René SCHICKELE

René SCHICKELE



Poète expressionniste à l’engagement humain fraternel et au lyrisme généreux, brillant romancier germanophone et essayiste, lucide, ironique et satirique, René Schickele est un intellectuel internationaliste et pacifiste. Qualifié de « général des pacifistes », son éthique de la non-violence, sa dénonciation des totalitarismes de tout bord témoignent de la haute conscience qui anime l’œuvre de Schickele : « La paix descendit en moi, car j’étais de bonne volonté, au moins cela, cela j’en étais sûr. » Autant attaché à la France qu’à l’Allemagne (« France ! Pays du milieu incliné vers le sud-ouest, comme l’Allemagne est le pays du milieu penché vers le nord-est »), René Schickele se refuse de choisir. Il est l’incarnation du dilemme alsacien face à la guerre. Schickele est un opposant viscéral à toute idéologie nationaliste et fasciste.

René Schickele est né à Obernai (Bas-Rhin) le 4 août 1883, en Alsace alors allemande. Son père est issu d’une famille de viticulteurs de Mutzig. Sa mère, francophone, est originaire du Territoire de Belfort. En même temps qu’il poursuit des études d’histoire de la littérature, de sciences et de philosophie, à Strasbourg, Munich, Paris et Berlin, avec quelques amis, il fonde dès 1901 à Strasbourg la revue d’avant-garde Der Stürmer. Avec ses amis Ernst Stadler et Otto Flake, il s’efforce de promouvoir une « alsacianité de l’esprit » qui met en valeur, dans une perspective européenne, la vocation médiatrice de l’Alsace entre la France et l’Allemagne. Il crée avec eux un cercle artistique et littéraire, Das jüngste Elsaß, afin de promouvoir la culture germanique et dialectale proprement alsacienne. Ernst Stadler, poète alsacien de langue allemande, traducteur de Péguy, qui sera tué près d’Ypres le 30 octobre 1914, à l’âge de 28 ans, écrit : « L’alsacianité, ce n’est nullement une catégorie géographique quelconque et plus ou moins insignifiante. C’est la conscience d’une tradition, d’une mission culturelle, que l’on a appris à comprendre précisément chez nous, là où, un temps déraciné, l’on a dérivé au gré de courants étrangers, avant que les anciennes racines ne plongent dans le sol nouveau. L’alsacianité, ce n’est pas quelque chose de rétrograde, de géographiquement borné, ce n’est pas un rétrécissement de l’horizon, un provincialisme, un art du pays natal (Heimatkunst), mais une disposition de l’âme bien précise et très évoluée, un bien culturel solidement ancré, auquel la tradition romane aussi bien que germanique ont donné ses éléments les plus précieux. Un particularisme de l’âme, dont la possession signifie supériorité et richesse et dont la nouvelle littérature alsacienne a pour mission de témoigner dans des œuvres de valeur. »

En 1909, Schickele, journaliste à Paris, est fortement impressionné par la personnalité de Jaurès et par son socialisme pacifiste. C’est la ligne qu’il défend en dépit des tensions diplomatiques entre la France et l’Allemagne et du déchaînement, des deux côtés du Rhin, des propagandes nationalistes. Schickele défend le « socialisme avec sa grande et profonde vague de lumière qui traversera tous les hommes. » En 1911, il devient rédacteur en chef du journal libéral Neue Straßburger Zeitung, fondé par Gustave Stoskopf en 1908. Il mène la lutte pour développer parallèlement les libertés locales et le processus de démocratisation. Lorsqu’éclate la Première Guerre mondiale, il se retire en Suisse. Directeur de la revue expressionniste Die weißen Blätter, il publie Zweig, Romain Rolland et transforme peu à peu la revue en un organe de l’internationale pacifiste. En novembre 1918[1], il est à Berlin où il s’efforce de contribuer à la réalisation de son idéal socialiste et pacifiste : « Il s’agit de changer le monde, nous sommes ensemble, et tous les enfants de la terre, par notre seule décision, d’une seule voix, nous débarrassons le monde de la misère. » Fidèle à ses principes, il refuse l’idée d’une dictature du prolétariat comme moyen d’instaurer la société nouvelle : « On ne convainc pas par la violence… La terreur, quelle que soit sa forme, est l’annulation de l’idée de l’homme… Ce n’est pas le pouvoir et les armes qui maintiennent en vie l’Idéal, mais le sentiment altruiste ; pas le fouet mais la parole ; pas la contrainte mais l’exemple. » L’échec de la Révolution allemande brise en lui le ressort de l’action et l’éloigne de l’engagement politique. Après la guerre, il quitte l’Alsace pour s’établir de l’autre côté du Rhin, à Badenweiler, continuant de se revendiquer pourtant plus que jamais comme « citoyen français und deutscher Dichter » (« citoyen français et écrivain allemand ») : « Je ne suis pas fait pour la cuisine littéraire comme elle se pratique en France, c’est-à-dire à Paris. Il y a bien quelques bonnets qui me connaissent et même me jugent à ma valeur. Mais pour eux je suis le boche qui n’a pas voulu de sa patrie en 1918. » C’est durant cette période qu’il écrit sa grande trilogie romanesque, Das Erbe am Rhein : Maria Capponi (1926), Blick auf die Vogesen (1927) et Der Wolf in der Hürde (1931). Malgré sa nationalité française, il est élu à l’Académie de Berlin, en compagnie de Thomas Mann (« L’écriture de René Schickele, est toujours comme un épithalame qui unirait la France et l’Allemagne »), de Heinrich Mann et d’autres grandes figures de la littérature germanophone de l’époque. Attaqué par la presse nazie en tant que « rouge » et « pacifiste », il quitte Badenweiler en 1932 pour s’installer en Provence. Ses livres sont interdits en Allemagne. Il meurt le 31 janvier 1940, à 56 ans, à Vence (Alpes-Maritimes).

Christophe DAUPHIN

(Revue Les Hommes sans Epaules).

À lire (œuvres disponibles en français) : Terre d’Europe, poèmes choisis (Arfuyen, 1990), La Veuve Bosca, roman (Circé, 1990), La Bouteille à la mer (Circé, 1996), Paysage du ciel (Arfuyen, 2010), Nous ne voulons pas mourir (Arfuyen, 2019).



Publié(e) dans la revue Les Hommes sans épaules


 
Dossier : Richard ROGNET & les poètes de l'Est n° 55