Les Hommes sans Épaules


Dossier : ATTILA JÓZSEF et la poésie magyare

Numéro 27
238 pages
Premier semestre 2009
17.00 €


Sommaire du numéro



Éditorial : Ce n'est pas moi qui crie, c'est la terre qui gronde !, par Christophe DAUPHIN

Les Porteurs de Feu : Poèmes de Georges-Emmanuel CLANCIER, Werner LAMBERSY

Ainsi furent les Wah : Poèmes de Francesca Yvonne CAROUTCH, Jacques BLOT, Yves COLLEY, Andrea d' URSO

Dossier : Attila JÓZSEF et la poésie magyare, par Christophe DAUPHIN, Karel HADEK, Poèmes de Attila JÓZSEF, Miklós RADNÓTI, Endre ADY

Une voix, une œuvre : Claudine BOHI, par Paul FARELLIER, Poèmes de Claudine BOHI

Le cri de l'oubli : Alain BOUCHEZ

Dans les cheveux d'Aoûn : proses de Claudia SPERRY-FONTANILLE, Alain SIMON

Vers les terres libres : Benoît DOCHE de LAQUINTANE, par Paul FARELLIER

Les pages des Hommes sans Épaules : Poèmes de Elodia TURKI, Paul FARELLIER, Alain BRETON, Christophe DAUPHIN, Jean-Marc RIQUIER

Avec la moelle des arbres : notes de lecture de Christophe DAUPHIN, Karel HADEK, Paul FARELLIER, avec des textes de Thomas LE ROY

La chronique des revues, par César BIRÈNE

Hommage : André MIGUEL, par Jean CHATARD

Infos / Échos des HSE, par César BIRÈNE

Illustrations de : Lucien COUTAUD, Lionel LATHUILLE, Daniel PIERRE dit HUBERT

Présentation

CE N’EST PAS MOI QUI CRIE, C’EST LA TERRE QUI GRONDE !

 « Le poète appartient à cette catégorie d’individus qui, ne serais-ce que par leur absence de statut social et leur non-existence sur le plan économique, ont été et sont encore confrontés au mépris. Les HSE ont récemment évoqués des ainés, parmi d’autres, qui en témoignent : Aimé Césaire, Guy Tirolien, Mahmoud Darwich ou Attila József. Ces quatre poètes sont exemplaires, dans la mesure où subissant le mépris, en raison de leur couleur de peau, de leur origine social, de leur origine géographique, ils ne cessèrent jamais de fertiliser l’humanité dans l’homme ; ils ne cessèrent jamais de filtrer l’expérience collective à travers l’expérience intime. Tant oubliées voir critiquées, le reste du temps, les Antilles ont ainsi fort récemment occupé, par la force des choses, le devant de la scène politique et médiatique, fin 2008, début 2009. Les ombres, mais surtout les poèmes volcaniques du martiniquais Aimé Césaire (voir hommage in HSE n°26) ou du guadeloupéen Guy Tirolien sont alors, avec le poids d’une histoire coloniale et néo-coloniale extrêmement douloureuse, remontés à la surface d’un présent nauséeux. « Ma poésie, à écrit Césaire en 2006, est née de mon action. Je n’ai jamais voulu faire une carrière poétique, en demandant aux gens qu’on me foute la paix pour créer. Non : écrire, c’est dans les silences de l’action. » Tirolien est mort en 1988, les yeux fixés sur  l’azur menteur de la mer Caraïbe, vingt-et-un ans avant la révolte de son île contre le mépris de la France métropolitaine et « la vie chère » : Je veux me réveiller lorsque là bas mugit la sirène des blancs - et que l'usine ancrée sur l'océan des cannes - vomit dans la campagne son équipage nègre (in Balles d'or, Présence Africaine, 1961). Mahmoud Darwich (voir hommage in HSE n°26), est mort le 9 août 2008, quatre mois avant qu’Israël ne déclenche, à Gaza, l'opération « Plomb durci ». « Le monde entier, déclarait encore Darwich en mai 2007, a oublié le problème fondamental : un peuple vit sous occupation depuis quarante ans, qui ne demande rien d’extraordinaire, rien que 22 % de son territoire historique. » C’est que chacun de ces poètes, chacun de leurs combats et de leurs poèmes, part avant tout d’une plongée dans le drame intime mais aussi collectif, celui de leurs peuples. C’est bien cela qui les inspire, et qui, par conséquent, les unifie, canalise leurs énergies, décuple leur dynamisme, mais aussi implique leur insertion de poètes dans une lutte sans merci pour la reconnaissance de la dignité de l’homme. Voilà ce qui a projeté la poésie de ces poètes aux plus hauts témoignages de l’humanisme universel : Il n’y a pas dans le monde un pauvre type lynché, - un pauvre type torturé, en qui je ne sois - assassiné et humilié, écrit encore Césaire aux prises avec le mépris, comme le fut le hongrois Attila József, en écrivant : Ce n’est pas moi qui crie, c’est la terre qui gronde. Attila József est le poète à qui nous rendons hommage dans ce numéro aux couleurs hongroises, saveurs de paprika et de mélancolie. Célèbre dans son pays, ce poète est encore loin de l’être, en dehors des frontières hongroises. Attila József a pourtant élaboré une œuvre qui est toujours bien actuelle et dans laquelle s’unissent l’intuition révolutionnaire, le réel immédiat, la culture populaire et le lyrisme amoureux, dans une langue résolument moderne. József est hongrois tout entier. A travers son itinéraire, impossible donc d’ignorer l’histoire souvent douloureuse et toujours poignante de son pays (aujourd’hui au bord de la banqueroute), comme l’épopée peu connue de la littérature hongroise du XXe siècle. József puise directement sa sève, son énergie, ses racines et sa puissance incantatoire, dans la terre magyare, comme dans sa tradition folklorique. Prolétaire, le poète l’est et le demeurera ; son engagement humain, social et politique, l’entraîna toujours du côté des humiliés, dont il ne cessa de dénoncer la condition abjecte… Sa vie durant, Attila József a pourchassé un bonheur qui s’est refusé à lui. La paix, il ne l’a trouvée, malheureusement, qu’en se jetant sous un train, dans la plus grande indifférence, cet autre synonyme du mépris ; car le mépris n’est pas qu’un sentiment individuel, c’est aussi la morale de notre époque… »

 

Christophe DAUPHIN

(Extrait de l’éditorial des Hommes sans Epaules n°27, 2009).

 

CE N’EST PAS MOI QUI CRIE

 

Ce n’est pas moi qui crie, c’est la terre qui gronde,

Gare à toi, le diable est devenu fou,

Tapis-toi tout au fond pur des sources,

Enferme-toi dans le plat d’une vitre,

Cache-toi derrière les diamants,

Sous des pierres, te mêlant aux insectes,

Oh, cache-toi dans le pain encore chaud,

Mon pauvre pauvre.

Avec des averses agiles, infiltre-toi dans le sol –

Tu as beau baigner ton visage en toi-même,

Tu ne peux le laver qu’en autrui;

Sois la tranche minuscule d’une herbe

Et tu seras plus grand que l’axe du monde.

Ô vous, machines, oiseaux, ramures, étoiles !

Notre mère stérile pleure pour être enfin féconde !

Ah, mon ami, ami de mes entrailles,

Cela peut-être horrible ou merveilleux,

Ce n’est pas moi qui crie, c’est la terre qui gronde.

 

Attila JÓZSEF

Poème traduit du hongrois par Georges Timar.

(in Les Hommes sans Epaules n°27, 2009).



Revue de presse

2009 – À propos du numéro 27

    « Une des meilleures revues que je connaisse pour entrer en poésie contemporaine. L’érudition de son directeur, Christophe Dauphin y est pour quelque chose. Ce numéro 27 des Hommes sans Épaules, s’ouvre sur un dossier consacré à deux monuments de la poésie contemporaine, Georges-Emmanuel Clancier dont le succès populaire de roman tel Le Pain noir ont un peu éclipsé l’œuvre poétique pourtant de premier plan, et Werner Lambersy, prolifique auteur belge qui ne déçoit jamais. Suit un imposant dossier sur la poésie magyare qui nous replonge dans les turbulences du XXe siècle. Plus contemporain, un coup de projecteur sur l’œuvre de Claudine Bohi. »
Yves Artufel (Gros-textes, Arts et Résistance n°2, avril 2010).

    « HSE 27. Une belle revue, complète et diverse. Déjà, l’éditorial de Christophe Dauphin nous donne à lire et en particulier à propos du poète hongrois Attila Jozsef… Un dossier de 64 pages lui est consacré. Suivi d’une étude par Paul Farellier de l’œuvre de Claudine Bohi (avec, comme toujours, en ce qui la concerne, sa photo ; merci !)… Mais Farellier nous présente aussi G.E. Clancier, W. Lambersy et A. Bouchez. Quand à Claudia Sperry-Fontanille, elle s’interroge sur « Langage, poésie et magie avec Octavio Paz ». »
    Alain Lacouchie (Friches n°104, avril 2010).

    « Dans ce numéro 27 des HSE, la poésie comme forme de résistance est revendiquée contre l’humiliation, l’horreur et l’injustice. G.E. Clancier en ouvre les premières pages… Et Lambersy de poursuivre… Un dossier important de C. Dauphin et K. Hadek est consacré à la poésie magyare et au grand poète Attila Jozsef : « Ce n’est pas moi qui crie, c’est la terre qui gronde »…. Aux « meurtrissures d’être », F.Y. Caroutch, J. Blot, Y. Colley, A. D’Urso opposent leur manière singulière d’écrire, tantôt avec retenue, tantôt avec un regard corrosif sur le monde. A travers la lecture de P. Farellier nous parvient la voix grave, profonde, amoureuse de C. Bohi : « Le désir clair – monte des chevilles – je n’ai de vraie parole – qu’à mes deux bouches ensemble. » Et A. Bouchez lance un appel « qui ravaude le soleil ». Entre hommages (à A. Miguel par Jean Chatard, à Octavio Paz par C. Sperry-Fontanille), dossiers fournis, poèmes, notes de lectures, les Hommes sans Epaules cheminent, résistent, renaissent, tentent de donner sens « au petit tas de vivre » (P. Farellier). Le lecteur est appelé de toutes parts, parfois se perd tant est grande la diversité et la densité des propos. Mais n’appartient-il pas à chacun de trouver ses propres chemins ? »
Jacqueline Persini-Panorias (Poésie/première n°47, juillet/octobre 2010).