Alain MORIN

Alain MORIN



En 2005, lorsqu’Alain Morin fut publié comme Porteur de Feu (in Les Hommes sans Épaules n°20), personne n’avait de portrait photo de lui, ni ne connaissait la date de sa mort. Pas même son fidèle et magnifique éditeur Rougerie. Ce n’est qu’après maints courriers et démarches, que je reçus de la Mairie de Paris, une copie de son acte de décès : « Le Lundi quatorze mars mille neuf cent quatre-vingt-quatorze, à trois heures, est décédé à Paris, en son domicile, Alain René Marc Morin, né le 8 mai 1940 à Quimper (Finistère), poète. »

Alain Morin, il n’y avait guère qu’avec Yves Martin, Jean et Alain Breton et Yves Bonnefoy, avec qui je pouvais parler de lui et de son œuvre : De chaque côté de la ligne de feu – Je me déchire en écriture… - Je fonce en moi – Je ferai cracher toutes ses dents au soleil… - Nous arracherons les yeux au silence – Nous piétinerons notre durée. Et pourtant quelle profondeur et quelle grandeur chez lui ! Que de combats et de corps-à-corps avec la vie, avec la mort, avec le langage : L’oiseau sans date chante – Rien n’éclairera sa chute.

Nous connaissons peu de choses sur la vie d’Alain Morin. C’est Yves Martin, qui m’a fait découvrir la création de ce poète foudroyé, injustement oublié et ignoré, tant par la critique de notre temps, que par les revues, les éditeurs et toutes les anthologies de la poésie contemporaine (à l’exception de mes anthologies, Les Riverains du feu et Appel aux riverains). De sa vie, nous savons qu’elle fut une douloureuse et irréversible descente dans les abîmes. Alliée à un mal de vivre viscéral, la maladie dévora le poète de l’intérieur. De nombreux internements en hôpitaux psychiatriques en témoignent. Son recueil Le Purgatoire (écrit à la suite de son internement à l’hôpital psychiatrique de Perray-Vaucluse, en 1983), est en cela édifiant. : « Ces pages que l’on n’oublie pas », me dira Yves Bonnefoy. Dans la préface de son livre, Alain Morin s’adresse à ses compagnons d’infortune : « Je pense à vous comme on pense à l’absence, au contenu de l’absence. Vos os repliés, vous dormez ou vous bondissez dans le dortoir pour supplier la nuit d’intervenir, d’intercéder pour qu’elle cesse d’être la nuit. Vous êtes les ombres des ombres qui sommeillent… Votre Corps-Espace qui est votre seule dignité de demeurer dans la coercition du devenir des murs peut être peints à la chaux de demain. »

Si l’œuvre d’Alain Morin, n’a pas rencontré le public qu’elle méritait, demeurant ignorée (y compris dans sa Bretagne natale) ou confidentielle, elle a, en revanche, été saluée par des poètes, des critiques (et non des moindres), tels que Jean Breton (qui fut aussi son éditeur) : « Le réel se propose à lui comme un théâtre – où il joue des actes, une comédie imaginaire, en interceptant curieusement son moi. Il impose à ce qu’il a observé une transfiguration où l’absurde, le cocasse se déchaînent selon un processus délirant, dont les déclics nous attirent dans une dimension à lui et ouvrent les trappes de la surprise », (in postface au recueil Opaque, 1975) ; Yves Martin : « Morin est le citoyen des secrets, des portes fracturées sans dégâts, des appartements incendiés, ravagés sans traces, des empreintes invisibles… Un lyrique de l’anti-lyrisme en quelque sorte… Il a le coup d’œil, le punch, l’appétit des vrais aventuriers. Solitaire et émerveillé. Solitaire et terrifié, ce qui revient au même », (in préface au recueil Opaque, 1975) ; Edmond Humeau : « L’écriture d’Alain Morin n’ignore pas que toute la lumière dont la poésie joue, à travers les interstices d’un monde aveugle, procède de la reconnaissance des nuits que traversent nos sens », (in préface au recueil Le Boxeur de l’Ombre, 1975) ; ou Yves Bonnefoy (qui préfaça, en 1990, le recueil Pour quel temps inconnu ?, 1990) : « Mais qu’on rassemble en un grand volume les vingt années, à ce jour, de la recherche d’Alain Morin, et on s’apercevra que cette parole qui va sans ornements, qui fulgure au ras de la page blanche, est bien celle dont notre époque pourra se réclamer, quand tomberont, comme d’habitude, les masques, et se dissiperont les mirages. » Alain Morin ce ténébreux au lyrisme grave et coupant, est le poète du visible, de l’invisible, de la nuit, des sens, de l’épaisseur du temps, du langage, de l’existence, du mot coup de sang ; Alain Morin, proie de ses propres démons intérieurs, est le poète d’une descente vertigineuse et introspectrice dans les entrailles de l’être. Les images qu’il en rapporte sont autant de cris poussés à bout portant dans les blessures du monde.

Alain Morin ce ténébreux au lyrisme grave et coupant, est le poète du visible, de l’invisible, de la nuit, des sens, de l’épaisseur du temps, du langage, de l’existence, du mot coup de sang ; Alain Morin, proie de ses propres démons intérieurs, est le poète d’une descente vertigineuse et introspectrice dans les entrailles de l’être. Les images qu’il en rapporte sont autant de cris poussés à bout portant dans les blessures du monde.

Christophe DAUPHIN

(Revue Les Hommes sans Épaules).

 

À lire : L’Écriture lumière (Formes et Langages, 1971), Les Grands Froids (éd. Saint-Germain-des-Prés, 1971), La Source (Formes et Langages, 1973), Le Boxeur de l’Ombre (Henry Fagne, 1975), Opaque (éd. Saint-Germain-des-Prés, 1975), Hippy Story (Denis Clair, 1980), Solitude d’été (André de Rache, 1980), Le Mouvant de la parole (Rougerie, 1983), Le Purgatoire (Rougerie, 1984), Au plus léger (Rougerie, 1987), Pour quel temps inconnu ? (Rougerie, 1990), Malgré le bruit (Rougerie), Nul oubli (Rougerie, 1994).



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules




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