Edouard J. MAUNICK

Edouard J. MAUNICK



ÉDOUARD J. MAUNICK,

LE POÈTE ENSOLEILLÉ VIF

 par

Christophe DAUPHIN

 

 

Édouard J. Maunick est né le 23 septembre 1931 à Flacq (Île Maurice) dans une famille métisse (l’hymne à la joie d’être métis) : « L’enfance est la plus belle et la seule vraie saison de notre vie… L’enfance, c’est d’abord le lieu où je suis né. Je ne suis pas né dans la capitale de l’île Maurice. Je suis né dans le plus grand district de Flacq. Mon premier souvenir de Flacq, c’est un jacquier. Il produit un fruit qui est le jaque qui contient tous les goûts du monde. Quand je mâche longuement une gousse de jaque, je mâche le monde : le doux, l’aigre. » Il publie dès 1948 ses premiers poèmes et articles dans la presse mauricienne ; accomplit ses études universitaires en 1949-50, puis enseigne dans des écoles primaires et secondaires, à Maurice, de 1951 à 1958, avant de devenir Bibliothécaire en chef de la Ville de Port-Louis, jusqu’en octobre 1960 : « Je n’ai pas d’autre quartier que Port-Louis, la capitale de mon pays. C’est là où j’ai subi et vécu les plus grands instants de ma vie. C’est là où j’ai connu la religion, le religieux, le doute et l’incroyance. C’est là où j’ai regardé vraiment une femme. C’est là où j’ai passé les plus beaux instants de mon existence avec des gens d’une grande simplicité : le maître d’école, le marchand de lait, le marchand de piment, le boutiquier chinois qui a joué dans ma vie un rôle fabuleux. C’est là où on est vivant. C’est là que l’on reçoit tout ce qu’on peut recevoir. C’est là qu’on donne tout ce qu’on peut donner. C’est là aussi qu’on se refuse à beaucoup de choses. Mon quartier, c’est mon île réduite à sa plus simple expression. Toute ma poésie répond à une question : d’où viens-tu ? Je dois remercier celui ou ceux qui, en pensant à mon œuvre, me posent la question pour savoir où j’ai appris à vivre. »

L’année suivante, Maunick débarque en France, « sans un sous ». Ce grand défenseur de la Francophonie, nous dit : « J’ai été toujours fasciné par Paris et la France. J’en entendais souvent parler à la radio et dans les poèmes de la collection Poètes d’Aujourd’hui. Je lisais ces poèmes jusqu’à l’usure des yeux. J’avais la nostalgie de Paris et à trente ans j’ai tout abandonné pour y aller. » Maunick poursuit : « L’Exil est une histoire pleine de surprises. Les unes bonnes, les autres moins. Certaines carrément tragiques. À des degrés divers, je les ai toutes connues. Mes deux premières années à Paris de mes rêves les plus têtus hélas en ruines, je n’ai vécu (!) que cauchemars et galère. Froid, faim et pénurie. Un Paris hostile, rien ou si peu à voir avec mon Paris de francophone inconditionnel. Une mauvaise leçon certes, dont je suis le premier responsable. J’avais de plein gré choisi de partir. Personne ne m’y forçait. Rien ne m’y contraignait. Mais perdurait en moi la fascination du voyage et de l’ailleurs. Le dévorant besoin de sauter les brisants, pour aller voir, vérifier si tout ce que j’avais appris et lu dans les livres n’était pas que fable. Que l’horizon n’était pas l’unique limite de mon regard. Que la mer serait un chemin dont le bon Monsieur Arékien, féru de géographie, capable d’égrener de mémoire sans le moindre accroc, les 10 provinces du Canada avec Manitoba et Saskatchewan, des noms compliqués de volcans tels Chimborazu ou Popocatépetl et bien davantage, nous avait tant de fois dessiné le cours. Un long chemin semé de rades, de ports, de pays et de peuples autres que le mien. Encore enfant et bientôt aux jours de l’adolescence, mille questions me hantaient. Me fouissaient l’esprit et les tripes jusqu’à réduire mon sommeil. La nuit, peur de manquer ne fut-ce que le commencement d’une réponse à ma voracité de savoir, je pratiquais, sans en avoir du métier, une sorte de demi-sommeil. Je veillais. C’est de ce longtemps que date la vraisemblance de mes rêves. »

À Paris, de 1961 à 1977, Maunick est pigiste, auteur et producteur d’émissions radiophoniques culturelles à la Sorafom (Société de Radiodiffusion d’Outre-mer), puis à l’Ocora (Office de Coopération Radiophonique) et enfin à RFI (Radio-France Internationale), tout en collaborant à France-Culture. « À la radio plus qu’à la télévision, je partage tout, l’information comme le culturel. L’événement comme l’émotion. Sans maquillage ni clins d’œil : « la voix humaine », vive Cocteau, ah « la voix humaine ! » De 1971 à 1977, Maunick va, en outre, créer et produire les émissions radiophoniques Le Magazine de l’Océan Indien et La Bibliothèque du Tiers-Monde, diffusées en Afrique francophone et en Océan Indien. Il co-anime également Le Forum des Arts, émission bimensuelle télévisée, produite par André Parinaud, sur Antenne 2, de 1976 à 1977. En 1962, alors directeur de Radio Caraïbes Internationale à Sainte-Lucie, Maunick a fait les rencontres déterminantes de Léopold Sédar Senghor, Aimé Césaire et Alioune Diop, et publié dans la foulée ses poèmes dans la revue Présence Africaine. « On a dit qu’Édouard Maunick était un poète de la négritude… il n’a jamais pris la négritude comme école, comme règle. Pour lui, c’est un fait humain, car tant qu’il y aura « un nègre sur la terre, il faudra parler de négritude ».

Il ne se considère donc pas comme un poète engagé, mais estime qu’on doit cesser de penser le poète comme un rêveur, alors qu’il vit dans la cité et ne peut pas rester, au pourtour de son petit monde », rapporte l’éditrice mauricienne Françoise Guinchard. Alain Bosquet écrit pour sa part (in Le Monde, 7 septembre 1979) : « Les deux premiers poètes de la négritude, historiquement parlant, ont clamé leur droit à la parole : le discours féerique et proche des surréalistes d’Aimé Césaire, et la défense de l’identité chez Léopold Sédar Senghor. Le plus marquant des poètes de la négritude, au sein de la seconde génération, Édouard J. Maunick, a des préoccupations plus complexes et plus troublantes. Sans doute s’agit-il encore d’affirmer ses droits d’homme libre ; au-delà de cette évidence, apparaît un exorcisme proche de l’illumination de Rimbaud ou de l’impossible pureté héritée de Mallarmé. Il s’agit de capter le mystère, et de ne pas le réduire aux proportions d’un rébus. Dans En mémoire du mémorable, comme dans ses recueils précédents, la magie verbale n’a pas pour fonction d’éclairer une vérité, mais de prolonger l’alliance entre plusieurs valeurs à première vue contradictoires. Le moi, quelque particulier qu’il soit, se transmet à autrui par l’incantation. L’amour de l’autre devient affaire des palmiers ou des rivages. L’île même est verbe. La condition humaine est condition surréelle. Les noces du vérifiable et de l’invérifiable se perpétuent avec une grâce qui est avant tout une longue fièvre. »

Avec Pierre Emmanuel, Maunick organise en 1964 le Colloque des Écrivains négro-africains, américains et européens, dans le cadre du Festival de Berlin. En 1975, il organise et anime La Rencontre des Poètes de Langue française, co-présidée par Léopold Sédar Senghor et Pierre Emmanuel, à la Fondation d’Hautvillers. Maunick écrit : regardez-moi quelle blessure de jadis - lisez-vous sur mon visage sinon la lumière - je suis au monde pour ne jamais - plus peser du poids d’avoir mal d’être de sang mêlé - métis veut dire lumière métèque veut dire bonjour : - dans la lumière donc je vous salue. De 1980 à 1981, Maunick est expert consultant auprès de l’Agecop (devenue l’Agence de Coopération Culturelle et Technique), à Paris. En 1982, il entre à l’UNESCO, dont il devient de 1983 à 1991, le directeur adjoint des Publications, Chef de la Diffusion des Cultures, puis Directeur des échanges culturels et directeur de la Collection UNESCO d’Œuvres Représentatives. Là, Maunick œuvre pleinement à la compréhension de l’autre, à sa culture : « Il faut toujours penser à l’universel ».

Et lorsqu’on veut comprendre l’autre, comme le rappelle J.-L. Joubert (in Les voleurs de langue : traversée de la francophonie littéraire, éd. Philippe Rey, 2006), on tente, comme le suggère l’étymologie, de le « prendre avec » soi, on étend les bras pour le ramener à soi, on cherche à le réduire à la transparence du même. La pensée de la relation, théorisée par Édouard Glissant, privilégie la rencontre de l’altérité, du différent, du divers, elle invite à consentir à l'opacité, c'est-à-dire à la reconnaissance que l’autre et le monde existent dans leur impénétrabilité. Glissant ajoute : Le consentement général aux opacités particulières est le plus simple équivalent de la non-barbarie ». Maunick, arrière-petit-fils de coolie venant des Indes, en poste à Paris, à l’Unesco, se fait le défenseur du Tiers-Monde, des plus pauvres et des démunis.

Sa poésie en garde la trace. Notamment les poèmes fraternels et militants de Fusillez-moi ou de Ensoleillé vif, l’un de ses livres de poèmes (le meilleur ?) édité par Jean Breton, illustré par Antonio Guansé et préfacé (une étude en fait) par Léopold Sedar Senghor : « Ce nouveau recueil, Ensoleillé vif, comme ceux qui l’ont précédé est un poème-vision, un réseau de symboles, où chaque « parole », chaque image analogique est multivalente, douée qu’elle est de plusieurs significations, qui s’entrecroisent d’une « parole » à l’autre. La parole chez Maunick s’oppose en effet à l’écriture et elle sait être tour à tour « retour aux sources du langage, « force incantatoire, mythique (des) prétemps du monde », « mots mélodie » et « mots rythme ». Peu de poètes nègres nous présentent une vision aussi neuve et aussi profonde du monde que Maunick, exprimée dans une symbolique aussi riche » précise Senghor avant d’ajouter que Maunick « comme ses aînés, les fondateurs du mouvement de la Négritude, plus qu’eux peut-être bouscule la langue française. Plus exactement il y charrie ses herbes et arbres, sables et graviers, surtout ses limons, mais c’est en la respectant. Car ici était la difficulté qu’il a surmontée. » Citons encore, En mémoire du mémorable, qui célèbre la négritude. Puis, ensuite, Soweto, Le Cap de désespérance et Mandela mort ou vif, vibrants poèmes contre l’apartheid. Maunick précise : « Je ne suis pas un révolutionnaire, mais un révolté. La nuance est de taille parce que la révolution est passagère, contrairement à la révolte qui est permanente. Elle perdure. »

En 1994, Maunick est nommé Ambassadeur de Maurice en Afrique du Sud, où il se lie d’amitié avec Nelson Mandela. À l’invitation de la Commission Sud-Africaine des Droits de l’Homme, Maunick rejoint en 1999 le projet Artists for Human Rights, auquel ont souscrit de nombreuses personnalités dont le Dalaï-lama, Desmond Tutu et Amnesty International entre autres. Parallèlement, dans la presse écrite, Édouard J. Maunick, en 1977-78, est rédacteur en chef de la revue Demain l’Afrique. En 1992, il crée et dirige, à La Réunion, la revue Vents et Marées. De 1993 à 1994, il est rédacteur en chef de l’hebdomadaire Jeune Afrique. En 1998, il reprend une collaboration régulière avec Jeune Afrique/L’Intelligent et avec le quotidien L’Express de Maurice.

En 2002, il publie dans L’Express Dimanche de Maurice, les chroniques : Majuscules & bas de casse et Temps partagé & autres instants. En 2004, il débute une nouvelle série de chroniques dans L’Express de Maurice, sous le titre de Mémoriales. Après une douzaine d’années à Pretoria, en Afrique du Sud, Édouard J. Maunick retourne en 2007 à Port-Louis, car la mer nous défend - au lieu-dit de nous-mêmes – n’étaient la prochaine rade - et l'anse ouverte comme ventre – l’exil nous manquerait - le huitième sacrement. Depuis 2017, un Prix de poésie Édouard-Maunick est décerné à Maurice. Édouard J. Maunick est mort, samedi 10 avril à Paris, à l’âge de 89 ans.

Poésie passionnée, flamboyante et sans concession, Maunick, écrit Jean Orizet, « est l’antithèse de la tiédeur. Siège de tant de mélanges, de tant de contrastes intellectuels et affectifs, de tant de mixités linguistiques, originaire d’une île où l’on parle à la fois l’anglais, le français et la langue locale, le poète à l’état pur qu'est Édouard Maunick doit inventer sa propre géographie onirique et mentale, sa propre parole « pour solder la mer », son propre battement verbal — sa propre scansion — et il s'y entend comme personne. « Ma terre est dans ma bouche », dit-il avec raison. Son île est sa matrice, sa femme son territoire inaliénable. « Femme-Terre-Palabre » : la poésie de Maunick procède de cette trinité qui désigne « l'île visage » : tout se mêle et se répond.

Pour Maunick, l’île est le seul espace où il ne peut ni se taire ni mourir. En la personne d’Édouard Maunick, je salue, en même temps que le poète, le compagnon des jours difficiles, le confrère de l’Académie Mallarmé et le membre du Haut-Conseil de la Francophonie. Rien de mieux qu’un métèque pour veiller au salut de notre langue ! Je salue enfin l’homme qui, après avoir été proche de Léopold Sedar Senghor, a su gagner l’amitié de Nelson Mandela, haute figure de cette Afrique du Sud débarrassée de l’apartheid, où Édouard Maunick fut ambassadeur de son pays pendant plusieurs années. Maunick est un important et singulier poète qu’irrigue un sang mêlé comme une langue de feu. »

Édouard Maunick est le poète de la flamboyance et de la révolte, le chantre du métissage, le poète d’une île, l’Île Maurice, matrice de tous ses rêves et de tout son lyrisme. Maunick s’exprime dans une écriture souvent composée de versets amples et sonores, faits pour l’oralité. Maunick conclut en nous disant : « Sans aucune prétention, sans aucun a priori, j’ai fait une œuvre. Une œuvre d’une quarantaine d’ouvrages. Mon œuvre est particulièrement poétique parce que la poésie est la réponse à la question que je ne me suis jamais posée. La poésie pour moi est une interrogation. Une interrogation qui n’est pas faite seulement de questions, mais qui s’accompagne de paroles. La parole est plus forte que l’écrit. Je n’ai pas écrit de poèmes : j’ai parlé des poèmes. J’ai dit des poèmes. L’instant le plus précieux pour moi est de dire mes poèmes. Je ne peux pas tricher en poésie, ce sont les seuls mots qui me montrent du doigt. Je connais beaucoup qui trichent même en poésie. La poésie est la parole toute nue. Quand j’ai envie d’exprimer quelque chose de très fort en moi et que je ne trouve pas le mot, je l’invente. J’ai inventé beaucoup de mots qui sont devenus les mots de ma poésie. »

Édouard J. Maunick est décédé il y a un an, à Paris, le 10 avril 2021, à l’âge de 89 ans.

Christophe DAUPHIN

(Revue Les Hommes sans Epaules).

 

Œuvres d’Édouard J. Maunick :

Poésie : Ces Oiseaux du sang (The Regent Press and Stationery, 1954), Les Manèges de la mer (Présence Africaine, 1964), Mascaret ou le Livre de la mer et de la mort (Présence Africaine, 1966), Fusillez-moi (Présence Africaine, 1970), Ensoleillé vif, 50 paroles et une parabase,  Préface de Léopold Sédar Senghor, illustration d’Antonio Guansé (Éditions Saint-Germain-des-Prés / Nouvelles Éditions Africaines, 1976), Africaines du temps jadis (Afrique biblio-club, 1976), En Mémoire du mémorable, suivi de Jusqu’en terre Yoruba (L’Harmattan, 1979), Désert-archipel, suivi de Cantate païenne pour Jésus-fleuve (Publisud, 1983), Saut dans l’arc-en-ciel, Préface d’Étiemble (Le Calligraphe, 1985),   Soweto, Le cap de désespérance (Intertextes, 1985), Mandela mort et vif (Silex, 1987), Paroles pour solder la mer (Gallimard, 1988), Anthologie personnelle (Actes Sud, 1989), Toi laminaire : italiques pour Aimé Césaire (Éd. Du CRI, 1990), De sable et de cendre (éd. PHI, 1996), Poèmes 1964-1970 (Présence Africaine, 2001), Elle & île, poèmes d’une même passion, Préface de Jean Orizet (le cherche midi, 2002), Brûler à vivre / Brûler à survivre (Le Carbet / Maison de l’Outre-Mer, 2004), 50 quatrains pour narguer la mort (éd. Seghers, 2006), Manière de dire non à la mort, anthologie 1954-2004

Anthologies : Poèmes pour une femme noire (Office de Coopération Radiophonique, 1963), Tous les lieux du français (Fondation d’Hautvillers, 1975), Poèmes et récits d’Afrique noire, du Maghreb, de l’Océan Indien et des Antilles (le cherche midi, 1997), Éclats du feu / Splinters from the Fire, ouvrage bilingue (français-anglais) sur l’art et la littérature orale des Boschimans (Books Publishing, Pretoria, 1999), Mémoire Senghor, 50 écrits en hommage aux 100 ans du poète-président (Éditions Unesco, 2006).

À consulter : Edouard J. Maunick, Hommage (L’Harmattan, 1992), Jean-Louis Joubert, Edouard J. Maunick, poète métis insulaire (Présence africaine, 2009).

 



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules




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