Tri par titre
|
Tri par auteur
|
Tri par date
|
Page : <1 2 3 4 5 6 7 8 9 ... 12 13 >
|
|
|
Lectures critiques :
Déesse facile par la rose et la ruse
Surgie fendue d’entre les songes
entre tes seins et moi tous les pilleurs d’épaves
C’est toi la femme qu’un nécromant sortit
de sa cornue
durant l’émeute des oiseaux
J’appréciai sur ma peau tes couchers de soleil
Je n’ai aimé que toi puis j’ai brûlé les draps
Chaque recueil de poèmes d’Alain Breton étonne et détonne sans effacer un sentiment intime de familiarité. L’explosion des mots, non sans sagesse, révèle des alliances insoupçonnées.
Donc j’ai fait civilisation
j’ai fait beauté au seul défaut de l’herbe
j’ai fait rêves pour enrayer la pourriture
j’ai fait splendeur et bassesse
j’ai fait soleil mystérieux de ma face
j’ai fait éternité de mon absence
mais je n’ai pas trahi
Tout peut être dit suggère Alain Breton. Encore faut-il connaître la symphonie des mots pour en faire une fête salvatrice, non qu’il y ait quoi que ce soit à sauver de personnel mais la beauté, la liberté, l’amour… des puissances sans doute éternelles en soi, indépendantes de ce qu’en font les êtres humains avec leur expression sans cesse contestée.
En libérant les mots et les sons du carcan des préjugés et conditionnements, c’est l’espace même de l’être qui se désencombre. De nouveaux mondes apparaissent. Ils sont internes, externes, ni l’un ni l’autre. Le défi ultime, celui qui nous réintègre à notre propre nature, appelle la restauration d’un rapport secret au son, au mot, à la langue pour abolir les temps ou jouer avec, suspendre les causalités trop linéaires, choisir les tourbillons qui en leur centre préservent un lieu exquis.
Pendant qu’allaient et venaient
les Bönpos du mont Kailash
j’ai laissé quelques transes
chez les poneys des steppes
négligé des saillies pour la part du Diable
Compagnon des corsaires
j’ai capturé des îles fraîches
pleines de nèfles et d’oiseaux
chanté sous des nuages splendides
près des cercles respirants d’Asger Jo
nagé aussi dans l’eau de Lyre
en piétinant les herbes récitées
et demandé l’hospitalité au lièvre qui court
sans jamais s’arrêter
Beaucoup de poèmes apparemment réussis ne franchissent pas avec succès les lèvres. Dits sur scène, ils tombent lourdement au sol sans atteindre et réveiller les esprits de ceux qui entendent. Lire les textes d’Alain Breton à haute voix, donner vie aux images, permet de pénétrer des états nouveaux où la distinction entre le rêve et la réalité s’estompe.
Poètes je suis venu voir vos boiteries les miennes
les broderies dans vos douleurs
Le saviez-vous
je vis poète je mange poète je lis poète
Jadis j’ai été décoré des ordres
du rire et du sanglot
aussi de la rivière fabuleuse
des cris de plaisir de l’hirondelle
Rémi Boyer (in lettreducrocodile.over-blog.net, février 2024).
*
J’ai cherché des passages, des périodes d’élection pour les citer dans mon texte, mettre en exergue les traits les plus percutants, les plus emblématiques et j’ai trouvé tout le livre. « Je ne rendrai pas le feu ». Il dit vrai, Alain Breton dit vrai, il ne l’a pas rendu ! Il l’a séduit, mûri, étayé, érotisé, soumis aux dents de l’étreinte, aux processions grimpantes et chutant de l’imaginaire et contraint à produire son ultime ou premier aveu : tout est le rêve. Cependant… C’est bien moi pourtant ce portrait des frayeurs.
L’ouvrage s’ouvre sur cette quête, à la fois affirmation et doute persistant de l’auteur sur son identité humaine et poétique. Il s’interroge sur l’instabilité du jour, des petits jours, de la connaissance et du lien amoureux. L’interrogation apporte-t-elle le bonheur, le malheur ? Le lien ténu du regard sur l’amour, auquel on reste suspendu – par la bouche, autrement dit par le baiser et le dire - comme une araignée à son fil, pendule du rien au rien, d’un sursaut, d’une esquisse au peut-être, au sans doute. Comme d’habitude tu ne dors pas / Les heures qui passent exhument la lumière / Écoute la pluie peut-être / quelques gouttes de sa gloire L’insomnie renvoie à une totale solitude.
L’insomnie sans fard ni fioriture, ni arrangement tonal, l’entêtante, la muette accompagnatrice engendre en lui une vierge et souple et durable et repentante mélancolie. Laquelle dépose sa morsure livide, péjorative, dans tout ce qu’elle sonde. Ainsi comme dans le poème de la page 16 : J’ai vu tous les oiseaux lassés par mes chansons / et mes amours abandonnées / puis mes bateaux qui ne partent jamais, que le lecteur le moins éclairé ne peut accueillir que par dénégation, car tout ce qui fait figure de liste d’échecs ici est la substance même, les sacs d’offrande, les sacs poétiques, les muscles, la chair d’or, les égards, les désirs hyperboliques du poète. Tout est là, en excès ! Un sacrifice sublime, initiatique de tous les temps ! Et comment ne pas mentionner comme deux thèmes, deux inspirations liées par transparence, cette phrase tirée de la correspondance de Kafka : « En tout, je n’ai pas fait mes preuves », dans les deux cas comme un acte de mortification, doux et dur, une posture d’inclination devant la révélation, l’ange jaloux et – en dépit des riens, en dépit de tout – annonciateur de l’œuvre créatrice ! Demeure l’enfant de l’insomnie, l’enfant qui sait, qui ressasse ce qu’il sait dans l’indomptable silence intérieur, le passé, sans date, désaffecté et figé. Mon Dieu - renvoyez-nous dans les tétons qui causent - dans la langue du chien - Faites que l’on fâche - faites que l’on morde mais que l’on aime - Donnez-nous les poèmes les plus drus - les vers les plus féroces - les éclats dont mourrait même le feu. Moment d’arrêt où les frayeurs, déjà évoquées, se précisent, se concentrent. Où l’une d’entre elles, peut-être celle qui liait le tout, va révéler son identité : l’indifférence. Absence à l’être, subie ou suscitée ?
Mais là, surtout, dans l’oraison qui s’élève au milieu des vertiges, les deux ne se confondent-elles pas en une ? En nous aussi quelque chose se ralentit, frôle une fin, telle ou telle autre pressentie, se fixe. On éprouve la puissance et l’humilité envoûtante des mots de sa prière. L’insomnie du poète n’était-elle pas un autre visage de l’indifférence ? Nonobstant tous ces contretemps, Alain, rapide, alerte, rebondit sans cesse, dribble pourrait-on dire (Alain est footballeur) devant tous les événements de l’existence réels ou moins réels. Qu’importe, la vie passe aussi par un jeu de jambes habilitées à gérer les passions, l’angoisse, l’adrénaline, le plaisir. J’ai rencontré John Coltrane et Nelson Mandela… J’ai croisé Didon l’effileuse infirmière trans-sexe… J’ai vécu dans un lit qui foisonne… J’ai prié Tatanka Iotake des Unkpapa… J’ai su éviter les tueurs à gages… S’animent, s’électrisent dans le champ textuel toujours en puissance d’émotion, d’inépuisables et orgiaques mutations.
Les rêves d’Alain Breton, sans égard pour leurs nuits blanches, s’assemblent, se fertilisent. Il y en aura pour toutes les obédiences et dramaturgies féminines, pour la lune en déshérence et pour la fin du monde ! Qui pourrait refuser sa part, laisser son butin entre les lignes, quand on joue, quand on ruse et que la mort elle-même est ludique ? Et s’il revêt toutes les panoplies, trophées de rêves et de pays lointains, s’il nous enivre de la prolifération des lieux, c’est parce que ivres nous serons plus enclins à frayer avec lui, maître et gardien invisible, insoumis, du questionnement. On le verra souvent, le poète use de dérision. Mais sa dérision est pleine de sentences et de raisons naturelles et couvre toute la distance entre le ciel et l’abîme. Elle connait et illustre les voyages, pose ses jalons sur l’histoire, la géographie, anticipe les lointains et se lie avec le prochain. Et l’amour est-il sauf de la raillerie ? Tient-il sa place au milieu des monstres et des travestis, des prouesses, des litiges de la magie, des transferts et mutations d’époques et de noms, dans la grande fête foraine de la Poésie ? Sauf ? De toute évidence : oui. Sauf, par-delà les apparences ? De toute évidence : non. Et pas seulement parce que l’amour est mortel, qu’il porte en naissant des germes de mort, et qu’il lui est imparti une certaine durée, un segment de vie, mais parce que l’indifférence des êtres pensants est toujours… reconductible. Je n’ai aimé que toi puis j’ai brûlé les draps Mais ne le cherchez pas où vous l’avez trouvé. Alain est doué d’étranges organes de locomotion qui le mènent d’éclipse en éclipse, de l’agonie à la vie, de prosodies, de fééries en dogmes cataleptiques et de la vie encore à des morts si douces, si nubiles. À ces dernières aussi, Alain Breton, indemne de chants secs et de superstition, prodigue des « je t’aime ». Peut-être que je ne conviendrai pas / à la Grande Calèche / C’est une chose la confiance de la mort / ses engouements soudains / pour les plus jeunes même.
Lueur des pas perdu, la deuxième partie du livre s’ouvre sur un manuel, un manifeste pratique de l’amour du monde réservé aux enfants des prophètes ou des dieux olympiens tant la minute de conciliation, de rapprochement sorcier avec la vérité est d’envergure et où, en quelques lignes, le remord, le scrupule, la matière peccable du sexe et des assauts d’universalité et d’intimité sont renversés. Tu me donneras le jour espiègle. J’ai du temps à perdre, tu m’apprendras à danser. Tu me persécuteras ; tu t’attendriras sur ma façon de tuer. Tout ce qui sera énoncé de plus essentiel désormais fait mystérieusement figure de dérive, use de paradoxes si savants, si supérieurs que le rire comme les larmes nous écorchent, dérangent la structure, l’harmonie et la peau du visage sans jamais rien remettre à sa place.
C‘est de ces visages décalés que nous le lisons. Ici, la décadence du sens, la blessure symptomatique des images illustre la révélation, c’est-à-dire l’instant d’élection du poète, sa désignation, sa proximité avec le verbe. Il n’y a pas de ballotage, de tremblement d’approximation, de foi perdue, indue, d’hésitations chiches ou malencontreuses : Alain Breton est le poète élu ! Son courage est double et triple, maitre et victime de soi et des événements, sa bravoure, sa bravade rieuse se retirent ou s’engouffrent dans la douleur et traversent tous les obstacles, tous les barrages du monde souffrant. « Lueur des pas perdus », des pas qui savent ce qui vit et ce qui meurt, qui redistribuent sans fin l’équilibre sur un fil de peur, sur un fil qui a peur et transmet cette peur comme offrande à celui qui le défie.
C’est cela l’héroïsme du poète, ce mystificateur / mystifié dans un corps de conquête, qui invente infatigablement des armes d’apprêt, d’appoint, dans le danger, l’incohérence, l’incertitude de la magnificence et du magnétisme de l’être. Ô halo de la grandeur - comme chez Phidias le Zeus d’Olympie - régnant sur la dynastie des hamsters anxieux - Ô temps désarticule donc ton rugueux atelier - ta mémoire voleuse d’oublis - Crée une nouvelle chevalerie des minutes - Protège nos égéries- dont la lumière s’allume en marchant - et les chiens des brumes - nos maraudeurs
Odile COHEN-ABBAS (in revue Les Hommes sans Epaules n°58, octobre 2024)
*
En choisissant comme prix 2024 le recueil d’Alain Breton, Je ne rendrai pas le feu, remercions l’Académie Mallarmé de mettre à l’honneur un pan méconnu de la poésie française : un courant qui n’est pas né de la dernière pluie, avec ses poètes « à hauteur d’homme » des années 70, tournés vers le quotidien, la simplicité, usant d’un humour en demi-teinte, et qui compta parmi ses membres des Jean Rousselot, Yves Martin, Claude de Burine et bien sûr, le père d’Alain, Jean Breton. L’apport d’Alain Breton à cette histoire déjà demi-centenaire est d’ajouter à l’humour la dérision, à la simplicité la fantaisie onirique, ainsi qu’une belle tranche de surréalisme et un fumet de mélancolie produit par l’émerveillement du regard.
Relisant ce recueil, j’ai également noté un trait propre à notre poète : le goût de la fraternité. En interpellant tant de poètes à travers leur mise en exergue, c’est tout une génération qui défile dans la lucarne des pages ! Une génération et un lieu : la Librairie-Galerie Racine de Paris. J’y reconnais Paul Farellier, Elodia Turki, Odile Cohen-Abbas, Guy Chambelland, Henri Heurtebise, Sébastien Colmagro, Yves Mazagre, Gabrielle Althen, Christophe Dauphin, Serge Brindeau et tant d’autres.
Parlons maintenant du recueil. Il s’agit d’un album de voyages où le poète nous partage ses expériences et ses rencontres au sein d’un immense présent (une plaine) qui rassemblent des pharaons, des poneys sauvages… et aussi la rue Monge « car je suis seul souvent / comme je descends la rue Monge / comme je parle longuement à la pluie ». Les voyages proviennent des lectures de l’enfance avec leurs Indiens et leurs aventures, ou des rêves apparus en tournant les pages d’un livre d’histoire, ou devant les portulans d’aventuriers perdus, ou encore (j’imagine) après la lecture distraite d’une presse scientifique.
De ces poèmes, il ressort un sentiment de paix espiègle, celle d’avoir chassé les vanités du monde pour privilégier ses paysages intérieurs où les rêves d’enfant trouvent grâce et place. Et vient alors cette conclusion riche d’une fraternelle sagesse : « Ami ne t’inquiète plus / Tout est élucidé / Tout s’excuse ». Cette promesse, de poète, il la tient d’un « Moi / issu de toutes les absences ». Mais concluons en revenant aux Indiens d’Alain Breton.
Voyez comment ils traversent les poèmes un fois « debout sur le cheval », un fois tapis en train d’écouter « le discours des bisons dans les hordes fleuries de myrtilles ». Si vous vous approchez de cette petite tribu, avec prudence cela s’entend, regardez celui qui se tient au milieu, le ni-costaud, ni-malingre, mais avec un sourire qu’on n’oublie pas malgré ses peintures de guerre. Ne trouvez-vous pas qu’il ressemble à…
Pierrick de CHERMONT (in revue Possible, octobre 2024).
*
ALAIN BRETON, POETE VOYANT, PRIX MALLARME 2024
Né en 1956 à Paris, Alain Breton, poète, éditeur, critique littéraire, a reçu le prix Mallarmé 2024, l’une des plus hautes distinctions en matière de poésie en France, le samedi 9 novembre 2024, à Brive, pour son livre de poèmes Je ne rendrai pas le feu, paru aux Éditions des Hommes sans Épaules.
Alain Breton est poète, critique littéraire et éditeur. Après avoir été éditeur à l’enseigne du Milieu du jour de 1989 à 1996, il codirige à Paris, depuis 1996, avec Elodia Turki, les éditions Librairie-Galerie Racine. Critique littéraire, Alain Breton est membre du comité de rédaction, depuis 1997, de la revue Les Hommes sans Épaules, qui est une revue littéraire et poétique française fondée en 1953 par Jean Breton, inspirée par le mouvement surréaliste et dadaïste, elle représente un pan important de la vie poétique et littéraire française, et met souvent en lumière des voix innovantes ou peu conventionnelles.
Poète et découvreur de poètes, Alain Breton est également l’un des animateurs et des poètes principaux de l’« émotivisme », courant poétique contemporain qui prolonge l’action de la « Poésie pour vivre », dont l’acte de naissance fut cosigné en 1964 par Jean Breton et Serge Brindeau. « Or la poésie devrait être avant tout accueil, méditation-lucidité, communication aimantée », a ainsi écrit Alain Breton dans l’Editorial de la revue numéro 1 (deuxième série) des Hommes sans Épaules paru 1991.
Dans son recueil Je ne rendrai pas le feu, le poète, nouveau Prométhée, affirme être l’Homme-Dieu-Monde, accueillant tous les autres poètes mais aussi le monde dans son entier et tous les règnes de la nature, comme toutes les époques et tous les temps dans son poème. L’habitation du monde, oikos, est écosophie prônée par un écrivain qui s’affirme dans le respect de toutes les formes de vie, le poème mettant en lumière sa force d’hospitalité et nous accueillant, comme le fait Edmond Jabès, dans son livre :
Comme l’oiseau
je ne me suis jamais éloigné des étoiles
pour espionner leurs coutumes
ni de la fleur dépeignée par l’abeille
buvant au goulot le soleil
ni du ruisseau assis au bord du ciel
de la Lune dans sa chapelle d’heures
ou de l’orage posé dans la maison d’hôtes
sur la table sacrée
et j’ai vécu près d’un nuage
Le monde, dans son ensemble est un répertoire de choses où tout renvoie à tout, éternellement, sans fin, comme l’oiseau n’oublie jamais que les choses font partie d’un tout. Il s’agit de sentir, le vertige, le tourbillon des choses cosmiques. La poésie est matière vivante. Elle consiste à rester aux écoutes, aux aguets de l’au-dehors et de l’au-dedans, c’est inépuisable et c’est une joie, comme de se trouver en vibration avec le monde. Vivre en poésie, c’est vivre dans le sacré du monde. Entrer en communion avec la vie. La parole d’Alain Breton est fraternelle, elle cherche à entrer en résonance avec l’autre, avec d’autres voix poétiques. Car nous sommes au monde et le monde est en nous à travers le temps immémorial, archétypal de la mémoire et du présent dans un éternel palimpseste. Le Phénix est le témoin d’une résurrection plurielle, la parole du poète étant capable de passion mais aussi de compassion comme le montre sa « larme brûlante » :
et si vous me voyez solitaire et confiant
c’est que j’ai pour ami le Phénix
dont la larme brûlante contient tous les noms
Tonalité rimbaldienne du « Bateau ivre », épopée, rapsodie évoquant les voyages en terre de poésie dans la filiation de Cendrars ou dans la revisitation des stèles de Segalen, Alain Breton se fait lecteur de tous les poètes du monde, visionnaire de tous les temps, de toutes les strates temporelles et de tous les paysages littéraires et cosmiques :
J’ai fait halte dans les poésies
de Ray d’Adonis de Ritsos
dit Tout doux à Arthur
et pleuré avec Rilke
L’essentiel de l’effort du poète ne consiste pas à produire des images, à transcrire des visions mais à empêcher que ces images ne se forment tout à fait. Par un mouvement très rapide, Alain Breton n’arrête le poème sur aucune vision fixe. Sa poésie est configuration de l’étonnement et de l’émerveillement.
Il est ce poète de l’éclat et de la rencontre. Voyant, voyageur, explorateur. Observateur d’un monde déconcertant, il en transcrit les aspects divers, tels qu’ils se présentent à lui, dans le désordre originel qu’aucune intervention de la raison n’aurait encore débrouillé. Comme le veut Rimbaud, « Il arrive à l’inconnu, et quand affolé, il finirait par perdre l’intelligence de ses visions, il les a vues ! ». L’univers évoqué, comme dans Les Illuminations rimbaldiennes, est animé d’une vie propre, permettant de donner voix aussi à un autre poète voyant, Daniel Biga :
Quel bonheur !
Je descendrai le Mississippi
pour rencontrer Tecumseh le Puma
comme avant
Daniel Biga
Succession d’images instantanées, « hallucinations simples » dont aucun souci descriptif n’entrave la liberté. Tohu-bohu des références mythiques historiques et géographiques contradictoires et juxtaposées où mythes, épopées, contes et fables, péplums voisinent tout comme l’Enéide, Dionysos, un gladiateur ou encore le quadrige de Ben Hur dans une sorte de fresque simultanéiste. Le je dépourvu de sa singularité d’individu, dissous en d’incessantes métamorphoses, perd cohérence et stabilité. Il tend à une forme d’impersonnalité :
Et je pensai
as-tu réinventé l’amour
et toi rêvé tant de fois
d’être un autre
« Car je est un autre », telle est la célèbre affirmation d’Arthur Rimbaud dans sa lettre à Paul Demeny datée du 15 mai 1871. Il existe, en effet, dans l’écriture d’Alain Breton, une puissance de déplacement. C’est une poésie faite monde où le poète se dépersonnalise, où plus personne ne dit je, où « le cuivre s’éveille clairon ». La poésie est multiplicité, démultiplication, don d’ubiquité :
Trop jeune durant la Préhistoire
un peu en retard à la bataille de Samothrace
enroué au cours de la conférence de Valladolid
amoureux durant le concile de Nicée
nu sur une plage pendant la campagne de Russie
et je me suis cassé un ongle avant Hiroshima
Moi
issu de toutes les absences
La fraternité en poésie, c’est ce mouvement qui consiste à se mettre à la place de l’autre.
Ce n’est pas que de moi l’aveu
il y a toujours eu trop de peau
trop de se chercher dans les autres
Le lieu de la parole ne rejoint plus forcément le lieu politique de l’autorité mais parfois le lieu poétique de l’échange et du partage. Le mystère du poète, c’est alors un regard. Dans un premier temps, se faire voyant, devenir visionnaire, c’est se faire aveugle pour trouver un autre regard, comme l’a compris Henri Michaux (1899-1984), s’aventurant dans l’inconnu :
« C’était pendant l’épaississement du grand écran. Je voyais ! se peut-il me disais-je, se peut-il ainsi qu’on se survole. C’était à l’arrivée entre centre et absence, à l’Euréka, dans le nid de bulles. »
Poésie d’Alain Breton dont l’unique ambition serait de « donner à voir ». Livre d’un voyant, ces poèmes seraient, somme toute, moins à lire qu’à voir, à recevoir. Le lecteur devrait pour accéder au poème se transformer en spectateur de cet ensemble de scènes qui relèvent d’une théâtralité constante, travail d’enluminures, kaléidoscopes, lanternes magiques.
Il s’agit de susciter, grâce aux pouvoirs d’un langage créateur, un monde neuf. Il s’agit d’accéder à une réalité dont nous séparent d’ordinaire les limitations de notre moi. Composé instable, toujours sur le point de se défaire, la poésie d’Alain Breton tend naturellement vers l’éclat, la fulguration. Elle doit sa fascination à cette étrangeté radicale détachée de toute rhétorique de la représentation. L’œuvre rompt avec une poésie lyrique ou pittoresque qui limitait son champ aux émotions humaines et aux spectacles arrangés par et pour l’homme ; elle invente les formes nouvelles qui doivent permettre d’accéder à une réalité que l’on découvre et que l’on crée dans le même mouvement et qui ouvre le chemin vers une nouveauté poétique :
Parmi les usagers
certains connaisseurs choisiront la bonne gare
celle qui n’existe pas
et les horaires pour l’absolu
La révolution de l’écriture est aussi provocation contre les normes, les chiens y mordant la boue :
Mon Dieu
renvoyez-nous dans les tétons qui causent
dans la langue du chien
Faites que l’on fâche
faites que l’on morde mais que l’on aime
Donnez-nous les poèmes les plus drus
les vers les plus féroces
les éclats dont mourrait même le feu
Le poète perd son individualité pour devenir chantre de l’universel, voix traversante d’un inconscient commun. Il s’exprime dans les lieux d’une communauté refondée :
soufflant dans une pipe d’opium
un jour tu connaîtras les adeptes du krill
la baleine le cachalot
par le baiser qui les unit
et peut-être pourras-tu plusieurs fois mourir
par un chas de la mer
sans jamais lasser le Donneur d’embruns
La poésie, permet de créer du lien entre intime et communauté, partage, dialogue, tension lyrique, entre-deux entre émotion intime et dimension universelle :
Ainsi je t’ai aimée à Tizi Ouzou
près de la gare de l’Est
en toute imprécision
J’ai aussi foulé le sol cheyenne
maigri par pemmican
pour apprendre la danse de mort aux vautours
et guerroyer sur les chevaux arqués
Le poète, par sa poésie, a ouvert l’événement d’exister, l’espace et le temps de la naissance, il a donné, une fois pour toutes, dans l’instant aigu, dans l’instant qui dure, tout ce qu’il a à donner. Poète indien, poète boxeur à la manière de Kafka, poète d’illuminations où se ressaisit toute totalité entre pierres immémoriales, lectures de l’enfance, contes, fables et épopée, écriture d’une universalité dans la précarité de l’humanité mêlée au monde :
Allez
apportez-moi des fleuves un dolmen
ma tortue Caroline et la Sorcière des mers […]
Terre je m’incline ciel je suis venu
Lumières lointaines souvenez-vous de nous
Et si je t’aime cela te multiplie
Béatrice BONHOMME (in /litteratureportesouvertes.wordpress.com, le 24 janvier 2025).
|
|
|
|
Dans la revue Les Cahiers du Sens
"Chaque abonné aux HSE, avec ce seizième numéro, a reçu un CD passionnant intitulé « autour de Jean Cocteau ». Le témoignage de Jean Breton, direct et chaleureux, sur Cocteau, un « aîné capital », est sans nul doute utile. Il remet en place la vérité historique sur ce « Feu » qui ne voulait pas être comparé au Jeu. Dans le même esprit, l’ensemble de ce CD (avec Christophe Dauphin, Henri Rode, Jean Breton et Yves Gasc) constitue une sorte d’événement poétique à ne pas manquer…. En ce début de vingt-et-unième siècle, Les Hommes sans Épaules me semble être une grande revue de poésie, ouverte et libre qui mérite un coup de chapeau par son esprit de découverte poétique, le sérieux de sa démarche, l’indépendance des auteurs qui rendent compte des nouveautés poétiques de l’année. Elle me semble de haute tenue et d’utilité publique."
Jean-Luc Maxence (Les Cahiers du Sens n°14, mai 2004).
|
|
|
|
Critique
Subtile, féline parfois, exigeante et concise, cette poésie impose une noblesse assez rare. Ce partage des mots est peuplé d'émotions fortes et féminines, on y sent « le cristal d'une présence », mieux qu'une lumière floue « dans laquelle se perdre », comme « l'hésitation d'un rêve ». Si l'on compte le nombre de mots utilisés, cela peut paraître court. Mais, à relire dans le silence, on aime ces « gestes en paroles », ces « rêves en éveil », cette voix de brûlures fascinantes comme « des soleils dans tes yeux » (sic). Oui, voilà bien une magie, des secrets dérobés, des arabesques de velours, du sang de poète authentique qui coule...
Jean-Luc Maxence
(La Nouvel Lanterne n°4, in lenouvelathanor.com, juin 2012).
|
Dans 7 a dire
"J'avais écrit qu'était mauve l'écriture d'Elodia Turki; qu'elle était haute et lisse; qu'elle s'égouttait doute à doute en des poèmes prunes, violets, bordeaux ou lilas. Comme la gazelle qu'elle demeure, dame de grands cours et d'interminables courses, assoifée d'errance, en sans cesse partance, enjambeuse de méditerranées, danseuse de sa vie, aérienne et libre de tout lieu. Et voilà que celle qui souvent chnate pour ne plus s'entendre penser dans l'une ou l'autre des sept ou huit langues qui dansent dans sa tête était passée au rouge. S'était mise à aimer en anglais et rouge. Ce fut Ily Olum. Puis elle avait repris l'écheveau de son existence pour nous tricoter La Chiqueta afin de retrouver les couleurs de la vie, de sa vie. Pour tenter d'oublier le reste. Or voici que resurgit ici le poème, en sa précise et vive langue de poésie. Dont notre revue sut orner ses pages au long de quatre numéros, égrenant une quinzaine de textes de haute tenue. Mains d'ombre est tirée de la mer de la mémoire qui n'arrête pas ses allers venues de marées chez Elodia Turki. La mer dessinée par ma soif - portera tes vaisseaux nous dit-elle d'entrée, se définissant comme l'enfant illégitime - d'une grotte... - et d'une étoile. Elodia Turki expose ici comment la légende d'un grand et fort passé survit à l'histoire: C'était de tous les souvenirs - le plus doucement triste - Quelque chose rouge - quelque chose fort - dans mes doigts dénoués... Dans un passé qu'elle repousse en un ailleurs, du bout de bras où s'expriment ses mains: Mes mains aveugles... - Mes mains sombre mémoire. On sent l'amour aller vers cet ailleurs qu'elle imagine mais ne veut pas savoir: Mon regard aligné sur la nonchalance de ton - renoncement - Ainsi se noyant - dans le lointain de toi - perdant les choses sues... Au passé bien enfui se mêle le désespoir d'une espérance qui appelle encore, avec son lot de promesses, de rêves et d'offrandes, d'utopies peut-être. Puis le toi devient lui: J'avais pour toi - pour lui - lissé tous les chemins dans le brouillon du soir... Jusqu'à préciser.... poser sur ta personne - la sienne - l'ocre de ma terre brûlée. Elle pose alors le bilan de cette histoire avant de souligner: J'étais celle - qui de lui qui de toi - attendait - dans les pointillés du jour - l'étreinte. Avant de conclure, ainsi qu'à l'issue d'un rapport, sachant enfin inoubliable son oubli: Ainsi lui parlait-elle - à même son oubli. Comme nouvellement sortie d'affaire, de l'affaire. Mais on sent, on sait que le rouge reste mis. De la poésie de juste noblesse et de la précise allure. inimitable Elodia."
Jean-Marie GILORY (in revue 7 à dire n°53, novembre 2012).
|
|
|
|
Critiques
"Un livre tout d’abord à regarder, comme un objet, tant les couleurs ocres de la couverture mettent à l’honneur la délicatesse du dessin qui la compose pour moitié. Le titre, Mains d’ombre, discrètement déposé au-dessus, dans un vert pastel, vient discrètement s’harmoniser avec ces couleurs, et annonce les tonalités aériennes de l’iconographie liminaire. Le recueil s’ouvre en effet sur un dessin de même facture, reproduit en couleur. Dès l’abord Elodia Turki sollicite le regard, et prépare le lecteur à la découverte de ces magnifiques lignes tracées en arabe littéraire qui ornent les pages de son recueil et proposent une traduction de ses textes, assumée par Habib Boulares. Le vis à vis rythme le livre, et les caractères orientaux dessinent des vagues de dentelle en regard de textes courts pour majorité écrits en italique sur les pages de droite. Ainsi cette version bilingue place l’écriture à un double niveau de réception, celui de la lecture proprement dite, et celui d’une réception sémantique de l’image. « De gestes en paroles » Elodia Turki invite le lecteur sur la quatrième de couverture à entrer dans cet univers plurisémantique. Là nous rencontrons une énonciatrice qui évoque sa difficulté à être, et suggère les épreuves traversées avec une pudeur et une discrétion non démenties. Un pronom personnel à peine incarné apparaît parfois, mais c’est dans la pudeur de l’évocation des étapes rencontrées.
« Tremblée défaite et rire comme un manque à rêver
Je-suave tourbillon- fleur lacérée-dessin- jasminée repentie silence pire
C’est ce que je sentais »
Une parole féminine qui suggère les difficultés de l’affirmation de soi-même mais aussi les ombres dessinées par les êtres rencontrés et aimés.
« Autour de ses poignets d’autres mains d’autres gestes elle et toi immenses arlequins sur le pont sans rive
Tu m’avais oubliée ne retenant de moi que l’ombre de mon chant que le son de mes doigts sur tes jours ne retenant de moi que toi sans moi »
Faut-il pour autant affirmer que ce recueil n’évoque qu’une expérience personnelle ? Loin s’en faut, car l’auteure fait partager au lecteur ses interrogations sur la matière de ses textes et sur l’acte d’écrire.
« Sa main-la tienne telle une ombre jalouse dans la fleur innombrable de ma peur
Peut-être eut-il suffit-il que la lenteur des yeux épelle en fin le trouble pour que toujours soit l’improbable partage »
Mains d’ombre n’est donc pas uniquement le lieu d’une parole personnelle, et la volonté d’opérer un syncrétisme artistique soutient cette réflexivité sur le travail de l’écriture. L’iconographie qui entoure les textes ainsi que la graphie magnifique de l’écriture arabe forment écho à la récurrence de l’évocation de la musique. Et il faut comprendre la convocation de ces vecteurs artistiques comme métaphore de ce désir de mener l’humanité à la source de paix d’une communauté enfin unie dans le verbe mais aussi dans le silence, ainsi que l’énonce si magnifiquement l’épigraphe d’œuvre signée Omar Khayyam :
« There was a Door to which i found no Key There was a Veil through which I could not see Some little Talk awhile of Me and Thee there was And then no more of Thee and Me
Omar Khayyam (Quatrains) »
Carole MESROBIAN (cf. "Fil de lectures" in www.recoursaupoem.fr, mars 2016).
*
"Ce livre bilingue, arabe et français, d’une poésie magnifique, est disponible alors que Habib Boulares, essayiste, historien, poète et homme de théâtre tunisien, est décédé. Il a fait davantage que traduire la poésie d’Elodia Turki, il l’a inscrite dans l’écrin de la langue arabe qui est en poésie en soi. « Ici, nous dit Elodia Turki, nous sommes, comme pour toujours, perdus retrouvés dans notre souffle, entourés de murmures, les mains ouvertes sur le vide apparent qui nous enveloppe. Nous hésitons : sommes-nous seuls ? Sommes-nous avec les autres ? Sommes-nous l’autre ? Tous les autres ? Qui parle à qui quand nous parlons ? Et à travers nous, qui parle ? De gestes en paroles, de rêves en éveil, le monde nous entraîne dans sa ronde… Certaines choses que l’on dit… Certaines choses que l’on nous dit, puis… plus rien de ce que l’on s’est dit. » La mer dessinée par ma soif portera mes vaisseaux
Tout sera car je suis fantastique animale Enfant illégitime d’une grotte… et d’une étoile
La beauté, la grâce, la profondeur… le silence. Le lieu de la langue est le reflet du cœur, de l’intime. La poésie se fait queste, un fragile esquif, insubmersible toutefois sur l’océan de la vie. Le monde à travers moi se crée
Si je vis Tu existes Et Tu meurs si je meurs
A l’intérieur de moi un domaine effrayant martèle mes secondes
J’ai recousu l’entaille Enfermé ce moteur et ma peur et dans le lisse et la beauté de mes masques
j’ai chanté !
Rémy BOYER (in incoherism.wordpress.com, 16 août 2015).
*
"De courts poèmes plein de ferveur et d'amour qui se lisent avec tranquillité."
Jean-Pierre LESIEUR (in Comme en poésie n°63, septembre 2015).
*
Subtile, féline parfois, exigeante et concise, cette poésie impose une noblesse assez rare. Ce partage des mots est peuplé d'émotions fortes et féminines, on y sent « le cristal d'une présence », mieux qu'une lumière floue « dans laquelle se perdre », comme « l'hésitation d'un rêve ». Si l'on compte le nombre de mots utilisés, cela peut paraître court. Mais, à relire dans le silence, on aime ces « gestes en paroles », ces « rêves en éveil », cette voix de brûlures fascinantes comme « des soleils dans tes yeux » (sic). Oui, voilà bien une magie, des secrets dérobés, des arabesques de velours, du sang de poète authentique qui coule...
Jean-Luc Maxence
(La Nouvel Lanterne n°4, in lenouvelathanor.com, juin 2012).
*
Dans 7 a dire
"J'avais écrit qu'était mauve l'écriture d'Elodia Turki; qu'elle était haute et lisse; qu'elle s'égouttait doute à doute en des poèmes prunes, violets, bordeaux ou lilas. Comme la gazelle qu'elle demeure, dame de grands cours et d'interminables courses, assoifée d'errance, en sans cesse partance, enjambeuse de méditerranées, danseuse de sa vie, aérienne et libre de tout lieu. Et voilà que celle qui souvent chnate pour ne plus s'entendre penser dans l'une ou l'autre des sept ou huit langues qui dansent dans sa tête était passée au rouge. S'était mise à aimer en anglais et rouge. Ce fut Ily Olum. Puis elle avait repris l'écheveau de son existence pour nous tricoter La Chiqueta afin de retrouver les couleurs de la vie, de sa vie. Pour tenter d'oublier le reste. Or voici que resurgit ici le poème, en sa précise et vive langue de poésie. Dont notre revue sut orner ses pages au long de quatre numéros, égrenant une quinzaine de textes de haute tenue. Mains d'ombre est tirée de la mer de la mémoire qui n'arrête pas ses allers venues de marées chez Elodia Turki. La mer dessinée par ma soif - portera tes vaisseaux nous dit-elle d'entrée, se définissant comme l'enfant illégitime - d'une grotte... - et d'une étoile. Elodia Turki expose ici comment la légende d'un grand et fort passé survit à l'histoire: C'était de tous les souvenirs - le plus doucement triste - Quelque chose rouge - quelque chose fort - dans mes doigts dénoués... Dans un passé qu'elle repousse en un ailleurs, du bout de bras où s'expriment ses mains: Mes mains aveugles... - Mes mains sombre mémoire. On sent l'amour aller vers cet ailleurs qu'elle imagine mais ne veut pas savoir: Mon regard aligné sur la nonchalance de ton - renoncement - Ainsi se noyant - dans le lointain de toi - perdant les choses sues... Au passé bien enfui se mêle le désespoir d'une espérance qui appelle encore, avec son lot de promesses, de rêves et d'offrandes, d'utopies peut-être. Puis le toi devient lui: J'avais pour toi - pour lui - lissé tous les chemins dans le brouillon du soir... Jusqu'à préciser.... poser sur ta personne - la sienne - l'ocre de ma terre brûlée. Elle pose alors le bilan de cette histoire avant de souligner: J'étais celle - qui de lui qui de toi - attendait - dans les pointillés du jour - l'étreinte. Avant de conclure, ainsi qu'à l'issue d'un rapport, sachant enfin inoubliable son oubli: Ainsi lui parlait-elle - à même son oubli. Comme nouvellement sortie d'affaire, de l'affaire. Mais on sent, on sait que le rouge reste mis. De la poésie de juste noblesse et de la précise allure. inimitable Elodia."
Jean-Marie GILORY (in revue 7 à dire n°53, novembre 2012).
*
"Pour reprendre les mots de Pierrick de Chermont dans son étude « L’appel de la muse chez Elodia Turki », cette dernière « est née dans une prison espagnole à la fin de la guerre d’Espagne, où sa mère antifranquiste militante était enfermée et condamnée à mort. Au bout de dix mois, elles rejoignirent la Tunisie où son père se trouvait déjà ». Ce qui explique peut-être son goût pour la culture arabe et, en partie, la présente publication de « Mains d’ombre » (déjà édité en 2011 à la Librairie-Galerie Racine) où ses poèmes en français dialoguent avec la traduction en arabe due à Habib Boulares.
« Mains d’ombre » est un chant d’amour. Un chant d’amour à la graphie arabe car Elodia Turki écrit dans son avant-propos (qui est un hommage à Habib Boulares) à cette édition : « Je sais que la traduction qu’il a faite des poèmes de mon recueil "Mains d’ombre" est non seulement fidèle, mais, aux dires de ceux qui ont comparé les textes dans les deux langues, il y a tellement de poésie dans sa proposition que l’on oublie très vite qui a écrit et qui a traduit ». Nous voilà loin du vieil adage qui assimile la traduction à une trahison. Ne connaissant pas l’arabe, je n’ai rien à ajouter à ces mots…
Mais chant d’amour également dans les poèmes d’Elodia Turki dont l’écriture rend fidèlement une perception originale de l’amour. Si l’obscurité n’est pas absente de ces textes, le dialogue amoureux que le lecteur devine traduit la vocation ultime de la femme qui est l’amour. Là encore, la culture arabe (et je suis conscient que cette dernière expression manque de précision) qui érige l’amour en règle n’est pas loin : Elodia Turki a publié en 1999 un recueil intitulé « Al Ghazal », ce qui rappelle au lecteur occidental qui est familiarisé aux genres poétiques définis par des règles de construction très strictes que le ghazal (dépositaire de la poésie amoureuse dans la culture arabe) ne renvoie pas aux formes comme dans la poésie occidentale mais au thème abordé. D’où l’extrême liberté de ton d’Elodia Turki.
Mais il faut aussi s’arrêter à l’iconographie de ce recueil. Pour remarquer tout d’abord que l’illustration de couverture (reprise sur la page de titre) est différente, quant au style, du frontispice. Ce qui prouve que la culture arabe n’existe pas, mais qu’il existe des cultures arabes… Cependant ces deux illustrations représentent un couple, amoureux (?) dans un jardin. Dans les deux cas, la femme tient un flacon ou une carafe. Sur la couverture, la femme a dans la main droite une coupe dans laquelle elle semble avoir servi un peu du breuvage de la carafe pour l’offrir à l’homme face à elle. Comment interpréter ces éléments visuels ? Il faut se souvenir que dans la culture arabe, on trouve de nombreux jardins dédiés au plaisir et de nombreuses représentations de ces jardins. On n’est pas loin, dans certains, cas, du jardin d’amour auquel font penser ces illustrations. Si chez les musulmans l’alcool est frappé d’interdit, le vin est considéré comme la récompense suprême au Paradis : « Les Purs seront abreuvés d’un vin rare » (Le Coran, Sourate LXXXIII, 25). Et dans l’histoire, les époques où les poètes (Omar Khayyam en est un bel exemple), chantèrent le vin et l’ivresse ne sont pas rares.
De là à penser que ce recueil s’inscrit dans cette tradition particulière, il n’y a qu’un pas facile à franchir… Elodia Turki ne nomme jamais l’objet ou le sujet de son amour. Et elle se situe comme l’égale de l’homme : « Tu succombais aux mots / je t’offrais l’hésitation du rêve ». Ces mains d’ombre sont des mains faites pour la caresse, pour l’interrogation. Ce que résume admirablement ce vers « Elle vers lui avançait une esquisse ». Pierrick de Chermont dit d’Elodia Turki qu’elle a « une foi sans Dieu ». Ses poèmes ruissellent d’une foi très forte mais quant au Dieu, ne parle-t-elle pas de « croix sans Christ » ? Au-delà de ces affirmations, « Mains d’ombre » est un beau livre à la poésie subtile, en même temps qu’un bel objet… "
Lucien WASSELIN (cf. Chemins de lecture in revue-texture.fr, 2016)
|
|
|
|
Lecture
"L'exercice de l'humour nécessite un recul et une perspective morale ; il charge le rire de gravité, voire de larmes, car le tragique y fait souvent son lit ; il compte autant sur les stratégies que sur les délires de l'imagination.
Drôles de rires est une anthologie de textes d'humour enrichie par de nombreux dessins de Chaval, Piem, Serre... Des pensées d'humour (ou aphorismes) accompagnent les textes - nombre d'elles inédites, les autres nous ont semblé relever du meilleur du genre. L'oeuvre d'humour, mêlant scepticisme et idéalisme, propose des niveaux de survie, ou la vie quotidienne et le fanstastique, la tendresse et la cruauté, le ridicule et l'étrange s'aboutonnent."
Mirela Papachlimintzou (in revue Contact n°81, Athènes, Grèce, mars 2018).
*
Les Hommes sans Épaules éditions publie régulièrement des anthologies. Des volumes généreux, à la couverture blanche, et des mines de diamants taillés par Christophe Dauphin. Il édifie le parcours d’un auteur à travers les œuvres convoquées, dont les étapes sont motivées par ses choix éditoriaux. Ceux-ci sont expliqués dans une préface et une postface, dont il est l’auteur, ou bien qui sont signées par un de ses nombreux collaborateurs.
Le lecteur peut alors apprécier les extraits proposés, les replacer dans u contexte illustré par des documents iconographiques d’une grande richesse, eux aussi. Une immersion dans l’univers d’un auteur, qui est à découvrir ou à comprendre dans la globalité d’une démarche exposée dans le déroulé temporel de ses productions, en lien avec une existence dont certains moments sont éclairés par la mise en œuvre.
Ces anthologies sont élaborées autour de thématiques. Drôles de rires signée Alain Breton et Sébastien Colmagro nous propose un florilège de morceaux choisis parmi les productions d’auteurs tels Sacha Guitry, Alphonse Allais…Un tour d’horizon d’Aphorismes, contes et fables, Une anthologie de l’humour de Allais Alphonse à Allen Woody, avec en ouverture une belle préface des auteurs, et un extrait du Rire de Bergson. Pour clausule un Après rire… Un groupement de textes d’un grande richesse, qui interroge l’ancrage historique et social de l’humour, problématique bien sûr relevée par le paratexte. Et comme pour chaque volume du genre, pléthore de documents iconographiques établissent un dialogisme riche et pertinent avec les textes.
En plus d’un moment jubilatoire, le lecteur peut réfléchir sur la question du rire, car ce groupement de textes propose un cadre de réflexion dont les enjeux nous sont montrés par le paratexte. Mystification, dérision, non-sens, ironie, parodie, la liste peut-être longue, et ces modalités humoristiques sont à prendre très au sérieux. A la fin du dix-neuvième siècle le comique a été le premier moyen d’expression d’une crise du sens, bien avant que l’absurdité ne soit la trame féconde d’oeuvres plus sérieuses…
Carole MESROBIAN (cf. "Les anthologies à entête des Hommes sans Épaules" in recoursaupoeme.fr, 4 janvier 2019).
|
|
|
|
Lectures :
Je suivrai la découpe en quatre parties de cette œuvre.
1 – « Brûlant l’été ». Il y a dans l’écriture de Paul Farellier ce que l’on serait tenté d’appeler, telle une source de signes et d’appels sous-jacents, une imagerie musicale. Je ne parle pas de sonorité, mais bien d’une émanation des images, des constructions poétiques, métaphoriques, associatives, autant de parties qui, par une jonction supérieure entre la vue et une ouïe absolue, métaphysique, et qui ne tranche pas, dispensent de très justes, nouvelles et lisibles harmonies.
Ces sons d’images nous pénètrent et changent notre rapport à la lettre et à notre posture, créant à notre insu un imperceptible mouvement spirituel. Nous sommes en état d’écoute totale, d’engagement manifeste ; en désir d’écoute sacrée. La maison, loin dans le parc, / fenêtre ouverte à la harpe, / à des mains en pente de lumière. Voilà un flux qui se retrouve, se reprend sans fin à son début. Écoute le corps, le corps blessé, exténué du poète dans le mystère du ciel, de la vie et de la mort. Pas n’importe quel corps, le corps donné, trop éprouvé, subtilisé, du poète, offrande et quête, celui-ci toujours à la tâche, soucieux, secret, liturgique, hiératique, éthéré, intemporel.
Tant d’absences, de séparations, de sanctions d’être gisent en lui ! Aussi sommes-nous en état de miroir sublimé, de miroir rituel. Quel dieu sans paupière / dans le regard des morts ? / Quel jamais dessillé ? / La main tremble encore / d’avoir fermé ce bleu. Paul Farellier a un sens si altier de l’être poétique que tout en lui, les mots durs sur le temps qui passe, les angoisses solennelles sur les jours qui s’amenuisent, sur l’exposant sensible des disparitions, le constat insatiable sur le sens de sa vie en écriture et l’exigence d’en rendre compte dans sa claire et douce tonalité, tout en lui est dignité de la langue et célébration.
Il est bon de capter la noblesse, les étincelles lyriques de son parcours intérieur. Il est bon de les faire siennes, de les laisser rallumer la chaleur du cœur. Le faux, le mensonge, la lâcheté, le refus de se voir en héros tout autant qu’en vaincu, le feu pur de ses mots les aura dissipés. Et dans ce feu, qui ne voudrait s’y entendre nommer ? Partager la tragédie du vrai avec lui. Paul Farellier, ce n’est pas un feu qui s’épuise en un livre. C’est celui dont il nous fait don et qui se propage en nos propres assises. La trace ? Une très sensible et presque en larmes reconnaissance. Ce bref recueil est d’un bout à l’autre un champ d’honneur poétique.
2 – « Dessiné dans le noir et dans le blanc ». Et le voici à nouveau dans cette exténuation du vivre et du dire qui sollicite de nouvelles forces en lui. Je ne connais rien de plus admirable que ce poète à bout de tout qui, dans une majesté, un soulèvement quasi biblique, une tension de pauvre, de défait et d’invulnérable, une puissance poétique hors d’atteinte, inaltérable, défie les lois et les décrets de l’existence. Figure mythique, c’est au moment où tout fait clôture ici, / tout est serré dans ce poing / qui pourtant n’enferme que le vide / oblige à des riens d’ombre, à des façons de taire, que ces forces tant espérées, et au-delà, lui sont conférées, car ce que
Paul Farellier énonce ainsi, retranché de tout énoncé fautif et impur, est lumière. Plus son propos s’obscurcit, plus jaillit un point lumineux immesurable, infinissable, et ce seul point nous aurait suffi pour concevoir et recevoir toute sa clarté, si ce n’est qu’il s’allonge sans cesse, varie, se fluidifie tant que notre souffle, notre savoir et notre expérience, peuvent l’appréhender. Nous avons entendu les temps riches, les temps mornes, infinis, du combat, mais la splendeur du vrai qu’il nous transmet, cette beauté nue, cette communion incorruptible, cette joie que nous concevons de cette transmission, l’entend-il ? Sa solitude est notre présent / futur, notre totalité, notre envergure.
3 – « Approches ». Deux mondes, deux horizons temporels se font face, beaucoup plus subtils, plus éthérés que la distinction entre passé et avenir, ou alors dans le sens où ils seraient devenus deux nébuleuses consacrées, deux textes saints sur les fins et les crépuscules de la connaissance. Partout des saisies de mystère s’esquissent, s’agrègent, des avènements mystiques, certains sans prise, ni forme, ni habit qui ont eu le temps cependant de nous enchanter, de laisser une empreinte éblouie dans le mouvement de notre pensée. Mais il y a une modestie suprême dans l’âme du poète Paul Farellier, qui laisse les trésors à leur place et refuse de s’en emparer. L‘itinéraire est doublé : / il faut errer sur les deux bords. / C’est cela, les anciens, qui nous donne / des glissades au regard / - demi-sourire, / demi-larme. 4 – « Le pas de l’heure ».
Nous avons vu que l’amour des évocations, des questions et réponses dans des échanges éblouissants de style, de tension, de chants neufs et aveugles, s’éludait parce que l’élévation innocente de l’auteur, pour que se perpétue cette élévation, les avait conçus ainsi, jusqu’à ce que dans « Le pas de l’heure » l’interrogation consente à naître dans son entièreté, et que la mort animale – symétrique – prête son flanc à l’animal poétique. Mais cette fois avec la main, les armes et les larmes du poète nous y sommes préparés. Abolition du mode vivant, litanie des disparus, doutes sur les fondements même de l’origine, lave, ruines, sentier brûlé d’oubli, tout émerge enfin de la sidération et de la douleur de survivre, et la pensée s’affine, s’aiguise, devient comme un stylet, une main rituelle pour dévoiler le sacré, laisser sa trace dans le sillon de l’inconnu.
« Le pas de l’heure » résiliant le cauchemar, le contrat du faux pas, est cette lisière où la surprise, l’étonnement, le foudroiement de l’homme et de l’être se régénèrent partiellement et attendent le passeur / passant tout au bout de cette route… / si même il reste une route. / Toi qui dors, flottant sous ta fenêtre, - es-tu le songe - d’une barque adossée à l’orage ? - Sens-tu mourir cette heure où la mer - soudain te freine, - affale sa voile dans ton souffle ? - Puisse l’éclair te prêter une aube : - brise ta vitre, - sois l’enfant des désordres du ciel.
Pierrick de Chermont (in revue Les Hommes sans Epaules n°59, mars 2025).
*
C’est tout le jeu des polarités peu sereines de la vie qui est condensée dans la poésie de Paul Farellier. Un précipité d’incertitudes qui devrait nous angoisser et qui pourtant nous libère. L’épure du verbe de Paul Farellier est aussi épure de l’expérience humaine. Il rend ainsi l’essentiel accessible. Les mots, par « leur pointe aiguisée », retrouvent leur puissance.
Vivre n’a pas suffi
à te frayer le passage.
Et rien n’est visible encore
dans ta vitre embuée.
En travers de ta porte,
un dragon reste couché.
Au loin peut-être
et plus tard,
ton pas sur le sentier.
L’ouvrage, porté par les monotypes de Béatrice Cazaubon qui appellent à une méditation tranquille, sans objet et sans sujet, rassemble deux ensembles de poèmes, Chemin de buées puis Le pas de l’heure, un titre qui a lui seul évoque aussi bien la mort que l’éternité.
Quel dieu sans paupière
dans le regard des morts ?
Quel jamais dessillé ?
La main tremble, encore
d’avoir fermé ce bleu.
C’est l’intensité de l’instant présent, fusse-t-il un combat perdu d’avance, qui ouvre un intervalle enchanté, une porte lumineuse au cœur de l’obscur. Rien ne peut empêcher la beauté des mots de révéler l’innommable, le « vrai visage ». Nous sommes touchés par la lente irradiation des mots.
Quelle absence as-tu creusée
pour n’y trouver que la peur,
n’en exhumer que le cri ?
Va plus loin dans ton mur d’ombre,
franchis l’embrasure,
dépasse le rideau qu’entaillent les vents,
Reprends-leur la main de ta mémoire,
entends-la qui souffle sur le seuil
dans les mille voix de sa feuillure,
A deux battants de lumière
qui t’ouvre ses portes bleues
Dans l’œil et l’oubli futurs.
Pour l’ensemble de son œuvre, Paul Farellier a reçu en 2015 le Grand Prix de Poésie de la Société des gens de lettres couronnant son livre L’Entretien devant la nuit, Poèmes 1968-2013.
Rémi BOYER (in lettreducrocodile.over-blog.net, janvier 2025).
*
Il y a une forme d’indécence à parler de ce dernier recueil de Paul Farellier, à entrer à sa suite au plus intime d’un être, à l’écouter dans son ultime dialogue avec la mort, qui est ce pas de l’heure. Oui, il y a une gravité dans cette voix déjà au loin – et comme l’heure est soudainement immense tandis que la main amie que vous teniez dans la vôtre s’efface er s’indistingue dans la lumière qui l’ensevelit ! « La maison, loin dans le parc, / fenêtre ouverte à la harpe / à des mains en pente de lumière, / à des voix qu’il fut donné de perdre. »
Ainsi débute le recueil, s’ouvrant sur l’été et son « jardin de cendres » où les mots avec « leur pointe aiguisée » brillent comme des « tessons » et où l’on demeure perdu avec les « yeux de ton silence ». Nous le regardons, nous voudrions l’assurer de notre présence, offrir à son regard le nôtre. Sans nous voir il nous interroge : « Dites […] Y a-t-il un chemin […] Est-il une fin / où vont les pas / hors limite / avalés par le vide. » Puis, après un silence, la voix se prolonge en un solitaire monologue : « Vivre n’a pas suffi / à te frayer un passage » et ici « même la lumière est sans sépulture » et l’on n’est qu’« un songe à l’urne glacée ».
Dans le silence et la brièveté des jours, le poète s’interroge sur un rythme qui l’entend battre. Une houle, s’interroge-t-il, ou « la vieille vie / soudain hérissée en esprit » ? ou encore, est-ce, lors ces instants qui l’ont vu monter et descendre, « la bruissante échelle / qu’on voyait appuyer sur le ciel ». Quelqu’un s’approche-t-il ? poursuit-il. Et sa voix à nouveau retombe et se répond : « D’avoir tant écouté / l’appelant des distances / le grand sommeil te mure / dans les lointains du temps. »
Alors, si frêle, commence l’exode et la lutte « contre quelqu’un qui voulait / m’arracher la peau » ; et à qui désormais il s’adresse et se confie : oui, j’ai rêvé « l’immérité d’un signe », attendu « de tremblantes nouvelles ». Oui j’ai cherché un mouillage sur l’île « où il reste à vivre », même si, ultime ironie railleuse, vivre alors ne signifie que « dormir sous un nom de pierre ».
Maintenant vient le dernier poème du recueil où le poète s’impose cette consigne : « Pose le crayon, n’ajoute rien à l’épure » tandis que « la rive te délivre et tu vas » vers « une ignorance neuve ». Peut-être que toute la poésie de Paul Farellier, dont Les Hommes sans Épaules avaient publié en 2014 une anthologie, L’entretien avec la nuit, ne visait qu’à préparer ces ultimes poèmes qui s’avancent si près de la rive intérieure où il ne sait « s’il rajeunit ou s’il meurt » tandis que penché en lui se laisse découvrir « le sombre du vrai visage ».
Odile COHEN-ABBAS (in revue Les Hommes sans Epaules n°59, mars 2025).
|
|
|