Dilma ROUSSEFF

Dilma ROUSSEFF



Il est difficile, consacrant un dossier aussi important et inédit à la poésie brésilienne au sein de la revue Les Hommes sans Épaules n°49 (mars 2020), de ne pas évoquer la situation dramatique et catastrophique dans laquelle se trouve plongé ce pays. La venue, en France, de Dilma Rousseff, notamment invitée d’honneur de la Fête de l’Humanité en septembre 2019, a permis d’y remédier.

Dilma Rousseff (née en 1947, à Belo Horizonte) a été Présidente de la République fédérative du Brésil[1] - ce pays gigantesque de 208 millions d’habitants et géant économique d’Amérique latine, la 8e économie mondiale -, de 2011 à 2016. Elle est dans son pays, la première femme à avoir exercée cette fonction. Cette économiste de formation, fut auparavant, au sein du gouvernement de Luiz Inácio Lula da Silva[2], président de la république du 1er janvier 2003 au 1er janvier 2011), à compter de 2003, ministre des Mines et de l’Énergie, puis, en 2005, ministre de la Maison civile (le plus haut poste du gouvernement).

Ajoutons que pendant la période de la dictature militaire au Brésil (1964-1985), Dilma Rousseff, membre du Comando de Libertação Nacional, fut arrêtée, torturée, puis condamnée en 1970 par un tribunal militaire et emprisonnée trois ans jusqu’en 1973.

Présidente de la République, Dilma Rousseff a été destituée au motif de « maquillage des comptes publics » par le Sénat le 31 août 2016, au terme d’une procédure plus que contestable. Lula, purge, depuis 2018, une peine de 12 ans et 1 mois de prison - au terme d’un procès, véritable caricature de justice, pour « corruption », alors que candidat à l’élection présidentielle de 2018, il était donné favori. Il est emprisonné et déclaré inéligible.

Dans la réalité, les « crimes » reprochés aux gouvernements de Lula et Rousseff, davantage qu’une supposée « corruption », sont les programmes sociaux qu’ils ont lancés et qui ont sortis des millions de Brésiliens de la pauvreté : la population vivant sous le seuil de pauvreté passant de 12 % à 4,8 %. La question des salaires : entre décembre 2002 et décembre 2010, le salaire minimum a augmenté de 54 % en termes réels.  47 millions de personnes en ont directement bénéficié, des travailleurs comme des retraités, puisque la pension minimale est indexée sur le salaire minimum. La déforestation de la forêt amazonienne par le secteur de l’agro-business a été freinée : entre 2003 et 2016, le taux de déforestation a été divisé par trois en passant de plus de 20.000 km2 par an à 6.000 km2. Le Brésil a adopté une politique plus indépendante par rapport aux États-Unis. C’est précisément cette politique progressiste qui dérangeait l’élite brésilienne (et étatsunienne), comme cela est le cas dans de nombreux pays d’Amérique du Sud[3]. Jair Bolsonaro, ancien militaire, nostalgique de la dictature, élu président du Brésil le 28 octobre 2018, fait aujourd’hui exactement l’inverse.

Concernant le procès de Lula, Dilma Rousseff évoque sans ambages un instrument aux mains de l’actuel président : « Ils ont commencé par décrédibiliser Lula. L’empêcher qu’il ait des voix. Comment opèrent-ils cela ? Lula arrive aux élections en 2018 avec 42% d’intentions de vote et une possibilité de gagner au premier tour. Ils empêchent Lula de se présenter. Qui fait cela ? Le juge Sergio Moro. Et dès que Bolsonaro est arrivé au pouvoir, il l’a nommé ministre de la justice ! Maintenant, il est clair que Lula est innocent. Et pour cela, la libération de Lula représentera une affirmation de la démocratie. Et l’espérance pour le pauvre Brésilien. »

En effet, le site d’investigation The Intercept Brasil a publié des échanges de messages qui mettent en doute l’impartialité des procureurs chargés du dossier Lula et du juge Sergio Moro qui l’a condamné en première instance. La Cour suprême brésilienne doit se pencher prochainement sur une demande de libération de Lula basée sur la partialité présumée de Sergio Moro mais aussi sur des questions de procédure. « Au Brésil, poursuit Dilma Rousseff, notre souveraineté est attaquée sur plusieurs fronts : la dénationalisation d’entreprises d’État stratégiques comme Petrobras (le géant pétrolier), le démantèlement de l’enseignement supérieur fédéral, le système de recherche, la destruction de l’environnement et de l’Amazonie, le recul imposé aux droits des travailleurs et des retraités. »

Dilma Rousseff, dit encore : « Les agressions, au Brésil, couvrent un large spectre. Elles touchent les femmes d’une manière extrêmement misogyne, comme l’ont démontré les déclarations du président Jair Bolsonaro contre Brigitte Macron et la responsable des droits de l’homme de l’ONU, Michelle Bachelet. Le président traite de la torture, des assassinats politiques, de la dictature des militaires de façon préoccupante. Il défend clairement la haine et la violence. Il menace la Constitution lorsqu’il déclare qu’il suffit d’un chef et d’un général pour fermer le Parlement brésilien. Il dit que le grand problème du Brésil a été de ne pas avoir tué 100.000 prisonniers politiques. Quant aux droits sociaux, il a une posture très claire. Lui et son gouvernement disent ressentir de la peine pour les entrepreneurs car, à leurs yeux, ce serait eux les exploités de l’État. Ils défendent la réduction des droits des travailleurs, alors que leur précarisation est déjà importante. La protection de l’environnement, de l’Amazonie, des peuples indigènes est une absurdité pour Jair Bolsonaro. Toutes ces agressions témoignent de leur immense mépris pour le débat et les opinions différentes. Le gouvernement croit que la Constitution citoyenne de 1988 est responsable des « absurdités », selon son expression, des réalisations des gouvernements du Parti des travailleurs. L’homophobie est très importante car Bolsonaro et son exécutif n’ont aucune considération pour les différences. Ils n’envisagent pas la société de manière égalitaire. »

Nous laisserons le mot de la fin à Lula lui-même, écrivant de sa prison de Curitiba : « Je n’échangerai pas ma dignité pour ma liberté. Tout ce que les procureurs de Lava Jato[4] devraient faire, c’est de présenter des excuses au peuple brésilien, aux millions de chômeurs et à ma famille, pour tout le mal qu’ils ont fait à la Démocratie, à la Justice et au pays. Je veux qu’ils écrivent que je n’accepte pas de marchander, ni mes droits, ni ma liberté. J’ai déjà démontré que les accusations qu’ils ont faites, contre moi, sont fausses. Ce sont eux, et pas moi, qui sont pris au piège des mensonges qu’ils ont raconté, au Brésil et au monde. Compte tenu des arbitraires commis par les procureurs et Sergio Moro, il appartient maintenant à la Cour Suprême de corriger le méfait, afin qu’il y ait une justice indépendante et impartiale, comme cela est dû à chaque citoyen. J’ai pleinement conscience des décisions que j’ai prises dans ce processus et je ne me reposerai pas, tant que la vérité et la justice ne reviendront pas pour l’emporter », Lula, Curitiba, le 30/09/2019.

Lula a été libéré le 8 novembre 2019. Un mois plus tard, il était acquitté, ainsi que Dilma Rousseff, de l’accusation d’avoir formé une « organisation criminelle pour financer le Parti des travailleurs. »

Christophe DAUPHIN

(Revue Les Hommes sans Epaules).


[1] Présidente élue en 2010 avec 56 % des suffrages.

[2]Tourneur dans une usine automobile, à l’âge de quatorze ans, puis ouvrier métallurgiste et syndicaliste ; Lula (né en 1945), après avoir cofondé en 1980 le Partido dos Trabalhadores, s’est présenté sans succès aux élections présidentielles de 1989, 1994 et 1998, avant d’être élu en 2002 - avec 61,3 % des suffrages - et réelu en 2006 - avec 60,8 % des suffrages -, président de la République.

[3] Depuis notre rencontre avec Dilma, la situation s’est encore très sensiblement détériorée en Amérique du Sud, au Chili ; nous y revenons dans la rubrique « Infos/Échos des HSE » ; en Équateur, le pays traverse sa crise politique la plus aigüe de la période récente. Le président Lenín Moreno apporte néolibéralisme, pauvreté, répression et servilité envers Washington, en proposant d’appliquer un « pack » néolibéral, recommandé par le FMI, achevant ainsi sa trahison à la politique économique et sociale de l’ex-président (2007/2017) Rafael Correa (que Moreno avait promis de poursuivre) ; et bien sûr en Bolivie. Au pouvoir depuis près de quatorze ans, Evo Morales, le premier indigène élu à la tête du pays a mené une politique ambitieuse et efficace de réduction des inégalités, avant d’être trahi ainsi que son peuple, par l’armée et la police. Le président fut « invité » à démissionner le 10/11/2019 par son chef d’état-major, après trois semaines de protestations orchestrées par la droite bolivienne, contre son nouveau mandat. Morales est victime d’un coup d’État fasciste orchestrée par la droite et les États-Unis. La suite : des forces de police tirant sur des manifestants. Une chasse aux sorcières qui conduit à l’arrestation d’anciens dirigeants politiques et en contraint d’autres à la clandestinité. Des médias fermés, des journalistes incarcérés pour « sédition », des parlementaires empêchés d’accéder à l’Assemblée nationale, une sénatrice qui s’autoproclame présidente… Rappelons, que durant les treize ans de mandat du président Morales, le chômage a baissé de moitié et se situe à 4,5 %. Le salaire minimum est passé de 60 dollars en 2006 à 310 dollars aujourd’hui, et la brèche entre salaires masculins et féminins a été fortement réduite. Le domaine dans lequel l’Etat plurinational de Bolivie (son nom officiel selon la Constitution de 2009) a obtenu les résultats les plus probants est le combat contre la pauvreté. Quand Evo Morales remporte sa première élection présidentielle en décembre 2005, 38 % de la population vivait dans une situation d’extrême pauvreté, et 60 % dans la pauvreté relative (ou modérée). Ces taux sont aujourd’hui de 15 % et 36 % respectivement. L’analphabétisme touche actuellement 2,7 % de la population, contre 13 % avant l’élection de Morales. La Bolivie investit 7,7 % de son PIB dans l’éducation, un record en Amérique latine. Le nombre d’écoles et le taux d’enfants scolarisés ont bondi. Mais ça, c’était avant !

[4] Lava Jato (lavage express) : Enquête menée, depuis 2014, par les services policiers du Brésil dans le but de révéler la corruption des agents publics, mais largement instrumentalisée à des fins politiques.



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
DOSSIER : La poésie brésilienne, des modernistes à nos jours n° 49