Joseph PONTHUS

Joseph PONTHUS



Baptiste Cornet alias Joseph Ponthus (né le 4 septembre 1978, à Reims), après des études supérieures (hypokhâgne, khâgne), travaille à la mairie de Nanterre comme éducateur spécialisé, dans le quartier du Chemin de l’île, auprès de jeunes en difficulté. Avec quatre d’entre eux, il cosigne le livre document, Nous ... la Cité, On est partis de rien et on a fait un livre (La Découverte, 2002). Ce livre est celui du quotidien d’un quartier populaire comme tant d’autres ; le quotidien d’une France qui peut exploser à tout moment, qui ne veut pas être un exemple ni un modèle, qui témoigne de la vie, mais aussi de la mort. Un quotidien où l’on enrage plus souvent qu’à son tour, mais où l’on trouve encore la force d’en rire. Un quotidien où des professionnels se démènent pour sauver ce qui peut l’être encore. Où l’on se demande même, par moments, si l’on n’aurait pas plus intérêt à ce que tout pète. Un quotidien que les médias ignorent, que les jeunes taisent parce que trop criant d’être aussi banal que brutal. Un quotidien où la solidarité est à l’œuvre, où les choses se vivent et s’éprouvent plus qu’elles ne se disent – sauf quand on se décide à prendre son stylo et à écrire, entre rires et larmes, la cité. Car c’est sans doute des mots que viendront les solutions. La découverte de l’écriture face à soi-même.

En 2015, son mariage avec Krystel le conduit en Bretagne, à Lorient. Ne trouvant pas de travail dans sa spécialité, il s’inscrit dans une agence d’intérim, qui lui propose différents postes dans une conserverie de poissons puis, dans un abattoir : Je n’y allais pas pour faire un reportage/Encore moins préparer la révolution/Non/L’usine c’est pour les sous/Un boulot alimentaire/Comme on dit/Parce que mon épouse en a marre de me voir traîner dans le canapé en attente d’une embauche dans mon secteur/Alors c’est/L’agroalimentaire/L’agro/Comme ils disent/Une usine bretonne de production et de transformation et de cuisson et de tout ça de poissons et de crevettes/Je n’y vais pas pour écrire/Mais pour les sous. Ponthus se met à écrire pour tenir : Au fil des heures et des jours le besoin d’écrire s’incruste tenace comme une arête dans la gorge/Non le glauque de l’usine/Mais sa paradoxale beauté. Pendant deux ans, Joseph Ponthus écrit ses impressions et ressentis ainsi que ceux de ses collègues :  les gestes du travail à la ligne, le bruit, la fatigue, les rêves confisqués dans la répétition de rituels épuisants, la souffrance du corps…. Ce qui le sauve, c’est qu’il a eu une autre vie : la poésie et l’amour.

En janvier 2019, paraît À la ligne, Feuillets d’usine (La Table ronde), un livre-révélation, qui lui vaut d’être immédiatement licencié par son employeur. Le livre, sans ponctuation, se lit comme un long poème qui témoigne du quotidien à l’usine, de la pénibilité du travail. Il décrit ce prolétariat dont les conditions de travail ne sont pas sans rappeler celles du XIXème siècle. Ponthus dit : « Je voulais faire de l’usine un objet littéraire. On entend peu parler des ouvriers. Hormis pour dire qu’ils sont illettrés ou quand ils galèrent, qu’ils n’ont qu’à traverser la rue pour trouver du travail et s’acheter un costume… C’est l’usine qui a donné le rythme : sur une ligne de production, tout s’enchaîne très vite. Il n’y a pas le temps de mettre de jolies subordonnées. Les gestes sont machinaux et les pensées vont à la ligne … » Il témoigne en 2020 dans le documentaire Les Damnés, des ouvriers en abattoir, d’Anne-Sophie Reinhardt.

Puis, hélas, Joseph Ponthus tombe gravement malade. Il dit : « Toute ma gratitude va aux formidables équipes soignantes : des auxiliaires de service aux médecins en passant par les internes, infirmiers, personnels administratifs, aides-soignants et toutes les petites mains de l’ombre. Le plus dur et la chimio vont bientôt commencer. Puissent tumeurs et métastases crever le plus tôt possible et moi bien plus tard. » Le crabe l’emporte le 24 février 2021, à l’âge de 42 ans. Perte immense… 

Le dernier texte de Joseph Ponthus a paru chez Calligrammes (in livre collectif Ne vivent haut que ceux qui rêvent - Avec Xavier Grall, 2021) : « À quoi pensé-je, Joseph Ponthus, en commençant à écrire ces mots, en janvier 2021, à l’invitation des éditions Calligrammes pour célébrer le quarantième anniversaire de la mort de Xavier Grall ? Je me sais tout autant cancérisé, métastasé, tumorisé aux intestins, au foie, aux poumons, aux os. J’ai 42 ans et ce sera peut-être mon dernier grand texte. J’avance à tâtons sur ces mots comme je marche, avec des béquilles, croyant que ce texte retardera peut-être l’échéance, comme une prière, complainte, litanie ou supplique à je ne sais quel Dieu. »

Christophe DAUPHIN

(Revue Les Hommes sans Epaules).



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules



 
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