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Lectures

"Cette nouvelle livraison, essentiellement consacrée à la poésie, est d'une richesse exceptionnelle. Dans son éditorial, Le Passager du Transatlantique, Christophe Dauphin rend un hommage chaleureux à Benjamin Péret dont il souligne le parcours singulier, celui d'un poète qui n'a jamais songé à faire carrière dans la littérature. Il cite, pour souligner son propos, Sarane Alexandrian: "Quand on considère ce que sont devenus dans leur vieillesse tant de matamores qui entrèrent dans les lettres le défi aux lèvres, le regard hautain, on s'incline bien bas devant Péret. Il n'a pas un instant fait de concessions pour s'attirer les honneurs que méritait son génie. Pauvre, vivotant de son métier de correcteur, il a gardé jusqu'au bout la vertu réfractaire de sa jeunesse... Libre comme le rossignol, mélodieux comme lui, menacé comme lui par la cohorte bruyante des ânes, il n'a cessé de faire entendre le chant qui lui était naturel." Le travail de l'association des amis de Benjamin Péret y est salué, une fois n'est pas coutume, depuis l'édition des Oeuvres complètes jusqu'à l'apport nouveau des Cahiers Benjamin Péret.

Benjamin Péret occupe le coeur de ce numéro avec un  volumineux dossier de plus de quatre-vingt pages intitulé: La Parole est toujours à Benjmain Péret. Ce dossier, parfaitement documenté et maîtrisé, par Christophe Dauphin, dit l'essentiel. Il est complété d'un article de Jean-Clarence Lambert sur les liens et affinités entre Benjamin Péret, Octavio Paz et le Mexique. Octavio Paz savait ce que fut l'exceptionnelle amitié entre Péret et Breton, une complicité intellectuelle reposant sur "la recherche d'une vie qui concilie poésie et révolution". Le choix des extraits de l'oeuvre de Péret qui a été fait dans Les HSE en est l'illustration.

on trouverea également dans ce numéro plusieurs dossiers sur Annie Le Brun par Karel Hadek et sur Jehan Mayoux avec une présentation de César Birène: "Jehan Mayoux, le poète insoumis", suivi d'un choix de poèmes par Hervé Delabarre. Parmi les "portraits éclairs" figurent également Lionel Ray et Fabrice Maze."

Gérard ROCHE (in Cahiers Benjamin Péret n°5, septembre 2016).

*

" Le dossier de ce beau numéro est consacré à Benjamin Péret. Dans son éditorial, intitulé « Le passager du Transatlantique », Christophe Dauphin explique ce choix :

« Les poètes ont toujours été et sont toujours de ce monde, mais ils sont rares, ceux qui, de la trempe de Benjamin Péret, demeurent toujours et définitivement à l’avant-garde du Feu poétique. Et pourtant, si le Passager du Transatlantique n’a jamais cessé d’être à flot, ce fut trop souvent sur un océan d’ombre, que n’emprunte qu’une minorité, certes, mais active et éclairée. Ce constat a motivé l’écriture du dossier central de ce numéro des HSE. Avec Péret, nous ne sommes jamais dans l’histoire de la littérature, tellement ce poète est actuel – et surtout en ces temps d’assassins et du médiocre dans lesquels nous vivons  -, mais dans la vie. Comment alors expliquer l’audience confidentielle de son œuvre ? »

Si la France a, depuis des décennies, du mal avec la poésie en général et les poètes en particulier qui, souvent, obligent à penser dans un monde qui a vu, avec les soi-disant nouveaux philosophes des années 60-70, l’opinion remplacer la pensée et le savoir. Benjamin Péret, un anticonformiste cher à Sarane Alexandrian, n’a jamais fait la moindre concession à la mondanité.

L’œuvre, toujours injustement méconnue de Benjamin Péret, est immense, aux poèmes s’ajoutent des contes, des écrits politiques, des écrits ethnologiques, des écrits critiques sur le cinématographe et les arts plastiques, sur le surréalisme, la littérature, sans compter les entretiens. Une œuvre éditée aujourd’hui en sept volumes sous le titre Œuvres complètes grâce à l’association des amis de Benjamin Péret.

Son œuvre, toujours aussi actuelle, dérange et secoue. Elle réveille. Benjamin Péret qui poussera de manière exemplaire la pratique de l’écriture automatique dans ses retranchements soulève l’hostilité et l’incompréhension dès la fin des années 1920, notamment de la N.R.F., incompréhension qui demeure.

Voici pourtant ce qu’en dit André Rolland de Renéville en 1939 :

« L’écriture automatique apparaît en harmonie avec le tempérament de Péret, au point qu’il semble que notre poète n’eût pas écrit si le surréalisme n’avait pas été découvert. Benjamin Péret ne conserve de notre langage que la construction syntaxique, l’allure et le ton. Les mots lui deviennent des signes. Il leur redonne un sens absolument libre, dégagé des objets qu’il désigne. De nouveaux objets semblent naître de ces moules dont le contenu nous était imposé par l’usage. Et le miracle est que ces réalités nous les comprenons, tandis que nous traverse l’immense éclat de rire d’un être que nulle contrainte ne retient plus de se lancer à travers notre flore et notre faune urbaines, comme s’il s’agissait pour lui de celles d’une contrée primordiale, ouverte à ses instincts. Il suffit de lire au hasard l’un de ses plus beaux poèmes pour y trouver l’exemple d’une conscience qui décide d’accepter sans y introduire de contrôle, la succession des idées qui se présentent à elle par le mécanisme de leur libre association.  Péret annihile la distance entre l’homme et l’objet, entre l’espace et le temps, entre le réel et le rêve : Sois la vague et le bourreau la lance et l’orée – et que l’orée soit l’étincelle qui va du cou de l’amante à – celui de l’amant – et que se perde la lance dans la cervelle du temps – et que la vague porte la poutre – et que la poutre soit une hirondelle – blanche et rouge comme mon CŒUR et ma peur. »

Christophe Dauphin note que si Benjamin Péret, ce « surréaliste par excellence », « est presque toujours qualifié d’opposant-né », il convient aussi de parler de lui comme d’ « un homme du oui et de l’adhésion à la liberté, à l’amour sublime, au merveilleux, à l’amitié ». Péret, nous dit-il, a aussi « magistralement établit l’analogie entre la démarche poétique et la pensée mythique ». Christophe Dauphin rappelle que Benjamin Péret est définitivement vivant quand bien des prétendus poètes d’aujourd’hui sont déjà morts. En 1945, il tenait ces propos, à la fois réalistes et visionnaires, dans Le déshonneur des poètes.

« Les ennemis de la poésie ont eu de tout temps l’obsession de la soumettre à leurs fins immédiates, de l’écraser sous leur dieu ou, maintenant, de l’enchaîner au ban de la nouvelle divinité brune ou « rouge » – rouge-brun de sang séché – plus sanglante encore que l’ancienne. Pour eux, la vie et la culture se résument en utile et inutile, étant sous-entendu que l’utile prend la forme d’une pioche maniée à leur bénéfice. Pour eux, la poésie n’est que le luxe du riche, aristocrate ou banquier, et si elle veut se rendre « utile » à la masse, elle doit se résigner au sort des arts « appliqués », « décoratifs », « ménagers », etc. »

Benjamin Péret est plus que jamais précieux dans un monde ou la compromission, la trahison et la falsification sont la norme.

 

A travers le temps et l’espace

Attendre sous le vent et la neige des astres

la venue d’une fleur indécente sur mon front décoloré

comme un paysage déserté par les oiseaux appelés soupirs du sage

et qui volent dans le sens de l’amour

voilà mon sort

voilà ma vie

Vie que la nature a fait pleine de plumes

et de poisons d’enfants

je suis ton humble serviteur

 

Je suis ton humble serviteur et je mords les herbes des nuages

que tu me tends sur un coussin qui

comme une cuisse immortelle

conserve sa chaleur première et provoque le désir

que n’apaiseront jamais

ni la flamme issue d’un monstre inconsistant

ni le sang de la déesse

voluptueuse malgré la stérilité d’oiseau des marécages intérieurs"


Rémi BOYER (in incoherism.wordpress. com, 1er mai 2016).


*


"Je me demande toujours si je dois considére Les Hommes sans Epaules (ici, le numéro 41), comme un livre ou une revue. presque 200 pages pour Benjamin Péret et 30 pour Annie Le Brun, me font hésiter, mais tout de même et comme d'habitude, Christophe Dauphin me fait pencher vers le livre. En particulier pour Péret, si curieusement discret et souvent mal défini, même si son surréalisme est sans doute aucun, un des plus complets et plus authentiques de tous les membres et souvent tellement plus connus des groupes internationaux. Par ses voyages et ses étonnantes originalités, il se démarque fortement des autres tentations explicatives, si nombreuses et si souvent contradictoires sous le même nom de surréalistes, comme de Dada et tant de noms d'avant-gardes, valables ou non, Péret reste un modèle par l'abondance de sa production et sa qualité d'écriture et de pensée (au grand pluriel), mais plus encore de son inventivité. Dauphin ne s'y trompent à aucun moment et le lecteur a intérêt à parcourir avec lui cette oeuvre que je commence à préférer parfois aux autres icones groupées autour de l'éternel André Breton. J'ai découvert Annie Le Brun, que je ne connaissais pas encore, et admire sans réserve tout ce qu'elle rend magique dans ce portrait en apparence si simple. même après cet Homme sans Epaules, j'ai le sentiment de n'avoir pas encore lu Péret."

Paul VAN MELLE (in revue Inédit Nouveau n°279, avril 2016).

*

" Le dossier majeur de la revue de Christophe Dauphin (une centaine de pages sur les plus de 300 de l’ensemble) est consacré à Benjamin Péret (1899-1959). Opposant-né, anticlérical, antimilitariste, adversaire du nationalisme, Péret ne s’est jamais départi de ses opinions profondes tout au long de sa vie. C’est en 1920 qu’il rencontre Breton et les dadaïstes ; il demeurera un fervent adepte de l’écriture automatique et plus largement défendra la liberté sous toutes ses formes. Certains de ses articles assez virulents et prises de position lui vaudront pas mal d’inimitiés durables. Il passera en trois périodes une dizaine d’années soit au Brésil, soit aux Mexique. Où son penchant pour le trotskysme prendra racine ainsi que son intérêt pour les religions africaines. Il sera correcteur pour les Journaux Officiels, rejoindra les anarchistes de la « colonne Durutti » en Espagne, en 36, et sera emprisonné trois semaines à Rennes, en mai 1940. Durant la guerre, il passe par Marseille, avant de rejoindre le Mexique, est fasciné par la civilisation maya. Il travaille vingt ans sur l’Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique. 1945, c’est le scandale du Déshonneur des poètes qui répond à Honneur des poètes (Aragon, Éluard, Seghers, Tardieu, Frénaud, Ponge…). Où Péret fustige cette poésie proche de la propagande, en dénonçant « la récupération du poétique par le politique ». Cette polémique violente va l’isoler. Il aura du mal à éditer Le Gigot, sa vie, son œuvre que Losfeld accepta où il fait montre de ses dons de conteur. Octavio Paz parle en résumé d’une des œuvres les plus originales et sauvages de notre époque. Suit un texte de Jean-Clarence Lambert, un voisin, qui met en perspective Péret, Paz et le Mexique, et je retiens dans son préambule cette comparaison assez juste entre Péret et Breton entre le naturel de l’un et le côté plus emprunté et cérémonieux de l’autre. Une anthologie d’une vingtaine de pages pour clore.

Je voudrais te parler cristal fêlé hurlant comme un chien dans une nuit de draps battants… "


Jacques MORIN ( cf. "Repérage" in dechargelarevue.com, 17 août 2016.)





Lectures

"Cette nouvelle livraison, essentiellement consacrée à la poésie, est d'une richesse exceptionnelle. Dans son éditorial, Le Passager du Transatlantique, Christophe Dauphin rend un hommage chaleureux à Benjamin Péret dont il souligne le parcours singulier, celui d'un poète qui n'a jamais songé à faire carrière dans la littérature. Il cite, pour souligner son propos, Sarane Alexandrian: "Quand on considère ce que sont devenus dans leur vieillesse tant de matamores qui entrèrent dans les lettres le défi aux lèvres, le regard hautain, on s'incline bien bas devant Péret. Il n'a pas un instant fait de concessions pour s'attirer les honneurs que méritait son génie. Pauvre, vivotant de son métier de correcteur, il a gardé jusqu'au bout la vertu réfractaire de sa jeunesse... Libre comme le rossignol, mélodieux comme lui, menacé comme lui par la cohorte bruyante des ânes, il n'a cessé de faire entendre le chant qui lui était naturel." Le travail de l'association des amis de Benjamin Péret y est salué, une fois n'est pas coutume, depuis l'édition des Oeuvres complètes jusqu'à l'apport nouveau des Cahiers Benjamin Péret.

Benjamin Péret occupe le coeur de ce numéro avec un  volumineux dossier de plus de quatre-vingt pages intitulé: La Parole est toujours à Benjmain Péret. Ce dossier, parfaitement documenté et maîtrisé, par Christophe Dauphin, dit l'essentiel. Il est complété d'un article de Jean-Clarence Lambert sur les liens et affinités entre Benjamin Péret, Octavio Paz et le Mexique. Octavio Paz savait ce que fut l'exceptionnelle amitié entre Péret et Breton, une complicité intellectuelle reposant sur "la recherche d'une vie qui concilie poésie et révolution". Le choix des extraits de l'oeuvre de Péret qui a été fait dans Les HSE en est l'illustration.

on trouverea également dans ce numéro plusieurs dossiers sur Annie Le Brun par Karel Hadek et sur Jehan Mayoux avec une présentation de César Birène: "Jehan Mayoux, le poète insoumis", suivi d'un choix de poèmes par Hervé Delabarre. Parmi les "portraits éclairs" figurent également Lionel Ray et Fabrice Maze."

Gérard ROCHE (in Cahiers Benjamin Péret n°5, septembre 2016).

*

" Le dossier de ce beau numéro est consacré à Benjamin Péret. Dans son éditorial, intitulé « Le passager du Transatlantique », Christophe Dauphin explique ce choix :

« Les poètes ont toujours été et sont toujours de ce monde, mais ils sont rares, ceux qui, de la trempe de Benjamin Péret, demeurent toujours et définitivement à l’avant-garde du Feu poétique. Et pourtant, si le Passager du Transatlantique n’a jamais cessé d’être à flot, ce fut trop souvent sur un océan d’ombre, que n’emprunte qu’une minorité, certes, mais active et éclairée. Ce constat a motivé l’écriture du dossier central de ce numéro des HSE. Avec Péret, nous ne sommes jamais dans l’histoire de la littérature, tellement ce poète est actuel – et surtout en ces temps d’assassins et du médiocre dans lesquels nous vivons  -, mais dans la vie. Comment alors expliquer l’audience confidentielle de son œuvre ? »

Si la France a, depuis des décennies, du mal avec la poésie en général et les poètes en particulier qui, souvent, obligent à penser dans un monde qui a vu, avec les soi-disant nouveaux philosophes des années 60-70, l’opinion remplacer la pensée et le savoir. Benjamin Péret, un anticonformiste cher à Sarane Alexandrian, n’a jamais fait la moindre concession à la mondanité.

L’œuvre, toujours injustement méconnue de Benjamin Péret, est immense, aux poèmes s’ajoutent des contes, des écrits politiques, des écrits ethnologiques, des écrits critiques sur le cinématographe et les arts plastiques, sur le surréalisme, la littérature, sans compter les entretiens. Une œuvre éditée aujourd’hui en sept volumes sous le titre Œuvres complètes grâce à l’association des amis de Benjamin Péret.

Son œuvre, toujours aussi actuelle, dérange et secoue. Elle réveille. Benjamin Péret qui poussera de manière exemplaire la pratique de l’écriture automatique dans ses retranchements soulève l’hostilité et l’incompréhension dès la fin des années 1920, notamment de la N.R.F., incompréhension qui demeure.

Voici pourtant ce qu’en dit André Rolland de Renéville en 1939 :

« L’écriture automatique apparaît en harmonie avec le tempérament de Péret, au point qu’il semble que notre poète n’eût pas écrit si le surréalisme n’avait pas été découvert. Benjamin Péret ne conserve de notre langage que la construction syntaxique, l’allure et le ton. Les mots lui deviennent des signes. Il leur redonne un sens absolument libre, dégagé des objets qu’il désigne. De nouveaux objets semblent naître de ces moules dont le contenu nous était imposé par l’usage. Et le miracle est que ces réalités nous les comprenons, tandis que nous traverse l’immense éclat de rire d’un être que nulle contrainte ne retient plus de se lancer à travers notre flore et notre faune urbaines, comme s’il s’agissait pour lui de celles d’une contrée primordiale, ouverte à ses instincts. Il suffit de lire au hasard l’un de ses plus beaux poèmes pour y trouver l’exemple d’une conscience qui décide d’accepter sans y introduire de contrôle, la succession des idées qui se présentent à elle par le mécanisme de leur libre association.  Péret annihile la distance entre l’homme et l’objet, entre l’espace et le temps, entre le réel et le rêve : Sois la vague et le bourreau la lance et l’orée – et que l’orée soit l’étincelle qui va du cou de l’amante à – celui de l’amant – et que se perde la lance dans la cervelle du temps – et que la vague porte la poutre – et que la poutre soit une hirondelle – blanche et rouge comme mon CŒUR et ma peur. »

Christophe Dauphin note que si Benjamin Péret, ce « surréaliste par excellence », « est presque toujours qualifié d’opposant-né », il convient aussi de parler de lui comme d’ « un homme du oui et de l’adhésion à la liberté, à l’amour sublime, au merveilleux, à l’amitié ». Péret, nous dit-il, a aussi « magistralement établit l’analogie entre la démarche poétique et la pensée mythique ». Christophe Dauphin rappelle que Benjamin Péret est définitivement vivant quand bien des prétendus poètes d’aujourd’hui sont déjà morts. En 1945, il tenait ces propos, à la fois réalistes et visionnaires, dans Le déshonneur des poètes.

« Les ennemis de la poésie ont eu de tout temps l’obsession de la soumettre à leurs fins immédiates, de l’écraser sous leur dieu ou, maintenant, de l’enchaîner au ban de la nouvelle divinité brune ou « rouge » – rouge-brun de sang séché – plus sanglante encore que l’ancienne. Pour eux, la vie et la culture se résument en utile et inutile, étant sous-entendu que l’utile prend la forme d’une pioche maniée à leur bénéfice. Pour eux, la poésie n’est que le luxe du riche, aristocrate ou banquier, et si elle veut se rendre « utile » à la masse, elle doit se résigner au sort des arts « appliqués », « décoratifs », « ménagers », etc. »

Benjamin Péret est plus que jamais précieux dans un monde ou la compromission, la trahison et la falsification sont la norme.

 

A travers le temps et l’espace

Attendre sous le vent et la neige des astres

la venue d’une fleur indécente sur mon front décoloré

comme un paysage déserté par les oiseaux appelés soupirs du sage

et qui volent dans le sens de l’amour

voilà mon sort

voilà ma vie

Vie que la nature a fait pleine de plumes

et de poisons d’enfants

je suis ton humble serviteur

 

Je suis ton humble serviteur et je mords les herbes des nuages

que tu me tends sur un coussin qui

comme une cuisse immortelle

conserve sa chaleur première et provoque le désir

que n’apaiseront jamais

ni la flamme issue d’un monstre inconsistant

ni le sang de la déesse

voluptueuse malgré la stérilité d’oiseau des marécages intérieurs"


Rémi BOYER (in incoherism.wordpress. com, 1er mai 2016).


*


"Je me demande toujours si je dois considére Les Hommes sans Epaules (ici, le numéro 41), comme un livre ou une revue. presque 200 pages pour Benjamin Péret et 30 pour Annie Le Brun, me font hésiter, mais tout de même et comme d'habitude, Christophe Dauphin me fait pencher vers le livre. En particulier pour Péret, si curieusement discret et souvent mal défini, même si son surréalisme est sans doute aucun, un des plus complets et plus authentiques de tous les membres et souvent tellement plus connus des groupes internationaux. Par ses voyages et ses étonnantes originalités, il se démarque fortement des autres tentations explicatives, si nombreuses et si souvent contradictoires sous le même nom de surréalistes, comme de Dada et tant de noms d'avant-gardes, valables ou non, Péret reste un modèle par l'abondance de sa production et sa qualité d'écriture et de pensée (au grand pluriel), mais plus encore de son inventivité. Dauphin ne s'y trompent à aucun moment et le lecteur a intérêt à parcourir avec lui cette oeuvre que je commence à préférer parfois aux autres icones groupées autour de l'éternel André Breton. J'ai découvert Annie Le Brun, que je ne connaissais pas encore, et admire sans réserve tout ce qu'elle rend magique dans ce portrait en apparence si simple. même après cet Homme sans Epaules, j'ai le sentiment de n'avoir pas encore lu Péret."

Paul VAN MELLE (in revue Inédit Nouveau n°279, avril 2016).

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" Le dossier majeur de la revue de Christophe Dauphin (une centaine de pages sur les plus de 300 de l’ensemble) est consacré à Benjamin Péret (1899-1959). Opposant-né, anticlérical, antimilitariste, adversaire du nationalisme, Péret ne s’est jamais départi de ses opinions profondes tout au long de sa vie. C’est en 1920 qu’il rencontre Breton et les dadaïstes ; il demeurera un fervent adepte de l’écriture automatique et plus largement défendra la liberté sous toutes ses formes. Certains de ses articles assez virulents et prises de position lui vaudront pas mal d’inimitiés durables. Il passera en trois périodes une dizaine d’années soit au Brésil, soit aux Mexique. Où son penchant pour le trotskysme prendra racine ainsi que son intérêt pour les religions africaines. Il sera correcteur pour les Journaux Officiels, rejoindra les anarchistes de la « colonne Durutti » en Espagne, en 36, et sera emprisonné trois semaines à Rennes, en mai 1940. Durant la guerre, il passe par Marseille, avant de rejoindre le Mexique, est fasciné par la civilisation maya. Il travaille vingt ans sur l’Anthologie des mythes, légendes et contes populaires d’Amérique. 1945, c’est le scandale du Déshonneur des poètes qui répond à Honneur des poètes (Aragon, Éluard, Seghers, Tardieu, Frénaud, Ponge…). Où Péret fustige cette poésie proche de la propagande, en dénonçant « la récupération du poétique par le politique ». Cette polémique violente va l’isoler. Il aura du mal à éditer Le Gigot, sa vie, son œuvre que Losfeld accepta où il fait montre de ses dons de conteur. Octavio Paz parle en résumé d’une des œuvres les plus originales et sauvages de notre époque. Suit un texte de Jean-Clarence Lambert, un voisin, qui met en perspective Péret, Paz et le Mexique, et je retiens dans son préambule cette comparaison assez juste entre Péret et Breton entre le naturel de l’un et le côté plus emprunté et cérémonieux de l’autre. Une anthologie d’une vingtaine de pages pour clore.

Je voudrais te parler cristal fêlé hurlant comme un chien dans une nuit de draps battants… "


Jacques MORIN ( cf. "Repérage" in dechargelarevue.com, 17 août 2016.)






Lectures

" Quand on feuillette chaque nouveau numéro des Hommes sans Epaules, on ne sait jamais par quoi inaugurer la lecture tant le sommaire est riche et consistant, la crainte étant de retenir certains dossiers et d’en négliger d’autres. Tant pis, courons le risque en retenant d’abord l’hommage à Jacques Lacarrière. Plus de 10 ans après sa disparition, ses écrits sont d’une brûlante actualité. Le souffle que l’on ressent à la lecture de Lacarrière est celui des plus grands poètes c’est-à-dire ceux qui n’ont besoin de personne pour se hisser aux sommets.

En complément, on lira l’important dossier central consacré aux poètes grecs contemporains. Coordonné par Christophe Dauphin, cet impressionnant dossier donne à lire les textes de 10 poètes parmi lesquels le merveilleux Yannis Ritsos, le minutieux Constantin Cavafy ainsi que les deux Prix Nobel que furent Georges Séféris et Odysséus Elytis.

L’Arménie est aussi présente dans ce numéro avec une étonnante suite poétique de Paul Farellier et, du même auteur, une évocation d’Armen Lubin, le poète emblématique de l’Arménie, réfugié en France et décédé en 1974.

Mais la richesse de cette livraison ne s’arrête pas là puisqu’on trouve encore des poèmes de Gisèle Prassinos, des présentations de poètes ainsi que des notes de lectures sur plus de 50 pages. Bref, comme toujours avec cette revue, on tient la preuve vivante qu’il est possible d’associer harmonieusement la qualité des contributions et la quantité d’écrits. "

Georges CATHALO (cf. "Lectures flash" in revue-texture.fr, janvier 2016).

*

" Où es-tu Grèce ? je ne sais de toi que ce mot épelé au lointain des lèvres, ce mot de sable et de sillage tout craquelé d'aurore", Jacques Lacarrière. Le quarantième numéro des Hommes sans Epaules, cette revue semestrielle, consacre ses trois cents pages à deux expressions modernes de peuples se rejoignant dans la tragédie humaine et la poésie: le grec et l'arménien. La poésie grecque en particulier, par ses voix du XXe siècle, puisant dans le fond puissant de ses racines. Lumières à travers les tragédies de multiples occupations et résistances, guerres et massacres, voix éprises de liberté, cette liberté que la Grèce antique a apportée au monde, Jacques Laccarière nous y initie, de sa réflexion mais aussi sa voix intime et poétique: "Pour nous, c'était le droit de parler à la nuit, de revendiquer ces portiques où le couchant solarisait chaque émergence de pierre."

La poésie de Claude Michel Cluny rejoint cette voie splendide et antique : "L'orage a lavé les Dieux - de ses seaux tristes - Un insecte s'écrase - odeur d'une sueur - celle de ton passage."

Parmi les textes français présentés dans la revue, on peut souligner celui d'Hervé Sixte-Bourbon, "Le fils de Pasolini", rejoignant l'humanité antique: "Et - Plus loin - Face aux statues - Devant la chute de l'orgueil face au soleil - J'ai senti la racine de tes ongles".

Au coeur du dossier, Jacques Lacarrière reprend la main et introduit : Cavafy, Sikélianos, Séféris, Embirikos, Ritsos, Elytis, Valaoritis, Alexandrou, Christodoulou, Patrikios; voix modernes, magistrales d'une Grèce universelle et résistante. Plusieurs témoignent de ce qui était, il y a un siècle encore, l'héritage d'un peuplement millénaire sur les rives asiatiques de la mer Egée, ou même de la Méditerranée, et dans l'incendie de Smyrne, dernière ville grecque d'Asie, se rejoint la détresse des Grecs et celle des Arméniens massacrés et exilés (lire l'émouvant "Ecrit à l'Ange de Smyrne" que Paul Farellier consacre à cette effroyable tragédie). comme Constantin Cavafy, né à Alexandrie, on regarde alors avec eux vers la patrie intime, celle d'Ulysse: "Ithaque t'a accordé le beau voyage. - Sans elle, tu ne serais jamais parti. - Elle n'a rien d'autre à te donner. - Et si pauvre qu'elle te paraisse, - Ithaque ne t'aura pas trompé. - Sage et riche de tant d'acquis - Tu auras compris ce que signifient les Ithaques." On aimerait citer toutes ces voix, unies par un combat souvent désespéré, éclairé par la soleil comme la poésie de Yannis Ritsos: "Dans ce pays, le soleil nous aide à soulever le poids - De pierre que nous avons toujours sur nos épaules", ou d'Angelos Sikélianos: "En couvrant de vos danses les aires de l'abîme, - A vous, combattants qui défiâtes la mort, - Je dis que près de Vous - Les ténèbres d'En bas sont comme l'ombre - D'un arbre immense sous lequel - Côte-à-côte allongés - Nous avons parlé de la Grèce - Jusqu'à l'heure où vos yeux se fermèrent à ce monde - Ce monde qui croulait sous la lumière - Que vos âmes ont fait moindre".

Des auteurs français qui suivent, on peut retenir le poème de Christophe Dauphin, "Les oracles de l'ouzo", marchant sur le chemin tracé, reprenant actualité et poème de Cavafy avec humour et tristesse mêlés : "Le délire peut alors lancer son cri - les nuques se renversent comme des montagnes - avance Dionysos mes vertèbres mes vocables -... les barbares sont venus aujourd'hui - quelque chose tremble meurt en moi en nous - Quelles lois pouvaient faire les Sénateurs? - Les barbares s'en sont chargés une fois venus - ... Ils ont vendu le Pirée à la criée - Entre deux Metaxas et trois schnaps - avec la banque des Cyclades - Faux-monnayeurs ils ont joué les yeux d'Homère - et le paquebot des Argonautes aux osselets".

Pour conclure un si riche et profond numéro, laissons comme lui la parole à Jacques Lacarrière : " C’est cela qui persiste pour moi dans le mot Grèce : ce premier regard, cette première fissure découverte et maîtrisée (cette porte entrebâillée dans la psyché par où Oedipe aperçoit dans la chambre nuptiale le cadavre pendu de sa mère), cette première lumière insoutenable mais regardée en face, et parfois aveuglante au sens propre du terme."

Olivier MASSE (in revue Diérèse n°67, avril 2016).

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"Les Cahiers Littéraires Les Hommes sans Epaules consacrent leur numéro 40 à "Jacques Lacarrière et les poètes grecs". Christophe Dauphin y signe une préface engagée où les difficultés du présent invitent tout autant à la sympathie qu’à l’empathie, le poète étant en ces occasions leur meilleur interprète. César Birène signe, pour sa part, un portrait de l’auteur de L’Eté grec et de celui qui écrivait pour « dériver de l’homme ancien ». L’errance et l’écriture se rejoignent en un chemin peuplé d’ailleurs, éternel retour à Ithaque. Un choix de poésies de Jacques Lacarrière tirées d’A l’orée du pays fertile permet d’entendre à nouveau cette voix qui ne s’est jamais tue. Ce riche dossier propose également de retrouver celui qui fit tant pour les poètes grecs contemporains en les traduisant, en diffusant leurs écrits engagés à une époque difficile de l’exil et de la répression pour un grand nombre d’entre eux. Cavafy, Sikélianos, Séféris, Elytis et bien d’autres encore ont prêté leur voix à l’un de leur plus grand interprète dans notre langue, et que nous entendons dans cette belle et riche livraison.

Philippe-Emmanuel KRAUTTER (in lexnews.fr, janvier 2016).

*

"Dirigés par Christophe Dauphin, ces « cahiers littéraires » paraissent deux fois par an. Le présent numéro offre quatre-vingts pages de poètes grecs, parmi lesquels Cavafy, Séferis, Ritsos, Élytis, avec leurs meilleurs poèmes. Il offre vingt pages de Jacques Lacarrière. On aime relire : « S’alléger de ce qui est trop lourd en soi, s’affranchir de l’excès d’attraction, accéder aux délices, aux délires d’une pure évanescence. » Il offre encore trente pages de et pour Claude Michel Cluny, quinze belles pages de Paul Farellier, dernier grand prix de poésie de la SGDL pour L’Entretien devant la nuit, sur ses ancêtres arméniens, dix pages d’Armen Lubin. En bref, une somme.

La structure est sans défaut, à l’image de la régularité de cette revue papier. Passé l’éditorial, en effet, qui inscrit la générosité foncière de son directeur dans la réalité du monde tel qu’il cahote, on trouve un salut à des disparus, salut toujours éclairé par un choix opéré dans leur œuvre propre. Ce choix est nourri pour une éventuelle découverte (tout le monde est jeune, un jour, avide à tout connaître). Ensuite vient le dossier, ici des poètes grecs, tous et chacun successivement présentés par Lacarrière, un régal. D’autres poètes contemporains de toutes les générations sont ensuite présentés. Frédéric Tison, né en 1972, écrit par exemple : « La flamme dévorait. Je dus la souffler. La nuit vint remercier ma bouche : lorsque son chant entra en moi, ma voix trembla. — Je suis encore ta naissance, me dit l’ombre. » Une telle concision ne tient-elle pas de l’accomplissement ? Le numéro, pour aller vite, s’achève par une cinquantaine de pages de notes de lecture. On pourrait là peut-être émettre une réserve, mais que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre !

Un hommage de Jean Pérol à Cluny, décédé le 11 janvier, trouve place dans ce beau numéro. C’est coruscant. Ouvrir au diariste des dix volumes parus de L’Invention du temps (La Différence) la porte de la postérité est d’une grande justesse, même si la beauté chez Cluny vient de loin. Ainsi, ces lignes des années 1960 me semblent universelles : « Attendre aura été le chant de ma vie. J’ai attendu, enfant, que la vie m’appartienne. Ensuite, j’ai su que nous ne possédions rien. Que rien ni personne ne préservera jamais le peu d’illusion que nous sommes de l’effacement. Ce que nous voyons, ce que nous comprenons, nos mains le mêlent à nos désirs pour l’offrir à d’autres. »

Généreuse, donc, avec un grand empan tant sur le plan éditorial, générationnel que géographique, éclectique sans jamais perdre de vue la qualité poétique, de belle facture de surcroît, la revue Les Hommes sans épaules mérite plus que de l’attention, une franche adhésion. Il est plus que temps de suivre ce qui se fait de mieux, en revue de poésie, aujourd’hui."

Pierre PERRIN (in nonfiction.fr, le quotidien des livres et des idées, 28 décembre 2015).

*

"Il arrive à l’auditeur de radio de s’impatienter en écoutant l’énumération des offices de la moindre personnalité : « ainsi donc, vous êtes diplomate, voyageur, claveciniste à ses heures, parapentiste, cuisinier, philosophe, écrivain & j’en passe… »

Mais, concernant Jacques Lacarrière, les dresseurs de liste peineraient à faire le tour de ses multiples talents ; « je suis pléthorique » aimait-il à dire. Comme l’illustre encore cet excellent dossier que Les hommes sans épaules consacrent, dix ans après sa mort, au poète « porteur de feu ».

Sujet en outre bienvenu pour redonner de la Grèce une autre image que celle de mendiant de l’Europe qui prévaut ces temps-ci. Dans l’introduction, citant Lacarrière, Christophe Dauphin rappelle que l’histoire de celle-ci n’a été « qu’une suite de combats pour sa libération, on y retrouve très souvent le poète au milieu même des combattants ».

S’ensuit une biographie économe et directe écrite par César Birène, que complète un florilège extrait du beau recueil paru en 2011 chez Seghers :

La dormeuse

D’après une gravure de Picasso

Tu cueilleras tout aussi bien des fleurs dans le soleil. Tes bras respireraient jusqu’au zénith le feuillage que les forêts soumettent à l’espace. Ne cherche pas à conquérir la pluie que supposent les toits, à chevaucher les fleuves sur des arbres géants. Reflète-toi entre deux ciels et tu connaîtras l’amitié que les astres te portent.

… entre deux ciels, cet usage fluide et tragique à la fois du présent, du futur et du conditionnel.

Mais l’originalité du dossier tient à cette somme (posthume) de Lacarrière sur ses contemporains grecs : un très beau cadeau. Bien sûr, on croise des figures connues comme Ritsos, Seferis et Cavafy, qu’il est toujours intéressant de (re)lire sous la plume du traducteur amical qu’était Lacarrière.

Je m’étendrai d’avantage sur les noms moins connus.

Par un usage tout aussi intéressant du conditionnel, Anghélos Sikélianos, mort en 1954, se tient à cheval sur le profane et le sacré, sur la terre et au sommet où les noms des dieux sont gravés :

Ou j’aurais pu soudain
 Devançant le corbeau des Ténèbres
 Haletant sur mes pas pour s’emparer de moi,
 Rassembler toutes les forces vives
 Et m’élancer au-delà des cercles étroits de l’univers
 Pour chercher dans la nuit
 Mon dur destin de créateur.

Mais aujourd’hui, je Vous le dis,
 Je veux rester à Vos côtés,
 Ne plus Vous perdre un instant
 Car j’ai fait de mon cœur une aire
 Pour que Vous y dansiez.

Telle parole, en ces temps de transhumanisme et d’hybris généralisé, ne peut que consoler le sage !

Voix plus intérieure saisissant des instants, des sensations et des lumières en équilibre précaire, que celle d’Andéas Embirikos, un des premiers freudiens grecs, ami de Yourcenar :

 Accroissement
 Parfois il nous arrive de porter à nos lèvres
 La main d’une lumière aurorale
 Immobiles et bouche scellée
 Dans le silence du paysage
 Avant que la ville bruissante de fontaines
 Ne s’éveille aux cris brutaux jetés dans le soleil
 Par les éboueurs matinaux.

 Nos souffrances ne furent pas inutiles
 Les voici soulevant leurs voiles et révélant
 Leurs bras livides et tuméfiés,
 Les voici s’éployant vers le cœur de la ville
 Relevant un à un les doigts des endormis
 Comme des mages orientaux et gagnant
 Le cortège odoriférant des caïques
 Traçant, tressant au cœur des rues
 Des espaces aussi souverains que les yeux
 D’une femme éperdue de rêve.

 Les notices de Jacques Lacarrière font bien entendu partie du charme de cette publication, elles sont personnelles, tirées des rencontres et des amitiés que ce dernier a cultivées. Un passage consacré à Odysséas Elytis, « le buveur de soleil », en témoignera pour les autres : « Au cours d’un entretien que j’eus avec lui après sa parution, Elytis me confia qu’il avait écrit ce poème pour compenser l’injustice et la non-récompense dont le monde contemporain faisait preuve à l’égard des souffrances de son pays. Le titre, emprunté à un hymne byzantin très célèbre, peut se traduire par Digne ou Loué soit — sous-entendu : ce monde. C’est un hymne à toutes les Grèce, l’ancienne, la byzantine, celle des guerres de l’Indépendance et celle d’aujourd’hui — qui, elle, sortait à peine de l’Occupation et de la guerre civile — ainsi qu’à ses traditions, ses paysages et surtout sa langue ».

J’ai peine à ne pas faire entendre les autres voix : celle d’Aris Alexandrou, le désabusé et de Dimitri Christodoulou tout en « résistance et vigilance ». Terminons ce frustrant tour d’horizon par l’humour de Nanos Valaoritis :

 Ainsi donc nous sommes assiégés
 Et nous le sommes par qui
 Par toi et par moi, par machin-chose
 Nous sommes sans cesse assiégés
 Par les frontières, les douanes, les contrôles de passeports, Interpol, la police militaire, les tanks, le bagout, la bétise, (…)

 Drôle ? Après tout, pas tant que cela.

 Il serait dommage de ne pas signaler, dans ce riche numéro, le dossier que Paul Farrelier consacre au regretté Claude-Michel Cluny. Jean Pérol rend hommage à leur amitié « libre, souple, vive, affectueuse ». Un remarquable florilège montre que le fondateur de la collection « Orphée » fut d’abord un poète :

… Ce matin, est-ce pour susciter quelque regain de courage ? j’ai retourné des travaux anciens, de ceux que je ne me suis pas résigné à vendre. Ce fut pénible. Ce qu’on a laissé au cours des années dormir, face au mur, et que l’on rend au jour, surgit comme d’une tombe. Le leurre des enthousiasmes s’écaille, la vie peinte à fresque sur un mur mangé par le salpêtre. Au vrai, on se déprend tôt de soi."

 
Eric PISTOULEY (cf. "Revue des revues" in www.recoursaupoeme.fr, novembre 2015).

*

«  Ce très beau numéro est consacré à Jacques Lacarrière et à la poésie hellénique. Dans son éditorial, Christophe Dauphin nous rappelle que la Grèce et l’Arménie sont des terres de souffrance et de résistance dans lesquelles la poésie est irriguée par le sang perdu.

Jacques Lacarrière, qui nous a quittés en 2005, « aventurier de l’esprit et l’un des meilleurs connaisseurs du monde antique et de la Méditerranée », rebelle précieux qui s’est toujours efforcé de transmettre ce qui est, témoigne, dans une œuvre multiple, du rayonnement permanent de la Grèce. Les poèmes choisis pour cet hommage sont d’une grande densité, souvent charnus pour mieux souligner l’esprit qui demeure.

 Cinabre

Soleil emprisonné dans les macles du soir,

blessure d’où suinte le mercure,

tu dis l’ultime cri du sang avant qu’il ne se fige

la grande paix des cicatrices et la convalescence de la terre

Nous retrouverons avec grand plaisir dans le dossier l’un des grands auteurs grecs du XXème siècle, grand ami de Nikos Kazantzakis, Anghélos Sikélianos, dont on se rappellera le merveilleux Dithyrambe de la Rose. La poésie grecque des dernières décennies du siècle passé fut particulièrement riche comme en témoigne Jacques Lacarrière : « Je crois qu’il est bon de préciser ici que la Grèce, à l’inverse de la France, n’a jamais connu d’écoles, de mouvements, de chapelles ni de cercles poétiques. Les poètes grecs n’ont jamais manifesté, à quelque génération qu’ils appartiennent, un besoin de communauté littéraire. Très vite, ces poètes nouveaux – ou du moins dont les œuvres opérèrent une évolution sans marquer pour autant de rupture avec les poètes antérieurs – vont faire poésie à part, si je puis dire. Je ne vais pas ici me mettre à dresser l’inventaire de leurs noms ni de leurs oeuvres car à partir de ces années 70, la poésie se caractérise par un foisonnement d’œuvres et de publications, une véritable explosion de revues, une multiplicité de personnalités, d’individualités pour qui la poésie se trouve désormais affranchie de toute sujétion à l’histoire. Je dis bien : à l’histoire mais sans pour autant braver ou brader aussi la mémoire… »

Le choix de poèmes rassemblés dans Les HSE démontre que les Hellènes n’ont pas quitté la Grèce depuis des siècles comme certains l’ont avancé imprudemment en Grèce même. L’essentiel est toujours de revenir en Ithaque comme l’affirme Constantin Cavafy :

Et surtout n’oublies pas Ithaque.

Y parvenir est ton unique but.

Mais ne presse pas ton voyage,

Prolonge-le le plus longtemps possible

Et n’atteins l’île qu’une fois vieux.

Riche de tous les gains de ton voyage,

Tu n’auras plus besoin qu’Ithaque t’enrichisse.

 

Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, novembre 2015).

*

« Christophe Dauphin dans son éditorial des HSE n°40 : « s’agissant de la Grèce ou de l’Arménie, qui commémore le centenaire du génocide, l’histoire de ces deux pays n’est qu’une longue lutte douloureuse contre les envahisseurs » (et Pâques 1916 à Dublin – NDLR). En exergue, « les porteurs de feu » : Jacques Lacarrière (et les poètes grecs) et Claude Michel Cluny. Donc, d’abord un portrait de Lacarrière par César Birène qui cite le poète : « Il n’est de manque véritable que le vide d’un monde privé de poésie » suivi de seize pages de textes. Dont : « Elle [la poésie] est toujours de ce monde puisqu’elle demeure vivante parce que vivace, vivace parce que rebelle ». Plus loin, un très important et passionnant dossier sur Lacarrière et dix poètes grecs contemporains, avec, en plus, un portrait du « peintre du surréel grec », Nikos Engonopoulos.

Le portrait de Claude Michel Cluny est signé Paul Farellier : « L’œuvre poétique de Claude Michel Cluny frappe tout d’abord par son intense beauté, beauté du sens poétique et de l’image, bien sûr, mais en même temps beauté française de la langue ». Suivent dix-neuf pages de textes et des inédits du poète Jean Pérol. Un détour chez « les Wah » avec six poètes : K. Dimoula, F. Y. Caroutch, D. Abel, H. Sixte-Bourbon, F. Tison, Ch. Guinard.

Paul Farellier, avec Ecrit à l’ange de Smyrne nous entraîne dans les « Inédits des HSE » avant de nous présenter l’œuvre de Chahnour Kerestedjian Armen Lubin (surtout des textes).

Avec la rubrique Dans les cheveux d’Aoûn, nous sommes entraînés dans l’univers de quatre créateurs, poètes et peintres : Alain Breton, Gwen Garnier-Deguy, Hélène Durdilly et J.-Gabriel Jonin. Les textes de quatre poètes précèdent une vingtaine de pages consacrées à des notes de lecture.

En somme, comme d’habitude, une revue dense et passionnante. »

Alain LACOUCHIE (in revue Friches n°121, juillet 2016).



Lectures

" Quand on feuillette chaque nouveau numéro des Hommes sans Epaules, on ne sait jamais par quoi inaugurer la lecture tant le sommaire est riche et consistant, la crainte étant de retenir certains dossiers et d’en négliger d’autres. Tant pis, courons le risque en retenant d’abord l’hommage à Jacques Lacarrière. Plus de 10 ans après sa disparition, ses écrits sont d’une brûlante actualité. Le souffle que l’on ressent à la lecture de Lacarrière est celui des plus grands poètes c’est-à-dire ceux qui n’ont besoin de personne pour se hisser aux sommets.

En complément, on lira l’important dossier central consacré aux poètes grecs contemporains. Coordonné par Christophe Dauphin, cet impressionnant dossier donne à lire les textes de 10 poètes parmi lesquels le merveilleux Yannis Ritsos, le minutieux Constantin Cavafy ainsi que les deux Prix Nobel que furent Georges Séféris et Odysséus Elytis.

L’Arménie est aussi présente dans ce numéro avec une étonnante suite poétique de Paul Farellier et, du même auteur, une évocation d’Armen Lubin, le poète emblématique de l’Arménie, réfugié en France et décédé en 1974.

Mais la richesse de cette livraison ne s’arrête pas là puisqu’on trouve encore des poèmes de Gisèle Prassinos, des présentations de poètes ainsi que des notes de lectures sur plus de 50 pages. Bref, comme toujours avec cette revue, on tient la preuve vivante qu’il est possible d’associer harmonieusement la qualité des contributions et la quantité d’écrits. "

Georges CATHALO (cf. "Lectures flash" in revue-texture.fr, janvier 2016).

*

" Où es-tu Grèce ? je ne sais de toi que ce mot épelé au lointain des lèvres, ce mot de sable et de sillage tout craquelé d'aurore", Jacques Lacarrière. Le quarantième numéro des Hommes sans Epaules, cette revue semestrielle, consacre ses trois cents pages à deux expressions modernes de peuples se rejoignant dans la tragédie humaine et la poésie: le grec et l'arménien. La poésie grecque en particulier, par ses voix du XXe siècle, puisant dans le fond puissant de ses racines. Lumières à travers les tragédies de multiples occupations et résistances, guerres et massacres, voix éprises de liberté, cette liberté que la Grèce antique a apportée au monde, Jacques Laccarière nous y initie, de sa réflexion mais aussi sa voix intime et poétique: "Pour nous, c'était le droit de parler à la nuit, de revendiquer ces portiques où le couchant solarisait chaque émergence de pierre."

La poésie de Claude Michel Cluny rejoint cette voie splendide et antique : "L'orage a lavé les Dieux - de ses seaux tristes - Un insecte s'écrase - odeur d'une sueur - celle de ton passage."

Parmi les textes français présentés dans la revue, on peut souligner celui d'Hervé Sixte-Bourbon, "Le fils de Pasolini", rejoignant l'humanité antique: "Et - Plus loin - Face aux statues - Devant la chute de l'orgueil face au soleil - J'ai senti la racine de tes ongles".

Au coeur du dossier, Jacques Lacarrière reprend la main et introduit : Cavafy, Sikélianos, Séféris, Embirikos, Ritsos, Elytis, Valaoritis, Alexandrou, Christodoulou, Patrikios; voix modernes, magistrales d'une Grèce universelle et résistante. Plusieurs témoignent de ce qui était, il y a un siècle encore, l'héritage d'un peuplement millénaire sur les rives asiatiques de la mer Egée, ou même de la Méditerranée, et dans l'incendie de Smyrne, dernière ville grecque d'Asie, se rejoint la détresse des Grecs et celle des Arméniens massacrés et exilés (lire l'émouvant "Ecrit à l'Ange de Smyrne" que Paul Farellier consacre à cette effroyable tragédie). comme Constantin Cavafy, né à Alexandrie, on regarde alors avec eux vers la patrie intime, celle d'Ulysse: "Ithaque t'a accordé le beau voyage. - Sans elle, tu ne serais jamais parti. - Elle n'a rien d'autre à te donner. - Et si pauvre qu'elle te paraisse, - Ithaque ne t'aura pas trompé. - Sage et riche de tant d'acquis - Tu auras compris ce que signifient les Ithaques." On aimerait citer toutes ces voix, unies par un combat souvent désespéré, éclairé par la soleil comme la poésie de Yannis Ritsos: "Dans ce pays, le soleil nous aide à soulever le poids - De pierre que nous avons toujours sur nos épaules", ou d'Angelos Sikélianos: "En couvrant de vos danses les aires de l'abîme, - A vous, combattants qui défiâtes la mort, - Je dis que près de Vous - Les ténèbres d'En bas sont comme l'ombre - D'un arbre immense sous lequel - Côte-à-côte allongés - Nous avons parlé de la Grèce - Jusqu'à l'heure où vos yeux se fermèrent à ce monde - Ce monde qui croulait sous la lumière - Que vos âmes ont fait moindre".

Des auteurs français qui suivent, on peut retenir le poème de Christophe Dauphin, "Les oracles de l'ouzo", marchant sur le chemin tracé, reprenant actualité et poème de Cavafy avec humour et tristesse mêlés : "Le délire peut alors lancer son cri - les nuques se renversent comme des montagnes - avance Dionysos mes vertèbres mes vocables -... les barbares sont venus aujourd'hui - quelque chose tremble meurt en moi en nous - Quelles lois pouvaient faire les Sénateurs? - Les barbares s'en sont chargés une fois venus - ... Ils ont vendu le Pirée à la criée - Entre deux Metaxas et trois schnaps - avec la banque des Cyclades - Faux-monnayeurs ils ont joué les yeux d'Homère - et le paquebot des Argonautes aux osselets".

Pour conclure un si riche et profond numéro, laissons comme lui la parole à Jacques Lacarrière : " C’est cela qui persiste pour moi dans le mot Grèce : ce premier regard, cette première fissure découverte et maîtrisée (cette porte entrebâillée dans la psyché par où Oedipe aperçoit dans la chambre nuptiale le cadavre pendu de sa mère), cette première lumière insoutenable mais regardée en face, et parfois aveuglante au sens propre du terme."

Olivier MASSE (in revue Diérèse n°67, avril 2016).

*

"Les Cahiers Littéraires Les Hommes sans Epaules consacrent leur numéro 40 à "Jacques Lacarrière et les poètes grecs". Christophe Dauphin y signe une préface engagée où les difficultés du présent invitent tout autant à la sympathie qu’à l’empathie, le poète étant en ces occasions leur meilleur interprète. César Birène signe, pour sa part, un portrait de l’auteur de L’Eté grec et de celui qui écrivait pour « dériver de l’homme ancien ». L’errance et l’écriture se rejoignent en un chemin peuplé d’ailleurs, éternel retour à Ithaque. Un choix de poésies de Jacques Lacarrière tirées d’A l’orée du pays fertile permet d’entendre à nouveau cette voix qui ne s’est jamais tue. Ce riche dossier propose également de retrouver celui qui fit tant pour les poètes grecs contemporains en les traduisant, en diffusant leurs écrits engagés à une époque difficile de l’exil et de la répression pour un grand nombre d’entre eux. Cavafy, Sikélianos, Séféris, Elytis et bien d’autres encore ont prêté leur voix à l’un de leur plus grand interprète dans notre langue, et que nous entendons dans cette belle et riche livraison.

Philippe-Emmanuel KRAUTTER (in lexnews.fr, janvier 2016).

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"Dirigés par Christophe Dauphin, ces « cahiers littéraires » paraissent deux fois par an. Le présent numéro offre quatre-vingts pages de poètes grecs, parmi lesquels Cavafy, Séferis, Ritsos, Élytis, avec leurs meilleurs poèmes. Il offre vingt pages de Jacques Lacarrière. On aime relire : « S’alléger de ce qui est trop lourd en soi, s’affranchir de l’excès d’attraction, accéder aux délices, aux délires d’une pure évanescence. » Il offre encore trente pages de et pour Claude Michel Cluny, quinze belles pages de Paul Farellier, dernier grand prix de poésie de la SGDL pour L’Entretien devant la nuit, sur ses ancêtres arméniens, dix pages d’Armen Lubin. En bref, une somme.

La structure est sans défaut, à l’image de la régularité de cette revue papier. Passé l’éditorial, en effet, qui inscrit la générosité foncière de son directeur dans la réalité du monde tel qu’il cahote, on trouve un salut à des disparus, salut toujours éclairé par un choix opéré dans leur œuvre propre. Ce choix est nourri pour une éventuelle découverte (tout le monde est jeune, un jour, avide à tout connaître). Ensuite vient le dossier, ici des poètes grecs, tous et chacun successivement présentés par Lacarrière, un régal. D’autres poètes contemporains de toutes les générations sont ensuite présentés. Frédéric Tison, né en 1972, écrit par exemple : « La flamme dévorait. Je dus la souffler. La nuit vint remercier ma bouche : lorsque son chant entra en moi, ma voix trembla. — Je suis encore ta naissance, me dit l’ombre. » Une telle concision ne tient-elle pas de l’accomplissement ? Le numéro, pour aller vite, s’achève par une cinquantaine de pages de notes de lecture. On pourrait là peut-être émettre une réserve, mais que celui qui n’a jamais péché jette la première pierre !

Un hommage de Jean Pérol à Cluny, décédé le 11 janvier, trouve place dans ce beau numéro. C’est coruscant. Ouvrir au diariste des dix volumes parus de L’Invention du temps (La Différence) la porte de la postérité est d’une grande justesse, même si la beauté chez Cluny vient de loin. Ainsi, ces lignes des années 1960 me semblent universelles : « Attendre aura été le chant de ma vie. J’ai attendu, enfant, que la vie m’appartienne. Ensuite, j’ai su que nous ne possédions rien. Que rien ni personne ne préservera jamais le peu d’illusion que nous sommes de l’effacement. Ce que nous voyons, ce que nous comprenons, nos mains le mêlent à nos désirs pour l’offrir à d’autres. »

Généreuse, donc, avec un grand empan tant sur le plan éditorial, générationnel que géographique, éclectique sans jamais perdre de vue la qualité poétique, de belle facture de surcroît, la revue Les Hommes sans épaules mérite plus que de l’attention, une franche adhésion. Il est plus que temps de suivre ce qui se fait de mieux, en revue de poésie, aujourd’hui."

Pierre PERRIN (in nonfiction.fr, le quotidien des livres et des idées, 28 décembre 2015).

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"Il arrive à l’auditeur de radio de s’impatienter en écoutant l’énumération des offices de la moindre personnalité : « ainsi donc, vous êtes diplomate, voyageur, claveciniste à ses heures, parapentiste, cuisinier, philosophe, écrivain & j’en passe… »

Mais, concernant Jacques Lacarrière, les dresseurs de liste peineraient à faire le tour de ses multiples talents ; « je suis pléthorique » aimait-il à dire. Comme l’illustre encore cet excellent dossier que Les hommes sans épaules consacrent, dix ans après sa mort, au poète « porteur de feu ».

Sujet en outre bienvenu pour redonner de la Grèce une autre image que celle de mendiant de l’Europe qui prévaut ces temps-ci. Dans l’introduction, citant Lacarrière, Christophe Dauphin rappelle que l’histoire de celle-ci n’a été « qu’une suite de combats pour sa libération, on y retrouve très souvent le poète au milieu même des combattants ».

S’ensuit une biographie économe et directe écrite par César Birène, que complète un florilège extrait du beau recueil paru en 2011 chez Seghers :

La dormeuse

D’après une gravure de Picasso

Tu cueilleras tout aussi bien des fleurs dans le soleil. Tes bras respireraient jusqu’au zénith le feuillage que les forêts soumettent à l’espace. Ne cherche pas à conquérir la pluie que supposent les toits, à chevaucher les fleuves sur des arbres géants. Reflète-toi entre deux ciels et tu connaîtras l’amitié que les astres te portent.

… entre deux ciels, cet usage fluide et tragique à la fois du présent, du futur et du conditionnel.

Mais l’originalité du dossier tient à cette somme (posthume) de Lacarrière sur ses contemporains grecs : un très beau cadeau. Bien sûr, on croise des figures connues comme Ritsos, Seferis et Cavafy, qu’il est toujours intéressant de (re)lire sous la plume du traducteur amical qu’était Lacarrière.

Je m’étendrai d’avantage sur les noms moins connus.

Par un usage tout aussi intéressant du conditionnel, Anghélos Sikélianos, mort en 1954, se tient à cheval sur le profane et le sacré, sur la terre et au sommet où les noms des dieux sont gravés :

Ou j’aurais pu soudain
 Devançant le corbeau des Ténèbres
 Haletant sur mes pas pour s’emparer de moi,
 Rassembler toutes les forces vives
 Et m’élancer au-delà des cercles étroits de l’univers
 Pour chercher dans la nuit
 Mon dur destin de créateur.

Mais aujourd’hui, je Vous le dis,
 Je veux rester à Vos côtés,
 Ne plus Vous perdre un instant
 Car j’ai fait de mon cœur une aire
 Pour que Vous y dansiez.

Telle parole, en ces temps de transhumanisme et d’hybris généralisé, ne peut que consoler le sage !

Voix plus intérieure saisissant des instants, des sensations et des lumières en équilibre précaire, que celle d’Andéas Embirikos, un des premiers freudiens grecs, ami de Yourcenar :

 Accroissement
 Parfois il nous arrive de porter à nos lèvres
 La main d’une lumière aurorale
 Immobiles et bouche scellée
 Dans le silence du paysage
 Avant que la ville bruissante de fontaines
 Ne s’éveille aux cris brutaux jetés dans le soleil
 Par les éboueurs matinaux.

 Nos souffrances ne furent pas inutiles
 Les voici soulevant leurs voiles et révélant
 Leurs bras livides et tuméfiés,
 Les voici s’éployant vers le cœur de la ville
 Relevant un à un les doigts des endormis
 Comme des mages orientaux et gagnant
 Le cortège odoriférant des caïques
 Traçant, tressant au cœur des rues
 Des espaces aussi souverains que les yeux
 D’une femme éperdue de rêve.

 Les notices de Jacques Lacarrière font bien entendu partie du charme de cette publication, elles sont personnelles, tirées des rencontres et des amitiés que ce dernier a cultivées. Un passage consacré à Odysséas Elytis, « le buveur de soleil », en témoignera pour les autres : « Au cours d’un entretien que j’eus avec lui après sa parution, Elytis me confia qu’il avait écrit ce poème pour compenser l’injustice et la non-récompense dont le monde contemporain faisait preuve à l’égard des souffrances de son pays. Le titre, emprunté à un hymne byzantin très célèbre, peut se traduire par Digne ou Loué soit — sous-entendu : ce monde. C’est un hymne à toutes les Grèce, l’ancienne, la byzantine, celle des guerres de l’Indépendance et celle d’aujourd’hui — qui, elle, sortait à peine de l’Occupation et de la guerre civile — ainsi qu’à ses traditions, ses paysages et surtout sa langue ».

J’ai peine à ne pas faire entendre les autres voix : celle d’Aris Alexandrou, le désabusé et de Dimitri Christodoulou tout en « résistance et vigilance ». Terminons ce frustrant tour d’horizon par l’humour de Nanos Valaoritis :

 Ainsi donc nous sommes assiégés
 Et nous le sommes par qui
 Par toi et par moi, par machin-chose
 Nous sommes sans cesse assiégés
 Par les frontières, les douanes, les contrôles de passeports, Interpol, la police militaire, les tanks, le bagout, la bétise, (…)

 Drôle ? Après tout, pas tant que cela.

 Il serait dommage de ne pas signaler, dans ce riche numéro, le dossier que Paul Farrelier consacre au regretté Claude-Michel Cluny. Jean Pérol rend hommage à leur amitié « libre, souple, vive, affectueuse ». Un remarquable florilège montre que le fondateur de la collection « Orphée » fut d’abord un poète :

… Ce matin, est-ce pour susciter quelque regain de courage ? j’ai retourné des travaux anciens, de ceux que je ne me suis pas résigné à vendre. Ce fut pénible. Ce qu’on a laissé au cours des années dormir, face au mur, et que l’on rend au jour, surgit comme d’une tombe. Le leurre des enthousiasmes s’écaille, la vie peinte à fresque sur un mur mangé par le salpêtre. Au vrai, on se déprend tôt de soi."

 
Eric PISTOULEY (cf. "Revue des revues" in www.recoursaupoeme.fr, novembre 2015).

*

«  Ce très beau numéro est consacré à Jacques Lacarrière et à la poésie hellénique. Dans son éditorial, Christophe Dauphin nous rappelle que la Grèce et l’Arménie sont des terres de souffrance et de résistance dans lesquelles la poésie est irriguée par le sang perdu.

Jacques Lacarrière, qui nous a quittés en 2005, « aventurier de l’esprit et l’un des meilleurs connaisseurs du monde antique et de la Méditerranée », rebelle précieux qui s’est toujours efforcé de transmettre ce qui est, témoigne, dans une œuvre multiple, du rayonnement permanent de la Grèce. Les poèmes choisis pour cet hommage sont d’une grande densité, souvent charnus pour mieux souligner l’esprit qui demeure.

 Cinabre

Soleil emprisonné dans les macles du soir,

blessure d’où suinte le mercure,

tu dis l’ultime cri du sang avant qu’il ne se fige

la grande paix des cicatrices et la convalescence de la terre

Nous retrouverons avec grand plaisir dans le dossier l’un des grands auteurs grecs du XXème siècle, grand ami de Nikos Kazantzakis, Anghélos Sikélianos, dont on se rappellera le merveilleux Dithyrambe de la Rose. La poésie grecque des dernières décennies du siècle passé fut particulièrement riche comme en témoigne Jacques Lacarrière : « Je crois qu’il est bon de préciser ici que la Grèce, à l’inverse de la France, n’a jamais connu d’écoles, de mouvements, de chapelles ni de cercles poétiques. Les poètes grecs n’ont jamais manifesté, à quelque génération qu’ils appartiennent, un besoin de communauté littéraire. Très vite, ces poètes nouveaux – ou du moins dont les œuvres opérèrent une évolution sans marquer pour autant de rupture avec les poètes antérieurs – vont faire poésie à part, si je puis dire. Je ne vais pas ici me mettre à dresser l’inventaire de leurs noms ni de leurs oeuvres car à partir de ces années 70, la poésie se caractérise par un foisonnement d’œuvres et de publications, une véritable explosion de revues, une multiplicité de personnalités, d’individualités pour qui la poésie se trouve désormais affranchie de toute sujétion à l’histoire. Je dis bien : à l’histoire mais sans pour autant braver ou brader aussi la mémoire… »

Le choix de poèmes rassemblés dans Les HSE démontre que les Hellènes n’ont pas quitté la Grèce depuis des siècles comme certains l’ont avancé imprudemment en Grèce même. L’essentiel est toujours de revenir en Ithaque comme l’affirme Constantin Cavafy :

Et surtout n’oublies pas Ithaque.

Y parvenir est ton unique but.

Mais ne presse pas ton voyage,

Prolonge-le le plus longtemps possible

Et n’atteins l’île qu’une fois vieux.

Riche de tous les gains de ton voyage,

Tu n’auras plus besoin qu’Ithaque t’enrichisse.

 

Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, novembre 2015).

*

« Christophe Dauphin dans son éditorial des HSE n°40 : « s’agissant de la Grèce ou de l’Arménie, qui commémore le centenaire du génocide, l’histoire de ces deux pays n’est qu’une longue lutte douloureuse contre les envahisseurs » (et Pâques 1916 à Dublin – NDLR). En exergue, « les porteurs de feu » : Jacques Lacarrière (et les poètes grecs) et Claude Michel Cluny. Donc, d’abord un portrait de Lacarrière par César Birène qui cite le poète : « Il n’est de manque véritable que le vide d’un monde privé de poésie » suivi de seize pages de textes. Dont : « Elle [la poésie] est toujours de ce monde puisqu’elle demeure vivante parce que vivace, vivace parce que rebelle ». Plus loin, un très important et passionnant dossier sur Lacarrière et dix poètes grecs contemporains, avec, en plus, un portrait du « peintre du surréel grec », Nikos Engonopoulos.

Le portrait de Claude Michel Cluny est signé Paul Farellier : « L’œuvre poétique de Claude Michel Cluny frappe tout d’abord par son intense beauté, beauté du sens poétique et de l’image, bien sûr, mais en même temps beauté française de la langue ». Suivent dix-neuf pages de textes et des inédits du poète Jean Pérol. Un détour chez « les Wah » avec six poètes : K. Dimoula, F. Y. Caroutch, D. Abel, H. Sixte-Bourbon, F. Tison, Ch. Guinard.

Paul Farellier, avec Ecrit à l’ange de Smyrne nous entraîne dans les « Inédits des HSE » avant de nous présenter l’œuvre de Chahnour Kerestedjian Armen Lubin (surtout des textes).

Avec la rubrique Dans les cheveux d’Aoûn, nous sommes entraînés dans l’univers de quatre créateurs, poètes et peintres : Alain Breton, Gwen Garnier-Deguy, Hélène Durdilly et J.-Gabriel Jonin. Les textes de quatre poètes précèdent une vingtaine de pages consacrées à des notes de lecture.

En somme, comme d’habitude, une revue dense et passionnante. »

Alain LACOUCHIE (in revue Friches n°121, juillet 2016).




A propos du numéro

"La revue Les HSE est pleine comme un œuf. Son sommaire court et sur la première et sur la quatrième de couverture. Avant l’éditorial, signé Yves Bonnefoy, - excusez du peu -, avec son discours (inédit) de Guadalajara où il parle superbement de la poésie, des langues entre elles, et en l’occurrence de l’espagnol et de ses affinités avec les poètes mexicains, un communiqué pour prendre date à propos de Charlie et du massacre de ces héros pour la liberté.

D’abord Lucien Becker, grand poète de l’amour charnel, comme l’évoque Christophe Dauphin. Né et mort en Lorraine (1911-1984). Commissaire de police à Marseille, je note qu’il a pris sa retraite à Lalande dans l’Yonne (entre 1968 et 83). La main de l’homme n’est vraiment vivante / que quand elle s’enfonce entre deux cuisses / pour y chercher un sexe / qui se laisse découvrir comme un fruit dans l’herbe.  Puis Claude Vigée, poète alsacien, né en 1921, haute figure de la poésie française : Mais demain je devrai lutter sans défaillir / contre les mites voraces, aux fines ailes soyeuses, / qui mangent nuit et jour, tout au fond de l’armoire, / la douce laine de la mémoire.

Derek Walcott, poète antillais de langue anglaise, Prix Nobel de littérature 1992 : dans le jour du seuil : point de Niké dénouant sa sandale, / mais une fille frottant le sable de ses pieds, une main sur le chambranle. Annie Salager, Prix Mallarmé 2011 : dans un chêne multicentenaire / des cigales à ressasser sans discrétion / la seigneurie du soleil… Jean-Louis Bernard, Alain Brissiaud, Denis Wetterwald...

Le gros dossier, c’est Alain Borne, centenaire de la naissance du « grand solitaire ». Né en 1915, mort dans un accident de voiture en 1962. Il fut avocat à Montélimar. Ce fut un grand poète de la Résistance qui refusa la vie littéraire parisienne, et un grand poète de l’amour. Christophe Dauphin, qui présente le poète, associe son nom à ceux d’Aragon, Pierre Seghers, Pierre Emmanuel dans le premier cas et ceux de Paul Eluard, Marc Patin et Lucien Becker dans le second. Henri Rode qui fut son ami pendant l’Occupation le décrit ainsi : avec la mélancolie un peu hautaine qu’il dégageait … la présence séduisante, la réserve un peu sombre … Impénétrabilité bourgeoise … chevalerie provinciale… grand archange triste et conclut par : l’énigme Borne. Le choix de textes qui suit met bien en avant le poète de l’amour : Je vais t’aimer / je vais ne plus rien vouloir / dans mes yeux que ton visage … Mais mon désir de toi / est une nébuleuse / où je trie déjà des étoiles neuves… Il faut bien que je tombe / adorer tes genoux / et toucher la tiédeur scandaleuse / de ce nid de soleils. Mais il achève un autre poème par cette clausule : C’est contre la mort que j’écris. Ses poèmes à la fin sur la tauromachie renouvellent joliment sa thématique.

Pour suivre Yusef Komunyakaa, poète né en 1947 en Louisiane. Il a pris le nom de son grand-père, venu de Trinidad. Il a connu la discrimination raciale, la lutte avec Martin Luther King, la guerre du Viet Nam où les Noirs enrôlés furent majoritaires. « La langue est devenue une addiction ». Il obtient en 1980 une maîtrise d’Écriture poétique, et devient un universitaire réputé. « La poésie me permet de comprendre qui je suis … j’ai besoin d’embrasser le mystère afin d’être tout à fait humain ». Extrait de "Tunnels" : A travers des poux / argentés, de la merde, des vers & un relent de peste, / il avance, le bon soldat, / sur les mains & les genoux, perçant un tunnel à côté / de la mort plaquée dans un coin aveugle, / amoureux du poids du fusil / qui un jour creusera sa tombe.
Jean Pérol, enfin. Né en 1932. Vingt ans au Japon. « L’art est un immense combat contre la bêtise » ; Il donne des inédits, avec le titre à la fin. J’ai décidé de ne plus revenir sur mes pas / j’ai décidé de suivre le premier chemin qui s’ouvrira devant moi / il me mènera à ma mort comme il veut / il faut s’attendre à être seul…

Une forte livraison de 300 pages. Et encore je n’ai pas été tout à fait exhaustif ! J’ai omis l’étude de Monique W. Labidoire sur André Prodhomme, le fort cahier critique ou les incises de Joyce Mansour... Toujours une sacrée performance !"

Jacques MORIN (cf. "La revue du mois" in dechargelarevue.com, 2 avril 2015).

*

« La revue dirigée par Christophe Dauphin débute ce numéro par un Communiqué de la revue sur le drame de Charlie Hebdo. Intitulé A Charlie et aux autres, l’équipe des HSE ne tombe pas dans le piège multimédiatique et politique du consensus de circonstance autour de Charlie. Plutôt que d’être de nouveau Charlie trop tard, la revue appelle à défendre la liberté et les libertés d’instant en instant sans faire la moindre concession aux lobbies et aux diplomaties, souterraines ou non.
En guise d’éditorial, le lecteur trouvera le discours d’Yves Bonnefoy prononcé à Guadalajara en 2013 à l’occasion de la remise du Premio Fil 2013 de littérature en langues romanes. Ce texte inédit insiste sur la poésie de la langue, notamment espagnole et de la puissance du mot comme évocation de l’expérience sensorielle. Tout comme Georges Steiner, il pense que Babel est une chance, que la multiplicité des langues est une richesse infinie malgré la difficulté immense de la traduction.
Deux poètes sont largement présentés, Lucien Becker et Claude Vigée, un poète de la blessure et un poète de l’exil. Pour Lucien Becker, un poète « est simplement un être qui a le sens aigu de tout ce qu’une existence humaine peut comporter de poignant, de tragique, de résolument invivable ». Pour ces deux poètes, le poème apparaît comme une réponse à la blessure, à l’exil, à la mort. Claude Vigée distingue avec beaucoup de pertinence les fonctions, du cœur, de l’œil et de la parole : « la parole véritable surgit dans la langue à travers l’acte de l’œil et l’acte du cœur. Parce que l’œil capte le monde, non seulement reçoit le monde en nous mais nous permet également de nous donner au monde, de nous abandonner puis de nous recevoir de nouveau. Et c’est ensuite, plus tard seulement, que cette parole de vie, ce jaillissement, – à double mouvement vers le monde et à partir du monde, dans nos profondeurs, que la parole parlée, comme la nature naturée chez Spinoza, doit être proférée. »
Le dossier de numéro 39 est consacré à Alain Borne : « c’est contre la mort que j’écris ! ». Alain Borne (1915 -1962) se présente comme un poète de l’amour, thème essentiel de son œuvre avec la mort, œuvre dans laquelle la femme, « à la fois vitre et miroir face au monde » suggère Christophe Dauphin, est médiatrice mais aussi initiatrice.
Autre poète à découvrir dans ce numéro, Yusef Komunyakaa, de son vrai nom James William Brown junior, poète new-yorkais qui est né en 1947 à Bogalusa, ville étatsunienne ordinaire de l’époque, c’est-à-dire structurée par le racisme, les discriminations et les haines. Marqué par cette enfance puis par la guerre du Vietnam, Yusef Komunyakaa va devenir l’un des poètes les plus remarquables des Etats-Unis. Bien que Les HSE publient depuis 1992 des poèmes de Yusef Komunyakaa, son œuvre, essentielle, n’est toujours pas traduite en français. »

Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, 15 avril 2015).

*

"Les Hommes sans Epaules, c'est une des revues majeures de notre temps, par son volume, mais aussi par la qualité de ses intervenants. Pensez donc un dossier Alain Borne, poèmes choisis et présentés par Christophe Dauphin, textes de Guy Chambelland et Henri Rode. On retrouve aussi Jean Chatard. On est séduit par ses mots, ses vers, sa musique unique et jusqu'à des aphorismes fulgurants. Jean Chatard, pour moi un des grands poètes de notre époque, on le découvrira."

Jean-Pierre LESIEUR (in Comme en poésie n°62, juin 2015).

*

" Quelle revue, autre que celle-ci, pourrait se flatter d’ouvrir ses pages sur un éditorial d’Yves Bonnefoy ? Il s’agit ici d’un texte inédit qui reprend un éblouissant discours prononcé à Guadalajara au Mexique lors de la remise d’un Prix de poésie en 2013. Ce texte, d’une très haute tenue, parle entre autres choses des filiations langagières et du rôle capital que va jouer la poésie dans un monde de plus en plus déshumanisé.
Le sommaire de ce N°39 se hisse à la hauteur de cette magistrale impulsion avec d’importants dossiers consacrés à de grands poètes disparus comme Lucien Beckersur une vingtaine de pages ou Alain Borne sur une centaine de pages. Il est encourageant de voir que les jeunes générations entretiennent la flamme de ces poètes disparus dont l’écriture est d’une troublante actualité.
Que dire encore de cette livraison si ce n’est que c’est une mine d’une richesse prodigieuse et qu’il impossible de citer tous les dossiers composés et tous les poètes présentés. Les Hommes sans épaules ouvrent des espaces de lecture, créent des ponts entre les générations et donnent à lire des poètes du monde entier comme le Prix Nobel 1992 Derek Walcott et d’autres, hexagonaux, comme les discrets Jean Pérol, André Prodhomme ou Annie Salager. Sur plus de 300 pages, Christophe Dauphin et son équipe surprennent avec bonheur les lecteurs en proposant toujours des lectures enrichissantes. "

Georges CATHALO (cf. "Lectures flash" in revue-texture.fr, juin 2015).

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" C'est contre la mort que j'écris" : Alain Borne est né en 1915. Pour le centenaire de sa naissance, la revue ouvre un gros dossier : la préface de Terre de l'été par Guy Chambelland (1978), suivie d'une longue étude de l'oeuvre de Borne, le "grand solitaire", par Christophe Dauphin, de textes d'Henri Rode sur le "long poète à la tête penchée et, bien sûr, un conséquent choix de poèmes. Puis sous le titre "les porteurs de feu", hommage est rendu à Lucien Becker (il disait : un poète " est simplement un être qui a le sens aigu de tout ce qu'une existence humaine peut comporter de poignant, de tragique, de résolument invivable"), et à Claude Vigée (... tout homme "doit rester avant tout l'amant de sa propre vie et non pas l'amant d'une langue.") ; avec des textes. Et les "Wah" alors ? Sont convoqués dans ce numéro : D. Walcott, A. Salager, A. Brissiaud, J.-L. Bernard et D. Wetterwald et leurs poèmes. des poètes encore ? La rubrique s'intitule "une voix, une oeuvre"; le poète "à New York" est Yusef Komunyakaa, dont Christophe Dauphin dresse le portrait. puis des poèmes inédits de Jean Pérol. C'est "dans les cheveux d'Aoûn" que nous retrouvons André Prodhomme, " passeur d'humanité" grâce à Monique W. Labidoire et uen présentation des peintures de C. Klein par A. Gausset. Et, en dessert, les "pages libres" de H. Rode, G. Chambelland, Ch. Dauphin, P. Farellier et A. Breton. Pour clore, quelques recensions et des infos. En résumé, un remarquable bain de poésie."

Alain LACOUCHIE (in Friches n°118, juin 2015).

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« Impossible de déterminer si un poète publié ou célébré par une revue doit figurer dans le présent capitulet ou dans els recensions des recueils. Car Alain Borne figure avec un vrai livre de presque cent pages, articles de critique, hommages et poèmes originaux. Les auteurs sont Christophe dauphin bien entendu et Henri Rode, mais Guy Chambelland participe lui aussi à « C’est contre la mort que j’écris ! », choix de poèmes de celui qui aurait été centenaire cette année. A noter que Dauphin récidive en présentant l’Américain Yusef Komunyakaa. Le tout à l’occasion peut-être, puisque le titre semble faire référence au tragique de la mort, du communiqué de la rédaction des HSE intitulé « A Charlie et aux autres » et à tous les drames affreux de notre époque entièrement déboussolée où nos jeunes risquent d’avoir des avenirs épouvantables avant que l’humanité se ressaisisse et redevienne humaine. »

Paul VAN MELLE (in Inédit Nouveau n°275, juillet 2015, La Hulpe, Belgique).

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"Comme d'habitude, c'est une copieuse livraison que ce n° 39 : 302 pages très précisément. Elle est dédiée (actualité oblige car elle est datée du premier semestre 2015) aux journalistes de Charlie hebdo assassinés en janvier de la même année et aux autres victimes…

Elle s'ouvre sur la publication du discours d'Yves Bonnefoy lors de la remise du prix que lui a décerné la Foire Internationale du Livre de Guadalajara au Mexique (en 2013). L'idée maîtresse de ce discours est la relation dialectique entre la langue conceptuelle (en usage dans les techniques et les sciences, même sociales) et la langue sensible (en usage dans la littérature et, plus particulièrement, dans la poésie)… Ainsi, nous dit Bonnefoy, le mot arbre ne renvoie pas seulement à la figure proposée par le dictionnaire mais aussi à un arbre unique, avec ses branches, ses feuilles et qui a pris racine en un endroit précis d'un territoire particulier…

Puis suit un dossier consacré à deux poètes, Lucien Becker et Claude Vigée. À chaque fois, une présentation (par  Christophe Dauphin pour le premier, par Paul Farellier pour le second) suivie de poèmes. Les poèmes choisis de Lucien Becker (extraits de recueils parus de 1945 à 1961) laissent paraître une poésie très sage quant à la forme (utilisation d'un vers libre très proche de l'alexandrin mais qui y succombe à l'occasion, regroupements fréquents des vers en quatrains, poèmes de quatre, et très rarement de cinq ou six, strophes…). Mais le poème chante un monde campagnard voire agricole aujourd'hui disparu… Puis, il se fait l'expression d'une pensée où l'amour charnel de la femme est très présent. Mais une voix comme fêlée se fait entendre : "l'homme meurt en cherchant un  peu d'air", "la liberté est encore plus belle que l'amour" quand l'homme ne va pas vers la mort qui est inéluctable. De Claude Vigée (qui est excellemment présenté par Paul Farellier), je ne dirai pas grand-chose car je suis totalement étranger à la culture biblique ou hébraïque. Ont cependant retenu mon attention : son poème "Le chant de ma vingtième année" (mais qui appartient à la préhistoire du poète), la nostalgie si fréquente dans ses poèmes, cette peinture de "l'exil" et cette affirmation implicite que la langue sensible est préférable à  l'autonomie du signifiant…  Mais un vers me hante particulièrement, sans doute pour des raisons différentes de celles qui l'ont poussé à l'écrire : "un matin fleurira pour les humiliés de la terre"...

Le dossier central est consacré à Alain Borne. N'en déplaise à certains, j'ai découvert ce poète par Aragon qui écrivit en août-septembre 1941 son poème "Pour un Chant national" que je ne lus que beaucoup plus tard, vers 1964 sans doute, en étudiant LesYeux d'Elsa paru en 1942… Christophe Dauphin signe un essai d'une bonne trentaine de pages. Il s'y fait le thuriféraire de Benjamin Péret, se réfugie sous l'aile tutélaire de Jean Rousselot pour mieux attaquer Aragon. Ce qui ne l'empêche pas, quelques paragraphes plus loin, de citer Alain Borne qui reconnaît à La Rose et le Réséda (d'Aragon) et à Liberté (de Paul Éluard) d'avoir eu une efficacité certaine sur la conscience populaire. C'est que la Poésie n'existe pas, mais qu'il existe différents types de poésie : le véritable clivage est entre la mauvaise poésie et la bonne, non entre l'alexandrin et le vers libre, non entre la prose et le vers, non entre la poésie pure et la poésie didactique, etc ! Aragon, lui-même, ne s'écriait-il pas en 1959 "Je ne me laisse pas cantonner à une forme, puisque en aucun cas, je ne considère la forme comme une fin, mais comme un moyen, et que ce qui m'importe c'est de donner portée à ce que je dis, en tenant compte des variations qui interviennent dans les facultés de ceux à qui je m'adresse…" Non que je veuille absolument défendre la Poésie  nationale et ses suiveurs… Reste, nous dit Dauphin, que Borne est un poète majeur de l'amour ; citant ce dernier, il ajoute : "L'amour, la vie, la mort. Rien en dehors de cela…"  Le témoignage d'Henri Rode qui suit est composé de deux textes, l'un de 1972, le second de 1995. Ce qu'il faut retenir de cette double approche , c'est le portrait d'Alain Borne en El Desdichado… C'est un  portrait plein de sensibilité, éclairant, attachant, voire fascinant. Il faut remercier Les Hommes sans épaules d'avoir exhumé ces deux textes… Vient ensuite un choix de poèmes d'une quarantaine de pages qui permet de mieux connaître Alain Borne…

Deux autres dossiers (présentation et poèmes) sont consacrés à Yusef Komanyakaa et à Jean Pérol. Le premier est un poète new-yorkais né en 1947 qui a connu le racisme propre aux USA et été engagé dans la guerre du Viet-Nam Ses poèmes en portent la marque. On peut lire dans la présentation, en contrepoint du témoignage qu'il apporte sur la guerre du Viet-Nam, quelques mots sur la rareté ici des poèmes parlant de la guerre d'Algérie : c'est oublier, qu'en 1960, Action Poétique faisait paraitre son n° 12 (qui fut saisi mais réédité en janvier 1962) regroupant plus de 40 poètes autour de la guerre d'Algérie, dont Frank Venaille et Guy Bellay ; c'est oublier Gérard Cléry et quelques autres. On ne présente plus Jean Pérol mais on apprend qu'à la demande d'Aragon il réalisa, pendant la vingtaine d'années qu'il passa au Japon, une série d'entretiens avec les plus grands écrivains de ce pays... Ses poèmes, marqués par l'urgence et l'indignation, ne convainquent pas totalement car l'histoire ne comble jamais les creux, elle ne fait que les accentuer : c'est le pouvoir de la poésie de changer le monde pour de bon qui est posé… Mais me touche Pérol quand il dit la proximité de la mort comme dans "Où demain ne vient plus", la solitude et le mauvais côté de l'humanité comme dans "Laissé". Pour dire vite, très vite… Le reste de la livraison est occupée par diverses présentations, par des notes de lecture très variées et par des poèmes…

Si Les Hommes sans épaules font une très large place à leurs proches (mais pas exclusivement), c'est que la revue est l'organe d'expression d'une certaine conception de la poésie. Il faut le savoir pour ne pas être déçu de ne pas y trouver ce qui était attendu. Mais n'en est-il pas de même pour toutes les revues de poésie ? Aussi faut-il lire Les Hommes sans épaules dès lors que l'on veut avoir une vision complète (ou la plus complète possible) de la poésie qui s'écrit ici et aujourd'hui…"

Lucien WASSELIN (cf. "Revue des revues" in recoursaupoeme.fr, février 2016).



A propos du numéro

"La revue Les HSE est pleine comme un œuf. Son sommaire court et sur la première et sur la quatrième de couverture. Avant l’éditorial, signé Yves Bonnefoy, - excusez du peu -, avec son discours (inédit) de Guadalajara où il parle superbement de la poésie, des langues entre elles, et en l’occurrence de l’espagnol et de ses affinités avec les poètes mexicains, un communiqué pour prendre date à propos de Charlie et du massacre de ces héros pour la liberté.

D’abord Lucien Becker, grand poète de l’amour charnel, comme l’évoque Christophe Dauphin. Né et mort en Lorraine (1911-1984). Commissaire de police à Marseille, je note qu’il a pris sa retraite à Lalande dans l’Yonne (entre 1968 et 83). La main de l’homme n’est vraiment vivante / que quand elle s’enfonce entre deux cuisses / pour y chercher un sexe / qui se laisse découvrir comme un fruit dans l’herbe.  Puis Claude Vigée, poète alsacien, né en 1921, haute figure de la poésie française : Mais demain je devrai lutter sans défaillir / contre les mites voraces, aux fines ailes soyeuses, / qui mangent nuit et jour, tout au fond de l’armoire, / la douce laine de la mémoire.

Derek Walcott, poète antillais de langue anglaise, Prix Nobel de littérature 1992 : dans le jour du seuil : point de Niké dénouant sa sandale, / mais une fille frottant le sable de ses pieds, une main sur le chambranle. Annie Salager, Prix Mallarmé 2011 : dans un chêne multicentenaire / des cigales à ressasser sans discrétion / la seigneurie du soleil… Jean-Louis Bernard, Alain Brissiaud, Denis Wetterwald...

Le gros dossier, c’est Alain Borne, centenaire de la naissance du « grand solitaire ». Né en 1915, mort dans un accident de voiture en 1962. Il fut avocat à Montélimar. Ce fut un grand poète de la Résistance qui refusa la vie littéraire parisienne, et un grand poète de l’amour. Christophe Dauphin, qui présente le poète, associe son nom à ceux d’Aragon, Pierre Seghers, Pierre Emmanuel dans le premier cas et ceux de Paul Eluard, Marc Patin et Lucien Becker dans le second. Henri Rode qui fut son ami pendant l’Occupation le décrit ainsi : avec la mélancolie un peu hautaine qu’il dégageait … la présence séduisante, la réserve un peu sombre … Impénétrabilité bourgeoise … chevalerie provinciale… grand archange triste et conclut par : l’énigme Borne. Le choix de textes qui suit met bien en avant le poète de l’amour : Je vais t’aimer / je vais ne plus rien vouloir / dans mes yeux que ton visage … Mais mon désir de toi / est une nébuleuse / où je trie déjà des étoiles neuves… Il faut bien que je tombe / adorer tes genoux / et toucher la tiédeur scandaleuse / de ce nid de soleils. Mais il achève un autre poème par cette clausule : C’est contre la mort que j’écris. Ses poèmes à la fin sur la tauromachie renouvellent joliment sa thématique.

Pour suivre Yusef Komunyakaa, poète né en 1947 en Louisiane. Il a pris le nom de son grand-père, venu de Trinidad. Il a connu la discrimination raciale, la lutte avec Martin Luther King, la guerre du Viet Nam où les Noirs enrôlés furent majoritaires. « La langue est devenue une addiction ». Il obtient en 1980 une maîtrise d’Écriture poétique, et devient un universitaire réputé. « La poésie me permet de comprendre qui je suis … j’ai besoin d’embrasser le mystère afin d’être tout à fait humain ». Extrait de "Tunnels" : A travers des poux / argentés, de la merde, des vers & un relent de peste, / il avance, le bon soldat, / sur les mains & les genoux, perçant un tunnel à côté / de la mort plaquée dans un coin aveugle, / amoureux du poids du fusil / qui un jour creusera sa tombe.
Jean Pérol, enfin. Né en 1932. Vingt ans au Japon. « L’art est un immense combat contre la bêtise » ; Il donne des inédits, avec le titre à la fin. J’ai décidé de ne plus revenir sur mes pas / j’ai décidé de suivre le premier chemin qui s’ouvrira devant moi / il me mènera à ma mort comme il veut / il faut s’attendre à être seul…

Une forte livraison de 300 pages. Et encore je n’ai pas été tout à fait exhaustif ! J’ai omis l’étude de Monique W. Labidoire sur André Prodhomme, le fort cahier critique ou les incises de Joyce Mansour... Toujours une sacrée performance !"

Jacques MORIN (cf. "La revue du mois" in dechargelarevue.com, 2 avril 2015).

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« La revue dirigée par Christophe Dauphin débute ce numéro par un Communiqué de la revue sur le drame de Charlie Hebdo. Intitulé A Charlie et aux autres, l’équipe des HSE ne tombe pas dans le piège multimédiatique et politique du consensus de circonstance autour de Charlie. Plutôt que d’être de nouveau Charlie trop tard, la revue appelle à défendre la liberté et les libertés d’instant en instant sans faire la moindre concession aux lobbies et aux diplomaties, souterraines ou non.
En guise d’éditorial, le lecteur trouvera le discours d’Yves Bonnefoy prononcé à Guadalajara en 2013 à l’occasion de la remise du Premio Fil 2013 de littérature en langues romanes. Ce texte inédit insiste sur la poésie de la langue, notamment espagnole et de la puissance du mot comme évocation de l’expérience sensorielle. Tout comme Georges Steiner, il pense que Babel est une chance, que la multiplicité des langues est une richesse infinie malgré la difficulté immense de la traduction.
Deux poètes sont largement présentés, Lucien Becker et Claude Vigée, un poète de la blessure et un poète de l’exil. Pour Lucien Becker, un poète « est simplement un être qui a le sens aigu de tout ce qu’une existence humaine peut comporter de poignant, de tragique, de résolument invivable ». Pour ces deux poètes, le poème apparaît comme une réponse à la blessure, à l’exil, à la mort. Claude Vigée distingue avec beaucoup de pertinence les fonctions, du cœur, de l’œil et de la parole : « la parole véritable surgit dans la langue à travers l’acte de l’œil et l’acte du cœur. Parce que l’œil capte le monde, non seulement reçoit le monde en nous mais nous permet également de nous donner au monde, de nous abandonner puis de nous recevoir de nouveau. Et c’est ensuite, plus tard seulement, que cette parole de vie, ce jaillissement, – à double mouvement vers le monde et à partir du monde, dans nos profondeurs, que la parole parlée, comme la nature naturée chez Spinoza, doit être proférée. »
Le dossier de numéro 39 est consacré à Alain Borne : « c’est contre la mort que j’écris ! ». Alain Borne (1915 -1962) se présente comme un poète de l’amour, thème essentiel de son œuvre avec la mort, œuvre dans laquelle la femme, « à la fois vitre et miroir face au monde » suggère Christophe Dauphin, est médiatrice mais aussi initiatrice.
Autre poète à découvrir dans ce numéro, Yusef Komunyakaa, de son vrai nom James William Brown junior, poète new-yorkais qui est né en 1947 à Bogalusa, ville étatsunienne ordinaire de l’époque, c’est-à-dire structurée par le racisme, les discriminations et les haines. Marqué par cette enfance puis par la guerre du Vietnam, Yusef Komunyakaa va devenir l’un des poètes les plus remarquables des Etats-Unis. Bien que Les HSE publient depuis 1992 des poèmes de Yusef Komunyakaa, son œuvre, essentielle, n’est toujours pas traduite en français. »

Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, 15 avril 2015).

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"Les Hommes sans Epaules, c'est une des revues majeures de notre temps, par son volume, mais aussi par la qualité de ses intervenants. Pensez donc un dossier Alain Borne, poèmes choisis et présentés par Christophe Dauphin, textes de Guy Chambelland et Henri Rode. On retrouve aussi Jean Chatard. On est séduit par ses mots, ses vers, sa musique unique et jusqu'à des aphorismes fulgurants. Jean Chatard, pour moi un des grands poètes de notre époque, on le découvrira."

Jean-Pierre LESIEUR (in Comme en poésie n°62, juin 2015).

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" Quelle revue, autre que celle-ci, pourrait se flatter d’ouvrir ses pages sur un éditorial d’Yves Bonnefoy ? Il s’agit ici d’un texte inédit qui reprend un éblouissant discours prononcé à Guadalajara au Mexique lors de la remise d’un Prix de poésie en 2013. Ce texte, d’une très haute tenue, parle entre autres choses des filiations langagières et du rôle capital que va jouer la poésie dans un monde de plus en plus déshumanisé.
Le sommaire de ce N°39 se hisse à la hauteur de cette magistrale impulsion avec d’importants dossiers consacrés à de grands poètes disparus comme Lucien Beckersur une vingtaine de pages ou Alain Borne sur une centaine de pages. Il est encourageant de voir que les jeunes générations entretiennent la flamme de ces poètes disparus dont l’écriture est d’une troublante actualité.
Que dire encore de cette livraison si ce n’est que c’est une mine d’une richesse prodigieuse et qu’il impossible de citer tous les dossiers composés et tous les poètes présentés. Les Hommes sans épaules ouvrent des espaces de lecture, créent des ponts entre les générations et donnent à lire des poètes du monde entier comme le Prix Nobel 1992 Derek Walcott et d’autres, hexagonaux, comme les discrets Jean Pérol, André Prodhomme ou Annie Salager. Sur plus de 300 pages, Christophe Dauphin et son équipe surprennent avec bonheur les lecteurs en proposant toujours des lectures enrichissantes. "

Georges CATHALO (cf. "Lectures flash" in revue-texture.fr, juin 2015).

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" C'est contre la mort que j'écris" : Alain Borne est né en 1915. Pour le centenaire de sa naissance, la revue ouvre un gros dossier : la préface de Terre de l'été par Guy Chambelland (1978), suivie d'une longue étude de l'oeuvre de Borne, le "grand solitaire", par Christophe Dauphin, de textes d'Henri Rode sur le "long poète à la tête penchée et, bien sûr, un conséquent choix de poèmes. Puis sous le titre "les porteurs de feu", hommage est rendu à Lucien Becker (il disait : un poète " est simplement un être qui a le sens aigu de tout ce qu'une existence humaine peut comporter de poignant, de tragique, de résolument invivable"), et à Claude Vigée (... tout homme "doit rester avant tout l'amant de sa propre vie et non pas l'amant d'une langue.") ; avec des textes. Et les "Wah" alors ? Sont convoqués dans ce numéro : D. Walcott, A. Salager, A. Brissiaud, J.-L. Bernard et D. Wetterwald et leurs poèmes. des poètes encore ? La rubrique s'intitule "une voix, une oeuvre"; le poète "à New York" est Yusef Komunyakaa, dont Christophe Dauphin dresse le portrait. puis des poèmes inédits de Jean Pérol. C'est "dans les cheveux d'Aoûn" que nous retrouvons André Prodhomme, " passeur d'humanité" grâce à Monique W. Labidoire et uen présentation des peintures de C. Klein par A. Gausset. Et, en dessert, les "pages libres" de H. Rode, G. Chambelland, Ch. Dauphin, P. Farellier et A. Breton. Pour clore, quelques recensions et des infos. En résumé, un remarquable bain de poésie."

Alain LACOUCHIE (in Friches n°118, juin 2015).

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« Impossible de déterminer si un poète publié ou célébré par une revue doit figurer dans le présent capitulet ou dans els recensions des recueils. Car Alain Borne figure avec un vrai livre de presque cent pages, articles de critique, hommages et poèmes originaux. Les auteurs sont Christophe dauphin bien entendu et Henri Rode, mais Guy Chambelland participe lui aussi à « C’est contre la mort que j’écris ! », choix de poèmes de celui qui aurait été centenaire cette année. A noter que Dauphin récidive en présentant l’Américain Yusef Komunyakaa. Le tout à l’occasion peut-être, puisque le titre semble faire référence au tragique de la mort, du communiqué de la rédaction des HSE intitulé « A Charlie et aux autres » et à tous les drames affreux de notre époque entièrement déboussolée où nos jeunes risquent d’avoir des avenirs épouvantables avant que l’humanité se ressaisisse et redevienne humaine. »

Paul VAN MELLE (in Inédit Nouveau n°275, juillet 2015, La Hulpe, Belgique).

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"Comme d'habitude, c'est une copieuse livraison que ce n° 39 : 302 pages très précisément. Elle est dédiée (actualité oblige car elle est datée du premier semestre 2015) aux journalistes de Charlie hebdo assassinés en janvier de la même année et aux autres victimes…

Elle s'ouvre sur la publication du discours d'Yves Bonnefoy lors de la remise du prix que lui a décerné la Foire Internationale du Livre de Guadalajara au Mexique (en 2013). L'idée maîtresse de ce discours est la relation dialectique entre la langue conceptuelle (en usage dans les techniques et les sciences, même sociales) et la langue sensible (en usage dans la littérature et, plus particulièrement, dans la poésie)… Ainsi, nous dit Bonnefoy, le mot arbre ne renvoie pas seulement à la figure proposée par le dictionnaire mais aussi à un arbre unique, avec ses branches, ses feuilles et qui a pris racine en un endroit précis d'un territoire particulier…

Puis suit un dossier consacré à deux poètes, Lucien Becker et Claude Vigée. À chaque fois, une présentation (par  Christophe Dauphin pour le premier, par Paul Farellier pour le second) suivie de poèmes. Les poèmes choisis de Lucien Becker (extraits de recueils parus de 1945 à 1961) laissent paraître une poésie très sage quant à la forme (utilisation d'un vers libre très proche de l'alexandrin mais qui y succombe à l'occasion, regroupements fréquents des vers en quatrains, poèmes de quatre, et très rarement de cinq ou six, strophes…). Mais le poème chante un monde campagnard voire agricole aujourd'hui disparu… Puis, il se fait l'expression d'une pensée où l'amour charnel de la femme est très présent. Mais une voix comme fêlée se fait entendre : "l'homme meurt en cherchant un  peu d'air", "la liberté est encore plus belle que l'amour" quand l'homme ne va pas vers la mort qui est inéluctable. De Claude Vigée (qui est excellemment présenté par Paul Farellier), je ne dirai pas grand-chose car je suis totalement étranger à la culture biblique ou hébraïque. Ont cependant retenu mon attention : son poème "Le chant de ma vingtième année" (mais qui appartient à la préhistoire du poète), la nostalgie si fréquente dans ses poèmes, cette peinture de "l'exil" et cette affirmation implicite que la langue sensible est préférable à  l'autonomie du signifiant…  Mais un vers me hante particulièrement, sans doute pour des raisons différentes de celles qui l'ont poussé à l'écrire : "un matin fleurira pour les humiliés de la terre"...

Le dossier central est consacré à Alain Borne. N'en déplaise à certains, j'ai découvert ce poète par Aragon qui écrivit en août-septembre 1941 son poème "Pour un Chant national" que je ne lus que beaucoup plus tard, vers 1964 sans doute, en étudiant LesYeux d'Elsa paru en 1942… Christophe Dauphin signe un essai d'une bonne trentaine de pages. Il s'y fait le thuriféraire de Benjamin Péret, se réfugie sous l'aile tutélaire de Jean Rousselot pour mieux attaquer Aragon. Ce qui ne l'empêche pas, quelques paragraphes plus loin, de citer Alain Borne qui reconnaît à La Rose et le Réséda (d'Aragon) et à Liberté (de Paul Éluard) d'avoir eu une efficacité certaine sur la conscience populaire. C'est que la Poésie n'existe pas, mais qu'il existe différents types de poésie : le véritable clivage est entre la mauvaise poésie et la bonne, non entre l'alexandrin et le vers libre, non entre la prose et le vers, non entre la poésie pure et la poésie didactique, etc ! Aragon, lui-même, ne s'écriait-il pas en 1959 "Je ne me laisse pas cantonner à une forme, puisque en aucun cas, je ne considère la forme comme une fin, mais comme un moyen, et que ce qui m'importe c'est de donner portée à ce que je dis, en tenant compte des variations qui interviennent dans les facultés de ceux à qui je m'adresse…" Non que je veuille absolument défendre la Poésie  nationale et ses suiveurs… Reste, nous dit Dauphin, que Borne est un poète majeur de l'amour ; citant ce dernier, il ajoute : "L'amour, la vie, la mort. Rien en dehors de cela…"  Le témoignage d'Henri Rode qui suit est composé de deux textes, l'un de 1972, le second de 1995. Ce qu'il faut retenir de cette double approche , c'est le portrait d'Alain Borne en El Desdichado… C'est un  portrait plein de sensibilité, éclairant, attachant, voire fascinant. Il faut remercier Les Hommes sans épaules d'avoir exhumé ces deux textes… Vient ensuite un choix de poèmes d'une quarantaine de pages qui permet de mieux connaître Alain Borne…

Deux autres dossiers (présentation et poèmes) sont consacrés à Yusef Komanyakaa et à Jean Pérol. Le premier est un poète new-yorkais né en 1947 qui a connu le racisme propre aux USA et été engagé dans la guerre du Viet-Nam Ses poèmes en portent la marque. On peut lire dans la présentation, en contrepoint du témoignage qu'il apporte sur la guerre du Viet-Nam, quelques mots sur la rareté ici des poèmes parlant de la guerre d'Algérie : c'est oublier, qu'en 1960, Action Poétique faisait paraitre son n° 12 (qui fut saisi mais réédité en janvier 1962) regroupant plus de 40 poètes autour de la guerre d'Algérie, dont Frank Venaille et Guy Bellay ; c'est oublier Gérard Cléry et quelques autres. On ne présente plus Jean Pérol mais on apprend qu'à la demande d'Aragon il réalisa, pendant la vingtaine d'années qu'il passa au Japon, une série d'entretiens avec les plus grands écrivains de ce pays... Ses poèmes, marqués par l'urgence et l'indignation, ne convainquent pas totalement car l'histoire ne comble jamais les creux, elle ne fait que les accentuer : c'est le pouvoir de la poésie de changer le monde pour de bon qui est posé… Mais me touche Pérol quand il dit la proximité de la mort comme dans "Où demain ne vient plus", la solitude et le mauvais côté de l'humanité comme dans "Laissé". Pour dire vite, très vite… Le reste de la livraison est occupée par diverses présentations, par des notes de lecture très variées et par des poèmes…

Si Les Hommes sans épaules font une très large place à leurs proches (mais pas exclusivement), c'est que la revue est l'organe d'expression d'une certaine conception de la poésie. Il faut le savoir pour ne pas être déçu de ne pas y trouver ce qui était attendu. Mais n'en est-il pas de même pour toutes les revues de poésie ? Aussi faut-il lire Les Hommes sans épaules dès lors que l'on veut avoir une vision complète (ou la plus complète possible) de la poésie qui s'écrit ici et aujourd'hui…"

Lucien WASSELIN (cf. "Revue des revues" in recoursaupoeme.fr, février 2016).




2014 - A propos du numéro 38

"Cette nouvelle livraison de la superbe revue, Les Hommes sans Epaules, fondée par Jean Breton et dirigée par Christophe Dauphin consacre son dossier à Roger Kowalski (1934-1975) qui voua sa vie à la Poésie. François Montmaneix, qui a rassemblé ce dossier, en fait un portrait plein d’émotions :

« Car Roger fut un vivant d’une stature peu commune. Une curieuse espèce d’oiseau de nuit à qui l’aube et le plein jour ne faisaient pas peur non plus. Dormant peu, connaissant tous les bons endroits où, devant une enfilade de verres emplis (et vidés !) de ces grands crus dans lesquels baigne la discrète ville de Lyon, une conversation – à l’abri de ces infernales musiques d’ambiance ( ?!) made in USA qui ont défiguré et dénaturé tant de nos cafés et bistrots – était encore possible. Kowalski tenait ses assises au milieu d’un incomparable amoncellement de revues et journaux littéraires, de livres en cours de lecture et soigneusement annotés, de véritables fagots de plusieurs pipes avec chacune son paquet de l’un de ses tabacs fins dont il était grand expert et fumeur assidu, de cendriers toujours débordant des cigarettes qui lui cramaient le cœur.

Le retrouver en tel appareil, et à intervalles très réguliers, me fut l’un de ces bonheurs marquant à jamais des territoires qui appartiennent autant à la mémoire qu’à la vie présente. »

C’est par de tels témoignages, parfois des anecdotes, que les témoins rassemblés ici redonnent corps à la poésie de Roger Kowalski, une poésie éternellement actuelle, singulière et puissante :

« Hors du temps chronométrique, calendaire, social, politique, confie encore François Montmaneix, bien au-delà du trop fameux engagement qui a servi d’alibi à tant de vacuités censées relever d’une poésie dite de combat, à l’écart des approximations syntaxiques, des alinéas et des blancs typographiques, ignorant superbement les expériences de laboratoire où se sont mésaventurés ceux et celles dont les tristes lanternes verbales n’étaient que vessies langagières, la poésie de Kowalski apparaît aujourd’hui comme l’une de celles où il sera possible de puiser à profusion de quoi tenir tête à la déferlante des gadgets et à la pitoyable dérive consumériste où démagogues et économistes à courte vue situent aujourd’hui l’ensemble des productions de l’esprit, indifféremment de celles de l’industrie, dans l’immédiateté, le gaspillage, la facilité et la plus basse vulgarité publicitairement racoleuse.

Et cette poésie, les contributions et les témoignages qui suivent, vont contribuer à la situer à sa vraie place : sur une orbite où croisent les astres dont la lumière et le rayonnement ne procèdent ni de l’illusion, ni de la prétention, ni de la fabrication. Sur une orbite où l’être au rêve habitué vient parler – avec ceux qui ont rêvé avant lui – à ceux qui rêvent et à ceux qui rêveront, puisque aussi bien les rêves sont les seules racines de la réalité et donc celles d’un possible avenir. »

Cette poésie du rêve, parfois du songe, coule, tel un fleuve indomptable, tantôt paisible tantôt violente, apaisante ou terrifiante, telle un dieu incertain de lui-même. Ainsi :

L’autre face, poème extrait de Le Silenciaire, Editions Chambelland, 1960.

Vois : j’ai posé sur le papier un point d’encre très noire ; ce feu sombre est l’eau même de la nuit ; un silence d’étoiles échevelées.

Il suffit de peu de chose, presque rien ; une syllabe, une consonne et je deviens tempête : un geste de l’arbre et cent racines me lient ;

le pas de filles de mémoire, et je tourne vers ta face un œil qu’emplit une plainte égarée ; écoute : quelque chose ici n’est point de ce monde ;

ni le verbe, ni le point où s’articule un discours entrepris dans l’ennui, mais la profonde, chaste et noire encre sur ton masque de papier.

Mais ce numéro est peuplé d’autres éveilleurs comme le poète Ghéasim Luca ou le peintre Ljuba, parmi d’autres.

Cette revue est davantage qu’une revue. C’est un mouvement vivant, une flèche d’argent qui traverse l’apparaître pour laisser passer un esprit de feu."

Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, septembre 2014).

"Avec une régularité de métronome, deux fois par an, Christophe Dauphin et son équipe proposent deux copieuses livraisons qui font la part belle à divers secteurs poétiques dans le sillage d’un surréalisme vivace. Un long extrait d’un entretien avec le poète centenaire G.E. Clancier sert d’éditorial à ce numéro. Ces dix pages en disent bien plus sur la situation de la poésie actuelle que des centaines de verbiages pseudo-universitaires. « Ouvrir l’espérance du temps »  pourrait servir d’étendard pour avancer, insister, résister. « La vie parle si fort,  déclare Clancier, que je ne puis me taire ».
On lira ensuite deux épais dossiers sur Gisèle Prassinos et sur Gilbert Lély, deux « porteurs de feu » à ne pas oublier. « Ainsi furent les wah » ouvre ses portes à huit poètes de tous horizons, poètes dont le point commun pourrait être la ferveur. . Parmi eux, citons l’Argentin Juan Gelman, l’indépendante Emmanuelle Le Cam ou le discret Michel Lamart.
Le gros dossier central, coordonné par François Montmaneix, porte sur Roger Kowalski. Citons encore d’autres volets de ce très riche numéro : sur le poète roumain Ghérasim Luca, sur le peintre Ljuba ou sur le poète Paul Pugnaud. Ensuite, Dauphin est parvenu à dénicher un texte rare et fondateur de Gilbert Lély sur le marquis de Sade. Cette livraison s’achève sur une quarantaine de pages consacrées à des lectures ou à des informations autour de la poésie vivante."

Georges CATHALO ("Lecture Flash" in revue-texture.fr, octobre 2014).

"Les Hommes sans Epaules consacrent en leur n°38 un dossier à Roger Kowalski…Montmaneix, qui dirige le dossier Kowalski, l'avait bien connu. Avec les autres signataires, dont certains étaient ses amis, il nous présente un poète aux allures aristocrate, de cette aristocratie qui signifie que Kowalski n'enviait rien à personne puisqu'il possédait tout en possédant le poème. Il aurait eu 80 ans cette année, est resté plutôt méconnu dans le microcosme poétique, se gardant des modes d'alors, de la poésie de laboratoire, de la fatigue qui s'abattait sur le langage. Il œuvrait en joaillier du vers pour une parole intérieure car, comme le dit Alain Bosquet en parlant de ses poèmes : "il n'y en a jamais un seul où il y ait une syllabe inutile". Kowalski est mort en 1975 des suites d'une opération cardiaque. Il vivait poème, dormait peu, consuma sa vie en poème. Nous nous joignons, en tant que lecteur, aux remerciements que François Montmaneix adresse aux Hommes sans Epaules pour avoir accueilli ce dossier hommage….
Nous trouverons aussi, en ce fort beau n°38, dans la partie porteurs de feu, un portrait de Gisèle Prassinos, qui découvrit l'écriture automatique à 16 ans, en la pratiquant d'elle-même, sans savoir que ce qu'elle écrivait était dans le même temps conceptualisé par un André Breton au départ incrédule de constater que ses recherches étaient vécus par une jeune adolescente aux accents de génie. Breton fit authentifier les textes de Prassinos, la fit créer des poèmes sous les yeux des grands surréalistes d'alors. Une synchronicité troublante, comme toujours, apportant de l'eau au moulin de Breton. Mais Prassinos ne se limita pas à l'exercice de cette pratique d'écriture (dont elle ne reconnaissait d'ailleurs pas elle-même la dimension automatique) : elle évolua vers d'autres horizons poétiques, ce que développe avec grand intérêt Christophe Dauphin.
Un autre portrait de Gilbert Lely, signé Sarane Alexandrian, trouve également sa place dans les porteurs de feu, accompagné par des poèmes hauts en couleurs (sexuelles), de Lely.
Ce n° des Hommes sans Epaules est introduit par un éditorial de Georges-Emmanuel Clancier, qui a fêté ses 100 ans cette année. Nous y apprenons, entre autres, que pour le poète ayant traversé les horreurs du XXème siècle, si Dieu existe, alors il se nomme le diable. Nous y apprenons aussi que : "Ma désespérance tient au fait que j'ai cru au progrès". Nous retombons encore, bien malgré nous, sur la dimension parménidienne des poèmes de Kowalski. Car le choix du progrès, c'est le choix des étants qui passent, le choix des errants, des mortels, ne voyant dans leur propre existence que l'entière réalité, contre le choix de la permanence qu'induit toute relation avec le "il y a".
Un autre hommage tient une place importante dans cette livraison : hommage au poète Paul Pugnaud par Matthieu Baumier. Nous avions nous même rendu hommage à Pugnaud, et nous retiendrons, du beau texte de Baumier, ceci : "Paul Pugnaud avait une très haute idée de la poésie et il savait, profondément, combien les mots que nous écrivons sous forme de poèmes sont une façon d'être écrits par la voix même du poème, cela même qui forme le plus que réel auquel nous accédons peu."
Nous trouverons, également, de beaux poèmes de Paul Farellier, Elodia Turqui, Alain Simon, Jacques Simonomis, Christophe Dauphin, mais aussi Juan Gelman, Michel Voiturier, Yves Boutroue, Hervé Sixte-Bourbon, Emmanuelle Le Cam, Franck Balandier."

Gwen GARNIER-DUGUY (in recoursaupoeme.fr, 5 novembre 2014).

"Un dossier de 70 pages consacré à Roger Kowalski couronne cette livraison, riche et foisonnante comme à l’ordinaire, de la revue de Christophe Dauphin. C’est François Montmaneix qui a coordonné le dossier très éclairant sur le poète qui est mort en 1975, à 41 ans. Roger Kowalski est né il y a tout juste 80 ans, et le Grand Prix de Poésie de la Ville de Lyon qui porte son nom fête également ses 30 ans d’existence. (Le tout dernier vient d’être remis à Jean Joubert). François Montmaneix, qui fut son ami de jeunesse à Lyon parle d’une vie toute entière consumée pour et par la Poésie. Suit la reprise d’un texte d’Yves Martin, paru en 1984, qui se concentre sur son dernier recueil, posthume, paru chez Chambelland. C’est un régal de relire Yves Martin, son style est constamment savoureux : « Les collets de givre, de gel se referment sur des manchons, des pelisses des pelotes… » Il parle d’un « hôte discret », « hobereau de la rêverie » dont « l’œuvre n’a pas eu sa « chance ». Elle est passée à travers tous les courants, fuyante, délicieuse et mortelle… ». Proche de Milosz, Rilke ou Nerval. Alain Bosquet dans une allocution de 1985 invente le concept de « mystère évident » à son endroit. Lionel Ray le classe dans les « poètes de l’assentiment, de l’adhésion à l’univers ». Jean-Yves Debreuille l’oppose à Saint-John Perse, et la poésie hautaine : « Il choisit le murmure, l’à peine perceptible… » Voici la fin du texte : « Naissance de l’écriture » de Roger Kowalski, qui embrasse magnifiquement tout le futur de sa poésie : … c’étaient de pures délices en vérité rien d’autre au monde que le bonheur d’écrire et jusqu’à l’odeur de l’encre, la peau douce du papier, le glissement de la plume, les vivantes ombres et cette main que je reconnaissais mal ; la lumière d’une bougie, l’aube, un parfum de pierre chaude, je vivais soudain ; l’heure présente, l’éternité tout entière enfin dans mon souffle."

Jacques MORIN ("Repérage" in dechargelarevue.com, 20 décembre 2014).



2014 - A propos du numéro 38

"Cette nouvelle livraison de la superbe revue, Les Hommes sans Epaules, fondée par Jean Breton et dirigée par Christophe Dauphin consacre son dossier à Roger Kowalski (1934-1975) qui voua sa vie à la Poésie. François Montmaneix, qui a rassemblé ce dossier, en fait un portrait plein d’émotions :

« Car Roger fut un vivant d’une stature peu commune. Une curieuse espèce d’oiseau de nuit à qui l’aube et le plein jour ne faisaient pas peur non plus. Dormant peu, connaissant tous les bons endroits où, devant une enfilade de verres emplis (et vidés !) de ces grands crus dans lesquels baigne la discrète ville de Lyon, une conversation – à l’abri de ces infernales musiques d’ambiance ( ?!) made in USA qui ont défiguré et dénaturé tant de nos cafés et bistrots – était encore possible. Kowalski tenait ses assises au milieu d’un incomparable amoncellement de revues et journaux littéraires, de livres en cours de lecture et soigneusement annotés, de véritables fagots de plusieurs pipes avec chacune son paquet de l’un de ses tabacs fins dont il était grand expert et fumeur assidu, de cendriers toujours débordant des cigarettes qui lui cramaient le cœur.

Le retrouver en tel appareil, et à intervalles très réguliers, me fut l’un de ces bonheurs marquant à jamais des territoires qui appartiennent autant à la mémoire qu’à la vie présente. »

C’est par de tels témoignages, parfois des anecdotes, que les témoins rassemblés ici redonnent corps à la poésie de Roger Kowalski, une poésie éternellement actuelle, singulière et puissante :

« Hors du temps chronométrique, calendaire, social, politique, confie encore François Montmaneix, bien au-delà du trop fameux engagement qui a servi d’alibi à tant de vacuités censées relever d’une poésie dite de combat, à l’écart des approximations syntaxiques, des alinéas et des blancs typographiques, ignorant superbement les expériences de laboratoire où se sont mésaventurés ceux et celles dont les tristes lanternes verbales n’étaient que vessies langagières, la poésie de Kowalski apparaît aujourd’hui comme l’une de celles où il sera possible de puiser à profusion de quoi tenir tête à la déferlante des gadgets et à la pitoyable dérive consumériste où démagogues et économistes à courte vue situent aujourd’hui l’ensemble des productions de l’esprit, indifféremment de celles de l’industrie, dans l’immédiateté, le gaspillage, la facilité et la plus basse vulgarité publicitairement racoleuse.

Et cette poésie, les contributions et les témoignages qui suivent, vont contribuer à la situer à sa vraie place : sur une orbite où croisent les astres dont la lumière et le rayonnement ne procèdent ni de l’illusion, ni de la prétention, ni de la fabrication. Sur une orbite où l’être au rêve habitué vient parler – avec ceux qui ont rêvé avant lui – à ceux qui rêvent et à ceux qui rêveront, puisque aussi bien les rêves sont les seules racines de la réalité et donc celles d’un possible avenir. »

Cette poésie du rêve, parfois du songe, coule, tel un fleuve indomptable, tantôt paisible tantôt violente, apaisante ou terrifiante, telle un dieu incertain de lui-même. Ainsi :

L’autre face, poème extrait de Le Silenciaire, Editions Chambelland, 1960.

Vois : j’ai posé sur le papier un point d’encre très noire ; ce feu sombre est l’eau même de la nuit ; un silence d’étoiles échevelées.

Il suffit de peu de chose, presque rien ; une syllabe, une consonne et je deviens tempête : un geste de l’arbre et cent racines me lient ;

le pas de filles de mémoire, et je tourne vers ta face un œil qu’emplit une plainte égarée ; écoute : quelque chose ici n’est point de ce monde ;

ni le verbe, ni le point où s’articule un discours entrepris dans l’ennui, mais la profonde, chaste et noire encre sur ton masque de papier.

Mais ce numéro est peuplé d’autres éveilleurs comme le poète Ghéasim Luca ou le peintre Ljuba, parmi d’autres.

Cette revue est davantage qu’une revue. C’est un mouvement vivant, une flèche d’argent qui traverse l’apparaître pour laisser passer un esprit de feu."

Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, septembre 2014).

"Avec une régularité de métronome, deux fois par an, Christophe Dauphin et son équipe proposent deux copieuses livraisons qui font la part belle à divers secteurs poétiques dans le sillage d’un surréalisme vivace. Un long extrait d’un entretien avec le poète centenaire G.E. Clancier sert d’éditorial à ce numéro. Ces dix pages en disent bien plus sur la situation de la poésie actuelle que des centaines de verbiages pseudo-universitaires. « Ouvrir l’espérance du temps »  pourrait servir d’étendard pour avancer, insister, résister. « La vie parle si fort,  déclare Clancier, que je ne puis me taire ».
On lira ensuite deux épais dossiers sur Gisèle Prassinos et sur Gilbert Lély, deux « porteurs de feu » à ne pas oublier. « Ainsi furent les wah » ouvre ses portes à huit poètes de tous horizons, poètes dont le point commun pourrait être la ferveur. . Parmi eux, citons l’Argentin Juan Gelman, l’indépendante Emmanuelle Le Cam ou le discret Michel Lamart.
Le gros dossier central, coordonné par François Montmaneix, porte sur Roger Kowalski. Citons encore d’autres volets de ce très riche numéro : sur le poète roumain Ghérasim Luca, sur le peintre Ljuba ou sur le poète Paul Pugnaud. Ensuite, Dauphin est parvenu à dénicher un texte rare et fondateur de Gilbert Lély sur le marquis de Sade. Cette livraison s’achève sur une quarantaine de pages consacrées à des lectures ou à des informations autour de la poésie vivante."

Georges CATHALO ("Lecture Flash" in revue-texture.fr, octobre 2014).

"Les Hommes sans Epaules consacrent en leur n°38 un dossier à Roger Kowalski…Montmaneix, qui dirige le dossier Kowalski, l'avait bien connu. Avec les autres signataires, dont certains étaient ses amis, il nous présente un poète aux allures aristocrate, de cette aristocratie qui signifie que Kowalski n'enviait rien à personne puisqu'il possédait tout en possédant le poème. Il aurait eu 80 ans cette année, est resté plutôt méconnu dans le microcosme poétique, se gardant des modes d'alors, de la poésie de laboratoire, de la fatigue qui s'abattait sur le langage. Il œuvrait en joaillier du vers pour une parole intérieure car, comme le dit Alain Bosquet en parlant de ses poèmes : "il n'y en a jamais un seul où il y ait une syllabe inutile". Kowalski est mort en 1975 des suites d'une opération cardiaque. Il vivait poème, dormait peu, consuma sa vie en poème. Nous nous joignons, en tant que lecteur, aux remerciements que François Montmaneix adresse aux Hommes sans Epaules pour avoir accueilli ce dossier hommage….
Nous trouverons aussi, en ce fort beau n°38, dans la partie porteurs de feu, un portrait de Gisèle Prassinos, qui découvrit l'écriture automatique à 16 ans, en la pratiquant d'elle-même, sans savoir que ce qu'elle écrivait était dans le même temps conceptualisé par un André Breton au départ incrédule de constater que ses recherches étaient vécus par une jeune adolescente aux accents de génie. Breton fit authentifier les textes de Prassinos, la fit créer des poèmes sous les yeux des grands surréalistes d'alors. Une synchronicité troublante, comme toujours, apportant de l'eau au moulin de Breton. Mais Prassinos ne se limita pas à l'exercice de cette pratique d'écriture (dont elle ne reconnaissait d'ailleurs pas elle-même la dimension automatique) : elle évolua vers d'autres horizons poétiques, ce que développe avec grand intérêt Christophe Dauphin.
Un autre portrait de Gilbert Lely, signé Sarane Alexandrian, trouve également sa place dans les porteurs de feu, accompagné par des poèmes hauts en couleurs (sexuelles), de Lely.
Ce n° des Hommes sans Epaules est introduit par un éditorial de Georges-Emmanuel Clancier, qui a fêté ses 100 ans cette année. Nous y apprenons, entre autres, que pour le poète ayant traversé les horreurs du XXème siècle, si Dieu existe, alors il se nomme le diable. Nous y apprenons aussi que : "Ma désespérance tient au fait que j'ai cru au progrès". Nous retombons encore, bien malgré nous, sur la dimension parménidienne des poèmes de Kowalski. Car le choix du progrès, c'est le choix des étants qui passent, le choix des errants, des mortels, ne voyant dans leur propre existence que l'entière réalité, contre le choix de la permanence qu'induit toute relation avec le "il y a".
Un autre hommage tient une place importante dans cette livraison : hommage au poète Paul Pugnaud par Matthieu Baumier. Nous avions nous même rendu hommage à Pugnaud, et nous retiendrons, du beau texte de Baumier, ceci : "Paul Pugnaud avait une très haute idée de la poésie et il savait, profondément, combien les mots que nous écrivons sous forme de poèmes sont une façon d'être écrits par la voix même du poème, cela même qui forme le plus que réel auquel nous accédons peu."
Nous trouverons, également, de beaux poèmes de Paul Farellier, Elodia Turqui, Alain Simon, Jacques Simonomis, Christophe Dauphin, mais aussi Juan Gelman, Michel Voiturier, Yves Boutroue, Hervé Sixte-Bourbon, Emmanuelle Le Cam, Franck Balandier."

Gwen GARNIER-DUGUY (in recoursaupoeme.fr, 5 novembre 2014).

"Un dossier de 70 pages consacré à Roger Kowalski couronne cette livraison, riche et foisonnante comme à l’ordinaire, de la revue de Christophe Dauphin. C’est François Montmaneix qui a coordonné le dossier très éclairant sur le poète qui est mort en 1975, à 41 ans. Roger Kowalski est né il y a tout juste 80 ans, et le Grand Prix de Poésie de la Ville de Lyon qui porte son nom fête également ses 30 ans d’existence. (Le tout dernier vient d’être remis à Jean Joubert). François Montmaneix, qui fut son ami de jeunesse à Lyon parle d’une vie toute entière consumée pour et par la Poésie. Suit la reprise d’un texte d’Yves Martin, paru en 1984, qui se concentre sur son dernier recueil, posthume, paru chez Chambelland. C’est un régal de relire Yves Martin, son style est constamment savoureux : « Les collets de givre, de gel se referment sur des manchons, des pelisses des pelotes… » Il parle d’un « hôte discret », « hobereau de la rêverie » dont « l’œuvre n’a pas eu sa « chance ». Elle est passée à travers tous les courants, fuyante, délicieuse et mortelle… ». Proche de Milosz, Rilke ou Nerval. Alain Bosquet dans une allocution de 1985 invente le concept de « mystère évident » à son endroit. Lionel Ray le classe dans les « poètes de l’assentiment, de l’adhésion à l’univers ». Jean-Yves Debreuille l’oppose à Saint-John Perse, et la poésie hautaine : « Il choisit le murmure, l’à peine perceptible… » Voici la fin du texte : « Naissance de l’écriture » de Roger Kowalski, qui embrasse magnifiquement tout le futur de sa poésie : … c’étaient de pures délices en vérité rien d’autre au monde que le bonheur d’écrire et jusqu’à l’odeur de l’encre, la peau douce du papier, le glissement de la plume, les vivantes ombres et cette main que je reconnaissais mal ; la lumière d’une bougie, l’aube, un parfum de pierre chaude, je vivais soudain ; l’heure présente, l’éternité tout entière enfin dans mon souffle."

Jacques MORIN ("Repérage" in dechargelarevue.com, 20 décembre 2014).




2014 - A propos du numéro 37

" Somptueux numéro 37 de la toujours excellente revue Les Hommes sans Epaules. Christophe Dauphin orchestre une passionnante rencontre avec Lawrence Ferlinghetti : « C’est bien malgré lui qu’il est entré dans l’histoire de la littérature étatsunienne, avec ses grands disparus : Kerouac, Burroughs, Ginsberg et Corso ; la liste pourrait être plus longue. Il vient d’avoir 95 ans, le 24 mars 2014, et depuis longtemps déjà Lawrence Ferlinghetti fait partie, avec ses amis de la Beat Generation, du patrimoine mondial de la poésie ». Il est vrai que je ne dois pas être la seule à penser que Ferlinghetti nous avait déjà… quittés. En tout cas, le vieil homme est un monument de vivacité, toujours libertaire et en insurrection. La poésie comme « révolte contre le silence », dit-il. Merveilleux. Cela se passe à San Francisco évidemment et Ferlinghetti n’est pas que poète, si j’ose cela, il est aussi l’éditeur de la Beat Generation, celui sans qui la Beat Generation sans aucun doute ne serait pas devenue la Beat Generation. On dira « et alors ? ». La lecture des récentes lettres de Ginsberg ou du Bouddha de Kerouac, deux livres récemment traduits et édités par Gallimard, porteront réponse simple à l’interrogation. Le bonhomme est cependant et avant tout poète : « Je te fais signe à travers les flammes. Le Pôle Nord a changé de place ». La charge métapoétique des poètes du « groupe » est toujours vivace et plus que jamais nécessaire. Les curieux de cette poésie des profondeurs, défendue en France et ailleurs (entre autres) par l’action poétique de Recours au Poème, liront ce dossier avec bonheur, ainsi que les livres de Ferlinghetti (certains titres actuellement disponibles chez Maelström).

Les Hommes sans Epaules 37 apportent par ailleurs un lot de très bonnes « surprises ». On y lira, entre autres, des poèmes de Lionel Ray, Mahmoud Darwich, Lyonel Trouillot, des textes surréalistes de René Crevel (dont un « sur l’anti poésie », forme de contre initiation qui n’est pas ici la moindre de nos préoccupations), Jehan van Langhenhoven (texte qui semble paraître simultanément chez Rafael de Surtis), les animateurs des HSE… Sans oublier l’intéressante rencontre avec Nanos Valaoritis. Tout cela forme un numéro d’une très grande cohérence, l’un des meilleurs de cette superbe revue peut-être. C’est dire. "

Sophie d'Alençon (in recoursaupoeme.fr, 17 avril 2014)

" Les Hommes sans Epaules, cette revue semestrielle méritait sans doute la place de revue-du-mois depuis longtemps. Elle est tellement dense et riche qu’il est difficile d’en rendre compte d’une façon exhaustive. Près de 300 pages, d’études, poèmes, chroniques, critiques, la livraison est pleine comme un œuf !

Pour commencer Annie Salager et Lionel Ray. Annie Salager et cette déclaration initiale : Je n’aime pas que l’on m’impose, avec des poèmes délicats, sensuels et intérieurs, où nature et esprit s’entremêlent sans cesse ; et Lionel Ray, (Robert Lhoro) qui creuse entre autres thèmes, celui de l’identité : Je suis un homme sans dimanche … je suis un homme sans toit… un homme sans miroir… sans refus… Dans un autre texte : je ne suis pas qui je suis… Dans un autre encore : …labyrinthe où passe et ne passe pas le voyageur immobile que je suis et que je ne suis pas… Et cette chute : Dans les miroirs où tout s’efface / Cette buée de notre souffle / et d’invisibles traces…

5 poètes pour suivre : Mahmoud Darwich, le célèbre poète palestinien disparu en 2008 ; le poète haïtien Lyonel Trouillot ; Julie Bataille, la fille de Georges Bataille, Cathy Garcia, l’animatrice de la revue Nouveaux délits, qui donne des extraits de son recueil Fugitive (dont je rendrai compte dans le n° 162 de Décharge) ; et  Tristan Cabral. - // Un peu d’histoire. En 1974, paraît aux éditions Plasma : Ouvrez le feu de Tristan Cabral, suicidé en 1972. Le livre était préfacé par Yann Houssin, son professeur de philosophie à Nîmes. Le recueil rencontre un gros succès. On apprend en 1977, que Yann Houssin et Tristan Cabral ne forment qu’une seule et même personne. A l’époque, dans la revue Le  Crayon noir, avec les membres de l’équipe, nous avions dénoncé le subterfuge. Dans un premier temps, Gérard Lemaire avait fustigé « l’emballage » du recueil : tout le côté « poète maudit » mis en avant, comme principal argument de vente, - sans savoir de quoi il retournait ! Dans un deuxième temps, une fois le faux suicide en voie d’être révélé, je m’en prenais, à mon tour, au procédé que je trouvais indigne. Il est clair que le recueil n’aurait pas eu le même écho si l’auteur n’avait pas pris de pseudonyme et créé semblable personnage, fin radicale comprise. Mal m’en a pris ! Tous ceux qui avaient tressé des couronnes au soi-disant pendu me sont tombés dessus ! Les plus virulents furent les critiques du Monde qui avaient rédigé les éloges les plus fournis. Cette imposture originelle m’a toujours tenu éloigné de ce poète très combatif et militant pour le reste, dont je ne conteste pas l’œuvre, mais qui symbolise pour moi la déception.// - 

Suit le gros morceau de cette livraison, une étude consacrée par Christophe Dauphin à « Georges Bataille et l’expérience de la limite ». Cette pratique de l’excès passe par le sacrifice d’un côté et de l’autre l’érotisme, « ce sacré indépendamment de la religion ». « Le détour par le péché est essentiel à l’épanouissement de l’érotisme », pour reprendre deux phrases du dossier. La vie de l’auteur de La part maudite est ensuite retracée en détails de 1897 à 1962 entre Billom et Vézelay.

Autre gros morceau : rencontre avec Lawrence Ferlinghetti, le fameux libraire de « The City Lights  Books » de San Francisco, dont le nom fait aussitôt penser à la Beat generation des Kerouac, Ginsberg, Burroughs etc qui a inspiré hippies et beatnicks… Âgé de 95 ans, Ferlinghetti, qui a publié tous les textes majeurs de ce mouvement dont le Howl d’Allen Ginsberg, est toujours en pleine forme et donne une sacrée leçon de punch à quiconque. Troisième personnalité, le poète grec Nanos Valaoritis, né en 1921, le premier à avoir traduit en anglais Séféris et Elytis (en 1947). Il va voyager à Paris, aux Etats-Unis, avant de revenir à Athènes. Extrait de son poème Préavis, comme une suite d’aphorismes, ce dernier comme clausule : chaque rocher est un côté de la question. Pour suivre Gabrielle Wittkop, disparue en 2002, avec une étude très intéressante sur cette disciple du divin marquis, dont la thématique d’écriture balance entre Eros et Thanatos. Son œuvre témoigne d’une transgression encore sulfureuse aujourd’hui. Des reprises d’articles de René Crevel, et le surréalisme raconté à la manière de Jehan Van Langhenhoven. Enfin la chronique d’Eric Sénécal « La nappe s’abîme » où il met en perspective ce qui s’est passé récemment en poésie et ce qui se passe aujourd’hui : le charabia a remplacé l’intuition, la provocation, le goût du risque. Et encore, je ne cite pas les sept noms des critiques qui tiennent les notes de lecture… Les HSE, c’est une véritable source de multiples découvertes ou approfondissements tous les six mois ! "

Jacques MORIN (in dechargelarevue.com, mai 2014).

" Comme les précédentes, cette nouvelle livraison des Hommes sans Epaules est toujours aussi copieuse et rassasiante. De prime abord, on pourrait affirmer que cette revue se place dans le sillage de la comète surréaliste mais pas seulement car la variété et la diversité des écrits retenus ouvrent de nouveaux espaces. Deux poètes contemporains sont ici mis à l’honneur ; il s’agit d’Annie Salager et de Lionel Ray. Ils sont présentés tous deux par l’infatigable Paul Farellier avec de significatifs extraits de leurs œuvres accompagnés de quelques inédits. Très passionnantes ensuite sont les rencontres et interviews de personnages hors du commun tels l’Américain Lawrence Ferlinghetti et le Grec Nanos Valoritis. On lira aussi une très longue étude sur l’œuvre de Georges Bataille, étude suivie de quelques textes rares de cet auteur. En fin de numéro, les abondantes informations et notes de lectures de sept chroniqueurs apportent de belles ouvertures sur des ouvrages intéressants. La quasi-totalité de ce numéro repose sur les épaules, très solides et bien réelles, de Christophe Dauphin, cheville ouvrière de l’agencement des rubriques et responsable de nombreux écrits. On ne saurait trop louer son dynamisme et sa remarquable connaissance de la poésie vivante. "

Georges CATHALO (in revue-texture.fr, mai 2014).

" Georges Bataille dans Les Hommes sans Epaules...

Dans un sommaire une nouvelle fois magnifique, peuplé de poètes superbes, Mahmoud Darwich, Lyonel Trouillot, Tristan Cabral, Julie Bataille, Cathy Garcia Annie Salager, Lionel Ray, Lawrence Ferlinghetti, Nanos Valaoritis… le dossier, réalisé par César Birène et Christophe Dauphin, est consacré à « Georges Bataille, et l’expérience des limites ».

Dans son éditorial, Christophe Dauphin donne un extrait d’une lettre envoyée en 1953 aux HSE par Bataille : « … j’écrivais, comme je pouvais, dans le car qui me menait à Avignon, que l’érotisme signifiait pour moi ce retour à l’unité, que la religion opère à froid, mais la mêlée des corps dans la fièvre. Je ne sais si ma philosophie prendra place dans l’histoire de la pensée, mais si les choses arrivent ainsi, je tiendrai à ce qu’il soit dit qu’elle tient à la substitution de ce qui émerveille dans l’érotisme (ou le risible ou VISIBLE) à ce qui s’aplatit dans le mouvement rigoureux de la pensée. »

L’œuvre de Georges Bataille (1897-1962) est bien davantage qu’une œuvre à dominante érotique. L’érotisme est ici une quête, une pratique de la non-séparation qui illumine la totalité de l’expérience humaine. C’est le portrait d’un homme complexe, intransigeant avec l’expérience dont il cherche à extraire l’essence, qui nous est proposé. Christophe Dauphin et César Birène éclairent la place occupée par Georges Bataille dans la pensée du XXe siècle et les nombreuses avenues, rues ou parfois ruelles obscures qui y conduisent.

L’homme est élégant, par le corps certes, mais surtout par la pensée et l’écriture, une élégance qui d’emblée écarte ce qui pourrait nuire à la perception brute, parfois brutale, de ce qui est en jeu ici et maintenant dans une rencontre chargée d’impossibles trop présents, de refoulés et de non-dits. La recherche centrale de Georges Bataille à travers tous les thèmes abordés dans son œuvre, de l’érotisme à la guerre, est, nous disent César Birène et Christophe Dauphin, « l’homme ; l’homme dans son rapport au mal et dans son rapport au sacré ; l’érotisme et la mort, qui ont ceci de commun, qu’ils impliquent des états affectifs (angoisse ou extase) d’une grande violence. ».

Bataille veut penser « l’hétérogène », « tout ce qui est rebuté, réduit à rien, honni, vilipendé, ce qui dégoûte, ce qui répugne », un hétérogène qu’il sacralise et oppose à l’utile, l’efficace. On voit la dimension politique considérable de cette approche.

Il y a en permanence chez Georges Bataille une recherche d’axialité, une pensée verticale. Chez Georges Bataille, ce qui évoque un autre grand penseur, Nikos Kazantzaki, l’homme est étiré, parfois déchiré, brûlé parfois, entre un mouvement ascendant vers le divin, l’amour, et un mouvement descendant vers la souillure et la mort. Dans ce contexte de tension extrême, « l’érotisme est le nom même de l’expérience que l’homme peut faire du sacré indépendamment de la religion, la forme emblématique de l’expérience commune de l’excès ».

César Birène et Christophe Dauphin notent qu’il serait vain de classifier Georges Bataille comme de catégoriser son œuvre qui brouille les frontières et les limites pour mieux prendre l’expérience humaine comme une totalité, un continuum qui ne laisse rien de côté.

De 1937 à 1939, avec Roger Caillois et Michel Leiris, il fonde et anime le Collège de sociologie qui va étudier les manifestations du sacré dans l’existence sociale. Georges Bataille oppose la transgression, l’interdit, la gratuité, à l’utilité, la production, l’économie. Le fruit défendu se fait délice. Surtout, il libère de représentations étouffantes. Il y a quelque chose du renversement permanent chez Bataille, un renversement qui se nourrit de l’autonomie. La transgression a besoin de l’interdit pour que l’excessif soit libérateur.

Georges Bataille, parce qu’il saisit les mécanismes profonds de la violence, sera d’une grande lucidité sur les dérives fascistes. César Birène et Christophe Dauphin rappelle qu’« il montre notamment comment les fascismes parviennent à subjuguer des éléments épars et hétérogènes quand les démocraties, anesthésiées par la fable de leur développement serein, croient pouvoir les négliger ». Une observation très actuelle.

Il fondera dans les années 30 le mouvement Contre-attaque pour s’opposer à la montée du fascisme et analysera avec une grande pertinence, dans la revue de son autre mouvement éphémère, Acéphale, la récupération de Nietzsche orchestrée par le fascisme. « Bataille attaque violemment Elisabeth Foerster, la sœur (nazie) du philosophe (l’appelant Elisabeth Judas-Foerster). Il y rappelle une déclaration de Nietzsche (écrite en capitales) : « Ne fréquenter personne qui soit impliqué dans cette fumisterie effrontée des races ».

César Birène et Christophe Dauphin rendent compte de la vie agitée et florissante, en clair-obscur, de Georges Bataille, ses relations complexes avec André Breton et le surréalisme, ses alliances et ses ruptures et de la permanence de sa recherche car, à travers la multiplicité des écrits, des créations, des manifestations, des expériences, des excès, des inattendus, des rages aussi, la cohérence demeure dans le pressentiment d’une révolution de l’esprit qui restaure l’unité de l’être.

Ce dossier, hommage à Georges Bataille, est bienvenu dans un temps de crispation qui voit la pensée se rétrécir. La transgression, libre de toute utilité et de toute marchandisation, est tout autant nécessaire aujourd’hui que dans les années qui précédèrent l’avènement du nazisme. Les années 30 ont manqué de transgression comme nous en manquons aujourd’hui. Le message de Georges Bataille n’est pas contextué, il traverse les contextes comme les temps. Il n’est pas éternel, il est d’aujourd’hui."

Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, mai 2014).

"La revue paraît deux fois par an et offre au lecteur  beaucoup de découvertes et d’études fouillées. Le dossier principal de ce n° 37, copieux et bien documenté,  est consacré à Georges Bataille, « aîné tutélaire » des HSE dès 1953, romancier et penseur à l’œuvre monumentale parmi les plus marquants du XXè siècle, mais qui n’eut pas la reconnaissance méritée de son vivant. César Birène et Christophe Dauphin  en donnent une juste approche et mettent en évidence « son expérience limite » de la transgression et de l’excès, sa pensée riche et complexe, son lien avec le surréalisme. A lire dans l’abondant sommaire des textes de Mahmoud Darwich, Tristan Cabral, Julie Bataille, un choix de texte de René Crevel à (re)découvrir. Paul Farellier présente Annie Salager et Lionel Ray. La chronique d’Eric Sénécal revient pour une toujours aussi savoureuse et  jubilatoire lecture. "

Marie-Josée CHRISTIEN ("Revues d'ici" in revue Spered Gouez n°20, octobre 2014).


"De nombreux articles ont, ces dernières années, souligné l’avenir incertain des revues littéraires : perte de lectorat, frais postaux devenus exorbitants, tendance de l’époque au repliement sur soi, concurrence du web, etc. La plus emblématique des revues littéraires françaises, la nrf (fondée en 1909), de mensuelle est devenue trimestrielle depuis son centenaire qui l’a quasiment tuée. Or les revues sont indispensables à la vie littéraire. Ces communautés vivantes (à propos de la nrf de Gide et de Paulhan, Auguste Anglès parle d’un « vrai collectivisme des esprits et des cœurs ») ont des rôles multiples : adoubement des jeunes écrivains, émergence de nouveaux talents, réévaluation de certains auteurs et, bien évidemment, publication de textes inédits divers dont le débouché n’est pas forcément le livre. Les revues ne vont pas mourir ; elles vont muer, abandonner la forme papier trop chère et trop encombrante pour des formes dématérialisées immédiatement accessibles. Voici une revue qui persiste dans son être de papier.

Créée à Avignon en 1953 par Jean Breton, la revue Les Hommes sans Épaules emprunte son curieux titre à un roman préhistorique de Rosny aîné, Le Félin géant, où l’on peut lire : les épaules de Zoûhr « retombaient si fort que les bras sembaient jaillir directement du torse : c’est ainsi que furent les Wah, les Hommes-sans-Épaules, depuis les origines jusqu’à leur anéantissement par les Nains-Rouges. Il avait une intelligence lente mais plus subtile que celles des Oulhamr. Elle devait périr avec lui et ne renaître, dans d’autres hommes, qu’après des millénaires. »

Le n°37 de la nouvelle série (la troisième) de ces « cahiers littéraires », dirigés désormais par Christophe Dauphin, propose un dossier consacré à Georges Bataille, « l’une des figures marquantes de la littérature du XXème siècle ». Il y a des raisons historiques, objectives, à cela : « Georges Bataille fut un aîné tutélaire et des plus attentifs des Hommes sans Épaules dès les débuts de la revue. » Lorsqu’il était bibliothécaire à Carpentras (1949-1951), Bataille se lia d’amitié avec Yves Breton (le père de Jean), notaire dans la cité papale.

Le dossier Bataille se compose d’une « introduction à l’expérience des limites » (Christophe Dauphin), d’une longue présentation de la vie et de l’œuvre de Bataille (« Georges Bataille et l’expérience des limites » de César Birène et Christophe Dauphin) et de textes de l’auteur célébré.

Face à l’œuvre « quasi mythique, monumentale » de Bataille, « dont on ne ressort pas indemne », ce dossier avoue sa modestie : « parlons d’approche, d’initiation ou d’introduction ». Bataille intimide car son projet est « le plus grand qui soit : mettre l’homme face à ce qu’il est, sans lui donner le recours à quelque faux-fuyant que ce soit. » Après une introduction resserrée sur les notions batailliennes d’hétérogène, de sacrifice, d’érotisme, de transgression, montrant l’effort constant de Bataille de « ne rien laisser en dehors de la pensée, et donc d’y faire entrer ce qui la perturbe, l’interrompt ou la révulse », l’étude de César Birène et Christophe Dauphin s’oriente vers une présentation chronologique de la vie et de l’œuvre de l’auteur de L’Érotisme. Fait rare : les deux présentateurs considèrent La Part maudite, ouvrage négligé voire décrié, comme un « livre d’une grande importance », qui « occupe une place centrale dans l’œuvre de Georges Bataille » et ils disent pourquoi. Modeste, cette présentation toujours claire occupe tout de même trente-deux pages de la revue.

Elle s’accompagne de trois poèmes extraits de L’Archangélique (1944) et de « La publication d’Un Cadavre », texte de 1951 que Bataille écrivit à la demande d’Yves Breton. Plus de vingt ans après la publication de ce pamphlet collectif contre André Breton, Bataille  - qui en avait été la cheville ouvrière - revient sur le contexte et les conditions de sa mise en œuvre. Et il lâche cet aveu : « je hais ce pamphlet comme je hais les parties polémiques du Second Manifeste » du Surréalisme. En 51, il a fait la paix avec André et le dit à Yves (les deux Breton n’ont aucun lien de parenté entre eux). "

Christian LIMOUSIN (in lesrendezvousdulire-ecrire.blogspot.fr, 23 novembre 2014).

" Si ce numéro des HSE a le parfum de l'ailleurs, cet ailleurs n'est pas celui des jolis voyages: c'est Haïti sous la plume de Lyonel Trouillot, c'est la palestine dite par Mahmoud Darwich. et c'est le fumet puissant de Georges Bataille. D'ailleurs une large part de ce n°37 est sous la figure tutélaire de Bataille: qu'il s'agisse directement de lui, de son oeuvre (étude fouillée de César Birène et de Christophe Dauphin), de ses quelques textes reproduits ( dont, "Un Cadavre"), qu'il s'agisse des poèmes de Julie Bataille (sa fille): "mes yeux aspirent à la beauté de la famme arrachée", ou qu'il soit question de l'oeuvre brûlante de Gabrielle Wittkop (présentation de César Birène et de Gérard Paris): "il va fallait alors voir la Sainte-Vierge couchée sur le flanc, les yeux clos, la bouche entrouverte comme celle d'une morte, avec des filets de salive et de sang coulant sur l'oreiller, le sang lui jaillissait aussi du cul et du con : elle était bien blessée..." Plus paisibles et avec un bon nombre de pages : Lionel Ray: "Ces pauvres choses qui nous étaient / si proches...", Annie Salager : "Où j'aime tomber / mais dans / l'odeur des roses..." La   wrence Ferlinghetti: "Poètes, sortez de vos placards...", le grec Nanos Valaoritis: "Chaque rocher est un côté de la question..." Je ne peux pas tout dire. chroniques, lectures poétiques."

Christian DEGOUTTE (in Verso n° 158, septembre 2014).



2014 - A propos du numéro 37

" Somptueux numéro 37 de la toujours excellente revue Les Hommes sans Epaules. Christophe Dauphin orchestre une passionnante rencontre avec Lawrence Ferlinghetti : « C’est bien malgré lui qu’il est entré dans l’histoire de la littérature étatsunienne, avec ses grands disparus : Kerouac, Burroughs, Ginsberg et Corso ; la liste pourrait être plus longue. Il vient d’avoir 95 ans, le 24 mars 2014, et depuis longtemps déjà Lawrence Ferlinghetti fait partie, avec ses amis de la Beat Generation, du patrimoine mondial de la poésie ». Il est vrai que je ne dois pas être la seule à penser que Ferlinghetti nous avait déjà… quittés. En tout cas, le vieil homme est un monument de vivacité, toujours libertaire et en insurrection. La poésie comme « révolte contre le silence », dit-il. Merveilleux. Cela se passe à San Francisco évidemment et Ferlinghetti n’est pas que poète, si j’ose cela, il est aussi l’éditeur de la Beat Generation, celui sans qui la Beat Generation sans aucun doute ne serait pas devenue la Beat Generation. On dira « et alors ? ». La lecture des récentes lettres de Ginsberg ou du Bouddha de Kerouac, deux livres récemment traduits et édités par Gallimard, porteront réponse simple à l’interrogation. Le bonhomme est cependant et avant tout poète : « Je te fais signe à travers les flammes. Le Pôle Nord a changé de place ». La charge métapoétique des poètes du « groupe » est toujours vivace et plus que jamais nécessaire. Les curieux de cette poésie des profondeurs, défendue en France et ailleurs (entre autres) par l’action poétique de Recours au Poème, liront ce dossier avec bonheur, ainsi que les livres de Ferlinghetti (certains titres actuellement disponibles chez Maelström).

Les Hommes sans Epaules 37 apportent par ailleurs un lot de très bonnes « surprises ». On y lira, entre autres, des poèmes de Lionel Ray, Mahmoud Darwich, Lyonel Trouillot, des textes surréalistes de René Crevel (dont un « sur l’anti poésie », forme de contre initiation qui n’est pas ici la moindre de nos préoccupations), Jehan van Langhenhoven (texte qui semble paraître simultanément chez Rafael de Surtis), les animateurs des HSE… Sans oublier l’intéressante rencontre avec Nanos Valaoritis. Tout cela forme un numéro d’une très grande cohérence, l’un des meilleurs de cette superbe revue peut-être. C’est dire. "

Sophie d'Alençon (in recoursaupoeme.fr, 17 avril 2014)

" Les Hommes sans Epaules, cette revue semestrielle méritait sans doute la place de revue-du-mois depuis longtemps. Elle est tellement dense et riche qu’il est difficile d’en rendre compte d’une façon exhaustive. Près de 300 pages, d’études, poèmes, chroniques, critiques, la livraison est pleine comme un œuf !

Pour commencer Annie Salager et Lionel Ray. Annie Salager et cette déclaration initiale : Je n’aime pas que l’on m’impose, avec des poèmes délicats, sensuels et intérieurs, où nature et esprit s’entremêlent sans cesse ; et Lionel Ray, (Robert Lhoro) qui creuse entre autres thèmes, celui de l’identité : Je suis un homme sans dimanche … je suis un homme sans toit… un homme sans miroir… sans refus… Dans un autre texte : je ne suis pas qui je suis… Dans un autre encore : …labyrinthe où passe et ne passe pas le voyageur immobile que je suis et que je ne suis pas… Et cette chute : Dans les miroirs où tout s’efface / Cette buée de notre souffle / et d’invisibles traces…

5 poètes pour suivre : Mahmoud Darwich, le célèbre poète palestinien disparu en 2008 ; le poète haïtien Lyonel Trouillot ; Julie Bataille, la fille de Georges Bataille, Cathy Garcia, l’animatrice de la revue Nouveaux délits, qui donne des extraits de son recueil Fugitive (dont je rendrai compte dans le n° 162 de Décharge) ; et  Tristan Cabral. - // Un peu d’histoire. En 1974, paraît aux éditions Plasma : Ouvrez le feu de Tristan Cabral, suicidé en 1972. Le livre était préfacé par Yann Houssin, son professeur de philosophie à Nîmes. Le recueil rencontre un gros succès. On apprend en 1977, que Yann Houssin et Tristan Cabral ne forment qu’une seule et même personne. A l’époque, dans la revue Le  Crayon noir, avec les membres de l’équipe, nous avions dénoncé le subterfuge. Dans un premier temps, Gérard Lemaire avait fustigé « l’emballage » du recueil : tout le côté « poète maudit » mis en avant, comme principal argument de vente, - sans savoir de quoi il retournait ! Dans un deuxième temps, une fois le faux suicide en voie d’être révélé, je m’en prenais, à mon tour, au procédé que je trouvais indigne. Il est clair que le recueil n’aurait pas eu le même écho si l’auteur n’avait pas pris de pseudonyme et créé semblable personnage, fin radicale comprise. Mal m’en a pris ! Tous ceux qui avaient tressé des couronnes au soi-disant pendu me sont tombés dessus ! Les plus virulents furent les critiques du Monde qui avaient rédigé les éloges les plus fournis. Cette imposture originelle m’a toujours tenu éloigné de ce poète très combatif et militant pour le reste, dont je ne conteste pas l’œuvre, mais qui symbolise pour moi la déception.// - 

Suit le gros morceau de cette livraison, une étude consacrée par Christophe Dauphin à « Georges Bataille et l’expérience de la limite ». Cette pratique de l’excès passe par le sacrifice d’un côté et de l’autre l’érotisme, « ce sacré indépendamment de la religion ». « Le détour par le péché est essentiel à l’épanouissement de l’érotisme », pour reprendre deux phrases du dossier. La vie de l’auteur de La part maudite est ensuite retracée en détails de 1897 à 1962 entre Billom et Vézelay.

Autre gros morceau : rencontre avec Lawrence Ferlinghetti, le fameux libraire de « The City Lights  Books » de San Francisco, dont le nom fait aussitôt penser à la Beat generation des Kerouac, Ginsberg, Burroughs etc qui a inspiré hippies et beatnicks… Âgé de 95 ans, Ferlinghetti, qui a publié tous les textes majeurs de ce mouvement dont le Howl d’Allen Ginsberg, est toujours en pleine forme et donne une sacrée leçon de punch à quiconque. Troisième personnalité, le poète grec Nanos Valaoritis, né en 1921, le premier à avoir traduit en anglais Séféris et Elytis (en 1947). Il va voyager à Paris, aux Etats-Unis, avant de revenir à Athènes. Extrait de son poème Préavis, comme une suite d’aphorismes, ce dernier comme clausule : chaque rocher est un côté de la question. Pour suivre Gabrielle Wittkop, disparue en 2002, avec une étude très intéressante sur cette disciple du divin marquis, dont la thématique d’écriture balance entre Eros et Thanatos. Son œuvre témoigne d’une transgression encore sulfureuse aujourd’hui. Des reprises d’articles de René Crevel, et le surréalisme raconté à la manière de Jehan Van Langhenhoven. Enfin la chronique d’Eric Sénécal « La nappe s’abîme » où il met en perspective ce qui s’est passé récemment en poésie et ce qui se passe aujourd’hui : le charabia a remplacé l’intuition, la provocation, le goût du risque. Et encore, je ne cite pas les sept noms des critiques qui tiennent les notes de lecture… Les HSE, c’est une véritable source de multiples découvertes ou approfondissements tous les six mois ! "

Jacques MORIN (in dechargelarevue.com, mai 2014).

" Comme les précédentes, cette nouvelle livraison des Hommes sans Epaules est toujours aussi copieuse et rassasiante. De prime abord, on pourrait affirmer que cette revue se place dans le sillage de la comète surréaliste mais pas seulement car la variété et la diversité des écrits retenus ouvrent de nouveaux espaces. Deux poètes contemporains sont ici mis à l’honneur ; il s’agit d’Annie Salager et de Lionel Ray. Ils sont présentés tous deux par l’infatigable Paul Farellier avec de significatifs extraits de leurs œuvres accompagnés de quelques inédits. Très passionnantes ensuite sont les rencontres et interviews de personnages hors du commun tels l’Américain Lawrence Ferlinghetti et le Grec Nanos Valoritis. On lira aussi une très longue étude sur l’œuvre de Georges Bataille, étude suivie de quelques textes rares de cet auteur. En fin de numéro, les abondantes informations et notes de lectures de sept chroniqueurs apportent de belles ouvertures sur des ouvrages intéressants. La quasi-totalité de ce numéro repose sur les épaules, très solides et bien réelles, de Christophe Dauphin, cheville ouvrière de l’agencement des rubriques et responsable de nombreux écrits. On ne saurait trop louer son dynamisme et sa remarquable connaissance de la poésie vivante. "

Georges CATHALO (in revue-texture.fr, mai 2014).

" Georges Bataille dans Les Hommes sans Epaules...

Dans un sommaire une nouvelle fois magnifique, peuplé de poètes superbes, Mahmoud Darwich, Lyonel Trouillot, Tristan Cabral, Julie Bataille, Cathy Garcia Annie Salager, Lionel Ray, Lawrence Ferlinghetti, Nanos Valaoritis… le dossier, réalisé par César Birène et Christophe Dauphin, est consacré à « Georges Bataille, et l’expérience des limites ».

Dans son éditorial, Christophe Dauphin donne un extrait d’une lettre envoyée en 1953 aux HSE par Bataille : « … j’écrivais, comme je pouvais, dans le car qui me menait à Avignon, que l’érotisme signifiait pour moi ce retour à l’unité, que la religion opère à froid, mais la mêlée des corps dans la fièvre. Je ne sais si ma philosophie prendra place dans l’histoire de la pensée, mais si les choses arrivent ainsi, je tiendrai à ce qu’il soit dit qu’elle tient à la substitution de ce qui émerveille dans l’érotisme (ou le risible ou VISIBLE) à ce qui s’aplatit dans le mouvement rigoureux de la pensée. »

L’œuvre de Georges Bataille (1897-1962) est bien davantage qu’une œuvre à dominante érotique. L’érotisme est ici une quête, une pratique de la non-séparation qui illumine la totalité de l’expérience humaine. C’est le portrait d’un homme complexe, intransigeant avec l’expérience dont il cherche à extraire l’essence, qui nous est proposé. Christophe Dauphin et César Birène éclairent la place occupée par Georges Bataille dans la pensée du XXe siècle et les nombreuses avenues, rues ou parfois ruelles obscures qui y conduisent.

L’homme est élégant, par le corps certes, mais surtout par la pensée et l’écriture, une élégance qui d’emblée écarte ce qui pourrait nuire à la perception brute, parfois brutale, de ce qui est en jeu ici et maintenant dans une rencontre chargée d’impossibles trop présents, de refoulés et de non-dits. La recherche centrale de Georges Bataille à travers tous les thèmes abordés dans son œuvre, de l’érotisme à la guerre, est, nous disent César Birène et Christophe Dauphin, « l’homme ; l’homme dans son rapport au mal et dans son rapport au sacré ; l’érotisme et la mort, qui ont ceci de commun, qu’ils impliquent des états affectifs (angoisse ou extase) d’une grande violence. ».

Bataille veut penser « l’hétérogène », « tout ce qui est rebuté, réduit à rien, honni, vilipendé, ce qui dégoûte, ce qui répugne », un hétérogène qu’il sacralise et oppose à l’utile, l’efficace. On voit la dimension politique considérable de cette approche.

Il y a en permanence chez Georges Bataille une recherche d’axialité, une pensée verticale. Chez Georges Bataille, ce qui évoque un autre grand penseur, Nikos Kazantzaki, l’homme est étiré, parfois déchiré, brûlé parfois, entre un mouvement ascendant vers le divin, l’amour, et un mouvement descendant vers la souillure et la mort. Dans ce contexte de tension extrême, « l’érotisme est le nom même de l’expérience que l’homme peut faire du sacré indépendamment de la religion, la forme emblématique de l’expérience commune de l’excès ».

César Birène et Christophe Dauphin notent qu’il serait vain de classifier Georges Bataille comme de catégoriser son œuvre qui brouille les frontières et les limites pour mieux prendre l’expérience humaine comme une totalité, un continuum qui ne laisse rien de côté.

De 1937 à 1939, avec Roger Caillois et Michel Leiris, il fonde et anime le Collège de sociologie qui va étudier les manifestations du sacré dans l’existence sociale. Georges Bataille oppose la transgression, l’interdit, la gratuité, à l’utilité, la production, l’économie. Le fruit défendu se fait délice. Surtout, il libère de représentations étouffantes. Il y a quelque chose du renversement permanent chez Bataille, un renversement qui se nourrit de l’autonomie. La transgression a besoin de l’interdit pour que l’excessif soit libérateur.

Georges Bataille, parce qu’il saisit les mécanismes profonds de la violence, sera d’une grande lucidité sur les dérives fascistes. César Birène et Christophe Dauphin rappelle qu’« il montre notamment comment les fascismes parviennent à subjuguer des éléments épars et hétérogènes quand les démocraties, anesthésiées par la fable de leur développement serein, croient pouvoir les négliger ». Une observation très actuelle.

Il fondera dans les années 30 le mouvement Contre-attaque pour s’opposer à la montée du fascisme et analysera avec une grande pertinence, dans la revue de son autre mouvement éphémère, Acéphale, la récupération de Nietzsche orchestrée par le fascisme. « Bataille attaque violemment Elisabeth Foerster, la sœur (nazie) du philosophe (l’appelant Elisabeth Judas-Foerster). Il y rappelle une déclaration de Nietzsche (écrite en capitales) : « Ne fréquenter personne qui soit impliqué dans cette fumisterie effrontée des races ».

César Birène et Christophe Dauphin rendent compte de la vie agitée et florissante, en clair-obscur, de Georges Bataille, ses relations complexes avec André Breton et le surréalisme, ses alliances et ses ruptures et de la permanence de sa recherche car, à travers la multiplicité des écrits, des créations, des manifestations, des expériences, des excès, des inattendus, des rages aussi, la cohérence demeure dans le pressentiment d’une révolution de l’esprit qui restaure l’unité de l’être.

Ce dossier, hommage à Georges Bataille, est bienvenu dans un temps de crispation qui voit la pensée se rétrécir. La transgression, libre de toute utilité et de toute marchandisation, est tout autant nécessaire aujourd’hui que dans les années qui précédèrent l’avènement du nazisme. Les années 30 ont manqué de transgression comme nous en manquons aujourd’hui. Le message de Georges Bataille n’est pas contextué, il traverse les contextes comme les temps. Il n’est pas éternel, il est d’aujourd’hui."

Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, mai 2014).

"La revue paraît deux fois par an et offre au lecteur  beaucoup de découvertes et d’études fouillées. Le dossier principal de ce n° 37, copieux et bien documenté,  est consacré à Georges Bataille, « aîné tutélaire » des HSE dès 1953, romancier et penseur à l’œuvre monumentale parmi les plus marquants du XXè siècle, mais qui n’eut pas la reconnaissance méritée de son vivant. César Birène et Christophe Dauphin  en donnent une juste approche et mettent en évidence « son expérience limite » de la transgression et de l’excès, sa pensée riche et complexe, son lien avec le surréalisme. A lire dans l’abondant sommaire des textes de Mahmoud Darwich, Tristan Cabral, Julie Bataille, un choix de texte de René Crevel à (re)découvrir. Paul Farellier présente Annie Salager et Lionel Ray. La chronique d’Eric Sénécal revient pour une toujours aussi savoureuse et  jubilatoire lecture. "

Marie-Josée CHRISTIEN ("Revues d'ici" in revue Spered Gouez n°20, octobre 2014).


"De nombreux articles ont, ces dernières années, souligné l’avenir incertain des revues littéraires : perte de lectorat, frais postaux devenus exorbitants, tendance de l’époque au repliement sur soi, concurrence du web, etc. La plus emblématique des revues littéraires françaises, la nrf (fondée en 1909), de mensuelle est devenue trimestrielle depuis son centenaire qui l’a quasiment tuée. Or les revues sont indispensables à la vie littéraire. Ces communautés vivantes (à propos de la nrf de Gide et de Paulhan, Auguste Anglès parle d’un « vrai collectivisme des esprits et des cœurs ») ont des rôles multiples : adoubement des jeunes écrivains, émergence de nouveaux talents, réévaluation de certains auteurs et, bien évidemment, publication de textes inédits divers dont le débouché n’est pas forcément le livre. Les revues ne vont pas mourir ; elles vont muer, abandonner la forme papier trop chère et trop encombrante pour des formes dématérialisées immédiatement accessibles. Voici une revue qui persiste dans son être de papier.

Créée à Avignon en 1953 par Jean Breton, la revue Les Hommes sans Épaules emprunte son curieux titre à un roman préhistorique de Rosny aîné, Le Félin géant, où l’on peut lire : les épaules de Zoûhr « retombaient si fort que les bras sembaient jaillir directement du torse : c’est ainsi que furent les Wah, les Hommes-sans-Épaules, depuis les origines jusqu’à leur anéantissement par les Nains-Rouges. Il avait une intelligence lente mais plus subtile que celles des Oulhamr. Elle devait périr avec lui et ne renaître, dans d’autres hommes, qu’après des millénaires. »

Le n°37 de la nouvelle série (la troisième) de ces « cahiers littéraires », dirigés désormais par Christophe Dauphin, propose un dossier consacré à Georges Bataille, « l’une des figures marquantes de la littérature du XXème siècle ». Il y a des raisons historiques, objectives, à cela : « Georges Bataille fut un aîné tutélaire et des plus attentifs des Hommes sans Épaules dès les débuts de la revue. » Lorsqu’il était bibliothécaire à Carpentras (1949-1951), Bataille se lia d’amitié avec Yves Breton (le père de Jean), notaire dans la cité papale.

Le dossier Bataille se compose d’une « introduction à l’expérience des limites » (Christophe Dauphin), d’une longue présentation de la vie et de l’œuvre de Bataille (« Georges Bataille et l’expérience des limites » de César Birène et Christophe Dauphin) et de textes de l’auteur célébré.

Face à l’œuvre « quasi mythique, monumentale » de Bataille, « dont on ne ressort pas indemne », ce dossier avoue sa modestie : « parlons d’approche, d’initiation ou d’introduction ». Bataille intimide car son projet est « le plus grand qui soit : mettre l’homme face à ce qu’il est, sans lui donner le recours à quelque faux-fuyant que ce soit. » Après une introduction resserrée sur les notions batailliennes d’hétérogène, de sacrifice, d’érotisme, de transgression, montrant l’effort constant de Bataille de « ne rien laisser en dehors de la pensée, et donc d’y faire entrer ce qui la perturbe, l’interrompt ou la révulse », l’étude de César Birène et Christophe Dauphin s’oriente vers une présentation chronologique de la vie et de l’œuvre de l’auteur de L’Érotisme. Fait rare : les deux présentateurs considèrent La Part maudite, ouvrage négligé voire décrié, comme un « livre d’une grande importance », qui « occupe une place centrale dans l’œuvre de Georges Bataille » et ils disent pourquoi. Modeste, cette présentation toujours claire occupe tout de même trente-deux pages de la revue.

Elle s’accompagne de trois poèmes extraits de L’Archangélique (1944) et de « La publication d’Un Cadavre », texte de 1951 que Bataille écrivit à la demande d’Yves Breton. Plus de vingt ans après la publication de ce pamphlet collectif contre André Breton, Bataille  - qui en avait été la cheville ouvrière - revient sur le contexte et les conditions de sa mise en œuvre. Et il lâche cet aveu : « je hais ce pamphlet comme je hais les parties polémiques du Second Manifeste » du Surréalisme. En 51, il a fait la paix avec André et le dit à Yves (les deux Breton n’ont aucun lien de parenté entre eux). "

Christian LIMOUSIN (in lesrendezvousdulire-ecrire.blogspot.fr, 23 novembre 2014).

" Si ce numéro des HSE a le parfum de l'ailleurs, cet ailleurs n'est pas celui des jolis voyages: c'est Haïti sous la plume de Lyonel Trouillot, c'est la palestine dite par Mahmoud Darwich. et c'est le fumet puissant de Georges Bataille. D'ailleurs une large part de ce n°37 est sous la figure tutélaire de Bataille: qu'il s'agisse directement de lui, de son oeuvre (étude fouillée de César Birène et de Christophe Dauphin), de ses quelques textes reproduits ( dont, "Un Cadavre"), qu'il s'agisse des poèmes de Julie Bataille (sa fille): "mes yeux aspirent à la beauté de la famme arrachée", ou qu'il soit question de l'oeuvre brûlante de Gabrielle Wittkop (présentation de César Birène et de Gérard Paris): "il va fallait alors voir la Sainte-Vierge couchée sur le flanc, les yeux clos, la bouche entrouverte comme celle d'une morte, avec des filets de salive et de sang coulant sur l'oreiller, le sang lui jaillissait aussi du cul et du con : elle était bien blessée..." Plus paisibles et avec un bon nombre de pages : Lionel Ray: "Ces pauvres choses qui nous étaient / si proches...", Annie Salager : "Où j'aime tomber / mais dans / l'odeur des roses..." La   wrence Ferlinghetti: "Poètes, sortez de vos placards...", le grec Nanos Valaoritis: "Chaque rocher est un côté de la question..." Je ne peux pas tout dire. chroniques, lectures poétiques."

Christian DEGOUTTE (in Verso n° 158, septembre 2014).




2013 – À propos du numéro 36

"À chacun de ses numéros, la belle et forte revue de poésie Les Hommes sans Epaules s’affirme de plus en plus comme un espace incontournable au cœur du monde des poésies françaises – et d’ailleurs. Car les HSE, ainsi que Recours au Poème, n’est pas de ces revues enfermées dans un quelconque hexagone. Ce n’est d’ailleurs pas la seule parenté entre les deux lieux. C’est ainsi que l’on retrouvera dans ce dernier opus des HSE des poètes et contributeurs que l’on se plaît à lire ou écouter dans Recours au Poème, et réciproquement : Jean-Pierre Lemaire, Guy Allix, Kristina Ehin, Lydia Padellec, Jean Kaplinski, Christophe Dauphin, Jean-Pierre Védrines… Ce dernier consacrant, pour l’anecdote, une belle note de lecture au Silence des pierres, premier recueil de notre rédacteur en chef, dont il dit ceci : « ses mots ont une puissance alchimique certaine et son monde coule au travers du poème avec, ici et là, le, brisé, le bris, le déchirement de la voix ». Une lecture avec laquelle je suis entièrement en accord, ayant lu ce recueil avec bonheur lors de mon dernier séjour à Alexandrie. Védrines est un poète fin lecteur.

C’est donc à un sommaire de toute première ampleur et importance que les HSE nous convient, sommaire centré sur la figure de Thérèse Plantier, poète que nous aimons ici et au sujet de laquelle nous avons publié un beau texte de Christophe Dauphin. Affinités électives sans aucun doute. Ce dossier mené par Marie-Christine Brière et Christophe Dauphin, intitulé « Une violente volonté de vertige », s’étend sur près de 80 pages et c’est bien plus qu’un hommage, une somme nécessaire en même temps qu’une remise en lumière. Ce sera aussi et surtout l’occasion de lire la poésie de Thérèse Plantier, atelier que l’on retrouvera ici

Et ici, sous la plume de Christophe Dauphin.

Une démarche et des travaux qu’il faut saluer tant la marque de la fraternité poétique est inscrite dans la pratique concrète des HSE.

Cet opus 36 propose bien d’autres très belles choses. Les poèmes de Kristina Ehin, Lydia Padellec, Michel Voiturier ou Jean Kaplinski par exemple. On lira aussi la « poésie de l’extrême » de Georges Bataille ou les mots de Dauphin sur la récente réédition des poèmes de Tudor Arghezi, au sujet duquel nous renvoyons à cet autre texte.

À tout cela s’ajoutent des dossiers, notes de lecture et poèmes des animateurs de la revue. Du fort beau travail."

Shasheen Sauneree (Revue des revues in Recours au poème, 24 octobre 2013).

"Une grosse partie du n° est consacrée à Thérèse Plantier (1911-1990). Dossier mis en place par Christophe Dauphin et Marie-Christine Brière. Thérèse Plantier fut avant tout une forte personnalité, c’est rien de le dire et je renvoie aux divers témoignages recueillis. Ce fut une poète baroque et frondeuse. Une féministe révoltée. Elle fréquenta entre autres Simone de Beauvoir, Violette Leduc et André Breton. Elle avait un tempérament de feu. Elle s’est mariée quatre fois. Marie-Christine Brière parle de « véhémence humoristique », Christophe Dauphin évoque une femme de silence et de méditation, aussi bien que de bruit et de fureur. …la comète qui annonce mon retour / brillante comme au fond d’un puits un seau d’étoiles… Sa grande liberté, on la retrouve surtout dans son écriture où son surréalisme est travaillé dans un style conscient, lucide et bouillonnant. C’est cette même liberté qui lui a coûté certainement de n’être pas appréciée à la place qu’elle mérite aujourd’hui. Et c’est à l’honneur des HSE de lui restituer son éclat. Pour sa mère : Autour de la tombe / glapissent les renards de l’aube / tu te tiens aux quatre coins / du marbre où je t’écris. Dossier de 80 pages sur un ensemble de 286 ! Il y a de quoi découvrir encore dans cette forte livraison, comme à l’habitude.

Jacques Morin ("En Vrac" in Déchargelarevue;com, décembre 2013).

"Dans un sommaire très riche, le dossier de ce numéro 36 est consacré à Thérèse Plantier, qui participa au mouvement surréaliste à partir de 1964. Elle s’éloigna du groupe tout en restant fidèle à André Breton à qui elle portait une grande admiration.

Christophe Dauphin nous la présente ainsi :

« Thérèse Plantier, volcan, maelström, feu de brousse ? Aucun lieu qui se laisse facilement appréhender, tous fusent, dialoguent, explosent, toujours coupée la branche où vous tentez de vous accrocher, avec Thérèse vous n’aurez jamais aucune sécurité car : « Poète est la femme qui perd l’équilibre à la moindre mouche – à la moindre poussée. » Originale et chaotique, cette œuvre est l’une des plus fortes de la poésie contemporaine. Thérèse Plantier ? Une grande voix de Femme : « À en vomir je me grignotais – je mâchais ma mère l’angoisse. » Elle nous lance des mots pour une recréation, « des mots si mortels qu’en naît le neuf langage – à réapprendre aux enfants à brasser pour qu’ils battent à nos tempes si fort qu’on se croie fou. » Ce langage, qui n’est plus celui de l’asservissement de la femme, mais de la libération («le temps n’est plus aux femmes qui se plaignent»), du fémonisme, Plantier le nomme le Survrai, dont Alain Bosquet nous dit : « Au milieu des intellectualismes exsangues et des cheveux coupés en seize, Thérèse Plantier est à peu près la seule, aujourd’hui, à mordre dans la vie et à se bagarrer avec la mort. Sa poésie est une affaire de règlement de compte avec elle-même, sa peau, son squelette et son regard intérieur. »

Amour, liberté et intransigeance. Cette femme d’exception est une athlète des mots. La sueur lui sert d’encre et sa queste est héroïque au sens le plus initiatique qui soit. Se libérer de ses chaînes et des illusions de la libération."

« A en vomir je me grignotais

je mâchais ma mère l’angoisse

je me détournais fatalement du devoir

j’avais recours à l’écriture

chaque fois la nuit

tirait le verrou

allumait le voyant

le judas sanglotait

transpercé jamais cicatrisé

je m’entrouvrais le ventre

au cépuscule

sans un pleur sans un commentaire. »

(Extrait de Poèmes choisis).

Rémi Boyer (in incoherism.wordpress.com, décembre 2013).

"Comment rendre compte d’une revue de presque 300 pages quand on n’en partage pas l’orientation et qu’on ne connaît que peu ou pas du tout les poètes présentés dans ses pages ? Parler du plaisir de la découverte serait une échappatoire voire une tartufferie. Cette revue exige des lecteurs attentifs prêts à suivre les circonvolutions des poèmes, prêts à suivre les raisonnements politiques ou ésotériques des articles.

Christophe Dauphin situe Les Hommes sans Epaules  dans une lignée partant du surréalisme, version magico-trotskyste, pour faire vite… Mais il ne suffit pas de délivrer un certificat d’anti-stalinisme à un poète pour qu’il devienne miraculeusement génial ! À condamner le goulag stalinien (ou post-stalinien), certains en sont venus à oublier les bagnes tsaristes (c’est ainsi qu’en Pologne, des politiciens au pouvoir condamnent les anciens des Brigades internationales…). Mais je m’éloigne des Hommes sans épaules. De même le « quatrième règne » caractérisé par « un Principe-vital, l’Homme universel, qui existait avant même la naissance de l’humanité et qui, si celle-ci venait à être anéantie, serait capable d’en reformer une autre spontanément » m’apparaît comme une billevesée idéaliste. Non que je sois un scientiste borné ou un positiviste fanatique…, je suis même sensible à une certaine mystique de la matière et je me considère comme un mystique sans dieu… Mais je me refuse à voir dans les mots cette survivance du signe à la chose signifiée qu’on trouve proclamée chez les épigones d’un certain surréalisme, même si je (re)lis toujours avec plaisir André Breton.

Ceci étant dit, j’ai trouvé dans cette livraison des Hommes sans épaules, du grain à moudre. Tout d’abord, le copieux dossier (80 pages d’études et de poèmes) consacré à Thérèse Plantier qui est d’un grand intérêt. Une Thérèse Plantier qu’il ne faut pas confondre avec Colette Plantier qui anima dans les années 70-80 Thélème  et dont Pierre Chabert dira que « [ses] visites à la communauté créée par Colette Plantier [le plongeaient] à la fois dans la béatitude et l’hilarité »  (lettre à Michel Boujut). Au-delà du comportement et de la jalousie de Thérèse Plantier qui ne sont qu’anecdotes, je retiens son fémonisme, mot-valise forgé sur féminisme et monisme (on aime certains isme aux HsÉ : émotivisme, surréalisme et fémonisme, entre autres…). Ce concept mériterait à lui seul un long développement dans la mesure où le monisme chez Spinoza renvoie à une absence d’opposition entre l’esprit et la matière qui ont pour origine un principe commun, Thérèse Plantier élabore une nouvelle approche du féminisme qui n’est pas sans faire penser à Russel pour qui l’apparition de la vie est une singularité non reproductible. Perspectives inouïes ouvertes par ce fémonisme…

Ensuite la longue place (une trentaine de pages) laissée aux notes de lecture dues à une dizaine de contributeurs qui abordent librement la production poétique du moment dans sa diversité : le lecteur y trouvera toujours quelque chose qui entraîne son adhésion ! J’ai particulièrement aimé l’article que César Birène a écrit à propos du dernier recueil de poèmes de Michel Houellebecq qui n’est plus que le chef de file de la littérature de gare… Un régal, un morceau d’anthologie d’intelligence et d’insolence ! Ainsi que l’article de Christophe Dauphin sur le Superman est arabe de Joumana Haddad…

On le voit, on a là une revue qui mérite d’être lue pour la place qu’elle occupe dans le paysage poétique du moment, à la condition d’en lire d’autres pour avoir une vision complète de la poésie telle qu’elle s’écrit aujourd’hui. Un reproche pour terminer : j’aurais aimé, pour mon confort de lecture, que le caractère italique soit systématiquement employé pour retranscrire les propos rapportés (citations, extraits de livres, d’articles ou autres…)"

Lucien Wasselin (in revue-texture.fr, vendredi 28 février 2014)

"Le n°36 des HSE fait la part belle aux femmes avec un dossier (80 p., de Christophe Dauphin et Marie-Christine Brière) consacré à Thérèse Plantier (je meurs sans avoir abdiqué): elle aura mené une vie de feu, pleine d'amour, d'amants, de désamours, de drames, de colères... Elle aura été l'amie de Simone de Beauvoir, de Violette Leduc. Elle aura écrit des poèmes d'un lyrisme âpre, d'une ironie mordante: viens mon sel ma farine - viens rincer la salade : et par ce geste t'égaler aux dieux - on va tâter de menues besognes des lessives des éclipses - des comètes des tempêtes - de la pipamonsieur - mets ta blouse transparente - nous pourrons même écrire avec - en guise d'encre - du café fort. Dans ce même numéro, Marie-Christine Brière: en plongée dans les attentes - à la table du café - les paroles contenues - disent le dehors des femmes - talons fins robes noires; Kristina Ehin (Estonie): Dans tout le jardin - la chanson de mes jambes blanches - L'âme est comme ces toiles d'araignée - dans tous les sens - tendue - entre deux pommiers doucins; Lydia Padellec: L'oiseau bat les cartes - du silence et des mots - trouveras-tu la clé - de ton poème. En plus, les sculptures de Virginia Tentindo, etc. Nombreuses lectures critiques. 280 pages !"

Christian Degoutte (in revue Verso n°156, mars 2014).



2013 – À propos du numéro 36

"À chacun de ses numéros, la belle et forte revue de poésie Les Hommes sans Epaules s’affirme de plus en plus comme un espace incontournable au cœur du monde des poésies françaises – et d’ailleurs. Car les HSE, ainsi que Recours au Poème, n’est pas de ces revues enfermées dans un quelconque hexagone. Ce n’est d’ailleurs pas la seule parenté entre les deux lieux. C’est ainsi que l’on retrouvera dans ce dernier opus des HSE des poètes et contributeurs que l’on se plaît à lire ou écouter dans Recours au Poème, et réciproquement : Jean-Pierre Lemaire, Guy Allix, Kristina Ehin, Lydia Padellec, Jean Kaplinski, Christophe Dauphin, Jean-Pierre Védrines… Ce dernier consacrant, pour l’anecdote, une belle note de lecture au Silence des pierres, premier recueil de notre rédacteur en chef, dont il dit ceci : « ses mots ont une puissance alchimique certaine et son monde coule au travers du poème avec, ici et là, le, brisé, le bris, le déchirement de la voix ». Une lecture avec laquelle je suis entièrement en accord, ayant lu ce recueil avec bonheur lors de mon dernier séjour à Alexandrie. Védrines est un poète fin lecteur.

C’est donc à un sommaire de toute première ampleur et importance que les HSE nous convient, sommaire centré sur la figure de Thérèse Plantier, poète que nous aimons ici et au sujet de laquelle nous avons publié un beau texte de Christophe Dauphin. Affinités électives sans aucun doute. Ce dossier mené par Marie-Christine Brière et Christophe Dauphin, intitulé « Une violente volonté de vertige », s’étend sur près de 80 pages et c’est bien plus qu’un hommage, une somme nécessaire en même temps qu’une remise en lumière. Ce sera aussi et surtout l’occasion de lire la poésie de Thérèse Plantier, atelier que l’on retrouvera ici

Et ici, sous la plume de Christophe Dauphin.

Une démarche et des travaux qu’il faut saluer tant la marque de la fraternité poétique est inscrite dans la pratique concrète des HSE.

Cet opus 36 propose bien d’autres très belles choses. Les poèmes de Kristina Ehin, Lydia Padellec, Michel Voiturier ou Jean Kaplinski par exemple. On lira aussi la « poésie de l’extrême » de Georges Bataille ou les mots de Dauphin sur la récente réédition des poèmes de Tudor Arghezi, au sujet duquel nous renvoyons à cet autre texte.

À tout cela s’ajoutent des dossiers, notes de lecture et poèmes des animateurs de la revue. Du fort beau travail."

Shasheen Sauneree (Revue des revues in Recours au poème, 24 octobre 2013).

"Une grosse partie du n° est consacrée à Thérèse Plantier (1911-1990). Dossier mis en place par Christophe Dauphin et Marie-Christine Brière. Thérèse Plantier fut avant tout une forte personnalité, c’est rien de le dire et je renvoie aux divers témoignages recueillis. Ce fut une poète baroque et frondeuse. Une féministe révoltée. Elle fréquenta entre autres Simone de Beauvoir, Violette Leduc et André Breton. Elle avait un tempérament de feu. Elle s’est mariée quatre fois. Marie-Christine Brière parle de « véhémence humoristique », Christophe Dauphin évoque une femme de silence et de méditation, aussi bien que de bruit et de fureur. …la comète qui annonce mon retour / brillante comme au fond d’un puits un seau d’étoiles… Sa grande liberté, on la retrouve surtout dans son écriture où son surréalisme est travaillé dans un style conscient, lucide et bouillonnant. C’est cette même liberté qui lui a coûté certainement de n’être pas appréciée à la place qu’elle mérite aujourd’hui. Et c’est à l’honneur des HSE de lui restituer son éclat. Pour sa mère : Autour de la tombe / glapissent les renards de l’aube / tu te tiens aux quatre coins / du marbre où je t’écris. Dossier de 80 pages sur un ensemble de 286 ! Il y a de quoi découvrir encore dans cette forte livraison, comme à l’habitude.

Jacques Morin ("En Vrac" in Déchargelarevue;com, décembre 2013).

"Dans un sommaire très riche, le dossier de ce numéro 36 est consacré à Thérèse Plantier, qui participa au mouvement surréaliste à partir de 1964. Elle s’éloigna du groupe tout en restant fidèle à André Breton à qui elle portait une grande admiration.

Christophe Dauphin nous la présente ainsi :

« Thérèse Plantier, volcan, maelström, feu de brousse ? Aucun lieu qui se laisse facilement appréhender, tous fusent, dialoguent, explosent, toujours coupée la branche où vous tentez de vous accrocher, avec Thérèse vous n’aurez jamais aucune sécurité car : « Poète est la femme qui perd l’équilibre à la moindre mouche – à la moindre poussée. » Originale et chaotique, cette œuvre est l’une des plus fortes de la poésie contemporaine. Thérèse Plantier ? Une grande voix de Femme : « À en vomir je me grignotais – je mâchais ma mère l’angoisse. » Elle nous lance des mots pour une recréation, « des mots si mortels qu’en naît le neuf langage – à réapprendre aux enfants à brasser pour qu’ils battent à nos tempes si fort qu’on se croie fou. » Ce langage, qui n’est plus celui de l’asservissement de la femme, mais de la libération («le temps n’est plus aux femmes qui se plaignent»), du fémonisme, Plantier le nomme le Survrai, dont Alain Bosquet nous dit : « Au milieu des intellectualismes exsangues et des cheveux coupés en seize, Thérèse Plantier est à peu près la seule, aujourd’hui, à mordre dans la vie et à se bagarrer avec la mort. Sa poésie est une affaire de règlement de compte avec elle-même, sa peau, son squelette et son regard intérieur. »

Amour, liberté et intransigeance. Cette femme d’exception est une athlète des mots. La sueur lui sert d’encre et sa queste est héroïque au sens le plus initiatique qui soit. Se libérer de ses chaînes et des illusions de la libération."

« A en vomir je me grignotais

je mâchais ma mère l’angoisse

je me détournais fatalement du devoir

j’avais recours à l’écriture

chaque fois la nuit

tirait le verrou

allumait le voyant

le judas sanglotait

transpercé jamais cicatrisé

je m’entrouvrais le ventre

au cépuscule

sans un pleur sans un commentaire. »

(Extrait de Poèmes choisis).

Rémi Boyer (in incoherism.wordpress.com, décembre 2013).

"Comment rendre compte d’une revue de presque 300 pages quand on n’en partage pas l’orientation et qu’on ne connaît que peu ou pas du tout les poètes présentés dans ses pages ? Parler du plaisir de la découverte serait une échappatoire voire une tartufferie. Cette revue exige des lecteurs attentifs prêts à suivre les circonvolutions des poèmes, prêts à suivre les raisonnements politiques ou ésotériques des articles.

Christophe Dauphin situe Les Hommes sans Epaules  dans une lignée partant du surréalisme, version magico-trotskyste, pour faire vite… Mais il ne suffit pas de délivrer un certificat d’anti-stalinisme à un poète pour qu’il devienne miraculeusement génial ! À condamner le goulag stalinien (ou post-stalinien), certains en sont venus à oublier les bagnes tsaristes (c’est ainsi qu’en Pologne, des politiciens au pouvoir condamnent les anciens des Brigades internationales…). Mais je m’éloigne des Hommes sans épaules. De même le « quatrième règne » caractérisé par « un Principe-vital, l’Homme universel, qui existait avant même la naissance de l’humanité et qui, si celle-ci venait à être anéantie, serait capable d’en reformer une autre spontanément » m’apparaît comme une billevesée idéaliste. Non que je sois un scientiste borné ou un positiviste fanatique…, je suis même sensible à une certaine mystique de la matière et je me considère comme un mystique sans dieu… Mais je me refuse à voir dans les mots cette survivance du signe à la chose signifiée qu’on trouve proclamée chez les épigones d’un certain surréalisme, même si je (re)lis toujours avec plaisir André Breton.

Ceci étant dit, j’ai trouvé dans cette livraison des Hommes sans épaules, du grain à moudre. Tout d’abord, le copieux dossier (80 pages d’études et de poèmes) consacré à Thérèse Plantier qui est d’un grand intérêt. Une Thérèse Plantier qu’il ne faut pas confondre avec Colette Plantier qui anima dans les années 70-80 Thélème  et dont Pierre Chabert dira que « [ses] visites à la communauté créée par Colette Plantier [le plongeaient] à la fois dans la béatitude et l’hilarité »  (lettre à Michel Boujut). Au-delà du comportement et de la jalousie de Thérèse Plantier qui ne sont qu’anecdotes, je retiens son fémonisme, mot-valise forgé sur féminisme et monisme (on aime certains isme aux HsÉ : émotivisme, surréalisme et fémonisme, entre autres…). Ce concept mériterait à lui seul un long développement dans la mesure où le monisme chez Spinoza renvoie à une absence d’opposition entre l’esprit et la matière qui ont pour origine un principe commun, Thérèse Plantier élabore une nouvelle approche du féminisme qui n’est pas sans faire penser à Russel pour qui l’apparition de la vie est une singularité non reproductible. Perspectives inouïes ouvertes par ce fémonisme…

Ensuite la longue place (une trentaine de pages) laissée aux notes de lecture dues à une dizaine de contributeurs qui abordent librement la production poétique du moment dans sa diversité : le lecteur y trouvera toujours quelque chose qui entraîne son adhésion ! J’ai particulièrement aimé l’article que César Birène a écrit à propos du dernier recueil de poèmes de Michel Houellebecq qui n’est plus que le chef de file de la littérature de gare… Un régal, un morceau d’anthologie d’intelligence et d’insolence ! Ainsi que l’article de Christophe Dauphin sur le Superman est arabe de Joumana Haddad…

On le voit, on a là une revue qui mérite d’être lue pour la place qu’elle occupe dans le paysage poétique du moment, à la condition d’en lire d’autres pour avoir une vision complète de la poésie telle qu’elle s’écrit aujourd’hui. Un reproche pour terminer : j’aurais aimé, pour mon confort de lecture, que le caractère italique soit systématiquement employé pour retranscrire les propos rapportés (citations, extraits de livres, d’articles ou autres…)"

Lucien Wasselin (in revue-texture.fr, vendredi 28 février 2014)

"Le n°36 des HSE fait la part belle aux femmes avec un dossier (80 p., de Christophe Dauphin et Marie-Christine Brière) consacré à Thérèse Plantier (je meurs sans avoir abdiqué): elle aura mené une vie de feu, pleine d'amour, d'amants, de désamours, de drames, de colères... Elle aura été l'amie de Simone de Beauvoir, de Violette Leduc. Elle aura écrit des poèmes d'un lyrisme âpre, d'une ironie mordante: viens mon sel ma farine - viens rincer la salade : et par ce geste t'égaler aux dieux - on va tâter de menues besognes des lessives des éclipses - des comètes des tempêtes - de la pipamonsieur - mets ta blouse transparente - nous pourrons même écrire avec - en guise d'encre - du café fort. Dans ce même numéro, Marie-Christine Brière: en plongée dans les attentes - à la table du café - les paroles contenues - disent le dehors des femmes - talons fins robes noires; Kristina Ehin (Estonie): Dans tout le jardin - la chanson de mes jambes blanches - L'âme est comme ces toiles d'araignée - dans tous les sens - tendue - entre deux pommiers doucins; Lydia Padellec: L'oiseau bat les cartes - du silence et des mots - trouveras-tu la clé - de ton poème. En plus, les sculptures de Virginia Tentindo, etc. Nombreuses lectures critiques. 280 pages !"

Christian Degoutte (in revue Verso n°156, mars 2014).




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