Vera FEYDER

Vera FEYDER



« Je porte le déclin d’un cri interminable au-delà de moi-même ». Force bouleversante de ce verbe forgé à l’enclume d’une Absence : la mort de son père en déportation a mué en abîme l’enfance du poète. Ce n’est pas céder à un déterminisme facile, désignant abusivement le destin personnel comme seul auteur du poème, que de relayer ici l’aveu même de Vera Feyder (née en 1939, à Liège) : cet aveu, elle l’a exprimé à maintes reprises et, tout particulièrement, par cette « Préface », dont elle a tenu à faire précéder les poèmes de son anthologie, Le fond de l’être est froid (Rougerie, 1995). La mort, compagnie intrinsèque, n’a donc jamais quitté la trame de cette poésie ; non pas la mort dont se découvre la perspective après qu’on a beaucoup vécu dans l’insouciante immédiateté ; mais la mort comme un don de naissance, celle dont il est dit qu’« on ne meurt que de son enfance ». Tel est le lourd viatique dont fut ici pourvu le plus jeune âge. Comment s’étonner, alors, que l’on n’aspire qu’à « ferrer le sombre », et que le deuil même en vienne – image d’une éternité : sans commence-ment ni fin – à « ne pouvoir pleurer le mourant que [l’on] porte » ? Pour autant, la poésie de Vera Feyder, jamais alanguie dans la morosité en demi-teinte d’un abandon à la douleur, mais, tout au contraire, animée d’une forte tension verbale, dynamisée par le torrent des mots, vivifiée par une insistante agogique du vers, cette poésie porte un désespoir actif. De là, ce style que l’on pourrait dire ravageur, tour à tour contrepointé d’humour contraint, puis d’élévation, puis encore de traces d’archaïsme et, à des moments, haussant soudain l’écriture à la dimension épique, ce qui est si rare en notre poésie. On entend là une voix impressionnante, à laquelle on chercherait vainement des ressemblances ou des équivalents. Si, dans ces notes, nous évoquons Vera Feyder comme poète, il est impossible de ne pas rappeler l’extrême diversité de talents dont elle a fait preuve. Comédienne, Véra Feyder est également dramaturge, romancière et nouvelliste. À lire (poésie) : Le Temps démuni, Les Nouveaux Cahiers de Jeunesse, Bordeaux, 1961 ; Ferrer le sombre, Rougerie, Mortemart, France, 1967 ; Pays l’absence, Millas-Martin, Paris, 1970 ; Le sang, la trace, Éd. Lafranca, Locarno, 1973 ; Passionnaire, Numaga, Auvernier, Suisse, 1974 ; Franche ténèbre, Éd. Ubacs, 1984 ; Petit incinérateur de poche, Laleure Éditeur, 1987 ; Pour Élise, Unimuse, Tournai, Belgique,1988 ; Eaux douces, eaux fortes, Hôtel Continental, Bruxelles, 1988 ; Le fond de l’être est froid. 1966-1992, anthologie, Rougerie, Mortemart, France, 1995 ; Dernière carte du Tendre, La Part commune, Rennes, 2007 ; Correspondance (1966-1977) avec Georges Perros, La Part commune, Rennes, 2007 ; Contre toute absence : Poèmes (1960-2003), Le Taillis Pré, Châtelineau, Belgique, 2007.

Paul FARELLIER

(Revue Les Hommes sans Épaules).



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : DIVERS ÉTATS DU LOINTAIN n° 34