laisser les mots s’envoler et se poser au gré des hasards quantiques :

 

On ira voir dans mes papiers

l’angle sous lequel j’envisageais les pierre

et comment dans mes manières d’être

j’usais la corde jusqu’à l’os.

On trouvera une silhouette

Qui me ressemblera.

 

Avec le beau visage du silence qui tremble

Je ferai semblant d’être mon image.

 

                                                                                          Extrait de Variations d’un devenir

Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, 19 janvier 2019).

*

Les Hommes sans Epaules s'ouvrent par des pages internationales. Son numéro 46 s'ouvre sur Erri de Luca : "J'attache de la valeur à toute forme de vie - à la neige, la fraise, la mouche - J'attache de la valeur au règne animal - et à la république des étoiles..." ; Luis Mizon : "il nous faudra penser la ville - avec le corps - l'entendre nous raconter sa vie - avec des mots tirés de notre vie - apprendre à voir l'âme des autres - avec les yeux des autres..." ; Fernando Arrabal : "Tout enfant est un fou, le fou n'est qu'un enfant - Quand sa tête repose sur le divan de plumes..." ; le haïtien et fougueux Frankétienne : "Je m'en île et m'enivre de rivages imprenables au bleu - tranchant des récifs" ; l'irakien Adbul Kader El Janabi (présenté par Christophe Dauphin) : "Noue ne voulons - Ni ascenseur pour la tour de Babel - Ni monument au soldat inconnu - Ni ciseaux - Dans l'attente d'un poème - Qui nu s'insurgerait - Contre la rime..." ; présenté aussi par Christophe Dauphin : William Souny de mayotte (un naufrage français) : "Voici la lune - plus innombrable - dans les fourgons proliférants - d'une république grillagère... " ;

Puis viennent les pages hexagonnales avec le dieppois Eric Sénécal : "moitié visage moitié - éclats carrés - de vies profils tirés - fatigues je crois aux yeux des anges..." ; Jacques Morin, dont la présentation par Les HSE reprend sa vision du poème : "le poète est peut-être un point de friction entre l'homme et la vie... le poème est un cri écrit"; Jacques Morin qui donne une série noir de courts poèmes, en prise directe avec le réel le plus actuel : "comment se débarrasser de tout ce barda de genres - ces a priori réduits - idées toutes faites - étroites - poncifs poncés"; poèmes semblables au cri qu'il dit quand la vieillesse semble déjà là: "Le désir s'enfuit - cesse - ventre percé - tu perds cette énergie virale - axiale - qui te tenait debout". 

Le dossier central de ce numéro 46 est consacré à Bernard Hreglich (1943-1996; prix Max-Jacob, Prix Jean-Malrieu, Prix Mallarmé...) : "Maisons, voiliers, ravines; je respire à présent mon ultime flaque de chagrin"; dossier cooordonné par Thomas Demoulin, avec des poèmes choisis et inédits, des dessins de B. Hreglich, des contributions-hommages de Werner Lambersy, Lionel Ray, Franck Venaille. une oeuvre tendue, nerveuse, sans concession (expression bateau, mais là c'est vrai) : "Lampes des nuits blanches cernées de vitres et d'algorithmes - on voudrait se consoler en suivant l'itinéraire - qui évite le soleil... - dans cette ville où nous n'irons jamais."

Christian DEGOUTTE (in revue Verso n°176, mars 2019).




Critiques :

« Comme d’habitude, avec les HSE, tout le monde est sûr d’en avoir pour son argent. En effet, en plus de 300 pages bien garnies, l’on y trouve de quoi alimenter sa faim et sa soif de bonne poésie. Avec un découpage en 5 ou 6 volets, cette revue allie rigueur et cohérence.

L’on va de découverte (la poésie brésilienne) en redécouverte (Philip Lamantia ou Breyten Breytenbach) et de surprise (Thomas Demoulin) en confirmation (Frédéric Tison).

Mais cette première approche d’un sommaire étourdissant nous semble injuste envers tous les auteurs et auteures qu’il faudrait évoquer. Gardons-nous d’oublier l’émouvante présentation de Madeleine Riffaud.

À plus de 95 ans, elle a impressionné Christophe Dauphin lors de ce qui fut sans doute son dernier entretien qu’elle concluait ainsi : « Les jeunes doivent recouvrer l’espoir, rien n’est écrit d’avance. » Ces mots prennent une sacrée résonnance avec l’actuelle pandémie mondiale. »   

Georges CATHALO (cf. « Intercalaires » n°5 in dechargelarevue.com, avril 2020).

*

Le numéro de printemps des Hommes sans Épaules rappelle les angoisses et les urgences du monde contemporain, la nécessité de penser le réel avec les poètes, affirmant le rôle central de leur travail dans les liens que nous inventons avec notre environnement, une manière de résistance positive et dynamique, porté par la manière d’aborder l’état poétique que propose René Depestre dans son introduction, témoignage entremêlé de manifeste et d’autobiographie. Il y affirme que « l’état poétique est le seul promontoire connu d’où par n’importe quel temps du jour ou de la nuit l’on découvre à l’œil nu la côte nord de la tendresse », qu’il « s’épanouit à des années-lumière des états de siège et d’alerte ».

 On entre dans le vif d’une disposition poétique face aux désordres du monde, aux inquiétudes qui nous accablent. On se place du côté d’une poésie qui dit la vie, y agit, y existe. Depestre écrit, avec un lyrisme assumé, qu’est « rageusement poète l’homme ou la femme que consume la passion de déplacer sans cesse les bornes que l’on impose à la parole, qui se tient debout, sans un mouvement, au milieu des éléments déchaînés, de la terre : ni l’électricité du ciel, ni celle de l’ordre social ne peuvent brûler les ailes de l’être en état de poésie avec le monde ! » La poésie se doit d’être dans le monde, d’y prendre part, de résister à l’état ambiant des sociétés contemporaines.

 

Mário de Andrade par Lasar Segall, 1927

Le poète dit le monde, y intervient, y fait naître une langue. C’est cette inscription dans le réel, dans l’histoire, dans un état du langage qui se déploie dans tout ce numéro des Hommes sans Épaules. En proposant un impressionnant dossier sur les poètes brésiliens, son équipe s’emploie à raconter une histoire – esthétique, politique, nationale… – et à faire entendre des voix méconnues. Il s’inscrit dans une perspective ouvertement politique et militante (à l’instar du numéro consacré au Chili), comme pour réagir à la situation de ce pays dont la situation sociale, la démagogie du pouvoir, le basculement vers une droite fascisante et brutale. Ouvert par une rencontre avec Dilma Rousseff, l’ancienne présidente et proche de Lula, le dossier raconte un siècle de poésie, y pose des jalons, des étapes. On traverse un immense panorama langagier. On perçoit bien les ruptures successives qui, du modernisme (lire le très bon numéro 599 d’Europe de 1979) porté par Mário de Andrade, Paulo Menotti del Picchia et Oswald de Andrade jusqu’aux mouvements du début du XXIe siècle, en passant par les postmodernistes et la Génération 45, font évoluer une poésie qui lutte avec sa propre langue et ses héritages compliqués.

 

Tarsila do Amaral (détail)

Ce panorama synthétique très clair permet d’avoir une vision globale du paysage poétique brésilien, qui s’enrichit d’une réflexion sur les relations entre les mondes franco- et lusophones. René Depestre raconte sa découverte d’une littérature et de grands écrivains. Il confie ses rencontres avec Jorge Amado, la révélation de « l’œuvre cathédrale » de Guimaraes Rosa (dont il faut absolument lire Diadorim et Mon oncle le jaguar), les connivences avec les démarches des écrivains antillais (on pense beaucoup à Glissant bien sûr) et replace ces lectures dans les mouvements esthétiques qui bouleversent le continent sud-américain. Dans ce numéro, en découvrant les travaux photographiques de Sebastião Salgado ou les œuvres d’artistes musicaux, on reconnaît des liens insoupçonnés entre nos espaces culturels. Mais surtout on y lit des poètes récents, dans la traditionnelle anthologie poétique (avec beaucoup d’inédits) que proposent Oleg Almeida et Philippe Monneveux. On lira ainsi des poètes majeurs depuis les deux Andrade jusqu’à Antonio Miranda, en passant par Hilda Hist, y entendant à la fois une diversité formelle et des urgences communes. Lire ce dossier très complet fait découvrir des voix, des positions esthétiques, des figures essentielles, une communauté de poètes qui luttent « pour établir un langage propre cherchant à intégrer les traditions indigènes, africaines et européennes. »

Ce 49e numéro des Hommes sans Épaules met en avant deux autres poètes qui eux aussi luttent avec le réel par les moyens de la poésie. D’un côté on redécouvre le poète surréaliste américain très attachant, Philip Lamantia, qu’André Breton mettait en avant en 1943 dans la revue VVV, proche du groupe de Chicago, dont on pourra lire plusieurs inédits traduits Cédric Barnaud. Ainsi :

Les gens marchent comme dans un rêve éveillé

Et travaillent dans un ordre terrifiant

Sous le chaos que leur corps rejette

Breyten Breytenbach en 1983, par Rob Croes

Quels échos avec notre situation stupéfiante de confinés ! Notre place dans le monde est inévidente, nous rappellent ces poèmes. On déambule dans le réel, en quête d’une place, d’un terrain, d’une perspective.  Ainsi on pourra retenir, c’est une excellente chose, les poèmes du grand écrivain sud-africain quelque peu éclipsé, Breyten Breytenbach. Engagé aux côté de l’ANC, il lance le mouvement clandestin Okhela – le manifeste paraîtra dans Les Temps Modernes en 1984–, s’exile, lutte. Son œuvre, écrite en afrikaans et en anglais, exprime comme aucune la fragmentation d’une société et d’une culture qui, comme au Brésil, travaille sa propre histoire, ses propres mélanges. Il le rappelle bien lorsqu’il dit que « ce que l’on véhicule à travers les poèmes est très intime, de l’ordre de l’exorcisme, de l’incantation ». N’est-ce pas ce à quoi il faut penser aujourd’hui, à la manière dont le poème, les poètes, nous font repenser notre place, nos héritages, nos liens politiques et esthétiques, la manière dont ils nous offrent une épaisseur existentielle, un état poétique vital ?

Hugo PRADELLE (in "Au fil des livraisons", www.entrevues.org, 6 mai 2020).

 

 *

La revue semestrielle est si copieuse (354 p. !) que c’est toujours un crève-cœur de ne pouvoir en présenter que quelques aspects.

Présenté par Philippe Monneveux et Oleg Almeida, le principal dossier fait un état des lieux exhaustif de la poésie brésilienne, largement méconnue, pendant la période qui va « des modernistes à nos jours ». On y découvre comment la poésie brésilienne, après avoir rompu avec les influences académiques du Portugal et d’Europe, a renoué avec ses origines africaines et intégré les traditions ancestrales de ses peuples autochtones. Elle est aujourd’hui plurielle et comprend de plus en plus de voix féminines.

Le poète carabéen René Depestre évoque sa découverte du Brésil. Sebastião Salgado rappelle l’importance de l’Amazonie pour notre survie. Christophe Dauphin, par l’évocation de Dilma Rousseff, présidente du Brésil de 2011 à 2016, apporte des éléments sur la situation politique présente. Des textes de 34 poètes traduits du portugais par Oleg Almeida illustrent ce dossier.

Marie-Josée Christien (revue Spered Gouez / l'esprit sauvage n°26, 2020).

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Et la porte est verrouillée – J’ai les menottes dans le dos… – Ils sont dehors mes frères de guerre – dans le soleil et dans le vent – Et si je pleure – je pleure souvent – C’est qu’ici je ne puis rien faire : Madeleine Riffaud, pour ouvrir la note concernant le n°49 des Hommes sans Épaules. Un numéro tout de révolte et de résistance. Madeleine Riffaud est une sacrée bonne femme : dans l’action armée dès 1944 sous le pseudonyme de Rainer en hommage à Rainer Maria Rilke, emprisonnée, torturée ; journaliste, elle couvre la guerre d’Indochine ; elle milite contre la guerre d’Algérie.

C’est aussi sous cet angle, révolte et résistance, qu’est placé le dossier Poésie brésilienne (270 pages, piloté par Philippe Monneveux et Oleg Almeida). Il s’ouvre avec un entretien très politique de Christophe Dauphin avec Dilma Roussef, amie de Lula, Présidente du Brésil destituée lors d’un procès « truquée » par l’actuel Bolsonaro. Suivent les textes militants du photographe Sebastiao Salgado (la destruction de l’Amazonie), et de l’haïtien René Depestre (la fraternité Caraïbe). La poésie brésilienne est jeune. Elle est née contemporaine (avant, elle est coloniale), moderne (moderniste). La partie anthologique regroupe 34 poètes contemporains. Elle est généreuse et forcément aussi diverse qu’est le peuple du Brésil : Vinicius de Moraes : Ma patrie est comme si elle était de nulle part – une grâce intime, une envie de pleurer, un enfant endormi – c’est ainsi qu’elle est ma patrie… - Je sais qu’elle est cette lumière et ce sel et amers… Cecilia Mireles : Je chante puisque l’instant existe – puisque la vie est complète – Je ne suis ni joyeux ni triste – Je suis poète… - Je ne sais qu’une chose : en chantant – je fais perdurer mon transport…

Dans ce numéro 49 des Hommes sans Épaules encore : les présentations et des poèmes de Philip Lamantia, Breyten Breytenbach, des poèmes de Philippe Monneveux, Alain Breton, Christophe Dauphin… et le soutien du même Christophe Dauphin aux Gilets Jaunes.

Christian DEGOUTTE (in revue Verso n°181, 2020).

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La revue Les Hommes sans Épaules est si copieuse (354 pages, pour ce numéro 49 !), que c’est toujours un crève-cœur de ne pouvoir en présenter que quelques aspects. Présenté par Philippe Monneveux et Oleg Almeida, le principal dossier fait un état des lieux exhaustif de la poésie brésilienne, largement méconnue, pendant la période qui va « des modernistes à nos jours ». On y découvre comment la poésie brésilienne, après avoir rompu avec les influences académiques du Portugal et d’Europe, a renoué avec ses origines africaines et intégré les traditions ancestrales de ses peuples autochtones. Elle est aujourd’hui plurielle et comprend de plus en plus de voix féminines.

Le poète caraïbéen René Depestre évoque sa découverte du Brésil. Sebastiao Salgado rappelle l’importance de l’Amazonie pour notre survie. Christophe Dauphin, par l’évocation de Dilma Rousseff, présidente du Brésil de 2011 à 2016, apporte des éléments sur la situation politique présente. Des textes de 34 poètes traduits du portugais par Oleg Almeida illustrent ce dossier.

Marie-Josée CHRISTIEN (in revue Spered Gouez n°26, novembre 2020).

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Après un bel éditorial dû au lyrisme de René Depestre : "Est rageusement poète l'homme ou la femme que consume la la passion de déplacer sans cesse les bornes que l'on impose à la parole". Ce numéro 49 des HSE tient parole en déplaçant les bornes. Quelles richesses et découvertes dans ces 354 pages, où études et poèmes se conjuguent. Philip Lamantia et Breyten Breytenbach, Madeleine Riffaud.... Aurélie Delcros, ... Thomas Demoulin...

Puis vient l'important dossier consacré à la poésie brésilienne, des modernistes à nos jours. photos, essais, témoignages et, bien sûr, une anthologie: "Je chante puisque l'instant existe - puisque ma vie est complète. - Je ne suis ni joyeuse ni triste : - Je suis poète", écrit Cécilia Meireles. Des chants aux rythmes variés que l'on goûte avec plaisir.

Suivent des poèmes, des critiques, des nouvelles de la poésie, hommages aux disaprus ou joies du travail en équipe, en compagnie du maître d'oeuvre Christophe Dauphin.Un riche volume à ranger dans sa bibliothèque, pour y revenir!

Philippe MATHY (in Le Journal des poètes n°1, 2021, 90e année, Namur, Belgique).




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