Serge BASSO DE MARCH

Serge BASSO DE MARCH



Fils d’immigrés italiens, Serge Basso de March est né le 22 mars 1960, à Verdun (Meuse), d’un père ouvrier dans la sidérurgie (« On le voyait de loin, son vélo dessinait la courbe de la route. Mon père arrivait, blanc de chaux, cachant, sous son silence assumé, tous les bruits de l’usine. Il portait à sa traîne ses huit heures de fatigue... Géant de poudre et d’or, il s’asseyait à la table, allumait sa gauloise »), comme il en témoigne auprès de Justine Demade Pellorce (in lasemaine.fr, 2018) : « On était pauvres, mon père cassait des cailloux dans une carrière, on vivait dans une ferme sans eau chaude, avec les toilettes à l’extérieur et un jardin pour se nourrir. Nous étions le monde ouvrier immigré, on cumulait les deux mais paradoxalement nous étions heureux. Il y avait beaucoup d’amour, de joie et de partage. Une vie de famille très forte, la porte toujours ouverte. »

Une enfance rude dont Serge Basso de March s’échappe par les livres que sa mère lit en nombre : « Ils m’ont un peu sauvé. » La scolarité est difficile : « Ils ne savaient pas trop quoi faire de moi, j’ai opté pour le lycée agricole : engagé politiquement, je rêvais de refaire le Larzac. » On lui propose de travailler dans un abattoir. Très peu pour lui qui s’oriente vers le socioculturel : « La culture est politique, au sens platonicien du terme, de l’Homme dans la cité. Par prolongement, je suis persuadé, dans nos sociétés actuelles, qu’il n’y a pas de développement territorial sans culture… La culture est, il me semble, l’une des caractéristiques fondamentales qui distingue l’Homo sapiens du règne animal. Elle est intrinsèquement porteuse de ce que nous sommes, en tant qu’Homme. On ne peut pas comprendre, par exemple, les temples et les pyramides si on ne s’intéresse pas à la culture égyptienne. La culture est essentielle, toutes les sociétés se sont bâties là-dessus. Ça nous concerne tous, malgré nos différences. D’ailleurs, je suis un fervent défenseur de l’élitisme pour tous ! Je n’ai jamais fait de concession artistique, mais je pense que les gens ne sont pas bêtes, et peuvent y adhérer. »

Serge Basso de March gère un « service jeunes » dans un centre social de Verdun, où il reprend des études en cours du soir pour devenir directeur de centre social, puis directeur de maison des jeunes et de la culture (MJC) à Longuyon et Réhon « parce que je me suis rendu compte que la culture était plus forte que le social pour changer les choses…  Il ne faut pas confondre la politique culturelle et les spectacles. Ces derniers représentent la partie émergée de la politique culturelle, rien de plus. Et celle-ci se fait pour les citoyens et pour la cité, en concordance avec les réalités sociologiques, humaines, économiques et géographiques. »

Serge Basso de March prend ensuite la direction du service culturel de la ville de Longwy (1990-1997), avant de devenir Chargé de l’Action Artistique à Béthune, du centre dramatique national, puis, la direction de la Kulturfabrik d’Esch (Luxembourg), de 2002 à 2020. Depuis, poète, homme de théâtre, animateur culturel, militant de l’éducation populaire, directeur de la revue transkrit, Serge Basso de March est conseiller municipal (culture) de Longwy (Meurthe-et-Moselle), ville fortifiée par Vauban, célèbre pour ses faïences d’art, cité-dortoir pour les travailleurs frontaliers du Luxembourg (80 % de la population active hors fonction publique), mais l’une des villes les plus pauvres de France, en raison du démantèlement de la sidérurgie (qui emploie la très grande majorité de la population active pendant près d’un siècle, avant d’être « jugée non-compétitive ») amorcé par les gouvernements Barre, fin des années 1970, et finalisé par les gouvernements « socialistes » du début des années 1980. L’annonce des plans de fermeture, une catastrophe sociale, donne lieu à de violentes émeutes dans la ville, en 1979 (suppression de 21.000 emplois chez Sacillor et Usinor) et 1984 (le Plan acier programme la suppression de 30.000 emplois dans la sidérurgie française), notamment. Les usines sidérurgiques de Lorraine, qui représentaient 130.000 emplois en 1960, fermées, laissent une région dévastée.

Comment peut-on être clown dans ce contexte ? Serge Basso de March l’est aussi, clown, et le revendique (il a fondé un festival en 2010, Clowns in progress). Pourquoi ? « Parce que j’ai toujours aimé l’humour. Attention, je n’ai pas dit le rire ! Ce sont deux choses différentes : l’humour c’est pas gentil. C’est Charlie Hebdo, que j’aime beaucoup. Des fois ça fait mal, et c’est ce qui est intéressant. Charlie Chaplin, c’est un clown qui fait le plus de mal à Hitler, les vraies images on les connaît mais Le dictateur, mon Dieu, que ça fait du mal au nazisme ! Et puis qui exprime le mieux le malaise amoureux qu’un Buster Keaton, ce pathétique petit pantin blanc qui s’en prend plein la gueule parce qu’il a envie d’apporter des fleurs à une femme ? Et qui parle le mieux de la misère et de l’amitié que Laurel et Hardy ? Moi j’aime ces clowns-là. J’aime leur méchanceté. Les clowns permettent une expression profonde de notre humanité : c’est à la fois notre détresse, notre faiblesse, notre méchanceté mais avec un regard d’une telle tendresse. »

L’écriture, le livre ? Le poète lorrain répond : « C’est mon moyen d’expression. J’ai toujours eu besoin de plaquer des mots sur ce que je ressentais. Ça m’apporte peut-être que, lors ce que je suis en écriture, je suis dans une bulle qui me sauve. Il y en a qui courent par exemple, d’autres qui font du tricot, moi, j’écris. Ça me vide la tête, ça me permet d’avancer. J’ai toujours aimé les livres. C’est vital, presque une drogue pour moi. Si je ne lis pas au moins une fois par jour, je ne suis pas bien. Je lis d’ailleurs plusieurs livres à la fois : un roman, un livre de philosophie, un essai, un livre de poésie et puis un polar, et je passe de l’un à l’autre sans problème. » Sa poésie, une citation la résume : « Nous avions l’Amazonie jusqu’au bout de nos larmes et le Mississipi jusqu’au faite des rires. Rien n’était impossible. Je portais tout l’espoir du monde au fond d’un sac de billes… », car, à cœur d’enfant rien d’impossible !

Christophe DAUPHIN

(Revue Les Hommes sans Epaules).

 

À lire, poésie : Contre-marges (Phi, 2006) L’Envers du sable (Phi, 2008), Diable, Poète, Funambule et Autres Objets bizarres (Estuaires, 2010), Tryptique d’un horizon aperçu (Lanskine, 2020). Prose : Petites chroniques de la vie qu’il fait, chroniques (Phi, 2014), Les Concombres n’ont jamais lu Nietzsche, aphorismes (Cactus inébranlable, 2017), Les Dessous de la vierge à l’enfant, roman, avec Enrico Lunghi (Phi, 2014), Y’a des fausses notes dans la 5e, roman, avec Enrico Lunghi (Phi, 2016), Vrais masques et fausses façades, roman, avec Enrico Lunghi (Phi, 2020). Théâtre : Les Dimanches de Farine (2009), C’est le printemps il fait beau, les oiseaux chantent, les arbres bourgeonnent et il est tombé du 3e étage (Amphithéâtre, 2015).



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : Richard ROGNET & les poètes de l'Est n° 55