Tu vas attraper froid (Éthopées)

Collection Les HSE


     zoom

Tu vas attraper froid (Éthopées)

Éric SÉNÉCAL

Poésie

ISBN : 978-2-243-04531-4
130 pages - 13 x 20,5 cm
15 €


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Après Burlesques (2011), Éric Sénécal donne son livre le plus personnel. Il comprend seize éthopées, inédites, cinq ont paru en revues et en volumes à tirage limité. L’éthopée, au sens propre, comme le rappelle E. Bury (in Lexique des termes littéraires, LGF, 2001), est la mise en scène de caractère (ethos), qui dans les exercices classiques de la rhétorique passait surtout par l’invention d’un discours prêté à un personnage (faire parler Andromaque après la mort de son fils…) Avec le genre du « caractère », l’éthopée s’est élargie à la description des traits moraux d’un personnage donné, comme chez La Bruyère. Il s’agit de montrer en quoi les caractéristiques morales du personnage animent toutes ses actions. Éric Sénécal, quant à lui, n’a pas choisi, par hasard, d’appeler éthopées, les poèmes de son livre. S’il abandonne au genre sa rhétorique et ses figures de style ; il en conserve en revanche le fond, soit la « mise à nu » (dans le sens baudelairien) du personnage : Éric Sénécal en l’occurrence ; le poète, l’amoureux, le solitaire, l’ami, et toujours le révolté, l’enfance (qui revient en boucle) et l’homme forcément blessé. Passée au tamis du vécu et du sensible, l’éthopée très personnelle et à part d’Éric Sénécal, se fait poème, c’est-à-dire, rencontre, morceaux de vie, de joie, d’angoisse, de désespoir ; soit un journal de bord de la vie intérieure, qui sonne vrai, fort et juste. Craché ou tendre, sensuel ou corrosif, cru ou léché, clair ou obscur, le poème d’Éric Sénécal, non dénué d’humour noir ni de dérision, est un état d’être vissé aux tripes du poète, entre la craie et l’abîme.

Poète, critique (la chronique « La nappe s'abîme », in revue Les Hommes sans Épaules), Éric Sénécal (né en 1964, à Dieppe) fut journaliste et travaille désormais dans l’action sociale. Il créa, parallèlement, en 1998, les éditions clarisse et la Maison de la Poésie de Haute-Normandie. Il est l’auteur d’une douzaine de livres et plaquettes de poèmes, dont Burlesques (éditions clarisse, 2011), qui contient starring buster keaton, soit les poèmes les plus emblématiques de l’auteur

                                                                                              Christophe DAUPHIN

 


FERMENT

(extraits)

 


1.

 

         Persuadé aujourd’hui

L’été n’est pas blanc. Pas blanc ! Mais demain ?

La nuit me bougera-t-elle à l’intérieur, bougera-t-elle  

        Mon œil, mon regard

mes suites de mots, pour s’enfourcher sur d’autres vides, de

moi Inconnus ? L’été n’est pas blanc,

alors ?  

         Le désordre (écrire le désordre) dévoile son vide au fur et  

         à mesure que je l’empile, lui donne mes corps

Pour mots.  

         Je vieillarde.  

         Ris, vieux con, ris ! RIS !

Donne-toi visage, prépare ton corps au lest véreux. Le terme

est :

 

je m’aquariophilise. Dans le silence dans le silence

 


2.

 

Mettons-nous par hasard  

         Dans l’actualité. La télévision, les journaux, je sais

 

même lire l’inquiétude de l’épagneul français

lorsqu’il  

         écoute la sirène  

         Des faits divers.

Insonorisons-nous.

Lève ta patte  

         chien l’Ami

fais-toi journaliste de ma tendresse. 

 

Eric SENECAL

(Poèmes extraits de Tu vas attraper froid, LGR/Les Hommes sans Epaules, 2012).


Lectures

C’est pratiquement au centre du recueil, à la fin de la première partie d’un poème appelé « Dialogue du solitaire » que le vers retenu pour titrer l’ouvrage apparaît, sans majuscule : « tu vas attraper froid, » (p.54). La ponctuation est bien celle-ci, le poème s’inachève, si je peux dire, par une virgule. Et cette affirmation de l’incomplétude doit être rattachée au sous-titre de l’ouvrage : « (éthopées) ». On se souvient peut-être que l’éthopée renvoie à un dictionnaire de rhétorique et que la figure fait signe vers la mise en action de personnages qui révèlent un caractère moral. L’éthopée est une grande figure morale. Georges Molinié, dans son Dictionnaire de rhétorique écrit ainsi : « Elle consiste en la description morale et psychologique d’un personnage, de manière à ce que le développement du discours soit commandé par ce traitement. » Mais ici, le tableau moral et l’analyse psychologique, s’ils pourraient apparaître, semblent volontairement raturés. L’écriture de Tu vas attraper froid s’en dégage tout en proposant d’abord de suggérer le portrait d’un être humain qui se place dans une lignée poétique clairement affirmée : je par exemple nomme je - le je de ton surréel - je est un autre mais - Qui - inventa cela nommer je - ne se peut pas louons je - jouons-le aux dés à la mécanique-descartes - bien aplatir des deux côtés - les bras élevés vers le ciel - pour l’abolition d’une marée (p.55-56). 

Passent dans ces deux strophes, outre les références rimbaldiennes et surréalistes, une esthétique qui pose, avec le  jeu de « dés » et « l’abolition », une action sur la langue : celle, justement, de donner une image réfléchie de l’être.  Et cet être d’apparaître divers, tantôt dans une sorte d’arrêt sur l’ouvrage lui-même, méditant sur des « Pages d’écriture » et cherchant à présenter sans mythologie l’urgence de l’écriture en même temps que l’énergie énigmatique qui préside au geste : D’aucuns font l’amour, d’autres jardinent, ou politiquent, scandent, interpellent, chantent, peignent, creusent, musiquent, remplissent des vides. Qui saurait dire si de la poésie, concentration d’atomes plus ou moins fissurés, habite l’existence, si ce qui s’est écrit tend à provoquer quelque mouvement d’âme (ou de ce qu’on veut) chez les rares lecteurs de poèmes. (p.88) Tout se passe comme si Éric Sénécal s’appliquait à ne pas hiérarchiser l’action (l’activité ?) humaine pour arriver à plus de sincérité dans le geste lui-même. Ce serait justement la condition d’émergence de l’être. Et celle-ci de passer pour ainsi dire par presque tous les états du langage. Le poème d’Éric Sénécal, en prose et le plus souvent en vers dit assume la multiplicité des registres, passant du plus recherché au plus vulgaire, traquant les faux-semblants. Parfois l’être poétique devient « Le moribond moribondera ». Et le poème passe en revue la vie depuis « Un cri petit infiniment / un muet petit d’homme / et le silence est atrophie » (p.12) pour construire des « séquences qui ne feront pas un film » (p.17). Dans une sorte de raréfaction du signe, l’existence se confronte à « la poussière larme à larme / les / morts / s’alourdissent » (p.20). Et, la dernière strophe de conclure, sans qu’on puisse dire si son premier mot est nom ou verbe, constat ou conseil : songe à rebondir  en des terres lointaines - mains qui sonnent   ternes mais douces - aux marges d’un visage (p.21).  

Le désespoir constitue parfois l’être du poète ou du poème mais il n’est jamais un terme et l’écriture semble refuser toute complaisance dans la douleur – tout pathétique, en somme – pour privilégier le cri ou plus simplement la colère. Celle-ci trouve dans le réel l’occasion de se manifester sans jamais s’enfermer dans un engagement qui asservirait l’écrit à un message prédéterminé. Le poème « Bout du quai / chair de souvenirs » sous-titré « (fugue) » est sans doute le meilleur exemple de cet aspect du recueil. C’est une sorte de prélude aux travaux de rénovation d’un quartier historique à plus d’un titre, le Bout du Quai à Dieppe, qui « accueillait les harenguiers de toute la Manche et de la mer du Nord » (p.29). Depuis Baudelaire, on sait que « La forme d’une ville change plus vite, hélas, que le cœur des mortels. » Le poème, en prose, note ce que rien n’aura retenu : Oui, écrire une histoire de la lumière dans ce quartier, sur les murs, en petits cercles mécaniques ; échapper au poids des seuils, des fleurs lourdes au surplomb des chambranles. Aucune photographie, aucun mot n’outrepassera l’accalmie des fins d’après-midi d’été au bout du quai – avancer, laisser le temps au visage de reprendre feu dans l’hiver naissant. Un fragment du monde est donné à lire, il n’existe plus. La dénonciation n’a pas besoin d’être militante pour toucher à la justesse du lieu et être présente par un écrit qui ne se limite pas à elle. Et le poème de restituer l’être de ce qui disparaît. Finalement, c’est une figure lyrique et mouvante qui se découvre au fur de la vingtaine de poèmes réunis dans ce recueil.  L’être humain ne se laisse pas réduire à une conscience uniforme, chaque poème peut porter mémoire d’une histoire qu’elle soit familiale, amicale, amoureuse, ouvrant ainsi l’éventail des sentiments, des sensations, se heurtant à la mort des autres comme au suspens de l’amour, dans un vers libre qui joue de tous les rythmes mais trouvent sans doute plus de force dans un mètre très bref comme ici, à la fin du poème « fugue » : évinçons  momentanément - la rumeur inquiète et molle - prisonnier - de la clarté - d’une jupe légère l’ombre - des cuisses découvre la ligne - du tendon - d’achille - la cheville au sud  - du pantalon - boussole en rond - traces inoccupées - vers un passage étroit - prisonnier - entrouvert  - émaillé - friches qui s’accumulent  - sur les - hommes inutiles - aux grands yeux bleus - et blancs - il - a peur - il aimerait - retrouver une idée - où il est seul souriant - à regarder passer de - délicieuses - miettes de glace - entre les épaules.  

De l’éthopée reste ici le portrait en creux d’un autre qui est peut-être soi, la morale se tenant sans doute dans le désir d’écrire réuni à l’humilité du geste. 

Alexis PELLETIER (in Poezibao, 24 novembre 2012)

 

Avec Et me sucer jusqu’à mourir, ça commence fort. Chute. Saignement. Solitude. Des petits pavés de prose qui accompagnent un enfant de dix ans qu’on empêche de voler… le drame de l’albatros et Mozart qu’on assassine. Ça remet les pieds du poème sur terre.  Le moribond moribondera ; un poème comme une feuille de route. La vie se termine mal on le sait, mais entre le premier cri et le dernier souffle, si tout est loin d’être un long fleuve tranquille et rose, il existe la résistance des beaux jours. Les éclairs de joie. De l’écriture à la faucille étincelles comprises. Bout du quai/chair de souvenirs. Personnellement j’aime le géopoétique. Pas toujours, mais souvent. Ici la flânerie errante me convient ; je lui embraye le pas et entre dans la songerie déambulatoire de ce vieux quartier de Dieppe que du coup j’aimerais arpenter en compagnie d’Éric. 

Écrire parfois, écrire souvent apaise les raideurs de la nuque, retient le fouet de la branche de noisetier. On contemple l’Écureuil, fraîchement.

se rappeler

pas se souvenir

le puits sans pièces regarde le ciel vide de son orbite énucléée

tant d’absence

poésie pour écoper le trou  

L’absent ici c’est Dédé, l’aviateur, le héros… et le présent la froide réalité qui vient poser le silence. Des poèmes… Des textes… Comme autant de moments de vie… Une vie d’homme.  

Patrick Joquel (rubrique "ici è là" in biblioblog.sqy.fr, février 2013).

(..) Eric Sénécal est multiple. il propose plusieurs facettes de son écriture, tant et si bien qu'on pourrait être un instant dérouté. Il joue aussi bien sur différents registres poétiques que sur des proses variées. En fait, c'est le manque d'habitude de trouver tout en un, dans un même étui. Une route teintée de hautbois. Aussi bien le poète quasi surréaliste, que le révolté au langage éclaté, ou bien le fin connaisseur de la langue... Les mains en musique - plaquent des gémirs. Percent à travers les pages des thèmes récurrents qui unifient définitivement l'ensemble: l'enfance en particulier (la souffrenfance), avec des souvenirs familiaux, hommages et déceptions, l'amour du solitaire grinçant à l'érotisme acide: on aguichera des fantômes de filles - on leur mettra la main sur le désordre... Eric Sénécal fait preuve d'une égale sincérité aussi bien dans ses poèmes aux vers tendus et filiformes ou aux versets à l'italienne que dans ses pages d'écritures, le pluriel est à souligner. Il écrit à nu, à l'os et ça se voit. tout bêlement écourte le printemps.

Jacques Morin (in revue Décharge n°157, mars 2013).