Edmond HUMEAU

Edmond HUMEAU



Edmond Humeau, né le 18 août 1907 à Saint-Florent-le-Vieil (Maine-et-Loire). Fils d’un vétérinaire, il fait ses études primaires à l’école communale, avec pour condisciple Julien Gracq, avant d’aller d’abord au petit séminaire de Beaupréau, puis, pour des études supérieures en théologie, au grand séminaire d’Angers. Il est ensuite admis au sanatorium pour religieux de Voirons.

Passionné de poésie dès son adolescence, il devient professeur de français à Saint-Maurice, en Suisse. Puis il revient en France à la fin de 1932. En 1933, il épouse Germaine Duvernoy, en Tunisie. Sa vie parisienne l’implique dans de nombreuses activités, notamment, étant socialiste chrétien, aux côtés d’Emmanuel Mounier, au sein du comité de la revue Esprit, de 1933 à 1950, puis surtout, ensuite, avec Pierre Boujut et son incomparable revue, La Tour de Feu (127 numéros de 1946 à 1981, auxquels s’ajoute un ultime numéro, en 1991).

De 1936 à 1940, Edmond Humeau travaille au bureau universitaire statistique jusqu’à sa suppression sous l’Occupation allemande. Jusqu’en 1946, il travaille au Ministère du Travail. Il vient en aide à ceux que traquent les nazis et le régime de Vichy. Dès 1942, Edmond Humeau a rejoint la Résistance, au sein du réseau Marco Polo. Il obtient pour son action, la Médaille de la Résistance et la Croix de guerre. Edmond Humeau est ensuite attaché de presse au Conseil économique de 1947 à 1972. Entretemps, en 1953, il a découvert le village provençal de Le Castellet d’Oraison, où il acquiert, en juillet, une maison qui devient son havre de paix. Et que ses amis de La Tour de Feu surnomment : l’Humeaudière. Il y vite et y travaille le plus souvent possible, jusqu’à la fin de sa vie. Edmond Humeau meurt à Vanves le 20 juillet 1998, à l’âge de 91 ans. Il repose au cimetière du Castellet d’Oraison.  

Sur le poète Edmond Humeau, rien de mieux que de lire Guy Chambelland, qui fut son ami et son éditeur à l’enseigne mythique du Pont de L’Epée :

« Loin de moi l’idée d’expliquer Edmond Humeau. J’ai trop fréquenté l’université, et j’aime trop la poésie, pour ne pas savoir qu’un poète, animal vivant, ne se met pas en planches d’anatomie. Je laisse à d’autres le soin des thèses. Je ne me vois guère de rôle que d’instituteur, avec ce que ce mot comporte d’enfance et de spontanéité de la part de celui qui écoute, que suscitera toujours la poésie véritable. Aux diables les cuistres. Humons Humeau : « J’étoufferai les raisonneurs – Sous les roseaux qui leur claironnent – Qu’il faut du vin aux manilleurs – Et la trempette à qui moissonne. »

Rien n’est en effet si compliqué chez Humeau qui puisse justifier la critique que j’ai dénoncée, ni, et c’est ce qui importe, la difficulté de lecture rencontrée au premier abord par le lecteur de poésie. La création originale déphase toujours quand elle paraît et il fallut quelques décennies à Mallarmé, Valéry ou Benjamin Péret pour être lus à livre ouvert. Il me paraît qu’il suffit, pour appréhender Edmond Humeau ? de pratiquer une lecture ralentie, comme la sève dont il est le chantre. Instituteur, ai-je dit. Alors ne quittons pas l’exemple.

Si je donne à lire : « Aux paroles qui coulent des nuages – Je demande à débranler le système », rien pour qui rôde un peu en poésie d’irrecevable. Mais un poète comme Humeau, grand mangeur devant l’Eternel, ne se satisfait pas du monde comme d’un plat sans sauce. Le poète n’est tout de même pas qu’un photographe. A l’objet qu’il dit comme les autres, il donne, dès qu’il l’éprouve et l’énonce, une ou plusieurs dimensions issues de cette imagination sans laquelle le monde ne serait qu’un objet de musée. Les nuages (« les merveilleux nuages, là-bas », de Baudelaire) ne vont donc pas satisfaire de leur seul nom, un poète aussi glouton de tellurique et de cosmique. Nous aurons donc : « Aux paroles qui coulent des nuages – en promenade aux baraques du ciel », lesquelles baraques vont entraîner : « Qu’on visite à la faveur des élans – Maniés par de grands diables d’archanges – Forains établis dessus la planète », planète qui donne à son tour : « Qui gravite en sa course leurs manèges », et à ce stade d’envolées analogiques, quoi de plus naturel que l’anacoluthe (rupture de construction grammaticale, mais non syncope de la strophe respiratoire – le prosateur eût usé de tirets) : « Ces paroles sont farine du cirque – Monté par hautes juments vaporeuses », qui n’empêche de retomber pieds joints sur la clausule : « Je demande à débranler le système ».

Le poète n’a pas fait autre chose que de développer, comme à partir du thème la fugue musicale, un propos verbal accepté par nous, mais où nous restions « bloqués » par notre manque d’imagination. Tout l’art d’Humeau, toute l’astuce dirai-je, à saisir, est le rapport du complément (ou de l’adjectivation) au complété. Comme ce rapport, masqué parfois par les coupes prosodiques, qui relèvent certes plus d’une écriture jazz que du Clavecin bien tempéré, s’institue entre les éléments le plus proches – un peu comme une fusée lance une seconde fusée qui en lance une troisième, etc. -, on conviendra que nous sommes loin de la rhétorique mallarméenne, et qu’il n’y a pas lieu de parler d’ellipse à propos d’un tel langage, lequel n’a contre lui que notre paresse à sortir du langage pratique qui ne se propose qu’une fin, et non la délectation des moyens où nous convie le poète…

Je fus moi-même assez longtemps dérouté de l’enchaînement par prépositions (le « a) de Humeau est chargé de rapports extensifs), ou par conjonctions de subordination (style périodique) qui caractérise, en touffeur rebutante au puriste, en gymnastique impraticable au sclérosé, l’écriture humellienne. D’aune part en effet, le surréalisme nous avait habituée aux gambades des images pures, qui captaient à elles seuls l’attention, à la barbe de la bonne vieille grammaire. D’autre part, le discours classique se développait sur un plan unique, tranquillement rationnel, à l’écart du chant des sirènes.

Ambiguïté de la poésie (Humeau dirait confusion, mais je n’aime pas ce mot dans ce sens) : la moindre originalité de notre poète n’est pas l’emploi d’une dialectique où l’esprit classique, pour la phrase (dont la rudesse n’est pas sans me faire penser, mais oui, au Descartes du « Discours de la Méthode » -, qu’on relise !), et celui du surréalisme, pour les images, requièrent une même lecture simultanée…

Pour ma part, ce cap franchi, j’ai découvert un de ces poètes qui tiennent à cœur. Ce qui se fait bougrement rare. En un temps où les mots plaqués sur les pages dans de grands blancs ne donnent pas le change au néant du papier, où la barre de fraction (dite de dichotomie, pas moins) fait florès dans les rez-de-chaussée du VIIème, il me plaît qu’un poète me propose une respiration, et de quel souffle ! Certaine critique fait peut-être, comme dit Prévert, 300 mètres de Tour Eiffel, amis assurément pas 50 centimètres de tour de poitrine. Qui vit doit respirer, et il n’est de poète que vivant. Dans une littérature de zombies prétentieux, la strophe d’Humeau est la bolée d’air sain sans laquelle le plongeur ne remonte pas de son exploration de l’imaginaire.  Elle a ses temps, précis, d’inspiration, (ce joli mot tant décrié), d’expiration. Suivez-la donc, vous vivre mieux. Je pense au sport, au pur sens du stade, où, au contraire des tricheries du foirail littéraire, les toquards sont sifflés, où seuls gagnent les partants « qui en ont »…

Il y a aussi chez Humeau une mine de maximes à faire pâlir René Char. Il est tantôt gouailleur ou paillard, ce qui donne un curieux langage qui ferait à d’aucuns parler de baroquisme, de théologie aussi – ce que j’aime moins…

Les vrais mots, le verbe, ne sont pas épuisables, et la poésie n’est pas un roman policier qui vous fait dire à la dernière page : ce n’était donc que ça… Quand tant de ses contemporains poètes s émettent à « filer », il est de ces grands vins auxquels il faut du cellier. Il vieillit bien, foi de Bourguignon. »

César BIRENE

(Revue Les Hommes sans Epaules).

 

Œuvres : Maintenant (Rouge et Cie, 1932), Axonométrique Romand (La nouvelle équipe, 1932),     L'amour en tête (Cahiers du journal des poètes, 1934), Marine glaciale (Sagesse, 1936), Horloge au cœur (Vulturne, 1942), Chant du loin de l'herbe (Cahiers de Rochefort, 1942), La vie se fait jour (Confluences, 1945), Déployons le drapeau du monde (La Tour de Feu, 1951), L'épreuve au soleil (Seghers, 1951),     D'ombre câline au buisson (Millas-Martin, 1955), Le neuf du cœur (Millas-Martin, 1956), L'âge des processions (Nouveaux cahiers de jeunesse, 1958), Le médium en feu (La tour de feu, 1958), Que l'ombre soit (Henneuse, 1960), Le siècle des migrants (Chambelland, 1965), Le cœur net (Gaston Puel, 1966), La main fulcrée s'est ouverte (Chambelland, 1968), Une fenêtre donnée (Fagne, 1970), Le tambourinaire des sources (Chambelland, 1970), L'univers se fragmente (Plein chant, 1971),    L'approche ardente (Rougerie, 1972), Plus loin l'aurore, tome I, 1929-1936 (Éditions des Voirons, 1977),     L'âge noir, tome II, 1937-1956 (Éditions des Voirons, 1979), Le temps dévoré, tome III, 1957-1982 (Éditions des Voirons, 1982), Le dur octante (Vents et Marées, 1985), Avec privauté (Rougerie, 1985), L'ensemble se tient à quinze lustres dans ma vie, 1907-1984 (Les Cahiers de Garlaban, 1990).



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : LA POESIE ET LES ASSISES DU FEU : Pierre Boujut et La Tour de Feu n° 51