Théorie de l'émerveil

Collection Les HSE


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Théorie de l'émerveil

Postface de Christophe Dauphin
Adeline BALDACCHINO

Poésie

ISBN : 9782912093639
294 pages - 20,5 x 13 cm
20 €


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Le nom d’Adeline Baldacchino a surgi comme un météore avec une première publication en 1999, à l’âge de dix-sept ans. Vingt ans plus tard, Adeline Baldacchino n’a pas démérité de son engagement poétique, qu’elle porte avec une fougue, un enthousiasme contagieux. Et cet enthousiasme, nous le retrouvons au sein de Théorie de l’émerveil, qui est, à ce jour, son livre le plus ambitieux en poésie.

« Je suis l’Émerveillée », écrivait-elle déjà en mars 2000, dans un poème. Cet ensemble inédit, à l’exception de quelques poèmes qui ont paru en revues ou livres d’artistes, s’étale sur treize années, de 2006 à 2019 ; treize années d’écriture, mais avant tout du Vivre dans les veines du monde.

La poète nous dit dans sa préface : « La théorie de l’émerveil est une leçon d’émerveillement déverrouillé : non pas seulement que l’émerveil rime avec les merveilles, mais aussi, que l’on entende l’invention derrière l’évidence. (..) Qu’il me suffise de dire que je crois moins désormais aux vertus de l’automatisme hermétique, plus à celles de la simplicité partageuse. (…) Tous ces textes, pourtant, depuis les premiers que je relis avec un brin d’incrédulité sans toujours y reconnaître mon reflet, disent la même ferveur – pour la vie, pour les êtres qu’elle charrie sans toujours les bien traiter, pour la poésie qui tente de traduire l’imperceptible, du silence fulgurant de l’amour aux brisures de l’absence définitive. »

Théorie de l’émerveil est un livre de la poésie vécue ! Une poésie vécue qui ne fait pas fi de la dimension onirique : « J’ai des poèmes plein la gorge - des atolls comme des larmes blanches de cire fondue sur le fond plus vaste de la nuit, sondages enfouis du rêve, piaillements d’oiseau foudroyé, jetées de la jouissance possible, tendre le bâton pour se faire aimer. »

Il y a que cette poète croit et a toujours cru au lyrisme, à l’émotion brute qui submerge un corps et un texte en même temps : « jusqu’au cœur d’un combat que je crois indéfectiblement social et politique, affectif et sensuel, autant que mystique et littéraire. »

Christophe DAUPHIN

Une Île dans l’Atlantique

                   Jour 1 – 9 juillet

 

Je vais vers une île

(oublier seulement le temps)

n’être rien de plus

que cette chair

attentive

l’envie

comme une braise.

 

Désir d’éclipse

partir, écrire

(l’éclipse du désir)

comme on documente

l’exil

intérieur

devenir.

 

J’aime l’attente

juste avant

si elle ne dure pas

l’odeur des choses

qui viennent

et s’annoncent

et arrivent.

 

Il y a dans le ventre

cette vague épaisseur

chaude et violente

comme un spasme

l’ordre de l’aube

contre l’ordre

du manque.

 

La joie couve

l’absence

on n’est rien

que soi

une île vers une autre

île

chair contre terre.

 

J’attends le goût du vin

(langue nue)

contre les paupières

j’imagine encore

trop

car il faut ne plus attendre

pour tout accueillir.

 

Et l’enfoncement du désir

dans le jour qui l’efface

- et le corps oublieux

qui s’apprête

à ne plus penser

(se faire

parenthèse).

Adeline BALDACCHINO

(Poème extrait de Théorie de l'émerveil, Les Hommes sans Epaules éditions, 2019).


Lectures

La Théorie de l’émerveil, un enthousiasme pour la vie, ses beautés et ses surprises !

Livres Hebdo, Electre, 2019.

*

"Si vous n’achetez qu’un ouvrage de poésie par an, choisissez celui-ci. Si vous ne savez pas quoi offrir à vos amis à l’esprit alerte,  n’hésitez-pas, le livre d’Adeline Baldacchino les aidera à la réconciliation avec eux-mêmes, le monde et les dieux à laquelle l’oracle de Delphes continue de nous inviter malgré les divertissements qui éloignent de soi-même.

Alors que nombre d’intellectuels tristes, oubliant la leçon de Spinoza, évoquent la nécessité de réenchanter le monde, évoquent seulement, Adeline Baldacchino le fait :

« La théorie de l’émerveil, annonce-t-elle, est une leçon d’émerveillement déverrouillé : elle exige, non pas seulement que l’émerveil rime avec « les merveilles », mais aussi que l’on entende l’invention derrière l’évidence. »

En effet, c’est par l’invention, plutôt que par l’imitation, qu’Adeline Baldacchino introduit une autre rime, émerveil  rime en effet avec éveil. Il s’agit de rester éveiller à ce qui est, par le simple, plutôt que par tout autre chemin : « Qu’il me suffise de dire que je crois moins désormais aux vertus de l’automatisme hermétique, plus à celles de la simplicité partageuse. »

En 1999, à dix-sept ans, Adeline Baldacchino  a publié un premier livre, Ce premier monde. Suivirent des plaquettes de  poèmes et proses poétiques, entre autres, mais il aura fallu attendre vingt ans pour la redécouvrir avec cet ensemble de textes qui est un parcours à la fois dans le temps et dans l’intime, voire l’interne.

Se référant au Manifeste du surréalisme, elle nous confie : « Quelque chose de l’ordre d’une spiritualité sans foi se dégage de ces paroles et m’accompagne depuis longtemps, jusqu’au cœur d’un combat que je crois indéfectiblement social et politique, affectif et sensuel, autant que mystique et littéraire.

Théorie de l’émerveil rassemble des textes de formes très diverses, micro-essais, commentaires, proses poétiques, poèmes, haïkus… L’ensemble est bien une théorie, mais une théorie arrachée à l’expérience, à la vie, une théorie qui est aussi un art de vivre, parfois de survivre, par l’amour, la lumière, la beauté, la joie… afin de flotter dans une axialité à réinventer d’instant en instant, quelque part entre l’horreur et le sublime,

Adeline Baldacchino déchire les voiles opaques, tantôt en les arrachant à pleine main, tantôt avec la délicatesse de l’esprit. Il ne s’agit finalement que de liberté mais de toute la liberté.

« J’ouvre au hasard une traduction d’Omar Khayyam, j’attends qu’il me parle de ses cruches de terre qui furent des gorges d’amoureuse, j’attends l’oracle, « Puisque la fin de ce monde est le néant / Suppose que tu n’existes pas, et sois libre ». »

L’ouvrage rappelle les écrits des vieux maîtres constitués de perles enfilées sur le fil fragile de l’être. C’est incertain, c’est serpentin, cela fait irruption dans la conscience, il s’agit d’ouvrir une brèche dans les couches successives des conditionnements toxiques mais, le lecteur attentif, pour peu qu’il soit encore vivant, saura y trouver au moins une méthode pour lui-même , si ce n’est une anti-méthode:

« Ne plus reculer. Avancer. Ne plus espérer. Faire. »

« jouir d’être

lancé vers le ciel impur

qui recommence

corps liquide

enfoncé dans le temps

vierge

où mûrit l’innocence. »

Adeline Baldacchino sait que le temps est le cadre ou le contexte de tous les affrontements, de toutes les déchirures. Elle ne cesse de questionner le temps pour le prendre à défaut et s’en affranchir.

« Le temps s’écarte

cuisses défaites

peuplades de nos corps »

« je m’esquinte l’âme

contre les esquilles du temps

je résiste à la tentation

de refaire

le monde avec des échardes

le bois coupé

ne survit qu’en braise

phénix de cendrars

plus tendu vers l’étrave

plus accordé à la mer

plus encordé au monde

violemment présent

dans l’apparition

de l’instant pur. »

Avec cet ensemble de textes dont l’unité naît du caractère disparate de l’apparaître, Adeline Baldacchino souligne l’évidence d’un ordre libertaire de la délivrance, une évidence parfois douloureuse.

« La théorie de l’émerveil, nous dit-elle, cherche sans cesse à nous convaincre qu’il vaut la peine de vivre. »

« La théorie de l’émerveil est assise sur une pratique de l’émerveillement dans laquelle rien de ce qu’elle promet ne trouve forme dans le réel qui cavale de l’autre côté de mots. »

 Reste l’essentiel : « On écrit des livres entiers pour comprendre ce qu’est une vie réussie, alors qu’il n’y a qu’une seule réponse, juste là sous nos yeux : aimer, être aimé. »

Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, 16 octobre 2019).

*

Adeline Baldacchino, née en 1982, passionnée très jeune par la poésie contemporaine qu’elle découvre à travers Rimbaud, le surréalisme et l’Ecole de Rochefort, a fait entendre sa voix dans son livre sur la poésie de Michel Onfray et dans La Ferme des énarques où elle critique l’Ecole nationale d’administration qu’elle a intégrée en 2007. Théorie de l’émerveil a fini par naître quand elle a pris la résolution de « son intuition » en sélectionnant des textes pour la plupart inédits. L’ensemble s’étale sur treize années, de 2006 à 2019.

Ce terme d’« émerveil », récurrent dans son œuvre comme lui a signalé Alain Kewes, l’éditeur de ses deux derniers recueils, rappelle au lecteur le J’émerveille d’Apollinaire, mais c’est de Blaise Cendras qu’elle a pratiqué l’écriture et c’est lui qu’elle admire jusqu’à en écrire un ouvrage biographique. Elle y souligne qu’« il a voulu que la poésie soit dans la vie avant d’être dans ses livres. Il a fini par confondre les trois : la poésie, la vie et les livres ». Elle ajoute – et c’est essentiel pour la comprendre : « Il avait bien raison. Je ne sais pas faire autre chose ».

La poète donne dans sa préface, qui date d’avril 2019, les raisons premières de cet émerveillement : une graine semée par l’amour dont ses propres parents lui ont montré l’exemple ; et cette « spiritualité sans foi » qu’elle a découvert dans Le Manifeste du surréalisme. C’est là qu’elle signale la méthode nécessaire d’après elle pour approcher son Anthologie, « on pourra donc parcourir ce recueil à l’envers, en commençant par la fin, où figurent des ensembles auxquels je tiens particulièrement, les AtlantidesGrève contre la mort, ou la Théorie de l’émerveil… ».

Après un recueil de haïkus et des proses poétiques sur la faune, la flore et les éléments, Atlantides, un inédit, écrit entre 2015 et 2017, dès son incipit : « Je vais vers une île » du volet I, Une île dans l’Atlantique, et, dès les premiers poèmes nommés Jour 1, évoque un besoin de voyage sans doute intérieur qui est à la fois désir, attente et sentiment de manque. A la seconde page trois vers, comme un véritable impératif, annoncent le remède : « l’ordre de l’aube / contre l’ordre / du manque » ; des septains aux vers brefs – d’un seul mot parfois – semblent, grâce justement à leur concision, courir sur la page s’alliant à « la joie », au « goût du vin » et à « l’élan vertical de l’oiseau ».

La chute de Jour 2 exprime par contraste une lucidité obligée : « j’aime le monde / et ne fais qu’y passer », et le lexique, dans son champ, est de fait négatif : « scories, oubli, abandon, délitement, vide de certitudes (le corps) ». Un constat dont l’issue est heureuse puisque « les mots sont des perles ». Jour 5 voit ensuite la fusion entre le cosmos et la poète qui « marche sur les pieds / dans le ciel » et trouve ses marques en innovant dans la forme et le fond, toujours grâce à la lumière et, depuis l’aube, au jour :

J’atteins les fontaines

par où s’effondre la source

du soleil

j’incan

descence

bordée de nuit

je désonge.

Elle avance, dansant ou marchant sur le sol « rouge », hors du temps, mais la nuit et l’angoisse reviennent avec, pour compagnons, des mots rédempteurs nés « dans l’intensité foudroyante / du silence ».

Le volet II, Un cargo sur l’Atlantique, montre un regain de force malgré la présence de fantômes quand, dans la première partie, Partance, il s’agit de planer comme l’oiseau et d’épouser les mouvements des vagues. Cela avant de formuler dans Hypothèse la présence possible de l’impuissance et du silence. Puis, au milieu des machines et de la mer, le corps qui « s’impose » doit trouver sa place et affronter le temps quitte à manger du sable. Pour Devenir, selon le titre du groupe 6, phénix de Cendrars, il faut savoir se détourner du passé et retrouver le désir comme au « premier jour » même s’il l’on doit oublier les mots pour se mêler aux éléments. Ainsi les poèmes suivants se nomment-ils Aphasie.

La suite du recueil balancera entre deux états d’âme. L’ensemble 9 s’appelle en effet Embrasement, et dit :

le cœur s’étonne

pris entre le regret de ce qu’il quitte

et la soif de ce que l’on fut

L’absence de l’être aimé, évoquée une seule fois auparavant par « tes caresses », apparaît au volet III, le dernier de l’opus, mais seulement pour dire qu’il est quelque part présent au point de pouvoir lui parler. Et, si tout recommence, c’est « depuis que l’on aime », depuis ce jour où le poème a pris son sens : « le poème sera tout ton souvenir ». Comme « sous la mer / une Atlantide ». S’expliquerait alors le titre de cet inédit écrit l’année suivante, Grève contre la mort, promesse d’énergie optimiste. Son premier poème entérine le thème du phénix et donc l’opposition mort-vie qui introduisent une écriture de la tension et de la lutte. La ferveur induite produit là encore, dans La Lettre aux vivants, un certain lyrisme :

Chevauche et débride les vagues…

pour leur rendre la force

et la joie d’inonder

Puis, jusqu’à la fin du recueil interviennent des Notes-Poèmes, comportant au début des sortes de versets qui se rejettent à gauche de la ligne, s’alliant parfaitement au ton ample de la réflexion :

Note bien qu’il n’y a rien de mieux à faire que de regarder

la mer

Il s’agit de noter qu’il n’y a, pour le « spectateur », rien à changer aux évidences, aux regrets possibles et au destin et qu’on ne sait vraiment que l’amour. Ainsi existerait une fois de plus le désir et il se fait sentir au milieu d’images toujours innovantes comme « les épaules de la nuit » ou « les clairières félines ». Adeline Baldacchino peut donc se poser l’ultime question du poète qu’elle sait ici résoudre : « comment fait-on résonner le chant ». La suite se présente encore sous forme de litanies introduites par l’anaphore Note bien et établit un va-et-vient entre doutes et certitudes : « Note bien que tu peux en rire autant qu’en périr ». Mais l’œuvre accomplie, même si « les mots ne sont que d’autres manières de sangloter », reste porteuse d’espérance. C’est pourquoi la dernière partie éponyme du titre clame la liberté acquise par « les poètes (qui) ont tous les droits » jusque dans l’écrit où symboliquement on ne mettra pas de majuscule. L’essentiel étant, puisqu’il s’agit de souffrir et de mourir malgré « le sursis… pour aimer », d’avancer dans le vent vers la mer et de « tenter de vivre ». Ainsi cette grève, qui aurait pu être celle des mots sans pouvoir, est-elle bien, à la manière de tous les révoltés, un véritable manifeste, selon le mot sous forme de verbe employé par la poète elle-même.

Ce sont par des versets – on en connaît sinon le lyrisme du moins la musique – qu’Adeline Baldacchino a choisi, en cette année 2019, de conclure sa démarche en sept pages qui portent le titre de l’Anthologie même. Ce qu’elle veut être, en effet, dès le début, « une ode à la mémoire », est une tentative de survie dans l’attente de la joie car « La théorie de l’émerveil cherche sans cesse à nous convaincre qu’il vaut la peine de vivre ». S’il y a une renaissance c’est par les mots qu’elle a lieu dans la lumière et la création d’une réalité qui est celle de l’amour puisque « il n’y a qu’une seule réponse, juste là sous nos yeux : aimer, être aimé ».

France Burghelle Rey (in la cause litteraire.fr, 30/10/2019).

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Ce qui est très surprenant dans un premier temps, c’est l’importance accordée aux chiffres dans la composition des différents recueils de poésie d’Adeline Baldacchino, rassemblés ici dans un gros volume couvrant la période allant de 2006 à 2019.

Illustration : Lucien Courtaud : Tauromachie fleurie (1959)


Séries numérotées, partie intitulée : « Treize tableaux diogéniques », cent haïkus (divisés en trois tronçons de 33 + 1), quatre treizaines (suivant le calendrier aztèque) dans une partie appelée : « Vers le cinquième soleil », journal numéroté et daté… Cette dimension semble un peu moins prégnante aujourd’hui, même si les deux recueils publiés chez Rhubarbe récemment « 13 poèmes composés le matin… » et « 33 poèmes composés dans le noir… » montrent bien chez elle l’importance fondatrice du nombre. Importance aussi de la structure cosmogonique, si l’on y ajoute la dimension géographique qu’on perçoit dans les titres comme « Poèmes de Martinique » ou « Poèmes de Prague » et les localisations finales des poèmes.

La seconde évolution, ou variation, que l’on peut constater, c’est l’auteure elle-même qui la pointe en préface : je crois moins désormais aux vertus de l’automatisme hermétique, plus à celles de la simplicité partageuse… Un exemple parmi d’autres d’images surréalistes qui émaillaient la période initiale : Il y a dans ma poitrine des hérissons roulés en boule qui s’éveillent aux premiers feux mouillés de l’aube… La période actuelle a en effet changé l’angle d’attaque de sa poésie là aussi, la fulgurance de la forme a laissé place à une signification plus aiguë : Et je ne demande rien de plus à la beauté que d’être l’envers de la peur. Même si les thématiques demeurent les mêmes, elles sont abordées cette fois de front, voire de l’intérieur, alors qu’elles l’étaient davantage emportées dans le mouvement lyrique des images et des mots. Le désir, l’amour, la jouissance, la mort… et un thème transversal : la mer, une partie entière lui est consacrée : « Atlantides » avec une traversée de l’Atlantique en cargo : je ne sais plus ce qui vibre en moi / de la machine ou de la mer / de la carcasse ou du squelette / du verre ou des os… Autre intérêt de ce recueil anthologique, on mesure la diversité de l’écriture entre la prose fluide des treizaines par exemple et la densité du haïku Comme la solitude est brune / et vieille l’horloge / des âmes en rut

Ce livre sur treize ans matérialise tout un parcours de poésie et de vie, Adeline Baldacchino n’écrivait-elle pas au tout début : je ne joue qu’en me gommant un peu je n’ai pas choisi le bon crayon… On constate que le tracé s’est affirmé avec le temps. Et cette phrase si positive, tirée de la dernière partie qui donne le titre à l’ensemble, à lire comme une profession de foi : La théorie de l’évermeil cherche sans cesse à nous convaincre qu’il vaut la peine de vivre.

La postface de Christophe Dauphin est remarquable comme d’habitude. Il revient sur l’existence d’Adeline Baldacchino ainsi que sur son œuvre, poésie bien sûr et essais philosophiques et littéraires (Max-Pol Fouchet, l’ENA, Onfray, Cendrars, Yourcenar…).

Jacques MORIN (cf. "Les indispensables de Jacmo" in dechargelarevue.com, novembre 2019).

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Le monde et la littérature, la poésie et les mythes, les îles et les étoiles tournent dans la tête d’Adeline Baldacchino. Elle est entrée en poésie à 17 ans, en 1999, avec une première publication et, dès ses débuts, elle s’émerveille de tous les mouvements de la vie, de la combinaison infinie des formes et des langages. Elle réunit plusieurs ensembles dans Théorie de l’émerveil, recueil, au titre aussi surprenant qu’enchanteur. L’auteure confie s’être engagée « à tâtons dans la grande promesse des mots » et note avec humour que les plus anciens des textes rassemblés ici apportent « un éclairage archéologique » sur l’œuvre en devenir. Elle refuse ardemment l’indifférence et affirme d’emblée l’urgence de cette écriture qui revendique à l’instar des surréalistes, sans allégeance, « quelque chose de l’ordre d’une spiritualité sans foi […] jusqu’au cœur d’un combat […] indéfectiblement social et politique, affectif et sensuel, autant que mystique et littéraire. » Les séquences sont datées et classées chronologiquement, de La part de l’oubli (2006) à Théorie de l’émerveil (2019).

Dans La part de l’oubli s’ouvre un abîme de questions existentielles : « Nous courons après l’oméga sans pouvoir déchiffrer l’alpha ». Faute de percer les mystères de la vie, de l’amour, de l’outre-mort, l’auteure se « livre à la vie comme le naufragé finit par se livrer à la mer. » A la lumière des leçons de Vladimir Jankélévitch et d’Andrée Chédid, elle chemine parmi les « cristallisateurs d’évidences » et découvre que le corps qui « ploie sous le faix des mirages improbables […] est composé d’encre autant que de peaux. »

La séquence suivante confirme - au pluriel -, le lien étroit entre le corps, l’amour et l’écriture : Petites peaux de poèmes. Rêverie éveillée dans laquelle des fulgurances fusent ou se figent : « le songe est muet dans les interstices du gouffre. » Des lèvres se cherchent d’une rive à l’autre des océans de peur, les nuits des villes s’illuminent d’apocalypses énigmatiques, de : « flambées d’étoiles dans les rues qui sombrent… »

De quelle promesse s’éveillent les sens : « serment de salives épanchées dans la nuit » ? Portraits du pays d’amour est une invite directe au lecteur, à partager cette « aspiration vitale […] ce désir haut perché, cette increvable envie de tenter le diable – pour vivre avec les autres. » Conseil ou principe fondateur de toute existence sensible : « je voudrais […] que tu fasses honneur à l’enfant que tu abrites… » Et l’auteure, de revenir sur « ce chaos généalogique » dont se détachent deux visages, « grâce auxquels je m’accroche au monde comme bernard l’hermite à sa coquille : mes deux grand-mères. Rachel et Paule. » (L’une née en Algérie, l’autre en Iran).

Ajoutons une branche à l’arbre généalogique : son père est Maltais. La coquille métaphorique du fragile crustacé est largement ouverte ! Autre image d’un symbolisme limpide, détachée de treize tableaux-autoportraits : « longtemps boire de l’eau devenir sa propre fontaine ».

C’est à travers la cosmogonie aztèque, de la fin de l’ère de Tezcatlipoca, qu’Adeline Baldacchino renaît à elle-même dans une suite de quatre treizaines, « pour explorer les ressorts du désir » : « je venais de mourir à l’enfance, et je devais patienter pour revivre - ». Sous le signe du crocodile, elle revendique sa singularité émancipatrice : « Je veux écrire ma Chute mon Camus ma fable à moi, je veux retrouver l’intuition la parole à vif ancrée dans le corps qui la pensait à ma place. J’avais 17 ans, je n’avais pas fait l’amour […] je savais seulement que ce serait ça la vie, des mots puis de la chair… » Après n’avoir tiré de l’inconnu, en quête « de sens » ou « de mélodie », qu’un « chant de peine muselée », elle refuse d’aller plus avant, « comme une étranglée précoce », dans l’indifférence du monde.

Très éprouvée par des deuils intimes, elle marche « à contre-mort », thème récurrent d’une révolte définitive, mais elle ne se prive pas, à l’instar d’un Desnos, de jouer avec les mots et les personnages de ses premières lectures : « je peux dire ce soir ô oui lupin je m’arsène, et boire de l’arsenic avec le comte de Monte-Cristo dans les cahiers où je rangeais des vengeances secrètes… » Les pages (é)lues coulent « dans [sa] gorge comme serties dans [sa] propre chair ». Elle-même dit avoir « des poèmes plein la gorge » : « tu tournes autour de toi-même / derviche animale ». Dans Atlantides, elle garde trace de son passage, dans le monde, « juste un pont », et veut voir des choses qui la font frémir… Elle joue de néologismes et de mots-valises : son angoisse est « une vieille amie désastrée » ; elle se « désobture », « s’évase ». En temps de désillusions, refaire le monde est devenu hors jeu : « le bois coupé / ne survit qu’en braise… »

Lectrice passionnée de Cendrars, elle s’identifie à lui -au nom commun- : « phénix de cendrars / plus tendu vers l’étrave / plus accordé à la mer / plus encordé au monde / violemment présent / dans l’apparition / de l’instant pur. » Dans la Lettre aux vivants, le souffle lyrique s’exaspère : « la rage se monte à cru ». L’ardeur se fait violente, « dans un grand abattoir virtuel » : « si tu cries c’est pour creuser / […] la mine sans fond / du silence couché… »

Dans Re-Génèse (2016), Adeline Baldacchino, célèbre la puissance d’Eros contre Thanatos, dans sa parole à la fois incandescente et crue : « ce serait comme / le ventre offert et la fente abrupte / par où s’écoule un peu de salive / ou de sève diffuse // Ce serait comme / les doigts qu’on y glisse / les sexes qui s’habitent / et les cris qu’on y forge // (à en faire fuir / même la mort). » La parenthèse ici, fait fi de la noirceur érotique d’un Georges Bataille et renvoie la « petite mort » aux fantasmes obscurs !

L’auteure dédie Grève contre-la-mort à Joseph Andras, levant le voile d’oubli sur « les assassins bienveillants » de Fernand Iveton et autres frères blessés des « temps maudits ». La révolte contre la banalisation de la mort s’étend à tout le champ sémantique des soins palliatifs, de l’acharnement thérapeutique, etc. : « on vous branche / on vous débranche / […] on trafique / des organes / […] métronomes de l’espoir / qui cliquent et qui claquent… » L’écriture elle-même est le thème central, sensuel, de l’ouvrage. D’écrire, comme naviguer à vue « dans l’éclatante ascèse / des solitudes. » Ecrire et aimer ne font plus qu’un : « sourdre de toi-même » : « aimer serait cela : / ce petit frisson de pulpe / au creux de l’âme… »

Enfin, Théorie de l’émerveil (2019) est un traité d’amour du monde réel -onirisme inclus-. L’auteure cristallise son souffle lyrique en aphorismes énigmatiques ou lumineux. Certains donnent des ailes. D’autres appellent le large : « Si tu as suffisamment de mer au fond de l’âme, elle pourra flotter. » L’allégorie élève à ciel ouvert : « Ainsi les livres ne sont-ils que des échelles de Jacob dressées vers le ciel, par où circulent les anges qui montent et qui redescendent […] On se fait la courte-échelle pour se jucher sur le dos des dieux. »

Christophe Dauphin, éditeur et postfacier de Théorie de l’émerveil, « livre le plus ambitieux d’Adeline Baldacchino en poésie », caractérise avec justesse cette écriture frémissante, -en immersion dans les cultures et littératures de multiples ailleurs- : « Un désir palpite. Ses nerfs sont à vif. Le brasier saigne entre les lignes. […] Treize années d’écriture, mais avant tout du Vivre dans les veines du monde… »

Michel MÉNACHÉ (in revue Europe, 2019).

 

 

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Dès la couverture, on s’arrête, intrigué : l’« émerveil » qu’on aurait juré être élan impromptu de l’âme ou du cœur, peut-il être théorisé ? Connaissant la capacité analytique et conceptuelle de l’auteure, et considérant l’épaisseur du volume, on s’attend durant trois secondes à un essai d’esthétique. A la quatrième, nous reviennent son goût joyeux de l’oxymore et son espièglerie : « la sagesse est faire de rires. »

Le volume s’ouvre tout seul, révélant une anthologie poétique personnelle qui rassemble des textes, inédits ou pas, proses ou vers, écrits durant les treize dernières années. La théorie doit peut-être s’entendre au sens de suite, comme on parle d’une théorie de hérissons entreprenant la traversée d’un parc ?

L’une des parties du livre est d’ailleurs consacrée aux « micro-jubilations » ces éblouissements secrets, autre nom de l’émerveil. Voire. En tout cas, treize années d’écriture chez une auteure dans la trentaine, la famille poétique trottineuse est quasi au complet. Et le voyage lui est assurément consubstantiel : « Regarde – les taupinières de l’aube – (par où l’on sort – du terrier – quand on a bien creusé – les galeries de l’intérieur – et – que l’on veut – enfin – jouir dans le monde) ». le monde, ce sera le Mexique, l’Iran, la Méditerranée, la Martinique, Prague et cent autres lieux dûment nommés ; des trains, des avions, des cargos pris dans le compagnonnage de Cendrars : « je regarde par le hublot – les nuages en troupeaux… - (la mer à l’envers)… - j’aime le monde – et ne fais qu’y passer. »

L’émerveil, donc, est cet élan qui pousse à aimer, êtres et paysages, le feu des soleils et le sel des océans, tous les livres de l’humanité et les mots qu’on leur ajoute. Eperdument. Il engage tout le corps et toute l’âme. L’émerveil est un émerveillement… qui ne ment pas. Et il en faut, de la persévérance, de l’opiniâtreté dans l’amour, car les treize années d’écriture qu’on lit dans l’ordre chronologique témoignent aussi d’épreuves, de douleurs terrifiantes.

La volonté d’aimer souvent s’est dressée contre la mort dont on sait qu’elle gagne toujours. Il faut alors renaître de ses cendres, retrouver l’étincelle. « La théorie de l’émerveil cherche sans cesse à nous convaincre qu’il vaut la peine de vivre » et « je ne demande rien de plus à la beauté que d’être l’envers de la peur ». La poésie d’Adeline Baldacchino, tour à tour lyrique, exaltée, joueuse, colère, est aussi autobiographique car l’écriture n’est pas en dehors de la vie, pas à côté, pas une échappatoire ou un refuge : elle est la vie même.

Ca à l’air banal, évident, mais c’est en réalité très difficile et l’on voit l’auteure en permanence devoir résister au chant de sirènes des mots qui pourraient bien prendre toute la place et, simplement, consoler de la vie : « si j’apprenais à vivre – avant que de raconter – pendant que les mots s’agglutinent – à la mort intérieure – si je revenais à la vie – pour y réapprendre – le prodige d’aimer «  - « puis je me tais – les couleurs prennent – le pouvoir que – je leur cède que – je n’ai jamais eu que – la parole n’a pas – le pouvoir d’être (et non de dire) ».

Il faut de la patience, de la lucidité et aussi un peu de chance parfois ; et l’auteure de faire l’éloge de la sérendipité, de l’art de trouver ce qu’on ne cherchait pas, cet émerveil inversé, qui nous est donné par le monde, sa beauté, cette expérience de la mer Caraïbe où « les traces doucement du souvenir – se détachent de la peau salée… (où) essorée par la houle – il est temps peut-être – de laisser partir les fantômes ». Et de savoir accueillir l’amour après l’avoir tant offert.

Alain KEWES (in revue Décharge n°184, décembre 2019).

 

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C’est une somme poétique, que ce gros livre autant enthousiaste qu’enthousiasmant. L’émerveil n’est pas qu’une théorie de l’émerveillement, c’est une manière de vivre et de vibrer.

Cet ensemble poétique est un bouquet lumineux, uen souirce étincellante. Adeliane Baldacchino nous dit sa ferveur pour la vie, même dans se sheures les plus seombres. Pour l’auteur, les poèmes ont une epau, sensible ou douloureuse, mais toujours féconde comme son œuvre multiple et passionnée. « J’ai des poèmes plein la gorge », dit-elle, elle n’a aps fini de les chanter.

Maurice CURY (in revue Les Cahiers du Sens, 2019).

 

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Si l’on veut bien comprendre et apprécier le parcours d’Adeline Baldacchino, on lira en premier la parenthèse, préface et postface, de Christophe Dauphin.

Il était temps que le « météore Baldacchino » se pose un peu, fasse le point et se recentre sur « une simplicité partageuse ». C’est chose faite avec ce livre et grâce à la « passion de passeur » du préfacier.

Après avoir parcouru tous les continents et publié des dizaines d’ouvrages divers (essais, poèmes, pamphlets,…), cette auteure donne à lire une douzaine d’ensembles structurés de textes poétiques d’un lyrisme sans faille. Étonnante alchimie entre jeunesse et maturité pour cette forte personnalité qui écrit : « Je sais qu’il n’est pas de secret qui tienne pour faire une œuvre, sinon la faire. »

Georges CATHALO (cf. « Itinéraires non balisés » in www.terreaciel.net, janvier 2020).

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Je lis je relis la « somme » poétique d’Adeline Baldacchino, récemment publiée aux éditions Les Hommes sans Épaules. Théorie de l’émerveil. Un titre qui a le pouvoir de m’aimanter entre deux pôles qui en moi lectrice s’attirent et se repoussent. Théorie|émerveil. Vais-je devoir caboter entre l’écueil de l’un et le diamant de l’autre ? « Théorie » me fait peur. Jusqu’au frisson, presque. « Émerveil » m’emplit de promesses. Jusqu’au désir. Pour me rassurer, je pourrais me reporter à la préface dans laquelle la poète se confie afin d’éclairer son propos. Mais libre je suis et pour l’heure je préfère naviguer à vue d’une section à l’autre de l’ouvrage. Lequel rassemble treize années de poiein poétique, de 2006 à 2019. Chacune des quatorze sections qui composent l’ensemble du recueil mériterait à elle seule une étude ou analyse. Je me contenterai de lancer quelques fils d’accroche qui pourraient s’agencer autour de mots pris au hasard : mer miroir margelle mémoire masque mo(r)t amour ; ou désir sidération ardeur plaisir joie ; ou encore solitude tarissement effroi oubli… Car tout, dans l’écriture d’Adeline Baldacchino, semble s’enrouler autour de deux pôles antinomiques. Désarroi (vertigineux) et jubilation (intense) :

« J’écris ce soir pour ne pas mourir, pour ne pas en avoir envie, pour la jubilation, pour tous ces mots qui débordent au-dedans de la chair et je ne sais qu’en faire » (« Vers le cinquième soleil », « 2-Vent » in « Première treizaine », 2014).

Une opposition qui s’abolit dans le couple « aimer, être aimé » (in « Théorie de l’émerveil », mars 2019).

Dans « émerveil », j’entends la « mer ». Et c’est à la mer que je m’associe et que je m’arrime d’une section à l’autre. La mer, en effet, quel que soit le moment de l’écriture – quels que soient le mouvement et l’ondulation que celle-ci peut prendre – est omniprésente. Elle est l’élément primordial qui nourrit la ferveur. Une ferveur vitale traverse en effet l’œuvre polymorphe d’Adeline Baldacchino, pourtant parfois saisie d’angoisse, d’asthénie ou de chagrin. Mais toujours, comme la vague qui sans cesse ramène le galet à son point d’origine, la poète rebondit, renaissant des cendres qui la consument pour se laisser couler sur quelque p(l)age de bonheur. Soleil immensités marines amour et vent.

Ce qui se dit – et se vit – dans ces différentes compositions, alternance de proses et de poèmes, de réflexions sur la vie/la mort, c’est, par-delà les voyages accomplis, la traversée poétique. Qui est constante recherche et cheminement en écriture. Toute la vie d’Adeline Baldacchino semble concentrée dans ce vaste recueil. Une somme d’écriture reliée à un condensé de vie.

« J’ai pourtant promis qu’il ne serait pas question de moi dans ces lignes », confie la poète dans les premières pages de « Portraits du pays d’amour » (2007). Tout en prolongeant et en nuançant son propos, le complétant par ces mots : « Ou plutôt qu’il y serait question de ce qu’il y a de plus ouvert – de plus écartelé, de plus fragile et de plus oublieux, de plus tenace et de plus ardent en moi comme en tout être vivant : d’amour. »

Et c’est aussi parce que la poète « aime son lecteur », qu’elle aspire à sa présence silencieuse, qu’elle l’imagine suivant ses pérégrinations et ses personnages, qu’à mon tour, étonnée, curieuse et fascinée, je me laisse happer dans son sillage. Ce n’est pas sans risque. Car que puis-je d’autre que gloser sur ce que la poète déroule de pensées, d’images, d’étincelles de talent ?

Aussi ai-je renoncé à proposer ici une lecture fouillée de l’ouvrage que j’ai entre les mains. Et que j’étoile de coups de crayons, de griffonnages et de cryptogrammes, espérant retrouver au fil des pages mon propre fil de pensée.

Alors cet « émerveil » ?

Point d’« émerveil » sans émotion. Grande ou petite, l’émotion est clé de voûte de l’entreprise de la poète. L’émotion a quelque chose à voir avec la mémoire, car « toute vie s’avance vers sa mort, et tout deuil vers l’infini » (in « Théorie de l’émerveil », 2019). Émerveil ! La première occurrence de ce néologisme magique, je la trouve dans la Série 1 des « Petites peaux de poèmes » (2006) :

« Le travail nous fatiguait refaire est sombre c’est mûrir dans l’odeur du vent qui nous intéresse et la voile qu’on saigne à blanc nous rassure. les grandes émotions le poids de l’émerveil. »

Et, plus avant dans le livre, dans la « Quatrième treizaine », 6 – Serpent (in «  Vers le cinquième soleil ») :

« Dehors, le ciel est limpide, l’émerveil guette dans les petites choses – les premières feuilles mortes sur un trottoir, la couleur d’une rivière, l’oiseau volage. Mais à qui en parlerons-nous ? ».

Ou encore dans un poème de « D’écrire » (2017-2018) :

52

« je sais des gestations
secrètes
émerveilleuses

des miracles indécents
des lunes calfeutrées
dans les ventres

et des bêtes qu’on apprivoise
et c’est encore nous
mêmes ».

La quête d’« émerveil » d’Adeline Baldacchino est quête rimbaldienne. Ce qui la guide, la poursuit et l’exalte, c’est le désir insatiable d’« éclat d’éternité. »

Ainsi écrit-elle dans « La part de l’oubli » (2006) :

« Je sus qu’il avait été vécu ; Quoi ? L’éclat d’éternité, le point de jonction : cet instant de déshérence heureuse où la conscience enfin s’abandonne pour participer pleinement au monde… ».

Allié des « grandes émotions », l’« émerveil », parce qu’il est point de jonction de la mémoire et du désir, est aussi « point de plus grande fragilité, de plus grande beauté. »

D’autant plus fragile qu’il est soumis à l’épreuve du temps, le « Magicien définitif. »

Chez Adeline Baldacchino, l’émotion est donc une condition première d’écriture et de vie. Lié avec intensité à un lyrisme pleinement revendiqué et assumé, le « je » rebelle de la poète ne renonce ni à explorer l’intime ni à le dire :

« Je mets beaucoup de force en mon désespoir comme en mon appétit. Je me veux perpétuellement du côté de l’émerveil, de la splendeur, (la part de l’oubli, l’envers et son double), je les pressens, je les,
d’instinct, je les invente, et cela ne suffit jamais, comme si
cela ne suffisait jamais », écrit la poète dans « Quatrième treizaine », « 3 – Vent ».

Ou encore, dans « La Part de l’oubli » (2006), cet autre aveu :

« Et je cherche l’écume et je fais des phrases qui prolongent un peu du désarroi de l’intime et qui ne parlent pas du monde. »

Insatiable poète, dévorante poète, qui jamais ne se satisfait de demi-mesures ni de compromissions. Reniant les « machineries » et les « mécaniques » sociales, la rebelle choisit la révolte, le combat contre les faux-semblants. C’est que, chez Adeline Baldacchino, le combat qui la porte autant qu’elle le porte est « indéfectiblement social et politique, affectif et sensuel, autant que mystique que littéraire. »

Le recueil que j’ai entre les mains est un kaléidoscope coloré mouvant/émouvant de ce qu’est la poète. Mises bout à bout, les tesselles poétiques recomposent la figure absente par-delà le miroir que la poète tend d’elle-même. Mais cet assemblage n’est pas né en un jour ni ex abrupto. La poète elle-même n’évoque-t-elle pas le temps que cet assemblage lui a demandé, elle qui se dit impatiente à agir, à aller de l’avant, à courir après le mouvement de flux et de reflux du temps ? L’érudition de la poète est vaste. Son champ d’exploration l’est tout autant. Philosophes de tous âges et de tous horizons, poètes persans du XIe siècle, grandes voix poétiques du monde et poètes français contemporains jouent un rôle fondamental, tant dans le cheminement personnel de la poète que dans son travail d’écriture. Ainsi de Max-Pol Fouchet, le maître en poésie. Le maître de toujours. Mais à considérer les citations qui ouvrent et accompagnent chaque section du recueil, le lecteur entrevoit un panorama aussi vaste que les mers et océans traversés par la poète. Ces citations sont autant de morceaux pertinents qui s’ajoutent à la mosaïque Adeline-Baldacchino. Elles sont toutes aussi connues que très belles, mais n’en sont pas moins lumineuses. Chacune d’elles éclaire d’un faisceau clair les aspirations et la personnalité de la poète. En voici quelques exemples qui sont autant d’amers où reposer le regard :

« Et la mer et l’amour ont l’amer pour partage […]
Celui qui craint les eaux qu’il demeure au rivage. »
Pierre de Marbeuf

« Je cherche deux notes qui s’aiment. » Mozart

« C’est un passage qui fait semblant de passer et qui ne va nulle part. » Jankélévitch, Quelque part dans l’inachevé

« Il faut être seul pour être grand. Mais il faut déjà être grand pour être seul. » René Guy Cadou

Si les nombreuses pérégrinations qui la traversent nourrissent substantiellement la poésie d’Adeline Baldacchino – « Vers le cinquième soleil » (2014), « Atlantides » (2015-2017), « Poèmes de Martinique » (2017), « Poèmes de Prague » (2018), le goût de l’exploration poétique alimente tout autant l’écriture de la poète. Le champ exploratoire est vaste qui va de la prose narrative – « Vers le cinquième soleil » – au haïku – « Petite épopée » (2015-2016) – en passant par le septain (« Treize tableaux diogéniques », 2014), « Atlantides », jusqu’à la forme très élaborée des trois onzains de « La chair et l’ombre » (2017)… C’est que l’exigence de la poète répond à son désir profond de rejoindre le propos de Borges, cité dans « Portraits du pays d’amour » :

« Les poètes ne semblent plus avoir conscience que dans le passé la narration d’une histoire était l’une de leurs tâches essentielles et que l’on ne considérait pas comme deux réalités distinctes la narration de l’histoire et la création du poème. […] Je crois qu’un jour le poète sera de nouveau le créateur, le faiseur au sens antique. J’entends qu’il sera celui qui dit une histoire et qui la chante. Et nous ne verrons pas là deux activités différentes, pas plus que nous ne les distinguons chez Virgile ou Homère. »

Et Adeline Baldacchino de conclure : « Écoutez : je raconte ».

Quant à moi, je poursuis ma lecture éveillée et patiente d’une section à l’autre du recueil. En prolongeant mes escales « Vers le cinquième soleil ». Section dense et complexe où va ma préférence. Où l’écriture, parfois, est portée par une voix exaltée :

…« je deviens cette forme écrivante qui se libère de son propre néant, pendant ce très court laps d’infinitude
logé dans le mouvement même du doigt contre un clavier sans destin. » (« 12. Silex »).


Angèle PAOLI (in terresdefemmes.blogs.com, n°182, janvier 2020).

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« Le sujet de la Nature est le grand sujet, c’est normal, nous en faisons partie. Adeline Baldacchino l’aborde en précisant que l’homme est mortel ne serait-ce que face à l’éternité des vagues. Elle précise qu’on ne connaît rien de ces choses-là mais que l’on peut se sentir aspiré par elles.

La raison raisonnante reste imperturbable face à toute cette machinerie : de sensations fugitives, d’effleurements tremblés, d’entrebâillements feints. La mer est l’objet de sa fascination, elle écrit : je me livre à la vie comme le naufragé finit par se livrer à la mer. Je rapproche cela de l’observation qu’elle fait sur la parole de l’être humain : Sa parole tente de retrouver l’origine du vide, quand elle savait encore inventer des personnages pour peupler ses pages et leurs lupanars. Pourtant, trop assagie, tous masques délacés, flottant sur une rivière invisible qui la manipule sans égards, elle ne regarde que la mer qui la prendra dans ses bras quand elle n’aura plus de rides.

Ce vide est-ce l’absence tant évoquée par certains de nos contemporains qui nient l’existence du monde perçu en dehors de notre perception et dont nous ne connaissons que ses reflets. (Le mythe de la caverne). D’où la tentation de succomber à ce mouvement fusionnel avec l’univers. Quelqu’un a déjà écrit là-dessus, Nietzsche, qui appelle cela le dionysiaque à l’opposé de l’apollinien. L’auteure le cite à la page suivante. Elle écrit qu’elle marchait sur le même chemin que lui à Eze, près de Nice : … la mer, revers du miroir et des secrets…

Le livre ne fait que commencer. Différents extraits de son œuvre, dont 13 tableaux diogéniques, qui reflètent ce qui précède, mais qui vont plus loin encore, en rendant aux animaux, aux insectes, cette faculté de jouir de la vie ; ainsi cette souris : qui frémit de délices – ne plus désirer – juste obtenir – d’exister encore. Après une citation de Bachelard sur la flamme, elle écrit ceci, qui pourrait être la plus belle des conclusions : Elle n’a plus peur de l’obscur – attrape une lanterne, allume la mèche – elle cherche la Femme comme on cherchait l’Homme – il n’y a pas d’essence des choses – il fait feu dans son âme – elle se consume elle-même – elle serait flamme, elle s’élève dans la nuit, vacillante.

Dans sa postface, Christophe Dauphin écrit que ce livre est celui de la poésie vécue. J’y souscris totalement ! A lire absolument. "

Alain WEXLER (in revue Verso n°180, mars 2020).