Quand les mots brûlent par amour, suivi de Domaine du cri

Collection Les HSE


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Quand les mots brûlent par amour, suivi de Domaine du cri

Illustration de Sidonie Blondel
Marie MURSKI

Poésie

ISBN : 9782912093875
112 pages -
15 €


  • Présentation
  • Presse
  • Du même auteur

Poète et romancière, Marie Murski (née en 1949), est l’auteur de onze livres, dont, Cris dans un jardin (2014), livre puissant qui décrit le processus irréversible de la violence, de la terreur, du décervelage, dont elle a été la victime. Plus récemment, nous lui devons les romans éminemment poétiques, Mila de nulle part (2021) et Lune rousse (2024). Ses poèmes 1977-2019, ont été rassemblés sous le titre de Ailleurs jusqu’à l’aube (2019). Après cet important livre, les poèmes de, Quand les mots brulent par amour, viennent confirmer que Marie Murski, poète de l’amour et du cri, est l’une des grandes voix de la poésie contemporaine : Ce que j'ai ressenti alors - je le ressens toujours - comme si ma main avait frôlé l'univers.

 

Quand tu t’envoles

tu n’es pas un obstacle pour les anges

entrouvre

laisse passer tous les fantômes

 

Quand tu t’échoues

aux portes de la Terre

entrouvre

laisse passer les millénaires

 

reçois tous ceux qui dansent dans le vide

un œil ouvert

sur l’arbre aux désirs

qui les invite en mon jardin

 

Ils te raconteront.

 


Lectures :

Marie Murski a traversé l’enfer. Elle écrit dans une encre de lave qui dessine des arabesques de toute beauté bien que souvent terrifiantes. Dans le Faust de Goethe, nous avons appris de la bouche même de Méphistophélès que l’enfer c’est ici. Plus tard, un autre grand poète, Jacques Higelin, a chanté lui aussi « Ici, c’est l’enfer ». C’est par le Poème que Marie Murski a échappé à l’enfer.

 

Poème chevalier blanc

 

tu rames empierré dans mes rivières à sec

 

tu surréalises tu vers-librismes tu alexandrines

 

tu couvres d’illuminés

 

mes cahiers couinant de pelotes d’épingles

 

triste tricot gisant les mailles en l’air

 

tu veilles aux lueurs démentes

 

mon corps crocus écarquillé pauvre de moi

 

Poème

 

à mon chevet de coquette lépreuse

 

en cavale de bataille et de fièvre

 

tu parles doux tu romantises

 

ta main fraîche étoilée sur mon front

 

me console depuis toujours

 

Poème

 

prince de sang

 

tu as grandi mine de rien

 

comme un pur diamant

 

Tu te tiens magnifique

 

contre mes volets fatigués

 

malgré tout tu es resté.

 

Avec Marie Murski, nous connaissons la nature de l’enfer et nous apprenons à reconnaître les démons. Si l’enfer est ici, les démons sont parmi nous, les démons, ce sont nous, bien souvent.

 

VIOL

 

Mère utérine a hurlé

 

écartelée nue dans la cabane avec les hommes

 

sur elle

 

Trois

 

Ils étaient trois

 

Chaque parcelle de sa peau gémit l’histoire terrifiante

 

Sa matrice hurle de douleur et d’épouvante

 

Malgré elle son ventre se resserre sur la semence

 

des trois hommes

 

Semences et sangs mêlés

 

Milliards de têtards à tête chercheuse

 

qui grouillent en elle

 

Qui grouillent

 

Elle les sent pulluler véloces et torpilleurs

 

vifs comme des ruisseaux

 

ils envahissent tous les recoins de sa chair

 

tous les couloirs muqueux

 

durant une nuit un jour une nuit

 

Les hommes sont partis à l’aube du deuxième jour

 

Ils sont rentrés chez eux pour dormir

 

près de leur femme ou chez leur mère

 

La cabane est calme elle flotte entre terre et ciel

 

Mère-utérine allongée nue sur le grabat

 

désarticulée

 

regarde ses cuisses tâchées de sang

 

Son bas ventre poisseux dégage une odeur de mort

 

Elle voudrait l’essuyer se laver elle tend la main

 

Et soudain elle sait

 

son ventre le sait son cœur le sait

 

le grand tremblement de mon histoire a commencé

 

dans le désastre des couloirs muqueux

 

une rencontre a eu lieu

 

C’est le début de mon histoire

 

Beaucoup le savent ou le pressentent, la poésie sauve, réconcilie, avec soi-même avant le monde, libère. Sans la poésie, l’humanité aurait déjà disparu. Marie Murski a trouvé l’intervalle par lequel se faufiler hors de l’enfer.

 

Passer l’amour par un trou d’enfer

 

tirer le fil jusqu’à l’usure

 

apposer son cœur ouvert

 

sur les guerres

 

les ailes en croix de la colombe

 

sur les bombes

 

s’y fracasser puis enlever les mots

 

Courir et brandir à son doigt

 

le dernier pompon du manège

 

Tuer Père inconnu fuir Mère-le danger

 

entrer en saison froide

 

maigrir jusqu’à plus soif

 

puis enlever des mots

 

Mettre du rouge sur sa bouche

 

prendre l’air et séduire tous les marins du port

 

les aimer en grappes

 

dans a vieille robe de mariée

 

un à un les épouser

 

puis enlever des mots

 

Après

 

le poème nu

 

frissonne au bord du monde

 

c’est alors qu’il faut l’écrire

 

le serrer dans ses bras

 

le bercer jusqu’à l’aube

 

en prenant soin de son regard.

 

Marie Murski est sortie de l’enfer pour créer un jardin de lumière sans rien oublier de ce qui fait l’enfer. Si elle crie aujourd’hui, c’est avant tout pour que nous entendions.

 

Rémi BOYER (in incoherism.wordpress.com, 14 juillet 2025).