Guy CABANEL

Guy CABANEL



Guy Cabanel, né à Béziers en 1926, fait, en 1947, avec Robert Lagarde, un voyage à Mont-Louis en quête « d’objets d’arts naturels » : bois flottés, pierres. De ce voyage ainsi que de la lecture déterminante de L’Amour Fou d’André Breton, naît un texte, La Matière de la Nuit, qui servira d’introduction au grand œuvre de Cabanel : L’Animal Noir, qui est le chef d’œuvre du bestiaire surréaliste, comme Les Sales Bêtes (Guy Chambelland/éd. Saint-Germain-des-Prés, 1968) de notre Pierre Chabert, est celui de l’émotivisme et de la Poésie pour vivre.

La rédaction de ce bestiaire venimeux et néanmoins du Merveilleux s’échelonne sur dix ans. Les textes autographes de Guy Cabanel et les dessins originaux de Robert Lagarde sont directement composés sur papier calque. De cette maquette sont tirés quinze exemplaires sur papier héliographique dans l’atelier de tirage de plans où l’auteur travaille. C’est avec ce maître livre que Guy Cabanel est accueilli par le groupe surréaliste, le 10 août 1958, et par la voix même d’André Breton : « Ce langage, le vôtre, est celui pour lequel je garde à jamais le cœur de mon oreille. C’est celui dont j’ai attendu qu’il ouvre de nouvelles communications, vraiment sans prix et comme par voie d’étincelles, entre les êtres ».

Suivront Odeurs d’amour (1969), Les Fêtes sévères, (1970), Les Boucles du temps (1974), Illusions d’illusion (1983), Au fil du temps (1992), Silhouettes de hasard (1995), Croisant le verbe (1995), Instants de l’immobile errance (1996) et d’autres magnifiques livres de poèmes, jusqu’à Les charmes du chaos (2019). Sans oublier l’emblématique Hommage à l’Amiral Leblanc (2009), à propos duquel, notre défunt ami, l’écrivain surréaliste Alain Joubert parle d’un retournement du langage poétique, en faveur d’un discours à la fois solennel et lyrique, baigné de bout en bout d’une forme d’humour imperturbable, véritable viol de l’esprit de sérieux. Alain précise : « C’est à la suite de deux rêves que, vers la fin des années 60, Guy Cabanel décide de rendre enfin hommage à cet Amiral Leblanc qui hante son esprit jour et nuit, ombre blanche de l’animal noir, revers de la médaille, face cachée du désir de langage. Il complètera cet hommage par une série de « Pensées et proclamations » de l’admirable Amiral lequel, pas dupe pour un sou, déclarera : Je sais qu’un cuistre besogneux note toutes mes paroles. J’espère qu’elles seront assez déformées pour donner une fausse idée de moi-même. Le « vécu » de l’Amiral appartient à la poésie de l’improbable, cet improbable qui délimite le territoire où il se déplace, que l’on pourrait analogiquement rapprocher de l’univers d’Yves Tanguy, univers sans ligne d’horizon ni point d’appui, l’infini du ciel et de la mer confondus proposant le possible inconnu, la découverte à venir, le nouveau monde où aborder en pleine apesanteur. » 

Oui, ce poète essentiel et discret, l’opposé de la mondanité parisienne et des coteries, possède bien l’art de faire surgir une question brûlante, là où, avant lui, il n’y avait rien et de faire apparaître le vide là où l’on supposait quelque chose. Épurant, effilant à l’extrême son écriture, Guy Cabanel, écrit Patrice Beray, accomplit le dessein ultime de la poésie surréaliste du « tout-image ». Le poème de Cabanel est brut dans son jaillissement et raffiné dans son exécution. Automatique et savant. Pur effet, en conciliation des contraires, cette poésie est auditive, ce chant a comme nul autre l’oreille du langage. L’œil vient après, comme le montrent les aménagements postérieurs des poèmes sur l’espace de la page. La lecture de Maliduse, fit dire à André Breton, s’adressant à Joyce Mansour, en août 1961 : « La poésie surréaliste, c’est vous, Jean-Pierre Duprey et Guy Cabanel. » Dans le premier numéro de la dernière revue surréaliste, L’Archibras, Jean Schuster écrit en 1967 : « Guy Cabanel détient à mes yeux les clés du langage absolument moderne. Je ne doute pas qu’il ait trouvé quelques-uns des secrets qui introduisent à l’alchimie du verbe. » C’est pour l’essentiel, les poèmes des Fêtes sévères, disséminés au gré des possibilités de publication qui vaudront à Guy Cabanel d’être associé à Jean-Pierre Duprey, Joyce Mansour, Ghérasim Luca et quelques autres parmi les voix les plus signifiantes du surréalisme de l’après-guerre et du début de ce nouveau millénaire.

Christophe DAUPHIN

(Revue Les Hommes sans Epaules).

 

À lire : À l’Animal noir, illustré par Robert Lagarde (HC, 1958. Réédition L’Éther Vague, 1992), Odeurs d’amour (Losfeld, 1969), Les Fêtes sévères, illustrations de Robert Lagarde, (Fata Morgana, 1970. Réédition Les Hauts-Fonds, 2009), Les Boucles du temps (Privat, 1974), Illusions d’illusion, dessins de Robert Lagarde, (Fata Morgana, 1983), Au fil du temps, dessins de Gérard Lalau, (Ubacs, 1992), Silhouettes de hasard, dessins de Gilles Dunant, (Myrddin, 1995), Croisant le verbe, illustré par Jorge Camacho (L’Éther Vague, 1995), Instants de l’immobile errance, photos de Michel Peschot, (Fata Morgana, 1996), Quinquets, dessins de Jean Terrossian, (L’Écart Absolu, 1997), L'essence poétique, dessins de Mimi Parent, (L’Écart Absolu, 2000), Douze constellations pour André Breton, dessins de Jacques Lacomblez (Quadri, 2006), Le Verbe flottant, illustré par Jacques Zimmermann, (Quadri, 2007), Soleil d’ombre, sur des photographies de Jorge Camacho, (Quadri, 2009), Maliduse, illustrations de Robert Lagarde, Mimi Parent et Adrien Dax, (HC, 1961. Réédition Les Loups sont fâchés, 2009), Dans la roue du paon, dessins de Jacques Lacomblez, (Les Hauts-Fonds, 2009), Hommage à l’Amiral Leblanc, présenté par Alain Joubert, (Ab irato, 2009), L’Ivresse des tombes, photos de Barthélémy Schwartz, (Ab Irato, 2011), Chants d'autres mémoires, d’après des dessins de Lucques Trigaut, (éditions des Deux Corps, 2012), Le Revenant, d’après des encres inédites de Michèle Grosjean, (Quadri, 2012), Les Cités Légendaires, ill. de Jacques Desbiens, (éd. Sonámbula,2012), Cent Haïkus, les dédicaces de Maliduse, (l’Umbo, 2012), Les Esquilles « Mais lesquelles ? », d’après des dessins de Georges-Henri Morin, (l’Umbo, 2013), Les chemins qui zigzaguent (éd. Sonámbula, 2013), Journal intime, ill. de Jean Terrossian (Ab irato, 2015), Au bon plaisir de la Géante, avec Jacques Abeille et Alain Joubert (Éd. Litan, 2015), Les rendez-vous métaphysiques (Éd. Litan, 2016), D’ombres roulées (Éd. Litan, 2016), Au féminin (Éd. Sónambula, 2016), Les Sites du Serpent (Éd. Sónambula, 2017), Les charmes du chaos, sur des œuvres picturales de Mireille Cangardel (Éd. Ab irato, 2019).


Rampons à cheval sur les arbres chauves, vagues sourdement éclatées dans leur épaisseur, le cratère laisse échapper de l'ombre, compacte comme un poignard, messagère, écume noire.

La Matière de la nuit 


Tes yeux égratignés font peur aux filles, tes yeux striés de lèvres bleues butineuses, les filles trop nues pour endosser de telles responsabilités.

Hyène mangeuse de cadavres 



Il arrive souvent, dans certaines régions hypersensibles, que le noir suinte et se colle aux émaux de la proue.

Le Loup est un homme pour le loup  



Extraits de A L'ANIMAL NOIR  

L'envol du fleuve, la danse des serpents, ont la saveur du rêve d'un bambou ; l'obscurité d'un éclat blesse l'espace, et voici les nuages bleus. 

Maliduse 

Le coup de gong de la naissance sur le gravier de l'inconnu, quel est cet arbre abattu ?

Amoureuse des plages tu frisais dans l'eau les cyprès.
Cou sculpté au rire du sabre ! Tes yeux îles d'eau, tes pas porte-parole, un nuit d'angles lumineux.

Odeur du temps in Odeurs d'amour 



Le reître
La forêt s'est couverte d'embûches, de feuilles fourchues et de traces de biches qui fuient.

Croisant le verbe  



Sa cheville est-elle perforée ? A l'ombre rose des loups, rampez, couleuvriniers. C'est au mois de mai qu'on danse, ganté de serpes, chaussés d'aloès.

Les fêtes sévères


 
Tes oiseaux de bleu cruel en un combat poussiéreux traquent au cœur de l'orage, impitoyable ciel, ce qui palpite encore.

Transit in Quinquets 

 
Les années, passions effacées, poussières à peine teintées de feu mourant, peut-être un reste de mémoire évadée d'un crâne sans lune, flottante nuée encore, par un songe jetée sur une aile de fumée.

Le Festin de mort in L'Ivresse des tombes 

 
Rêve qui erre dans les déhanchements, léger comme la dentellière frisant les nuées. Rêve qui sort d'une tige d'iris ou de la queue du poisson lune, papillon bientôt.

Silhouettes de hasard 



Éblouissantes éblouies sur des loups bleus qui lissent le dessin de leurs seins.

Chants d'autres mémoires 


Taureau dans sa tour nié ou chat de trèfle triste en os de mage noyé, légère mort, sublime flétrissure dans l'agreste pays contourné, seul dans le cœur des animaux ruinés déchirant d'un cri les cieux, grand comme l'univers voici, indistinct de la terre ou de l'eau, mon propre spectre qui me broie, indestructible et multiple sable mais battu de tempêtes sans cesse, griffé d'appels affolants, caressé d'inaudibles mots, sans regard, sans lumière bercé dans les bras maternels d'une fleur qui meurt très doucement sur un mirage.

IV in Douze constellations pour André Breton



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules




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