Constantin CAVAFY

Constantin CAVAFY



Ce poète, né au siècle dernier à Alexandrie et mort dans la même ville, où il fut fonctionnaire au ministère des travaux publics, journaliste, et courtier à la Bourse, est certainement un des plus fascinants, mais aussi un des plus déconcertants de la poésie grecque contemporaine. Je dis contemporaine bien que Cavafy soit mort depuis plus d’un demi-siècle car son ombre n’a cessé d’être présente jusqu’à nos jours en Grèce. Présente mais d’une façon elle-même singulière car Cavafy ne saurait avoir d’imitateur : son œuvre n’a cessé d’être admirée tout en étant inimitable.

Cet homme solitaire, habité par tous les fantômes du passé grec comme par toutes facettes du présent, ce poète à la fois archaïsant et totalement moderne, a laissé une œuvre rare, minutieuse et parcimonieuse, qui ne fut d’ailleurs publiée qu’après sa mort. Imagine-t-on un orfèvre fabriquant des bijoux avec du fer et du plomb en y incluant ici et là un peu d’or et d’argent ? Certains poèmes de Cavafy relèvent de la magie lorsqu’ils muent en poésie ces pauvres ingrédients, ces phrases en principes anodines, ces mots dérobés aux plus humbles discours comme aux chroniques les plus savantes. Matériaux étrangers par nature à toute poésie. Matériaux fondamentalement non poétiques. Et pourtant, le poème est là.

Des poèmes de Cavafy, dont les premiers furent publiés à Alexandrie en 1935, soit deux ans après sa mort, et les derniers – retrouvés dans les archives du poète – en 1968 à Athènes, je proposerai ici, traduits par moi-même, un choix de ceux que je nomme les « poèmes de la diaspora, opérant dans un champ historique et géographique bien défini qui va d’Alexandrie et de la Grèce continentale aux provinces les plus orientales de l’empire d’Alexandre. Cavafy est bien le dernier descendant de cet immense continent culturel, le dernier chantre de la mémoire vacillante de cet hellénisme oriental. Numismate des mots et des figures, il a ressuscité des êtres historiques ou suscité des êtres imaginaires, des silhouettes parfois fragiles ou vulnérables mais toutes inoubliables. Chantre d’Alexandrie et des marges occiden-tales de la Grèce, c’est là le Cavafy que je préfère. Le poète d’une diaspora aujourd’hui démembrée mais qui, au temps de sa splendeur, n’avait qu’un seul mot, celui de thalassa, pour désigner la mer de la Sicile jusqu’à l’Indus. Cavafy a nettement privilégié l’avers oriental de la Grèce, il s’est aventuré jusqu’aux frontières les plus lointaines de l’hellénisme. Pouvait-il de toute façon en être autrement avec un homme, un poète et un Alexandrin dont l’œuvre, au dire de son ami l’écrivain anglais Foster, occupait « une position légèrement oblique par rapport au reste du monde ? » 

Jacques LACARRIÈRE

(Revue Les Hommes sans Epaules).


À lire (en français) : Poèmes anciens ou retrouvés (Seghers, 1978), Jours anciens (Fata Morgana, 1978), À la lumière du jour (Fata Morgana, 1989), L’art ne ment-il pas toujours ? (Fata Morgana, 1991), Œuvres poétiques (Imprimerie nationale, 1992), Poèmes (Gallimard, 1999), En attendant les barbares et autres poèmes (Gallimard, 2003).



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : Jacques LACARRIERE & les poètes grecs contemporains n° 40