Paol KEINEG

Paol KEINEG



Paol Keineg naît le 6 février 1944 à Quimerc’h (Finistère), à mi-chemin entre Brest et Quimper. En 1968, il obtient une licence de Lettres Modernes, à l’Université de Bretagne Occidentale. Surveillant d’externat durant ses études, il intègre le corps des maîtres auxiliaires. Il occupe divers postes, à Morlaix et à Brest. Dans l’intervalle, en 1964, il participe à la création, à Rennes, de l’Union Démocratique Bretonne (Unvaniezh Demokratel Breizh), dont il est le plus jeune des 17 membres fondateurs. Son militantisme provoque son renvoi de l’enseignement.

En 1967, paraît Le poème du pays qui a faim (Éditions Traces), qui signe l’entrée en poésie de Paol Keineg, saluée par Louis Aragon, Georges Perros et Eugène Guillevic. Nombreux sont ceux, qui voient dans cette œuvre emblématique, la marque ou la trace d’un combat pour l’identité bretonne ou en faveur du renouveau culturel de la Bretagne. Mais Paol Keineg le dit lui-même : « Il n’y a pas d’identité bretonne, pas plus qu’il n’y a d’identité française, mais un réseau mouvant de constructions mentales contradictoires. » Le poème du pays qui a faim est un chant, un cri.

En 1969, Paol Keineg publie Hommes liges des talus en transe (P.-J. Oswald, 1969), un poème dont l’inspiration est proche de celle du Poème du pays qui a faim. À la suite de son exclusion de l’enseignement en 1972, Paol Keineg est accueilli à Paris par Jean-Marie Serreau, qui met en scène, au théâtre de la Tempête, sa première pièce, Le Printemps des bonnets rouges, qui est jouée, la même année, dans le cadre d’une tournée nationale. De sujet de cette pièce, Jean Montagnard explique : « Une fresque historique, une chanson de geste qui raconte comment les paysans bretons de 1675 quittèrent le fardeau de la misère et les charges des impôts pour prendre le bonnet rouge de la liberté. Colbert avait inventé de nouvelles taxes pour payer la guerre de Hollande menée par Louis XIV ; les Bretons répondirent en brûlant les châteaux, en tuant les seigneurs et en élaborant leur propre loi : le code paysan. Évidemment, rien de tout cela n’est dit dans les manuels d’histoire scolaire ! »

Paol Keineg se retrouve au chômage et exerce plusieurs métiers : chaudronnier à la réparation navale, soudeur, jardinier, peintre, homme de ménage. En 1974, il quitte la France pour la Californie. Il apprend l’anglais. Inscrit à l’Université Brown (Providence, Rhode Island), il obtient en 1981 son doctorat en lettres. Professeur invité à Harvard, il enseigne ensuite à Duke University, Durham, en Caroline du Nord. Il restera plus de trente ans aux États-Unis, avant de revenir vivre en Bretagne : « Tenté par l’assimilation, et la refusant toujours, je n’ai jamais cessé d’être un outsider dans la société américaine – et je le suis devenu dans la société bretonne. Tout en explorant les concepts de nation, nationalité, nationalisme (un mot qui n’a pas le même sens que nationalism), minorité, universalisme, pour les besoins de certains de mes cours et pour moi-même, j’ai appris à me défier de toutes les identités, et je regrette qu’on parle si souvent d’identité bretonne, sans jamais définir ce qu’elle serait vraiment. Sans doute parce qu’il est impossible d’en donner une définition cohérente. Et pourtant la Bretagne existe. On peut en dire autant de toutes les identités, à commencer par la française, qui est censée être une identité politique, mais dont on voit bien que, dès sa naissance en 1789, elle n’a jamais cessé d’être ethnique aussi. Sinon, pourquoi aurait-on prononcé contre les langues autres que le français une condamnation à mort ? Être français a été défini à partir de l’homme bourgeois parisien, blanc, hétérosexuel, francophone, et même si les temps changent, et ils changent, c’est une histoire qui pèse lourdement sur nous tous. Rappelons qu’on reconnaît une démocratie à la façon dont elle respecte les minorités. Comme on peut l’entendre, ces questions m’agitent encore, et m’agacent, mais de moins en moins, par instants seulement. Après tout, même si les raisons que j’ai eues de quitter la Bretagne en 1974 ne sont pas toutes claires, il y en a une qui m’est apparue assez tôt : je ne voulais pas devenir un poète national, un poète officiel, rôle que j’avais commencé à jouer dans un malaise grandissant, et finalement je n’ai vu de solution que dans la fuite. Cela ne s’est pas fait sans un énorme sentiment de culpabilité, qui s’ajoutait à d’autres, mais jamais je n’ai regretté d’être parti. Dans un carnet daté du 12 juillet 1976, au cours de notre avant-dernière rencontre à Douarnenez, Georges Perros, à qui on avait déjà coupé les cordes vocales, m’écrit ceci : « Moi, c’est le contraire. Ma Bretagne est ton Amérique. Mais je n’ai pas de Bretagne. » Et sur la même page, il ajoute : « J’ai vécu à Paris comme toi en Bretagne ». De quoi parlions-nous exactement ? On ne le saura jamais, puisque mon côté de la conversation s’est envolé. Trente-six ans après, à la suite de Perros, j’ai envie d’ajouter : Mais moi non plus je n’ai pas d’Amérique, et je n’ai pas de Bretagne. »

Dans l’intervalle, Paol Keineg publie de nombreux livres de poèmes au sein desquels le sentiment de révolte initial est toujours bien présent, mais son objet se précise, se diversifie, s’affine et la langue qui le soutient s’épure. Un retour sur soi est à l’œuvre. L’humour, la dérision, l’ironie, le comique même, font leur apparition, en même temps que la polysémie. Le champ de la querelle se déplace ; il migre sur le terrain de la langue, et singulièrement de « l’autre français », en l’occurrence le breton. « L’autre français, j’ai grandi avec. C’était une langue et ça n’était pas une langue. Ma surprise, le jour de la rentrée, quand je constate qu’autour de moi beaucoup ne parlent que l’autre français. Peut-être que je commence à comprendre la façon dont on devient objet de dérision, et quand la honte vous colle à la peau, c’est pour la vie… Toute langue est toujours étrangère », affirme Paol Keineg Il évoque ainsi, prenant à témoin Guy Etienne, la « relation d’étranger », que chacun d’entre nous entretient avec sa propre langue, relation « garante de la liberté du locuteur ». Quand bien même cette langue serait une « langue de vache... ou de mouton », et que « tous rient de sa couleur bleue », ou encore qu’« elle encombre mon palais, et que je voudrais bien pouvoir l’enfermer dans l’armoire de ma bouche ».

La parole de Keineg se glisse dans une forme singulière, inimitable, dont la beauté et la force, mais aussi la rigueur constante et la simplicité frappent. Ainsi, Paol Keineg explore, expérimente, et parachève. Et il excelle dans de nombreuses formes poétiques : odes, aphorismes, haïkus… En 1981, François Rannou (in revue Europe), écrit : « Dans ses poèmes comme dans ses pièces de théâtre, l’humour grinçant et l’ironie décapent toutes les croyances, y compris celle du langage lui-même, battent en brèche les idéologies, les mettant à nu jusqu’à l’os sec et friable qui les tient. Radical, Keineg. Allant jusqu’au bout. » Il souligne également le fait que Paol Keineg, vivant alors en Amérique, porte « à chaque retour en Bretagne... un regard encore plus aigu sur la réalité. »

César BIRENE (Revue Les Hommes sans Epaules).

(Notice d’après Joël Bécam).

 

Œuvres de Paol Keineg:

Poésie : Le Poème du pays qui a faim (Traces, 1967. Rééd. éd. Bretagne 1982), Hommes liges des talus en transes (P.J. Oswald, 1969), Chroniques et croquis des villages verrouillés (P.J. Oswald, 1971), Histoires vraies/Mojennoù gwir (P.J. Oswald, 1974), Lieux communs, suivi de Dahut (Gallimard, 1974), prix Fénéon 1974, 35 haiku (éd. Bretagne, 1978), Boudica, Taliesin et autres poèmes (Maurice Nadeau, 1980), Préfaces au Gododdin (éd. Bretagnes, 1981), Oiseaux de Bretagne, oiseaux d’Amérique (Obsidiane, 1984), Silva rerum (Maurice Nadeau/ Guernica, Montréal, 1989), Tohu (Wigwam éditions, 1995), À Cournille (éditions Dana, 1999), Dieu et madame Lagadec (éditions du Scorff, 2001), Triste Tristan, suivi de Diglossie, j'y serre mes glosses (Apogée, 2003), Le Mur de Berlin ou La Cueillette des mûres en Basse-Bretagne (Wigwam, 2004), Là et pas là (Le Temps qu’il fait/Lettres sur cour, 2005), Les trucs sont démolis, anthologie 1967-2005 (Le Temps qu’il fait/Obsidiane, 2008), Journal d’un voyage à pied de la rive sud de la rade de Brest rn hiver (Wigwam, 2009), Abalamour, dessins de François Dilasser (Les Hauts-Fonds, 2012), Mauvaises langues (Obsidiane, 2014), Prix Max-Jacob 2015, Des proses, textes brefs (Obsidiane, 2018), Johnny Onion descend de son vélo, dessins de Sébastien Danguy des Déserts (Les Hauts-Fonds, 2019), Korriganiques, avec des peintures de Nicolas Fedorenko (Folle avoine, 2019).

Théâtre : Le printemps des Bonnets Rouges (P.J. Oswald, 1972), création au Théâtre de la Tempête, mise en scène de Jean-Marie Serreau, décembre 1972-janvier 1973. (Manque d’aventures en Patagonie. Création, France Culture, mise en ondes de Jean Taroni, 1983. La Reine de la nuit. Création, Théâtre du Miroir, Châteaulin, Finistère, 1992. Kaka, ou l’Entrevue céleste. Création, Théâtre de Folle Pensée, Saint-Brieuc, 1994. Anna Zéro (Apogée, 2004). Création, Théâtre de Folle Pensée, Quimper, 2004. Terre lointaine (Apogée, 2004).