Albert GLATIGNY

Albert GLATIGNY



Avril 1873, Victor Hugo note dans son carnet : « La nouvelle arrive qu’Albert Glatigny est mort. Une charmante âme envolée » ; avant d’écrire à Jules Simon (Ministre de l’Instruction publique et des Beaux-arts) : « Albert Glatigny était un talent charmant, de cette race de comédiens-poëtes qui commence à Thespis et arrive à Molière. Plusieurs des pages qu'il a laissées entreront dans l'Anthologie française. Il y avait dans cette âme de poète des côtés exquis et généreux. Le voilà mort. Il laisse une veuve pauvre. Vous consolerez cette tombe en secourant cette veuve. Je vous demande une pension pour Mme Glatigny, et je vous serre la main ». Le buste du poète est érigé en 1891 à Lillebonne, sa ville natale. Catulle-Mendès écrit une pièce en son souvenir, Glatigny. Déjà, en 1868, dans son Rapport sur les progrès de la poésie, Théophile Gautier avait écrit : « Deux ou trois poètes semblent suffire à la France, et la mémoire publique est paresseuse à se charger de noms nouveaux. Pourtant, au-dessous des gloires consacrées, il est des poètes qui ont du talent et même du génie, et dont les vers, s'ils pouvaient sortir de leur ombre, supporteraient la comparaison avec bien des morceaux célèbres perpétuellement cités. » Glatigny en fait évidemment partie. 

Né le 21 mai 1839, à Lillebonne (Seine-Maritime), Albert Glatigny est mort d’une affection de poitrine à Sèvres, le 16 avril 1873. Sa disparition à l’âge de trente-trois ans provoque la stupeur dans le milieu littéraire. Il y a que Glatigny, l’une des figures de proue du Parnasse est considéré comme l’un des plus grands poètes de sa génération, admiré tant par Verlaine que par Rimbaud, qui ont fait des Vignes folles l’un de leur livre de chevet. L’influence de Glatigny sur l’un comme sur l’autre est connue. De nos jours, il en va tout autrement.

Glatigny n’a pas la place qui lui revient. Ce grand et maigre garçon, Anatole France, le décrit, dans Le Figaro, du 2 août 1924, à longues jambes terminées par de longs pieds, aux mains, mal emmanchées, à la face imberbe et osseuse, aux yeux retroussés au-dessus des pommettes rouges et saillantes, qui restent gais dans la fièvre. Louis Labat, ajoute, qu’il était taillé à coups de serpe, en façon d’épouvantail. Il était tout à fait décharné. Sa peau, que la bise et la fièvre avaient travaillée, s’écorchait sur une charpente robuste et grotesque. Son innocente effronterie, ses appétits jamais satisfaits et toujours en éveil, son grand besoin de vivre, d’aimer et de chanter… Ce fut une sarabande perpétuelle.

Glatigny poète, auteur de pièces de théâtre et comédien, traînait en haillons sur les routes et le froid, la faim, la maladie, le ruinaient, mais il vivait dans un rêve enchanté. Il se voyait vêtu de velours et de drap d’or, buvant dans des coupes ciselées par Benvenuto Cellini à des duchesses d’Este et de Ferrare, qui l’aimaient. Il avait coutume de dire qu’il était fils d’un gendarme et même il se plaisait à conter que, s’en étant allé avec des comédiens errants, il avait emporté les bottes de son père. Il lui advint même de traverser les landes à pied avec l’ingénue dont les chaussures trop fines se déchirèrent dans le sable. Ému, Glatigny lui donna les bottes du gendarme. Albert Glatigny avait un cœur d’or. Les jours où il dînait, il partageait son repas.

Christophe DAUPHIN

(Revue Les Hommes sans Epaules).

 

Œuvres (sélection) : Poésies complètes (Lemerre, 1879), Le testament de l'illustre Brizacier (éditions de la revue théâtrale, 1906), Lettres à Théodore de Banville (Mercure de France, 1923), Lettre à Ernest d'Hervilly (éditions À l'Écart, 1985).



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : Poètes normands pour une falaise du cri n° 52