Rouben SEVAK

Rouben SEVAK



Rouben Sévak est né le 15 février 1885, à Silivri, sur la péninsule de Thrace, le long de la mer de Marmara, à 67 kilomètres à l’ouest de Constantinople. Sévak, fils d’un ferronnier, qui jouit d’une bonne situation. Poète et médecin. Il n’a en 1915 publié qu’un seul livre, Garmir Kirke (Le Livre rouge) en 1910, dont les poèmes sont marqués par les massacres de Cilicie de 1909, puis les récits de Pages arrachées au journal d’un médecin (1913).

Sa courte biographie indique que Sévak est diplômé de la faculté de médecine de Lausanne, ville où il a vécu, étudié et exercé la médecine (à l’hôpital de Lausanne à partir de 1911) de 1905 à 1914. C’est à Lausanne qu’il a fait la rencontre d’une jeune étudiante allemande en Beaux-Arts. Helen Maria Apell est la fille d’un officier de l’armée allemande, vétéran de la guerre franco-allemande de 1870. Elle est scolarisée dans une pension huppée de Lausanne. Rouben a 22 ans, Helen (surnommée Yanni) en a 17.

Malgré un premier refus de leurs parents respectifs, Yanni et Rouben se marient en 1910. Le couple a deux enfants : Levon (né à Lausanne en 1912) et Chamiram (née à Constantinople, en 1914). Le famille Sévak regagne Constantinople, en juin 1914, la veille de la Première Guerre mondiale. Quelques mois plus tard, Rouben est réquisitionné comme médecin militaire, jusqu’à son arrestation dans la nuit du 24 au 25 avril 1915. Yanni lui écrit le 21 aout 1915 : « Mon très cher Rouben, Voilà de nouveau une semaine sans nouvelle de toi. J’espère que tu te portes bien cependant. Si tu restes loin de moi encore deux mois. Je serai poitrinaire tant je suis fatiguée. Léon est très bien. Il porte des sandales sans bas, parle le turc et l’allemand maintenant, et il est si fort qu’il porte Chamiram déjà. Celle-là est très entêtée mais très jolie. Tous deux ont tes yeux beaux. On s’est arrangé avec Mavropoulos. Tu as écrit à Gétronagan ? Ma mère t’embrasse. Nous tous t’envoyons de tendres baisers. J’écris de très belles poésies et je regrette tant que tu ne puisses pas les traduire.  Les enfants sont toujours au jardin. Ça va comme ci comme cela. J’espère de te revoir. Que Dieu nous fasse cette grâce ! Je t’aimerai toujours ! Ta Yanni… »

La lettre revient à Yanni avec la mention : « Parti sans laisser d’adresse. » Yanni et sa mère, venue spécialement d’Allemagne, ont beau remuer ciel et terre pour avoir des nouvelles de Sévak auprès de l’ambassadeur d’Allemagne Vangenheim et de la police Turque… Rien n’y fait : on ne leur sert que des balivernes et des mensonges. Le sort de Rouben comme celui de Varoujan, de Siamanto et de bien d’autres est déjà scellé.

Yanni reçoit toutefois le dernier télégramme de son mari, en date du 25 août : « On va aller vers Ayach avec Varoujan. Envoyez vos lettres là-bas ! » Yanni émigrera par la suite en Suisse, puis en France où grandiront ses enfants. Elle publiera sous le nom de Yane Sévac, quatre livres de poèmes : Poèmes parisiens, Échos d’Arcanes, Divines Amours et Au pied de la dent du midi (En souvenir d'un Amour plus fon que la Mort). Un musée Rouben Sévak - que nous devons à son neveu, Hovhannes Tchilinguirian, qui présente une importante collection de tableaux ainsi que les archives du poète, a été installé en 2013 - en présence de Chamiram Sévak, 99 ans -, au monastère d’Etchmiadzine, où il occupe deux salles en enfilade du bâtiment dit Ghazarapat, correspondant à l’ancienne hôtellerie édifiée au XIIIe siècle par le catholicos Ghazar 1er Tjahketsi.

Un siècle après cette nuit d’avril 1915, quand les policiers turcs sont venus chercher son père Rouben Sévak, les larmes montent encore aux yeux de Chamiram qui témoigne, alors centenaire (in Le Point, 21 avril 2015), dans sa chambrette d’une maison de retraite de Cagnes-sur-Mer : « Ce qui est arrivé à mon père, c’est la même chose que pour Charlie Hebdo, sauf que lui, ils sont venus le chercher à la maison. Ils l’ont emmené et après ils l’ont pendu, mon pauvre papa. C’est ça qui s’est passé. Ils l’ont tué à cause de sa plume trop libérale et parce qu’il était arménien. Et pour que personne ne puisse témoigner du génocide, ils se sont d'abord attaqués aux intellectuels. Bien sûr, j’étais trop jeune à l’époque pour en avoir des souvenirs, je n’avais que quelques mois... Mais je sens encore mon père me serrer dans ses bras pour me dire adieu. Ça, je l’ai gardé dans mon cœur… Je voudrais être là quand ça va aboutir, quand les Turcs vont enfin reconnaître ce qu’ils ont fait. Cela fait cent ans déjà et pourtant ils disent encore que ce n’est pas vrai. La France a reconnu le génocide, j’étais à l’Assemblée nationale mais pas eux. Il en est quand même passé un million et demi ! » Chamiram est décédée à Nice le 18 octobre 2016, à l’âge de 102 ans.

Christophe DAUPHIN

(Revue Les Hommes sans Epaules).



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : Daniel VAROUJAN & le poème de l'Arménie n° 58