Jean RIVET

Jean RIVET



Jean Rivet a débuté comme apprenti dans l’imprimerie, avant de devenir employé de banque puis directeur d’agence. Flanqué d’un prix d’excellence décroché à l’école communale, comme l’écrit Xavier Alexandre, Jean Rivet aurait pu suivre la voie royale des études qui vous assurent la situation sociale. C’était dans un autre temps. Là, nécessité obligeait. A 14 ans, il fallait gagner sa vie. De groom à directeur d’agence, Jean Rivet a franchi les échelons d’une carrière bancaire, choisie malgré lui. Par-delà les conventions, son combat intime, intense est celui qu’il mena avec les mots. Jean Rivet n’a pas écrit en vain : « J’apprends les mots, c’est-à-dire la vie »

Né à Dreux (Eure-et-Loir), en 1933, Jean Rivet a vécu la plus grande partie de sa vie en Normandie, à Frénouville, non loin de Caen, où il a présidé l’association Rencontres pour lire.

« La poésie de Jean Rivet est comme un retour de caméra sur les choses sensibles qui vous poignardent même si on les souligne à peine », a écrit Jean Breton, éditeur et ami. La voix de Rivet est discrète, enfoncée par toutes ses racines dans l’enfance. Les mots simples du marchand de journaux, de marrons… un vaste et banal symbole central : la place sous la neige, œuf onirique où l’on revient toujours, avec le recours à la mère, le cœur toujours dans la chaleur de l’hiver qui dorlote : « Le cœur de la laitue devient transparent, un soleil d’octobre est sur la cheminée mais pas sur les tuiles du toit.

Jean Rivet adopte le ton du récitatif (courts poèmes en prose ou versets sans fioritures) qui dessine le décor des jours, des odeurs quotidiennes, la banlieue en fleurs, les gestes du souvenir, ceux de ce matin même, ouvre une croisée, ne regarde rien, caresse un chien et s’interroge : « Quelle différence faire entre un désespoir métaphysique et un bonheur qui devient fragile comme un reste de bougie à une heure avancée de la nuit ? »

La tristesse du poète, qui a écrit : « Je cours après l’enfance et après la mort », tombe en ruine, s’évapore vite. Il aime le gris par-dessus tout. Sa souffrance reste élégante, presque rêveuse, et si réelle en même temps. Des êtres sans complication se lèvent de la mémoire et tendent leurs mains vers le feu. Cette harmonie troublante serait-elle postiche ? « J’en ai marre de trouver la vie si belle et de savoir que ce n’est pas vrai », écrit Jean Rivet. Mais quel est le sens profond de cette « pureté » à peine ternie par le début de l’obscur ? Son nom effraye, le poète ne veut le prononcer que de biais, au hasard du poème « Et s’il me plait de commencer ce récit par le mot FIN ».

La poésie de Jean Rivet, ajoute Alain Breton, est une méditation sur nos possibles en même temps qu’un passage à tabac de soi-même : pourquoi ne suis-je pas meilleur ? Autodidacte parfois culpabilisé, humble devant l’écriture qu’il peine à manier, l’auteur de Livre d’un long silence et de Images d’un père, reproche aux mots qu’il emploie leur insoutenable légèreté, même dans ses moments fréquents de réussite, ce qui donne à son œuvre un aspect fascinant. Il trouve rudimentaire les mots à sa portée quand il les rêvait « signes sublimes ». Il se trompe, par chance, pour la plus grande joie du lecteur. : il aimait les histoires écourtées, chantonnait et posait un arbre sur son regard. L’arbre chantait aussi.

La poésie de Jean Rivet est une histoire d’amour, du quotidien ventilé par une conscience, du fantastique, de l’humour noir : celle d’un poète de la Poésie pour vivre et de l’homme ordinaire, rattaché à ses sources. Aucune littérature, aucun effet, non mais la seule magie du verbe, ajoute Jean Orizet, une prédisposition particulière à nous faire vibrer d’un rien, une feuille, de l’eau qui bout ou la première neige. Les choses et les sentiments, écrit Rivet, ont parfois duré. La feuille a fini l’arbre, l’arbre est mort, le ciel est entré dans la coupure qui s’est illuminé.

Jean Rivet est décédé le 7 juillet 2010.

Christophe DAUPHIN

(Revue Les Hommes sans Épaules).

 

Œuvres de Jean Rivet :

Poésie : Le soleil meurt dans un brin d’herbe (Motus, 2007), Sablier (Gros Textes, 2007), Avant la nuit (Isoète, 2006), Choses d’hier je vous attends, anthologie 1961-2003 (Le Bretteur, 2004), Chemins d’automne (Le nouvel Athanor, 2001), Mots pour Margaux (éd. Librairie-Galerie Racine, 2001), La dernière goutte de pluie (éd. Clapas, 1998), Quand Charlotte me prenait la main (éd. En forêt, 1998), Répétitions (Le Milieu du jour, 1991), Ce qui existe un instant existe pour toujours (Le Dé bleu, 1987), Lisières soudaines (Le Pavé, 1984), Images d’un père (La corde raide, 1981), Mais un regard fait l’horizon (Laurence Olivier Four, 1981), La complainte du petit garçon (éd. Saint-Germain-des-Prés, 1980), Les beaux moments (éd. Saint-Germain-des-Prés, 1977), Prix Antonin-Artaud, Neige obscure (éd. Saint-Germain-des-Prés, 1976), Livre d’un long silence (éd. Saint-Germain-des-Prés, 1974), Prix Poésie 1, La récolte noire (Gaston Puel, 1965), Survie de l’hiver (Le Pont de l’Epée, 1963), Parfois l’horizon (éd. Chambelland, 1962), Poèmes d’Habères-Lullin (La Tour de feu, 1961).

Roman : Pages pour une jeune fille en rouge (Yvan Davy, 1992)

Nouvelles : Des nouvelles de Normandie, avec Patrick Marcadet (Salamandre éditions, 2006), Rue du Faubourg-Poissonnière (Le Publicateur libre, 2000).,

Journal : Dépôt de bilan 2 (Isoète, 2009), Dépôt de bilan (Isoète, 1999).

Chroniques : Chroniques douces-amères (éditions Le Manuscrit, 2010).



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Gabriel COUSIN, Jean RIVET n° 9