Lucia SANCHEZ SAORNIL

Lucia SANCHEZ SAORNIL



D’origine très modeste, contrainte d’assumer la charge de sa famille à l’âge de treize ans (décès de la mère et du frère), Lucía Sánchez Saornil (Madrid, 1895 – Valence, 1970) étudie au Collège des orphelins de Madrid, puis à la Real Academia de Bellas Artes de San Fernando. Elle publie son premier article en 1913 à l’âge de dix-huit ans (cf. Hablan las muchachas in La Correspondencia de España) où elle prône déjà l’émancipation des femmes à travers l’éducation. L’année suivante, elle publie son premier poème « Nieve », dans la revue Avante.

En 1916, elle devient standardiste à la compagnie de téléphonie espagnole d’où elle est licenciée en 1931 en raison de son engagement syndical au sein de la Confédération nationale du travail, la CNT anarchiste. En 1918, Lucía Sánchez Saornil s’éloigne du modernisme et publie ses premiers vers ultraïstes dans la revue Los Quijotes, à l’époque où elle rencontre le poète chilien Vicente Huidobro. Elle est la seule femme du groupe et signe sous le pseudonyme masculin de Luciano de San Saor.

L’ultraïsme est le premier mouvement d’avant-garde espagnol (Guillermo de Torre, Xavier Bóveda, César A. Comet, Pedro Garfias, F. Iglesias Caballero, J. de Aroca), qui s’inspire du créationnisme de Huidobro. L'ultraïsme se situe au confluent de mouvements d’avant-garde tels que futurisme, cubisme et dadaïsme. Le Manifiesto vertical ultraista (1920) se propose de passer outre (ultra) ces écoles. Être « une rafale d’air pur pénétrant dans une chambre somnolente », tel est son projet. Le « poème pur » qu’il veut créer rejette l’anecdote, l’effusion sentimentale, la structure logique ou formelle.

En 1933, Lucía Sánchez Saornil fonde avec Mercedes Comaposada et Amparo Poch la section féminine de la CNT, Mujeres libres, dont elle est la secrétaire générale et qui compte plus de 20.000 membres à son apogée. Lucía Sánchez Saornil écrit (cf. La « Femme » dans la guerre et dans la révolution in Mujeres Libres, 1936 : « Depuis notre plus jeune âge, nous souffrions en regardant les visages, prématurément vieillis des femmes de notre peuple. La rébellion naissante, mais profondément justifiée, nous poussait à rechercher la cause de ces rides profondes qui marquaient les fronts mais bien souvent les joues. Déjà, nous séparions les femmes en classes sociales, nonobstant, nous découvrions, sauf en de rares exceptions, une condition commune à toutes l’ignorance et l’esclavage. L’ignorance se couvrait dans les classes privilégiées d’un vernis de connaissances superflues. On y dissimulait l’esclavage sous un sourire de condescendance ou une révérence galante. Parfois, cet esclavage-là nous paraissait plus triste, il n’attaquait pas directement la chair mais étouffait l’esprit dans de fausses louanges. C’est ainsi que nous nous prîmes à rêver d’émancipation féminine. Nous avons connu diverses organisations nées autour de ce rêve. Les unes ont prétendu établir une compétition stupide quant à l’attribution des capacités intellectuelles ou physiques entre les deux sexes. D’autres, s’accrochant au sens traditionnel de la féminité, prétendaient que l’émancipation féminine se trouvait dans le renforcement de ce sens traditionnel et centrait toute la vie et tout le droit de la femme autour de la maternité, élevant cette fonction animale jusqu’à des sommets de sublimation incompréhensibles. Aucune ne nous satisfit. La plus en avance visait le droit politique, suivant à dessein le mauvais chemin qui mérite bien de s’appeler masculin, En suivant ces sentiers rebattus, on prétendait enfermer la femme dans les mêmes cases qui emprisonnaient les hommes depuis des siècles. En prônant leur émancipation, elles ne trouvaient pas d’autre chemin que celui de l’esclavage avec des conceptions identiques à celles qui avaient creusé, depuis des siècles, le sillon de l’esclavage masculin et donc, de l’esclavage de l’humanité tout entière. Nous avons décidé d’ouvrir de nouvelles voies conformes au droit immanent à tout individu. Rompre avec tous les traditionalismes, exalter les valeurs propres à la femme, cultiver ce qui, dans l’esprit et le tempérament, la différencie de l’autre sexe, extraire d’elle cette individualité très particulière destinée à être le complément nécessaire pour l’édification du monde futur… Nous avons regroupé les femmes selon trois critères : leurs connaissances, leurs aptitudes ou leur vocation, le premier critère étant souvent absent. Elles forment des sections en relation avec les activités sociales liées à la guerre ou plus nécessaires pour le déroulement normal de la vie à l’arrière, comme : les Transports, la Santé, la Métallurgie, le Commerce et les Bureaux, l’Habillement, les Services Publics et la Brigade mobile… Nous avons créé ces groupes avec l’approbation directe de la CNT, en qui nous avons trouvé, à la Fédération Locale de Madrid, un appui ferme et efficace… Pour faire partie de nos sections il faut être bénévole et solidaire de la cause antifasciste. Nous ne cacherons pas, qu’au début, nous avons dû nous défendre péniblement des interprétations tordues que les uns ou les autres donnaient de notre labeur. D’aucuns soutenaient que nous voulions créer un organisme syndical féminin pour établir des revendications échevelées, d’autres confondaient notre Groupe avec une simple Agence pour l’Emploi chargée de résoudre exclusivement les problèmes économiques des femmes… Rien ne nous a fait hésiter, rien ne nous a fait dévier de nos objectifs. Parfois, nous butions contre la résistance passive de secteurs, comme les Trams et le Métro. Peu importe, nous insistions. Rien ne fera diminuer notre détermination… »

En 1936 éclate la guerre civile. Lucía Sánchez Saornil prend part à la lutte, par le verbe, la plume et le fusil, dans les rangs anarchistes et combat lors de l’assaut du Cuartel de la Montaña. Son poème « Madrid, Madrid, mi Madrid », diffusé sur Radio Madrid est repris par les combattants lors des combats contre les phalangistes. En 1937, elle publie son premier et unique livre de poèmes, Romancero de mujeres libres. La même année, elle s’installe à Valence, devient rédactrice en chef de la revue hebdomadaire Umbral et secrétaire générale de la section espagnole de Solidarité internationale antifasciste. Avec la compagne de sa vie América Barroso, rencontrée deux ans plus tôt, elle s’exile en France en 1939, à l’âge de quarante-quatre ans. Lucía et América rentrent clandestinement en Espagne en 1942 pour échapper à la Gestapo et à la Milice déportation.

En 1944, elles s’installent à Valence, où Lucía, amnistiée en 1954, vit comme artiste peintre. Elle publie son dernier poème « Quiero en mi ley cumplirme » en 1955 dans la revue Estrofa.

Elle meurt d’un cancer du sein à Valence en 1970, à l’âge de soixante-quinze ans. « Mais... est-il vrai que l’espoir est mort ? » lit-on sur la stèle de la poète anarchiste de Mujeres Libres.

Christophe DAUPHIN

(Revue Les Hommes sans Epaules).



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : J.- V. FOIX & le surréalisme catalan n° 60