Tri par titre
|
Tri par auteur
|
Tri par date
|
Page : <1 2 ... 5 6 7 8 9 10 11 12 13 >
|
|
|
Critiques
"A l’occasion du centenaire de la naissance de ce grand poète que fut Jean Rousselot (1913-2004), Christophe Dauphin a dressé un portrait riche et touchant de cet homme aux multiples talents dont le parcours complexe est un exemple de foi en l’humanité et d’engagement pour la liberté.
A propos de son enterrement, quelques jours après son décès le 23 mai 2004, Christophe Dauphin confie : « Nous venions d’enterrer soixante-dix ans de poésie française. Jean était la poésie, une poésie sans cesse aux prises avec la vie, le fatum et l’Histoire ; un homme d’action, qui a durablement marqué les personnes qui l’ont approché. ».
Ce fut Louis Parrot, son mentor, qui l’initia à la poésie contemporaine. Ils se rencontrent en 1929. Cette initiation dépasse le cadre de la poésie, il est question aussi de philosophie, de psychologie, de politique et de religion. Il fut, dit Jean Rousselot de Louis Parrot, « mes universités ». C’est à Poitiers, ses nuits, ses cafés, le quartier ouvrier où vit Rousselot, les campagnes environnantes, que le poète se forge, que le génie se fraie un passage dans une forêt hostile faite de préjugés, de combats intérieurs, d’un isolement, peut-être salutaire, mais seulement apparent : « Je ne suis jamais seul. Je ne suis jamais Un. Je me tourmente pour des douleurs qui tiennent éveillée, la nuit entière, la vieille repasseuse qui m’a nourri ; pour la soif qui calcine un soldat au ventre ouvert… La douleur, l’angoisse, l’exil et le danger, voilà mes chemins de communication, voilà mes adhérences au placenta du monde… »
Proche des Jeunesses socialistes, puis en 1934 de la Ligue communiste, anticolonialiste, ses combats politiques sont, à l’époque, proches de ceux des surréalistes. Mais son combat politique reste distinct de sa poésie. En 1932, il participe à l’aventure de la revue bordelaise Jeunesse à la recherche d’un « renouvellement », d’un « rafraîchissement » de la poésie. C’est à partir de la publication en 1936 d’un recueil, intitulé Le Goût du pain, que Jean Rousselot est considéré comme un acteur essentiel de ce renouveau de la poésie.
Quand la guerre arrive, Jean Rousselot se sert de sa fonction de Commissaire de Police pour aider la Résistance et les poètes en danger. Sa poésie devient une poésie de combat, notamment dans cette « école » qui rassembla René Guy Cadou, Jean Bouhier, Michel Manoll, Marcel Béalu et d’autres. Une école, une manifestation de l’amitié.
Poète et homme d’action André Marissel parlera à propos de Jean Rousselot de « surréalisme en action ». Jean Rousselot gardera un grand respect pour le surréalisme qui l’aura éveillé, lui comme ses compagnons, et revendique une continuité entre les surréalistes et lui, tout particulièrement par une collaboration avec l’inconscient.
Après la deuxième guerre mondiale, Jean Rousselot tourne le dos à une vie sociale et poétique facile construite sur la reconnaissance de son action exemplaire pendant le conflit. Il renonce à son métier et veut vivre de sa plume ce qui se révèle évidemment aléatoire. En 1996, tout en affirmant ne pas regretter son choix, il confie à Christophe Dauphin : « Ne lâche jamais ton métier, tu m’entends ! Jamais ! Ne fais pas cette connerie ! Tu pourras ainsi écrire quand tu veux et surtout, ce que tu veux. ».
Jean Rousselot écrira de nombreux articles pour la presse. Le premier est consacré au désastre de Hiroshima qu’il qualifie de génocide, ce qui le brouille avec Aragon. Il va désormais écrire beaucoup, une trentaine de plaquettes et livres jusqu’en 1973, une vingtaine de pièces pour la radio, des romans, mais découvrir aussi et faire découvrir de nombreux poètes talentueux. Tombé amoureux de la Hongrie, il dénoncera le drame de Budapest en 1956, condamnant violemment la contre-révolution russe, et traduira beaucoup de grands poètes hongrois en français comme Attila József, Sándor Petőfi, Endre Ady…
De 1997 à sa disparition, Jean Rousselot continue d’écrire et de publier une « poésie de terrain », au plus proche de la vie, du peuple, des rêves de liberté de tous ceux qui sont contraints. Une écriture de plus en plus dépouillée, directe, grave, sans mensonge, sans artifice, sans effet.
Jean Rousselot, au bout de 137 volumes, continue d’œuvrer. « Les mots de Rousselot restent debout et marchent à nos côtés. Le poète rend la vie possible. C’est pour cela qu’il ne meurt pas tout à fait. » dit avec justesse Christophe Dauphin."
Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, 19 janvier 2014).
"Jean Rousselot aurait eu 100 ans le 27 octobre 2013. C’est l’occasion choisie par son ami, Christophe Dauphin, pour faire paraître cet essai qui nous dit ce qu’est et ce que doit être un poète : celui qui évoque le quotidien, homme parmi les hommes, travailleur parmi les travailleurs, qui, pour eux, fait le don de soi au sens le plus fraternel du mot.
« Ecolier » de Rochefort, proche de Cadou, Manoll ou Bérimont, admirateur fervent de Roger Toulouse, Jean Rousselot laisse une œuvre ample et diverse : l’œuvre d’un romancier, d’un historien, d’un critique aussi, amoureux de la parole, de l’écriture, et de l’émotion que l’une et l’autre procurent, et qui s’appelle poésie. « Le poème est pour moi l’inouïe prise de conscience des pouvoirs du poète sur le temps, qu’il arrête, sur la mémoire, qu’il ressuscite, sur les sentiments, qu’il élève au Sublime, sur le réel, qu’il perce et transmue pour en retrouver l’essence et a pérennité. »
Abel MOITTIE (in roger-toulouse.com, janvier 2014).
"Les analyses de Dauphin, comme d'habitude chez lui, cernent mieux qu'un portrait le personnage réputé impossible, mais il le transforme délibérément. Par exemple, ce qui n'était pas toujours mentionné dans les biographies, le rôle du poète dans la police et dans la résistance à l'occupant nazi est mis en evidence. Lorsqu'il eut quarante ans, Jean Rousselot parla du surréalisme en souriant de se croire un peu "plus surréaliste que les surréalistes eux-mêmes". Sa décision en 1946 de démissionner de tout et de vivre de sa plume fut capitale. Il devient alors grand voyageur et se produit et publie dans le monde entier. Il n'hésite pas non plus à prendre des positions fermes contre les injustices, comme pour Abdellatif Laâbi en 1972. Pour la forme de ses poèmes, il aura adopté tout. Avec force. Il s'insurge encore contre les inutiles: "Pour beaucoup de mes confrères, l'activité poétique consiste à fabriquer des objets de langage avec un langage sans objet... La poésie jetable gagne du terrain." Que n'aurait-il pas dit aujourd'hui ?"
Paul VAN MELLE (in Inédit Nouveau n°267, La Hulpe, Belgique, mars 2014).
"Jean Rousselot aurait eu cent ans en 2013. Et Christophe Dauphin a eu la bonne idée de faire à la fois sa biographie et un essai sur ce poète hors pair. Il divise son livre par chapitre chronologiques, et avec Jean Rousselot, c'est tout le vingtième siècle qu'on revisite... Christophe Dauphin insiste sur le fait que pour le poète, la poésie est surtout une manière d'être. L'homme est derrière son regard - Comme derrière une vitrine - Lavée à grande eau par le jour. Jean Rousselot prône une poésie de terrain et non de laboratoire ajoute l'auteur de la monographie. Je n'ai fait ici que survoler ce livre bien documenté. Ce qui étonne et retient chez Jean Rousselot, c'est la fidélité à ses idées et la rectitude de ses principes et de son action. Cela a toujours conféré à sa poésie une considérable autorité."
Jacques MORIN (in Décharge n°161, mars 2014).
"Le pari de Dauphin – restituer l’une des figures les plus emblématiques de la poésie francophone des années 30/80, à l’occasion du centenaire de sa naissance – est magnifiquement tenu par un autre passeur de poésie, rompu à l’exercice d’analyse et d’admiration d’un aîné qui a compté, qu’il a connu, avec lequel il a pu s’entretenir, avec lequel il a échangé nombre de correspondances. Et le réseau se poursuit fidèlement : Jean Rousselot, qui a toujours revendiqué ses dettes envers Reverdy, Max Jacob, qui a toujours fait de l’amitié une vertu humaniste et littéraire, passe ainsi le relais à son cadet de l’Académie Mallarmé pour qu’il chante (le mot n’est pas outré) un parcours poétique, celui d’un homme droit, qui s’est toujours voulu, comme il l’a énoncé dans ce beau poème (repris en fin de volume) homme au sens le plus dense du terme: « Je parle droit, je parle net, je suis un homme. » Il est, certes, difficile de rappeler sans tomber dans les poncifs de la biographie et dans ceux de la vénération poétique. Christophe Dauphin, se basant sur une documentation de premier ordre, des témoignages de première main, des entretiens, de nombreuses lectures, une connaissance intime de la foison d’œuvres nées entre 1935 et 2002, rameute les grandes étapes de la formation d’un esprit, d’une conscience littéraire. L’occasion d’un tournage pour la télévision, sous l’impulsion du poète-maire Roland Nadaus, souda le poète des « Moyens d’existence » et son jeune biographe. Le centenaire fêté à Saint-Quentin-en-Yvelines en 2013.
"Le 23 mai 2014, il y aura dix ans que l’écrivain Rousselot nous a quittés. Le petit livre de Dauphin, qu’on lit d’une traite tant il respire le respect et le travail en profondeur pour nous faire mieux sentir une voix vraie, agrémenté de photographies (portraits de Rousselot et des groupes d’amis poètes) et d’une belle huile en 4e de couverture due à l’ami peintre Roger Toulouse, offre, en quatre sections chronologiques, une étude précise de soixante-dix ans dévolus à la poésie. Les origines ouvrières, le sens aigu du social et du juste, la lutte contre la tuberculose, les rencontres fondamentales des poètes Fombeure et Parrot, l’ancrage de Poitiers (la province enfin !) et l’effervescence intellectuelle de cette cité natale, une première revue créée (Le Dernier carré), la reconnaissance dès 1936 (avec « Le goût du pain »), le commissaire Rousselot résistant de la première heure (que de tâches et de faux papiers à prévoir !), l’intense expérience de Rochefort-sur-Loire (dont Rousselot est redevable, mais dont la seule mention finira un jour par l’agacer comme si c’était son seul ancrage), les travaux « alimentaires » dès qu’il cesse ses activités de commissaire pour se consacrer uniquement à la littérature…les matières sont multiples et le travail de Dauphin donne poids, relief, consistance à tous les trajets accomplis par le poète entre sens incisif d’une poésie à hauteur d’homme et conscience aussi précise de son devoir d’homme, de poète, d’écrivain solidaire, syndicaliste et engagé dans les mille et une tâches d’écriture poétique, critique, romanesque et de traduction.
Les solidarités littéraires s’inscrivent en grand dans cette perspective : les aînés salués (Reverdy, Jacob, Jouve en tête), les cadets mis à l’honneur (Cadou), les actions multiples dans les journaux et revues (jusqu’à Oran) pour défendre la poésie. Rousselot (que je comparerais volontiers à l’infatigable Armand Guibert, que Christophe ne cite pas) n’a jamais oublié d’être, en dépit de ses cent quarante volumes, en dépit des reconnaissances ; il méritait cette approche soignée.
Que retenir de plus frappant ? Tant de faits, tant de poèmes, tant de gestes ! Allez, sélectionnons : ses coups de gueule au moment où tout le monde se taisait lors des événements de Budapest (ah ! ses amis hongrois, Joszef, Gara, Illyés…) ; sa défense d’Abdellatif Laâbi des geôles hassaniennes ; sa défense d’une poésie de terrain (non de laboratoire)…. Mais, surtout, l’écriture d’une conscience. Et la fidélité souveraine à ses origines : « Et je suis seul à voir pendre derrière moi, - Comme des reines arrachées, - Les rues de mon enfance pauvre », (« Pour Flora et Gyula Illyés », Jean Rousselot).
Un très bel essai de Christophe Dauphin !"
Philippe LEUCKX (in recoursaupoeme.fr, 11 juin 2014).
"Un remarquable essai de Christophe Dauphin, qui nous fait découvrir le parcours atypique de ce grand poète que fut Jean Rousselot. Ce grand admirateur de Victor Hugo, dont les premiers poèmes portent l'indéniable empreinte du maître, trace un chemin qui nous mène là où il écrit : Malgré moi j'ai pitié des cours profondes et visqueuses - sans oiseaux, sans feuilles tourbillonnantes - Et du pétrin invisible qui geint en bas - Jour et nuit comme un forçat enterré. Ce livre retrace l'itinéraire fondateur d'un poète portant la marque de l'inconscient et l'esprit libertaire, qui ne triche pas avec lui-même, et sur lequel bien d'entre nous feraient bien de méditer: descends vers les gouffres, dit-il, perds ta couleur, tes yeux et le dernier écho, là-haut, de ta présence..."
Bruno GENESTE (in revue Spered Gouez n°20, octobre 2014).
|
|
|
|
Lectures
« Chez Christophe Dauphin, il y a une flamme inhabituelle de nos jours, qui contient une passion, dans son poème « Les oracles de l'ouzo », pour la Grèce, que l’on appelle : expression spontanée des sentiments. Nous n'avons rien entendu de pareil depuis Apollinaire et Jarry.
Christophe Dauphin est un poète qui glorifie la « bouteille » comme la met en valeur Rabelais à la fin de son Cinquième livre :« La dive bouteille vous y envoye, soyez vous memes interpretes de votre entreprinse. »
Sur un ton exalté se présente une nouvelle perspective pour la Grèce déchirée par les coups féroces des élites économiques européennes. Christophe Dauphin nous tend la main comme le firent Victor Hugo, Eugène Delacroix et bien d'autres philhellènes français, vers la Grèce révolté.
Ce poème, « Les oracles de l'ouzo », est dédié à la Grèce de nouveau assujettie aux liens inextricables du cynisme économique. »
Nanos VALAORITIS (in revue Eneken, Thessalonique, Grèce, août 2017).
*
" Ce « fanal », ensemble de poèmes très écrits, est bien l’éloge de ce que le vin, son entourage peuvent donner de plus beau. Le livre offre au lecteur, bien vivant, de très longs poèmes, chaque fois ancrés humainement et géographiquement. Ainsi, les nombreux dédicataires des textes ont un lien privilégié avec le poète voyageur, amateur de crus, qui, avec lyrisme et ferveur, à l’aide de métaphores parfois solennelles à l’adresse des lieux et des gens, au fil des rencontres dont il tire parti, sème de belles descriptions à l’usage des amateurs des régions de France et d’ailleurs, de leurs vins, et ce, par une traversée des vignobles, des divers cépages (« Cahors/ des tanins longs et concentrés ») et de l’histoire. Un peu comme l’eussent fait autrefois Cendrars et Thiry ou Goffin, pour insérer le banal, l’anecdote, le moderne, l’usage nouveau dans le poème. Ici, « la poésie roule plein gaz sur l’autoroute ».
Oui, il faut vivre et se donner le goût d’apprécier « la langue » qui « se nourrit de ce qu’elle absorbe », de moderne, passé, anecdotique etc.
L’exotisme, ainsi, n’est pas absent : « Le téquila se boit dans une ville-monde / au manteau de bidonvilles/ dont les trottoirs se recouvrent de paupières »
Rien de paradoxal pourtant à voir, dans cette célébration de la vie et de la vigne, quelques « tombeaux » à l’adresse des poètes, d’anonymes.
Célébration mais avant tout du vin, que Dauphin décline selon des variations en « cette Côte-Rôtie de belle terre et de pluie » ou en « c’est le pays de Saint-Chinian/ des fruits noirs et des parfums de garrigue/ qui fusent sur les réglisses comme tram sur la mer ».
Mais avant tout, dire, la mer, le soleil sur Londres, l’amitié des gens, des lieux, de tous les proches (A. Breton).
« Un fanal », c’est de la poésie qui a de la chair, de l’étoffe, de la matière. Quelque chose de grenu : on sent le poète plus versé pour décrire le monde qu’à densifier ses élans. Ses poèmes, donc, prennent le temps, s’arrogent la féconde langue des métaphores et la pâte heureuse des beaux termes poétiques.
Le lecteur sans cesse est sollicité : les invites, les apostrophes, les conseils sont nombreux (« Buvons ce vin aux tanins frais/ pas de trêve pour la soif »).
Comme dans plusieurs recueils antérieurs, Dauphin use des mots-métaphores avec trait d’union, tels que « épée-rasoir »…
Nourri de culture, de références littéraires et autres (terroir, tradition), le livre sait aller du côté du « pays de Joë Bousquet », l’ermite contraint de Carcassonne, dont le « vin » cathare « a la robe intense.
Tout le livre propose de belles trouvailles de rythme (ce que facilitent les anaphores et la longueur de nombre de poèmes) et des blasons :
Dans « Vau de vire des falaises », par exemple :
« Paupières d’ardoise et d’écume Dieppe fait rouler ses falaises Dans le fond de tes poches trouées »
Un très long texte, trois pages, au titre « Poète assis au bord du Danube », déroule thèmes de soi et hommage aux autres poètes, tel cet Attila Josef, dont la « nuque » fut traversée de balles.
Aussi, le livre est-il fécond pour faire sentir la fraternité et le vin s’offrir en partage.
« Ce vin dont le ciel est l’enclume » m’a fait tout de suite penser (effet intertextuel ou de connivence) à Bousquet et son « le fruit dont l’ombre est la saveur ».
Les bonheurs d’écrire abondent : « Lausanne s’enivre de chasselas/ et de solitude ».
Je suis sûr que Pirotte eût aimé ce catalogue de vers(verres) / à boire.
Bon vin, Dauphin, dirai-je tout simplement. "
Philippe LEUCKX (cf. "Critiques" in www.recoursaupoeme.fr, décembre 2016).
*
« Un fanal pour le vivant, poèmes décantés de Christophe Dauphin, Editions Les Hommes sans Epaules. Christophe Dauphin est une personnalité majeure du monde de la poésie. Essayiste, critique, éditeur, directeur de revue, il est avant tout un véritable poète c’est-à-dire un homme total. Le poète est celui qui porte sur le monde ce regard intransigeant qui fouille les entrailles de l’émotion comme du songe.
La poésie décantée de Christophe Dauphin est engagée. Elle s’engage et engage le lecteur très profondément dans les replis sombres ou lumineux de la psyché. C’est une poésie de la révolte. Le passant ordinaire devient corsaire de la liberté pour voguer sur une intimité ensanglantée. C’est le vent des mots qui sauve du vulgaire. Beaucoup de ces poèmes sont des cris.
Voici une poésie éveillante faite d’abordages et d’attaques intempestives. Des vivres pour ravitailler les habitants de l’Île des poètes, l’une des Îles des immortels bannis. Christophe Dauphin, d’un continent à l’autre, voyageur des corps et des âmes déchirés, explore le continuum de la douleur. Il refuse de dormir. Il refuse de supporter l’insupportable. Vivant, il s’adresse aux vivants même quand il est trop tard. Il ne s’agit pas de s’en laver les mains. Je dis et je retourne au banal. Non, l’amitié se construit, combattante ou distante du monde, elle est faite d’ivresse et de poésie. Face à l’impossibilité de ce monde-là, face à l’imposture permanente, il y a la posture rabelaisienne, le savoir et la joie. Le rire à en mourir. A plus haut sens. »
Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, 4 mars 2015).
*
"Un fanal pour le vivant est le nouveau recueil de l'étonnant secrétaire général de l'Académie Mallarmé, et directeur de la revue désormais mythique, Les Hommes sans Epaules: Christophe Dauphin. J'oserais presque parler de poésie-essai, car j'y trouve des rappels de nouveaux classiques comme Ilarie Voronca, Marc Patin, Sarane Alexandrian ou André Breton, sinon d'autres que le poète analyse sans concessions mais avec la pure passion qui ne l'abandonne jamais, de quoi qu'il écrive ou parle. Un fanal pour le vivant, décanté comme le vin du Vau de Vire ou le Cognac de Camus, est plus qu'un recueil, presque un manifeste de toutes les tentatives de ce poète hors-norme et prêt à toutes les aventures des mots les plus signés, dans une oeuvre foisonnante et surtout vivante, jamais endormie, émotiviste selon lui."
Paul VAN MELLE (in Inédit Nouveau n°274, Belgique, mai/juin 2015).
*
"Un fanal pour le vivant, c'est du Christophe Dauphin tout craché. Il faut lire "la ballade du salé", poème poignant et affectueux consacré à Alain Simon. Un livre où l'alcool roule grand train."
Jean-Pierre LESIEUR (in Comme en poésie n°62, juin 2015).
*
"Je n’imaginais pas écrire une lettre ouverte aujourd’hui. Mais Jean-Pierre Thuillat me rappelle amicalement que je n’en ai pas écrit depuis longtemps pour la revue. Et comme je viens de consacrer une émission radio sur RCF (« Dieu écoute les poètes ») à Christophe Dauphin, j’ai pensé que je pourrais la prolonger ici, dans ce numéro 118 de "Friches".
Justement, commençons : Christophe Dauphin s’auto-proclames athée, parfois à grand renfort d’imageries surréaliste : il a écrit, par exemple, une charge violente contre et pour (« Thérèse, Cantate de l’Ange vagin », éditions Rafael de Surtis, 2006) celle que j’appelle « ma copine » : Thérèse Martin, plus connue sous le nom de sainte Thérèse de Lisieux et à laquelle j’ai, alors maire de Guyancourt, consacré une voie publique… parce qu’elle était aussi poète… Il est vrai que cette grande petite sainte est, comme Dauphin, Normande et que ce dernier porte en lui profondément ce que Léopold Sédar Senghor, dont il fut l’ami et par certains côtés le disciple, appela sa « normandité ». L’œuvre poétique de Christophe Dauphin y fait très souvent référence avec bonheur et il a même consacré une belle anthologie aux poètes en Normandie du XIe siècle à nos jours : « Riverains des falaises » (éditions clarisse, 2012).
A propos de l’anthologie, Dauphin, qui est un boulimique de la lecture et de l’écriture, a également publié « Les riverains du feu » (Le Nouvel Athanor, 2009), un ouvrage anthologique dédié aux poètes qu’il rassemble sous le vocable émotivisme ». Ce concept, qu’il développe et qu’il illustre de cinq cents pages et qui reprend des extraits de recueils de plus de deux cents poètes (!), est au cœur de sa pensée et son écriture.
Car si Christophe Dauphin s’insère dans une filiation surréaliste, ce n’est pas pour singer un mouvement disparu, mais au contraire pour en poursuivre l’esprit – dont il juge qu’il est toujours extrêmement vivant. Et il est vrai que ses poèmes brillent souvent d’un éclat surprenant grâce aux images dont il a le secret et qui laissent le lecteur pantois et admiratif devant leur inventivité et leur puissance. Dans son recueil, « Le gant perdu de l’imaginaire » (Le Nouvel Athanor, 2006), qui est un choix de poèmes écrits entre 1985 et 2006, on en trouve à toutes les pages, ainsi à la première :
« La lune a mis ses bretelles sur l’idée de beauté Un train déraille dans la bouteille de la nuit Il est temps de décapiter la pluie D’égorger l’orage… »
Mais si j’ouvre ce beau recueil à n’importe quelle autre page, je reconnais le poète prince de l’image, roi de la métaphore :
« Le sourire d’une femme est la lame de fond du regard Debout entre trois océans »
Il faudrait aussi parler de son livre « Totems aux yeux de rasoirs » (éditions Librairie-Galerie Racine, 2010), préfacé par son ami Sarane Alexandrian, qui fut le très proche collaborateur d’André Breton et le directeur de la revue « Supérieur Inconnu », à laquelle dauphin collabora. Ou bien encore parler de ce gros ouvrage recueillant des poèmes, des notes, des aphorismes : « L’ombre que les loups emportent (Les Hommes sans Epaules éditions, 2012). Henri Rode surnomme Christophe Dauphin « l’ultime enfant du siècle et la fête promise ». C’est que, très tôt, dauphin a senti bouillonné en lui la poésie, indissociable de la révolte et de l’amour.
L’amour n’est d’ailleurs pour Dauphin pas loin de l’amitié à laquelle il sacrifie fidèlement notamment à travers la revue qu’il dirige : « Les Hommes sans Epaules », qui a d’ailleurs consacré une anthologie à ses collaborateurs de 1953 à 2013 sous le titre « Appel aux riverains » (Les Hommes sans Epaules éditions, 2013). A ce propos, il faudrait aussi évoquer son œuvre considérable de critique littéraire et de critique d’art. Dauphin a décidément une capacité de travail et de création qui, au sens propre, m’époustouflent !
Et comme il est encore jeune, bien que dans l’âge mûr, je lui souhaite de continuer ainsi avec la même vigueur et la même ferveur. Maintenant qu’il est devenu secrétaire général de l’Académie Mallarmé, il n’en aura que plus de force pour défendre et illustrer la poésie contemporaine, et pour soutenir ses créateurs.
Fraternellement en notre diversité."
Roland NADAUS (cf. « Lettre ouverte à Christophe Dauphin », in revue Friches n°118, mai 2015).
*
"Christophe Dauphin se sert du prétexte de diverses boissons alcoolisées et de différents vins pour faire appel à quelques poètes et autres célébrités (comme Joséphine Baker ou Léo Ferré) pour mieux se révolter contre l’ordre établi et ses injustices. Il renoue ainsi avec une tradition qui traverse la littérature française depuis Olivier Basselin et François Rabelais dont le « le vau de vire » du premier et l’ivresse chez le second ont été élevés au rang de métaphysique et de moyens de connaissance du réel. Et après ce parcours tant poétique qu’éthylique, Christophe Dauphin termine par ce mot qui sonne comme un coup de tocsin « Enivrez-vous ! ». Et par ce constat que la poésie n’est que la métaphore du vin (ou vice versa). Ses poèmes ont donc valeur de manifeste(s).
Ce n’est pas un hasard si le recueil s’ouvre sur une ode à l’ouzo qui se transforme rapidement en réquisitoire contre la politique européenne à l’égard de la Grèce : les technocrates unis contre la volonté d’un peuple. Technocrates et politiciens réunis par leurs trahisons ; l’exemple de la Grèce permet de dire ce qui se passe ailleurs (à propos de la crise) : « tu es belle comme les hauts-fourneaux de Florange / mastiquant de la gum Goodyear ». L’actualité du moment où j’écris ces lignes se retrouve dans ce vers « sur les chenilles des panzers de Madame Merckel ». Et ce n’est pas un hasard non plus si « Les oracles de l’ouzo » se termine par ce cri d’espoir « Rêve général ! » qui n’est pas sans rappeler ce beau titre de Pablo Neruda, « Le Chant général »…
Via le rhum, le whisky, le tequila, la bière ou, plus particuliers, le vin des côtes de Toul, le côteaux-du-layon, le chablis, le malbec, le montlouis, le champagne ou le saint-chinian (parmi d’autres) sont convoqués le surréalisme, l’anarchie, les poètes hongrois, Marc Patin, Jean Rousselot et bien d’autres. Et c’est à chaque fois l’occasion d’évocations d’événements historiques, du racisme, de la xénophobie, de la mort de l’amère Thatcher (qui nous vaut ces vers imprécatoires : « Dame de Fer, baronne de l’Enfer ! Rouille / rouille saloperie ! Que l’ordure aille aux ordures ! »), de l’assassinat du Che… Voilà qui explique l’engagement de Dauphin et qui donne sens à ces trois vers qui terminent « Poème ardéchois » (traversé par le souvenir de Jean Ferrat) : « Le jour est vide comme un verre / et le temps brûle comme une barricade / avec sa révolution licenciée par ses révolutionnaires. »
Mais Christophe Dauphin a aussi le culte de l’amitié et cultive le souvenir de ceux avec qui il a trinqué (du moins on se plaît à l’imaginer) : Guy Chambelland, Yves Martin, Jean et Alain Breton, Thérèse Plantier ou Jacques Simonomis qui sont, d’une certaine manière, à l’origine de ces vers émouvants : « Un Gewurz, un Riesling et un Singulier Grand ordinaire / c’était avant Jacques bien avant / que la tumeur ne ronge ton cri jusqu’à l’os » ou « Je suis seul et triste comme un con / avec Gabrieli et Meursault et toi… ». C’est peut-être là qu’il est le meilleur, peut-être... Le reste ne va pas sans quelques illusions : le Mexique est devenu l’arrière-cour des Yankees, la Hongrie s’est débarrassée de ses révolutionnaires d’opérette pour se donner au fascisme, les USA sont le pays de Guentanamo et toujours du racisme et du mépris pour les autres peuples… Christophe Dauphin, s’il rend hommage à des poètes comme Henri Rode, Alain Breton ou Paul Farellier, prêche pour sa paroisse (ce qui est normal) : « C’est un Lirac qui nous régalait là-bas / là où le Rhône émonde nos chants émotivistes / […] / ainsi sont les Hommes sans Épaules ainsi sont les Wah / buveurs de Lirac… » ; mais la poésie est diverse…
Que dire encore ? Qu’en cette époque où il ne faudrait boire que de l’eau, Christophe Dauphin est politiquement incorrect (ce qui est réjouissant), tant par ses préférences politiques, que par son éloge des boissons alcoolisées. Que le mot amitié revient souvent car ce recueil est celui de l’amitié qui n’est pas toujours nommée (mais alors on la devine), cette dernière coulant autour d’une table où les verres se remplissent… Que le temps est à relations intéressées… Que l’on ne prend jamais Christophe Dauphin en défaut sur la description des vins, que certains de ses poèmes comportent même des recettes (comme dans le poème intitulé « Asti »), que la fantaisie éclate dans la troisième strophe du « Vau de Vire du pauvre Lélian » : « Est-elle brune blonde ou rousse ? Je l’ignore / mais la Belgique nous en offre plus de sept cents / […] / des îles de houblon glissent sous le vent trappiste »… Mais, il faut être sérieux avec l’objet de ses rêves, sachant que cet avertissement vaut autant pour le poète de « Un fanal pour le vivant » que pour le signataire de ces lignes…"
Lucien WASSELIN ("Chemins de lecture 2015" in revue-texture.fr, août 2015).
*
"Ça bouge, ça danse, ça remue à profusion ! Il y a tant de matière à danser dans ce livre, il y a tant d’embryons, d’explosions, de longues et belles vies en chorégraphie que les lignes semblent la figure intrépide, les battements géants, les membres, la psyché multiprises d’un seul corps !
Lève-toi et danse ! Dévêts-toi de tes vêtements, de tes douleurs et désillusions, de ta mort, exalte la vie, le corps en transe, la primauté et l’infinitude du mouvement, comme David vêtu d’un simple pagne dansant devant l’arche d’alliance ! On dirait donc l’agencement, le rassemblement d’un seul être, transcendant, tumultueux, communautaire, où chaque poème, à tour de rôle, se lève, s’individualise, dit son histoire, son rêve, son essence, son origine, puis retrouve sa place au sein du corps dont il est solidaire. Et un autre à son tour se dresse, et un autre, et chaque effet individuel accroît l’effet général de rythme, de cadence, d’enivrement, d’allégresse qui doit autant à la réalité qu’à la prodigalité de l’auteur qui la met en texte. Je ne suis pas sûre (il s’en faut de beaucoup) de connaître le nom de tous ces vins, mais je suis sûre que Christophe Dauphin est un irremplaçable poète et que son ivresse de vivre nous promet encore de prodigieux lendemains.
Odile COHEN-ABBAS (in revue Les Hommes sans Epaules n°40, octobre 2015).
*
"Voilà bien longtemps que la poésie avait oublié les voies des chansons à boire. Non que les poèmes de Christophe Dauphin soient réellement à chanter, mais ils sont une véritable invite à boire. Il n'oublie certes pas toute la poésie à redécouvrir, les parfums et les couleurs avec le vocabulaire ad hoc qui déjà fait chanter les âmes. Et en bon poète qu'il est, il n'a de cese de se référer aux autres poètes, de Villon à Baudelaire, et de chanter autre chose que le vin, le whisky ou le calvados. Il remet ainsi au goût du jour les "vaux-de-vire" ou "vaudevires", célèbres au XVIe siècle.
Le vin sait couler ma naissance mon nom mon ombre - et mes angoisses - qui me suivent à la trace loup aux crocs de vigne.
En n'oubliant pas que le vin peut crier contre les misères sociales partout dans le monde et particulièrement dans nos territoires d'outre-mer: contre la vie chère kont pwofitasyon."
Bernard FOURNIER (in revue Poésie/première n°62, octobre 2015).
*
Son recueil, Un fanal pour le vivant, aurait pu s’appeler Alcools. Las, Apollinaire avait pris ce titre. Car Christophe Dauphin, né en 1968 en Normandie, écrit avec toutes sortes de breuvages, cidre, whisky, bière, Gigondas… Sa poésie est forte en goût, tonitrue, éclabousse, ou s’engourdit dans quelque rêverie… « Paupières d’ardoises et cils d’écume/Dieppe fait rouler ses falaises/dans le fond de tes poches trouées/d’où s’envolent des avions en bois. » Et ce constat qui ravira tous les dignes amateurs : « Nous sommes deux pour inventer le temps/dans un verre de mercurey. » À lire sans modération. L’avantage de la poésie est que son verre ne se vide jamais.
Philippe SIMON (in Ouest France, 15/16 octobre 2016).
*
"Il incombe à Adrian Miatlev d’ouvrir la marche d’Un fanal pour le vivant, le dernier livre de poèmes de Christophe Dauphin, dont le titre est tiré d’un texte du grand poète lyonnais Roger Kowalski : Un vin rigoureux dissipe la pénombre, une lueur de cuivre sur la table, un fanal pour le vivant. Sous l’aile de ces deux aînés, Christophe Dauphin donne libre cours à ses envies, à ses passions, à ses excès de toutes sortes, qu’il gère par le biais de la poésie ; une poésie qui rappelle celle du cher vieux Cendrars. On est dans le ton. On vit les choses avant de les écrire. Tiens ! En parlant de « vit », il en est fortement question dans ce livre. Allez-y voir ! Ici, on boit du vin, du bon, du meilleur : un Pomerol, par exemple ! À la santé de Luis Buñuel, de son Los Olvidados et de bien d’autres.
Mais il n’y a pas que le vin dans la vie, ni de films en version originale. Christophe Dauphin est sensible à bien d’autres choses. D’aventures syntaxiques, de paris, de jeux frivoles et/ou graves ; il amasse, il emplit ses coffres de poèmes et d’objets hétéroclites, qui s’avèrent être sous sa plume des objets poétiques, des mots qui dérangent, qui interpellent.
Dans cet ouvrage, comme dans la plupart de ceux de Dauphin, le quotidien est sublimé. Le poète veut tout. Maintenant. Tout vivre et tout voir. Tout entendre, tout respirer. On est riche d’expériences, de gestes, d’émois. Christophe est le dauphin de l’Empire du surréel. Son esprit fourmille. La poésie : il aime ; la sienne et celle des autres.
Chez lui, chaque battement de cil est un poème.
Il faut goûter les textes d’Un fanal pour le vivant, pour apprécier les saveurs de la poésie qui se crée aujourd’hui. Ajoutons, qu’Un fanal pour le vivant s’est vu décerner le premier Prix Roger-Kowalski des Lycéens en 2015."
Jean CHATARD (in Les Hommes sans Epaules n°43, 2017).
*
"Il était possible de s’en tenir à l’esprit, à la lettre féconde de ce grand livre sur l’éloge de la Vigne de Christophe Dauphin « Un fanal pour le vivant », de suivre le parcours, les trajectoires innombrables de ce vin identitaire au travers des mœurs, des régions du cœur, des pays. Et notre joie, notre surprise auraient été combles. Mais ce qui m’a encore voluptueusement, béatement, captivée dans cette épopée énergique, magistralement composite de l’ivresse, c’est celle qui l’exprime, et la façon insolite, toute nouvelle dont elle l’exprime : la bouche. La bouche éminente du poète.
Ici la bouche qui dit et la bouche qui boit est érotisée à l’extrême, la bouche duelle du verbe et de l’ingestion, s’étire, se meut, se transcende sans retour, se compose en un mode majeur et, dans une tension de suprême dilatement, s’unifie, jusqu’à faire du poème un concept organique quand le lieu du vin et le lieu du texte convergent. « La poésie crée la soif du poème et du corps -que mord le mot soleil -une femme se cambre comme un pont sur l’été - et la bouteille libère son fleuve »
La bouche maîtresse du poème de Christophe Dauphin est une bouche qui nous donne à baiser ses lettres mêlées au goût des vins et de leurs origines, mais aussi, écartelée de tous les appels du réel, une bouche qui s’ouvre toute, qui a sa demeure dans l’engagement, le serment et l’honneur, fondant sa mystique de dons concrets et d’échanges substantiels. Car cette bouche, ces lèvres dilatées ont ceci de particulier qu’elles sont à la fois forme et action. Beauté formelle qui se réalise dans l’espace, y trouve son règne plastique, et percées dans les mouvements du temps, les circonstances, les traumatismes historiques. « Tyrannie dans la maison que tu habites - et dans la clé qui la ferme - dans le sommeil et les saisons au visage inutile - dans l’enfant qui boit un fil de lait - dans la femme et le travail que tu as perdus - dans le flocon qui fait fondre les oiseaux - dans le poème que tu écris ou n’écris pas - dans le soleil qui donne froid dans le dos - dans la couleur de tes yeux et celle de ta peau - il y a tyrannie »
Cette bouche généreuse, qui semble sans fin s’ouvrir primitivement sur l’univers, comme rejouant son surgissement d’un moment fatidique, originel, prend tout, combine tout, transmute tout, incorpore les substances scripturaires à la flaveur des vins et de la salive : l’être, l’écrit, le dire, le cep, la vigne, les hommes, les poètes, les bourreaux, les victimes, soi-même, la mort, le désir. Portée dans son discours vivant aussi, témérairement, la mort insupportable de l’ami ! Je me suis demandé s’il y avait concoction, préméditation ? alchimiques à cette allégeance totale aux forces efficientes du langage, ce fracas d’armes verbales d’une efficace et d’un sensualisme envoûtants.
Mais non, chez Christophe Dauphin, tout vient d’un coup, à chaque instant. C’est son panache, sa joute ascendante ! Le meilleur ni le pire n’épuiseront jamais les atouts de sa langue. Sa bouche, ses fonctions linguale et linguistique sont des liqueurs laudatives. « La joie est dans toute chose, mais toute chose a besoin d’une autre chose, pour faire jaillir sa joie. La joie c’est ce visage, cette vigne et ces mains énormes de soleil, ces yeux où les regards tournent comme des insectes dans les trous d’un arbre, ces tempes, ces joues creusées par l’orage, ce corps de femme qui attend l’amour et dont le fleuve est un bras jeté en travers d’un pont, alors que l’autre tient haut dans l’air le bouquet des comètes, qui voyagent comme les tannins traversent l’aurore boréale, pour atteindre Braila, que le fleuve rejette comme un vieux marin triste contre l’épaule des Carpates ; »
Et le vin, mémoire intime, mémoire commune, mémoire historique (toutes consanguines), prendra toujours le pas sur l’ensevelissement, la finitude de l’autre mémoire, triomphe et grâces indemnes du souvenir ! Cependant, la lecture de « Un fanal pour le vivant », n’est pas une lecture paisible. De part en part de la texture poétique, l’extraordinaire émerge et déchire la trame, offrandes de mots, d’images, d’associations violentes et rares qui ont coupé leurs nœuds et leurs liens avec le terrestre, le sensé, le raisonnable. La bouche fait des voltes, entre dans les voies sarmenteuses du secret, du jamais énoncé, connait l’union sensuelle avec d’autres langages de sang, de vin, de pierre, d’eau et de feu. « Le Tequila se boit la tête dans un mur - qui déchire les veines coupe les voix - arrache les tripes des mots et divise - jusqu’à la mer éventrée qui rouille dans ses vagues - à Tijuana les projecteurs sont braqués sur la mort - par le yankee qui sonne la charge de 7e de cavalerie »
Ce qui me transforme au fur et à mesure de ma lecture, c’est le polymorphisme d’un authentique courage (et pas seulement un courage poétique), une puissance, une jouissance insurgées de vivre qui affrontent les phases les plus sordides et les plus sublimes de la réalité. Voici sa révolte, l’enrôlement du cœur qui exulte : « Margaret n’a plus une seule arête - et le genre humain se donne la main - pour sabrer cette cuvée Amour blanc de blanc - pour savourer son trépas - des notes florales de tilleul et de chèvrefeuille - qui crachent sur sa mémoire et son sang pourri - Battler Britton et Lord Byron crient : champagne ! » Et parce que l’ouvrage ne saurait, par essence, en rester sur une fin, ceci encore, volubilement amoureux, qui me fait tant sourire : « Qu’est-ce qu’on boit maintenant Alain Thibault - un Gasnier ou un Angeliaume ? -Une Vieille vigne 100% Cabernet Franc - une Vielle vigne de Cravant-les-Coteaux - pardi ! »
Odile COHEN-ABBAS (in revue Les Hommes sans Epaules n°45, 2018).
*
"Ces poèmes parcourent l'Europe pour célébrer le vin et la vigne, la richesse des terroirs et l'ivresse qui exalte les passions. "
Electre, Livres Hebdo, 2015.
*
« Ce Vésuve qui marche en moi la nuit »
Christophe Dauphin
On n'en finit/finirait pas de relever les bonheurs d'expression, les trouvailles, l'oeil surréaliste et inventif de l'auteur, à la lecture de ce Fanal pour le vivant, dont le sous-titre Poèmes décantés diffuse déjà un peu des effluves, des arômes corsés qui attendent le lecteur dès les premiers poèmes. La densité du livre ne se volatilise pas dans l'écoulement des pages. Il faut, consciemment, ou pas, se préparer à tendre souvent son verre. La soif du poète est communicative. Qui s'en plaindrait ?
Livre ouvert, c'est souvent gargantuesque, ça porte une adresse verlainiene pour le pauvre Lélian, ça flatte ailleurs la chanterelle ou le bandonéon, ça trinque avec Jehan Rictus, ça enchante le gosier, tombe la veste/le cuir. Et souvent ça fait un bras d'honneur à la mort. Comme les toasts au champagne à la nouvelle du décès de Margareth Thatcher[1], dont la politique et le soutien affiché à un certain général chilien ont laissé leur traces dans les mémoires. La sentence pour celle qui n'aura su que se révéler indifférente, méprisante à ceux d'en bas, se mue, à juste titre, en hymne à la joie... et au champagne !
Difficile de résister à l'élan de vie du bon buveur qu'est Christophe Dauphin, à l'enthousiasme de cet échanson, qui tient du maître de chais et qui le prouve à l'envie.
Mes dithyrambes de l'alambic/mes poèmes décantés des iles tanniques» C'est lui qui parle....Et qui ajoute La poésie crée la soif du poème et du corps/que mord le mot soleil/une femme se cambre comme un pont sur l'été/et la bouteille libère son fleuve. Ailleurs ce titre Il faut être ivre pour être vivant. Rappelons en passant que le personnage est un gilet jaune affirmé et qu'on a pu le voir, en bonne logique et bonne compagnie, sur les rond-points !
Impossible non plus de ne pas lui tenir compagnie quand s'allonge l'insoutenable liste des amis passagers des voyages sans retour, avec lesquels les liens ne pouvaient être que fraternels et/ou teintés de respect. Parmi leurs noms qui s'allument dans le texte, figurent Albert Ayguesparse, Guy Chambelland, Jean Breton, Jean Rousselot, Illyes et Gara, Sarane Alexandrian, Jacques et Yvette Simonomis, (Jacques auquel le recours à l'argot fait penser) Marc Patin, Yves Martin, Alain Thibaut, Ilarie Voronca, Jean Sénac, Mouloud Feraoun, Jacques Taurand, etc, etc … Les poèmes alors sont chargés d'une tendresse réelle. Dauphin est un authentique adepte de la fraternité humaine, dont le pendant peut se révéler être une férocité justifiée, défensive. [2]
Le personnage n'est pas épargné non plus par les plongées en abîme Ce vin c'est une cure de sommeil sur la rampe du coma/c'est le cru de l'oubli/ de l'homme qui boit/de l'homme que personne ne voit/qui apaise sa douleur dans la soif. Ou ailleurs Une corde est accrochée à une poutre//Les wagons s'enfoncent dans la nuit-Krisztina/et dans chaque compartiment/on dort dans le verrou de la mort.
Sans oublier Ici rien ne chante/que les fonderies dans l'oracle du fer/et des oiseaux en fusion s'envolent/comme des cloches qui sonnent le glas.
Christophe Dauphin, il tient la barre en bon Viking est un voyageur qui n'aura pas seulement voyagé autour de sa chambre, un voyageur qui salue, ce n'est pas contradictoire, Joë Bousquet, grand paralysé de guerre. Il a écrit (et bu, comment non ?) en Amérique Latine, (Chili, Mexique notamment) Lèche ta peau entre le pouce et l'index/le mot et la vie et bois le Tequila/qui nage dans l'agave et brille d'azur dans nos gouffres/au bord de l'aile et de l'abîme...Il a séjourné aux Etats-Unis C'est un whisky [3]que le blues distille/dans la nuit du lézard qui déboutonne le désert/sous les paupières ensevelies du sommeil. Son poème garde vivant le sang de son passage dans plusieurs pays d'Europe (et pas seulement le sang de la vigne). Et il ne maque pas d'appétit pour les dépaysements, les changements d'horizons qui fertilisent l'écriture, tordent le cou aux habitudes.
Ce fanal pour le vivant illumine les ivresses, adoucit les angoisses. Comment ne pas être tenté de remettre une tournée porteuse d'autant d'arômes ?
Gérard Cléry (in revue Concerto pour marées et silence n°16, 2023).
[1] Requiem pour une dame de fer, page 60
[2] Soleil d'Agave, page 20
[3] Le blues de la nuit californienne, page 34
Gérard CLERY (in revue Concerto pour marées est silence, 2023).
|
|
|
|
Lectures critiques :
Enveloppe ouverte, on croit un moment halluciner ! Une nouvelle livraison de la revue Le Cri d’os, pourtant disparue en 2003 ! La couverture est un peu plus étroite et le papier différent, avec ici photo couleur et pelliculage… En fait, elle ressuscite pour un n° spécial consacré entièrement à feu son animateur, le poète Jacques Simonomis, grâce à Christophe Dauphin et aux Hommes sans Épaules éditions.
On est donc aux confins du numéro de revue et de la monographie. La revue a existé dix ans entre 2003 et 2013, s’est arrêtée au n° 40 (moitié trimestrielle, moitié semestrielle). Et Jacques Simonomis s’est éteint, il y a dix ans tout juste.
Cette présentation en trompe l’œil et pour rire ferait presque oublier que Simonomis fut surtout un poète avant d’être, une décennie durant, un revuiste incontournable. L’hommage qui lui est rendu remet les choses en perspective. Christophe Dauphin, dans une première partie fournie, s’attarde chronologiquement sur la vie et l’œuvre du poète, en s’intéressant à chacun de ses recueils. Ainsi qu’à son engagement libertaire et humaniste, qui lui fera consacrer des études à Tristan Corbière et Gaston Couté... Pacifiste aussi puisqu’il connut la guerre d’Algérie pendant vingt-huit mois, comme toute cette génération de poètes qui en fut profondément marquée. Simonomis reste original, puisque sa poésie, et au-delà son écriture, sont difficilement classables. Gravité et légèreté se croisent, réalisme et imagination voisinent, fantastique, fantaisie et humour cohabitent, le tout dans une langue où le lexique n’a pas de limite. Simonomis qui a fait de son nom un palindrome, a trouvé un style, une plume et un ton pour le moins singuliers.
Nous qui ne sommes pas « nés » / gens sans terre sans fortune / petit peuple qu’on range / d’un coup de trompe ou de langue / avec la meute... Il a su faire de son socle prolétarien un tremplin pour un imaginaire débridé, insolite et fantaisiste. On a / volé le tapis volant / reflétri le roseau pensant / coupé la bosse au dromadaire / fait la guerre au propriétaire. Avec grand appétit de vie et conquête du temps : je ne crois plus à mon déclin j’appartiens à la route / j’ai faim. Son sens du merveilleux se marie parfaitement à l’érotisme dont le poète est friand : De mes poings sortent des oiseaux. Autour de tes seins, je tatoue des poèmes que tu ne peux pas lire.
Jacques Simonomis est à lire, ou découvrir. « J’écris pour ne pas me rendre », écrit-il. Poète plus complexe qu’il ne paraît, il a su couler sa poésie si personnelle dans l’éventail des formes, de l’aphorisme à l’histoire courte pour chaque fois faire mouche :
Perfectionniste, il raturait ses ratures.
LE CLANDESTIN
Le train s’arrêta. Je sautai sur le ballast et longeai les wagons plombés à la recherche d’un signe. Un ver luisant me prit la main. Nous évitions les aiguillages où le destin bascule car nous voulions toucher le bout des nuits, là où la solitude, la liberté et la mort étendent sur le champ le drap du jour nouveau.
Jacques MORIN ("La revue du mois" in dechargelarevue.com, mai 2015).
*
"Dans le travail d’information que mène Ent’revues, repérer les revues naissantes est la moindre des choses. Aviser de la fin d’une revue est moins évident : la revue s’arrête-t-elle, est elle arrêtée, empêchée, agonisante ? Et puis un dernier numéro peut apparaître, épuisant les inédits, fonds de tiroirs, de rédaction. Il ne s’agit pas de cela ici. Le Cri d’os, achevé d’imprimer cet avril 2015, est le « no 41/42 et ultime dernier ». Cette revue fut créée en 1993 et publiée jusqu’en 2003 sous la direction de Jacques Simonomis. Sous ce palindrome spéculaire se cache – à peine – un autodidacte atypique, poète truculent et combatif, « [de] la lignée d’un Corbière, d’un Alfred Jarry ou d’un Paul Vincensini ». D’ailleurs, il écrit : « JE SUIS SIMONOMIS ho hisse mon nom claque sur mes cuisses avec mes mains rieuses paysannes. » Il est mort il y a dix ans : Les Hommes sans Épaules éditions lui rendent hommage en publiant cette livraison singulière. Il s’agit de la réédition d’un essai de Christophe Dauphin paru en 2001, revu et augmenté, et complété d’un important choix de textes et poèmes reflétant l’œuvre multiple, foisonnante.
Laissons la parole à celui qui fut aussi un animateur de Soleil des loups (1985-1992) : « Je ne veux pas mourir dans la peau d’un revuiste, mais dans celle d’un poète indépendant. J’aurais acquis, dans cette aventure, un immense respect pour les responsables de revues, même celles que je n’aime pas ou qui m’ont été hostiles. J’ai fait ce que j’ai pu, comme j’ai pu, avec ce que j’avais. En définitive, Le Cri d’os m’aura apporté plus d’emmerdements que de joie. Mais il est trop tôt pour dresser un bilan. »
À noter, Les Hommes sans Épaules seront présents au 25e Salon de la revue, et présenteront sur leur stand la revue Le Cri d’os."
ENT’REVUES, le journal des revues culturelles (in entrevues.org, mai 2015).
*
" Un remarquable et inattendu hommage au maître d’œuvre de la revue Le Cri d’os qui parut de 1993 à 2003, soit la même époque que Gros Textes. Ce numéro met également l’accent sur le poète Simonomis. L’ensemble est une passionnante page d’histoire littéraire de la marge et nous donne à lire quelques échantillons de la langue riche d’un qui apprit le métier chez Corbière, Couté ou Richepin. "
Yves ARTUFEL (in grostextes.over-blog.com, 11 mai 2015).
*
« Jacques Simonomis nous a quittés en 2005, deux ans après avoir publié le dernier numéro de la revue Le Cri d’os, fondée en 1993. Nous devons à Christophe Dauphin ce numéro exceptionnel et inattendu d’une revue emblématique en hommage à son fondateur. Le Cri d’os, annonce-t-il, ce sont « neuf cents notes de lecture, trois cents auteurs différents, quatre-vingts illustrateurs » plus « de nombreux numéros spéciaux consacrés à Max Jacob, L’école la poésie, François Jacqmin, L’Homme et l’œuvre, Jean Cassou, Le surréalisme américain, Norbert Lelubre, Théodore Koenig, Luc Decaunes, L’Erotisme…) ». Une œuvre énorme, tranchante et puissante comme seuls les poètes savent le faire.
Cet ultime numéro est composé de deux parties, un long portrait, presque une biographie avisée, dressé par Christophe Dauphin, compagnon de route de Jacques Simonomis, et un ensemble de textes et poèmes choisis de Jacques Simonomis. Et d’abord ces mots de Christophe Dauphin qui donne un sens aigu au nom de la revue, Le Cri d’os : « Simonomis dévorait la vie avec excès, comme pour conjurer les blessures et les frustrations d’une jeunesse bafouée et mal vécue. Simonomis, c’était le fils du peuple et de la mère-caresse, de la mère-douleur et du père volage qui dépensait sans compter l’argent du ménage. Une enfance mutilée jusque dans les rides de la mère. Simonomis, c’était le jeune homme au regard d’abîme, au dossard illisible, qui dut gagner son pain d’adolescent. C’était l’autodidacte total, parfait et rageur, l’homme de la culture intégrale, y compris et surtout populaire, les plaies du réel, la marche sur le fil du rasoir. Simonomis – il me l’a dit à plusieurs reprises –, n’avait pas peur de la mort. (…) Simonomis invente son monde et son univers, qui débouchent sur une mythologie personnelle. En cela, dans un monde aussi étriqué que le nôtre, l’aventure du Cri d’os créa-t-elle un espace de liberté et d’ouverture en libérant un précieux oxygène. Derrière la bonhommie de l’ours, comme derrière son rire énorme, il y avait tant de fêlures. Tout était à vif. Simonomis était parfois entêté, emporté et maladroit, susceptible, mais toujours fraternel et entier. »
Et de citer Jean Despert : « il faut l’avoir vu se hérisser lorsqu’on tente de se mettre en travers de sa liberté d’homme et de poète. Car, il y a le poète, le narrateur, le critique, le polémiste, l’homme aux quelque trente ouvrages drus comme lui, chargés d’humour et de dynamite de tendresse pour les uns, d’acide décapant pour les autres, avec cette sensibilité à vif de peau et de cœur qui vous entre dans la poitrine et le cerveau pour y creuser un chemin qui vous mènera parfois plus loin qu’il ne le souhaitait… »
L’homme, talentueux, est attachant et ne laisse pas indifférent, il secoue, il réveille. Les témoignages recueillis pour ce numéro ultime concordent sur un point essentiel, ceux qui le côtoient se sentent davantage vivants.
Jacques Simonomis a commencé à écrire tôt pour n’être publié qu’à trente-cinq ans. Bien sûr, il se heurta à l’indifférence et à la bêtise du milieu littéraire dans lequel il ne connaissait personne. Son premier recueil, Les Sirènes avec nous, paraîtra en 1975, une poésie troubadouresque qui précèdera une trilogie de jeunesse au caractère très vital. Il commence à fréquenter les poètes mais à part Jean Cassou, ces rencontres ne seront pas décisives et se révèleront plutôt décevantes. Avant de fonder Le Cri d’os, il collaborera à de nombreuses revues et en animera certaines comme Soleil des loups de 1985 à 1991.
Son œuvre est marquée par la gravité, notamment quand il traite de la guerre : il a vécu la guerre d’Algérie. Jacques Simonomis ne laisse passer aucune des turpitudes humaines même s’il sait aussi faire preuve de légèreté, s’exerçant à la caricature ou au burlesque. L’œuvre est sombre. Mais plane toujours dans ses poèmes la lumière, même pâle, qu’apportent la révolte et l’inconditionnalité. Et l’amour, toujours présent à travers sa compagne et muse, Yvette Demay.
Le flibustier laisse son œuvre comme un hymne à la liberté. Il appelle au combat permanent. Il a cherché des mots pour se battre, il les a trouvés, il nous les a laissés pour que nous poursuivions le combat."
Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, 7 juin 2015).
*
« Après nous, un dossier encore pour Simonomis. Avant tout le dernier numéro 41/42, posthume hélas, du « Cri d’os », hommage imposant et essentiel de Christophe dauphin au grand Jacques, plus que complet, grâce aux documents prêtés par sa chère Yvette et les souvenirs encore si vivants de l’impossible et si humain et authentique anar. »
Paul VAN MELLE (in Inédit Nouveau n°275, juillet 2015, La Hulpe, Belgique).
*
"Ce fort volume de 240 pages, donné comme l’ultime dernier de la revue Le Cri d’os [1993-2003], cependant édité par Les Hommes sans Épaules, s’avère un régal. La première moitié du volume est consacrée à une présentation du poète Simonomis, 37 ouvrages parus, un prix obtenu en 1993 auprès de la SGDL, un poète peu connu donc, présentation signée Christophe Dauphin. Et la seconde moitié fournit un copieux choix de poèmes qui retient plus que l’attention.
La présentation, riche d’informations sur la vie poétique des cinquante dernières années, est conduite avec adresse, lucidité, et une confraternité du meilleur aloi. C’est une analyse de l’œuvre et un témoignage à la fois dont les cinq parties se lisent d’une traite. Cela commence par le vif portrait d’un « jeune homme au regard d’abîme, au dossard illisible, qui dut gagner son pain adolescent ». Au travail, en effet, dès l’âge de 17 ans, le poète a acquis sa culture en autodidacte. Il pourra écrire, ne publiant son premier volume qu’à 35 ans, « ma poésie ne sort pas des livres ». Péguy, rapporte Gérard Cléry dans sa préface à ce livre, notait qu’un « mot n’est pas le même selon un écrivain ou un autre : l’un se l’arrache du ventre, l’autre le tire de son pardessus ». Simonomis écrivait à peau nue. C’est sans doute en partie pourquoi « le milieu le reçut à bras fermés » et pourquoi cet ouvrage est si émouvant.
Christophe Dauphin, qui a de même présenté Jean Breton ou la poésie pour vivre en 2003, rappelle sans ambiguïté : « La poésie fait-elle autre chose que fouiller cette plaie qu’est l’homme ? » Le critique a des trouvailles, c’est-à-dire un style : « les images glapissent […] le poète se bonifie livre après livre […] il a l’humour d’attaque ». Il a su prendre le pouls de l’œuvre de Simonomis consignant cette grave facétie : « La vie n’est pas sérieuse, la preuve c’est qu’on en meurt. »
Le critique distingue trois plaques tectoniques dans cette œuvre. La première, dans le temps, s’apparente à la poésie des sans-grade, d’un pessimisme actif. Lui succède une poésie picrocholine que Dauphin préfère d’ailleurs rattacher à la nature des contes. Enfin il y a toute une part proche de Vincensini, si naturelle qu’elle parle aux enfants, et qui, dans de courts poèmes en prose, rejoint parfois Godeau. Ces trois axes s’interpénètrent. Ce sont en fait les frontières qui varient.
Le choix de poèmes, nourri, procurant une belle anthologie sur 120 pages, illustre bien ce que le critique a su lire et donner l’envie de lire. Un des premiers poèmes publiés, "Le Puits", en 1976 fait qu’on ne peut mieux dire : « Mi-larmes, mi-colère / mécontent de ce bas bonheur / je descendais dans le cafard / nu, sans poignard, cigale à folie noire […] Je ne crois plus à mon déclin, j’appartiens à la route / j’ai faim. » À ce cycle faut-il rattacher les poèmes sur la guerre d’Algérie, dans un choix établi par Jean Breton et publié en 1999 sous le titre La Villa des roses ? Le très beau poème qui donne son titre à ce volume devrait en tout cas être étudié au collège. Donner à partager la nature même de l’injustice, la plaie de l’homme, quoi de plus nécessaire ? Simonomis ne conciliait-il pas ce qu’attend la jeunesse : « Donnez-moi les mots pour me battre » en même temps que « la tactique de mon cœur / était de vous aimer ». On lit encore ce cri d’os, comme il disait : « j’ai voulu vivre sans mentir » et, les illusions consumées, « les yeux ne sont pas faits pour se regarder écrire ».
Un fort beau volume, donc, qui confère à ses auteurs, l’un vif et la mémoire de l’autre lui devant de le rester, une pleine et entière reconnaissance. Puissiez-vous, qui passez, la partager à votre tour !"
Pierre PERRIN (in recoursaupoeme.fr, août 2015).
*
"Le Cri d'os a cessé de paraître en mai 2003 avec son n° 39/40… Et voici que Christophe Dauphin publie un hommage à Simononomis, l'animateur de cette revue, décédé en février 2005; un n° 41/42 et ultime dernier qui se présente comme les précédents à peu de choses près, les amateurs reconnaîtront. Cet hommage regroupe une préface de Gérard Cléry, un essai de Christophe Dauphin (intitulé Comme un cri d'os, Jacques Simonomis, paru en 2001 sous un autre titre et ici revu et complété), un choix de textes et de poèmes de Simonomis et une bibliographie de ce dernier. Le livre est complété par de nombreuses illustrations et une liste des poètes et des illustrateurs publiés dans Le Cri d'os de mai 1993 à mai 2003.
J'ai toujours dans ma bibliothèque les livres de Jacques Simonomis, ceux que j'ai achetés comme ceux que j'ai reçus en service de presse de sa part ou de celle de son épouse Yvette après sa disparition… L'un d'entre eux me fit une telle impression, La Villa des roses (publié en 1999 par la Librairie-Galerie Racine) que je le place aux côtés de La Question d'Henri Alleg (ouvrage que celui-ci complétera en 2001 par un entretien co-édité par Le Temps des cerises et Aden)… J'avoue que j'ai ouvert à nouveau La Villa des roses : l'impression est toujours la même…
L'essai est une bonne introduction à l'œuvre de Simonomis qui pourrait apparaître hétérogène à ses nouveaux lecteurs : de l'humour au conte en passant par la dénonciation et l'indignation ! C'est que, comme le souligne Christophe Dauphin il n'y a chez lui "aucune trace du politiquement correct". On peut lire aussi dans cet essai un intéressant développement sur le poème en prose et une comparaison avec l'utilisation de la prose par Benjamin Péret qui vise à mettre en évidence l'originalité de Jacques Simonomis : "… les petites histoires de Simonomis ne relèvent pas, même si certaines s'en approchent fortement, du poème en prose" et "Le conte de Péret relève de l'écriture automatique, du surréel. Le conte de Simonomis, d'une réalité qui dérape, pour gagner les terres de l'imaginaire, du burlesque et de l'humour". Le plus beau et le plus intéressant chapitre de cet essai est sans doute celui consacré à la guerre d'Algérie et à la publication de La Villa des roses. C'est le constat implacable de la démarche d'un appelé du contingent, non politisé et qui n'est pas encore poète : comment Simonomis réagit à ce qu'il voit et à ce qu'il subit. La Villa des roses est un très beau livre, un livre utile comme disait Paul Éluard… Un livre toujours d'actualité : on peut relever dans ce qu'écrit Christophe Dauphin ces mots : "On le sait, nombreux sont ceux qui n'accepteront pas et n'acceptent toujours pas d'avoir dû lâcher leurs privilèges", mots qui renvoient à l'article paru sur le site internet La Faute à Diderot qui rappelle que la nostalgérie (1) est toujours de mise… Façon de dire ici que La Villa des roses est toujours à lire ou à relire.
Christophe Dauphin illustre son essai par un choix de poèmes qui permet de se faire une idée précise du talent de Simonomis : presque tous les recueils sont représentés. Cette anthologie est une épreuve de rattrapage pour tous ceux qui n'auraient pas encore lu le poète… Certes, le "politiquement correct" est absent de cette poésie. Mais ce sont les poèmes de l'époque 1954-1962, écrits pendant la guerre d'Algérie, qui ont ma préférence : peut-être est-ce dû aux bruits de bottes, aux explosions, aux miaulements des shrapnels et autres fantaisies guerrières qui dominent actuellement le monde… Pour ne pas désespérer des hommes."
Lucien WASSELIN (in recoursaupoeme.fr, août 2015).
Note 1: Nostalgérie. L'interminable histoire de l'OAS. Christian Langeois a lu le dernier livre d'Alain Ruscio.
*
" Une belle photographie de couverture offre au lecteur la bienvenue chez Jacques Simonomis, qui ouvre une porte en guise d’accueil poétique. Une façon aimable de convier à la lecture de ce brillant essai signé Christophe Dauphin ; essai de 150 pages suivi d’une sélection des principaux ouvrages de Simonomis. Tous les textes majeurs sont bien entendu au rendez-vous et l’on peut lire et relire les extraits les plus représentatifs de ce poète utilement secondé par une épouse admirable (le fameux « colibri ») qui fit beaucoup pour sa notoriété et qui poursuit encore aujourd’hui les retombées d’une oeuvre trop tôt interrom-pue. Tout, chez Jacques Simonomis, était prétexte à poème ; tout tournait autour de la poésie, en tout premier lieu la revue Le Cri d’os, qu’il fonda après avoir fait ses « humanités » dans d’autres publications poétiques. Ce coup d’essai fut un coup de maître (40 numéros parus) et sa grande facilité d’élocution fit beaucoup pour la revue, mais également pour l’oeuvre personnelle du poète. Il savait « payer de sa personne » et n’hésitait pas à prendre la parole en public, à faire une conférence ; ce qui lui procurait une certaine audience, qui se répercutait sur le nombre croissant de ses lecteurs. Christophe Dauphin a su, en cet essai, privilégier le côté « grand public » de Simonomis, son désir d’être le plus près possible des gens. Le présent volume (Le Cri d’os n°41/42) consacre plus de 100 pages à une sélection très « pointue » des oeuvres du poète. Les photographies y abondent, en compagnie de différentes personnalités du monde poétique. Détail émouvant : la tombe de Jacques Simonomis au cimetière du Père-Lachaise, à Paris :
AMIS
Amis aidez-moi de vos voix lointaines quand mon corps hésite
Caressez-moi de mots que nous aimons ensemble tous unis contre la varlope de la mort qui chante
Le bruit insidieux de son atelier ne faiblit jamais la cheminée crache des visages
Le mot de vie c’est un prénom de femme
Mon amour embrassons-nous toujours sur la route froide
L’invincible silence a piégé la nuit
Jean CHATARD (in revue Les Hommes sans Epaules n°40, octobre 2015).
*
" Venu d'outre-tombe la revue Le Cri d'os n°41/42 ressuscitée pour un seul numéro par Christophe Dauphin. Ayant bien connu et apprécié Simonomis, je me réjouis de ce retour temporaire et vous invite vivement à aller vous requinquer à la lecture de ce numéro gargantuesque."
Jean-Pierre LESIEUR (in Comme en poésie n°63, septembre 2015).
*
"Christophe Dauphin est le maître d'oeuvre de cet ultime numéro de la revue Le Cri d'os, créée et animée de 1993 à 2003 par Jacques Simonomis. L'ouvrage, illustré de nombreuses photos, se compose d'une présentation de l'homme (décédé en 2005) et du poète à l'oeuvre protéiforme par Gérard Cléry; d'un essai bien documenté de Christophe Dauphin qui fait découvrir le critique et le revuiste sans concession, l'aventure de la revue et un ensemble de poèmes choisis, sous le titre : La poésie n'a pas de barreaux."
Marie-Josée CHRISTIEN (in Spered Gouez n°21, ocotobre 2015).
*
"Dans la lignée d’un Tristan Corbière, d’un Alfred Jarry ou d’un Paul Vincensini, la poésie de Jacques Simonomis est teintée de l’humour d’attaque, de la dérision. Elle est taillée d’un seul tenant dans les méandres mystérieux de la vie, avec son ton, son style, ses différents registres."
Electre, Livres Hebdo, 2015.
|
|
|
|
Critiques
"Si les articles sur Lucie Delarue-Mardrus commencent à se multiplier et permettent de redécouvrir son œuvre, les biographies concernant ce personnage littéraire sont suffisamment rares pour que l'on salue la parution de cet essai de Christophe Dauphin. Ce critique et essayiste s'est appliqué à retracer l'existence de cette femme de lettres en choisissant de l'aborder sous l'angle de la féminité. Les thèmes abordés dans son œuvre sont replacés dans le contexte esthétique de l'époque et mis en relations avec les écrits de ses contemporaines, révélant ainsi que l'esprit novateur qui anime ses premiers écrits.
Un des intérêts majeurs de cette biographie est le portrait assez étoffé que Christophe Dauphin brosse du Dr J.-C. Mardrus qui, jusque-là, n'était qu'à peine esquissé. On comprend mieux dés lors avec quel homme charismatique Lucie Delarue-Mardrus vécut jusqu'à la veille de la Première guerre Mondiale. On y trouvera également une réflexion sur sa démarche spirituelle et sur son homosexualité.
Nous saluons donc ici une belle tentative de concilier les différentes facettes de cette personnalité dont tous les critiques saluèrent l'énergie, la créativité."
Nelly Sanchez (in Cahiers Lucie Delarue-Mardrus, septembre 2015).
*
"Qui est Lucie Delarue-Mardrus ? Le mérite de Christophe Dauphin, outre répondre à cette question, est de nous rendre cette femme d’exception familière et attachante. Ce livre succède au récit de souvenirs de Myriam Harry paru en 1946, et à celui d’Hélène Prat paru chez Grasset en 1994. Il n’est pas possible de résumer cette biographie tant la vie de Lucie fut mouvementée, intense et littérairement extraordinaire. Elle a écrit plus de quatre-vingt romans (de 1901 à 1946), treize recueils de poésie, des pièces de théâtre, elle fut traductrice, critique littéraire et musicale ; conférencière, peintre, auteur de contes, de récits de voyages et de chansons. Colette dira d’elle : elle avait le bonheur d’aller à tous les travaux avec une fougue conquérante. C’est cette même fougue qui anime l’écriture de Dauphin et propulse le lecteur dans les méandres les plus subtiles de la force vitale et créatrice de cette femme hors du commun. L’accent est mis sur sa qualité de poète c’est assurément par le biais de la poésie que l’auteur des Sept douleurs d’Octobre, appréhende le monde avec le plus de force écrit Dauphin. Elle-même affirme : Je l’ai déjà dit, le vers fait partie de ma respiration// Je ne suis et ne fus qu’un poète. Née en Normandie, et ayant habité de nombreuses années à Honfleur dans Le Pavillon de la Reine, ce vers peut emblématiser le fait qu’elle ait été souvent considérée comme une auteure régionaliste : L’odeur de mon pays était dans une pomme. Or sa poésie ne saurait être réduite. Lucie Delarue-Mardrus, dans la lignée d’Anna de Noailles, Renée Vivien, Marie de Hérédia, est une femme de Lettres. De même que sa poésie illustre sa maîtrise de toutes les formes, du rondeau à l’élégie, Lucie multiplie les expériences tant amoureuses que créatrices (sans oublier ses crises mystiques) dans le Paris-Lesbos de la Belle Epoque : Tes yeux ne brûlent plus mon âme de garçon// et mes yeux noirs qui ont des regards de garçon//. Elle fut même comparée à Katherine Mansfield : comme Lucie, Katherine Mansfield a connu cette glorieuse chance d’avoir à dire avant de savoir dire.
La composition du livre de Dauphin : une riche et longue présentation de Lucie Delarue-Mardrus, une biographie passionnante et de larges extraits de son œuvre poétique, fait de la princesse amande une figure proche et émouvante. Son mariage avec Joseph Charles Mardrus son Homme de Feu orientaliste et traducteur des Mille et une nuits (liaison qui durera jusqu’en 1913) l’entraînera pendant plus de deux ans sur un sable d’ailleurs où ses découvertes renforceront sa soif d’engagement et son indépendance, comme l’illustre son rejet farouche de toute maternité : dans mes flancs malgré moi, l’horreur d’une âme humaine. Lucide à la fin de sa vie quant à sa solitude et à sa pauvreté : la triste fée aux doigts perclus/ Que je deviens dans ma ruine// Quoi ! Cette fente dérisoire/ Entre ces deux maisons/ Serait-ce la fin d’une histoire/ Riche de tous les horizons ?//, cela ne l’empêchait cependant pas d’accomplir de façon pérenne ce rêve si justement révélé par Dauphin tout le long de ce livre : Elle rapportera sur ses frêles épaules/ Le monde et tous les ciels aux pointes des ses mâts. Oui, elle a voulu le destin des figures de proue. Sa vie et sa poésie incarnent ce vœu."
Marie-Christine Masset (in revue Phoenix, 2015).
|
|
|
|
Lectures
" Faire connaître la poésie hongroise en France, voici l’objet des Orphées du Danube. Christophe Dauphin et Anna Tüskés y ont réuni des textes de divers poètes ainsi qu’un choix de lettres de Jean Rousselot à Gyula Illyés. D’aspect imposant, ce lourd volume de 458 pages propose en couverture de découvrir les visages de ceux qui ont porté la poésie hongroise, Jean Rousselot, Gyula Yllyés et Ladislas Gara, qui apparaissent au dessus d’une photo panoramique de Budapest.
Il s’agit d’identité, de donner visage et épaisseur topographique aux voix qui émaillent les pages de cette anthologie poétique. Ainsi l’horizon d’attente est-il clairement dessiné, et le lecteur ne s’y trompera pas, car il s’agit bien de pénétrer au cœur de la littérature hongroise du vingtième siècle, à travers la découverte de poètes qui ont contribué à façonner son histoire littéraire.
Précédant les textes de quelque douze poètes hongrois traduis par Ladislas Gara et adaptés par Jean Rousselot, une importante préface de Christophe Dauphin retrace le parcours historique, social et politique du pays, qui a mené à la constitution de l’univers poétique présenté dans ce recueil à travers les œuvres des auteurs qui y sont convoqués.
Enfin, les derniers chapitres sont consacrés à la correspondance de Jean Rousselot et Gyula Illyés, dans un choix de lettres annotées par Anna Tüskés.
La mise en perspective de l’œuvre des poètes présentés, replacés dans le contexte de production des textes, ainsi que les considérations sur la traduction, offrent de véritables grilles de lecture, mais sont également prétexte à une interrogation sur la production de l’écrit littéraire. Faut-il le considérer comme un univers clos, conçu hors de toute motivation extérieure préexistant à sa production, ou bien faut-il le lire ainsi que l’émanation d’un contexte historique, social et politique coexistant.
Loin de prétendre répondre à cette problématique qui a animé bien des débats sur l’essence même de tout acte de création, le dialogisme qui s’instaure entre les différentes parties du recueil ouvre à de multiples questionnements.
Plus encore, l’extrême richesse des éléments agencés selon un dispositif qui enrichi la lecture de chacune des parties permet non seulement de découvrir ou de relire des poètes dont la langue porte haut l’essence de la poésie, mais, grâce à la coexistence du discours critique exégétique, d’en percevoir toute la dimension."
Carole MESROBIAN (cf. "Fil de lectures" in reocursaupoeme.fr, novembre 2016).
*
"C’est le traducteur hongrois Ladislas Gara qui, par sa rencontre avec Jean Rousselot en 1954, va initier une amitié franco-hongroise poétique au fort rayonnement. Grâce à lui, Jean Rousselot découvre la Hongrie, sa culture, sa poésie, ses poètes dont le premier d’entre les poètes hongrois de l’époque, Gyula Illyés.
Jean Rousselot et Ladislas Gara vont considérablement s’investir dans ce projet de partage auquel participeront, côté français, une cinquantaine de poètes et écrivains. Ladislas Gara traduira en français de nombreux poètes hongrois avec Jean Rousselot comme adaptateurs. Christophe Dauphin estime que ce travail de passeurs dans les deux sens est sans équivalent et reste tout à fait exceptionnel.
L’ouvrage est un livre de poésie mais une poésie que Christophe Dauphin et Anna Tüskés veulent inscrire dans les temps sombres et tumultueux qu’elle a traversés. Là encore, la poésie apparaît à la fois comme résistance et comme voie de liberté.
« Pendant de longs siècles, nous dit Christophe Dauphin, la Hongrie déchirée entre l’esclavage et la liberté, l’indépendance et l’assimilation, l’Est et l’Ouest, ne survécut que par sa langue qui reçut la mission redoutable de rester elle-même dépositaire de l’identité d’un peuple, tout en devenant lieu d’accueil et instrument d’acclimatation pour toute la culture occidentale, en dépit des aléas d’une histoire mouvementée. »
Les poètes hongrois de la seconde partie du XXe siècle n’ont pas seulement été confrontés au rideau de fer et à la dictature mais aussi à l’ignorance de l’Ouest, entre bêtise et préjugés, qui déconsidère ce petit pays qui a généré tant de grands poètes, et donc de penseurs ! Jean Rousselot et Ladislas Gara firent donc œuvre de réparation, réparation qui se poursuit aujourd’hui avec cet ouvrage qui rend compte de foisonnements multiples, celui des artistes hongrois à Paris, celui des traducteurs, créateurs de passerelles, parfois éphémères, parfois éternelles, celui des poètes d’une langue étonnante, source inépuisable du renouvellement de l’être. Aujourd’hui, la littérature et la poésie hongroise, non inféodées, apparaissent bien plus vivantes et rayonnantes que dans une France étriquée entre le littérairement correct et le carcan de la finance.
Dans la première partie de l’ouvrage, Christophe Dauphin fait revivre cette créativité exemplaire des artistes hongrois entre Seine et Danube, une créativité combattante qui, à Paris comme à Budapest, doit faire face à l’obscurantisme stalinien.
La deuxième partie de l’ouvrage est consacrée à douze poètes hongrois traduits par Ladislas Gara et adaptés par Jean Rousselot : Mihály Vörösmarty, János Arany, Sándor Petőfi, Imre Madách, Endre Ady, Mihály Babits, Dezső Kosztolányi, Lajos Kassák, Lőrinc Szabó, Attila József, Miklós Radnóti et Sándor Weöres. C’est souvent une poésie de sang, un cri qui se sait inaudible, sans concession envers le tragique, sans concession non plus envers la poésie elle-même.
Les troisième et quatrième parties du livre présentent les Poèmes hongrois de Jean Rousselot (1913 – 2004) et Sept poèmes de Gyula Illyés (1902 – 1983) après un bref portrait des deux hommes et une introduction à leurs œuvres respectives.
Voici un extrait de ce long poème d’Illyés, Une phrase sur la tyrannie, véritable manifeste, dont l’enregistrement par le poète lui-même fut diffusé sur les ondes en 1989 pour annoncer la fin de la république populaire de Hongrie :
La tyrannie, chez les tyrans,
ne se trouve pas seulement
dans le fusil des policiers,
dans le cachot des prisonniers ;
pas seulement dans l’in-pace
où les aveux sont arrachés,
ou dans la voix des porte-clefs
qui, la nuit, vient vous appeler ;
pas seulement dans le feu noir
du nuageux réquisitoire
et dans les « oui » du prévenu
ou le morse des détenus ;
pas seulement dans le glacial
verdict du mort du tribunal :
« vous êtes reconnus coupable ! »
Pas seulement dans l’implacable
« peloton, garde à vous ! » suivi
d’un roulement de tambour, puis
de la salve, et puis de la chute
d’un corps qu’aux voiries l’on culbute ;
(…)
elle est dans les plats, les assiettes,
dans ton nez, ta bouche, ta tête ;
c’est comme quand, par la fenêtre,
la puanteur des morts pénètre,
(ou bien, va voir ce qui se passe,
Peut-être une fuite de gaz ?) ;
Tu crois te parler, mais c’est elle
La tyrannie, qui t’interpelle !
Tu crois imaginer ? Lors même
elle est encor ta souveraine ;
ainsi de tout : la voie lactée
n’est plus qu’une plaine minée,
une frontière balayée
par le projecteur des douaniers ;
L’étoile ? un judas de cachot !
et les bivouacs d’astres, là-haut,
un immense camp de travail ;
la tyrannie où que tu ailles !
(…)
elle, en tout but que tu atteins !
elle, dans tous les lendemains !
elle encor qui te dévisage
dans ta pensée et dans ta glace ;
à quoi bon fuir ? Elle te tient !
et tu es ton propre gardien…
Ce poème n’est pas seulement bouleversant par son rapport aux événements terribles que l’auteur et le peuple hongrois traversent alors, il l’est surtout parce qu’il énonce ce que nous ne voulons pas voir. Cela, la tyrannie, n’existe dehors que parce qu’elle est en nous au quotidien, dans nos identifications aliénantes et banales. Il ne peut y avoir de libération populaire si nous ne nous libérons pas d’abord de nous-mêmes. La poésie de Gyula Illyés présente une dimension à la fois intime et universelle dans un nouveau paradigme de dissidence.
La cinquième partie est une longue étude d’Anna Tüskés, Jean Rousselot et la poésie hongroise, qui évoque les liens de Jean Rousselot avec les poètes hongrois et son travail d’adaptateur d’après les traductions de Ladislas Gara. Il précède un ensemble important de lettres de Jean Rousselot à Gyula Illyés qui témoignent de la construction d’une amitié profonde et de l’influence de cette amitié sur plusieurs décennies de littérature et de poésie.
Il s’agit d’un livre important, qui s’adresse à tous, à ceux qui souhaitent mieux comprendre les relations culturelles franco-hongroises, l’histoire de la Hongrie, à ceux qui désirent découvrir la poésie hongroise, ses singularités, ses saveurs, à ceux enfin qui veulent rester debout.
Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, novembre 2015).
*
" C'est une formidable somme qui est réunie dans ce volume fort de 450 pages. La problématique serait: quel rapport existe-t-il entre la France et la poésie hongroise ? Et les trois noms qui suivent le titre de l'ouvrage donnent les clés du livre: Jean Rousselot, Gyula Illyés et Ladislas Gara. Le premier, écrivain de haute voltige, sera central dans ce jumelage poétique, le troisième essentiel pour transmettre et traduire en particulier le deuxième, grande figure de la poésie hongroise. Tout d'abord Christophe Dauphin dans un long essai, comme il a l'habitude, va rappeler l'histoire de la Hongrie, sur laquelle va se greffer sa poésie. Premier auteur tutélaire: Sandor Petofi au XIXe siècle, puis surtout Attila Jozsef qui séjourna plusieurs mois en France et Gyula Illyés qui passa quatre années de sa jeunesse sur l'ïle Saint-Louis. "C'est Paris qui a fait de moi un Hongrois", écrit-il. Christophe Dauphin rappelle en passant tout ce qu'on doit, au point de vue artistique à ce pays d'une dizaine de millions d'habitants: Brassaï et Robert Capa pour la photographie, pour la musique Béla Bartok et Joseph Kosma, par exemple...
Dans les années 1950-60, la poésie est très populaire, se vend bien, et même le compte d'auteur n'existe pas. 1956, la Révolution est écrasée à Budapest, suite à l'invasion soviétique (ce qui tend à diviser les poètes français), évènement qui fut occulté par la crise de Suez, concomittante. 1989, fin de la république populaire de Hongrie. Jean Rousselot va adapter des textes hongrois, traduits de manière brute par Ladislas Gara en français, en leur restituant grâce et qualité. Et en particulier les poèmes de Gyula Illyés, jusqu'à sa disparition en 1983. Ladislas Gara, né en 1904, va, de par son métier de journaliste, devenir une sorte de correspondant à Paris où il s'installe dès 1924. Il va se lier d'amitiés avec Gyula Illyés. Il sera résistant en 1942. En butte à diverses tracasseries, il se suicide en 1966. Sa page sur la traduction de la poésie hongroise en français est très éclairante dans le rapport complexe de ces deux langues. Elle précède dans une mini-anthologie onze poètes hongrois comme Petofi, Ady ou Jozsef. Jean Rousselot de son côté possède une oeuvre impressionnante, puisque dès 1946, il décide de vivre de sa plume; et sa poésie n'est qu'une partie de son oeuvre complète: "Je pourrais être le paveur des rues - Qui dans son sommeil examine encore - Les dents cariées de la ville..." Gyula Illyés est né en 1902 et va devenir le poète le plus important de sa génération. "Paysan du Danube", comme le surnomme Eluard, il va défendre les ouvriers agricoles. son poème le plus célèbre: "Une phrase sur la tyrannie", résonnera après l'écrasement de Budapest en 1956: "Maintenant je connais tout ce qui pique, mord, frappe en mon corps - la douleur allume en moi le chapelet de ses lampes. J'ai mal donc je suis."
Toute la seconde partie du livre, préparée par Anna Tüskés, montre à travers les nombreuses lettres que Jean Rousselot adresse à Gyula Illyés, l'amitié qui les lie, ainsi que leur famille respective, femmes et filles. Cette partie, que j'appréhendais comme plus ennuyeuse, s'est révélée au contraire très facile à lire, puisqu'on découvre une réelle intimité liant ces deux auteurs majuscules. Jean Rousselot disant en substance: "La Hongrie est ma deuxième patrie." On tire de la lecture de ce livre l'impression vivace qu'il y a eu un réel pont entre ces deux poésies apparemment éloignées, et qui, grâce à la conjugaison de ces trois poètes hors norme, semblent se jouer des frontières et des langues pour s'allier vers un échange fraternel et humain."
Jacques MORIN (in revue Décharge n°168, décembre 2015).
*
"La littérature française, depuis le Siècle des Lumières, a toujours influencé la culture hongroise. L’une des plus belles preuves de ces liens, dans la deuxième moitié du 20e siècle, fut l’amitié sincère liant trois hommes, l’écrivain et traducteur Ladislas Gara et les deux grands poètes Gyula Illyés et Jean Rousselot. Christophe Dauphin, poète lui-même, directeur de la revue Les Hommes sans Épaules, secrétaire général de l’Académie Mallarmé et qui fut l’ami de Rousselot y a trouvé un très beau sujet, essais et poèmes à l’appui. Ainsi naquit sous sa plume et celle de l’historienne d’art Anna Tüskés, Les Orphées du Danube."
Institut Hongrois de Paris, janvier 2016).
*
" Christophe Dauphin (et c'est son droit) est violemment anticommuniste. Mais, dans les études de lui que j'ai lues, sa lecture de l'activité du parti communiste français est datée ou circonscrite historiquement. Et n'écrit-il pas vers 1995, dans un poème intitulé Lettre au camarade Dimitrov (repris dans Inventaire de l'ombre) : "Et ce con d'Aragon / Qui chante Staline et sa moustache d'urine", confondant, semble-t-il, Éluard qui aurait écrit une Ode à Staline et Aragon 1. Christophe Dauphin est né en 1968, c'est dire qu'il a baigné dès ses premières années dans l'après-mai 68 où il était de bon ton d'être anticommuniste… On voit aujourd'hui ce que sont devenus les enragés de Nanterre ! Christophe Dauphin fait d'Aragon un stalinien convaincu alors que dans Le Roman inachevé (publié en 1956), Aragon écrit : "On sourira de nous pour le meilleur de l'âme / On sourira de nous d'avoir aimé la flamme / Au point d'en devenir nous-mêmes l'aliment" 2. Contrairement à Étiemble qui écrit dans sa préface à ce recueil 3 : "En fait, mes réserves n'étaient pas que de rhétorique : procès de Moscou, réalisme-socialisme, Staline, Jdanov, m'avaient imposé de faire sécession. Mais au lieu de garder le jugement froid, je contaminais de griefs politiques le plaisir presque sans mélange que, ma poétique étant ce qu'elle est, j'aurais dû prendre au Crève-Cœur…", Christophe Dauphin n'a pas dû lire avec attention Le Roman inachevé. Étiemble, en effet, voit combien Aragon se remet en question dans La Nuit de Moscou : "On sourira de nous… [etc]" ; Étiemble reprend les deux derniers vers du groupe de trois cité plus haut… Mais il faut lire attentivement cette préface dans laquelle Étiemble note : "J'ai cru longtemps qu'Aragon exerçait sans souffrir son magistère, qu'il mentait sans remords, qu'il jouait cyniquement le jeu de la puissance" 4 avant de citer à nouveau Aragon, comme indiqué ci-avant… Ce n'est donc pas sans circonspection que j'ai ouvert l'essai de Christophe Dauphin et Anna Tüskés, "Les Orphées du Danube".
L'ouvrage est composé de six parties si l'on ne compte pas l'index :
- Christophe Dauphin présente tout d'abord le livre ;
- Douze poètes hongrois par Ladislas Gara, en fait un choix de poèmes opéré par Christophe Dauphin et introduit par lui-même ;
- Les Poèmes hongrois de Jean Rousselot, présentés par le même Christophe Dauphin ;
- Sept poèmes de Gyula Illyès, que choisit et présente Christophe Dauphin ;
- Jean Rousselot et la poésie hongroise par Anna Tüskés ;
- Les Lettres à Gyula Illyès de Jean Rousselot (et à quelques autres), édition établie et annotée par Anna Tüskés.
La première partie, intitulée "La Poésie hongroise entre Seine et Danube", écrite par Christophe Dauphin est très intéressante par la connaissance de cette poésie et les aléas des relations entre poètes hongrois et français. Mais elle pêche diversement. Tout d'abord par son aspect trop détaillée qui submerge le lecteur de bonne volonté… Ensuite et surtout, par le portrait tracé d'Aragon. Si Louis Aragon (avec Éluard et Tzara) est présenté comme un vieil ami de Gyula Illyés, l'image qui se dégage globalement du portrait qu'en fait Christophe Dauphin est celui d'un stalinien pur et dur qui, "à l'instar de Guillevic [a] approuvé l'invasion soviétique et l'écrasement de la révolution de 56". C'est que Dauphin privilégie Jean Rousselot, "ancien trotskiste et toujours socialiste", un Rousselot qui sert de repoussoir à Aragon. Une citation, une seule : "Louis Aragon, qui a approuvé tous les actes de l'URSS depuis le pacte germano-soviétique, […], soutient l'intervention russe à Budapest" 5. Dauphin qui ne peut s'empêcher d'égratigner Aragon, Benjamin Péret à l'appui par une citation du Déshonneur des poètes… Dauphin qui oublie que le pamphlet de Benjamin Péret (publié en 1945) parle d'une "petite plaquette parue récemment à Rio de Janeiro" alors que L'Honneur des poètes paraissait clandestinement en 1943… et que Benjamin Péret présentait déjà à l'époque (1945) Aragon comme "habitué aux amens et à l'encensoir stalinien", expression que Dauphin emprunte à Benjamin Péret sans citer ses sources (p 68). C'est oublier beaucoup de faits. Olivier Barbarant écrit en 2007, à l'année 1956 de la chronologie du tome II des Œuvres Poétiques complètes d'Aragon, que Les Lettres françaises publièrent un communiqué adressé au président Kadar lui demandant de protéger les écrivains hongrois menacés par la répression, que le même hebdomadaire publia fin novembre l'article d'Elsa Triolet rendant compte des choix faits par elle et Aragon et condamnant ceux qui veulent "tirer leur épingle du jeu quand amis et camarades subissent l'opprobre… Ne songeant à rien d'autre qu'à se disculper personnellement, qu'à se faire pardonner d'avoir cru". Le verbe croire fait écho à ces vers de La Nuit de Moscou : "Quoi je me suis trompé cent mille fois de route / Vous chantez les vertus négatives du doute / Vous vantez les chemins que la prudence suit…" Oui, relisons Olivier Barbarant qui note qu'Aragon durant l'année 1956 "se tient à l'écart des protestations, défend dans les discussions la ligne du parti et confie à sa poésie la recherche d'une expression pertinente de sa pensée" 6. Il faut (re)lire Le Roman inachevé, les choses sont beaucoup plus complexes …
Les Douze poètes hongrois (traduits par Ladislas Gara et adaptés par Jean Rousselot) sont précédés d'un Portait de Ladislas Gara en porteur de feu dû à Christophe Dauphin, Ladislas Gara étant le maître d'œuvre de l'Anthologie de la Poésie hongroise du XIIème siècle à nos jours (publiée en 1962). Ce portrait est plutôt hagiographique : Christophe Dauphin cite André Farkas qui écrit "Le 6 mars 2013 […] notre nouvelle Hongrie démocratique rachète la faute des trois régimes précédents"… Passons sur le terme faute qui sent l'eau bénite. S'il n'est pas question de nier ou de soutenir les erreurs de ces régimes ni ce qui s'est passé en 1956, on s'étonnera quand même de cette "nouvelle Hongrie démocratique" ! En 2013, c'est Viktor Orbán qui est premier ministre et la Hongrie est devenue un pays très conservateur, pour ne pas dire plus. Il faut attendre une note (en bas de la page 103) pour qu'il dise clairement que l'anthologie fut financée par une institution étasunienne qui recevait des subsides de la CIA ! C'est ainsi que Rousselot, Éluard et Guillevic virent, à leur insu, leurs traductions éditées grâce à l'anticommunisme de la CIA ! Au travers de cette étude, c'est une conception de la traduction qui transparaît. Christophe Dauphin n'épargne pas au lecteur les rivalités et les jalousies des écrivains hongrois, l'exemple des relations entre Ladislas Gara, d'une part, et Tibor Déry ou Géza Ottlik, d'autre part, est exemplaire même si Dauphin avoue son ignorance quant à savoir s'il s'agissait là d'une instrumentalisation ou non…
Le choix de textes de ces douze poètes est d'un intérêt historique certain mais ne rend pas compte de la richesse de la poésie hongroise puisqu'il ne donne à lire que des auteurs, pour la plupart, de la première moitié du XXèmesiècle. La lecture de l'anthologie de Gara demeure donc nécessaire (encore faut-il la trouver). Mais, l'écart entre la langue hongroise et la française étant ce qu'il est, on peut facilement imaginer la difficulté qui fut celle de Rousselot lors de son adaptation : les poèmes (de la p 117 à la p 156) sont souvent écrits en vers comptés, rimés ou assonancés : on aurait aimé avoir sous les yeux la totalité de la postface de Gara à l'anthologie, "La traduction de la poésie hongroise et ses problèmes"…
Les troisième et quatrième parties sont consacrées à deux écrivains qui ont beaucoup donné à la littérature et à la poésie hongroise : l'un, en France, pour mieux faire connaître les poètes de ce petit pays, Jean Rousselot, et l'autre, en Hongrie, Gyula Illyés… Dans les deux cas, Christophe Dauphin écrit une biographie des deux poètes (dans la droite ligne de ses précédents textes, jugements expéditifs contre Aragon en moins) avant de donner à lire un choix de leurs poèmes respectifs, les poèmes hongrois pour Rousselot et sept poèmes pour Illyés dont le célèbre Une phrase sur la tyrannie qu'on peut lire aujourd'hui en ayant présent à l'esprit la tyrannie du marché qui justifie toutes les entorses à la morale. L'Histoire s'invite dans ces poèmes, leur faisant courir le risque d'être parfois didactiques...
La cinquième partie est un essai d'Anna Tüskés, "Jean Rousselot et la poésie hongroise", qui est en fait un mémoire écrit en 2004 à la fin de ses études universitaires. Le titre indique bien l'objet de ce mémoire. Anna Tüskés passe en revue tous les travaux de Jean Rousselot qui témoignent de son attachement à la culture hongroise en général et de la connaissance qu'il s'est donnée de la littérature de ce pays. La date charnière dans le travail de popularisation de la poésie hongroise en France de Rousselot semble bien être le décès de Ladislas Gara en 1966 : l'activité de Rousselot est intense avant 1966, mais après la disparition de Gara, "Rousselot n'a plus eu d'aide pour la traduction. Ses adaptations d'œuvres hongroises en français se sont raréfiées". Anna Tüskés met aussi en évidence le travail de Jean Rousselot pour rendre compte de l'intensité de la vie culturelle hongroise au milieu des années 60 et il n'est pas interdit de se demander s'il en toujours de même aujourd'hui. Autre point qui mérite d'être relevé dans l'étude d'Anna Tüskés, ce sont les réflexions de Rousselot sur les problèmes de la traduction de la poésie hongroise : Anna Tüskés n'hésite pas à donner un exemple de deux traductions différentes de la même strophe d'un poème de Vörösmary (pp 249 & 250). Ce qu'il faut surtout retenir, c'est le principe d'une traduction "pour le sens" par un traducteur maîtrisant les deux langues suivie d'une "adaptation" par un poète français. C'est ainsi que Guillevic fut particulièrement remarqué pour sa mise en français de poèmes hongrois, alors qu'il ignorait cette langue…. De même, Jean Rousselot s'étonne du tirage d'un recueil de poèmes en Hongrie (1200 exemplaires pour un débutant, 10000 pour un poète reconnu) alors qu'en France ce même tirage est ridiculement faible : qui s'est aligné sur qui en 2015 ? Cette étude est suivie des lettres de Rousselot à Gyula Illyés suivies de quelques missives adressées par le poète français à cinq autres hommes de lettres hongrois, l'étude s'appuyant aussi sur une analyse de certaines des lettres de Rousselot à Illyés… C'est la sixième partie de l'ouvrage. Les lettres et les cartes postales de Jean Rousselot à Gyula Illyés sont intéressantes car elles permettent de suivre le cheminement des travaux "hongrois" du poète français chez Gallimard, Seghers et autres éditeurs français au-delà de l'amitié, de l'affection entre les deux familles. Elles donnent aussi d'utiles renseignements sur le fonctionnement du système éditorial français : c'est ainsi qu'un éditeur veut bien réaliser un ouvrage à ses frais mais demande que l'auteur l'aide à le vendre ! Le texte de plus de cent lettres et cartes est ainsi donné à lire et offre d'utiles renseignements sur le travail de Jean Rousselot et sur l'édition de poésie en France…
Pour conclure, il faut lire ce livre pour ce qu'il nous apprend sur les relations franco-hongroises au milieu du siècle dernier (jusqu'en 1966, date de la disparition de Gyula Illyés), sur les problèmes de traduction du hongrois… tout en se méfiant de l'image d'Aragon qui y est donnée. Si le stalinisme fut criminel, ce n'est pas une raison pour condamner tous ceux qui l'ont combattu après avoir découvert sa véritable nature, sans rien renier de leur engagement ni de leurs idées. Ce qu'oublie Dauphin, c'est ce qu'Aragon écrivait dans Le Roman inachevé ; c'est oublier encore qu'Aragon disait qu'il déchirait sa carte du parti le soir et la reprenait le lendemain matin ! Les choses pourraient être claires et cesseraient d'empoisonner la discussion et des textes dignes d'intérêt comme ceux qui sont contenus dans ce livre. Et puis, je ne peux m'empêcher de penser à ce que Pierre Garnier m'écrivait en 2004 : "… je ne veux pas me trouver classé avec les critiques venimeux d'Aragon (encore aujourd'hui, ce qui est extraordinaire, alors que l'URSS a disparu, que le communisme est à réinventer…) " 7. Mais je m'éloigne sans doute des Orphées du Danube… "
Lucien WASSELIN (cf. "Questionnements politiques et poétiques 2 "Les Orphées du Danube"" in www.recoursaupoem.fr, mars 2016).
Notes :
1. In L'ombre que les loups emportent (Poèmes 1985-2000). Anthologie, Les Hommes sans Épaules éditions, 476 pages, 2012. (p 280).
Si la mort de Staline provoque chez Aragon la rédaction d'un article paru dans Les Lettres françaises du 12 mars 1953, l'affaire du portrait de Staline par Picasso explique beaucoup de choses… Le lecteur intéressé pourra lire, dans le tome XII (1953-1956) de L'Œuvre poétique (Livre Club Diderot, 1980 pour ce tome) un dossier aussi complet que possible sur cette affaire du portrait (pp 472-500). Mais il y a plus et mieux (si l'on peut dire) : Éluard n'a jamais écrit une Ode à Staline. On peut trouver dans les Œuvres complètes d'Éluard (Bibliothèque de la Pléiade, tome II, 1968, pp 351-352) un poème intitulé Joseph Staline. C'est ainsi qu'est née la "légende". L'Ode à Staline se réduit sur internet à 12 vers de ce poème, bien réel, repris dans Hommages, une plaquette parue en 1950. Ces 12 vers correspondent aux vers 25 à 32 suivis des vers 15 à 18 du poème (sur le site de Ph Sollers - consulté le 12 décembre 2015 - qui présente, par ailleurs, le site Médiapart comme hitléro-trotskiste [ ! ] ). Mais sur d'autres sites, les vers 25 à 32 sont répétés avec une légère variante. Quant au second vers de Dauphin cité avant l'appel de note, il fait penser à celui d'Ossip Mendelstam : "Quand sa moustache rit, on dirait des cafards" (traduction française) dans un poème évoquant la vie en URSS sous Staline… Il faut rendre à César ce qui est à César… Même si le poème de Paul Éluard apparaît bien naïf aujourd'hui et inadmissible : rappelons que "ce poème est le commentaire que Paul Éluard interpréta lui-même pour le film L'Homme que nous aimons le plus, réalisé pour le 70ème anniversaire de Staline". Rappelons également que "le fragment qui va du 3ème vers de cette troisième strophe jusqu'au dernier vers de la quatrième (or dans l'édition de la Pléiade, le poème compte 5 sizains et 1 distique, d'où cette question : y a-t-il une erreur dans la note ?) strophe a été publié dans L'Humanité-Dimanche, en novembre 1949". (notes de la page 1125 de ce tome II des Œuvres complètes d'Éluard). D'où peut-être les copies fautives qu'on trouve sur internet, les animateurs de ces sites n'ayant pas pris la peine de lire Hommages, semble-t-il… En tout cas, la prétendue Ode à Staline ne correspond pas à cette dernière note ni au poème d'Hommages, il suffit de comparer les deux textes de Paul Éluard.
2. Aragon, Le Roman inachevé. In Œuvres Poétiques complètes, Bibliothèque de la Pléiade, 2007, tome II, p 252.
3. Étiemble, préface à Aragon, Le Roman inachevé, Poésie/Gallimard, 1966, p 9.
4. Idem, p 12
5. Il faut (re)lire l'étude de François Eychart, "L'Affaire des avions soviétiques en 1940" et ses annexes dans Les Annales de la Salaet n° 5 (2003), pp 134-155…
Dauphin ne paraît s'intéresser qu'au segment de la vie d'Aragon qui va de son adhésion au PCF jusqu'à l'écrasement de la Révolution de Budapest en 1956 par les forces armées soviétiques. C'est "oublier" le "Moscou la gâteuse" d'Aragon d'octobre 1924 (dans le pamphlet contre Anatole France, Un Cadavre, formule sur laquelle reviendra Aragon en janvier 1925 : "La Révolution russe ? Vous ne m'empêcherez pas de hausser les épaules. À l'échelle des idées, c'est tout au plus une vague crise ministérielle") et son évolution qui commence (semble-t-il) avec la rédaction de La Nuit de Moscou… Toute la complexité des relations entre le surréalisme et le communisme est là, mais aussi toute la complexité d'Aragon. Du côté surréaliste, l'évolution ira jusqu'au trotskisme, du côté d'Aragon l'évolution conduira au communisme. Mais la deuxième guerre mondiale et le développement du stalinisme vont rebattre les cartes.
6. In Œuvres Poétiques complètes, tome II, p XIII.
7. Poésie Nationale : La querelle Pierre Garnier-Louis Aragon, in Faites Entrer L'Infini n° 39 (juin 2005), p 18.
|
|
|
|
Lectures :
Dans cet ouvrage, Christophe Dauphin présente dans un essai la vie et l’œuvre de Patrice Cauda, suivent un choix de poèmes et des inédits où la signature manuscrite du poète clôt l’ensemble non sans émotions pour le lecteur. Car dans le tremblé des lettres, se révèle tout ce que fut le poète de bouleversements et de ténacité. L’année de sa naissance à Arles est peu certaine, 1925, 22 ou 21, le jour de sa mort est inconnu, seule l’année l’est : 1996.
Christophe Dauphin, sans comparer ni unir leurs destins, fait se rapprocher au plus près Van Gogh et Cauda : La chambre de Vincent c’est celle d’un Patrice, à la différence que toute la famille dort dans la même pièce. En 1939, Cauda part à Avignon, ville où le premier groupe des HSE, qui deviendra celui de Patrice Cauda, exigera le cri cosmique, une attitude d’humanité, le sens de l’actuel, le moment de la tragédie où la vérité est sans parure.
Incorporé en 1942 dans les Chantiers de jeunesse, il est transféré en 44 à Tulle. Faisant partie des 120 otages désignés arbitrairement par les nazis comme objets de vengeance contre la résistance corrézienne (99 hommes seront pendus aux balcons de la ville le 9 juin 1944), Cauda échappera de justesse à la mort. Il écrira : Il ne reste qu’une pierre à leur bouche tordue//Chaque geste est un mensonge - sur le rocher de son secret. Auteur d’une douzaine de recueils et au fronton de deux revues (un numéro spécial Le Pont de l’Épée mis en œuvre par Brindeau, et en 1954 à la Une de la revue Terre de Feu de Marc Alyn), Cauda a reçu en 1961 le prix François Villon pour Mesure du cri.
L’essai de Dauphin restitue à l’homme et au poète toute sa vérité. Non seulement l’intériorité de Cauda est révélée, l’émotivisme de son écriture, mais son parcours dans son temps, tel un tracé métonymique, éclaire ici son existence, celles des poètes de sa génération (similitudes troublantes avec Becker, Brock…) et rend familier le fils, le frère, l’ami qu’il fut parmi ses semblables. La résonance de la poésie est universelle écrit Dauphin, aussi seul fut-il, Cauda n’est pas séparé de ses contemporains ni de nous-mêmes et cette phrase fait alors écho dans le lecteur Je n’ai pas connu Cauda et pourtant je ne connais que lui.
Son écriture a ceci de particulier, qu’aussi douloureuse soit-elle, elle est préservée d’un lamento qui serait égotiste ou masochiste par la beauté du verbe. Cauda ne s’est jamais détaché des autres et du vivant : Ce n’est pas la couleur que je porte/qui fera le ciel moins bleu// L’éveil est dans la chair labourée/de tout ce qui s’effrite et des fureurs/naîtra un cœur plus grand//Un mot lancé comme un oiseau/si loin enroulé autour de quelle terre/pour revenir formé d’une histoire nouvelle//et cet autre vers, sublime, j’habite la lumière qui dépasse l’espoir.
Oui, émotiviste est cette écriture et ancrée dans le moindre geste et mot des autres, dans le moindre frémissement du monde. À celui capable d’écrire La mère défigurée et autres poèmes (je parle très loin à de sensibles secrets), capable de s’adonner à la poésie sans le moindre recul ou la moindre balise, il est juste de répondre par la lecture du livre de Dauphin (et celle des œuvres de Cauda), car oui, Patrice Cauda a peut-être écrit pour nous ces vers :
Cet homme si loin de moi
Posé sur l’autre versant de la terre
Je l’entends me parler toujours
Car sa voix est dans la mienne
Marie-Christine MASSET (in revue Phoenix, 2018).
*
Christophe Dauphin publie ce choix de pèmes de Cauda aux éditions des Hommes sans Épaules. Les cinquante-trois pages d’introduction qu’il consacre au poète sont parfaites. Le destin a sauvé un jeune homme modeste d’une exécution programmée par les nazis ; l’œuvre en découle, dans une modestie d’une rareté exemplaire. Patrice Cauda écrit, dans L’Épi et la nuit, réédité par Jean Breton en 1984 : « Ma vie est l’explication d’une mort. »
Christophe Dauphin signale : « Il y a une amitié, nous le savons, mais davantage encore, une filiation, de Cauda avec les poètes de l’inventaire des blessures, la solitude et les gestes de l’amour, que sont Henri Rode, Alain Borne, Paul Éluard (il y a un ton éluardisant, mais fluide et personnel dans la poésie de Cauda) et surtout Lucien Becker. »
Cauda, qui a rédigé l’hommage ci-dessous, écrira encore de son frère en poésie : « Un homme dont le nom n’est sur aucune lèvre / va devenir un simple trait sur l’horizon. / Après avoir été le sommet du couchant, / il s’apprête à redescendre parmi les pierres. » Ce livre, que donne Christophe Dauphin, apparaît aussi nécessaire que le poète d’Arles [1925-1996] enfin remis en librairie. L’hommage et la lettre suivants sont repris du présent volume. —
Pierre PERRIN (in revue Possibles, nouvelle série n° 34, juillet 2018)
*
Christophe Dauphin nous présente longuement la vie et l’œuvre d’un poète méconnu, Patrice Cauda, grand solitaire inaccessible si ce n’est peut-être par ses écrits. Cet ouvrage est le premier témoignage de l’importance de ce poète.
Sa date de naissance est incertaine, 1921, 1922, 1924 ? Même le jour exact de son décès est sujet à caution. Né à Arles, la ville qui a maltraité Van Gogh, explique dans le détail Christophe Dauphin.
’est une poésie de la noirceur, de l’angoisse, de la douleur et de la souffrance (il faut distinguer les deux). Né dans les échos terribles de la première guerre mondiale, Patrice Cauda devra traverser la deuxième et ses atrocités. Cela n’aide pas à s’orienter vers le pôle de joie. Les poètes de cette époque furent marqués par ce contexte devenu texte.
C’est en 1939 que Patrice Cauda fait une rencontre déterminante, celle d’ Henri Rode, romancier en construction déjà en relation avec Paulhan, Mauriac, Green, Malraux et d’autres. Alors que Rode assume son homosexualité, Patrice Cauda reste voilé. C’est Henri Rode qui décèlera la talent poétique de Patrice Cauda et l’encouragera à écrire. Pris dans l’arbitraire nazi, il échappe de peu à la tragédie de Tulle. Comme beaucoup, il sera silencieux sur l’horreur mais celle-ci affleure sous les mots, fleuve rouge-sans sur lequel naviguer tant bien que mal.
Toute sa poésie sera un cri immense contre l’inacceptable mais un cri d’une lucidité implacable qui exige un dénuement total, ni espoirs, ni préjugés, identifications ou croyances. Cet homme, trop familier avec la mort, toutes les morts, est un poète de la désillusion et de la détresse absolue.
Ses deux premiers recueils sont publiés en 1951 et 1952, Pour une terre interdite et L’épi de la nuit, chez Debresse grâce à Henri Rode. Christophe Dauphin note que jamais Patrice Cauda n’aura présenté lui-même ses poèmes à un éditeur. C’est un poète reclus, incertain de lui-même et du monde. Henri Rode parle de lui comme d’un « poète panique ». Malgré un sens aigu de l’amour, Patrice Cauda fut englouti par les sables mouvants de la solitude. Il abandonna la poésie avant de mourir en 1996 laissant une œuvre bouleversante.
La belle et sensible monographie de Christophe Dauphin est suivie d’un choix de poèmes inédits et saisissants.
Patrice Cauda est un poète de la plus sombre des beautés mais, mieux et plus que n’importe quel modèle psychologique, sa poésie explore au plus profond la psyché humaine. Si vous n’achetez qu’un livre de poésie cette année, achetez celui-ci.
Rémy BOYER (in incoherism.wordpress.com, 17 août 2018).
*
"Tout l'été la cigale - Scelle sa mort - Dans une olive. Livre évènement ! Ouvrier à douze ans, Patrice Cauda l'obscur, le méconnu, est un poète éblouissant, génial; l'un de ceux qui resteront. Poète, essayiste, Christophe Dauphin, qui dirige la revue Les Hommes sans Epaules, fait revivre l'auteur de Pour une terre interdite, avec lyrisme, émotion, précision. Nus, racés, puissants, plus ou moins désespérés, suivent cent quarante poèmes à couper, bien souvent, le souffle..."
Michel DUNAND (in revue Coup de Soleil n°103, juin 2018).
*
"Cest un peu un tour de force de la part de Christophe Dauphin d’écrire un essai sur Patrice Cauda (1922, date approximative-1996) poète autodidacte. Il ne l’a pas connu d’une part et d’autre part, l’homme étant avant tout discret et mystérieux, il n’y a guère de témoignages et de documents le concernant. Mise à part, bien entendu, la quinzaine de recueils qu’il a publiée de 1952 à 1967. Avant de s’arrêter d’écrire, définitivement. Ce qui somme toute délimite une période assez courte de sa vie.
L’auteur s’attarde sur sa ville natale, Arles, en digressant sur Van Gogh, avant d’en venir à Avignon où il rencontre celui qui sera un peu son mentor : Henri Rode (Les Hommes sans Épaules, Poésie 1), puis Tulle où il travailla, pendant la guerre, et Christophe Dauphin nous rapporte avec son sens du récit l’épisode où on peut le considérer comme un miraculé puisqu’il ne fut pas exécuté en tant qu’otage, alors que 99 sur 120 le furent...
Le choix de poèmes et les inédits rassemblés (sur la période 1944–1967) montrent un poète assez noir, ce qui montre bien sa modernité encore aujourd’hui. « Où donc est ma place sur la terre / si le ciel s’y refuse / en me poussant vers un lointain / sans rive aux contours définis » Sa poésie se distingue par sa grande sincérité. Il n’hésite pas à écrire : « La nudité est l’objet du poème ». Et ses vers s’étirent souplement dans des strophes élastiques. « Mon Dieu comme c’est long / ces jours soudés avec les nuits / et ce cœur qui ne veut pas moisir ».
Il y a des images récurrentes comme celle du poignard, mais le mot espoir revient souvent cependant. On devine une poésie où l’isolement et la solitude règnent, et une vie de souffrance et d’inquiétude. « Seul dans le vide résonne / Cet appel de bête blessée / Qui erre dans l’obscurité des mondes ». Le poème « La mère défigurée » est une suite très émouvante sur la mort de sa mère. Autre temps fort de cette anthologie : « Le péché radieux » où il ne cache pas sa tendance amoureuse : « …ma lèvre se fait religieuse / devant cette fleur de chair dressée / tu me soulèves vers un autre monde… » Le titre « Le péché radieux », dans une alliance de mots, associe à la fois le bonheur et la honte, et c’est peut-être dans ce rejet ressenti de la société que réside son mal être qui caractérise sa poésie à la fois splendide et douloureuse. Ainsi peut-il écrire dans ce même domaine un peu mystique : « Je soutiens ma vie avec des clous sanglants. »
Jacques MORIN (cf. "Les lectures de Jacmo 2018" in revue-texture.fr, septembre 2018).
*
"Christophe Dauphin surprend toujours par sa capacité à découvrir des auteurs méconnus, souvent au parcours douloureux et au destin tragique, et à sortir leurs œuvres de l’ombre où elles se tiennent. La vie « sans joie » du poète Patrice Cauda, dont la date de naissance même est incertaine (entre 1921 et 1925), témoigne des drames du siècle dernier. Enfant pauvre élevé par sa mère, rescapé d’un terrible massacre commis par les nazis en 1944, il eut l’existence recluse et solitaire, faite de misère et de précarité, d’« un mort qui marche » jusqu’à son décès en 1996. Au terme d’une minutieuse recherche, Christophe Dauphin parvient à retracer le destin brisé de celui qui ne pouvait qu’« écrire contre la mort comme on écrit contre un mur ». Son essai biographique est suivi d’un copieux choix de poèmes de Patrice Cauda dans deux tiers de l’ouvrage."
Marie-Josée Christien (chronique "Nuits d'encre", in n°24 de la revue Spered Gouez, 2018).
*
"Un essai sur la vie et l'oeuvre de P. Cauda (1925-1996), poète méconnu dont l'oeuvre est inspirée par les atrocités qu'il a vécues pendant la Seconde Guerre mondiale."
Electre, Livres Hebdo, 2018.
*
"Un choix de poèmes inédits de Patrice Cauda, poète important et emblématique de la revue Les Hommes sans Epaules, écrits entre 1944-1967, opéré par Christophe Dauphin. Né à Arles (sa date de naissance reste un mystère: 1921/1922 ? 1925 ?), Patrice Cauda, poète et homme du peuple, rescapé des massacres de Tulle, s'est forgé en tant qu'autodidacte et sera ouvrier dans un usine à douze ans, garçon de café, préposé au vestiaire dans vingt caravansérails, représentant des éditions Pauvert. Il vivra toujours, aliéné, d'un métier purement alimentaire.
Patrice Cauda appartient à l'une de ces générations de poètes nés pendant et après la Première Guerre mondiale et... dans l'attente de la Seconde: cela façonne un être. Ses premiers poèmes sont écrits après les horreurs de la Seconde Guerre mondiale, et notamment une suite de six poèmes, pour lesquels Jean Breton écrit : "Ces poèmes demeurent un monument d'émotion que peu de poètes ont pu en hauteur égaler..."
Les thèmes de sa poésie: la haine de vivre d'un métier qui en le concerne pas, la solitude, la ville, la nature, la banalité, la vilénie des êtres, la mort promise, mais aussi l'amitié, la beauté, le plaisisr qui seul bouscule un moment le malheur. La douleur chemine sous la peau du poète; elle creuse et s'élargit; elle semble ne pas avoir de frontières: Je suis un cri qui marche. La solitude étant sans remède, malgré l'amour, la sensualité, la fraternité, Patrice Cauda s'y enfonça, peu à peu, puis définitivement, en guettant la chute des jours. Il abandonna la poésie et son coeur cessa de frapper: il meurt en france en 1996 dans l'anonymat.
Le cas d ece poète solitaire, de ce mystérieux orphelin, élevé dans la chaleur humaine, mais dans la pauvreté, la misère, prolétaire n'ayant quasiment pas été scolarisé, misérable, dénué de formation et de culture qui était Patrice Cauda, ne pouvait que susciter un vif intérêt chez Christophe Dauphin (né en 1968, à Nonancourt). Ce dernier, poète de l'émotivisme, essayiste, membre de l'Académie Mallarmé, est aujourd'hui directeur de la revue Les Hommes sans Epaules.
Parallèlement à son oeuvre de création, il a écrit de nombreux articles critiques et théoriques. Il est l'auteur de trois anthologies de la poésie contemporaine, de seize livres de poèmes et d'autant d'essais sur la poésie contemporaine et l'art moderne."
Mirela PAPACHLIMINTZOU (in revue Contact+ n°82, Athènes, juin 2018).
*
Patrice Cauda est aussi au nombre des poètes auxquels Christophe Dauphin a consacré un de ces volumes. Cette fois-ci cette anthologie dont il est l’unique maître d’œuvre nous permet de découvrir ou de redécouvrir à nouveau un grand poète : Je suis un cri qui marche, Essais, choix et inédits. Orphelin, ouvrier et rescapé des massacres de la seconde guerre mondiale, cet immense poète autodidacte nous émerveille, nous émeut, nous intimide, tant est puissante sa poésie, d’une gravité incroyable, d’une densité surprenante. Classique au demeurant, mais il en faut du talent pour marcher dans les pas de prédécesseurs qui ont tout exploité des richesses de la langue…croit-on, car Patrice Cauda nous démontre que l’on peut encore avancer en territoire connu.
Mon Dieu comme c’est long ces jours soudés avec les nuits et ce cœur qui ne veut pas mourir
Tant de cris pour l’obscurité toutes ces mains qui se balancent et cette sève infusée aux choses
Corps maladif retenu aux heures tu n’as pas fini de trahir sans un geste comme un fruit trop mûr
Terre muette touchée par les morts qui espire l’inquiétude des pas accrochés semblables au lierre sur la pierre
Ce front plissé ressemble à la vie où chaque instant marque son passage pour qu’un fleuve recommence la mer
Carole MESROBIAN (cf. "Les anthologies à entête des Hommes sans Épaules" in recoursaupoeme.fr, 4 janvier 2019).
*
"La première série de la revue Les Hommes sans Epaules fut fondée par Jean Breton en 1953, avec des poètes tels qu'Henri Rode ou Serge Brindeau. Elle sera proche de figures telles qu'Alain Borne ou Lucien Becker et durera jusqu'en 1956. Elle sera proche de poètes tels qu'Alain Borne ou Lucien Becker et durera jusqu'en 1956. Parmi les poètes liés à la revue, Christophe Dauphin, qui en dirige la troisième série, fait revivre le "poète méconnu" Patrice Cauda dans un volume anthologique.
En juin 1944, à l'âge de dix neuf ans, Cauda vécut une exéprience traumatique, en échappant de peu à la pendaison dans la ville de Tulle, où les Allemands avaient commencé à exécuter de la sorte quatre-vingt-dix-neuf hommes. Il sera ouvrier, vivra de petits métiers, et trouvera des amis dans la communauté poétique d'Avignon. Quel poète, quelle poésie peuvent naître de telles prémisses ? Une poésie qui crie en taisant les choses, toujours traversée de filigranes, une poésie bouche et yeux ouverts et fermés à la fois : "Derrière son masque cet homme - cache une plaie - seules ses paupières fermées - montrent le cri qu'il fait... - L'ombre connaît sa douleur - profonde et sans racine - son amour comme uen moisson - rongée par le règne du mal." Ce poème ouvre la section des inédits, dont la datation commence en 1944...
De 1952 à 1964, le poète publie une quinzaine de plaquettes, de cette écriture où l'explicite et la simplicité directe s'allient à la suggestion des images : "De tant de douleurs comment faire une vie - Trop de larmes ont noyé le bonheur - Le jour n'est plus qu'un désert à traverser - Au fond du coeur l'amour n'a plus de cris."
Il faut particulièrement signaler, dans son premier livre, "Pour une terre interdite" (1952), le long poème adressé à la mère du poète ; cette "Mère défigurée" doit compter parmi les poèmes les plus poignants et les plus évidents à la fois, dans l'expression retenue et intense du deuil et de l'amour : "cette femme en robe ancienne est une morsure", dit le fils, qui avoue plus loin : "Un soir elle a dit je suis fatiguée - nous n'écoutions pas le sommeil - elle est morte sans nous déranger - nous nous sommes dispersés dans l'ombre.
Puissent Christophe Dauphin et les éditions Les Hommes sans Epaules poursuivre leur ouevre de redécouverte d'autres poètes méconnus."
Gérald PRUNELLE (in Le Journal des Poètes n°2, Belgique, 2019).
*
Christophe Dauphin nous fait découvrir un poète contemporain, Patrice Cauda (1921-1996), né en Arles, dans une famille pauvre, de père disparu. C'est un Rimbaud sans culture et sans fuite, originaire du pays de Van Gogh, dont Christophe Dauphin souligne la communauté de destin.
Le poète est demeuré inculte jusqu'à l'âge de dix-huit ans environ, âge auquel il fait la rencontre d'Henri Rode et des Hommes sans Epaules.
Puis c'est la tragédie de Tulle, en 1944, où il a vu la mort arriver très près.
L'homme reste obstinément humble et secret; jamais il ne s'offre aux revues ni aux éditeurs; ce sont ses amis Henri Rode, Jean Breton et Serge Brindeau qui le poussent.
Pour Christophe Dauphin, Patrice Cauda est le poète "de l'inventaire des blessures", dans la lignée de Lucien Becker, Paul Eluard, Alain Borne et Henri Rode.
Les trois quart du livre sont une anthologie - livres parus et nombreux inédits - de cette poésie profondément déchirée, dominée par la parole qui manque d'air, où le sens domine : "Je voudrais vomir tout mon ciel".
Le néant gagne et l'homme s'affole : "Autour du granit de chaque jour - les mains battent comme des oiseaux - perdus sur une mer sans rivage".
La poésie; même, parfois en peut rien contre la désillusion : "Les doigts assemblent des lettres - Dont la somme est trahison".
Il y a cependant de l'espoir : "J'habite une lumière qui dépasse l'histoire". Avec parfois cette image christique du poète maudit : "il faudrait une blessure à nos flancs - pour percevoir notre musique intérieure". Nul doute qu'ici Christophe Dauphin nous la fait entendre.
Bernard FOURNIER (in revue Poésie Première, 2019).
*
|
|
|