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Lectures

"Sans doute est-il difficile (voire impossible) de parler de "La Nuit succombe" d'Hervé Delabarre tant on y peut retrouver l'écriture automatique. Alain Joubert, dans sa préface, met en évidence le surréalisme qui coule dans ce recueil. Il en voit la preuve dans la lecture que fit André Breton de "Danger en rive" : "… c'est chez Hervé Delabarre que Breton retrouve et désigne le chemin de cette poésie qui ne doit rien au calcul, mais tout aux fulgurances de l'inconscient…" (p 10). Revenant à "La Nuit succombe", Alain Joubert relève les mots de vie qu'il oppose aux mots rares...

Les poèmes d'Hervé Delabarre ne vont pas sans une certaine obscurité tant ils explorent cet inconscient dont parle Alain Joubert dans sa préface. Le lecteur attentif remarquera le goût de Delabarre pour l'image  insolite "L'ongle / Incise une nuit capitonnée" (p 17) tout comme pour les mots voisins sur le plan phonétique : "Ainsi va l'immonde / L'antre et l'autre / L'auge et l'ange" (p 18). Le jeu sur les mots n'est pas absent : "mot dire" qui évoque maudire (p 22). Dans la première suite, "Des douves en corps et toujours", le vers se fait bref (réduit souvent à un mot ou deux). "Fétiches", par contre, regroupent deux proses assez longues qui sont l'exemple même de l'écriture automatique (mâtinée de réflexions parfaitement rationnelles). Dans la seconde, on retrouve le sire de Baradel qui traversait déjà quelques pages de "Prolégomènes pour un futur" ; mais l'important n'est pas là, il réside dans le hasard objectif… "La nuit succombe 1" sait se gausser d'une certaine poésie : "la poétesse poétise / et met des bigoudis aux rimes" (p 44) : c'est réjouissant ! L'objectif est bien de capter ce que dit l'inconscient et non de faire joli… Quand ce n'est pas l'ironie qui reprend cette phrase jadis analysée par André Breton dans le Premier manifeste du Surréalisme (1924) et qui devient sous la plume de Delabarre "Laissez venir, marquise, vos cuisses ouvertes à deux battants" (p 56). Même l'attitude anti-cléricale propre aux surréalistes (je me souviens en particulier de cette photographie où l'on voit un crucifix pendu à une chaîne de chasse d'eau ! ou l'ai-je rêvée, ce qui en dirait long sur mon inconscient…) est présente dans un poème d'Hervé Delabarre : "Botter le cul aux pèlerins de Lourdes ou de La Mecque" (p 62) ! "Intermède" (qui regroupe trois poèmes consacrés à des héroïnes de contes traditionnels : Blanche-Neige, le Petit Chaperon rouge et la Belle au bois dormant) est placé sous le signe de la cruauté. Cet ensemble n'est pas le résultat direct de l'automatisme, du hasard tant il est réfléchi mais il exprime parfaitement un certain aspect de l'inconscient et la vision est décapante. L'érotisme n'est pas exempt d'une certaine imagerie convenue (cuissardes, cravache, nudité…) mais il est sauvé par l'humour (la vache qui rit) ! L'irrespect quant à la mort est de mise… La multiplicité des personnages qui apparaissent dans "La nuit succombe 2" assurant une distanciation salutaire et rendant acceptables l'irréligion et l'érotisme (la vulve est omniprésente) de  ces poèmes.

La seconde partie du recueil est un longue (une vingtaine de pages) et libre médiation sur le mot carène qui s'est imposé pour sa sonorité. Les mots jouissent, s'accordent et s'abouchent pour leur musique, pour leur bruit sans aucun rapport au signifié comme le souligne Hervé Delabarre dans ses explications liminaires. Au total, ce livre témoigne du surréalisme qui irrigue la production de maints poètes qui ne s'en réclament pas ouvertement mais qui n'ont jamais fini de payer leurs dettes. Tant le surréalisme a été une porte qui reste ouverte."

Lucien WASSELIN (cf. "Fil de lecture" in recoursaupoeme.fr, juin 2017).

*

" Ce livre, nous dit Alain Joubert dans sa préface, « va vous tenir longtemps au cœur même d’un monde en perpétuel renouvellement ». Il insiste sur le caractère automatique de la poésie d’Hervé Delabarre, marquée par le surréalisme et sa proximité avec André Breton, poésie qui évoque aussi un Benjamin Péret ou un Jean Arp.

Mais qu’est-ce, finalement, que l’écriture automatique ? Alain Joubert précise :

« L’écriture automatique est d’abord une preuve, pas une œuvre. Les textes ainsi produits sont le résultat d’une expérience intérieure qui s’aventure jusqu’à mettre au grand jour ce que l’être recèle de plus secret pour lui-même, ce qui se dissimule dans les plis de son inconscient. Cette preuve désigne la source de la poésie, et assigne au langage – à l’écriture – une exigence à s’incarner ; ainsi l’œuvre peut-elle ensuite apparaître.

Mais y-a-t-il une voie automatique, ou bien faut-il plutôt parler de voix automatique ? Ne serait-ce pas le bruit d’un mot, analogiquement proche de celui d’un autre, qui provoquerait un télescopage en forme d’image, plus riche que la somme des deux termes qui la composent ? Précisons cependant que le seul « son » ne suffit pas au poète, tant il est vrai que le rythme intérieur ne lui fait pas « entendre » des bings, des bangs, des zooms ou des zowies, mais bel et bien des mots qui sont chacun porteurs d’un son, des mots-sons en quelque sorte. Et s’il est vrai que le poète « entend » quelque chose en amont du langage en formation, ce sont des mots qu’il entend, pas des bruits ».

La poésie d’Hervé Delabarre recèle une dimension auditive singulière mais elle fait aussi émerger du non-conscient des forces crues et inattendues, parfois ludiques, parfois implacables.

Le premier poème de ce recueil s’intitule Le sourire noir et dès les premiers vers, un style s’impose, mais non restreint au langage, il s’agit d’un style de l’Être.

A la marge du sourire

La menace

Comme une détresse

 

Imprécation

A peine murmurée

De la blessure à la bouche

De la vénération à la terreur

 

Dans la ravine

Où les tourments sont soulignés du doigt

Le scalpel désigne à la blessure

Les crins noirs de l’abécédaire

 

Franchie l’orée des bas

Et des étoffes noctambules

L’ongle

Incise une nuit capitonnée

Ou encore avec Autre chose :

 

Les mots sont détournés de leur sens,

reste à savoir s’ils en ont un vraiment.

Le rasoir ne dort que d’un œil,

les draps en feu carillonnent,

un arbre foudroyé vous salue,

et la barbe elle-même se met à pleurer.

 

Quoi de plus beau qu’un cure-dent

sinon le cul de Proserpine

ou bien, pour faire bander les rimes,

celui de Messaline.

 

Quant à l’amour,

C’est à désespérer vraiment,

il n’est plus qu’un chemin de croix

qui monte vers un lointain Golgotha

Hervé Delabarre, ce sont aussi des contes et des chants, des contes cruels, à l’érotisme astringent et des chants hantés par le jeu des sonorités.

 

Il est là

Gominé dans ta glu

Englué dans ta glose

D’impudique immolée

D’immodérée sacrée

Et fosse profanée

Car c’est ainsi

Tu l’oses

 

Que viennent les images !

Voici un livre pour « affronter les intempéries du baiser ».

Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, 27 mai 2017).

*

Les Hommes sans Epaules éditions qui ont en 2015 publié un fort volume des poèmes d’Hervé Delabarre récidivent avec un second recueil : La nuit succombe, suivi de Carène. On y retrouve les trois voix affectionnées par Delabarre, que j’entends comme trois paliers dans son expérience de l’écriture automatique, selon qu’un drame personnel, une dérive onirique ou une interprétation perverse-polymorphe (comme on dit des enfants) et parfois burlesque commande à la coulée verbale. La dernière partie de ce recueil donne à lire un long poème « Carène », qui, expérience unique pour son auteur, fut écrit, selon la même écoute de son inconscient, pour être lu en public, accompagné par un groupe de rock. Ce poème, longue incantation érotique, est bien ce jeu de colin-maillard entre signifiants et signifiés, quand les mots s’aimantent les uns les autres, vertigineusement : « Es-tu Carène – Es-tu – Le cri noir d’Hécate ». Une préface d’Alain Joubert ouvre ce livre, dont on retient cette proposition retournant comme un gant une célèbre formule : le langage se structure selon les mouvements de l’inconscient. »

Guy GIRARD (in Infosurr n°134, novembre 2017).

*

Poète et peintre, Hervé Delabarre est l'auteur d'une vingtaine de plaquettes et livres de poèmes. Il est demeuré fidèle à l'éthique du surréel, à la morale de la vérité, à la poésie et au Merveilleux, au surréalisme historique et éternel, qu'il a prolongé dasn ses oeuvres et incarné avec un tel éclat, qu'il ne détonne certainement pas aux côtés d'André Breton et de Benjamin Péret. Avec ce dernier, Hervé Delabarre est le poète dont l'eouvre porte le plus l'empreinte de l'automatisme.

La nuit succombe, nous dit Alain Joubert dans sa préface, " va vous tenir longtemps au cœur même d’un monde en perpétuel renouvellement des approches et des sensations." Joubert précise le caractère automatique d ela poésie de Delabarre comme une preuve, aps une oeuvre: "les textes ainsi produits sont le résultat d'une expérience intérieure qui s'aventure jusqu'à mettre au grand jour ce que l'être recèle d eplus secret pour lui-même, ce qui se dissimule dans els plis de son inconcsient."

Mirela Papachlimintzou (in revue Contact n°81, Athènes, Grèce, mars 2018).

*

"L'ouvrage contient un recueil de poèmes sur un monde en perpétuel renouvellement des approches et des sensations et un poème, écrit en 1981, dans lequel le poète traduit ce qu'il ressent pour le mot carène après avoir écouté, la veille, un groupe de rock amateur."

Electre, Livres Hebdo, 2018.




Lectures

La Théorie de l’émerveil, un enthousiasme pour la vie, ses beautés et ses surprises !

Livres Hebdo, Electre, 2019.

*

"Si vous n’achetez qu’un ouvrage de poésie par an, choisissez celui-ci. Si vous ne savez pas quoi offrir à vos amis à l’esprit alerte,  n’hésitez-pas, le livre d’Adeline Baldacchino les aidera à la réconciliation avec eux-mêmes, le monde et les dieux à laquelle l’oracle de Delphes continue de nous inviter malgré les divertissements qui éloignent de soi-même.

Alors que nombre d’intellectuels tristes, oubliant la leçon de Spinoza, évoquent la nécessité de réenchanter le monde, évoquent seulement, Adeline Baldacchino le fait :

« La théorie de l’émerveil, annonce-t-elle, est une leçon d’émerveillement déverrouillé : elle exige, non pas seulement que l’émerveil rime avec « les merveilles », mais aussi que l’on entende l’invention derrière l’évidence. »

En effet, c’est par l’invention, plutôt que par l’imitation, qu’Adeline Baldacchino introduit une autre rime, émerveil  rime en effet avec éveil. Il s’agit de rester éveiller à ce qui est, par le simple, plutôt que par tout autre chemin : « Qu’il me suffise de dire que je crois moins désormais aux vertus de l’automatisme hermétique, plus à celles de la simplicité partageuse. »

En 1999, à dix-sept ans, Adeline Baldacchino  a publié un premier livre, Ce premier monde. Suivirent des plaquettes de  poèmes et proses poétiques, entre autres, mais il aura fallu attendre vingt ans pour la redécouvrir avec cet ensemble de textes qui est un parcours à la fois dans le temps et dans l’intime, voire l’interne.

Se référant au Manifeste du surréalisme, elle nous confie : « Quelque chose de l’ordre d’une spiritualité sans foi se dégage de ces paroles et m’accompagne depuis longtemps, jusqu’au cœur d’un combat que je crois indéfectiblement social et politique, affectif et sensuel, autant que mystique et littéraire.

Théorie de l’émerveil rassemble des textes de formes très diverses, micro-essais, commentaires, proses poétiques, poèmes, haïkus… L’ensemble est bien une théorie, mais une théorie arrachée à l’expérience, à la vie, une théorie qui est aussi un art de vivre, parfois de survivre, par l’amour, la lumière, la beauté, la joie… afin de flotter dans une axialité à réinventer d’instant en instant, quelque part entre l’horreur et le sublime,

Adeline Baldacchino déchire les voiles opaques, tantôt en les arrachant à pleine main, tantôt avec la délicatesse de l’esprit. Il ne s’agit finalement que de liberté mais de toute la liberté.

« J’ouvre au hasard une traduction d’Omar Khayyam, j’attends qu’il me parle de ses cruches de terre qui furent des gorges d’amoureuse, j’attends l’oracle, « Puisque la fin de ce monde est le néant / Suppose que tu n’existes pas, et sois libre ». »

L’ouvrage rappelle les écrits des vieux maîtres constitués de perles enfilées sur le fil fragile de l’être. C’est incertain, c’est serpentin, cela fait irruption dans la conscience, il s’agit d’ouvrir une brèche dans les couches successives des conditionnements toxiques mais, le lecteur attentif, pour peu qu’il soit encore vivant, saura y trouver au moins une méthode pour lui-même , si ce n’est une anti-méthode:

« Ne plus reculer. Avancer. Ne plus espérer. Faire. »

« jouir d’être

lancé vers le ciel impur

qui recommence

corps liquide

enfoncé dans le temps

vierge

où mûrit l’innocence. »

Adeline Baldacchino sait que le temps est le cadre ou le contexte de tous les affrontements, de toutes les déchirures. Elle ne cesse de questionner le temps pour le prendre à défaut et s’en affranchir.

« Le temps s’écarte

cuisses défaites

peuplades de nos corps »

« je m’esquinte l’âme

contre les esquilles du temps

je résiste à la tentation

de refaire

le monde avec des échardes

le bois coupé

ne survit qu’en braise

phénix de cendrars

plus tendu vers l’étrave

plus accordé à la mer

plus encordé au monde

violemment présent

dans l’apparition

de l’instant pur. »

Avec cet ensemble de textes dont l’unité naît du caractère disparate de l’apparaître, Adeline Baldacchino souligne l’évidence d’un ordre libertaire de la délivrance, une évidence parfois douloureuse.

« La théorie de l’émerveil, nous dit-elle, cherche sans cesse à nous convaincre qu’il vaut la peine de vivre. »

« La théorie de l’émerveil est assise sur une pratique de l’émerveillement dans laquelle rien de ce qu’elle promet ne trouve forme dans le réel qui cavale de l’autre côté de mots. »

 Reste l’essentiel : « On écrit des livres entiers pour comprendre ce qu’est une vie réussie, alors qu’il n’y a qu’une seule réponse, juste là sous nos yeux : aimer, être aimé. »

Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, 16 octobre 2019).

*

Adeline Baldacchino, née en 1982, passionnée très jeune par la poésie contemporaine qu’elle découvre à travers Rimbaud, le surréalisme et l’Ecole de Rochefort, a fait entendre sa voix dans son livre sur la poésie de Michel Onfray et dans La Ferme des énarques où elle critique l’Ecole nationale d’administration qu’elle a intégrée en 2007. Théorie de l’émerveil a fini par naître quand elle a pris la résolution de « son intuition » en sélectionnant des textes pour la plupart inédits. L’ensemble s’étale sur treize années, de 2006 à 2019.

Ce terme d’« émerveil », récurrent dans son œuvre comme lui a signalé Alain Kewes, l’éditeur de ses deux derniers recueils, rappelle au lecteur le J’émerveille d’Apollinaire, mais c’est de Blaise Cendras qu’elle a pratiqué l’écriture et c’est lui qu’elle admire jusqu’à en écrire un ouvrage biographique. Elle y souligne qu’« il a voulu que la poésie soit dans la vie avant d’être dans ses livres. Il a fini par confondre les trois : la poésie, la vie et les livres ». Elle ajoute – et c’est essentiel pour la comprendre : « Il avait bien raison. Je ne sais pas faire autre chose ».

La poète donne dans sa préface, qui date d’avril 2019, les raisons premières de cet émerveillement : une graine semée par l’amour dont ses propres parents lui ont montré l’exemple ; et cette « spiritualité sans foi » qu’elle a découvert dans Le Manifeste du surréalisme. C’est là qu’elle signale la méthode nécessaire d’après elle pour approcher son Anthologie, « on pourra donc parcourir ce recueil à l’envers, en commençant par la fin, où figurent des ensembles auxquels je tiens particulièrement, les AtlantidesGrève contre la mort, ou la Théorie de l’émerveil… ».

Après un recueil de haïkus et des proses poétiques sur la faune, la flore et les éléments, Atlantides, un inédit, écrit entre 2015 et 2017, dès son incipit : « Je vais vers une île » du volet I, Une île dans l’Atlantique, et, dès les premiers poèmes nommés Jour 1, évoque un besoin de voyage sans doute intérieur qui est à la fois désir, attente et sentiment de manque. A la seconde page trois vers, comme un véritable impératif, annoncent le remède : « l’ordre de l’aube / contre l’ordre / du manque » ; des septains aux vers brefs – d’un seul mot parfois – semblent, grâce justement à leur concision, courir sur la page s’alliant à « la joie », au « goût du vin » et à « l’élan vertical de l’oiseau ».

La chute de Jour 2 exprime par contraste une lucidité obligée : « j’aime le monde / et ne fais qu’y passer », et le lexique, dans son champ, est de fait négatif : « scories, oubli, abandon, délitement, vide de certitudes (le corps) ». Un constat dont l’issue est heureuse puisque « les mots sont des perles ». Jour 5 voit ensuite la fusion entre le cosmos et la poète qui « marche sur les pieds / dans le ciel » et trouve ses marques en innovant dans la forme et le fond, toujours grâce à la lumière et, depuis l’aube, au jour :

J’atteins les fontaines

par où s’effondre la source

du soleil

j’incan

descence

bordée de nuit

je désonge.

Elle avance, dansant ou marchant sur le sol « rouge », hors du temps, mais la nuit et l’angoisse reviennent avec, pour compagnons, des mots rédempteurs nés « dans l’intensité foudroyante / du silence ».

Le volet II, Un cargo sur l’Atlantique, montre un regain de force malgré la présence de fantômes quand, dans la première partie, Partance, il s’agit de planer comme l’oiseau et d’épouser les mouvements des vagues. Cela avant de formuler dans Hypothèse la présence possible de l’impuissance et du silence. Puis, au milieu des machines et de la mer, le corps qui « s’impose » doit trouver sa place et affronter le temps quitte à manger du sable. Pour Devenir, selon le titre du groupe 6, phénix de Cendrars, il faut savoir se détourner du passé et retrouver le désir comme au « premier jour » même s’il l’on doit oublier les mots pour se mêler aux éléments. Ainsi les poèmes suivants se nomment-ils Aphasie.

La suite du recueil balancera entre deux états d’âme. L’ensemble 9 s’appelle en effet Embrasement, et dit :

le cœur s’étonne

pris entre le regret de ce qu’il quitte

et la soif de ce que l’on fut

L’absence de l’être aimé, évoquée une seule fois auparavant par « tes caresses », apparaît au volet III, le dernier de l’opus, mais seulement pour dire qu’il est quelque part présent au point de pouvoir lui parler. Et, si tout recommence, c’est « depuis que l’on aime », depuis ce jour où le poème a pris son sens : « le poème sera tout ton souvenir ». Comme « sous la mer / une Atlantide ». S’expliquerait alors le titre de cet inédit écrit l’année suivante, Grève contre la mort, promesse d’énergie optimiste. Son premier poème entérine le thème du phénix et donc l’opposition mort-vie qui introduisent une écriture de la tension et de la lutte. La ferveur induite produit là encore, dans La Lettre aux vivants, un certain lyrisme :

Chevauche et débride les vagues…

pour leur rendre la force

et la joie d’inonder

Puis, jusqu’à la fin du recueil interviennent des Notes-Poèmes, comportant au début des sortes de versets qui se rejettent à gauche de la ligne, s’alliant parfaitement au ton ample de la réflexion :

Note bien qu’il n’y a rien de mieux à faire que de regarder

la mer

Il s’agit de noter qu’il n’y a, pour le « spectateur », rien à changer aux évidences, aux regrets possibles et au destin et qu’on ne sait vraiment que l’amour. Ainsi existerait une fois de plus le désir et il se fait sentir au milieu d’images toujours innovantes comme « les épaules de la nuit » ou « les clairières félines ». Adeline Baldacchino peut donc se poser l’ultime question du poète qu’elle sait ici résoudre : « comment fait-on résonner le chant ». La suite se présente encore sous forme de litanies introduites par l’anaphore Note bien et établit un va-et-vient entre doutes et certitudes : « Note bien que tu peux en rire autant qu’en périr ». Mais l’œuvre accomplie, même si « les mots ne sont que d’autres manières de sangloter », reste porteuse d’espérance. C’est pourquoi la dernière partie éponyme du titre clame la liberté acquise par « les poètes (qui) ont tous les droits » jusque dans l’écrit où symboliquement on ne mettra pas de majuscule. L’essentiel étant, puisqu’il s’agit de souffrir et de mourir malgré « le sursis… pour aimer », d’avancer dans le vent vers la mer et de « tenter de vivre ». Ainsi cette grève, qui aurait pu être celle des mots sans pouvoir, est-elle bien, à la manière de tous les révoltés, un véritable manifeste, selon le mot sous forme de verbe employé par la poète elle-même.

Ce sont par des versets – on en connaît sinon le lyrisme du moins la musique – qu’Adeline Baldacchino a choisi, en cette année 2019, de conclure sa démarche en sept pages qui portent le titre de l’Anthologie même. Ce qu’elle veut être, en effet, dès le début, « une ode à la mémoire », est une tentative de survie dans l’attente de la joie car « La théorie de l’émerveil cherche sans cesse à nous convaincre qu’il vaut la peine de vivre ». S’il y a une renaissance c’est par les mots qu’elle a lieu dans la lumière et la création d’une réalité qui est celle de l’amour puisque « il n’y a qu’une seule réponse, juste là sous nos yeux : aimer, être aimé ».

France Burghelle Rey (in la cause litteraire.fr, 30/10/2019).

*

Ce qui est très surprenant dans un premier temps, c’est l’importance accordée aux chiffres dans la composition des différents recueils de poésie d’Adeline Baldacchino, rassemblés ici dans un gros volume couvrant la période allant de 2006 à 2019.

Illustration : Lucien Courtaud : Tauromachie fleurie (1959)


Séries numérotées, partie intitulée : « Treize tableaux diogéniques », cent haïkus (divisés en trois tronçons de 33 + 1), quatre treizaines (suivant le calendrier aztèque) dans une partie appelée : « Vers le cinquième soleil », journal numéroté et daté… Cette dimension semble un peu moins prégnante aujourd’hui, même si les deux recueils publiés chez Rhubarbe récemment « 13 poèmes composés le matin… » et « 33 poèmes composés dans le noir… » montrent bien chez elle l’importance fondatrice du nombre. Importance aussi de la structure cosmogonique, si l’on y ajoute la dimension géographique qu’on perçoit dans les titres comme « Poèmes de Martinique » ou « Poèmes de Prague » et les localisations finales des poèmes.

La seconde évolution, ou variation, que l’on peut constater, c’est l’auteure elle-même qui la pointe en préface : je crois moins désormais aux vertus de l’automatisme hermétique, plus à celles de la simplicité partageuse… Un exemple parmi d’autres d’images surréalistes qui émaillaient la période initiale : Il y a dans ma poitrine des hérissons roulés en boule qui s’éveillent aux premiers feux mouillés de l’aube… La période actuelle a en effet changé l’angle d’attaque de sa poésie là aussi, la fulgurance de la forme a laissé place à une signification plus aiguë : Et je ne demande rien de plus à la beauté que d’être l’envers de la peur. Même si les thématiques demeurent les mêmes, elles sont abordées cette fois de front, voire de l’intérieur, alors qu’elles l’étaient davantage emportées dans le mouvement lyrique des images et des mots. Le désir, l’amour, la jouissance, la mort… et un thème transversal : la mer, une partie entière lui est consacrée : « Atlantides » avec une traversée de l’Atlantique en cargo : je ne sais plus ce qui vibre en moi / de la machine ou de la mer / de la carcasse ou du squelette / du verre ou des os… Autre intérêt de ce recueil anthologique, on mesure la diversité de l’écriture entre la prose fluide des treizaines par exemple et la densité du haïku Comme la solitude est brune / et vieille l’horloge / des âmes en rut

Ce livre sur treize ans matérialise tout un parcours de poésie et de vie, Adeline Baldacchino n’écrivait-elle pas au tout début : je ne joue qu’en me gommant un peu je n’ai pas choisi le bon crayon… On constate que le tracé s’est affirmé avec le temps. Et cette phrase si positive, tirée de la dernière partie qui donne le titre à l’ensemble, à lire comme une profession de foi : La théorie de l’évermeil cherche sans cesse à nous convaincre qu’il vaut la peine de vivre.

La postface de Christophe Dauphin est remarquable comme d’habitude. Il revient sur l’existence d’Adeline Baldacchino ainsi que sur son œuvre, poésie bien sûr et essais philosophiques et littéraires (Max-Pol Fouchet, l’ENA, Onfray, Cendrars, Yourcenar…).

Jacques MORIN (cf. "Les indispensables de Jacmo" in dechargelarevue.com, novembre 2019).

*

Le monde et la littérature, la poésie et les mythes, les îles et les étoiles tournent dans la tête d’Adeline Baldacchino. Elle est entrée en poésie à 17 ans, en 1999, avec une première publication et, dès ses débuts, elle s’émerveille de tous les mouvements de la vie, de la combinaison infinie des formes et des langages. Elle réunit plusieurs ensembles dans Théorie de l’émerveil, recueil, au titre aussi surprenant qu’enchanteur. L’auteure confie s’être engagée « à tâtons dans la grande promesse des mots » et note avec humour que les plus anciens des textes rassemblés ici apportent « un éclairage archéologique » sur l’œuvre en devenir. Elle refuse ardemment l’indifférence et affirme d’emblée l’urgence de cette écriture qui revendique à l’instar des surréalistes, sans allégeance, « quelque chose de l’ordre d’une spiritualité sans foi […] jusqu’au cœur d’un combat […] indéfectiblement social et politique, affectif et sensuel, autant que mystique et littéraire. » Les séquences sont datées et classées chronologiquement, de La part de l’oubli (2006) à Théorie de l’émerveil (2019).

Dans La part de l’oubli s’ouvre un abîme de questions existentielles : « Nous courons après l’oméga sans pouvoir déchiffrer l’alpha ». Faute de percer les mystères de la vie, de l’amour, de l’outre-mort, l’auteure se « livre à la vie comme le naufragé finit par se livrer à la mer. » A la lumière des leçons de Vladimir Jankélévitch et d’Andrée Chédid, elle chemine parmi les « cristallisateurs d’évidences » et découvre que le corps qui « ploie sous le faix des mirages improbables […] est composé d’encre autant que de peaux. »

La séquence suivante confirme - au pluriel -, le lien étroit entre le corps, l’amour et l’écriture : Petites peaux de poèmes. Rêverie éveillée dans laquelle des fulgurances fusent ou se figent : « le songe est muet dans les interstices du gouffre. » Des lèvres se cherchent d’une rive à l’autre des océans de peur, les nuits des villes s’illuminent d’apocalypses énigmatiques, de : « flambées d’étoiles dans les rues qui sombrent… »

De quelle promesse s’éveillent les sens : « serment de salives épanchées dans la nuit » ? Portraits du pays d’amour est une invite directe au lecteur, à partager cette « aspiration vitale […] ce désir haut perché, cette increvable envie de tenter le diable – pour vivre avec les autres. » Conseil ou principe fondateur de toute existence sensible : « je voudrais […] que tu fasses honneur à l’enfant que tu abrites… » Et l’auteure, de revenir sur « ce chaos généalogique » dont se détachent deux visages, « grâce auxquels je m’accroche au monde comme bernard l’hermite à sa coquille : mes deux grand-mères. Rachel et Paule. » (L’une née en Algérie, l’autre en Iran).

Ajoutons une branche à l’arbre généalogique : son père est Maltais. La coquille métaphorique du fragile crustacé est largement ouverte ! Autre image d’un symbolisme limpide, détachée de treize tableaux-autoportraits : « longtemps boire de l’eau devenir sa propre fontaine ».

C’est à travers la cosmogonie aztèque, de la fin de l’ère de Tezcatlipoca, qu’Adeline Baldacchino renaît à elle-même dans une suite de quatre treizaines, « pour explorer les ressorts du désir » : « je venais de mourir à l’enfance, et je devais patienter pour revivre - ». Sous le signe du crocodile, elle revendique sa singularité émancipatrice : « Je veux écrire ma Chute mon Camus ma fable à moi, je veux retrouver l’intuition la parole à vif ancrée dans le corps qui la pensait à ma place. J’avais 17 ans, je n’avais pas fait l’amour […] je savais seulement que ce serait ça la vie, des mots puis de la chair… » Après n’avoir tiré de l’inconnu, en quête « de sens » ou « de mélodie », qu’un « chant de peine muselée », elle refuse d’aller plus avant, « comme une étranglée précoce », dans l’indifférence du monde.

Très éprouvée par des deuils intimes, elle marche « à contre-mort », thème récurrent d’une révolte définitive, mais elle ne se prive pas, à l’instar d’un Desnos, de jouer avec les mots et les personnages de ses premières lectures : « je peux dire ce soir ô oui lupin je m’arsène, et boire de l’arsenic avec le comte de Monte-Cristo dans les cahiers où je rangeais des vengeances secrètes… » Les pages (é)lues coulent « dans [sa] gorge comme serties dans [sa] propre chair ». Elle-même dit avoir « des poèmes plein la gorge » : « tu tournes autour de toi-même / derviche animale ». Dans Atlantides, elle garde trace de son passage, dans le monde, « juste un pont », et veut voir des choses qui la font frémir… Elle joue de néologismes et de mots-valises : son angoisse est « une vieille amie désastrée » ; elle se « désobture », « s’évase ». En temps de désillusions, refaire le monde est devenu hors jeu : « le bois coupé / ne survit qu’en braise… »

Lectrice passionnée de Cendrars, elle s’identifie à lui -au nom commun- : « phénix de cendrars / plus tendu vers l’étrave / plus accordé à la mer / plus encordé au monde / violemment présent / dans l’apparition / de l’instant pur. » Dans la Lettre aux vivants, le souffle lyrique s’exaspère : « la rage se monte à cru ». L’ardeur se fait violente, « dans un grand abattoir virtuel » : « si tu cries c’est pour creuser / […] la mine sans fond / du silence couché… »

Dans Re-Génèse (2016), Adeline Baldacchino, célèbre la puissance d’Eros contre Thanatos, dans sa parole à la fois incandescente et crue : « ce serait comme / le ventre offert et la fente abrupte / par où s’écoule un peu de salive / ou de sève diffuse // Ce serait comme / les doigts qu’on y glisse / les sexes qui s’habitent / et les cris qu’on y forge // (à en faire fuir / même la mort). » La parenthèse ici, fait fi de la noirceur érotique d’un Georges Bataille et renvoie la « petite mort » aux fantasmes obscurs !

L’auteure dédie Grève contre-la-mort à Joseph Andras, levant le voile d’oubli sur « les assassins bienveillants » de Fernand Iveton et autres frères blessés des « temps maudits ». La révolte contre la banalisation de la mort s’étend à tout le champ sémantique des soins palliatifs, de l’acharnement thérapeutique, etc. : « on vous branche / on vous débranche / […] on trafique / des organes / […] métronomes de l’espoir / qui cliquent et qui claquent… » L’écriture elle-même est le thème central, sensuel, de l’ouvrage. D’écrire, comme naviguer à vue « dans l’éclatante ascèse / des solitudes. » Ecrire et aimer ne font plus qu’un : « sourdre de toi-même » : « aimer serait cela : / ce petit frisson de pulpe / au creux de l’âme… »

Enfin, Théorie de l’émerveil (2019) est un traité d’amour du monde réel -onirisme inclus-. L’auteure cristallise son souffle lyrique en aphorismes énigmatiques ou lumineux. Certains donnent des ailes. D’autres appellent le large : « Si tu as suffisamment de mer au fond de l’âme, elle pourra flotter. » L’allégorie élève à ciel ouvert : « Ainsi les livres ne sont-ils que des échelles de Jacob dressées vers le ciel, par où circulent les anges qui montent et qui redescendent […] On se fait la courte-échelle pour se jucher sur le dos des dieux. »

Christophe Dauphin, éditeur et postfacier de Théorie de l’émerveil, « livre le plus ambitieux d’Adeline Baldacchino en poésie », caractérise avec justesse cette écriture frémissante, -en immersion dans les cultures et littératures de multiples ailleurs- : « Un désir palpite. Ses nerfs sont à vif. Le brasier saigne entre les lignes. […] Treize années d’écriture, mais avant tout du Vivre dans les veines du monde… »

Michel MÉNACHÉ (in revue Europe, 2019).

 

 

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Dès la couverture, on s’arrête, intrigué : l’« émerveil » qu’on aurait juré être élan impromptu de l’âme ou du cœur, peut-il être théorisé ? Connaissant la capacité analytique et conceptuelle de l’auteure, et considérant l’épaisseur du volume, on s’attend durant trois secondes à un essai d’esthétique. A la quatrième, nous reviennent son goût joyeux de l’oxymore et son espièglerie : « la sagesse est faire de rires. »

Le volume s’ouvre tout seul, révélant une anthologie poétique personnelle qui rassemble des textes, inédits ou pas, proses ou vers, écrits durant les treize dernières années. La théorie doit peut-être s’entendre au sens de suite, comme on parle d’une théorie de hérissons entreprenant la traversée d’un parc ?

L’une des parties du livre est d’ailleurs consacrée aux « micro-jubilations » ces éblouissements secrets, autre nom de l’émerveil. Voire. En tout cas, treize années d’écriture chez une auteure dans la trentaine, la famille poétique trottineuse est quasi au complet. Et le voyage lui est assurément consubstantiel : « Regarde – les taupinières de l’aube – (par où l’on sort – du terrier – quand on a bien creusé – les galeries de l’intérieur – et – que l’on veut – enfin – jouir dans le monde) ». le monde, ce sera le Mexique, l’Iran, la Méditerranée, la Martinique, Prague et cent autres lieux dûment nommés ; des trains, des avions, des cargos pris dans le compagnonnage de Cendrars : « je regarde par le hublot – les nuages en troupeaux… - (la mer à l’envers)… - j’aime le monde – et ne fais qu’y passer. »

L’émerveil, donc, est cet élan qui pousse à aimer, êtres et paysages, le feu des soleils et le sel des océans, tous les livres de l’humanité et les mots qu’on leur ajoute. Eperdument. Il engage tout le corps et toute l’âme. L’émerveil est un émerveillement… qui ne ment pas. Et il en faut, de la persévérance, de l’opiniâtreté dans l’amour, car les treize années d’écriture qu’on lit dans l’ordre chronologique témoignent aussi d’épreuves, de douleurs terrifiantes.

La volonté d’aimer souvent s’est dressée contre la mort dont on sait qu’elle gagne toujours. Il faut alors renaître de ses cendres, retrouver l’étincelle. « La théorie de l’émerveil cherche sans cesse à nous convaincre qu’il vaut la peine de vivre » et « je ne demande rien de plus à la beauté que d’être l’envers de la peur ». La poésie d’Adeline Baldacchino, tour à tour lyrique, exaltée, joueuse, colère, est aussi autobiographique car l’écriture n’est pas en dehors de la vie, pas à côté, pas une échappatoire ou un refuge : elle est la vie même.

Ca à l’air banal, évident, mais c’est en réalité très difficile et l’on voit l’auteure en permanence devoir résister au chant de sirènes des mots qui pourraient bien prendre toute la place et, simplement, consoler de la vie : « si j’apprenais à vivre – avant que de raconter – pendant que les mots s’agglutinent – à la mort intérieure – si je revenais à la vie – pour y réapprendre – le prodige d’aimer «  - « puis je me tais – les couleurs prennent – le pouvoir que – je leur cède que – je n’ai jamais eu que – la parole n’a pas – le pouvoir d’être (et non de dire) ».

Il faut de la patience, de la lucidité et aussi un peu de chance parfois ; et l’auteure de faire l’éloge de la sérendipité, de l’art de trouver ce qu’on ne cherchait pas, cet émerveil inversé, qui nous est donné par le monde, sa beauté, cette expérience de la mer Caraïbe où « les traces doucement du souvenir – se détachent de la peau salée… (où) essorée par la houle – il est temps peut-être – de laisser partir les fantômes ». Et de savoir accueillir l’amour après l’avoir tant offert.

Alain KEWES (in revue Décharge n°184, décembre 2019).

 

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C’est une somme poétique, que ce gros livre autant enthousiaste qu’enthousiasmant. L’émerveil n’est pas qu’une théorie de l’émerveillement, c’est une manière de vivre et de vibrer.

Cet ensemble poétique est un bouquet lumineux, uen souirce étincellante. Adeliane Baldacchino nous dit sa ferveur pour la vie, même dans se sheures les plus seombres. Pour l’auteur, les poèmes ont une epau, sensible ou douloureuse, mais toujours féconde comme son œuvre multiple et passionnée. « J’ai des poèmes plein la gorge », dit-elle, elle n’a aps fini de les chanter.

Maurice CURY (in revue Les Cahiers du Sens, 2019).

 

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Si l’on veut bien comprendre et apprécier le parcours d’Adeline Baldacchino, on lira en premier la parenthèse, préface et postface, de Christophe Dauphin.

Il était temps que le « météore Baldacchino » se pose un peu, fasse le point et se recentre sur « une simplicité partageuse ». C’est chose faite avec ce livre et grâce à la « passion de passeur » du préfacier.

Après avoir parcouru tous les continents et publié des dizaines d’ouvrages divers (essais, poèmes, pamphlets,…), cette auteure donne à lire une douzaine d’ensembles structurés de textes poétiques d’un lyrisme sans faille. Étonnante alchimie entre jeunesse et maturité pour cette forte personnalité qui écrit : « Je sais qu’il n’est pas de secret qui tienne pour faire une œuvre, sinon la faire. »

Georges CATHALO (cf. « Itinéraires non balisés » in www.terreaciel.net, janvier 2020).

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Je lis je relis la « somme » poétique d’Adeline Baldacchino, récemment publiée aux éditions Les Hommes sans Épaules. Théorie de l’émerveil. Un titre qui a le pouvoir de m’aimanter entre deux pôles qui en moi lectrice s’attirent et se repoussent. Théorie|émerveil. Vais-je devoir caboter entre l’écueil de l’un et le diamant de l’autre ? « Théorie » me fait peur. Jusqu’au frisson, presque. « Émerveil » m’emplit de promesses. Jusqu’au désir. Pour me rassurer, je pourrais me reporter à la préface dans laquelle la poète se confie afin d’éclairer son propos. Mais libre je suis et pour l’heure je préfère naviguer à vue d’une section à l’autre de l’ouvrage. Lequel rassemble treize années de poiein poétique, de 2006 à 2019. Chacune des quatorze sections qui composent l’ensemble du recueil mériterait à elle seule une étude ou analyse. Je me contenterai de lancer quelques fils d’accroche qui pourraient s’agencer autour de mots pris au hasard : mer miroir margelle mémoire masque mo(r)t amour ; ou désir sidération ardeur plaisir joie ; ou encore solitude tarissement effroi oubli… Car tout, dans l’écriture d’Adeline Baldacchino, semble s’enrouler autour de deux pôles antinomiques. Désarroi (vertigineux) et jubilation (intense) :

« J’écris ce soir pour ne pas mourir, pour ne pas en avoir envie, pour la jubilation, pour tous ces mots qui débordent au-dedans de la chair et je ne sais qu’en faire » (« Vers le cinquième soleil », « 2-Vent » in « Première treizaine », 2014).

Une opposition qui s’abolit dans le couple « aimer, être aimé » (in « Théorie de l’émerveil », mars 2019).

Dans « émerveil », j’entends la « mer ». Et c’est à la mer que je m’associe et que je m’arrime d’une section à l’autre. La mer, en effet, quel que soit le moment de l’écriture – quels que soient le mouvement et l’ondulation que celle-ci peut prendre – est omniprésente. Elle est l’élément primordial qui nourrit la ferveur. Une ferveur vitale traverse en effet l’œuvre polymorphe d’Adeline Baldacchino, pourtant parfois saisie d’angoisse, d’asthénie ou de chagrin. Mais toujours, comme la vague qui sans cesse ramène le galet à son point d’origine, la poète rebondit, renaissant des cendres qui la consument pour se laisser couler sur quelque p(l)age de bonheur. Soleil immensités marines amour et vent.

Ce qui se dit – et se vit – dans ces différentes compositions, alternance de proses et de poèmes, de réflexions sur la vie/la mort, c’est, par-delà les voyages accomplis, la traversée poétique. Qui est constante recherche et cheminement en écriture. Toute la vie d’Adeline Baldacchino semble concentrée dans ce vaste recueil. Une somme d’écriture reliée à un condensé de vie.

« J’ai pourtant promis qu’il ne serait pas question de moi dans ces lignes », confie la poète dans les premières pages de « Portraits du pays d’amour » (2007). Tout en prolongeant et en nuançant son propos, le complétant par ces mots : « Ou plutôt qu’il y serait question de ce qu’il y a de plus ouvert – de plus écartelé, de plus fragile et de plus oublieux, de plus tenace et de plus ardent en moi comme en tout être vivant : d’amour. »

Et c’est aussi parce que la poète « aime son lecteur », qu’elle aspire à sa présence silencieuse, qu’elle l’imagine suivant ses pérégrinations et ses personnages, qu’à mon tour, étonnée, curieuse et fascinée, je me laisse happer dans son sillage. Ce n’est pas sans risque. Car que puis-je d’autre que gloser sur ce que la poète déroule de pensées, d’images, d’étincelles de talent ?

Aussi ai-je renoncé à proposer ici une lecture fouillée de l’ouvrage que j’ai entre les mains. Et que j’étoile de coups de crayons, de griffonnages et de cryptogrammes, espérant retrouver au fil des pages mon propre fil de pensée.

Alors cet « émerveil » ?

Point d’« émerveil » sans émotion. Grande ou petite, l’émotion est clé de voûte de l’entreprise de la poète. L’émotion a quelque chose à voir avec la mémoire, car « toute vie s’avance vers sa mort, et tout deuil vers l’infini » (in « Théorie de l’émerveil », 2019). Émerveil ! La première occurrence de ce néologisme magique, je la trouve dans la Série 1 des « Petites peaux de poèmes » (2006) :

« Le travail nous fatiguait refaire est sombre c’est mûrir dans l’odeur du vent qui nous intéresse et la voile qu’on saigne à blanc nous rassure. les grandes émotions le poids de l’émerveil. »

Et, plus avant dans le livre, dans la « Quatrième treizaine », 6 – Serpent (in «  Vers le cinquième soleil ») :

« Dehors, le ciel est limpide, l’émerveil guette dans les petites choses – les premières feuilles mortes sur un trottoir, la couleur d’une rivière, l’oiseau volage. Mais à qui en parlerons-nous ? ».

Ou encore dans un poème de « D’écrire » (2017-2018) :

52

« je sais des gestations
secrètes
émerveilleuses

des miracles indécents
des lunes calfeutrées
dans les ventres

et des bêtes qu’on apprivoise
et c’est encore nous
mêmes ».

La quête d’« émerveil » d’Adeline Baldacchino est quête rimbaldienne. Ce qui la guide, la poursuit et l’exalte, c’est le désir insatiable d’« éclat d’éternité. »

Ainsi écrit-elle dans « La part de l’oubli » (2006) :

« Je sus qu’il avait été vécu ; Quoi ? L’éclat d’éternité, le point de jonction : cet instant de déshérence heureuse où la conscience enfin s’abandonne pour participer pleinement au monde… ».

Allié des « grandes émotions », l’« émerveil », parce qu’il est point de jonction de la mémoire et du désir, est aussi « point de plus grande fragilité, de plus grande beauté. »

D’autant plus fragile qu’il est soumis à l’épreuve du temps, le « Magicien définitif. »

Chez Adeline Baldacchino, l’émotion est donc une condition première d’écriture et de vie. Lié avec intensité à un lyrisme pleinement revendiqué et assumé, le « je » rebelle de la poète ne renonce ni à explorer l’intime ni à le dire :

« Je mets beaucoup de force en mon désespoir comme en mon appétit. Je me veux perpétuellement du côté de l’émerveil, de la splendeur, (la part de l’oubli, l’envers et son double), je les pressens, je les,
d’instinct, je les invente, et cela ne suffit jamais, comme si
cela ne suffisait jamais », écrit la poète dans « Quatrième treizaine », « 3 – Vent ».

Ou encore, dans « La Part de l’oubli » (2006), cet autre aveu :

« Et je cherche l’écume et je fais des phrases qui prolongent un peu du désarroi de l’intime et qui ne parlent pas du monde. »

Insatiable poète, dévorante poète, qui jamais ne se satisfait de demi-mesures ni de compromissions. Reniant les « machineries » et les « mécaniques » sociales, la rebelle choisit la révolte, le combat contre les faux-semblants. C’est que, chez Adeline Baldacchino, le combat qui la porte autant qu’elle le porte est « indéfectiblement social et politique, affectif et sensuel, autant que mystique que littéraire. »

Le recueil que j’ai entre les mains est un kaléidoscope coloré mouvant/émouvant de ce qu’est la poète. Mises bout à bout, les tesselles poétiques recomposent la figure absente par-delà le miroir que la poète tend d’elle-même. Mais cet assemblage n’est pas né en un jour ni ex abrupto. La poète elle-même n’évoque-t-elle pas le temps que cet assemblage lui a demandé, elle qui se dit impatiente à agir, à aller de l’avant, à courir après le mouvement de flux et de reflux du temps ? L’érudition de la poète est vaste. Son champ d’exploration l’est tout autant. Philosophes de tous âges et de tous horizons, poètes persans du XIe siècle, grandes voix poétiques du monde et poètes français contemporains jouent un rôle fondamental, tant dans le cheminement personnel de la poète que dans son travail d’écriture. Ainsi de Max-Pol Fouchet, le maître en poésie. Le maître de toujours. Mais à considérer les citations qui ouvrent et accompagnent chaque section du recueil, le lecteur entrevoit un panorama aussi vaste que les mers et océans traversés par la poète. Ces citations sont autant de morceaux pertinents qui s’ajoutent à la mosaïque Adeline-Baldacchino. Elles sont toutes aussi connues que très belles, mais n’en sont pas moins lumineuses. Chacune d’elles éclaire d’un faisceau clair les aspirations et la personnalité de la poète. En voici quelques exemples qui sont autant d’amers où reposer le regard :

« Et la mer et l’amour ont l’amer pour partage […]
Celui qui craint les eaux qu’il demeure au rivage. »
Pierre de Marbeuf

« Je cherche deux notes qui s’aiment. » Mozart

« C’est un passage qui fait semblant de passer et qui ne va nulle part. » Jankélévitch, Quelque part dans l’inachevé

« Il faut être seul pour être grand. Mais il faut déjà être grand pour être seul. » René Guy Cadou

Si les nombreuses pérégrinations qui la traversent nourrissent substantiellement la poésie d’Adeline Baldacchino – « Vers le cinquième soleil » (2014), « Atlantides » (2015-2017), « Poèmes de Martinique » (2017), « Poèmes de Prague » (2018), le goût de l’exploration poétique alimente tout autant l’écriture de la poète. Le champ exploratoire est vaste qui va de la prose narrative – « Vers le cinquième soleil » – au haïku – « Petite épopée » (2015-2016) – en passant par le septain (« Treize tableaux diogéniques », 2014), « Atlantides », jusqu’à la forme très élaborée des trois onzains de « La chair et l’ombre » (2017)… C’est que l’exigence de la poète répond à son désir profond de rejoindre le propos de Borges, cité dans « Portraits du pays d’amour » :

« Les poètes ne semblent plus avoir conscience que dans le passé la narration d’une histoire était l’une de leurs tâches essentielles et que l’on ne considérait pas comme deux réalités distinctes la narration de l’histoire et la création du poème. […] Je crois qu’un jour le poète sera de nouveau le créateur, le faiseur au sens antique. J’entends qu’il sera celui qui dit une histoire et qui la chante. Et nous ne verrons pas là deux activités différentes, pas plus que nous ne les distinguons chez Virgile ou Homère. »

Et Adeline Baldacchino de conclure : « Écoutez : je raconte ».

Quant à moi, je poursuis ma lecture éveillée et patiente d’une section à l’autre du recueil. En prolongeant mes escales « Vers le cinquième soleil ». Section dense et complexe où va ma préférence. Où l’écriture, parfois, est portée par une voix exaltée :

…« je deviens cette forme écrivante qui se libère de son propre néant, pendant ce très court laps d’infinitude
logé dans le mouvement même du doigt contre un clavier sans destin. » (« 12. Silex »).


Angèle PAOLI (in terresdefemmes.blogs.com, n°182, janvier 2020).

*

« Le sujet de la Nature est le grand sujet, c’est normal, nous en faisons partie. Adeline Baldacchino l’aborde en précisant que l’homme est mortel ne serait-ce que face à l’éternité des vagues. Elle précise qu’on ne connaît rien de ces choses-là mais que l’on peut se sentir aspiré par elles.

La raison raisonnante reste imperturbable face à toute cette machinerie : de sensations fugitives, d’effleurements tremblés, d’entrebâillements feints. La mer est l’objet de sa fascination, elle écrit : je me livre à la vie comme le naufragé finit par se livrer à la mer. Je rapproche cela de l’observation qu’elle fait sur la parole de l’être humain : Sa parole tente de retrouver l’origine du vide, quand elle savait encore inventer des personnages pour peupler ses pages et leurs lupanars. Pourtant, trop assagie, tous masques délacés, flottant sur une rivière invisible qui la manipule sans égards, elle ne regarde que la mer qui la prendra dans ses bras quand elle n’aura plus de rides.

Ce vide est-ce l’absence tant évoquée par certains de nos contemporains qui nient l’existence du monde perçu en dehors de notre perception et dont nous ne connaissons que ses reflets. (Le mythe de la caverne). D’où la tentation de succomber à ce mouvement fusionnel avec l’univers. Quelqu’un a déjà écrit là-dessus, Nietzsche, qui appelle cela le dionysiaque à l’opposé de l’apollinien. L’auteure le cite à la page suivante. Elle écrit qu’elle marchait sur le même chemin que lui à Eze, près de Nice : … la mer, revers du miroir et des secrets…

Le livre ne fait que commencer. Différents extraits de son œuvre, dont 13 tableaux diogéniques, qui reflètent ce qui précède, mais qui vont plus loin encore, en rendant aux animaux, aux insectes, cette faculté de jouir de la vie ; ainsi cette souris : qui frémit de délices – ne plus désirer – juste obtenir – d’exister encore. Après une citation de Bachelard sur la flamme, elle écrit ceci, qui pourrait être la plus belle des conclusions : Elle n’a plus peur de l’obscur – attrape une lanterne, allume la mèche – elle cherche la Femme comme on cherchait l’Homme – il n’y a pas d’essence des choses – il fait feu dans son âme – elle se consume elle-même – elle serait flamme, elle s’élève dans la nuit, vacillante.

Dans sa postface, Christophe Dauphin écrit que ce livre est celui de la poésie vécue. J’y souscris totalement ! A lire absolument. "

Alain WEXLER (in revue Verso n°180, mars 2020).

 




Lectures :

"Christophe Dauphin a pris l'heureuse initiative de publier dans cet ouvrage non pas l'intégralité de l'oeuvre d'Hervé Delabarre mais une grande partie de celle-ci en réunissant les titres épuisés (soit huit au total) à l'exception des Dits du Sire de Baradel et en ajoutant plusieurs inédits. Hervé Delabarre, poète et peintre, né à Saint-Malo en 1938, rencontre André Breton en 1963 qui avait salué ses poèmes de manière enthousiaste: "J'aime ces poèmes que vous m'avez fait lire, le mouvement qui les anime est le seul que je tienne pour apte à changer la vie, leur ardeur est ce que je continue à mettre le plus haut".

Sa découverte du surréalisme, vers le début des années soixante, est pour Hervé Delabarre une manière de vivre et de sentir: "Benjamin Péret: je m'en nourris, je m'en délecte... Amour, révolte, humour s'y retrouvaient exprimés dans une intransigeance et uen liberté absolue qui me menaient enfin à respirer le large, déclarait-il dans un entretien en 2014. Christophe Dauphin le souligne dans sa préface : avec Péret... Hervé Delabarre "est probablement le poète dont l'oeuvre porte le plus l'empreinte de l'automatisme". Même s'il ne s'agit pas toujours d'un automatisme pur sa poésie possède un pouvoir insurrectionnel qui entretient un rapport direct avec le merveilleux et l'humour noir entre lesquels elle oscille en permanence. Le climat particulier qui se dégage de cette poésie relève, comme l'écrit Jean-Pierre Guillon, "de l'humour spectral etd'un érotisme chargé d'attentions tout en même temps délicates et perverses."

Depuis le recueil Dits du Sire de Baradel, illustré par Jorge Camacho et édité en 1968 par Jehan Mayoux (éd. Péralta), jusque dans les tout derniers poèmes, la tendresse et le violence rythment le lyrisme des images: Dans les pages arrachées d'un carnet de bal - Des lèvres imprégnées de sang - S'efforcent en vain - D'étreindre un dernier serment.

Gérard ROCHE (in Cahiers Benjamin Péret n°5, septembre 2016).

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« C’est vers 1963 qu’Hervé Delabarre est entré en contact avec André Breton qui l’a invité à participer aux activités du mouvement surréaliste. Et depuis, il n’a pas cessé aussi bien d’affirmer la subversive pertinence du projet surréaliste que d’explorer et d’interroger par les moyens de l’écriture (et aussi, quelque peu, de la peinture et du collage – mais de façon si discrète !) le « fonctionnement réel de la pensée » dans ses rapports avec les souveraines injonctions du désir comme avec les dérobades, si séduisantes ou si égarantes, du réel devant les fragiles puissances du langage. Les jalons de cette aventure poétique, si farouchement éloignée – est-il besoin de le préciser ? – des diverses casernes littéraires, sont autant de paliers dans l’assez énigmatique tour, non d’ivoire, mais bien de guet, à la pierre d’angle jadis (c’était en 1968) blasonnée aux armes du sire de Baradel, et qui se dresse – sans que l’on n’en ait encore vraiment mesuré l’ombre portée – sur le paysage sensible que le surréalisme, depuis la mort de Breton, s’obstine à dévoiler comme la face utopique du réel. Ces paliers furent, au fil du temps, de nombreux recueils de poèmes, parus à l’enseigne de divers petits éditeurs, le plus souvent en province ; il faut remercier Christophe Dauphin et les éditions Les Hommes sans Epaules d’avoir rassemblé en un volume de plus de 300 pages tous ces titres devenus pour la plupart introuvables et que complète des inédits.

Cet ensemble court de 1962 à 2014, et quoiqu’il me paraisse jouer sur trois tessitures différentes, c’est bien la même voix qui signifie, toujours avec l’audace orphique, les injonctions du désir, lumineuses ou noires, pour que le langage exalte sa puissance métamorphique. Cette voix, Hervé Delabarre en a, dès sa découverte du surréalisme, éprouvé ce que l’écriture automatique pouvait lui offrir, non seulement comme ressource, mais aussi comme repère fixe pour mener ses investigations lyriques.

Ainsi, alternant avec des proses automatiques, comme par exemple Marrakech (Notes d’hôtel), dont le burlesque n’est pas sans  rappeler Benjamin Péret, se succèdent des poèmes dans lesquels la dictée de l’inconscient est, semble-t-il, suffisamment ralentie pour que l’attention puisse aussi se porter fragmentairement sur le monde environnant, quitte alors à ce qu’en réponse l’accent soit alors impérativement mis sur l’humour ou la révolte et le blasphème puisque « les cycles Lucifer, vous dis-je, il n’y a rien de mieux. »

Et viennent enfin, portés par une troisième tessiture, une série de poèmes, tels Les Paroles de Dalila ou Avide d’elle avilie, dans lesquels l’urgence déchirée-déchirante du désir envers la femme aimée se résout en une lancinante suite de brefs éclats de silex, suite fantasmatique où Au carrefour des cris – S’érige un corps – Labouré de nuit. Hervé Delabarre, ne ces moments où l’œil dans la calebasse – continue de frire semble situable au voisinage de Georges Bataille, mais contrairement à celui-ci, qui les qualifiait en termes de haine, les dangers de cette poésie érotique sont surmontés dans sa propre minutie à confronter le drame intime non seulement avec le miroir mémorial, mais aussi et surtout avec ce qui étincelle Au plus noir – Du cri d’Eurydice : non pas la mort mais encore une voix voilée – Venue du plus loin de la nuit des pôles.  

D’un poème à l’autre, en ces divers élans, Hervé Delabarre a su, comme peu d’autres, rester à l’écoute de cette voix. Et aujourd’hui, il me plait que le poème qui donne son titre à ce volume commence sardoniquement par cet impératif : Pas de crème fraiche pour les martyrs. »

Guy GIRARD (in Infosurr n°120, 2015).

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"Un ouvrage dont le format et l’épaisseur rompent avec ceux de la plupart des recueils poétiques. Le lecteur est plutôt habitué à trouver ces 328 pages regroupées sous l’indication générique du roman. Et sur la couverture rien n’indique d’ailleurs à quoi il doit s’attendre. Un titre discret laisse place à la reproduction d’une toile abstraite de Jacques Hérold, et les couleurs pastel du dispositif contribuent à créer le cadre d’un recueil qui suscite toutes les interrogations. Ce n’est qu’en feuilletant ses pages que l’évidence d’une parole dévolue à la poésie apparaît car des vers courts et justifiés à gauche se suivent entrecoupés par des titres qui rythment l’ensemble. Quelques moments dédiés à la prose n’en démentent pas l’horizon d’attente : il s’agit bien de poésie. Et ce livre imposant s’organise autour de chapitres et de parties bien délimitées et reprises en index. Le titre, Prolégomènes pour un ailleurs, convoque le métalangage de la philosophie et sonne presque comme un oxymore. Et ce qu’il annonce n’est certes pas démenti, tant il est vrai que se dévoile au fil de la lecture une poésie inédite qui met au service d’une trame diégétique la puissance d’un langage dévolu à la création d’un univers fantasmagorique. Soutenu par un appareil tutélaire foisonnant, les poèmes et textes d’Hervé Delabarre se succèdent en suivant une chronologie presque linéaire car leur date de création est indiquée pour chaque ensemble. Des personnages féminins se dessinent et le poète leur confère une dimension charnelle toute particulière.

 « Le rêve défriche la charmille des yeux
Ecaille les géographies amoureuses

Inquiétantes et friables
A la lisière des paumes
Sur les mâchicoulis où les nerfs entendent leur monstrueux
cérémonial
Il y a tant à découvrir
Dans leur tracé voluptueux
Jusqu’aux abords de la mort électrique et rose »

 Ces amantes croisées dont il évoque le souvenir s’inscrivent près de noms de personnages contemporains de l’auteur, ou bien jouxtent l’évocation de noms appartenant à l’histoire, telle Jeanne d’Arc à laquelle il consacre un poème. Le lecteur est ainsi convié à entrer dans cet univers prégnant qui absorbe la matière du réel pour la donner à entendre au fil de textes façonnés avec un langage plus prosodique que poétique, mais dont la puissance évocatoire à force de rythme et de jeux avec l’espace scriptural donne vie à une poésie inédite. Et ces souvenirs amoncelés comme un puzzle grâce à la rémanence de sensations sous-tendent également les pages où la prose ne cède en rien à la qualité évocatoire de la langue d’Hervé Delabarre. Les femmes à nouveau sont la matière de l’écriture. Mais est-ce là tout ce qu’il est permis d’entendre aux Prolégomènes pour un ailleurs ? Il semble que dans cette pulsion vitale énoncée grâce à la force d’un langage lourd de sensations et ancré aux trames du réel le poète va sonder la désespérance, celle d’un corps dont la mort est inévitable.

 « Des lèvres agonisantes
Dans les couloirs

Où l’ombre se nourrit
De sanglots
Et s’exténue enfin

Près de la porte
Là-bas
Au bout
Où tout se joue »

 Ce désespoir est également prégnant dans l’évocation de la disparition de la mère du poète, qui apparaît à plusieurs reprises. Une poésie dont la profondeur ne s’énonce que grâce au poids de ce qui n’est que suggéré, et dont toute concession à un lyrisme compatissant est exclu.

 « Pas de crème fraîche pour les martyrs
Un ventre vaut mieux qu’un sac à main

pour s’abriter de la pluie.
La mort, elle-même, ronge son frein,
se désespère de ne plus pouvoir venir à bout d’elle-même.

Alors que faire,
sinon se précipiter à la gare,

et s’engouffrer dans un train
enfoui au cœur des herbes folles
et des itinéraires froissés jusqu’à la nuit des pôles. »

Carole MESROBIAN (cf. "Fil de lectures in www.recoursaupoeme.fr, mars 2016).

*

"Hervé Delabarre, né à Saint-Malo en 1938, est peintre et poète qui s’inscrit dans l’esprit du surréalisme tout en portant une originalité qui lui est propre. Tout comme André Breton, sa poésie est un véhicule pour traverser les voiles qui dissimulent le réel.

 Dans une longue et riche préface, Christophe Dauphin dit toute l’importance de l’œuvre qui fascina André Breton.

« Hervé Delabarre est un poète dont chaque œuvre est un défi à l’abstraction, une plongée dans le concret, le merveilleux. Ses poèmes possèdent un pouvoir insurrectionnel qui n’est pas sans rapport direct, avec le Merveilleux, l’humour noir, le mystère, l’amour, certes, mais avant tout avec l’être et ces fêlures… »

Au cœur de la démarche de ce « Chevalier du Merveilleux », la femme est à la fois inspiratrice et initiatrice, celle qui introduit la merveille dans la réalité pour mieux révéler l’être en ses intensités. Dans un long poème dédié à l’actrice Louise Lagrange, c’est la queste du Féminin libre et secret qu’il invoque. Extrait :

 Vos lèvres tachées

 Vos lèvres peintes

 Soigneusement tracées au crayon

 Vos regards tristes

 Mouillés d’araignées mauves sous le parasol blanc du songe

 Surgissent dans l’une de ces rues

 Où je suis la ligne de cœur

 L’émotion du désir fait refluer le sang de votre visage

 Les narines pincées sous l’étau des yeux d’hommes

 Vous essayez de découvrir

 Sous le déferlement des oiseaux de proie

 Sous les ailes séchées des corbeaux et des papillons carnassiers

 Le tableau peint de toute éternité dans le midi du noir

 Quand le glaive y descend pour entrouvrir les fruits

 Où dorment emprisonnées les femmes…

Hervé Delabarre développe un rapport particulier au langage. Il rend étrangement vivants les mots qui tendent à devenir cadavres sous les chaînes du conformisme. En libérant la langue, c’est le monde qu’il délie. Ainsi, avec l’ouverture des Portraits-Flashs :

 Contrairement à ce qui se dit

 On n’a jamais vécu ici d’amour et d’eau fraîche

 

Le tabernacle ne contient plus que des cendres

 L’encens s’épand dans l’air comme une cicatrice

 Si la poésie d’Hervé Delabarre est initiatique, si elle rapproche de l’être, c’est par discipline, la discipline de l’arcane, presque naturelle au poète, qu’il décrit ainsi à Jean-Claude Tardif :

« Encore faut-il faire le vide, m’éloigner de toute réflexion, de toute pensée contrôlée, rejeter tout jugement critique, demeurer en état de réceptivité, à l’écoute. Et contrairement à ce que l’on pourrait croire, cela nécessite aussi un labeur, une discipline, ouvrant une brèche qui nous relie à cette voix intérieure et nous permet de rester « branchés », d’aucuns diraient « connectés ». »

 Roncevaux

 Un ciboire peut en cacher un autre

 A même de nous enivrer

 Et la Bible n’est plus désormais

 Que le versant doré d’un corps

 

Les lèvres saignent de trop aimer

 Tandis qu’un cœur

 S’ouvre comme une blessure

 Et nous conduit tout droit aux enfers

 

Il n’y a pas ici de nautonier

 C’est Roncevaux

 Roncevaux vous dis-je

 Avec à son extrémité

 La belle Aude pour nous accueillir

 

Rémy BOYER (in incoherism.wordpress.com, octobre 2015).

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"Le mot Prolégomènes est connoté : André Breton n'a-t-il pas écrit (en 1942) Prolégomènes à un troisième manifeste du surréalisme ou non ? Les Prolégomènes (le terme s'emploie toujours au pluriel) désignent une longue et ample préface ou l'ensemble des notions préliminaires à une science… Ce n'est sans doute pas un hasard si Hervé Delabarre a titré son florilège Prolégomènes pour un ailleurs car il appartient au surréalisme. De 1960 à 2014, il a publié 18 recueils et la présente anthologie rassemble 8 titres épuisés et 6 ensembles inédits, étroitement imbriqués aux précédents pour respecter un ordre chronologique. C'est dire, qu'actuellement, avec un peu de chance, le lecteur intéressé peut trouver en librairie (ou sur internet) toutes les œuvres de Hervé Delabarre et que Prolégomènes pour un ailleurs représente (pour reprendre les paroles de Christophe Dauphin, le préfacier) le Grand Œuvre du poète ; c'est en tout cas "le livre le plus important et le plus ambitieux publié à ce jour [2015] par Hervé Delabarre" (p 22).

Hervé Delabarre, qui est né en 1938, appartient à la constellation surréaliste. Christophe Dauphin rappelle dans sa préface qu'il rencontra André Breton au début des années 60 du siècle dernier et qu'il lui remit un manuscrit de poèmes fin 1962. Breton le salue alors comme un véritable surréaliste et publie la photographie de Louise Lagrange (qui était une actrice de cinéma, chose que Delabarre ignorait en ces années) et le "Poème à Louise Lagrange" du même Delabarre dans le n° 5 de La Brèche (1963), la grande revue du surréalisme à l'époque. Breton reçoit alors Hervé Delabarre dans son atelier mythique de la rue Fontaine à Paris ; le devenir littéraire de ce dernier est désormais fixé. De fait, cette photographie "rencontrée par hasard" fut pour Delabarre "un merveilleux privilège". On peut affirmer, sans risque d'erreur, que Louise Lagrange fut pour Hervé Delabarre ce que Nadja fut pour André Breton…

Hervé Delabarre semble reprendre -sur un autre registre, celui du poème- la problématique qui avait poussé André Breton à écrire son essai des Prolégomènes de 1942. Mais son premier livre publié est daté de 1962 : d'où, pour lui, l'impression que tout est réglé, que le surréalisme est toujours vivant (comme Breton qui l'illustre bec et ongles) autant que nécessaire. L'histoire littéraire a montré que d'autres expériences étaient possibles, y compris les plus réactionnaires. Mais Hervé Delabarre écrit fermement à la mode surréaliste car le combat est toujours à continuer. D'où cette poésie si reconnaissable entre mille. Trois expressions surréalistes la caractérisent : le hasard objectif, l'amour fou et l'écriture automatique. Hervé Delabarre n'est pas un écrivain réaliste qui expérimente ce qu'il écrit, qui écrit ce qu'il vient de faire. Il écrit ce qu'il vit, y compris sur le plan fantasmatique. Les fantasmes se cachent, se disent, éclatent dans sa poésie. Tout ce qui est écrit peut s'interpréter : "Elle prend plaisir à savourer l'intrus / Venu desceller l'huis" (p 154). Tout concourt à suggérer un paysage érotique : "Harnachée pour susciter le rêve et le désir / Elle s'offre au premier gémissement venu / Aux larmes venues la bénir // Altière / Elle préfère la cravache à la chambrière" (Id).

Quelle plus belle illustration du hasard objectif que cette rencontre inopinée de la photographie de Louise Lagrange que ne connaît ni d'Adam ni d'Ève, pourrait-on dire, Delabarre ? Découverte-rencontre qui va orienter définitivement son destin poétique. Louise Lagrange est bien la Nadja du poète sur laquelle se fixent ses fantasmes. Mais il y a plus dès lors qu'on décrypte attentivement la notion d'amour fou dans ces poèmes. C'est un amour fou plutôt noir et déchiré comme on le rencontre dans un certain romantisme. La mort, la torture, la souffrance en sont les faces cachées (encore qu'elles s'étalent dans les poèmes non sans un certain goût de la provocation) que symbolisent le fouet, la cravache, le fer rouge, les clous qu'on rencontre souvent dans les vers de Delabarre. Est-ce la traduction de l'impossibilité d'un amour calme, sans cruauté ? On ne sait. Mais le goût du blasphème (il faut noter la présence des mots prie-dieu ou profanation dans les poèmes) vient relever cette tendance et contribue à dessiner cet érotisme si particulier. Reste l'écriture automatique. Christophe Dauphin place Hervé Delabarre aux côtés de Benjamin Péret pour l'empreinte de l'automatisme dans l'œuvre. Soit ! Les exemples ne manquent pas, il faut laisser le soin aux lecteurs de les découvrir. Mais un exemple : "De mes lèvres à l'Etna du réveil" (p 201), ce vers, s'il rappelle les rêves éveillés, est cependant une belle expression automatique comme celle-ci, qui ne va pas sans jeu sur les mots : "Les larmes ne savent plus à quels seins se vouer" (p 207…

Ce livre trouvera ses lecteurs et intéressera les spécialistes ou les amateurs du surréalisme. L'éditeur a eu la bonne idée de clore l'ouvrage sur un texte (datant de 2005) de Jean-Pierre Guillon qui fut un proche de Hervé Delabarre. Jean-Pierre Guillon parle, à propos de ce dernier, d'automatisme radical et il termine son article par ces mots : "La littérature ne gagne rien à cette dictée d'un nouveau genre, mais c'est la poésie qui y trouve son compte, dans une alliance d'avant et d'après-jouir, de la fantaisie, de l'humour spectral et d'un érotisme chargé d'attentions tout en même temps délicates et perverses". Ce qui est bien vu. Mais d'autres lecteurs relèveront le contraste très fort entre l'écriture de Delabarre et les photographies illustrant l'ouvrage : elles montrent un homme dans un intérieur plutôt bourgeois. Heureusement Delabarre tire sur une énorme bouffarde (p 29), ce qui prouve qu'il est politiquement incorrect dans ce monde si soucieux des apparences…"

Lucien WASSELIN (cf. "Fil de lecture" in www.recoursaupoeme.fr, novembre 2015).

*

"Une anthologie des poèmes de l'auteur, accompagnée de textes inédits et de contes. Composés de 1962 à 2014, ils sont marqués par une esthétique surréaliste, entre écriture automatique, éloge de l'amour fou, érotisme et propos blasphématoires. "

Electre, Livres Hebdo, 2015.




Lectures :

" L’écriture n’est ni fémi­nine, ni mas­cu­line. Le tra­vail d’écrire, avec la matière du lan­gage, puise à l’universel, par-delà les genres...

On connaît ( ? ) le roman de Georges Pérec, La Disparition. Cet ouvrage est un lipo­gramme, il ne compte pas une seule fois la lettre e. Élodia Turki offre à la curio­si­té du lec­teur un recueil com­po­sé de poèmes lipo­grammes : la lettre a en est absente. Que signi­fie cette non pré­sence vou­lue déli­bé­ré­ment ? Sans doute cette ques­tion est-elle mal­ve­nue puisque Élodia Turki affirme en qua­trième de cou­ver­ture : « Une cen­taine de poèmes lipo­grammes, comme des gués sur le che­min étrange que je découvre avec eux, avec vous, et qui ne mène nulle part ailleurs que le che­min lui-même qui, comme le dit Antonio Machado, n’existe pas : il n’y a pas de che­min. Le che­min se fait en che­mi­nant »

Tout lan­gage écrit est lipo­gram­ma­tique puisqu’il n’utilise qu’un nombre fini de lettres et exclut les autres alpha­bets… Il serait donc vain de cher­cher à élu­ci­der de quoi la lettre est le sym­bole. Et sans doute est-il plus utile de voir ce que ces poèmes disent en dehors du jeu gra­tuit auquel semble s’être livrée Élodia Turki dans sa jeu­nesse. Car elle conti­nue­ra d’écrire de tels poèmes. Voilà pour la genèse du recueil.

 Notons que le poème est court, la plu­part du temps. Élodia Turki donne l’impression de décrire ses rela­tions avec un tu jamais iden­ti­fié. S’agit-il de la des­crip­tion de l’amour, de la pas­sion ? Notons aus­si le goût de l’image : « Et j’invente pour nous une très lente nuit / tis­sée de peurs et d’innocence / qui nous dépose sur les grèves du temps / enso­leillés de lunes » (p 8). Est-ce le stu­pé­fiant image dont par­lait le sur­réa­lisme ? Élodia Turki aus­culte son corps car elle est sen­sible à ses chan­ge­ments. Cela ne va pas sans obs­cu­ri­tés que sou­lignent ces mots : « entou­rés d’ombres longues » (p 11). Elle a le goût des mots rares comme ouro­bo­ros sans qu’elle n’éclaircisse le sens de ce terme mais sa forme la plus cou­rante est celle d’un ser­pent qui se mord la queue, le plus sou­vent. Ce vers « Et voi­ci le poème d’où sur­git le poète ! » n’est-il pas éclai­rant (p 16) ? Élodia Turki sou­ligne qu’elle ne faci­lite pas la lec­ture de ses poèmes : « Je signe enfin de cette encre fur­tive / quelque chose de moi qui se rebiffe // L’irréversible plonge ses griffes d’ombres / fige notre désir pour tou­jours dif­fé­rent » (p 21).

 

Élodia Turki, L’Infini Désir de l’ombre, Librairie-Galerie Racine (Collection Les Homme sans Épaules), 68 pages, 17 euros. (L-G Racine ; 23 Rue Racine. 75006 Paris).

 

 Et puis, il y a cette soif inex­tin­guible d’écrire : « Terrible est le silence » (p 25). Et puis, il y a cette atti­rance de l’ombre… Etc !

 Élodia Turki dit haut et fort sa fémi­ni­té et la pas­sion amou­reuse. Et si ce recueil n’était qu’un éloge de la gra­tui­té du jeu poé­tique ? Mais je ne peux m’empêcher de pen­ser que la lettre a est l’initiale du mot amour : Élodia Turki n’écrit-elle pas « Première lettre et pre­mier leurre » (p 41)"

Lucien WASSELIN (in recoursaupoeme.fr, juin 2018).

*

Le poète, dans son dénuement, se dépouille souvent de la ponctuation, la mise à la ligne faisant office de respiration. Parfois, il sacrifie les majuscules ou, au contraire, les magnifie. Titres et table se dissipent au gré d'enchaînements subtils. Voici qu'Elodia Turki nous propose la complicité d'un texte sans la lettre A (hors son propre nom, les première et quatrième de couverture ainsi que les pages de garde).

Simple jeu ? En fait, la contrainte librement consentie tôt s'évapore. Cette lettre A, pourtant si prégnante dans notre langue, est devenue virtuelle, telle une ombre à la fois présente et immatérielle. Comme un désir intensément palpable mais sans corps et sans trace. Désir immensément présent, envahissant, obsédant tel un amour qui taraude, privé de l'être cher : De toi je suis si près - si loin de nous - / Moi loin d'ici loin de tout en si petite vous, lors que Mes doigts écorchent le crépi des murmures (...) Pour Tituber sur les broderies du temps. Peu à peu, l'on comprend que le maçon a renoncé au ciment : mur de pierres sèches. Que l'ombre de l'être aimé incendie Mes doigts tendre mémoire de son Infini Désir (en majuscules). Que la lettre A, tel un cri primal (dans le sens freudien) s'est faite absence, non comme un jeu ou un exercice de compagnon en mal de cathédrale, mais comme un manque existentiel devenu déchirement : je mendie le cri d'une étoile. Rendons les choses simples : ce recueil, dont la langue est si pudique mais si riche en images, est un long cri d'amour. Il prend de plus en plus de sens à la relecture. C'est peut-être là d'ailleurs, une caractéristique de la poésie : Le vent étourdit les feuilles les lunes les frissons - Tu restes ce mystère - cet inconnu - qui tremble en moi - l'infini désir de l'ombre. Non pas langue véhiculaire mais elle-même objet d'art, objet de mystère où se frottent et s'incendient l'une, l'autre, les pierres sèches, où se confrontent les verbes dans leur structure primitive. Comme des silences tout au fond des entrailles, tout au creux du rêve.

Claude LUEZIOR (in revue Les Hommes sans Epaules n°47, 2019).




Lectures :

Cet ouvrage dont le titre fait écho à l’alchimie, rassemble trois livres de poèmes épuisés, Le Ministère des verges (2011), L’émoi du non (2013), Les rires fois d’AlefBêt… (2016) ainsi que trois inédits : Une mystique sexuelle, Sans titres ou points d’O et Les inutiles.

L’œuvre est aussi forte que déconcertante, aussi lumineuse que sombre, d’une lumière qui se cache derrière les drapés les plus obscurs. L’érotisme très présent ne doit pas masquer la dimension ontologique profonde de la poésie d’Odile Cohen-Abbas, souvent intransigeante, ne laissant au lecteur aucune échappatoire.

Nous chevauchons le même corset de sexe, la touffe astrale,

et l’ecchymose sans fixation,

nous chevauchons l’aune à deux branches,

le même fermoir humide, licite,

petit segment sécant de gauche et de droite

entre nos cuisses.

Et ton genre masculin, lissant sa nudité en moi

aux racines d’une rose et très tendre épilepsie,

de moitié, se féminise.

L’article lent à deux becs,

flèches à boire, oscille

d’un marais à l’autre de nos chairs,

grapille des unités de mémoire.

La profondeur le happe et l’enveloppe

d’un bandage de bonheur.

Extrait de Trait d’union

S’agit-il d’un songe qui révèle ou du kaléidoscope pathologique des rêves ? Le lecteur pris dans la multiplicité des images risque la folie s’il ne cherche avec la même volonté que l’auteur à traverser ce qui est donné, tenir bon, quoi qu’il arrive, sans même savoir pourquoi.

Il regarde les joints desserrés de la terre :

ce mal blondasse et bancal de la mer.

Deux et trois de ses balancements visibles font un tamis à l’eau.

Il a conçu une petite phrase en prévention d’un scintillement qui l’enserre de trop près,

un barrage aux soubresauts de sa pensée sous la forme d’une question :

peut-on rêver cette cornue translucide sous l’aspect d’un triangle ?

– n’importe quoi pourvu que la cervelle marine ne songe pas à s’assoupir

avec ses droites de part en part mutilées.

Peut-on… il ne sait pas ! il rit très fort

quand les chemins de l’eau se parfument.

Peut-on… sceller un don de cercle, ou de losange ?

Il s’est trompé, et son erreur est si vive

qu’elle l’a fait saigner du nez.

Mais le saignement se répare

Extrait de L’autiste et l’eau

 Désespérante peut sembler la poésie d’Odile Cohen-Abbas. Certes, elle ouvre la boîte de Pandore, mais elle n’en conserve pas même l’espoir, un mal parmi les autres après tout. Ni espoir ni désespoir mais une implacable exploration de ce qui reste quand on a tout réduit en poussière.

« Si ce hideux te rencontre… »

Au mieux, s’il me rencontre ?

S’il entre dans le pendule de mes yeux

acquittant ou annulant sa place,

cuisant ses vieux bubons de mon feu,

faisant aboyer mes biens de l’âme ?

S’il est fait comme un homme du drame,

commis aux bancroches, aux hybrides,

s’il est fou, s’il est double,

s’il est femme

qu’il ose !

Qu’il joue, qu’il perde ou y gagne,

accroisse les tam-tam, les roulements

des visions

C’est là, dans le tambour, qu’il se cache,

elle si c’est une femme.

« Si ce hideux te rencontre… »

Cela a dû arriver

Extrait de Jérémie. 23 : 29

Dérive, errance, auto-exil, hors-soi… qu’importe la qualification du mouvement, le plus souvent immobile, il se suffit à lui-même. Nul besoin d’un but, d’une finalité, d’un sens. Toute analyse est vouée à l’échec. L’expérience est plus profonde, relève du « Sens-plastique » d’un Malcolm de Chazal, parfois chamanique, parfois prophétique, essentielle surtout. 

Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, 25 juin 2018).

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"Cet ouvrage propose trois recueils de poèmes parus entre 2011 et 2016 ainsi que trois inédits. L'auteure évoque dans une veine surréaliste différents thèmes, notamment la sexualité, la religion ou la nature."

Electre, Livres Hebdo, 2018.

*

Long feu aux fontaines : dès le titre couronnant l’œuvre poétique d’Odile Cohen-Abbas jusqu’en 2017, soit trois livres de poèmes épuisés (Le Ministère des verges (2011), L’Émoi du non (2013), Les Rires fous d’AlefBêt… (2016)) et trois livres inédits (Une Mystique sexuelle, Sans titre ou Points d’O et Les Inutiles (2017)), une durée incertaine s’installe (celle du « long feu ») et ouvre la porte aux images les plus troublantes – à l’imaginaire tout aussi bien.

Dans les corridors des pages, le lecteur, en quête avec l’auteur, découvre des scènes de rêves ou de cauchemars, des paysages mentaux, des pensées qui ont pris corps. L’imagination, la « reine des facultés » (selon Charles Baudelaire), rayonne ici selon mille fenêtres et mille entrelacs.

Le lecteur est un Dante que dirige Virgile et que parfois vient rejoindre Béatrice. Il faut se laisser emporter par Odile Cohen-Abbas : elle nous égare plaisamment, mais sans jamais nous abandonner en chemin – sinon pour nous retrouver à quelque carrefour inattendu.  Faut-il se souvenir du regard d’un enfant étonné, faut-il convoquer l’adulte impatienté ? L’un et l’autre certainement.

Le poème, chez Odile Cohen-Abbas, se regarde et se lit lui-même pour, souvent, rire ou s’étonner de ses mots et se renverser : là, le sérieux n’est pas toujours ce que l’on croit, et l’humour tout aussi bien. Son miroir est un don : il se renouvelle avec quelque sourire ou quelque abîme. Tout est inextricablement mêlé, à l’image du désordre du monde et du désir – de l’éros. Au commencement, nul doute : une solitude qu’il faut franchir, une tension vers l’union : Que ma voix dépose le présent,/ que des frissons de liège nous déniaisent le souffle,/ que l’on donne à manger du grain au diseur/ et des guitares, à l’abat-jour,/ que l’on garde le silence pour le centre,/ pour le bain de millet de l’amour,/ un midi de notre vie/ s’habille de nos deux corps, / s’empare de notre chance, l’enlace,/ la revend aux saisons.  (« Sans suite », Le Ministère des verges).

Une voix se dégage, un corps parle – un corps de femme, sensuel et sexué jusqu’à l’ongle et au cil – et ce corps chante, joue, hurle, rit, se cache, désire, souffre, jouit, attend. Dans cette voix toutes les ressources de la langue sont convoquées : tour à tour appels, soupirs, fièvre et ivresse (à l’image du feu et de l’eau du titre générique de l’œuvre), célébration, exhortation, palpitation, spasmes, tremblements, pouls, les mots les plus crus côtoient les plus rares, dans une véritable fête du vocabulaire répondant, à chaque page, à la fête de l’expérience sensible : Les lointains sont à naître, souffle-t-elle,/ tandis qu’il fouit encore parmi son puits à thème,/ entre ses parois volitives/ sa piscine de chrysanthèmes. /[…] Son dos fait ses pyramides, ses bonds d’escorte. (« Maintenant », L’Émoi du non).

Les mots se câlinent, se repoussent, se rejoignent et s’entrechoquent pour s’aimer encore ; ils serpentent autour de leur objet pour soudain le mordre ou l’enlacer, sans que l’on sache toujours distinguer la blessure de l’embrassement. Mais toujours l’auteur prend de la distance avec son propre langage : Je t’exhorte, je t’abstrais,/ je te délarde, verge miellée, mon éloquence, ma robe du soir,/ à petits coups de cœur et d’apnée,/ je te réduis à un dé de manne,/ à une raie, à un fil d’archal. / Je t’érode, églogue, sonnet salant, […] (« Glose linguale », Le Ministère des verges). Jackie Pigeaud, dans Poésie du corps, cite le médecin érudit du début du XIXe siècle Étienne Sainte-Marie qui, lui-même s’appuyant sur les traités du médecin grec Hérophile (vers 330-320 - vers 260-250 av. J.-C.), écrit : « Le rythme existe dans toute la nature, et le corps humain est réglé par ce principe universel. […] Le cœur et le poumon frappent une mesure à deux temps, marqués dans le premier de ces organes par la systole et la diastole, et dans le second par l’inspiration et l’expiration. Le corps humain a donc été organisé et animé d’après les lois de la musique. […] Ce rapprochement n’avait point échappé aux Anciens ; et l’on voit dans leurs allégories que le dieu de la musique était aussi honoré comme dieu de la médecine. (Rivages poche/Petite Bibliothèque, 2009, pp. 175-176. C’est l’auteur qui souligne).

À bien des égards la poésie moderne retrouve cette analogie ; elle en est traversée ; et les rythmes nouveaux qu’elle découvre dans la langue (songeons à Antonin Artaud, à Henri Michaux, sans oublier le Pierre Jean Jouve de Sueur de sang) l’inscrivent dans cette recherche d’un poème qui déchiffrerait l’anatomie humaine et ses mouvements. La « poésie du corps », chez Odile Cohen-Abbas, tantôt caressante, tantôt haletante, est rythme, heurt, souffle et danse : Sept chats longs, ces feux-là comme varans/ dévoient des déplacements en flammes,/ communément des sphères./ « Apprenti feu ! »/crie un rayon de cercle./ Cages de médianes, de/ diagonales,/ décollements, raccordements de crânes, / séries des râbles et des queues. / Muscles, mues propres, / vitesse. (« Danseurs », Les Rires fous d’AlefBêt…). Les trois livres écrits en 2017 ouvrent encore de nouvelles perspectives. Avec humour – et rappelons que l’humour vrai, en poésie, est une réussite fort rare –, Odile Cohen-Abbas signale en incipit les titres non retenus d’un ouvrage (Sans titre ou Points d’O eût pu s’intituler, par exemple, Centons des mers, et Odile en usage ou Satyres en prière !) ou commente entre parenthèses certains passages de son poème. L’auteur inclut dans ses livres (ce qui résonnera dans Voyelle, cet ouvrage au confluent de nombreux genres paru aux éditions Rafael de Surtis en 2018) toute sorte de signes non-verbaux, photographies, dessins, reproductions d’œuvres d’art (tableaux et sculptures), portées musicales, pictogrammes, qui nourrissent la page en accompagnant les poèmes de motifs qui les prolongent ou les interrogent.

Odile Cohen-Abbas use également de toutes les ressources typographiques, de l’italique au corps mouvant des caractères imprimés, non pas ici pour tenter d’« élever enfin une page à la puissance du ciel étoilé » (selon Paul Valéry évoquant le Coup de dés de Stéphane Mallarmé), mais comme pour éparpiller le livre à l’intérieur de lui-même – et accomplir une danse dans une chambre d’échos : Je ne veux pas d’un mariage lettré/ avec le « Palais de têtes »,/ je ne veux pas de son marbre, ses flambeaux instruits,/ et syntaxe qui tombe comme neige vêtue de noir/ – ainsi qu’on la voit s’éloigner dans son texte minoré. (« Tout-et-rien, 14 juin 2017 », Sans titre ou Points d’O). Tout le langage est tancé, par le langage lui-même ; c’est l’être du poète qui est en jeu, et sa vérité : Nouvelle prière :/ TA JOIE EST MISÉRABLE !/ Quel surgissement inique !/ Dans quelle catégorie,/ quel espace l’inclure ?/ Tout avait si bien commencé, Éternellement, Éternellement,/ descendait si bien la côte./ LA JOIE EST MISÉRABLE !/ Quelle faute, quelle défaite de la chair, autoportrait,/ s’est  immolée dans le texte ? (« [Ici la photographie du détail d’une toile représentant le baiser d’Anne et de Joachim] 19 juin 2017 », Sans titre ou Points d’O). Il n’est pas jusqu’aux textes bibliques qui ne soient convoqués en tant que fondateurs d’un sens mouvant, toujours à questionner : Poème à face d’Ève coiffée en brosse, / cachant une caméra carcérale sous son crâne,/ prière occipitale/ disant la viduité syntaxique d’une femme,/ rescapée de la chambre, pauvre en air, du texte,/ pensées robots de moelle ! » (« Restitution », Les Inutiles) ; le dernier poème des Inutiles, évoquant les quatre figures du Tétramorphe évangélique, ne signalera-t-il pas, tandis que les mots du poème s’effacent ou sont raturés, une « main séparée » qui « dépose dans la marge/ l’ange d’un adieu ?

Et les énigmes nombreuses dont sont parsemés les livres d’Odile Cohen-Abbas ne sont pas sans rappeler que le poème, selon une très ancienne tradition, est également perçu et conçu tel un objet construit avec des mots, et qu’il s’offre au regard du lecteur comme la serrure en attente de quelque clef. Cependant, qu’avons-nous à répondre à un poème sinon tout d’abord lui dire « oui » et l’aimer, même maladroitement ? Et ces quelques lignes, devant Long feu aux fontaines, ne tentent-elles pas d’esquisser une réponse à quelque danse souveraine, une danse inquiète, la danse baroque et sûre d’un désir attentif ?

Frédéric TISON (in revue Les Hommes sans Epaules n°47, 2019).




Lectures :

Dans cet ouvrage, Christophe Dauphin présente dans un essai la vie et l’œuvre de Patrice Cauda, suivent un choix de poèmes et des inédits où la signature manuscrite du poète clôt l’ensemble non sans émotions pour le lecteur. Car dans le tremblé des lettres, se révèle tout ce que fut le poète de bouleversements et de ténacité. L’année de sa naissance à Arles est peu certaine, 1925, 22 ou 21, le jour de sa mort est inconnu, seule l’année l’est : 1996.

Christophe Dauphin, sans comparer ni unir leurs destins, fait se rapprocher au plus près Van Gogh et Cauda : La chambre de Vincent c’est celle d’un Patrice, à la différence que toute la famille dort dans la même pièce. En 1939, Cauda part à Avignon, ville où le premier groupe des HSE, qui deviendra celui de Patrice Cauda, exigera le cri cosmique, une attitude d’humanité, le sens de l’actuel, le moment de la tragédie où la vérité est sans parure.

Incorporé en 1942 dans les Chantiers de jeunesse, il est transféré en 44 à Tulle. Faisant partie des 120 otages désignés arbitrairement par les nazis comme objets de vengeance contre la résistance corrézienne (99 hommes seront pendus aux balcons de la ville le 9 juin 1944), Cauda échappera de justesse à la mort. Il écrira : Il ne reste qu’une pierre à leur bouche tordue//Chaque geste est un mensonge - sur le rocher de son secret. Auteur d’une douzaine de recueils et au fronton de deux revues (un numéro spécial Le Pont de l’Épée mis en œuvre par Brindeau, et en 1954 à la Une de la revue Terre de Feu de Marc Alyn), Cauda a reçu en 1961 le prix François Villon pour Mesure du cri.

L’essai de Dauphin restitue à l’homme et au poète toute sa vérité. Non seulement l’intériorité de Cauda est révélée, l’émotivisme de son écriture, mais son parcours dans son temps, tel un tracé métonymique, éclaire ici son existence, celles des poètes de sa génération (similitudes troublantes avec Becker, Brock…) et rend familier le fils, le frère, l’ami qu’il fut parmi ses semblables. La résonance de la poésie est universelle écrit Dauphin, aussi seul fut-il, Cauda n’est pas séparé de ses contemporains ni de nous-mêmes et cette phrase fait alors écho dans le lecteur Je n’ai pas connu Cauda et pourtant je ne connais que lui.

Son écriture a ceci de particulier, qu’aussi douloureuse soit-elle, elle est préservée d’un lamento qui serait égotiste ou masochiste par la beauté du verbe. Cauda ne s’est jamais détaché des autres et du vivant : Ce n’est pas la couleur que je porte/qui fera le ciel moins bleu// L’éveil est dans la chair labourée/de tout ce qui s’effrite et des fureurs/naîtra un cœur plus grand//Un mot lancé comme un oiseau/si loin enroulé autour de quelle terre/pour revenir formé d’une histoire nouvelle//et cet autre vers, sublime, j’habite la lumière qui dépasse l’espoir.

Oui, émotiviste est cette écriture et ancrée dans le moindre geste et mot des autres, dans le moindre frémissement du monde. À celui capable d’écrire La mère défigurée et autres poèmes (je parle très loin à de sensibles secrets), capable de s’adonner à la poésie sans le moindre recul ou la moindre balise, il est juste de répondre par la lecture du livre de Dauphin (et celle des œuvres de Cauda), car oui, Patrice Cauda a peut-être écrit pour nous ces vers :

                                                              Cet homme si loin de moi

                                                              Posé sur l’autre versant de la terre

                                                              Je l’entends me parler toujours

                                                              Car sa voix est dans la mienne

 Marie-Christine MASSET (in revue Phoenix, 2018).

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Christophe Dauphin publie ce choix de pèmes de Cauda aux éditions des Hommes sans Épaules. Les cinquante-trois pages d’introduction qu’il consacre au poète sont parfaites. Le destin a sauvé un jeune homme modeste d’une exécution programmée par les nazis ; l’œuvre en découle, dans une modestie d’une rareté exemplaire. Patrice Cauda écrit, dans L’Épi et la nuit, réédité par Jean Breton en 1984 : « Ma vie est l’explication d’une mort. »

Christophe Dauphin signale : « Il y a une amitié, nous le savons, mais davantage encore, une filiation, de Cauda avec les poètes de l’inventaire des blessures, la solitude et les gestes de l’amour, que sont Henri Rode, Alain Borne, Paul Éluard (il y a un ton éluardisant, mais fluide et personnel dans la poésie de Cauda) et surtout Lucien Becker. » 

Cauda, qui a rédigé l’hommage ci-dessous, écrira encore de son frère en poésie : « Un homme dont le nom n’est sur aucune lèvre / va devenir un simple trait sur l’horizon. / Après avoir été le sommet du couchant, / il s’apprête à redescendre parmi les pierres. » Ce livre, que donne Christophe Dauphin, apparaît aussi nécessaire que le poète d’Arles [1925-1996] enfin remis en librairie. L’hommage et la lettre suivants sont repris du présent volume. —

Pierre PERRIN (in revue Possibles, nouvelle série n° 34, juillet 2018)

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Christophe Dauphin nous présente longuement la vie et l’œuvre d’un poète méconnu, Patrice Cauda, grand solitaire inaccessible si ce n’est peut-être par ses écrits. Cet ouvrage est le premier témoignage de l’importance de ce poète.

Sa date de naissance est incertaine, 1921, 1922, 1924 ? Même le jour exact de son décès est sujet à caution. Né à Arles, la ville qui a maltraité Van Gogh, explique dans le détail Christophe Dauphin.

’est une poésie de la noirceur, de l’angoisse, de la douleur et de la souffrance (il faut distinguer les deux). Né dans les échos terribles de la première guerre mondiale, Patrice Cauda devra traverser la deuxième et ses atrocités. Cela n’aide pas à s’orienter vers le pôle de joie. Les poètes de cette époque furent marqués par ce contexte devenu texte.

C’est en 1939 que Patrice Cauda fait une rencontre déterminante, celle d’ Henri Rode, romancier en construction déjà en relation avec Paulhan, Mauriac, Green, Malraux et d’autres. Alors que Rode assume son homosexualité, Patrice Cauda reste voilé. C’est Henri Rode qui décèlera la talent poétique de Patrice Cauda et l’encouragera à écrire. Pris dans l’arbitraire nazi, il échappe de peu à la tragédie de Tulle. Comme beaucoup, il sera silencieux sur l’horreur mais celle-ci affleure sous les mots, fleuve rouge-sans sur lequel naviguer tant bien que mal.

Toute sa poésie sera un cri immense contre l’inacceptable mais un cri d’une lucidité implacable qui exige un dénuement total, ni espoirs, ni préjugés, identifications ou croyances. Cet homme, trop familier avec la mort, toutes les morts, est un poète de la désillusion et de la détresse absolue.

Ses deux premiers recueils sont publiés en 1951 et 1952, Pour une terre interdite et L’épi de la nuit, chez Debresse grâce à Henri Rode. Christophe Dauphin note que jamais Patrice Cauda n’aura présenté lui-même ses poèmes à un éditeur. C’est un poète reclus, incertain de lui-même et du monde. Henri Rode parle de lui comme d’un « poète panique ». Malgré un sens aigu de l’amour, Patrice Cauda fut englouti par les sables mouvants de la solitude. Il abandonna la poésie avant de mourir en 1996 laissant une œuvre bouleversante.

La belle et sensible monographie de Christophe Dauphin est suivie d’un choix de poèmes inédits et saisissants.

Patrice Cauda est un poète de la plus sombre des beautés mais, mieux et plus que n’importe quel modèle psychologique, sa poésie explore au plus profond la psyché humaine. Si vous n’achetez qu’un livre de poésie cette année, achetez celui-ci.

Rémy BOYER (in incoherism.wordpress.com, 17 août 2018).

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"Tout l'été la cigale - Scelle sa mort - Dans une olive. Livre évènement ! Ouvrier à douze ans, Patrice Cauda l'obscur, le méconnu, est un poète éblouissant, génial; l'un de ceux qui resteront. Poète, essayiste, Christophe Dauphin, qui dirige la revue Les Hommes sans Epaules, fait revivre l'auteur de Pour une terre interdite, avec lyrisme, émotion, précision. Nus, racés, puissants, plus ou moins désespérés, suivent cent quarante poèmes à couper, bien souvent, le souffle..."

Michel DUNAND (in revue Coup de Soleil n°103, juin 2018).

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"Cest un peu un tour de force de la part de Christophe Dauphin d’écrire un essai sur Patrice Cauda (1922, date approximative-1996) poète autodidacte. Il ne l’a pas connu d’une part et d’autre part, l’homme étant avant tout discret et mystérieux, il n’y a guère de témoignages et de documents le concernant. Mise à part, bien entendu, la quinzaine de recueils qu’il a publiée de 1952 à 1967. Avant de s’arrêter d’écrire, définitivement. Ce qui somme toute délimite une période assez courte de sa vie.

L’auteur s’attarde sur sa ville natale, Arles, en digressant sur Van Gogh, avant d’en venir à Avignon où il rencontre celui qui sera un peu son mentor : Henri Rode (Les Hommes sans Épaules, Poésie 1), puis Tulle où il travailla, pendant la guerre, et Christophe Dauphin nous rapporte avec son sens du récit l’épisode où on peut le considérer comme un miraculé puisqu’il ne fut pas exécuté en tant qu’otage, alors que 99 sur 120 le furent... 

Le choix de poèmes et les inédits rassemblés (sur la période 1944–1967) montrent un poète assez noir, ce qui montre bien sa modernité encore aujourd’hui. « Où donc est ma place sur la terre / si le ciel s’y refuse / en me poussant vers un lointain / sans rive aux contours définis » Sa poésie se distingue par sa grande sincérité. Il n’hésite pas à écrire : « La nudité est l’objet du poème ». Et ses vers s’étirent souplement dans des strophes élastiques. « Mon Dieu comme c’est long / ces jours soudés avec les nuits / et ce cœur qui ne veut pas moisir ».

Il y a des images récurrentes comme celle du poignard, mais le mot espoir revient souvent cependant. On devine une poésie où l’isolement et la solitude règnent, et une vie de souffrance et d’inquiétude. « Seul dans le vide résonne / Cet appel de bête blessée / Qui erre dans l’obscurité des mondes ». Le poème « La mère défigurée » est une suite très émouvante sur la mort de sa mère. Autre temps fort de cette anthologie : « Le péché radieux » où il ne cache pas sa tendance amoureuse : « …ma lèvre se fait religieuse / devant cette fleur de chair dressée / tu me soulèves vers un autre monde… » Le titre « Le péché radieux », dans une alliance de mots, associe à la fois le bonheur et la honte, et c’est peut-être dans ce rejet ressenti de la société que réside son mal être qui caractérise sa poésie à la fois splendide et douloureuse. Ainsi peut-il écrire dans ce même domaine un peu mystique : « Je soutiens ma vie avec des clous sanglants. » 

Jacques MORIN (cf. "Les lectures de Jacmo 2018" in revue-texture.fr, septembre 2018).

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"Christophe Dauphin surprend toujours par sa capacité à découvrir des auteurs méconnus, souvent au parcours douloureux et au destin tragique,  et à sortir leurs œuvres de l’ombre où elles se tiennent. La vie « sans joie » du poète  Patrice Cauda, dont la date de naissance même est incertaine (entre 1921 et 1925), témoigne des drames du siècle dernier. Enfant pauvre élevé par sa mère, rescapé d’un terrible massacre commis par les nazis en 1944, il eut l’existence recluse et solitaire, faite de misère et de précarité,  d’« un mort qui marche » jusqu’à son décès en 1996. Au terme d’une minutieuse recherche, Christophe Dauphin parvient à retracer le destin brisé de celui qui ne pouvait qu’« écrire contre la mort comme on écrit contre un mur ». Son essai biographique est suivi d’un copieux choix de poèmes de Patrice Cauda dans deux tiers de l’ouvrage."

Marie-Josée Christien (chronique "Nuits d'encre", in n°24 de la revue Spered Gouez, 2018).

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"Un essai sur la vie et l'oeuvre de P. Cauda (1925-1996), poète méconnu dont l'oeuvre est inspirée par les atrocités qu'il a vécues pendant la Seconde Guerre mondiale."

Electre, Livres Hebdo, 2018. 

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"Un choix de poèmes inédits de Patrice Cauda, poète important et emblématique de la revue Les Hommes sans Epaules, écrits entre 1944-1967, opéré par Christophe Dauphin. Né à Arles (sa date de naissance reste un mystère: 1921/1922 ? 1925 ?), Patrice Cauda, poète et homme du peuple, rescapé des massacres de Tulle, s'est forgé en tant qu'autodidacte et sera ouvrier dans un usine à douze ans, garçon de café, préposé au vestiaire dans vingt caravansérails, représentant des éditions Pauvert. Il vivra toujours, aliéné, d'un métier purement alimentaire.

Patrice Cauda appartient à l'une de ces générations de poètes nés pendant et après la Première Guerre mondiale et... dans l'attente de la Seconde: cela façonne un être. Ses premiers poèmes sont écrits après les horreurs de la Seconde Guerre mondiale, et notamment une suite de six poèmes, pour lesquels Jean Breton écrit : "Ces poèmes demeurent un monument d'émotion que peu de poètes ont pu en hauteur égaler..."

Les thèmes de sa poésie: la haine de vivre d'un métier qui en le concerne pas, la solitude, la ville, la nature, la banalité, la vilénie des êtres, la mort promise, mais aussi l'amitié, la beauté, le plaisisr qui seul bouscule un moment le malheur. La douleur chemine sous la peau du poète; elle creuse et s'élargit; elle semble ne pas avoir de frontières: Je suis un cri qui marche. La solitude étant sans remède, malgré l'amour, la sensualité, la fraternité, Patrice Cauda s'y enfonça, peu à peu, puis définitivement, en guettant la chute des jours. Il abandonna la poésie et son coeur cessa de frapper: il meurt en france en 1996 dans l'anonymat.

Le cas d ece poète solitaire, de ce mystérieux orphelin, élevé dans la chaleur humaine, mais dans la pauvreté, la misère, prolétaire n'ayant quasiment pas été scolarisé, misérable, dénué de formation et de culture qui était Patrice Cauda, ne pouvait que susciter un vif intérêt chez Christophe Dauphin (né en 1968, à Nonancourt). Ce dernier, poète de l'émotivisme, essayiste, membre de l'Académie Mallarmé, est aujourd'hui directeur de la revue Les Hommes sans Epaules.

Parallèlement à son oeuvre de création, il a écrit de nombreux articles critiques et théoriques. Il est l'auteur de trois anthologies de la poésie contemporaine, de seize livres de poèmes et d'autant d'essais sur la poésie contemporaine et l'art moderne."

Mirela PAPACHLIMINTZOU (in revue Contact+ n°82, Athènes, juin 2018).

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Patrice Cauda est aussi au nombre des poètes auxquels Christophe Dauphin a consacré un de ces volumes. Cette fois-ci cette anthologie dont il est l’unique maître d’œuvre nous permet de découvrir ou de redécouvrir à nouveau un grand poète : Je suis un cri qui marche, Essais, choix et inédits. Orphelin, ouvrier et rescapé des massacres de la seconde guerre mondiale, cet immense poète autodidacte nous émerveille, nous émeut, nous intimide, tant est puissante sa poésie, d’une gravité incroyable, d’une densité surprenante. Classique au demeurant, mais il en faut du talent pour marcher dans les pas de prédécesseurs qui ont tout exploité des richesses de la langue…croit-on, car Patrice Cauda nous démontre que l’on peut encore avancer en territoire connu.

 

Mon Dieu comme c’est long
ces jours soudés avec les nuits
et ce cœur qui ne veut pas mourir

Tant de cris pour l’obscurité
toutes ces mains qui se balancent
et cette sève infusée aux choses

Corps maladif retenu aux heures
tu n’as pas fini de trahir
sans un geste comme un fruit trop mûr

Terre muette touchée par les morts
qui espire l’inquiétude des pas
accrochés semblables au lierre sur la pierre

Ce front plissé ressemble à la vie
où chaque instant marque son passage
pour qu’un fleuve recommence la mer

Carole MESROBIAN (cf. "Les anthologies à entête des Hommes sans Épaules" in recoursaupoeme.fr, 4 janvier 2019).

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"La première série de la revue Les Hommes sans Epaules fut fondée par Jean Breton en 1953, avec des poètes tels qu'Henri Rode ou Serge Brindeau. Elle sera proche de figures telles qu'Alain Borne ou Lucien Becker et durera jusqu'en 1956. Elle sera proche de poètes tels qu'Alain Borne ou Lucien Becker et durera jusqu'en 1956. Parmi les poètes liés à la revue, Christophe Dauphin, qui en dirige la troisième série, fait revivre le "poète méconnu" Patrice Cauda dans un volume anthologique.

En juin 1944, à l'âge de dix neuf ans, Cauda vécut une exéprience traumatique, en échappant de peu à la pendaison dans la ville de Tulle, où les Allemands avaient commencé à exécuter de la sorte quatre-vingt-dix-neuf hommes. Il sera ouvrier, vivra de petits métiers, et trouvera des amis dans la communauté poétique d'Avignon. Quel poète, quelle poésie peuvent naître de telles prémisses ? Une poésie qui crie en taisant les choses, toujours traversée de filigranes, une poésie bouche et yeux ouverts et fermés à la fois : "Derrière son masque cet homme - cache une plaie - seules ses paupières fermées - montrent le cri qu'il fait... - L'ombre connaît sa douleur - profonde et sans racine - son amour comme uen moisson - rongée par le règne du mal." Ce poème ouvre la section des inédits, dont la datation commence en 1944...

De 1952 à 1964, le poète publie une quinzaine de plaquettes, de cette écriture où l'explicite et la simplicité directe s'allient à la suggestion des images : "De tant de douleurs comment faire une vie - Trop de larmes ont noyé le bonheur - Le jour n'est plus qu'un désert à traverser - Au fond du coeur l'amour n'a plus de cris."

Il faut particulièrement signaler, dans son premier livre, "Pour une terre interdite" (1952), le long poème adressé à la mère du poète ; cette "Mère défigurée" doit compter parmi les poèmes les plus poignants et les plus évidents à la fois, dans l'expression retenue et intense du deuil et de l'amour : "cette femme en robe ancienne est une morsure", dit le fils, qui avoue plus loin : "Un soir elle a dit je suis fatiguée - nous n'écoutions pas le sommeil - elle est morte sans nous déranger - nous nous sommes dispersés dans l'ombre.

Puissent Christophe Dauphin et les éditions Les Hommes sans Epaules poursuivre leur ouevre de redécouverte d'autres poètes méconnus."

Gérald PRUNELLE (in Le Journal des Poètes n°2, Belgique, 2019).

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Christophe Dauphin nous fait découvrir un poète contemporain, Patrice Cauda (1921-1996), né en Arles, dans une famille pauvre, de père disparu. C'est un Rimbaud sans culture et sans fuite, originaire du pays de Van Gogh, dont Christophe Dauphin souligne la communauté de destin.

Le poète est demeuré inculte jusqu'à l'âge de dix-huit ans environ, âge auquel il fait la rencontre d'Henri Rode et des Hommes sans Epaules.

Puis c'est la tragédie de Tulle, en 1944, où il a vu la mort arriver très près.

L'homme reste obstinément humble et secret; jamais il ne s'offre aux revues ni aux éditeurs; ce sont ses amis Henri Rode, Jean Breton et Serge Brindeau qui le poussent.

Pour Christophe Dauphin, Patrice Cauda est le poète "de l'inventaire des blessures", dans la lignée de Lucien Becker, Paul Eluard, Alain Borne et Henri Rode.

Les trois quart du livre sont une anthologie - livres parus et nombreux inédits - de cette poésie profondément déchirée, dominée par la parole qui manque d'air, où le sens domine : "Je voudrais vomir tout mon ciel".

Le néant gagne et l'homme s'affole : "Autour du granit de chaque jour - les mains battent comme des oiseaux - perdus sur une mer sans rivage".

La poésie; même, parfois en peut rien contre la désillusion : "Les doigts assemblent des lettres - Dont la somme est trahison".

Il y a cependant de l'espoir : "J'habite une lumière qui dépasse l'histoire". Avec parfois cette image christique du poète maudit : "il faudrait une blessure à nos flancs - pour percevoir notre musique intérieure". Nul doute qu'ici Christophe Dauphin nous la fait entendre.

Bernard FOURNIER (in revue Poésie Première, 2019).

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