L'infini Désir de l'ombre

Collection Les HSE


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L'infini Désir de l'ombre

Elodia TURKI

Poésie

ISBN : 9782243046380
Livre épuisé
68 pages -

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Cela a commencé par un jeu. Tout ne commence-t-il pas ainsi dans tous les domaines ? Quand j’étais enfant je m’amusais à imaginer des situations étranges : marcher les yeux fermés au cas où je deviendrais aveugle. Ne pas parler une journée entière (très fatigant au début parce que ça continue de parler à l’intérieur de la tête). Ne pas me servir de mes mains. Marcher sur les genoux. Rester éveillée deux nuits de suite. Certaines de ces contraintes volontaires m’ont servi, bien plus tard, et m’amusent aujourd’hui. Un jour que je relisais un poème écrit quelques années plus tôt, je remarquai qu’il ne contenait pas la lettre A. Et, qu’à cela ne tienne, il me vint l’idée de continuer à écrire sans elle. À ma grande surprise, non seulement c’était faisable, mais cette petite contrainte m’a emmenée sur des chemins différents, un peu comme s’il y avait des travaux sur la route et que l’on soit obligé d’emprunter un autre itinéraire. Pendant un temps je me surpris même à parler sans utiliser de A. C’est devenu tellement naturel que moi-même, en relisant mes textes, oubliais que c’était un jeu. Il est vrai que la lettre A a cette particularité (avec la lettre O, je crois) qu’on n’a pas à l’écrire pour prononcer le son. La langue française est si riche en méandres et en chemins de traverse qu’elle est là, comme un écho, même si on ne l’écrit pas. J’ai pu ainsi l’oublier et continuer ma problématique de l’ombre, qui m’est si chère, sans difficulté aucune. L’ombre est projection immatérielle. On peut pourtant la photographier, même si elle nous échappe et part de nous, même si on ne la voit pas et le plus souvent l’oublie. Elle devient par-là objet de désir, aimée et oubliée dans un même geste. Un désir infini, « L’infini désir de l’ombre ». Une centaine de poèmes, comme des gués sur le chemin étrange que je découvre avec eux, avec vous, et qui ne mène nulle part ailleurs que le chemin lui-même qui, comme le dit Antonio Machado : « Il n’y a pas de chemin. Le chemin se fait en cheminant ». Bonne promenade !

Elodia TURKI

  

 

Superbe et muette je suis vécue

– sentence consentie –

Couleur d’indéfini

 

trompeur

mon corps déploie ses divergences

– tournesols enivrés de brûlures –

 

L’été propose une orgie de possibles

cruels comme un présent

 

*

 

Mon corps n’enferme rien

Quelque chose me respire

Tout le reste déborde et me noie

Et cet étonnement

s’entoure d’intermittences rouges

sous des filtres obscurs qui confondent

 

*

 

De moi les mots s’écoulent

successeurs d’eux-mêmes

interdits de séjour — îles inconsolées —

Une rivière neuve tremble un chemin secret

où s’enjouir

 

 

Elodia TURKI

(Poèmes extraits de L’infini Désir de l’ombre, Collection Les Hommes sans Epaules, éditions Librairie-Galerie Racine, 2017).


Lectures :

" L’écriture n’est ni fémi­nine, ni mas­cu­line. Le tra­vail d’écrire, avec la matière du lan­gage, puise à l’universel, par-delà les genres...

On connaît ( ? ) le roman de Georges Pérec, La Disparition. Cet ouvrage est un lipo­gramme, il ne compte pas une seule fois la lettre e. Élodia Turki offre à la curio­si­té du lec­teur un recueil com­po­sé de poèmes lipo­grammes : la lettre a en est absente. Que signi­fie cette non pré­sence vou­lue déli­bé­ré­ment ? Sans doute cette ques­tion est-elle mal­ve­nue puisque Élodia Turki affirme en qua­trième de cou­ver­ture : « Une cen­taine de poèmes lipo­grammes, comme des gués sur le che­min étrange que je découvre avec eux, avec vous, et qui ne mène nulle part ailleurs que le che­min lui-même qui, comme le dit Antonio Machado, n’existe pas : il n’y a pas de che­min. Le che­min se fait en che­mi­nant »

Tout lan­gage écrit est lipo­gram­ma­tique puisqu’il n’utilise qu’un nombre fini de lettres et exclut les autres alpha­bets… Il serait donc vain de cher­cher à élu­ci­der de quoi la lettre est le sym­bole. Et sans doute est-il plus utile de voir ce que ces poèmes disent en dehors du jeu gra­tuit auquel semble s’être livrée Élodia Turki dans sa jeu­nesse. Car elle conti­nue­ra d’écrire de tels poèmes. Voilà pour la genèse du recueil.

 Notons que le poème est court, la plu­part du temps. Élodia Turki donne l’impression de décrire ses rela­tions avec un tu jamais iden­ti­fié. S’agit-il de la des­crip­tion de l’amour, de la pas­sion ? Notons aus­si le goût de l’image : « Et j’invente pour nous une très lente nuit / tis­sée de peurs et d’innocence / qui nous dépose sur les grèves du temps / enso­leillés de lunes » (p 8). Est-ce le stu­pé­fiant image dont par­lait le sur­réa­lisme ? Élodia Turki aus­culte son corps car elle est sen­sible à ses chan­ge­ments. Cela ne va pas sans obs­cu­ri­tés que sou­lignent ces mots : « entou­rés d’ombres longues » (p 11). Elle a le goût des mots rares comme ouro­bo­ros sans qu’elle n’éclaircisse le sens de ce terme mais sa forme la plus cou­rante est celle d’un ser­pent qui se mord la queue, le plus sou­vent. Ce vers « Et voi­ci le poème d’où sur­git le poète ! » n’est-il pas éclai­rant (p 16) ? Élodia Turki sou­ligne qu’elle ne faci­lite pas la lec­ture de ses poèmes : « Je signe enfin de cette encre fur­tive / quelque chose de moi qui se rebiffe // L’irréversible plonge ses griffes d’ombres / fige notre désir pour tou­jours dif­fé­rent » (p 21).

 

Élodia Turki, L’Infini Désir de l’ombre, Librairie-Galerie Racine (Collection Les Homme sans Épaules), 68 pages, 17 euros. (L-G Racine ; 23 Rue Racine. 75006 Paris).

 

 Et puis, il y a cette soif inex­tin­guible d’écrire : « Terrible est le silence » (p 25). Et puis, il y a cette atti­rance de l’ombre… Etc !

 Élodia Turki dit haut et fort sa fémi­ni­té et la pas­sion amou­reuse. Et si ce recueil n’était qu’un éloge de la gra­tui­té du jeu poé­tique ? Mais je ne peux m’empêcher de pen­ser que la lettre a est l’initiale du mot amour : Élodia Turki n’écrit-elle pas « Première lettre et pre­mier leurre » (p 41)"

Lucien WASSELIN (in recoursaupoeme.fr, juin 2018).

*

Le poète, dans son dénuement, se dépouille souvent de la ponctuation, la mise à la ligne faisant office de respiration. Parfois, il sacrifie les majuscules ou, au contraire, les magnifie. Titres et table se dissipent au gré d'enchaînements subtils. Voici qu'Elodia Turki nous propose la complicité d'un texte sans la lettre A (hors son propre nom, les première et quatrième de couverture ainsi que les pages de garde).

Simple jeu ? En fait, la contrainte librement consentie tôt s'évapore. Cette lettre A, pourtant si prégnante dans notre langue, est devenue virtuelle, telle une ombre à la fois présente et immatérielle. Comme un désir intensément palpable mais sans corps et sans trace. Désir immensément présent, envahissant, obsédant tel un amour qui taraude, privé de l'être cher : De toi je suis si près - si loin de nous - / Moi loin d'ici loin de tout en si petite vous, lors que Mes doigts écorchent le crépi des murmures (...) Pour Tituber sur les broderies du temps. Peu à peu, l'on comprend que le maçon a renoncé au ciment : mur de pierres sèches. Que l'ombre de l'être aimé incendie Mes doigts tendre mémoire de son Infini Désir (en majuscules). Que la lettre A, tel un cri primal (dans le sens freudien) s'est faite absence, non comme un jeu ou un exercice de compagnon en mal de cathédrale, mais comme un manque existentiel devenu déchirement : je mendie le cri d'une étoile. Rendons les choses simples : ce recueil, dont la langue est si pudique mais si riche en images, est un long cri d'amour. Il prend de plus en plus de sens à la relecture. C'est peut-être là d'ailleurs, une caractéristique de la poésie : Le vent étourdit les feuilles les lunes les frissons - Tu restes ce mystère - cet inconnu - qui tremble en moi - l'infini désir de l'ombre. Non pas langue véhiculaire mais elle-même objet d'art, objet de mystère où se frottent et s'incendient l'une, l'autre, les pierres sèches, où se confrontent les verbes dans leur structure primitive. Comme des silences tout au fond des entrailles, tout au creux du rêve.

Claude LUEZIOR (in revue Les Hommes sans Epaules n°47, 2019).