Jacques KOBER

Jacques KOBER



Né à Chartres en 1921 dans une famille alsacienne d'Obernai, passée en France, en 1914, et qui s’installe en Provence, en 1932, Jacques Kober, étudiant en licence de lettres à Aix, découvre La Petite anthologie du surréalisme de Georges Hugnet, dont la lecture décisive l'oriente vers le surréalisme. En 1944, il fait la rencontre d’Aimé Maeght.  Ce dernier est en passe de devenir un marchand d’art intuitif, avec un regard ouvert sur les nouveaux horizons de la peinture. Kober devient son bras droit et assure la création de Pierre à feu, une suite de luxueux cahiers bibliophiliques. Sur un thème choisi, un peintre illustre les textes inédits d’un écrivain. Dans la foulée, il rencontre Paul Éluard, qui le publie dans le deuxième numéro de son Éternelle revue. Sa fonction chez Maeght fait de lui un témoin privilégié.

A cette époque, Jacques Kober fréquente Gaston Bachelard, mais aussi les peintres Atlan, les deux frères van Velde ou Fernand Léger. C’est sur les recommandations d’Aragon, qu'il devient secrétaire de rédaction de l’hebdo littéraire Les Etoiles, en 1945, avec Georges Sadoul et Pierre Emmanuel. Au mois d’octobre de la même année, Maeght ouvre une galerie à Paris, rue de Téhéran. La première manifestation est une exposition de dessins consacrée à Henri Matisse. Jusqu’en 1949, Kober sera à l’origine de l’édition de huit livres d’art et d’une douzaine d’expositions, notamment celle des « Mains éblouies ». Il sera également responsable du périodique maison, Derrière le miroir (qui perdurera jusqu’à la mort d’Aimé Maeght, sur 250 numéros). Selon Jacques Kober, le but de la peinture est « d’entrevoir derrière un art fait de reflets, la lumière que cherche le peintre et qui est une transparence en marche ». C’est en se remémorant cette époque que Jacques Kober publiera en 1996 son livre Les Mains éblouies, qui reprend ses écrits sur l’art moderne au tournant du demi-siècle (1945-1950). Il a à peine vingt ans, lorsqu’il visite Matisse, qui lui confie : « Je voudrais dessiner comme tout le monde, car au fond je suis normal, cela m’agace de faire une table verte ou rouge, de laisser des fioritures que je ne comprends pas, eh bien non, c’est plus fort que moi ». Il rencontrera Bonnard, peintre qu’il affectionne tout particulièrement, allant jusqu’à le considérer comme « l’immense peintre du XXe siècle, par son franciscanisme et par l’eau lavant les yeux », mais aussi Georges Braque, André Marchand, Geer et Bram van Velde, Gilbert Rigaud, Jacques Lipchitz, Jacques Hérold, Rezvani, Fernand Léger, Jean Villeri, Lucien Coutaud, Joan Miro, etc. 

Jacques Kober publie sa première plaquette : Le Bal public, en 1945. Son premier véritable recueil de poèmes, Le Vent des épines, paraît chez Maeght en 1947, avec trois illustrations de Bonnard, Matisse et Braque : Des cailloux noirs s’étonnent de mûrir - de miroiter dans le vin - et devenir ton haleine - raisin sans fin - je te reproche d’être trop belle - de mûrir pour la soif du vent. Ses images surprennent par leur force à part et aussi déjà par leur sensualité. « Je vis la poésie comme un dialogue avec le sang, avec mon groupe sanguin… Je n’écris pas pour écrire mais pour ce qui importe, c’est à dire recevoir le frottement des jours, « j’invente écrire » de même que le cours de ma vie « invente » mars après avoir inventé février. Ecrire ne montre que des bribes. Bien avant leur sens les mots se frottent à moi par leur flanc, à deux doigts d’être hors de portée. J’écris le plus souvent par bouts de papier, raboutés, pliés en quatre ou écorchés du bic en travers. Dos de réclame, versos de tickets de stationnement... », rapportera Kober plus tard.

Sous la direction d’Aimé Maeght, Jacques Kober participe à l’organisation de l’Exposition internationale du surréalisme, qui se tient à la galerie Maeght, en 1947. Il rencontre André Breton et se rapproche du surréalisme. Kober adhère au Parti communiste et au Centre national des écrivains, en 1948. Il participe à la revue de Christian Dotremont, Les deux sœurs (1947), ainsi qu’à l’unique numéro de Le surréalisme révolutionnaire (1948), une tendance stalinienne (radicalement opposée à André Breton), que Kober finit par désavouer.

Son recueil phare paraît en 1948 : Jasmin tu es matelot. Il quitte la maison Maeght la même année et entreprend, avec le peintre Signovert et Pierre Golendorf, la création des éditions Réclame Paris. En moins de deux ans (durée totale de cette expérience), Kober et ses amis éditent Paul Éluard, Eugène Guillevic, Saint-Just et en 1950 le fameux brûlot d'Aimé Césaire : Discours sur le colonialisme. Kober met un terme à cette activité et entre dans l’Éducation Nationale comme professeur de Lettres, en 1951.

Au printemps 1956, il démissionne du PCF (« Examinant le cauteleux Aragon et même l’ultime Eluard tendant le nœud coulant du NKVD aux surréalistes tchèques, j’ai quitté sans regrets cette incursion dans la société »), plonge dans un long silence littéraire qui durera vingt-deux ans et rejoint l’arrière niçois.

En 1975, il effectue un voyage coup de foudre et décisif en Inde. Ce voyage jettera les bases d’une passion (« C’est l’endroit, à ma connaissance, où tout l’espace terrestre est occupé par le lyrisme de l’âme… L’Inde ne s’approche pas selon une érudition, mais par la transe ») et de plusieurs écrits à venir, dont : 

Divination d’une barque (1977) : La mer c’est une sorte de feu dans une haleine, - la mer montante déroule pour les noyés son bas-de-laine - puis se retourne dans l’auge des grandes larmes de Bombay - qui s’enroulaient comme des trilobites beiges d’avoir la vue si basse sur l’âme, - presque la vue d’un râclement de cornée.

Feuillets et lignes drainées du livre Himalaya (1980) : C’est un pays immense comme une larme du Gange, - une feuille flottante qui fait fondre l’arbre de vie et de mort dans ses eaux, - ou une bougie, comme un tronçon vivant de la lumière d’amour.

Le Vide du ciel (1985), trois récits de la vie en Inde : … on distinguait le dépassement noir des rémiges de chaque côté du mouvement plané, haillon cruel de dévorer d’un coup toute la beauté mais qui occupe encore dans ma tête une place révolutionnaire, une telle disproportion dans le ciel neutre qu’elle accélère le cœur.

Changer d’éternité (Rafael de Surtis, 2000), récit initiatique : « Je me revis jeté par l’avion en grande banlieue de Bombay alors qu’un nuage dragonnant et du pire ardoise vient d’essuyer son front diluvien de mousson moite, oui débarqué dans une buée de limbes, sous une sueur moulinée au curry et au curcuma, sur une terre pustulente de musc. »

Avec la Provence, l’Inde et l’Irlande, l’Italie est la quatrième patrie de Jacques Kober : «  La soupape de la campagne et de la lagune fonctionne toujours et permet d’appuyer da sa sobriété le « métier de vivre » (Pavese)… Il faut avoir vu les crabes d’eau douce se cacher dans les ruisseaux de Toscane… S’éblouir sur les talus à l’éclaboussement tremblant et en faïence irisée blanche et bleue des fleurs de câprier ; avoir vu Gaëtano le pauvre pêcheur, surgissant le matin des coulisses de la mer. » L'Italie lui inspirera trois livres : La Disparition Fellini (1996), Boccata d’ossigeno (1999) et L’eau de Venise aux clapots d’alchimie ( 2002) : "Ici parle une Venise hivernale où l’eau vert-de-gris, prise et reprise sur le fait d’un gris labial, d’une oralité de gloire, de ce halo de vivaces salives, garde mémoire de Cagliostro… C’est la ville  transréelle dont le maire n’est autre que le génie du bronze qui danse ou patine de l’escarpin. "

En 1977, Jacques Kober fait la rencontre du poète et éditeur Jean Breton, qui publie son recueil, Divination d'une barque, lequel marque son retour à la poésie. Par Jean Breton, il entre en relation avec  Guy Chambelland, qui va publier ses trois recueils suivants (qui comptent parmi ses meilleurs), respectivement illustrés par André Marchand, Geer van Velde, et Paul Franck :

Fenêtre vous êtes entrée (1982) : la mer est une épine dans le gris mouillé de pluie des galets. - La houle parfois se gonfle d’un dromadaire sans désert - et l’on voudrait tendre une main au piétinement sans appel des yeux verts.

Un Puits nommé plongeon (1984) : Mon baiser jetait les bras au cou de ton baiser d’apparition - pour lui réserver naïvement deux coins-fenêtre - alors que déjà le ciel se penche sur nous à hauteur du cèdre.

Volatil embonpoint de la mer (1988) : Tu n’es pas là au hasard de la rencontre d’une essence dans le bois - mais de tout le bois, jusqu’à son petit doigt d’oiseau, - ne vois-tu pas que la vogue de ton corps concerne les voiles - et que, par ton soupçon de ventre et ton bec le jour de la gare de Lyon, - ta configuration d’yeux bleus - tu es comme le sable qui déborde légèrement l’ouest.

Au début des années 90, Jacques Kober se rapproche de Paul Sanda et des éditions Rafael de Surtis, qui vont, jusqu'en 2003, publier le principal de sa production, depuis la trilogie éditée par Chambelland, soit : La disparition Fellini (1997), Changer d’éternité (2000) et Connemara Black (2003), sans oublier la réédition de 1998 de Jasmin tu es matelot : L’écorce cassant ses reins sur l’escalier, le crayon roule le sable, la rue se colore d’un embarcadère, une femme se chiffonne dans sa robe et je raconte ses doigts de couteaux. Je crie parce que mon hôpital est dans ma gorge… Par la suite, Jacques Kober ne retrouvera pas cette veine et ne publiera que des livres à tirage limité.

Jacques Kober, qui disait "vivre comme on regarderait par-dessus l’épaule d’une déesse distraite"; je l'avais rencontré en 1992, par Yves Martin. Il nous parlait de surréalisme, de peinture, de voyages et de la mer, dont il fut l'un des poètes, écrivant : Il faut la regarder en face pour voir le va-et-vient de sa chair migratrice… chaque vague est un insecte devenu pierre… une promesse de soif éternelle… elle s’élève comme une lourde fumée d’eucalyptus-sous les grands paravents oranges qui l’empêchent de noircir… la mer dont un seul coup d’épaule néglige toute une journée… ainsi l’amour c’est la mer qui obéit à de l’éternité neuve, où je suis avec mon double coiffée en torticolis de chimères sernsuelles, en clafoutis de varechs farci de nacre, cotoyant un mode de vivre avec Lillou doux et amer comme le démodé de la disparition des libellules. Jacques Kober, fut qualifié de "baroque" ou de "précieux", ce à quoi il répondait : " Certes, j’emploie des mots qui me touchent peau contre peau dans une imbition de la magie de la langue mais qui parfois peuvent « jurer » dans une époque assez inculte. En réalité, ils parlent tout droit la langue du quartier du Sentier parisien, comme la parlait un peuple saisi de malice, de scepticisme, de dru et de verdeur, et où habitaient ma mère et mes grands-parents et arrière-grands-parents maternels, depuis environ 1840. "

Jacques Kober est décédé à Nice le lundi 19 janvier 2015.

Christophe DAUPHIN

(Revue Les Hommes sans Epaules).


À lire : Photo de classe de Maternelle (édition arte-libris peycervier, 2009), Le purgatoire des étoiles (Musée d’Art Moderne et contemporain de Cordes-sur-Ciel, 2008), L’inusable des lèvres (Maeght éditeur, 2007), Jean-Marie Fage, monographie (éd. Fage, 2007), Impressions du Hoggar (Musée d'art contemporain de Cordes sur Ciel, 2007), Un temps fustigé par la mer, bilingue français/italien, (Maeght éditeur, 2006), L'aubier de la rose, Matisse du mot au dessin, (éditions RMN, 2004), Connemara Black (Rafael de Surtis, 2003), Recettes vénitiennes (Maeght éditeur, 2002),  L’eau de Venise aux clapots d’alchimie (éd. Matarasso, 2002), Changer d’éternité (Rafael de Surtis, 2000), Boccata d’ossigeno (Nu(e), 1999), La disparition Fellini (Rafael de Surtis, 1997), Les Mains éblouies, écrits sur l'art moderne, (éd. Gilletta, 1996), Un timon pour la lune (éd. Matarasso, 1995), Un hublot sur la terre (éd. du Fassum, 1995), Un bonheur de Toucan (éd. Matarasso, 1994), Un Pigment d’horizon, anthologie, (La Bartavelle, 1993), Rue de Turbigo (La Balance, 1992), Laigueglia (éd. de l’Amandier, 1990), Pour fuir les prothèses de l'envol (La Balance, 1989), Bram Van Velde et ses loups, monographie, (La Bartavelle, 1989), Volatil embonpoint de la mer (Le Pont sous l’eau, 1988), Le Feu navigué (Maeght éditeur, 1987), Le Vide du ciel, trois récits de la vie en Inde,(Aléatoire, 1985), Un puits nommé plongeon (Le Pont de l’Epée, 1984), Fenêtre, vous êtes entrée (éd. Chambelland, 1982), Feuillets et lignes drainées du livre Himalaya (Poésie d'ici, 1980), Divination d'une barque (éd. Saint-Germain des Prés, 1977), Confiance dans les rues (éd. Seghers, 1951), Coude à coude des fleurs et des ouvriers (éd. Réclame Paris, 1950), Homme avec machine, service mutuel, tract (éd. Réclame, 1949), Jasmin tu es matelot (La Moitié Sud, 1948. Réédition Rafael de Surtis, 1998), Nourri blanchi, avec Tibor Tardos (La Moitié Sud, 1948), Le Vent des épines (Maeght éditeur, 1947), Le Bal public (R et R Piault éditions, 1945).

A consulter: Jacques Kober, contre toute attente, par Jean-Paul Gavard-Perret (Le Cri d'os n°27, 1999), Jacques Kober, Poète de la Méditerranée sans nom, dossier coordonné par Pierre Schroven (Remue-méninges n°25, 2001), Kober entre aubaine et timidité, dossier coordonné par Pierre Schroven (L'Arbre à paroles n°124, 2004), Jacques Kober, le créole des dieux, dossier coordonné par Jean-Michel Robert (Décharge n°130, 2006), Christophe Dauphin, Les Riverains du feu, une anthologie émotiviste de la poésie francophone (Le Nouvel Athanor, 2009), Christophe Dauphin, Appel aux riverains, Anthologie des Hommes sans Epaules 1953-2013, (Les Hommes sans Epaules éditions, 2013). 

 



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules




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