René ICHÉ

Dans sa sculpture, qu’il s’agisse de la période des Débuts (1922-1929), de la Maturité (1930-1938) ou de la Reconnaissance (1939-1954), René Iché (1897-1954) recherche l’expression par opposition à la sérénité du néoclassicisme. Il recherche la vie intérieure, qu’il puise au fond de lui, ou qu’il extirpe de ses modèles. « Les Lutteurs » émergent de la pierre, de la masse, et déploient une énergie malaxée par les pulsions humaines. Ils luttent pour la vie et pour un monde meilleur. « Père et fils » est une œuvre poignante, dans laquelle l’artiste se représente en serrant de toutes ses forces et de tout son amour, le fils qu’il n’a pas encore, mais qu’il trouvera en Robert Rius. La figure humaine est le premier sujet. L’œuvre de René Iché est un journal de bord sculpté ; un journal aux pages de marbre, de pierre, de plâtre et de bronze. Iché sculpte avant tout le déchirement de l’être dans l’être, de l’être dans la vie, de l’être dans la douleur et jusqu’au cri, certes, mais aussi et surtout dans l’amour et la passion. Ses nus baignent dans la sensualité et la tendresse : « Etude n°2 », « Etude n°3 », « Etude n°4 », mais aussi « La Jeune Tarentine », sont autant de sculptures qui nous renvoient à la poésie ; à celle de son ami Eluard en particulier : Elle est debout sur mes paupières – Et ses cheveux sont dans les miens, - Elle a la forme de mes mains, - Elle a la couleur de mes yeux, - Elle s’engloutit dans mon ombre – Comme une pierre sur le ciel. Plus tard, Iché ira jusqu’au charnel, avec « Le couple ». Car c’est bien de la poésie dont relève les œuvres du maître. Ce sont bien des poèmes que sculptent Iché à sa façon. Il sculpte le mouvement (qui n’est jamais gratuit), dans des œuvres, tour à tour, d’une composition rigoureuse, fragmentaire, lisse, épurée ; il sculpte l’homme à nu. La traduction du sentiment rapproche alors la sculpture de la peinture et du poème. Ses portraits (comme chez Giacometti, les portraits occupent une place centrale chez Iché) en rendent compte : « Portrait de Laurence », « Mlle Paulette Jourdain », « Mme Ebiche », « Louise Hervieu ». L’art d’Iché évolue vers une statuaire moderne par ses conceptions et classique par son exécution ; mais l’art d’Iché ne copie personne et ne doit rien à personne. Son art lui est propre. Il traduit par l’adéquation lyrique de la forme, l’émotion dont il est chargé. L’artiste reste réfractaire à la sculpture d’assemblage et de construction (comme il semble ignorer le bois, comme matière, sauf à ses débuts, de 1922 à 1934, avec « Portrait de Mme I », une oeuvre en noyer polychrome et « La Contrefleur », qui est une sculpture en bois de chêne ; il lui préfère la taille directe si longue et pénible soit-elle. Ses œuvres témoignent d’une rupture, certes, mais dans la tradition, et ce, à l’instar d’un Rodin ; mis à part qu’à la virtuosité du modeleur, Iché opposera (comme Bancusi) la rusticité du tailleur de pierre ; mais il maintiendra le dynamisme des corps en mouvement, tout en sculptant des figures statiques, absolument magnifiques (les portraits, en particuliers). Iché épure ses œuvres mais n’ira jamais aussi loin (parce qu’il n’en éprouve pas le besoin) que Brancusi, qui élimine les détails, efface les irrégularités et, d’une tête, glisse vers un volume ovoïde. La simplification devient ainsi le mode d’apparition d’une forme proche du symbole. Iché ne veut pas rompre totalement avec le passé ; il veut prolonger la tradition, mais en tenant compte des révolutions qu’accomplissent le cubisme et autres mouvements d’émancipation. Il aspire à une sculpture qui soit en phase avec son temps, avec son époque. Et en phase, il le fut totalement. A lire : Christophe Dauphin, René Iché, l'ultime décade, Les Hommes sans Epaules, 2006. Laurence Imbernon, Marjorie Tena, René Iché sculpteur, Musée Denys-Puech, 1997.
Christophe DAUPHIN
(Revue Les Hommes sans Epaules).
Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules
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Dossier : JORGE CAMACHO chercheur d'or n° 23 |
Publié(e) dans le catalogue des Hommes sans épaules
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René Iché, l'ultime décade |